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Droit fiscal de l'entreprise 1 : l'imposition de l'activité de l'entreprise Leçon 1 : Le cadre juridique de la fiscalité de l'entreprise...

Droit fiscal de l'entreprise 1 : l'imposition de l'activité de l'entreprise Leçon 1 : Le cadre juridique de la fiscalité de l'entreprise Arnaud de BISSY Table des matières Section 1 : La gestion fiscale de l'entreprise...........................................................................................................p. 2 §1 : Le principe de liberté de gestion................................................................................................................................................ p. 2 A - Affirmation du principe................................................................................................................................................................................................ p. 2 B - Application du principe : les choix fiscaux................................................................................................................................................................. p. 3 1. Les options juridiques ou financières à effets fiscaux........................................................................................................................................................................................p. 3 2. Les options strictement fiscales.......................................................................................................................................................................................................................... p. 6 §2 : Les limites à la liberté de gestion................................................................................................................................................ p. 7 A - L'acte anormal de gestion.......................................................................................................................................................................................... p. 8 B - L'abus de droit.......................................................................................................................................................................................................... p. 15 Section 2 : Le contrôle fiscal...................................................................................................................................p. 24 §1 : Les moyens du contrôle............................................................................................................................................................. p. 24 A - La vérification de comptabilité.................................................................................................................................................................................. p. 25 B - L'examen de comptabilité......................................................................................................................................................................................... p. 32 C - La procédure de flagrance fiscale............................................................................................................................................................................p. 32 D - Les centres de gestion agréés.................................................................................................................................................................................p. 33 §2 : Le droit de reprise...................................................................................................................................................................... p. 35 A - Le délai de reprise....................................................................................................................................................................................................p. 36 B - La rectification fiscale............................................................................................................................................................................................... p. 37 §3 : Les sanctions..............................................................................................................................................................................p. 39 A - Les pénalités fiscales................................................................................................................................................................................................p. 39 B - Les sanctions pénales.............................................................................................................................................................................................. p. 41 Section 3 : Le contentieux fiscal............................................................................................................................. p. 45 §1 : La réclamation préalable............................................................................................................................................................ p. 45 §2 : Le recours juridictionnel..............................................................................................................................................................p. 45 1 UNJF - Tous droits réservés En « interne », il s'agit d'évoquer la gestion fiscale de l'entreprise (section 1). En « externe », le contrôle de l'administration fiscale, (section 2) puis son prolongement ; le contentieux fiscal (section 3). Section 1 : La gestion fiscale de l'entreprise Il ne faut plus avoir une vision figée de la fiscalité, qui consiste à concevoir le droit fiscal comme une matière qui ne sert qu'à calculer l'impôt des contribuables. Il faut au contraire avoir une vision plus dynamique de cette matière ; on parle alors de « gestion fiscale ». Gérer une entreprise c'est prendre des décisions, or il s'avère que la variable fiscale est incontournable dans le processus décisionnel du chef d'entreprise. Puisque toutes les décisions n'emportent pas les mêmes conséquences fiscales, la bonne gestion fiscale est celle de l'entrepreneur qui réalise une économie d'impôt substantielle sans que ses décisions puissent être remises en cause par l'administration fiscale. L'entreprise est aidée en cela par la jurisprudence qui lui reconnaît une certaine liberté de gestion (§1). Toutefois, nous verrons que ce principe n'est pas absolu (§2). §1 : Le principe de liberté de gestion L'entrepreneur, personne physique ou morale, est seul « maître à bord ». Et, puisque gouverner c'est choisir, ce dernier reste libre de choisir les orientations qui lui paraîtront les plus favorables pour son entreprise, même si cela se fait au détriment du trésor public. Aussi, après avoir affirmé le principe de liberté de gestion (A), nous en apprécierons sa portée grâce à quelques exemples de choix fiscaux (B). A - Affirmation du principe Le Conseil d'Etat refuse à l'administration le droit de s'immiscer dans la gestion des entreprises. En effet, cette dernière n'est pas la mieux placée pour apprécier le bien fondé des décisions et ce n'est pas son rôle. C'est le principe de non-immixtion dans la gestion de l'entreprise. Le principe de non immixtion de l'administration fiscale dans la gestion de l'entreprise repose sur deux piliers historiques : 1. L'administration fiscale ne peut reprocher à une entreprise de ne pas avoir réalisé le profit maximal compte tenu des circonstances, ce qui aurait conduit à une imposition jugée disproportionnée (CE, 7 juillet 1958, n° 35977, Dr. Fisc. 1958, n° 44, Comm. 938 - Diminution du prix de vente). 2. En présence de plusieurs possibilités, l'administration ne peut reprocher à l'entreprise d'avoir choisi la voie la moins imposée. Ainsi par exemple, le Conseil d'Etat a jugé qu'un vérificateur ne peut critiquer le financement par le biais d'un emprunt alors que les fonds propres de l'entreprise auraient été suffisants. Exemple CE, 20 décembre 1963, Dr. Fisc. 1964, n° 13, Doctr., concl. Martin. Encore récemment : CE, 11 avril 2014, n° 344990, « Sté Bayerrische Hypo und Vereinsbank AG », Dr. Fisc. 2014, n° 23, comm. 365, qui juge que la succursale française d'un établissement de crédit étranger peut déduire les intérêts des emprunts nécessaires au financement de son activité, sans que l'administration fiscale puisse invoquer une insuffisance dans leur dotation en fonds propres par le siège étranger). 2 UNJF - Tous droits réservés Plus récemment, le Conseil d'Etat a dénié à l'administration le droit de critiquer les choix de gestion de l'entreprise sur le terrain économique : L'administration fiscale ne peut pas critiquer des choix de gestion au motif qu'ils sont différents de ceux pratiqués par d'autres entreprises. Exemple CE, 23 janvier 2015, n° 369214, « SAS Rottapharm », Dr. Fisc. 2015, n° 16, comm. 268, concl. M.-A. Nicolazo de Barmon , note A. de Massiac et R. Bagdassarian – L'administration ne peut pas réintégrer dans les bénéfices imposables une fraction des dépenses de promotion d'un produit, sous prétexte qu'elles excèdent le taux moyen des dépenses généralement constatées dans le secteur considéré. En l'espèce, les dépenses de promotion d'un médicament avaient représenté entre 40 % et 55 % du chiffre d'affaires généré par ce médicament, alors que le rapport moyen constaté dans le secteur de l'industrie pharmaceutique serait de 12 % seulement. L'administration fiscale ne peut pas non-plus critiquer des choix de gestion en ce qu'ils seraient inefficaces économiquement. Exemple CE, 22 février 2017, n° 387786, « Sté Additek », Dr. Fisc. 2017, n° 28, comm. 395, concl. E. Bokdam- Tognetti, note O. Fouquet - L'administration ne peut pas réintégrer dans le bénéfice imposable de l'entreprise une fraction de la rémunération de prestations de prospection commerciale au seul motif qu'elle est excessive au regard du chiffre d'affaires à l'export de cette entreprise. L'administration fiscale ne peut pas critiquer des choix de gestion au motif qu'ils excèdent manifestement les risques pris habituellement par les chefs d'entreprise. Exemple Abandonnant sa jurisprudence sur le risque excessif (v. infra §2), le Conseil d'Etat estime qu' « il n'appartient pas à l'administration... de se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par l'entreprise et notamment pas sur l'ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats » (CE, 13 juillet 2016, n° 375801, « Monte Paschi Banque », Dr. Fisc. 2016, n° 36, comm. 464, note O. Fouquet. Doctrine : J.-P. Looten, « Acte anormal de gestion : de la liberté d'entreprendre sans dilapider les biens sociaux », Les nouvelles fiscales, n° 1156, 15 mai 2015, p. 22 s. ; J. Turot, « La liberté de gestion des entreprises entre enfer et paradis (et plus près de l'enfer) », Dr. Fisc. 2017, n° 27, étude 378. B - Application du principe : les choix fiscaux Il y a en réalité deux formes d'option : l'option juridique ou financière qui a des implications fiscales, l'option strictement fiscale laquelle est proposée par les textes ou l'administration elle-même. 1. Les options juridiques ou financières à effets fiscaux er => 1 choix : En matière d'impôt sur les bénéfices : alors que les bénéfices de l'entreprise individuelle (ou des sociétés de personnes) sont soumis à l'impôt sur le revenu (IR : barème progressif par Entreprise individuelle ou société ? tranches dont les taux vont de 0 % à 45 %), ceux des sociétés de capitaux sont soumis à l'impôt sur les sociétés (IS : taux de 33 1/3 % - ramené progressivement à 25 % - mais les bénéfices des PME sont imposés 3 UNJF - Tous droits réservés au taux de 15 % dans la limite de 38 120 €). Lors de la création de l'entreprise : les apports en société sont en principe exonérés de droits de mutation (« droits d'apport »). La question ne se pose pas pour les entreprises individuelle puisqu'il n'y a pas de transfert de propriété. Au cas de cession de l'entreprise : la vente du fonds de commerce est soumise à un barème progressif (0 %, 3 % ou 5 %, selon que le prix est inférieur à 23 000 €, compris entre 23 000 € et 200 000 €, ou supérieur à 200 000 €), alors que la cession de parts sociales est imposée à 3 % (après application d'un abattement de 23 000 € proportionnel au nombre de parts cédées) et la cession d'actions soumise à un droit de 0,1 %). Exemple Si la cession porte sur 40 % des parts sociales, l'abattement dont bénéficiera le cessionnaire sera de : 23 000 euros x 40 % = 9 200 euros. 4 UNJF - Tous droits réservés Autrefois : La loi du 15 juin 2010 créant l’EIRL a donné la possibilité aux entrepreneurs de constituer un patrimoine professionnel à coté du patrimoine privé. L’EIRL suit le régime fiscal des entreprises individuelles sans patrimoine affecté ; elle relève donc de l'IR. Toutefois, elle peut opter pour son assimilation à une EURL (CGI, art. 1655 sexies) ; cela vaut option irrévocable pour l'IS. La fiscalité de la création et de la transmission d'une EIRL n’est pas différente de celle de l’entreprise individuelle classique. Aujourd'hui : Depuis l'entrée en vigueur du nouveau statut unique d'entrepreneur individuel institué par la loi du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante (L. n Entreprise individuelle avec ° 2022-172, art. 1), soit le 15 mai 2022, tout ou sans patrimoine affecté ? entrepreneur personne physique (y compris les auto-entrepreneurs) bénéficie automatiquement de la protection de son patrimoine personnel grâce à un patrimoine professionnel séparé. A ce titre, fiscalement, il pourra opter pour son assimilation à une EURL ; ce choix est irrévocable et vaut option pour l'impôt sur les sociétés (L. n° 2021-1900 du 30 décembre 2021, de finances pour 2022, art. 13 ; CGI, art. 1655 sexies mod.). Il n'est plus possible depuis la promulgation de la loi du 14 février, soit le 15 février 2022, de créer une EIRL (L. n° 2022-172 du 14 février 2022, préc. ; D. n° 2022-709 du 26 avril 2022). Doctrine : A. Perin-Dureau, « Les aspects fiscaux de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante », RTD com. 2022. 693. ème => 2 choix : Quant à la cession de l'entreprise, les droits de mutation sont de 3 % (parts) ou de 0,1 % (actions). Quant au statut fiscal du dirigeant, les rémunérations des dirigeants de SA sont imposées comme des salaires. Idem pour SA ou SARL ? celles des gérants minoritaires de SARL. Quant aux jetons de présence versés aux membres des conseils d'administration des SA, ils sont imposés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. 5 UNJF - Tous droits réservés En savoir plus : Statut fiscal et social du gérant majoritaire de SARL La situation des gérants majoritaires de SARL a évolué favorablement. Pendant longtemps, l'absence de lien de subordination leur fermait les portes du salariat, et le code général des impôts leur refusait la possibilité de bénéficier d'une déduction forfaitaire pour frais professionnels ainsi que de l'abattement de 20 % dont bénéficiaient les salariés. Depuis 1996, la situation des gérants majoritaires de SARL a été alignée sur celle des salariés : abattement de 20 % (précision : depuis 2006, l'abattement de 20 % est intégré dans le barème de l'IR) et déduction forfaitaire de 10 % pour frais professionnels (avec option pour les frais réels). Il reste que le gérant majoritaire est un travailleur indépendant qui cotise en tant que tel aux différentes caisses de sécurité sociale. Doctrine : L. Nurit Pontier, « Le statut social des dirigeants de sociétés », JCP éd. E 5/02, p. 222 et s. ème => 3 choix : Quant au financement externe : il peut se faire par l'emprunt (bancaire, obligataire ou par les comptes courants d'associés) ou par les capitaux propres (augmentation de capital). L'emprunt possède un coût immédiat pour l'entreprise (les intérêts), mais ils sont en principe déductibles du bénéfice en tant que charges d'exploitation (mais la déduction des intérêts de compte Financement interne ou externe ? courant est limitée). L'augmentation de capital est gratuite puisque l'opération est exonérée de droits d'apport, mais il faudra rémunérer les titres par des dividendes. Quant au financement interne : l'entreprise se finance avec ses bénéfices, en les mettant en réserve ou en les incorporant au capital. Dans l'un et l'autre cas, l'autofinancement n'entraîne aucune réduction du bénéfice imposable puisqu'il s'agit d'une utilisation de ce dernier. 2. Les options strictement fiscales Les options fiscales de l'entrepreneur individuel - L'entrepreneur peut notamment exercer les options fiscales suivantes : Adhérer ou non à un centre de gestion agréé, (cf. infra le contrôle du bénéfice imposable). Opter pour un régime d'imposition différent (v. la leçon sur le calcul du bénéfice imposable). Opter pour la TVA le cas échéant (v. les leçons sur la TVA). 6 UNJF - Tous droits réservés Remarque Depuis le 15 mai 2022, date d'entrée en vigueur du nouveau statut unique d'entrepreneur individuel (L. n° 2022-172 du 14 février 2022), tout entrepreneur individuel personne physique bénéficie automatiquement de la protection de son patrimoine personnel grâce à un patrimoine professionnel séparé. Fiscalement, il peut opter pour son assimilation à une EURL ; ce choix est irrévocable et vaut option pour l'impôt sur les sociétés (L. n° 2021-1900 du 30 décembre 2021, de finances pour 2022, art. 13 ; CGI, art. 1655 sexies, 3). Contrairement à l'EIRL qui supposait une déclaration d'affectation, la protection est de plein droit et il n'y a aucune décision d'affectation des biens au patrimoine professionnel séparé. Ce dernier comprendra nécessairement les biens utiles à l'activité professionnelle (les autres biens font donc partie du patrimoine privé insaisisable par les créanciers professionnels). Art. L. 526-22 du C. Com. : « L'entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes (al. 1). Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel. Sous réserve du livre VI du présent code, ce patrimoine ne peut être scindé. Les éléments du patrimoine de l'entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel (al. 2) ». Les options fiscales de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (« EIRL ») : Adhérer à un centre de gestion agréé (cf. infra le contrôle du bénéfice imposable). Opter pour l'assimilation de l'EIRL à une EURL ou une EARL - ce qui vaut option pour l'IS (v. la leçon sur le domaine de l'IS). Opter pour la TVA le cas échéant (v. les leçons sur la TVA). Remarque Il n'est plus possible aujourd'hui de créer de nouvelles EIRL (interdiction qui vaut depuis la promulgation de la loi du 14 février 2022, soit depuis le 15 février 2022 ; L. n° 2022-172 du 14 février 2022, préc., art. 6 ; D. n° 2022-709 du 26 avril 2022). Les options fiscales des sociétés : 1. L'option pour un impôt différent. Une société de personnes peut opter pour le régime des sociétés de capitaux (IS), et une SARL de « famille » ainsi que certaines PME de moins de 5 ans, peuvent opter pour pour le régime des entreprises individuelles (IR). 2. La gestion du déficit fiscal. Le problème ne se pose que dans les sociétés soumises à l'IS (dans les entreprises soumises à l'IR, le déficit fiscal s'impute automatiquement sur les autres revenus du contribuable). Le déficit fiscal peut s'imputer sur les bénéfices des années suivantes (« report en avant ») ou sur les bénéfices de l'exercice précédent (« report en arrière »). L'entreprise qui opte pour le report en avant ne peut plus bénéficier du report en arrière ; il est donc de bonne gestion fiscale de profiter du report en arrière préalablement à un report en avant. §2 : Les limites à la liberté de gestion Le contribuable n'est pas complètement libre de gérer son entreprise comme il l'entend. Le principe de liberté de gestion comporte ainsi des « garde-fous » sous la forme de deux théories essentielles : L'une spécifique à la matière fiscale ; l'acte anormal de gestion. L'autre empruntée au droit privé ; l'abus de droit. En savoir plus : La lutte contre l'érosion des bases taxables A coté de ces théories générales du droit fiscal, on note que la loi fiscale elle-même encadre de plus en plus fortement la gestion des entreprises afin de lutter contre l'érosion des bases d'imposition (« BEPS » - Erosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices). 7 UNJF - Tous droits réservés Par exemple, en matière de financement des entreprises, elle prévoit aussi bien des limites à la déduction des frais financiers de la société pour son propre financement que des limites à la déduction des aides accordées aux filiales de son groupe (p. ex. Cl. Acard et H. Christophe, « Le financement d'entreprise en liberté surveillée », Dr. Fisc. 2015, n° 23, comm. 388 ; Fr. Durand, «Le financement des groupes de sociétés », Dr. Fisc. 2015, n° 23, comm. 389). Sur la problématique plus spécifique des décisions de gestion prises par des entreprises en difficulté : A. Lagarrigue et K. Gruzdova, « Restructuration de la dette des entreprises en difficulté : quelques considérations fiscales », Dr. Fisc. 2015, n° 19-20, comm. 300. A - L'acte anormal de gestion Par principe, les magistrats n'ont pas à intervenir dans la gestion de l'entreprise ; ce sont des juristes et non des gestionnaires. En pratique, force est de constater que les juridictions sont souvent appelées à tracer les limites entre la bonne gestion et la gestion aventureuse. Dans ce cadre, le juge fiscal s'est penché sur le bien fondé de certaines décisions de gestion critiquées par l'administration fiscale au motif qu'elles ont pour conséquence une minoration exagérée du bénéfice imposable. La théorie de l'acte anormal de gestion est donc une construction prétorienne qui ne concerne, a priori, que la fiscalité des bénéfices commerciaux (ainsi que, par renvoi de l'article 72-1 du CGI, aux bénéfices agricoles). En revanche, la théorie de l'acte anormal de gestion ne s'applique pas aux bénéfices non commerciaux (BNC). Selon l'article 93-1 du CGI en effet :« Le bénéfice à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est constitué par l'excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession ».Le critère de la dépense « nécessitée par l'exercice de la profession » est a priori plus étroit que celui de « l'intérêt de l'entreprise » dans la mesure ou une dépense peut tout à fait être étrangère à l'activité et lui être malgré tout profitable. Mais encore faut-il observer que le juge administratif regarde si la profession non-commerciale a été exercée dans des conditions « normales », ce qui évidemment n'est pas sans rappeler la théorie des actes anormaux de gestion (v. St. Austry, « BNC : notion de dépenses nécessitées par l'exercice de la profession », RJF 1/97, chron. p. 3). Même si la jurisprudence ne consacre pas littéralement la théorie de l'acte anormal de gestion, les solutions retenues sont assez proches. Exemple CE, 23 décembre 2013, n° 350075, « M. Uguen », Dr. Fisc. 2014, n° 14, comm. 252, concl. V. Daumas, note M. Buchet – A propos d'un notaire ayant effectué des remises d'honoraires à certains de ses clients, le Conseil d'Etat casse l'arrêt d'appel qui avait repoussé les prétentions de l'administration au motif « qu'en statuant ainsi, sans rechercher, alors même que l'administration avait utilisé improprement l'expression d'acte anormal de gestion, si ces remises étaient justifiées par une contrepartie équivalente pour le contribuable, si elles étaient conformes aux règles ou usages de la profession de notaire ou si elles étaient justifiées par tout autre motif légitime ». La théorie de l'acte anormal de gestion trouve sa source à l'article 39 du CGI qui est le siège de la règlementation fiscale en matière de charges déductibles. La jurisprudence a déduit des termes de l''article 39 du CGI que ne peuvent être déduites du résultat imposable les dépenses qui sont étrangères à l'intérêt de l'entreprise. Ce principe résulte d'abord de l'article 39-1, 1° selon lequel : « Les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard au service rendu ».La référence à l'intérêt de l'entreprise est plus explicite à l'article 39-5 (déduction des cadeaux, frais liés à l'utilisation de véhicules, dépenses de réception...) et à l'article 39-1, 7° (dépenses de parrainage). La théorie de l'acte anormal de gestion ne prend pas seulement ses racines dans le CGI mais aussi dans le code de commerce. Ainsi que l'avait noté P.-F. Racine : « le concept d'acte anormal de gestion est le fruit de l'acclimatation ou la transplantation en droit fiscal du concept commercial d'acte non conforme à l'intérêt social... » (concl. sous CE 27 juillet 1984, RJF 1984, n° 10, p. 53). Il est donc fait un parallèle entre 8 UNJF - Tous droits réservés l'intérêt de l'entreprise en droit fiscal et l'intérêt social en droit des sociétés. L'identification est pourtant fragile eu égard, notamment, à l'évolution récente du droit des sociétés qui, d'une part, distingue entre l'intérêt social et l'intérêt commun des associés, et, d'autre part, élargit l'intérêt social à des éléments extra-financiers «... en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » (C. Civ., art. 1833 mod. Loi "Pacte" du 22 mai 2019). De notre point de vue, l'intérêt de l'entreprise en droit fiscal se rattache d'avantage à l'article 1832 du code civil (v. A. de Bissy, « La crise existentielle des sociétés : quel impact fiscal ? », Lexbase, affaires, n° 597 du 13 juin 2019, p. 33). L'élargissement de l'intérêt social en droit des sociétés devrait donc être sans effet sur la définition de l'acte anormal de gestion en fiscalité (en ce sens, V. Rép. Bascher : Sénat, 10 février 2022, n° 25359, et la note approbative de F. Deboissy et G. Wicker in Dr. Fisc. 2023, n° 8, act. 55). Tous les actes de gestion sont concernés... et même parfois ceux qui ne sont pas vraiment des actes de "gestion" (v. infra la jurisprudence sur les détournements de fonds). La jurisprudence ne se contente pas de critiquer les dépenses de l'entreprise qu'elle estime anormales, elle a aussi étendu le domaine d'application de la théorie de l'acte anormal de gestion aux décisions qui se traduisent par une renonciation à un profit. Finalement, quelle que soit sa traduction juridique (dépense ou manque à gagner), ce qui est critiquable, c'est que la décision ait été prise dans un intérêt autre que celui de l'entreprise. L'administration considère en effet que la société a pour but la recherche du profit et que les dépenses qui ne sont pas engagées dans cette optique ne peuvent concourir à la formation du résultat imposable. Elle est suivie en cela par la jurisprudence, à une exception près : lorsque la société n’a pas été constituée dans le but de réaliser des bénéfices mais de faire profiter ses membres d’économies, conformément à l’article 1832 du Code civil. Exemple CE, 25 novembre 2009, « Cie Rhénane de raffinage », Dr. Fisc. 2010, n° 7, comm. 186, concl. E. Geffray, note R. Schneider – La facturation à prix coûtant d’une prestation par une société à ses actionnaires ne constitue pas une renonciation anormale à un profit à partir du moment ou la société a été constituée dans ce but. Le critère de l'acte anormal de gestion est donc l'intérêt de l'entreprise. Pour le droit fiscal, il y a « acte anormal de gestion » chaque fois que l'entreprise a exposé une dépense qui n'est pas faite dans son intérêt. Ce critère était d'application générale, quel que soit le bénéficiaire de l'avantage (entreprise ou particulier). En pratique, nombre d'avantages étaient consentis à une entreprise tierce : aide accordée à une filiale ou à un partenaire économique. La jurisprudence leur appliquait le critère habituel de l'acte anormal de gestion : l'aide était déductible si la société y avait un intérêt financier (c'est naturellement le cas de la société mère qui aide sa filiale), ou un intérêt commercial (ce peut également être le cas d'un fournisseur qui aide son client). ème La loi (2 loi de finances rectificative pour 2012 du 16 août 2012), traite désormais à part le cas des aides entre entreprises ; leur régime figure désormais à l'article 39-13 nouveau du CGI (applicable à compter des exercices clos depuis le 4 juillet 2012). En ce qui les concerne, les règles sont claires : les aides à caractère financier (mère/fille) ne sont plus déductibles, alors que les aides à caractère commercial (client/fournisseur) sont déductibles. Toutefois, le législateur a réservé le cas des aides qui sont consenties à une entreprise en difficulté financière (cela peut concerner une société mère qui vient en aide à sa filiale) ; l'aide est alors déductible sous certaines limites. Comme les aides inter-entreprises sont souvent accordées entre sociétés « liées » (c'est à dire dont l'une contrôle l'autre ou dont les deux sont contrôlées par une troisième), leur régime sera étudié dans le cadre des développements consacrés aux groupes de sociétés (v. leçon 2 du cours relatif à l'imposition des structures de l'entreprise). Nous nous en tiendrons au « régime de droit commun » de l'acte anormal de gestion (hors aides inter- entreprises). Il s'agit à présent de définir la notion fiscale « d'intérêt de l'entreprise ». Nous ferons deux affirmations : L'acte anormal de gestion est étranger à l'intérêt de l'entreprise. Il suffit que le bénéficiaire soit un tiers par rapport à l'entreprise : associé, dirigeant, salarié, ou toute personne qui n'est pas intéressée à l'entreprise d'une façon ou d'une autre (un membre de la famille du dirigeant...). L'acte doit encore être contraire à l'intérêt de l'entreprise. Ainsi, l'acte peut être anormal quant à son montant (Ex : rémunérations excessives des dirigeants de sociétés) ou quant à sa nature (les libéralités 9 UNJF - Tous droits réservés et le problème des cadeaux d'entreprises, lorsque l'intérêt de l'entreprise n'est pas démontré), ou quant à ses effets, puisqu'il peut aussi bien résulter d'une dépense excessive que d'une renonciation à un profit (Ex : les abandons de créances lorsqu'elle n'apportent rien à l'entreprise). Finalement, l'acte est fait dans l'intérêt de l'entreprise lorsqu'elle reçoit une contrepartie équilibrée. Exemple Par exemple, en matière de cession de titres pour un prix minoré, la jurisprudence exige généralement un écart significatif entre le prix de cession des titres et leur valeur réelle (20 % en principe).Toutefois, le Conseil d'Etat a jugé qu'un écart de 14,1 % entre le prix de cession et la valeur réelle des titres pouvait suffire (CE, 26 octobre 2021, n° 426462, « Sté Crédit Agricole », Dr. Fisc. 2022, n° 5, comm. 105, concl. C. Guibé, note E. Joannard-Lardant). Dans cette affaire, le Conseil d'Etat, statuant après renvoi, juge que l'écart constaté entre la valeur vénale des titres et leur prix de cession, soit 14,1 %, était suffisamment significatif pour justifier l'appauvrissement sans raison de la société cédante (CE, 7 avril 2023, n° 466247, Dr. Fisc. 2023, n° 16, act. 134, note L. Erstein – En l'espèce, la société, dont les titres étaient cédés, était en cessation progressive d'activité et son actif net était essentiellement constitué d'un portefeuille de placements en trésorerie). Cette contrepartie n'est pas nécessairement et directement de nature financière ; elle peut se concevoir en terme d'image et de renom pour l'entreprise. Exemple Au sujet des dépenses de parrainage d'une entreprise lors d'une compétition sportive à laquelle le dirigeant avait pris part ; CAA de Douai, 28 mai 2003, n° 99-20073 « SA Transport Couque Maurice », RJF 4/04, n° 347. Il est notamment relevé que le nom de l'entreprise était apposé sur le véhicule, l'événement a été commenté par la presse et la radio locale, il a servi de support à différentes manifestations commerciales et le dirigeant avait les capacités de pilote requises. Au sujet du financement de projets d'associations humanitaires ; CE, 15 février 2012, n° 340855, « SARL Les sources », Dr. Fisc. 2012, n° 20, comm. 293. Cas d'une entreprise de vente par correspondance d'articles de bureau et d'hygiène qui s'engage envers ses clients à reverser 5 % du prix facturé à des associations caritatives. Le Conseil d'Etat juge que l'entreprise en avait retiré une contrepartie dans la promotion de son action qui lui avait permis de maintenir ou d'accroître son chiffre d'affaires. Une société peut avoir intérêt à renoncer à des recettes et prendre en charge certaines dépenses afin de mettre un terme à un conflit pouvant ternir sa réputation commerciale ; CAA de Bordeaux, 4 juin 2013, n° 11BX0918, « SA Amarcord », RJF 10/13, n° 909. En l'espèce, il s'agissait d'avantages consentis par une SCEA à son ancienne gérante dans le cadre d'un protocole d'accord visant à mettre fin à un litige entre associés qui risquait de porter atteinte à l'image de la société et à celle de son vin. Une société peut avoir intérêt à renoncer à la rémunération d'une concession de licence de marque si l'avantage a été consenti en vue de la préservation de l'existence même d'actifs dont dépend la pérennité de sa propre activité économique ou par la prévention d'une dévalorisation certaine dans des conditions compromettant durablement leur usage comme source de revenus ; CE, 10 février 2016, n ° 371258, « Société Hôtel et Casino de Deauville » Dr. Fisc. 2016, n° 7-8, act. 103. En l'espèce, la société mère du groupe (SHCD) a notamment fait valoir qu'en permettant de ne pas aggraver la situation financière de la société d'exploitation du restaurant le Fouquet's (SERF), la société d'exploitation de la marque Le Fouquet's (SEMF) a contribué à préserver cette marque et son renom, sur laquelle repose sa propre activité économique. En savoir plus : Les cadeaux d'entreprise : Aux termes de l'article 39-5 du CGI :« Sont également déductibles les dépenses suivantes :... e) Les cadeaux de toute nature, à l'exception des objets de faible valeur conçus spécialement pour la publicité ;... Les dépenses énumérées peuvent également être intégrées dans les bénéfices imposables dans la mesure où elles sont excessives et où la preuve n'a pas été apportée qu'elles ont été engagées dans l'intérêt direct de l'entreprise ». Exemple Dans un arrêt de 2011, le Conseil d'Etat impose une lecture particulière du texte (CE, 11 février 2011, n° 316500, « Sté Philips France », Dr. Fisc. 2011, n° 18-19, comm. 335, note L. Faulcon, A. Fournier) : il juge que 10 UNJF - Tous droits réservés les cadeaux d'entreprises sont en principe déductibles mais « qu'il en va cependant autrement si l'entreprise ne justifie pas l'intérêt direct que présente, pour son activité présente ou future, l'entretien de bonnes relations avec les bénéficiaires des cadeaux ou si l'administration établit que le montant d'une dépense est excessif au regard de l'intérêt que le bénéficiaire du cadeau présente pour l'entreprise » (en l'espèce, il s'agissait de trois voyages « d'affaires » organisés par la société Philips au profit de dirigeants d'entreprises clientes et de leurs conjoints, aux Etats-Unis, au Kenya et au Mexique, pour un montant total de 523 394,83 €). Contrairement à la lettre du texte, le Conseil d'Etat confère aux conditions liées au caractère excessif de la dépense et à l'absence d'intérêt pour l'entreprise un caractère alternatif et non pas cumulatif, et il opère un renversement de la charge de la preuve en posant une présomption d'anormalité de la dépense : le contribuable doit justifier de son intérêt, et si tel est le cas, et en dépit de cela, l'administration peut encore rapporter le caractère excessif de la dépense pour s'opposer à sa déduction. Attention : il ne faut pas confondre les cadeaux d'entreprise avec les dépenses de parrainage (CGI, art. 39-1, 7°), ou de mécénat (CGI, art. 238 bis). Le mécénat consiste à faire un don, en numéraire ou en nature, à un organisme d'intérêt général sans attendre en retour de contrepartie équivalente (Bofip, BOI- BIC-RICI-20-30-10-20, n° 120). Le mécénat se distingue du parrainage dans le cadre duquel l'entreprise qui parraine retire un bénéfice direct de l'organisme parrainé en contrepartie du soutien accordé (Bofip, BOI- BIC-RICI-20-30-10-20, n° 150). Les dépenses de mécénat permettent à une entreprise de bénéficier d'une réduction d'impôt (en contrepartie, de telles dépenses ne sont pas déductibles du résultat imposable). Les dépenses de parrainage sont déductibles si elles sont engagées dans l'intérêt de l'entreprise. Exemple CE, 15 février 2012, n° 340855, « SARL Les Sources », préc., qui juge que l'entreprise qui reverse une partie du prix de vente de ses produits à une œuvre humanitaire agit dans son intérêt dès lors que cela lui a permis de maintenir ou d'accroître son chiffre d'affaires. Il importe peu que la dépense soit licite ou illicite. Ainsi, l'acte anormal de gestion est-il souvent une infraction pénale (par exemple, un abus de biens sociaux), mais une dépense illicite n'est pas nécessairement constitutive d'acte anormal de gestion (par exemple, une vente avec primes). Ce qui compte, c'est l'intérêt de la société ; le juge fiscal n'est pas un juge moralisateur. Exemple Ainsi, le Conseil d'Etat a admis en déduction un « don » de 500 000 F par une SCI à la commune de St Tropez destiné au financement de courts de tennis, contre l'obtention d'un permis de construire (CE, 24 mai 2006, « Genestar », Dr. Fisc. 2006, n° 43, comm. 688). La solution est critiquée au motif que l'on ne peut introduire de disparité au sein de la matière juridique (Fl. Deboissy, RTD Com. n° 2/1999, p. 530). Selon certains, la difficulté pourrait être évitée en revenant aux sources de l'acte anormal de gestion, c'est à dire en considérant comme « normale » la dépense qui est nécessaire, ou du moins utile, à la réalisation du bénéfice (P. Serlooten, « Liberté de gestion et droit fiscal : la réalité et le renouvellement de l'encadrement de la liberté », Dr. Fisc. 2007, n° 12, p. 6). Dès lors, on prendrait en compte une dépense, même illicite, sans la légitimer pour autant. La jurisprudence n'est pas insensible à ces critiques. Exemple Ainsi, l'entreprise ne peut pas déduire les amendes pénales, comme les provisions pour y faire face (CE, 8 juillet 1998, Dr. fisc. 1999, n° 49, comm. 1084, concl. G. Goulard), mais elle peut déduire les dommages et intérêts auxquels elle a été condamnée par une juridiction pénale (CE, 07 janvier 2000, Dr. Fisc. 2000, n° 11, comm. 204). Par ailleurs, le caractère illicite d'une charge est pris en compte par le juge fiscal lorsqu'il s'agit d'une renonciation à recette. Exemple Selon le Conseil d'Etat en effet, un contribuable peut, sans commettre d'acte anormal de gestion, renoncer à une clause d'indexation favorable mais illicite (CE, 13 février 2015, n° 360339, RJF 05/2015, n° 385). 11 UNJF - Tous droits réservés En savoir plus : Le problème des avantages versés à des intermédiaires étrangers en vue de la signature de contrats avec des autorités publiques : D'une façon générale, le conseil d'Etat estime que les commissions ne sont pas des actes anormaux de gestion et sont donc déductibles, sous réserve d'apporter la preuve de leur versement. Depuis l'entrée en vigueur de la convention OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers du 17 décembre 1997, soit le 29 septembre 2000, les sommes versées à des intermédiaires en vue d'obtenir ou de conserver un marché international ne sont plus déductibles (LF Rec. 1997, CGI, art. 39-2 bis). La circonstance que les sommes versées pour le compte du contribuable auraient été détournées de leur objet à son insu et qu'il ne pourrait, ainsi, pas être regardé comme ayant eu, par lui-même, une intention de corruption, est sans incidence (CE, 4 février 2015, n° 364708, « Sté Alcatel Lucent », Dr. Fisc. 2015, n° 7-8, act. 98). On peut légitimement penser que sont aussi concernées les commissions versées à des agents publics français, sans quoi la mesure serait discriminatoire. Doctrine : J.-P. Le Gall, « Le régime des commissions versées par les entreprises françaises pour l'obtention des marchés à l'exportation », JCP éd. E 1984, II, 14342. Il importe peu que la dépense soit conforme à l'objet social ; une société mettant gratuitement à disposition de son associé unique des appartements, conformément à son objet social, commet un acte anormal de gestion. Exemple CE, 22 juillet 2022, n° 444942, « Sté Phoenix Union Co », Dr. Fisc. 2022, n° 37, act. 338, obs. O. Fouquet ; Dr. Fisc. 2022, n° 40, comm. 353, concl. E. Bokdam-Tognetti, note E. Joannard-Lardant : hypothèse d'une société non commerciale de droit suisse, mais qui a été sassimilée à une société par actions française soumise à l'IS en France. En revanche, la jurisprudence exige clairement un élément intentionnel : l'entreprise doit savoir qu'elle agit contre son intérêt. Lorsqu'il s'agit de libéralité toutefois, l'absence d'intérêt propre comme la conscience d'agir contre son intérêt sont présumés, mais la jurisprudence admet que la preuve contraire puisse être apportée. Exemple Une affaire récente jugée par le Conseil d'Etat en formation plénière concernant la vente d'un actif à prix minoré constitue une parfaite synthèse de ces principes (CE plén., 21 décembre 2018, n° 402006, « Sté Croë Suisse », Dr. Fisc. 2019, n° 4, act. 6 ; Dr. Fisc. 2019, n° 7, act. 45, note Th. Pons ; Dr. Fisc. 2019, n° 9, comm. 176, concl. A. Bretonneau, note Fl. Deboissy et G. Wicker). Le Conseil d'Etat rappelle en premier lieu que « Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt » (sur cette définition, V. Fl. Tap, « La définition de l'acte anormal de gestion par le juge fiscal est-elle constitutionnelle ? », Dr. Fisc. 2021, n° 9, étude 154). Il juge ensuite que l'administration fiscale « doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie ». Dans une autre affaire, « Sté Alone et Co », il s'agissait d'une promesse de vente d'actions par une société mère au cadre dirigeant d'une de ses filiales. Pour écarter la qualification d'acte anormal de gestion, le Conseil d'Etat relève, notamment, que la société pouvait trouver un intérêt à inciter la performance du directeur commercial d'une de ses filiales, même s'il n'était pas salarié de la société mère (CE, 11 mars 2022, n° 453016, « Sté Alone et Co », Dr. Fisc. 2022, n° 11, act. 99). Autrement dit, le contribuable peut échapper à la qualification d'acte anormal de gestion, soit s'il rapporte l'existence d'une contrepartie , soit l'obligation qu'il a eu d'agir ainsi(absence d'élément intentionnel). 12 UNJF - Tous droits réservés Remarque Lorsqu'il s'agit de cession de stocks à prix minoré, le Conseil d'Etat a jugé que l'administration doit rapporter la preuve, d'une part que l'opération n'a pas été réalisée dans l'intérêt de l'entreprise, et d'autre part que l'entreprise a agit intentionnellement (CE, 4 juin 2019, n° 418357, « Sté d'investissement maritimes et fonciers »). Idem lorsqu'il s'est agit d'un loyer que l'administration estimait avoir été minoré ; il lui revient d'établir le caractère anormalement bas du loyer (CE, 8 mars 2021, n° 433019, « Sté la Maisonnette », RJF 05/22, n° 451, concl. C. Guibé, C 451). En savoir plus : Les détournements de fonds : une jurisprudence particulière. Il est en principe jugé que les détournements de fonds réalisés par des dirigeants - ou les provisions pour y faire face - ne sont pas déductibles des résultats imposables de la société pourtant victime (CE, 21 février 2005, « Sté Jurisfisca », RJF 5/05, n° 430), sauf si l'auteur du détournement n'est qu'un simple salarié de l'entreprise (CE, 14 février 2001, « SA Manufacture d'Appareillage Electrique de Cahors », Dr. Fisc. 2001, n° 36, comm. 748) mais à condition dans ce cas que les dirigeants n'aient pas été au courant des détournements ou du moins qu'ils n'aient pas été favorisés par un défaut de contrôle interne (5 octobre 2007, « Sté Alcatel CIT », Dr. Fisc. 2008, n° 6, comm. 165, note A. de Bissy - Preuve non rapportée en l'espèce). L'administration fiscale a fait sienne cette jurisprudence ; elle considère que si les vols et les détournements subis par l'entreprise constituent une charge déductible (BOI-BIC-CHG-60-20-10, 24 février 2021, §60), tel n'est pas le cas : des détournements commis par un dirigeant, un mandataire social, un associé d'une société ; de la perte résultant de détournements commis par les salariés de la société, qui ont pour origine, directe ou indirecte, le comportement délibéré des dirigeants, mandataires sociaux ou associés ou leur carence manifeste dans l'organisation de la société et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, contraires à l'intérêt de la société (BOI-BIC-CHG-60-20-10, 24 février 2021, §60). Le risque excessif : un critère alternatif de l'acte anormal de gestion. Depuis longtemps la jurisprudence considère que l'anormalité d'une décision de gestion peut résulter du risque excessif pris par un chef d'entreprise. Exemple CE, 14 février 1979, n° 10812, Dr. Fisc. 1979, n° 21, comm. 1069 – Architecte se portant caution de son principal client ; CE, 28 septembre 1983, n° 34626, Dr. Fisc. 1984, n° 4, comm. 75 – Intermédiaire financier se substituant aux emprunteurs défaillants. ère Mais c'est plus tard que le Conseil d'Etat s'est pour la 1 fois fondé sur ce critère pour refuser la déduction d'une charge reposant sur un risque manifestement exagéré de l'entrepreneur. Exemple CE, 17 octobre 1990, n° 83310, « Loiseau », Dr. Fisc. 1991, n° 48, comm. 2281, concl. O. Fouquet ; RJF 11/1990, n° 1317, chron. J. Turot, L'entrepreneur, le risque et le fisc. La notion d'acte qui sans être étranger à l'intérêt de l'entreprise, lui fait courir un risque excessif, p. 735 – Garanties qu'offrait un « remisier » en bourse « excédant manifestement les risques qu'un chef d'entreprise peut être amené à prendre pour améliorer les résultats de son exploitation ». En pratique, c'est dans le domaine des provisions que la notion de risque prend un relief particulier ; si le risque est excessif, l'entrepreneur ne peut déduire une provision pour risque (CE 17 octobre 1991 « Loiseau » préc.). Plus récemment, le Conseil d'Etat a jugé que la provision constituée pour faire face à la probabilité de pertes à l'occasion de placements financiers peut être déduite s'il est établit que ces derniers, n'excédant pas manifestement les risques qu'un chef d'entreprise peut prendre pour améliorer les résultats de la société, constituent un choix de gestion normale de trésorerie dont l'administration fiscale ne saurait discuter l'opportunité (CE, 27/04/2011, « Sté Legeps », Dr. Fisc. 2011, n° 25, comm. 399, concl. L. Olléon, note O. Fouquet). Le Conseil d'Etat s'est appuyé sur le même argumentaire pour juger qu'il convient de s'interroger sur le risque excessif pris par une société mère qui a consenti des avances en compte courant à une filiale 13 UNJF - Tous droits réservés dont les résultats avaient continuer de se détériorer en dépit des premières avances (CE, 16 novembre 2011, n° 326913, « Sté Fralsen Holding », Dr. Fisc. 2012, n° 5, chron. 122, obs. Cl. Accard, n° 9). Doctrine : Y. Rutschmann, J. Cayral, « Le risque manifestement excessif : immixtion rampante dans la gestion d'une entreprise ou simple garde-fou ? », Dr. Fisc. 2012, n° 45, comm. 500. Remarque Abandon de la théorie du risque excessif en 2016 ! Le Conseil d'Etat a abandonné sa jurisprudence en jugeant que « C'est au regard du seul intérêt propre de l'entreprise que l'administration doit apprécier si les opérations litigieuses correspondent à des actes relevant d'une gestion commerciale normale. Indépendamment du cas de détournements de fonds rendus possibles par le comportement délibéré ou la carence manifeste des dirigeants, il n'appartient pas à l'administration, dans ce cadre, de se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par l'entreprise et notamment pas sur l'ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats » (CE, 13 juillet 2016, n° 375801, « Monte Paschi Banque », Dr. Fisc. 2016, n° 36, act. 489, obs. Ph. Durand et M. Seraille ; comm. 464, note O. Fouquet). Par contre , ainsi que l'indique le Conseil d'Etat lui-même, cette décision ne remet pas en cause la jurisprudence relative aux détournements de fonds que la doctrine avait souvent rapproché de la théorie du risque excessif au cas de carence manifeste des dirigeants dans la gestion de l'entreprise (CAA de Marseille, 23 février 2017, n° 15MA03323 - Vol de billets de banque par un tiers rendu possible par la carence des dirigeants ; refus de transmission d'une QPC formée par la société), mais le critère de la carence manifeste ne s'applique pas lorsque l'entreprise, ayant agit dans le cadre de son objet social, a été victime d'une escroquerie (CAA de Versailles, 7 février 2017, n° 15VE03890 - Commande de marchandises jamais livrées ; la Cour admet la déduction de la perte subie par l'entreprise victime de l'escroquerie « alors même que ses dirigeants, par leur carence manifeste, ont exposé leur entreprise à un risque élevé de perte »). Doctrine : A.-Ch. Bezzina, « Acte anormal de gestion : de quelques considérations sur l'abandon du critère du "risque excessif" - Réflexions à propos de l'arrêt CE, sect. 13 juillet 2016, n° 375801, SA Monte Paschi Banque » (Dr. Fisc. 2016, n° 47, étude 598). La charge de la preuve incombe à l'administration fiscale. Plus précisément, si le contribuable doit justifier les écritures de charges dans leur nature et dans leur montant (cas des frais généraux), il appartient ensuite à l'administration de démontrer que celles-ci n'ont pas été exposées dans l'intérêt de l'entreprise (CE, plén. 27 juillet 1984, « SA Renfort service », Dr. Fisc. 1985, n° 11, comm. 596). Et ce n'est que si l'administration apporte des éléments objectifs permettant de remettre en cause le principe même de la déductibilité des charges litigieuses ou à établir leur insuffisante contrepartie que l'entreprise devra à son tour justifier de l'intérêt que représente pour elle la dépense (CE, 15 décembre 2010, n° 320693, Dr. Fisc. 2011, n° 13, comm. 259, obs. P. Fumenier). C'est à la date de l'acte que s'apprécie un acte anormal de gestion, sans tenir compte des événements postérieurs (V. CE, 3 mai 2023, n° 434441, « BNP Paribas », Dr. Fisc. 2023, n° 35, comm. 269, concl. M.-G. Merloz, note F. Deboissy – Dans l'hypothèse d'un taux d'intérêt jugé insuffisant par l'Administration, le Conseil d'Etat juge que « en prévoyant, compte tenu des hypothèses fiscales qu'elle avait retenues, les taux d'intérêt [...], la société [...] ne peut être regardée comme ayant décidé, à la date de la signature des actes en cause, de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt ». Certains actes sont présumés étrangers à une gestion commerciale normale et c'est au contribuable de démontrer qu'ils sont justifiés. C'est le cas des abandons de créances, des prêts sans intérêt ou lorsque l'entreprise renonce à être rémunérée (CE, 26 février 2003, « Sté Pierre de Reynal et Cie », RJF 5/03, n° 607, concl. G. Goulard, p. 403 ; CE, 26 septembre 2011, n° 328762, « SARL Holding financière Séguy », RJF 12/11, n° 1275, chron. C. Raquin, p. 1147 - Renonciation à des redevances de licence), mais une entreprise peut facturer des frais administratifs à ses clients à des taux variables sans que cela soit regardé comme une renonciation anormale à recettes ; c'est à l'administration de prouver qu'une telle pratique relève d'une gestion anormale (CE, 20 mai 2015, n° 369373, « sté Universal aviation France », RJF 8-9/2015, n° 681). 14 UNJF - Tous droits réservés La sanction de l'acte anormal de gestion se situe à un double niveau : Au niveau de l'entreprise tout d'abord : la dépense non déductible devra être réintégrée dans le résultat imposable et le profit non perçu devra y être rattaché. Il s'ensuit un rehaussement du bénéfice et un rappel des droits « anormalement » éludés ; Au niveau du bénéficiaire ensuite : il sera imposé sur l'avantage qu'il a reçu de l'entreprise. En savoir plus : Comment est imposé l'avantage ? Si l'auteur de l'avantage relève de l'impôt sur le revenu, le bénéficiaire sera imposé : au titre des BNC si c'est un particulier, ou au titre des BIC si c'est un commerçant. S'il s'agit d'une société soumise à l'IS, le bénéficiaire sera imposé au titre des revenus de capitaux mobiliers, mais sans les avantages propres aux dividendes. C'est ce que l'on appelle une distribution camouflée de bénéfices (v. la leçon 4 relative à l'IS et aux distributions de bénéfices). En outre, ce revenu devra être majorée de 25 % si le bénéficiaire est un particulier ou un entrepreneur qui n'a pas adhéré à un Centre de gestion agréé (CGA). B - L'abus de droit D'emblée, il convient de souligner deux différences marquantes avec la théorie de l'acte anormal de gestion : L'abus de droit concerne tous les impôts : impôts sur le revenu, taxes sur le chiffre d'affaires (TVA), droits d'enregistrement, Impôt sur la fortune immobilière (IFI), et impôts locaux... Il figure explicitement dans un texte : l'article L. 64 du Livre des Procédures Fiscales (LPF). Au départ, l'article L. 64 du LPF ne visait que « les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention ». Autrement dit, seules les situations de « simulation » étaient visées par la loi, mais le Conseil d'Etat (CE, 10 juin 1981, n° 19079, RJF 09/1981, n° 787), puis la Cour de Cassation (Cass. Com., 19 avril 1988, Dr. fisc. 1988, n° 32-33, comm. 1788), avaient l'un et l'autre estimé que l'abus de droit pouvait aussi prendre la forme d'une « fraude à la loi », c'est à dire un contournement habile de la loi fiscale par le biais d'un montage juridique. Ainsi, l'abus de droit peut être caractérisé dans les deux situations suivantes : 1/ Au cas de « simulation », lorsque l'acte présenté à l'administration ne correspond pas à la réalité. Exemple Cas des donation déguisée sous forme de vente, afin de faire bénéficier l'acquéreur de droits de mutation plus réduits (v. P. Camelo Cassan, « Le leurre et l'argent du leurre : vente, apport et donation déguisée », Dr. Fisc. 2017, n° 29, étude 401). Cas des actes fictifs destinés à tromper l'administration (CE, 11 octobre 1978, Dr. Fisc. 1979, n° 20, comm. 1023 - Location fictive consentie à la mère de deux enfants qui habitaient avec elle une propriété, dans le but de déduire les frais de rénovation). 2/ Au cas de « fraude à la loi », lorsque le contribuable parvient à faire échec à une disposition législative grâce à une construction juridique ayant pour seul but d'échapper à l'impôt. Exemple Cas des propriétaires d'immeubles qui, pour bénéficier de la déduction de leurs frais de rénovation, réservé aux immeubles loués, vont créer une SCI dont ils seront associés et à laquelle ils verseront un loyer. Cas des apports d'actifs à une société suivi, à quelques jours d'intervalle, de la cession à un repreneur des titres reçus en contrepartie, ceci afin d'appliquer les droits de mutation sur les titres et non sur les actifs (Cass. Com., 20 mars 2007, « SAS Distribution Casino », RJF 8-9/07, n° 993). La doctrine dans 15 UNJF - Tous droits réservés son ensemble critique cette solution qui laisse peu de place à l'habileté fiscale (B. Hatoux, « L'insécurité juridique érigée en principe ? », RJF 8-9/2007, p. 710 s.). Par contre, il n'y a pas abus de droit lorsqu'une SARL se transforme en SA peu de temps avant la cession de ses actions, soi-disant pour échapper aux droits de mutation propres aux cessions de parts de SARL, à partir du moment ou il n'est pas prouvé que la société est revenue à sa forme initiale (Cass. Com., 10 décembre 1996, « Sté RMC France », JCP éd. E, 1997, II, 923, note H. Hovasse). Presque 20 ans après l'arrêt « Sté RMC France », le Conseil d'Etat a utilisé le même argument pour juger que ne constitue pas un abus de droit la transformation d'une SA en SNC , ce qui a eu pour effet de permettre à la société mère structurellement déficitaire d'imputer sur ses déficits une quote-part des bénéfices de sa filiale devenue semi- transparente (CE, 15 février 2016, n° 374071, « SNC Distribution Leader Price », Dr. Fisc. 2016, n° 11, act. 149, obs. Fl. Deboissy). Remarque Enseignement : il faut toujours se ménager une cause extra-fiscale ! Dans un deuxième temps, le Conseil d'Etat a considéré que l'administration pouvait invoquer la théorie de la fraude à la loi en dehors du cadre de l'article L. 64 (CE, 27 septembre 2006, « Janfin », Dr. Fisc. 2006, n° 47, comm. 744, concl. L. Olléon), dès lors que le montage en cause n'entre pas dans les prévisions de cette disposition particulière (en l'espèce : l'utilisation d'un avoir fiscal perçu à l'occasion d'un achat d'actions « coupons attachés » par une société pour payer son IS est un problème de paiement de l'impôt et non un problème d'assiette qui seul entre dans le champ de l'article L. 64). Il a aussi estimé possible l'utilisation de la fraude à la loi pour refuser le bénéfice d'une convention fiscale internationale dans un cas de « Treaty shopping » (CE, 29 décembre 2006, « Sté Bank of Scotland », RJF 03/07, n° 322). Très clairement, le Conseil d'Etat a jugé que l'article L64 peut être utilisé au cas d'application d'une convention fiscale contrairement à ses objectifs (CE plén., 25 octobre 2017, n° 396954, « Cts Verdannet », Dr. fisc. 2017, n° 45, act. 600 ; Chr. De La Mardière, « Abus de droit : vers une plus grande répression ? Comment analyser l'état du droit depuis l'arrêt Verdannet ? », Dr. Fisc. 2018, n° 24, étude 297). Egalement, en 2017, il a été inséré à l'article 28 de la convention modèle OCDE « la règle du critère des objets principaux » (ou « clause PPT ») qui est issue de l'action 6 du "plan BEPS" de l'OCDE relatif à la lutte contre l'évasion fiscale internationale (v. N. Vergnet et M. Brown, « Abus de conventions fiscale : une tentative d'exégèse de la "clause PPT" », Dr. Fisc. 2018, n° 26, act. 313). Pour finir, le législateur a réécrit l'article L. 64 du LPF, de telle sorte que le texte concerne aussi bien la simulation que la fraude à la loi (LF rec. 2008). Selon ce texte désormais :« Afin, d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ». Il en découle deux enseignements majeurs : Il n'est plus possible d'invoquer la fraude à la loi hors le cadre de l'article L. 64 (c'est à dire en pratique, sans que les contribuables aient eu la possibilité de saisir le comité de l'abus de droit fiscal). L'article L. 64 met en œuvre un double critère cumulatif de la fraude à la loi : il faut non seulement que le montage soit motivé par un but exclusivement fiscal (critère « subjectif ») mais encore qu'il aille à l'encontre des objectifs poursuivis par l'auteur du dispositif fiscal (critère « objectif ») (CE, 7 septembre 2009, n° 305596, « Sté H. Goldfarb » et CE, 7 septembre 2009, n° 305586, « sté Axa », Les nouvelles fiscales, n° 1030, 15 sept. 2009, p.18, note P. Sicsic et L. Faulcon). Remarque Article L. 80 A versus article L. 64. Si le texte consacre la définition jurisprudentielle de l'abus de droit, il vise le contournement des « textes » mais également des « décisions ». En d'autres termes, il permettrait à l'administration d'invoquer l'abus de droit contre un contribuable qui n'a fait qu'appliquer la doctrine administrative et remettrait en cause le principe de l'opposition à l'administration de sa propre doctrine figurant à l'article L.80 du LPF (O. Fouquet, « 16 UNJF - Tous droits réservés L'application littérale de la doctrine administrative peut-elle être constitutive d'un abus de droit ? », Dr. Fisc. 2009, n° 42, Act. 316). Dans un avis rendu en 1998, le Conseil d'Etat avait fait prévaloir l'article L.80 A du LPF et affirmé le principe selon lequel une doctrine, même illégale, doit être opposable à l'administration fiscale (CE, avis, 8 avril 1998, « Sté distribution de chaleur de Meudon et Orléans (SDMO) », Dr. Fisc. 1998, n° 18, comm. 398, concl. G. Goulard). Mais en 2018, la Cour de Paris avait admis la possibilité pour l'Administration d'agir sur le terrain de l'abus de droit (CAA de Paris, 20 décembre 2018, n° 17PA00747, Dr. Fisc. 2019, n° 11, comm. 206, concl. O. Lemaire, note O. Fouquet). Cette dernière position a suscité une forte inquiétude chez les conseil fiscaux atttachés à la sécurité juridique (v. N. Chaïd-Nouraï et L. Olléon, « Abus de droit et garantie contre les changements de doctrine : une réponse ou des questions ? », Dr. Fisc. 2019, n° 5, act. 17). En 2020, le Conseil d'Etat valide la décision de la Cour de Paris et juge que : « La cour a pu, sans commettre d'erreur de qualification juridique, déduire de ces constatations, non arguées de dénaturation, que ce montage, dénué de toute substance et élaboré sans autre finalité que d'éluder le paiement de l'impôt sur la plus-value réalisée lors de la vente des titres [...], présentait un caractère artificiel » (CE, 28 octobre 2020, n° 428048, « Charbit », Dr. Fisc. 2020, n° 47, comm. 444, concl. M.-G. Merloz, note Fl. Deboissy). Précisément, si l'arrêt refute "l'abus de doctrine", il admet que l'Administration peut mettre en œuvre la procédure d'abus de droit, et donc tenir en échec la garantie tirée de l'article L. 80 A du LPF, lorsqu'elle démontre que la situation ayant permis au contribuable d'entrer dans les prévisions de la loi, dans l'interprétation qu'en donne la doctrine administrative, procède d'un montage artificiel dénué de substance (Fl. Deboissy, préc. ; Add. M. Collet, « Opposabilité de la doctrine et répression des abus de droit : quelle conciliation en cas de montage abusif ? À propos de CE, ass., 28 oct. 2020, n° 428048, Charbit », Dr. Fisc. 2020, n° 47, étude 441). Doctrine : P.-Fr. Racine, « Existe-t-il des « décisions » dont on puisse abuser ? », Dr. Fisc. 2010, n° 23, Etude 357 ; P. Fernoux, « Quelles sont les décisions dont on pourrait a abuser ? », Dr. Fisc. 2017, n° 49, act. 650) ; Fr. Locatelli et L. Langlet, « Peut-on abuser d'une tautologie ? Libre à vous de le croire », Dr. Fisc. 2020, n° 23, étude 257 ; O. Fouquet, « Les nouveaux rapports entre la garantie contre les changements de doctrine (LPF, art. L. 80 A) et l'abus de droit : jurisprudence infléchie ou complétée ? - À propos de CE, ass., 28 oct. 2020, n° 428048, Charbit », Dr. Fisc. 2020, n° 45, act. 380 ; C. de La Mardière, « Abus de droit et doctrine administrative ; une autre lecture de l'arrêt Charbit », Dr. Fisc. 2021, n° 7-8, étude 148. Les pouvoirs publics avaient souhaité modifier l'article L. 64 du LPF afin de rendre possible son application lorsque le montage est à but principalement fiscal, mais la mesure a été jugée inconstitutionnelle (Cons. Const., 29 décembre 2013, n° 2013-685, DC). Par la suite, le législateur a habilement contourné l'article L. 64 du LPF par l'institution de "clauses anti-abus" ou d'une procédure spécifique de "mini-abus de droit", qui permettent à l'Administration de combattre des montages en démontant le but principalement fiscal (mais sans que la pénalité de 80 % ne soit applicable). En savoir plus : Les clauses anti-abus Ex : Clause anti-abus dans le régime des sociétés mères (LFR 2015, 29 décembre 2015 ; CGI, art. 119 ter, 3) – Tel est le cas des produits des titres de participation « distribués dans le cadre d'un montage ou d'une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir à titre d'objectif principal ou au titre d'un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité du régime, n'est pas authentique, compte tenu de l'ensemble des faits et circonstances pertinents » (v. Cours de fiscalité des entreprises 2, Leçon 2). Ex : Clause anti-abus en matière d'ISF/IFI (LF 2017, 29 décembre 2016 ; CGI, art. 979, I, al.2), afin de combattre un montage qui consiste pour les redevables de l'ISF à loger leurs dividendes dans une société holding patrimoniale interposée (dénommée par les praticiens "cash box") afin de réduire l'assiette du plafonnement de l'ISF (rappelons en effet que le total de l'IFI et de l'IR ne doit pas excéder 75 % des revenus de l'année précédente, CGI art. 979, I, al.1). Selon l'article 979, I, al.2 du CGI : « Les revenus distribués à une société passible de l'impôt sur les sociétés contrôlée par le redevable sont réintégrés dans le calcul prévu au premier alinéa du présent I, si l'existence de cette société et le choix d'y recourir ont pour objet principal d'éluder tout ou partie de l'impôt de solidarité sur la fortune, en bénéficiant d'un avantage fiscal allant à 17 UNJF - Tous droits réservés l'encontre de l'objet ou de la finalité du même premier alinéa. Seule est réintégrée la part des revenus distribués correspondant à une diminution artificielle des revenus pris en compte pour le calcul prévu audit premier alinéa ». Ex : Clause anti-abus générale en matière d'IS - La directive n° 2016/1164 du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur (JOUE 19 juill. 2016) prévoit en son article 6 une clause anti-abus générale qui est reprise telle quelle par le projet de loi de finances pour 2019 (v. S. Lauratet et Ch. Delsol, « Transposition de la nouvelle clause anti-abus générale en droit fiscal français : s'agit-il d'une révolution législative et quelles seront les évolutions jurisprudentielles ? », Dr. Fisc. 2018, n° 47, étude 472). Il est proposé de créer un article 205 A dans le CGI qui serait ainsi formulé : « Pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés, il n'est pas tenu compte d'un montage ou d'une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d'objectif principal ou au titre d'un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité du droit fiscal applicable, ne sont pas authentiques compte tenu de l'ensemble des faits et circonstances pertinents. Un montage peut comprendre plusieurs étapes ou parties. Aux fins du présent article, un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n'est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique ». Sur les inquiétudes de la doctrine devant ce phénomène : J. Turot, « La liberté de gestion des entreprises entre enfer et paradis (et plus près de l'enfer) », Dr. Fisc. 2017, n° 27, étude 378 En savoir plus : Le mini abus de droit Le législateur a institué une nouvelle procédure d'abus de droit ("mini-abus de droit") pour les cas de fraude à la loi à but principalement fiscal, mais qui n'est pas sanctionné par la pénalité de l'article 1729, b du CGI (L. n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, de finances pour 2019 ; LPF, art. L. 64 A nouv.). Selon ce texte : « Afin d'en restituer le véritable caractère et sous réserve de l'application de l'article 205 du CGI, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ». L'application dans le temps de cette nouvelle procédure est strictement encadrée : elle ne s'applique qu'aux er rectifications notifiés à compter du 1 janvier 2021, et seulement lorsqu'elles portent sur des actes passés er ou réalisés à compter du 1 janvier 2020. Trois différences majeures avec la procédure d'abus de droit classique peuvent être relevées : 1. seul l'abus de droit par fraude à la loi est visé (pas l'abus de droit par simulation) ; 2. le montage est à but principalement fiscal (et non pas à but exclusivement fiscal) ; 3. il n'y a pas de pénalité spécifique (la pénalité de 80 % ou 40 % propre à la procédure d'abus de droit ne s'applique pas), mais l'Administration peut appliquer les pénalités de l'article 1729 a et c du CGI (ie : 40 % au cas de manquement délibéré et 80 % au cas de manoeuvres frauduleuses) si les conditions sont remplies (dans son commentaire, l'administration fiscale souligne bien que l'application de ces pénalités n'est pas automatique ; BOI-CF-IOR-30-20, 31 janvier 2020, n° 130). Par contre, la procédure de mini-abus de droit bénéficie des même garanties procédurales : 1. les litiges résultant de sa mise en oeuvre peuvent être soumis au Comité de l'abus de droit fiscal, à la demande de l'Administration ou des contribuables ; 2. la nouvelle procédure de l'article L. 64 A du CGI ne peut être mise en oeuvre dans le cas d'un rescrit du contribuable resté sans réponse pendant 6 mois. 18 UNJF - Tous droits réservés Remarque Une autre procédure de "mini-abus de droit" a été instituée par la loi de finances pour 2019 - en matière d'IS seulement - sous la forme d'une clause anti-abus générale (v. leçon 8, section 2). De ce fait, selon l'administration, la procédure de "mini-abus de droit" concerne tous les impôts, à l'exception de l'impôt sur les sociétés (BOI-CF-IOR-30-20, 31 janvier 2020, n° 20 ; BOI-IS-BASE-70, 3 juillet 2019, n° 90). Doctrine : O. Fouquet, « Les deux nouvelles procédures de "mini-abus de droit" instituées par le projet de loi de finances pour 2019 sont-elles constitutionnelles ? », Dr. Fisc. 2018, n° 49, act. 519 ; Y. Rutshmann et P.-M. Roch, « Transposition de la clause anti-abus générale en matière d'IS (CGI art. 205 A) et nouvelle procédure d'abus de droit (LPF, art. L. 64 A) : les paradoxes de la réforme », Dr. Fisc. 2019, n° 3, étude 116 ; P. Fernoux, « Revisitons le passé à l'aune du but principalement fiscal", Dr. Fisc. 2019, n° 22, étude 279 ; L. Olléon, "Mini- abus de droit : la Campagne des Cent Fleurs ? », Dr. Fisc. 2019, n° 30-35, 25 Juillet 2019, étude 344. Répondant aux inquiétudes des praticiens devant les risques de rectification pour des montages habituels en gestion de patrimoine, le Ministre de l'Action et des comptes publics précise ainsi que l'article L.64 A du LPF n'est pas de nature à entraîner la remise en cause des transmissions anticipées de patrimoine et notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l'usufruit du bien transmis, sous réserve que les transmissions ne soient pas fictives (Rép. min. n° 9965 : JO Sénat 13 juin 2019, p. 3070, C. Procaccia). Selon lui, l'intention du législateur n'est pas de restreindre le recours aux démembrements de propriété dans les opérations de transmissions anticipées de patrimoine qui, depuis de nombreuses années, encouragées par d'autres dispositions fiscales. À cet égard, il peut être constaté notamment que n'ont pas été modifiés : l'article 669 du CGI qui fixe le barème des valeurs de l'usufruit et de la nue-propriété d'un bien, et l'article 1133 du CGI également qui exonère de droits la réunion de l'usufruit à la nue-propriété. L'Administration appliquera de manière mesurée cette nouvelle faculté conférée par le législateur, sans chercher à déstabiliser les stratégies patrimoniales des contribuables. Notamment, l'administration a voulu rassurer les praticiens quant à la pratique des donations d'usufruit temporaire, à un enfant majeur ou a une association (BOI-CF- IOR-30-20, n° 120). La charge de la preuve repose sur les épaules de l'administration fiscale : Elle doit rapporter le but exclusivement fiscal de l'opération (fraude à la loi). Dans un arrêt de 2005 (CE, 18 mai 2005, « Sté Sagal », Dr. Fisc. 2005, n° 44-45, comm. 726), le Conseil d'Etat fait référence aux « montages purement artificiels dont le seul objet est de contourner la législation fiscale française ». Dès lors, il apparaît que le « but exclusivement fiscal » n'est plus qu'une conséquence du montage ; il suffit de prouver le caractère artificiel du montage et l'avantage fiscal qui en découle, sans qu'il soit absolument nécessaire de prouver l'objectif exclusivement fiscal (v. O. Fouquet, « Interprétation française et interprétation européenne de l'abus de droit », RJF 5/06, p. 383). Cette orientation de la jurisprudence est conforme à la position de la CJCE dans sa jurisprudence relative à l'abus de droit pouvant justifier une restriction à la liberté d'établissement. Selon la CJCE en effet, le but « essentiellement fiscal » peut résulter de la simple démonstration du caractère artificiel du montage (CJCE, 21 février 2006, « Halifax », RJF 05/06, n° 648 ; Y Sérandour, « L'abus de droit selon la CJCE, A propos de l'arrêt Halifax », Dr. Fisc. 2006, n° 16, p. 847). En revanche, lorsque la société n'est pas fictive, il revient à l'administration fiscale de démontrer la fraude à la loi. Exemple CE, 15 avril 2011, n° 322610, « Sté Alcatel CIT », Dr. Fisc. 2011, n° 24, concl. P. Collin, note P. Dibout – N'est pas fictive la société de droit belge de « coordination » qui prête de l'argent aux filiales du groupe grâce aux apports de ses associés, qui est exonéré d'IS sur ses intérêts, et qui verse des dividendes exonérés d'IS français. Le fait que l'opération aurait pu être menée avec une société française est insuffisant pour rapporter le but uniquement fiscal du montage. Egalement, en l'absence d'un tel montage artificiel les deux conditions de l'abus de droit doivent être réunies : 19 UNJF - Tous droits réservés Exemple détournement de la norme et recherche d'un but exclusivement fiscal (CE, 8 février 2019, n° 407641, Dr. Fisc. 2019, n° 21, comm. 72, concl. M.-G. Merloz, note P.-Y. Di Malta – Création d'une SCI en vue de la location à soi-même d'un immeuble ; Add. C. de La Mardière, « Affres et misères de la jurisprudence Verdannet », Dr. Fisc. 2019, n° 29, étude 330). Elle doit également rapporter la preuve de la contrariété aux objectifs du législateur. Exemple Lorsqu'il s'agit d'un abus portant sur l'utilisation d'un crédit d'impôt accordé à un actionnaire, le Conseil d'Etat s'attache à vérifier que le contribuable a bien conservé le risque d'actionnaire (CE, 12 mars 2010, « Sté Charcuterie du Pacifique », Dr. Fisc. 2010, n° 19, comm. 307, obs. Fl. Deboissy). Le caractère abusif du montage pour l'application d'un autre dispositif fiscal (ex : régime des sociétés mères), ne rend pas l'utilisation d'un crédit d'impôt abusif (ex : avoir fiscal) à partir du moment ou le contribuable a bien conservé le risque d'actionnaire (CE, 11 mai 2015, n° 365564, « Sté Natixis », Dr. Fisc. 2015, n° 31-35, comm. 526, concl. E. Bokdam-Tognetti, note N. De Boynes). C'est encore en se fondant principalement sur les objectifs du législateur que le Conseil d'Etat a jugé que ne constitue pas un abus de droit la transformation d'une SA en SNC afin de faire profiter la mère de la semi-transparence de sa filiale (CE, 15 février 2016, n° 374071, préc. - Application de l'article 8 du CGI issu d'une loi de 1923). En revanche, s'il est relevé un montage artificiel, la fraude à la loi est présumée, sans besoin d'établir la méconnaissance de l'esprit de la norme abusée (CE plén., 25 octobre 2017, n° 396954, « Cts Verdannet », préc. ; CE, 12 février 2020, n° 421444, « Wendel », Dr. Fisc. 2020, n° 10, comm. 180, concl. A. Iljic, note R. Vabres ; Dr. Fisc. 2020, n° 19, comm. 235, obs A. Périn-Dureau ; interposition d'une société pour sursoir à l'imposition d'un gain de management package). L'administration fiscale ne peut exiger du contribuable qu'il démontre que le montage qu'il a mit en place était le seul possible pour atteindre l'objectif économique poursuivi (CE, 19 juin 2020, n ° 418452, Dr. Fisc. 2020, n° 46, comm. 438, concl. A. Iljic, comm. Fl. Deboissy). En effet, exiger de la part du contribuable une telle démonstration, aurait eu pour conséquence de méconnaître la charge de la preuve et conduirait à supprimer toute liberté de gestion). Procédure de l'abus de droit. L'administration qui estime être en présence d'un cas d'abus de droit doit suivre une procédure particulière ; elle doit adresser au contribuable une proposition de rectification qui doit être visée par un inspecteur divisionnaire. Au cas de désaccord, l'administration ou le contribuable peuvent saisir le Comité de l'abus de droit fiscal (CADF). Ce dernier a succèdé en 2009 au Comité consultatif pour la répression des abus de droit (CCRAD). Il est composé d'un conseiller d'Etat président, d'un conseiller maître à la Cour des Comptes, d'un conseiller à la Cour de Cassation, d'un professeur de droit ou de science économique, d'un notaire, d'un expert comptable et d'un avocat fiscaliste. er Le Comité de l'abus de droit fiscal ne rend qu'un avis, mais jusqu'au 1 janvier 2019, l'avis avait une incidence sur la charge de la preuve ; l'administration fiscale supportait la charge de la preuve de l'abus de droit si l'avis lui était défavorable ou si le Comité n'était pas saisi. er Depuis les rectifications notifiées à compter du 1 janvier 2019, l'avis est sans incidence sur la charge de la preuve de l'abus de droit ; elle incombe à l'administration si le contribuable forme une réclamation contentieuse, quel que soit l'avis du Comité (LF 2019, art. 202). Par exception, le contribuable supporte la charge de la preuve dans les deux cas : 1/ lorsque sa comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établi conformément à l'avis du Comité de l'abus de droit fiscal (ou de la commision des impôts) , 2/ lorsqu'il n'a pas présenté de comptabilité ou de pièces en tenant lieu (LPF, art. 192), sachant que, selon le Conseil d'Etat, l'administration doit être regardée comme ayant établi l'imposition conformément à l'avis exprès du comité (ou de la commission), alors même qu'elle s'écarte de l'avis si c'est dans un sens favorable au contribuable (CE, 12 juillet 2023, n° 463709, « Sté New Asia », Dr. Fisc. 2023, n° 40, comm. 303, concl. É. Bokdam-Tognetti). Remarque Selon le Conseil d'Etat : 20 UNJF - Tous droits réservés la procédure d'abus de droit visée à l'article L. 64 du LPF ne peut pas être mise en œuvre par l'administration fiscale en dehors des procédures de rectification, et notamment pas pour fonder le rejet d'une réclamation (V. CE, 4 février 2022, n° 455278, « Sté Hays France », Dr. fisc. 2022, n° 13, comm. 174, concl. M.-G. Merloz, note H. Turot). La question se pose aujourd'hui de savoir si cette jurisprudence doit être étendue au « mini-abus de droit » visé à l'article L. 64 A du LPF. La doctrine se demande aujourd'hui s'il est-il possible pour l'administration fiscale, en dehors de toute procédure de rectification, de rejeter une réclamation en se fondant sur l'article L. 64 A du LPF ? (Pour une réponse négative à cette question, V. St. Austry et E. Faravel-Xerri, Dr. Fisc. 2023, n° 26, étude 228). l'Administration ne peut pas, devant le juge, substituer un nouvel abus de droit à celui qui a été exposé au contribuable dans la proposition de rectification, si les deux abus diffèrent quant à la norme dont il a été abusé, ou quant aux actes écartés (CE, 18 sept. 2023, n° 466868, « SARL Lupa Immobilière France », et n° 466871, « SARL Lupa Patrimoine France », Dr. Fisc. 2023, n° 45, comm. 333, concl. R. Victor ; Add. E. de Tournemire, A. de Vibraye, B. Turot, « Abus de droit, mais de quel droit ? Ou l'Administration peut-elle changer d'abus en cours de procédure... » in Dr. Fisc. 2023, n° 45, comm. 329). Dans le cas contraire en effet, l'administration priverait le contribuable de la possibilité de contester l'application du véritable abus qui lui est reproché devant le CADF. En savoir plus : Abus de droit rampant ou simple requalification du contrat ? En pratique, la procédure de l'abus de droit est assez contraignante pour l'administration fiscale, compte tenu des multiples garanties offertes aux contribuables, aussi est-elle parfois tentée de prononcer des redressements pour abus de droit mais sans le dire officiellement ; c'est ce que l'on appelle parfois l'abus de droit « rampant » qui est sanctionné par la jurisprudence (v. CE, 21 juillet 1989, Plén., 2 arrêts, « Bendjador » et « Lalande », RJF 8-9/89, n° 998 et 999). En revanche la requalification d'un contrat n'est pas un abus de droit rampant. Le Conseil d'Etat estime que la requalification des stipulations d'un contrat n'entre pas dans le champ d'application de l'abus de droit dès lors que l'administration n'invoque pas leur caractère fictif (CE, 30 juillet 2003, n° 232004 « SARL Azur industries », Dr. Fisc. 2004, n° 11, comm 338). La Cour de cassation juge de manière identique que l'administration est tenue de se placer sur le terrain de l'abus de droit lorsque la requalification de l'acte implique de mettre en évidence l'intention de déguisement de la part du contribuable (Cass. Com., 23 juin 2015, n° 13-19.486, « Mme Gihr-Chitarrini », Dr. Fisc. 2015, n° 42, comm. 643, note Fl. Deboissy). L'abus de droit implicite a aussi été retenue dans l'hypothèse d'une vente immobilière à prix bas (Cass. Com., 4 mars 2020, n° 17-31.642, Dr. Fisc. 2020, n° 23, comm. 261, obs critique P. Fernoux, qui estime que cela relève d'avantage d'une donation indirecte -à démontrer - faute de "vil prix"). Ainsi a-t-il été jugé que l'administration aurait du se placer sur le terrain de l'abus de droit s'agissant de la concession de licence d'exploitation dissimulant la vente du fonds de commerce (Cass. Com., 9 juin 2004, n° 01-11.964, « SA Prominox », Dr. Fisc. 2004, n° 37, comm. 682, l'administration devait se placer sur le terrain de l'abus de droit). Par contre, le rachat d'une participation dans une société, pour 1F symbolique et des abandons de créances, peut être qualifié par l'administration de rachat du fonds de commerce pour un prix correspondant au montant des abandons de créances, sans qu'elle ait à se placer sur le terrain de l'abus de droit (Cass. Com., 16 décembre 2008, n° 08-11.419, « Sté Forocéan », Dr. Fisc. 2009, n° 37, comm. 464, obs. O. Debat). De la même manière, le Conseuil d'Etat estime que, en contestant l'existence même d'un contrat de prêt, l'administration ne soutient pas qu'il s'agit d'un acte fictif et ne met pas en œuvre implicitement la procédure d'abus de droit (CE, 7 février 2020, n° 419459, Dr. Fisc. 2020, n° 24, comm. 272, concl. L. Cytermann : en l'espèce, écarter des documents parce qu'ils n'établissent pas l'existence d'un prêt ne constitue pas un abus de droit rampant). Encore récemment, le Conseil d'Etat a jugé que l'administration peut ne pas tenir compte d'actes de droit privé opposables aux tiers comme à l'Adminitration en principe « dès lors que le litige n'entre pas dans le champ d'application des dispositions particulières de l'article L. 64 du LPF qui, lorsqu'elles sont applicables, font obligation à l'administration fiscale de suivre la procédure qu'elles prévoient » (CE, 4 février 2022, n° 455278, « Sté Hays France », Dr. Fisc. 2022, act. 63). Doctrine : M. Cozian, « Déguiser une cession de fonds de commerce sous le couvert d'une concession de licence d'exploitation, est-ce un abus de droit ? », (Dr. Fisc. 2004, n° 44-45, p.1594). 21 UNJF - Tous droits réservés Remarque L'abus de droit possède un caractère subsidiaire - Même si l'acte a été conclu dans l'unique but d'atténuer la charge fiscale, encore faut-il que la minoration de l'impôt soit bien réelle et non pas imaginaire (CE, 5 mars 2007, « SARL Pharmacie des Challonges », Dr. Fisc. 2007, n° 20, comm. 522, note O. Fouquet - En l'espèce, il est jugé que l'administration fiscale ne peut pas qualifier d'abus de droit l'acte d'un contribuable qui consiste à revaloriser un actif avant sa cession pour limiter la plus-value, alors que la réévaluation du bilan augmente le bénéfice imposable au taux plein). Par ailleurs, il était admis que le contribuable puisse démontrer qu'il existait d'autres possibilités juridiques pour arriver au même résutat (V. en ce sens : CAA Versailles, 17 décembre 2019, n° 17VE021164, RJF 2020, n° 468, concl. N. Chayvialle, C 468 ; Dr. Fisc. 2020, n° 23, act. 180, obs. Fl. Deboissy). Quelques années avant, le Conseil d'Etat avait déjà jugé que « Pour apprécier l'existence d'un tel motif, le juge ne doit pas se borner à comparer la charge correspondant à l'acte incriminé par l'Administration et la charge supportée par le contribuable en l'absence d'un tel acte. Il doit également tenir compte au titre de ce terme de comparaison de tout autre acte régulier susceptible d'être passé par le contribuable » (CE, 10 juillet 2007, n° 294537, « Tomasina », RJF 11/2007, n° 1297). Mais en 2023, il a au contraire jugé que la possibilité de réduire la charge fiscale par d'autres moyens que celui qui a été finalement retenu par le contribuable, n'interdit pas l'Administration fiscale de se fonder sur l'article L. 64 du LPF (CE, 12 décembre 2023, n° 470038, Dr. Fisc. 2023, n° 51-52, act. 453, obs. L. Erstein). Sanction de l'abus de droit. Si l'abus de droit est reconnu, le contribuable doit payer le complément d'impôt assorti d'une majoration de 80 % (l'abus de droit est assimilé à une fraude, CGI, art. 1729) sans compter l'intérêt de retard au taux de 0,20 % par mois. Par exception, la majoration est réduite à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire (à défaut, le juge doit appliquer spontanément la majoration de 40 % et prononcer la décharge partielle de la pénalité contestée ; CE, 19 mars 2018, n° 399862, Dr. Fisc. 2018, n° 28, comm. 334, concl. Y. Bénard). Cette modulation de la sanction permet de traiter distinctement l'initiateur ou le bénéficiaire principal des opérations abusives et les simples participants à l'opération. Mais la loi prévoit également que toutes les parties à l'acte ou à la convention sont tenues solidairement, avec le redevable s'il est différent, au paiement des pénalités

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