Développement des connaissances chez l'enfant (4-10 ans) PDF

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Université de Rouen Normandie

Jean-Pierre Thibaut, Sabine Gelaes, Françoise Cordier, Benjamin Meunier

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développement cognitif psychologie de l'enfant théories naïves concepts

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Ce document explore le développement des connaissances chez l'enfant de 4 à 10 ans en se concentrant sur le monde biologique et les objets fabriqués. Il discute des concepts, des théories naïves et des différentes étapes du développement conceptuel. Le document mentionne des travaux de recherche et s'appuie sur des auteurs comme Murphy, Medin, Keil et d'autres.

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Le développement des connaissances chez l’enfant de 4 à 10 ans Jean-Pierre THIBAUT1 Sabine GELAES2 Françoise CORDIER1 Benjamin MEUNIER1...

Le développement des connaissances chez l’enfant de 4 à 10 ans Jean-Pierre THIBAUT1 Sabine GELAES2 Françoise CORDIER1 Benjamin MEUNIER1 1 Université de Poitiers 2 Université de Liège Adresse pour correspondance : Jean-Pierre Thibaut LaCo, CNRS FRE2725 99, avenue du recteur Pineau 86000 Poitiers Concepts, connaissances et théories naïves Lorsque nous interrogeons la structure de nos connaissances sur le monde, une intuition raisonnable nous suggère qu’elles ne se limitent pas à des énoncés élémentaires isolés. Au contraire, nous les envisageons comme richement interconnectées. En première approximation, nos connaissances comportent des relations entre des classes "les chiens sont des mammifères qui sont eux-mêmes des animaux", qui s’insèrent dans un système complexe de relations causales "la nature du chien comme mammifère résulte d’un ensemble de propriétés biologiques". Pour décrire les connaissances de l’enfant, de l’adolescent ou de l’adulte, on se réfère à la notion de concept. Les concepts sont des représentations mentales décrites sous la forme d’une liste de traits (Murphy, 2002). Par exemple, le concept de chien comprend des propriétés comme "aboie", "a quatre pattes", "est un animal domestique", "est un mammifère". Une liste de propriétés est loin d’épuiser la richesse des concepts. Par exemple, si un marteau "est un objet avec une tête et un manche" et "qu’il sert à frapper sur des objets ou à enfoncer", la structure "tête plus manche" qui a été conçue s’explique par la fonction que l’on veut réaliser avec un marteau. La fonction et la structure de l’objet entretiennent donc des relations causales. Dans un domaine plus complexe, la structure actuelle d’un chien s’explique par des interactions complexes entre son code génétique et des influences environnementales. Ces vingt dernières années, de nombreux travaux ont porté sur les connaissances intuitives de l’homme de la rue, décrites comme des théories naïves (Murphy & Medin, 1985 ; Keil, 1989 ; Murphy, 2002). Par théorie naïve, il faut entendre "un grand nombre d'explications mentales plutôt qu'un point de vue scientifique complet et organisé" (Murphy & Medin, 1985, p. 290). Ces théories sont les savoirs sur le monde qui justifient les connexions existant entre les traits d'un concept en fournissant un schéma causal explicatif. Dans le cas du concept de maison, les traits "avoir des murs", "avoir un toit" sont justifiés par une théorie sur la fonction protectrice des maisons. Une théorie permet de donner un sens à la présence simultanée de plusieurs traits dans une représentation conceptuelle. Elle est elle-même un ensemble de concepts qui donne une cohérence à l'ensemble des faits, des entités, auxquels elle se rapporte. Ainsi, notre théorie naïve du monde biologique donne un sens à cette partie du monde, à son organisation et ses propriétés. Ces théories guident nos inférences sur le réel. Selon Keil (1989), une théorie naïve possède quatre caractéristiques: une ontologie, un ensemble de croyances interconnectées, des lois causales spécifiques au domaine (les lois causales qui régissent le domaine biologique ne sont pas celles qui régissent le domaine des objets manufacturés), et le recours à des inobservables pour justifier l'existence d'une catégorie (par exemple, la structure génétique partagée par les membres de la catégorie des chiens). Dans cette perspective, le développement conceptuel de l’enfant se décrit en termes de développement de ces théories naïves, sur lesquelles portent de nombreux travaux (Wellman & Gelman, 1998 ; Thibaut, 2000, Cordier, 2001). Dans la plupart des cas, en effet, les enfants ont des connaissances structurées autour de principes organisateurs qui peuvent être différents de ceux de l’adulte. L'étude du développement conceptuel devient alors, en partie, l'étude de ces théories, des grands principes autour desquels elles s’organisent et de leur développement. On a décrit le développement de ces connaissances dans de nombreux domaines conceptuels, et notamment le monde physique, le monde biologique, le monde des artefacts, et le monde psychologique. Nous présenterons ici brièvement le monde biologique, notamment celui moins connu des plantes, et le monde des artefacts. La fin de la présente contribution analysera l’influence des théories préexistantes sur l’apprentissage conceptuel. Le monde biologique Le monde biologique est organisé autour de concepts tels que, notamment, développement (croissance), reproduction, nutrition, vivant par opposition à non-vivant. L’étude du développement de ces concepts porte sur les propriétés autour desquelles s'organisent les catégories d'entités biologiques formées par les enfants et, notamment, sur la formation d'un domaine conceptuel biologique spécifique et les étapes qui y conduisent. Pour étudier l'évolution de la structure des connaissances biologiques, on peut analyser les inférences que les enfants font à propos des entités de la réalité. Si un enfant apprend qu'une propriété s'applique aux chats et qu'il la généralise ensuite à des animaux comme le chien, la vache, le lapin mais exclut d'autres animaux comme les oiseaux et les reptiles, c'est qu'il considère que les premiers appartiennent à un groupe séparé du second. On peut également analyser les transformations que l'enfant trouve plausibles. Par exemple, si on imagine la greffe d’une peau de chien sur le corps d’un chat, l’animal qui en résulte est-il un chien ou un chat? Vivants et non-vivants Au stade 1, toute entité "active" est vivante alors qu'au stade 2, sont vivantes les choses en mouvement. Au stade 3, il faut que le mouvement trouve son origine dans la chose elle-même (par exemple, une pierre lancée n'est pas vivante). Le stade 4 est le stade adulte. Selon les études classiques (Piaget, 1926), vers 4 ans, les enfants n’ont aucune notion du monde vivant. Vers 7 ans, ils considèrent que toute entité "active" est vivante ou ils restreignent cette notion aux choses en mouvement ; plus tard, il faut que le mouvement trouve son origine dans la chose elle-même. A 10 ans, 50% des enfants ont une conception correcte de cette notion. Carey (1985) a donné une description du concept "vivant" en le contrastant avec d'autres concepts proches comme "mort", " animé", "animal" ou "plante". Elle suggère que les enfants qui n'ont pas atteint le stade adulte ne pensent pas de manière précausale comme le pensait Piaget mais ont des connaissances biologiques incomplètes. Le concept de "vivant" est complexe dans le sens où il est en rapport avec de nombreuses propriétés biologiques dont certaines sont inconnues des enfants. Dans la théorie de Carey, les limitations conceptuelles d'un enfant s'appliquent à un domaine de connaissances particulier et ne sont pas nécessairement généralisables à d'autres domaines (e.g., au domaine psychologique). Selon Piaget, au contraire, les connaissances d'un enfant à un stade donné (e.g., au stade préopératoire) reflètent l'organisation cognitive générale caractéristique de ce stade. Les enfants de 3 ou 4 ans comprennent les différences entre les êtres vivants et les objets manufacturés. Cette connaissance des principes fondamentaux de l'organisation biologique (les propriétés du vivant) s’applique surtout aux animaux, moins aux végétaux que les enfants conceptualisent plus tardivement comme des membres du monde vivant (voir ci- après) (Springer, Ngyuen, & Samaniego, 1996). L’être humain joue un rôle de référence dans l’organisation conceptuelle du monde biologique de l’enfant. La probabilité que l'enfant attribue une propriété à un animal donné est d'autant plus élevée que cet animal ressemble à un être humain. De la même manière, la probabilité qu'une nouvelle propriété soit généralisée à d'autres animaux est plus élevée si elle a été apprise d'abord pour les humains plutôt que pour les chiens (Carey, 1985). Les propriétés biologiques et leurs transformations Dans certaines expériences, on lit la description d'une transformation d'un objet manufacturé, d'un animal ou d'une plante en autre chose. La transformation se fait soit à l'intérieur d'une même catégorie (les mammifères, dans le cas d'une transformation d'un cheval en zèbre) ou en dépasse les limites (un animal transformé en plante ou, transformation plus radicale encore, un objet transformé en animal, c'est-à-dire un passage du non-vivant au vivant). Jusqu'à l'âge de 7 ans, les enfants acceptent des transformations à l'intérieur d'une catégorie (e.g., un cheval transformé en zèbre) alors que, dès 4-5 ans, ils refusent les transformations qui traversent les frontières ontologiques (e.g., un jouet-chien n’est pas un chien vivant ; voir Keil, 1989). Quelle que soit la nature de cette compréhension, les enfants saisissent que les êtres vivants ont des propriétés particulières différentes de celles du monde non-vivant (Wellman & Gelman, 1998). Le développement des structures conceptuelles Comment se développent les théories naïves de l'enfant ? Comme dans d'autres domaines du développement, soit les auteurs invoquent l'existence de structures conceptuelles innées, soit ils insistent sur l'acquisition d'une expertise complexe à la faveur des interactions de l'enfant avec le milieu. Parmi les premiers se trouvent les représentants des "théories des théories" ("theory theories"). Les auteurs qui appartiennent à ce courant (voir Gopnik & Meltzoff, 1997) postulent le plus souvent que les enfants naissent avec un ensemble de principes balisant les grands secteurs de la connaissance (psychologie, biologie, et objets). Les conceptions fondées sur l'expertise postulent que les enfants, durant leurs interactions avec l'environnement, construisent des systèmes conceptuels de plus en plus riches, c'est-à-dire des systèmes constitués de connaissances reliées causalement et formant des réseaux hiérarchiques complexes. Ces deux perspectives se distinguent en ce que les "théories des théories" postulent l'existence de connaissances a priori qui permettent de segmenter et de comprendre le monde d'une manière pertinente, connaissances qui contraignent les concepts que l'enfant peut apprendre. Pour les théoriciens de l'expertise, il faut expliquer la genèse des concepts et des théories en montrant comment ils se transforment avec le développement de l’expertise. Les auteurs cherchent à comprendre comment l'enfant construit ses concepts, comment il les généralise, comment il les intègre dans des entités conceptuelles plus larges et comment celles-ci peuvent contraindre les apprentissages ultérieurs (Wellman & Gelman, 1998). Le monde biologique végétal Les jeunes enfants semblent difficilement considérer les plantes comme une partie du domaine du vivant, contrairement aux personnes et aux animaux. Ce n'est qu'après 7 ans que certaines des propriétés données par les enfants pour définir le vivant seront vraies à la fois des plantes et des animaux (Richards & Siegler, 1984; 1986). Carey (1985) souligne également qu'avant 7 ans, la généralisation d'une propriété fictive attribuée à un animal se fait spontanément vers d'autres animaux, mais ne s'étend pas aux plantes. D’autres auteurs ont montré que 15 % seulement des enfants âgés de 6 ans classent correctement des dessins sur la base des propriétés biologiques de croissance, de reproduction, de nutrition et de respiration. Ces premières données ont été recueillies dans des épreuves de production de propriétés en ce qui concerne Richards et Siegler, ou des expériences de vérification de propriétés en ce qui concerne Carey. On peut leur opposer quelques critiques quant à la procédure choisie étant donné l'âge des enfants. L'une d'elles mettrait en avant qu'en production, les enfants donnent en priorité les propriétés qui caractérisent les éléments qui sont pour eux les plus représentatifs du vivant : les animés. Nous faisons en effet l'hypothèse que l'attention donnée à l'opposition animé / non animé, bien antérieure dans le développement cognitif, conduit l'enfant à donner aux animés une position privilégiée dans le monde du vivant, et du même coup, rend les plantes peu représentatives de cette catégorie. En effet, dès l'âge de 10 mois, les nourrissons savent distinguer les mouvements caractéristiques de personnes, par rapport aux déplacements imprimés à des objets comme des robots (Poulin-Dubois & Héroux, 1994). Mis en présence de photographies variées d'objets, ils désignent dès 3 ans ceux qui peuvent "monter ou descendre une colline par eux-mêmes" (Massey & Gelman, 1988). Le regroupement personnes - animaux est donc très précoce sur la base du mouvement. D'autre part, la manière spécifique dont les plantes réalisent certaines propriétés propres au vivant (nutrition, reproduction, vieillissement et mort) peut conduire l'enfant à éprouver des difficultés à les classer avec les animés. Si l'organisation du vivant se règle autour des humains et des animaux, c'est à dire du vivant animé, on se trouve en présence d'un biais cognitif, caractérisé par un relief particulier du trait "mobilité", mais aussi probablement par une certaine manière de réaliser les comportements spécifiques du vivant. La non représentativité des plantes dans le monde du vivant pour les jeunes enfants n'est pas obligatoirement synonyme d'exclusion. Des expériences, utilisant des procédures variées, ont permis de mettre en évidence que la place des plantes n'était pas si marginale que l'on pouvait le croire à première vue, et que les connaissances d'arrière-plan à leur endroit n'étaient pas négligeables. Une des expériences marquantes dans ce domaine a été réalisée par Inagaki et Hatano (1996) avec des enfants de 4 et 5 ans. Le matériel utilisé est composé, pour chacun des items, d'un dessin cible et de deux autres dessins, dont l'un est la reproduction exacte du premier objet, et l'autre un dessin plus grand en taille. Les 12 items de l'expérience illustrent soit un animal (par exemple un chien), soit un végétal (par exemple un arbre), soit un objet fabriqué (par exemple une tasse). Les consignes sont les suivantes : "Regarde le dessin du chien. Il appartient à Pierre. Pierre a vu son chien avant de partir à l'école ce matin. Il va le revoir en quittant l'école ce midi. Que verra-t-il? (choix entre les deux dessins de taille différente)" ou …"…quand il reviendra après très, très longtemps, plusieurs années après, que verra-t-il?". Les réponses indiquent nettement une communauté de stratégies pour les animaux et les plantes, en opposition aux objets fabriqués. La propriété relative à la croissance est partagée par les animaux et les plantes. Une étude de Hickling et Gelman en 1995 illustre la conceptualisation du cycle de la vie par des enfants entre 4 et 4 ans 1/2, sur les plantes. Trois expériences ont été menées à bien. La première se focalise sur les jugements des enfants quant à l'origine des graines. Les deux expériences suivantes ciblent la compréhension des relations causales qui s'établissent aux différentes étapes de la croissance (graine, plante, fleur, fruit). A 4 ans 1/2 (mais pas avant) les enfants acceptent en majorité les conditions "naturelles" de production des graines et rejettent les conditions "artificielles", mais le lien avec l'espèce n'est pas encore bien établi. A ce même âge, les enfants manifestent par leurs réponses qu'ils réalisent la nature causale de ces mécanismes biologiques. Ils ont une représentation claire des différentes étapes du processus de la croissance de la plante. En ce sens, les conceptions des enfants sont bien liées à une théorie causale, comme c’est également le cas pour les animaux. La théorie biologique sous-jacente établit des relations causales entre les propriétés des objets. Les enfants donnent plus d'importance dans les tâches de catégorisation aux propriétés "causes" qu'aux propriétés "effets" (Ahn, Gelman, Amsterlaw, Hohenstein & Kalish, 2000). Ainsi, si les végétaux sont généralement verts, la cause en est la chlorophylle présente dans les feuilles. Les enfants qui possèdent cette information donneront dans une tâche de catégorisation plus de poids à la présence de chlorophylle qu'à la couleur, ceux qui l’ignorent utiliseront plutôt les traits de surface. Les réponses des enfants par rapport au domaine biologique ne peuvent être le résultat d'un enseignement spécifique de la biologie, qui n'existe pas à l'école maternelle, ni en cours préparatoire. Il faut plutôt les ramener aux effets d'une accumulation des expériences ordinaires, phénoménologiques et linguistiques, qui attirent l'attention de l'enfant sur le fait que les plantes partagent certaines propriétés avec d'autres sous-catégories du vivant, ce qui va entraîner une nouvelle organisation des connaissances naïves du domaine. Des dépendances sont mises en évidence entre d'une part la présence de théories naïves de la biologie, et leur degré d'élaboration, et d'autre part les conditions socio-culturelles dans lesquelles les connaissances sont acquises par le groupe social et leur transmission par le langage (Hatano, Siegler, Richards, Inagaki, Stavy & Wax, 1993). Ponctuellement, a-t-on posé la question de la fréquence avec laquelle le mot vivant était associé à plante dans le langage, par rapport à la fréquence avec laquelle il se trouve associé à animal? En conclusion, si plusieurs recherches ont montré l'absence de représentativité des plantes dans le domaine du vivant, cette absence de représentativité a certainement plusieurs sources (Meunier & Cordier, 2004). Néanmoins, des recherches convaincantes ont mis en évidence qu'une théorie biologique qui tient compte des plantes est bien présente chez les enfants (en particulier à partir de 4 ans 1/2) même si elle accuse un retard par rapport à la compréhension de processus analogues (croissance, alimentation, guérison, mort) pour les animaux. Le monde des objets manufacturés A priori, on pourrait considérer que le monde des objets manufacturés est gouverné non pas par des théories causales comme l’est le monde vivant mais plutôt par la fantaisie arbitraire de la créativité humaine. Pourtant, de nombreux travaux ont montré que les adultes unifient les catégories d’artefacts autour de la fonction voulue pour l’objet. Par exemple, la structure d’un marteau, d’un contenant, d’un siège s’expliquerait par la fonction qui aurait motivé leur création. Deux conséquences complémentaires s’ensuivent : d’une part, si un objet est détourné de sa fonction initiale pour un autre usage, il ne devrait pas pour autant changer de catégorie, d’autre part, si la structure d’un objet est transformée (par exemple, s’il est cassé) il devrait continuer à appartenir à sa catégorie d’origine (Bloom, 2000 ; Gelman & Bloom, 2000 ; Gutheil, Bloom, Valderrama & Freedman, 2004). Plusieurs expériences récentes montrent que les jeunes enfants n’attribuent pas la même importance à cette fonction originale que les adultes. Gelman et Bloom (2000) ont montré que les adultes classent de manière très différente un même objet s’il a été construit de manière intentionnelle pour réaliser une fonction particulière (par exemple, un journal auquel on a donné la forme d’un chapeau pour remplir cette fonction) ou si sa structure a été obtenue par hasard (par exemple, ce même journal a pris cette forme de chapeau suite à un accident involontaire). Plus de 70% des adultes considèrent que le premier objet est bien un chapeau contre 14% lorsqu’il est le résultat d’un accident. En comparaison, 41% des enfants de 3-4 ans jugent que l’objet est bien un chapeau. Gutheil et al. (2004) montrent que la plupart des adultes (entre 70 et 85%) continuent à considérer qu’un contenant en carton ou une enveloppe appartiennent toujours à la même catégorie lorsque leur structure a été modifiée par écrasement ou par découpe. Une majorité d’enfants de 4 ans, au contraire, considèrent que les objets n’appartiennent plus à leur catégorie d’origine suite à ces transformations. Les enfants de 6 et 8 ans répondent au hasard. Les enfants de 4 ans ne semblent donc considérer que le statut actuel de l’objet et non son histoire : un objet qui ne peut plus réaliser la fonction pour laquelle il a été conçu change de nature (Bloom, 2000). Apprentissage conceptuel et théories naïves Les théories naïves sont aussi des moteurs de l’apprentissage conceptuel. Ce dernier, en effet, ne résulte pas uniquement du traitement des dimensions des objets à catégoriser (ou d’une partie d’entre elles) mais dépend aussi des inférences que l’on peut tirer des connaissances spécifiques portant sur les entités à classer (Murphy, 2002). Chez l’adulte, ce rôle a fait l’objet de multiples démonstrations expérimentales (Murphy & Medin, 1985 ; Keil, 1989 ; Murphy, 2002). Qu’en est-il chez l’enfant? Pour certains auteurs, les théories ne joueraient qu’un rôle mineur dans les catégorisations et généralisations des enfants (Jones & Smith, 1993). Les théories ne seraient incorporées que progressivement. Pour les autres, les théories sont essentielles (Carey, 1985 ; Keil, 1989 ; Spelke, 1993 ; Gopnik & Meltzoff, 1997; Murphy, 2002). Les travaux portant sur la contribution des connaissances à l’apprentissage conceptuel de l’enfant restent rares. Le rôle central qu’elles jouent dans l’apprentissage conceptuel chez l’adulte s’applique également à l’enfant. Barrett, Murphy, et McCarthy Gallagher (1993) ont démontré, chez des enfants de 6 à 9 ans, l’importance d’associations de traits justifiées par une théorie. Les auteurs ont présenté aux enfants deux espèces d’oiseaux. La première espèce est dotée d’un grand cerveau à la structure complexe et elle a une bonne mémoire. Dans la seconde espèce, le cerveau est petit et simple et les capacités de mémorisation sont faibles. Les enfants devaient classer des items qui respectaient ou non l’association entre la structure du cerveau et les capacités mnésiques. Ils devaient juger de la typicalité de nouveaux items qui respectaient ou non cette même association. Dans la tâche de classification, les items où l’association de traits basée sur une théorie est préservée sont mieux identifiés que ceux pour lesquels cette association est brisée. Dans les jugements de typicalité, les enfants jugent plus typiques les items respectant l’association de leur catégorie. Ces résultats soulignent l’importance des associations de traits justifiées par une théorie centrale dans la définition des concepts. Les théories permettent également de renforcer l’association entre les traits et la catégorie. Krascum et Andrews (1998) ont mis en évidence l’effet facilitateur des théories sur l’apprentissage de ces catégories possédant un air de famille, chez des enfants de 4 et 5 ans. Selon elles, sans théorie pertinente, les enfants ne pourraient se souvenir d’une distribution apparemment arbitraire des traits. Un cadre théorique adapté rend la discrimination de deux catégories plus simple et améliore la généralisation, ainsi que la formation des associations entre les attributs constituant les exemplaires et leur catégorie d’appartenance. Si les théories influencent le traitement des informations, elles sont influencées, en retour, par les informations des stimuli. Dans cette perspective, Carmichael et Hayes (2001) ont montré que les théories et l’observation des exemplaires agissent conjointement durant l’acquisition de concepts par des enfants de 4 à 10 ans. L’exposition à de nouveaux exemplaires produit une révision des connaissances antérieures. Cette contribution nous fournit un exemple rare où l’évolution, la modification d’une théorie est étudiée comme résultat d’un input extérieur et suggère comment les théories se modifient par intégration de nouvelles informations. Les études présentées ci-dessus portent sur le rôle de théories pré-existantes. Une autre manière d’envisager ces rapports consiste à voir si les enfants sont capables d’apprendre une théorie et comment ils la généralisent à de nouvelles entités. On a aussi montré que dès 3 ans, les enfants sont capables de relier la structure d’un objet avec sa fonction. De manière générale, les enfants généralisent leur apprentissage à de nouveaux objets préservant la fonction qui leur a été présentée. Gelaes, Detiffe, et Thibaut (2003) ont confirmé ce résultat tout en montrant que la généralisation à de nouveaux items est limitée par leur similarité perceptive avec les items de départ. Théories et apprentissage scolaire Si, d’une part, l’apprentissage de nouvelles notions dépend du contenu des connaissances préalables et particulièrement, des théories naïves, si le raisonnement dans ses processus inductifs et déductifs est sous la dépendance des mêmes théories naïves, si, d’autre part, l’enseignement n’est pas la greffe de nouvelles connaissances, alors connaître le contenu des connaissances a priori est un préalable à tout apprentissage scolaire. Négliger la description des connaissances a priori, surtout si elles sont fausses, conduira à une compréhension erronée des nouvelles notions qui contredisent les anciennes ou, au mieux, au développement d’un sous-monde conceptuel non intégré aux autres. On le voit tous les jours, y compris chez l’adulte, dans le cas de raisonnement sur des notions élémentaires (voir le problème de la vitesse des portières d’une voiture dans un virage, ou les prédictions sur la direction prise par un corps dans sa chute). L’analyse sommaire des contenus présentés dans les encyclopédies destinées aux enfants nous montre qu’aucune réflexion sur ce problème n’a, le plus souvent, présidé à leur élaboration. Or à l’heure actuelle, les connaissances sur ce développement peuvent être intégrées aux programmes scolaires des enfants. BIBLIOGRAPHIE Ahn, W.K., Gelman, S.A., Amsterlaw, J.A., Hohenstein, J., & Kalish, C.W. (2000). Causal status effect in children's categorization. Cognition, 76, B35-B43. Backscheider, A.G., Shatz, M. & Gelman, S.A. (1993). Preschooler’s ability to distinguish living kinds as a function of regrowth. Child Development, 64, 1242-1257. Barrett, S., Abdi, H., Murphy, G., & McCarthy-Gallager, J. (1993). Theory-based correlations and their role in children’s concepts, Child Development, 64, 1595-1616. Bloom, P. (2000). How children learn the meaning of words. Cambridge, MA: MIT Press. Carey, S. (1985). Conceptual change in childhood. Cambridge, MA: MIT Press. Carmichael, C., & Hayes, B. 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