Summary

Ce document traite de l'institution d'héritier, en se concentrant sur l'histoire et les aspects légaux au travers du Code Civil, avec également un intérêt sur l'influence du droit romain.

Full Transcript

L'institution d'héritier Aux termes de l'article 967 du Code civil, « Toute personne pourra disposer par testament soit sous le titre d'institution d'héritier, soit sous le titre de legs, soit sous toute autre dénomination propre à manifester sa volonté ». Si le droit français en vigueur admet ain...

L'institution d'héritier Aux termes de l'article 967 du Code civil, « Toute personne pourra disposer par testament soit sous le titre d'institution d'héritier, soit sous le titre de legs, soit sous toute autre dénomination propre à manifester sa volonté ». Si le droit français en vigueur admet ainsi la dénomination d'institution d'héritier, celle-ci relève en fait du régime juridique du legs. L'article 1002 alinéa 2 du Code civil dispose en effet que : « Chacune de ces dispositions, soit qu'elle ait été faite sous la dénomination d'institution d'héritier, soit qu'elle ait été faite sous la dénomination de legs, produira son effet suivant les règles ci-après établies pour les legs universels, pour les legs à titre universel, et pour les legs particuliers ». L'expression « héritier institué » se trouve en outre dans trois articles du Code civil, les articles 1037, 1040 et 1041. Dans les trois articles, les dispositions en question concernent « l'héritier institué ou le légataire ». La législation française garde donc une trace résiduelle de cette institution d'héritier mais n'en fournit aucune définition. De plus, le Code civil distingue, parmi les successeurs, la *summa divisio* entre les héritiers, qui succèdent en vertu de la loi, et les légataires, qui succèdent en vertu d'un testament. Qu'est-ce donc que l'institution d'héritier ? Elle provient du droit romain. À Rome, le testament était le mode le plus fréquent de dévolution du patrimoine à cause de mort. Dès la loi des XII Tables, la succession *ab intestat* ne s'ouvre qu'à défaut de succession testamentaire. Le contenu propre est indispensable du testament romain est l'institution d'héritier. Il ne peut y avoir de testament sans institution d'héritier ni d'institution d'héritier hors d'un testament. Comme le dit Gaius dans ses institutes, l'*institutio heredis* est la tête et le fondement du testament « caput et fundamentum testamenti ». Indispensable à la validité du testament, cette institution est totale et exclut ainsi tout héritier ab intestat. Sur la forme, l'institution d'héritier est requise à peine de nullité. Elle n'est possible que dans un testament et non dans un simple codicille et devait respecter un formalisme strict. En latin, elle se faisait selon la jurisprudence classique suivant forme impérative : « Que Titius soit mon héritier » (Titius haeres esto). La formule « Titium heredem esse jube », j'ordonne que Titius soit mon héritier est également valable mais l'emploi des verbes vouloir (volo), instituer (instituo) ou faire (facio) ne sont pas assez forts pour que l'institution d'héritier soit valable. Cette exigence des termes fut néanmoins supprimée en 339 par les fils de Constantin et celle de la langue latine en 439 par Théodose II. Jusqu'à Justinien, elle devait également figuré au début du testament. Au point du vue du fond, l'institution d'héritier ne pouvait désigner un héritier pour un temps limité suivant l'adage *semel heres, semper heres*. Le terme extinctif et la condition résolutoire étaient tenus pour non écrits, de même que les conditions ipossibles, immorales ou illicites. Le terme suspensif certain n'était pas davantage admis, afin d'éviter que la succession n'appartienne à personne entre le décès du testateur et l'arrivée du terme fixé. En revanche, la condition suspensive (« J'institue Titius s'il survit à Gaius ») et le terme incertain (« J'institue Titius pour le jour où Gaius mourra) sont valable, car si la condition ne se réalise pas, la succession ab intestat s'ouvre à la place. Peuvent être institués un ou plusieurs héritiers mais sans jamais laisser une fraction de l'héritage à l'héritier ab intestat. En vertu du droit d'accroissement, si un héritier renonce à sa part, la part des autres augmente. Le testateur peut également anticiper le refus ou l'impossibilité pour un héritier de recueillir la succession par le biais de la susbstitution (vulgaire ou pupillaire). De la condition essentielle du testament dans le droit romain antique au reliquat résiduel qui subsiste aujourd'hui dans le Code civil, l'institution d'héritier a connu de complexes évolutions en droit français qu'il nous faut d'étudier. En particulier, il importe de nous demander dans quelle mesure l'institution d'héritier a été une condition essentielle de validité du testament ou au contraire un élément facultatif voire illicite. Malgré les évolutions, quels sont les caractéristiques et les effets propres à l'institution d'héritier, qui continueraient de la distinguer d'institutions voisines telles que le legs et la donation entre vifs ? En premier lieu, l'institution d'héritier a connu un long déclin à partir des Invasions barbares et pendant le Haut Moyen Âge, avant de renaître au XIIe siècle, sous des formes diverses, à la faveur de l'essor du droit canonique et de la renaissance du droit romain. C'est ce que nous verrons dans une première partie (I). À l'époque moderne, le droit français est divisé sur ce point entre les pays de droit coutumier et les pays de droit écrit. Ces divergences ont largement été résorbées à la fin de l'Ancien Régime avant d'aboutir à l'absorption de l'institution d'héritier par le régime juridique du legs. Cette unification progressive sera l'objet de notre seconde partie (II). I. L'institution d'héritier au Moyen Âge, de l'éclipse à la redécouverte. La chute de l'Empire romain et l'influence du droit germanique a précipité le déclin du testament romain et de l'institution d'héritier qui le caractérise (A). Le testament et, dans une certaine mesure, l'institution d'héritier, resurgissent au XIIe siècle à la faveur de l'essor du droit canonique et de la renaissance du droit romain (B). A. Le déclin de l'institution d'héritier (Ve-IXe siècle) Avec l'Édit de Caracalla (212) conférant la citoyenneté à la majeure partie des habitants de l'Empire, la technique testamentaire romaine se diffuse sur tout le territoire impérial. Chacun peut désormais tester à la manière romaine. La chute de l'Empire romain d'Occident au Ve siècle a eu des conséquences sur la pratique testamentaire. En effet, le droit germanique primitif ignore le testament. Tacite déjà remarquait que « nullum testamentum apud germanos » (Germanie, 20). La raison de cette absence tient à la copropriété du groupe familial. La dévolution est donc nécessairement *ab intestat* pour ne pas frustrer les copropriétaires. Certains peuples germaniques ont cependant mis en œuvre d'autres techniques afin de pouvoir, sous certaines conditions, choisir leur héritier. Ces procédés, contrairement au testament romain, ne sont pas révocables. Il s'agit de modes d'aliénation entre vifs qui se réalisent par la tradition réelle ou symbolique de la chose transmise. C'est notamment le cas de l'affatomie franque et du thinx lombard, qui sont également des formes d'adoption utilisées pour pallier l'absence d'héritier légitime. L'affatomie franque décrite dans la loi salique requiert un formalisme très contraignant. Devant le mallus, assemblée des hommes libres, le disposant désigne un intermédiaire en lui jetant un fétu de paille symbolisant son bien puis il lui indique le nom du bénéficiaire et le bien aliéné. L'intermédiaire doit ensuite donner un repas en présence d'au moins trois témoins et remet ensuite, dans un délai d'un an, devant le mallus, le fétu de paille symbolisant le bien au bénéficiaire définitif. De plus, certains peuples germaniques ont intégré des éléments du droit testamentaire romain à leurs lois. C'est ainsi le cas de la loi gombette, qui concerne les populations Burgondes. Celle-ci accorde au père de disposer de son patrimoine après avoir remis à ses fils ce à qui ils ont droit. Le testament ne disparaît pas avec l'empire, mais évolue entre le Ve et le XIIe siècle. Avec le système de la personnalité des lois, le testament romain demeure employé par les populations gallo-romaines. Le rôle central de l'institution d'héritier, toujours reconnu dans le Code théodosien, est repris dans les lois romaines des barbares telles que l'édit de Théodoric, la loi romaine des Burgondes et la loi romaine des Wisigoths, même si les critères formels de la jurisprudence classique ont été atténués. Durant le haut Moyen Âge, le terme *testamentum* continue de désigner l'acte révocable contenant les dernières volontés, mais un assouplissement sémantique se produit, et tend à intégrer les donations entre vifs, avec l'influence du droit germanique. Certains actes sont désignés sous le vocable testamenta mais ne recouvrent pas la forme très stricte du droit romain. Sous les Carolingiens, le testament comporte des legs aussi bien que des donations entre vifs. Ce relâchement terminologique s'explique par la disparition progressive du testament romain et le triomphe de la donation comme mode privilégié de transmission des patrimoines. Une autre hypothèse tient à l'influence chrétienne. Dans les traductions latines de la Bible, le terme « testamentum » a une signification beaucoup plus large d'alliance. L'institution d'héritier subsiste dans certains actes, mais n'est plus systématique. Au VIe siècle, cette institution 'n'est plus qu'un procédé technique pour le règlement des intérêts patrimoniaux. Au fil des siècles, la formulation de l'institution d'héritier est de moins en moins impérative. En 739, Abbon désigne encore une abbaye sous la formule « tu es mon héritier, je veux et j'ordonne que mon héritage te revienne », mais au VIIIe siècle, les institutions d'héritier emploient volontiers les verbes vouloir et choisir pour désigner l'héritier et l'institution d'héritier se fait de plus en plus rare. En résumé, l'influence réciproque du droit romain germanisé et du droit germanique romanisé aboutit à une certaine décadence du testament et de l'institution d'héritier. B. La résurgence de l'institution d'héritier à partir du XIIe siècle. Entre le Xe et le XIIIe siècle, les actes se transforment, inspirés par la considération de la mort. Si les Francs manifestaient une certaine méfiance à l'égard du testament, on retourne au XIIIe siècle, à une pratique courante d'un testament véritable, ayant sa valeur et son efficacité au moment du décès seulement. L'inspiration de l'acte à cause de morts est dorénavant dominée par la pensée de l'éternité, qui justifie les legs pieux au détriment de la préservation du patrimoine familial. Les prêtres exhortent les malades aux œuvres de charité. Puisque le testament a essentiellement un caractère religieux, il relève donc de l'autorité ecclésiastique, tant législative que judiciaire. Les prêtres exhortent les mourants à la générosité testamentaire pour satisfaire à la justice divine. Un concile provincial de Narbonne de 1227 décide que les intestats décédés sans le secours d'un prêtre seront privés de sépulture jusqu'à ce que l'Église ait obtenu satisfaction. Au XIIe siècle, l'unanimité des commentateurs affirme la compétence de l'Église en matière d'actes à cause de mort. Obligatoire en droit romain, l'institution demeure un élément fondamental de l'acte en droit canonique, sous l'influence du droit de Justinien redécouvert à la fin du XIe siècle. Mais dans un premier temps, les décrétales retenues dans les compilations canoniques ne mentionnent pas l'institution d'héritier et les premiers décrétalistes n'en donnent aucune définition précise. Au XIIIe siècle, Dynus de Mugello tente de caractériser l'institution d'héritier et en retient trois traits fondamentaux : elle procède d'une disposition verbale, elle connaît une confirmation irrévocable, la mort du testateur et l'exécution et la confirmation de l'institution se traduisent par la mise en possession de l'héritier institué. Bien qu'aucune décrétale n'oblige explicitement le chrétien à désigner un héritier, les canonistes, profondément influencés par le droit romain, font sans cesse référence à cette institution. Pour les canonistes, la désignation d'un héritier est donc obligatoire, mais il est possible sous certaines conditions de sauver les dispositions contenues dans l'acte qui en est dépourvu, lorsqu'il contient des dispositions pieuses. Le droit canon était en principe favorable à la liberté de tester, mais il se heurta à des antagonismes de la féodalité et de l'ancienne communauté familiale. Lorsque les fiefs sont devenus transmissibles, les titulaires ont dû respecter les règles de succession posées dans l'acte de concession. Toute autre transmission aurait été irrégulière et non opposable au suzerain. Les aliénations sont plus facilement admises pour les tenures que pour les fiefs. Par ailleurs, il y a une limite au droit de disposer qui découle de l'intérêt de la famille et des droits de cette dernière sur les biens du *de cujus*. À Paris, au début du XIIIe siècle, la réserve coutumière est organisée : un disponible par acte testamentaire pourra s'exercer sur un cinquième des immeubles propres, la réserve étant de quatre-cinquièmes. À la fin du XIIIe siècle, Beaumanoir reconnaît la compétence ecclésiastique en matière testamentaire, tout en admettant le concours des juridictions laïques. À la différence du droit romain, le testament coutumier ne connaît pas l'institution d'héritier. Glanville le déclarait déjà expressément à la fin du XIIe siècle : « solus Deus heredem facere potest, non homo ». Le Livre de Jostice et Plet dit le contraire, mais le texte ne décrit pas la coutume, il se borne à reproduire un passage des Institutes. Beaumanoir ne mentionne pas l'institution d'héritier. Mais le principe est ferme dans les actes concrets, seule la nature peut faire prendre la place du défunt aux héritiers du sang, la volonté de l'homme ne peut faire que des successeurs aux biens. Aux XIVe et XVe siècles, le testament est devenu un acte mixte, dont la juridiction laïque entend connaître comme l'officialité. Le système de la prévention régit les rapports entre les deux juridictions, la première saisie gardant sa compétence. À la fin du XIVe siècle, il est normal que les testateurs déposent leur testament au greffe de la juridiction à laquelle ils veulent attribuer leur compétence, il y a donc, dès le début du XVe siècle, une compétence du Parlement de Paris résultant de cette pratique. Il est de maxime au Palais au XIVe siècle qu'en pays coutumier, l'institution de hoirie n'a pas de lieu et la coutume ne saisit point ». La règle est reprise par le vieux coutumier de Poitou de 1417 sous la forme qui fera fortune « institution d'héritier n'a point de lieu ». Le testament des pays de droit coutumier ne peut toujours contenir que des legs et le légataire même de biens immobiliers n'est jamais saisi. Depuis la fin du XIVe siècle, ce légataire à une action à la fois personnelle et hypothécaire, il peut toujours obtenir communication du testament et n'a pas d'obligation personnelle aux dettes. Il n'est qu'un successeur particulier aux biens. Toutefois, si les biens de la succession sont insuffisants, le legs subira la retenue contributive nécessaire et il ne faut pas oublier que la masse de biens n'est estimée suffisante que, non seulement compte tenu des dettes, mais également de la réserve. Dans le sud du royaume, l'influence romaine prédomine et s'accroît avec la redécouverte du droit de Justinien. Alors que les pays coutumiers sont partis de l'ignorance du testament pour aboutir à sa reconnaissance dans un droit nouveau d'inspiration canonique ; dans le midi, le testament n'a pas disparu pleinement, mais c'est au Xe siècle, un acte sans règle certaine. La renaissance du droit romain, dès sa pénétration dans la France méridionale, rend à l'institution son ancienne précision, tout en conservant des influences coutumières d'inspiration féodale et religieuse. Contrairement aux pays de droit coutumier, les juges ecclésiastiques ont rarement obtenu la connaissance des testaments même en cas de legs pieux. Le testament, acte civil, est demeuré de la compétence des juridictions laïques. Au début du Moyen Âge, les actes à cause de morts ne contenaient guère que des dispositions de legs ou de fidéicommis réunies les unes aux autres, les deux ouvrages doctrinaux du XIe siècle Brachylogus et Exceptiones Petri parlent bien de la nécessité de l'institution d'héritier, mais sans que la pratique paraisse en tenir compte. L'influence de la renaissance romaine se fait davantage sentir dans la pratique au milieu du XIIe siècle, comme en témoigne le testament de Guillaume de Montpellier, en 1155. L'institution d'héritier reparaît alors comme en droit romain pur, toutefois on n'exige plus la formule rigoureuse en tête de l'acte. Quelques coutumes (Montpellier et Carcassonne) n'exigeaient même pas cette institution, mais il s'agit d'une exception. La coutume de Toulouse ne l'exigeait pas jusqu'à la fin du XIIIe siècle puis l'exige ensuite en 1286, après abrogation de l'ancien article. Pour pallier toute cause éventuelle de nullité, la pratique méridionale imagine, dès la seconde moitié du XIIIe siècle, d'inclure dans les testaments une clause codicillaire selon laquelle si l'acte ne pouvait valoir comme testament, il vaudrait du moins comme codicille. Elle permet selon la doctrine de couvrir tous les vices de fond et de forme à l'exception du défaut de capacité du testateur. La réserve héréditaire du nord ne s'est pas acclimatée dans les pays de droit écrit, qui reconnaissent cependant la légitime. Les novelles de Justinien 115 et 118 prévoient ainsi que les enfants doivent recevoir une partie du patrimoine du *de cujus* à moins d'être dans un des cas d'exhérédation prévus d'après la liste de la novelle 115. La *querela inofficiosi testamenti* du droit romain réformé par Justinien est une action récursoire qui permet aux enfants injustement écartés de la succession, d'obtenir non plus la rescision totale du testament, mais la suppression du titre de l'héritier institué, remplacé par le légitimaire injustement omis. L'action en complément de la légitime peut être intentée par le légitimaire insuffisamment gratifié dans le testament. L'application du système de Justinien connaît des aménagements suivant le lieu. Dans le Sud-Ouest, la réserve est parfois admise et les filles dotées peuvent agir en complément de légitime sans se contenter de leur dot. Au contraire, dans le Sud-Est, le pouvoir paternel de disposer est renforcé, l'enfant devant doit se contenter du legs même modique. Dans les substitutions, l'époux survivant est généralement placé aussitôt après les enfants, parfois conjointement avec les ascendants. Aux XIVe et XVe siècles, il ressort de la pratique testamentaire méridionale que l'époux survivant est généralement un véritable héritier, appelé fréquemment à la succession aussitôt après les enfants. L'institution d'héritier en France fait donc l'objet, à la fin du Moyen Âge, d'un pluralisme juridique marqué entre les pays de droit coutumier au nord et les pays de droit écrit au sud, chacune de ces deux entités connaissant également des régimes juridiques variés en leur sein. À l'époque moderne, l'institution d'héritier tend vers l'unification. II. La lente uniformisation du droit français concernant l'institution d'héritier à l'époque moderne et contemporaine. La réformation des coutumes permet une ébauche d'harmonisation de l'institution d'héritier (A). Ce processus aboutit véritablement à la fin de l'Ancien Régime avec la codification du droit des successions (B) A. L'harmonisation progressive du droit coutumier français réformé Sur bien des points, l'opposition du Nord et du Midi s'atténue, mais elle demeure cependant catégorique sur deux questions : les formes de testament et l'institution d'héritier. Si l'unification du droit n'est pas encore faite, elle est cependant préparée : le testament coutumier passe de 150 formes différentes à seulement deux. Quant à l'institution d'héritier, elle est rapprochée du legs universel. Au XVIe siècle, dans les pays de droit coutumier, le testament échappe totalement au droit canonique. Il contient souvent des dispositions pieuses, mais le testament est devenu un acte juridique laïc. Le législateur laïc seul a droit de le réglementer parce qu'on le considère dorénavant comme le garant des intérêts civils du disposant. La compétence judiciaire appartient incontestablement au juge laïc dans les deux derniers siècles de la monarchie. Si certaines coutumes lors de leur première rédaction, admettent la prévention de la justice ecclésiastique, cette survivance a été éliminée lors des réformations. La plupart des coutumes (Paris, Anjou, Maine) reprennent le principe énoncé à la fin du Moyen Âge par le parlement selon lequel on ne peut dans les provinces coutumières instituer par testament un héritier. L'article 120 de l'ancienne coutume de Paris déclare ainsi qu'institution d'héritier n'a lieu. Dumoulin explique ce texte en déclarant que cette institution ne vaut que comme un legs et qu'elle ne saisit pas l'héritier qui en est l'objet. L'article 299 de la nouvelle coutume reproduit le même droit, sous une forme moins concise que l'ancien : « Institution d'héritier n'a lieu : c'est-à-dire qu'elle n'est requise ni nécessaire pour la validité d'un testament ; mais ne laisse de valloir la disposition jusqu'à la quantité des biens dont le testateur peut vallablement disposer par la coutume ». Il n'y a donc pas d'institution nécessaire, à la différence des pays de droit écrit. Loysel peut ainsi déclarer « entre codicille et testament, il n'y a point de différence ». De plus, seul l'héritier *ab intestat* est saisi. La saisine successorale est ainsi le principal critère de distinction entre le véritable testament avec institution d'héritier et le legs universel. En vertu du principe coutumier « le mort saisit le vif », tous les biens du défunt appartiennent instantanément aux héritiers sans qu'il soit besoin de les leur transmettre. La saisine est l'instrument de la continuation de la personne du défunt. Elle confère à l'héritier la propriété et la possession des biens du *de cujus*. Cependant, l'institution n'est tout de même pas nulle, elle produit les effets d'un legs universel, sauf les droits de la réserve des héritiers du sang. L'adage avait cependant une portée différente selon les coutumes. Ainsi, suivant les coutumes du Nivernais, d'Auvergne et de Bourbonnais, l'institution d'héritier était absolument nulle. Pour les autres, elle valait comme un legs jusqu'à concurrence des biens dont le testateur pouvait disposer. Le légataire doit demander la délivrance du legs car il n'est pas saisi et il n'a donc droit aux fruits que du jour de sa demande. Il dispose de l'action personnelle *ex testamento* contre l'exécuteur testamentaire et l'héritier pour obtenir la délivrance. Comme l'héritier, le légataire universel (à la différence du légataire particulier) est tenu des dettes dans la mesure de son émolument. Il faut cependant souligner que certaines coutumes, notamment la coutume de Berry et de Bourgogne, admettent l'institution d'héritier : « Le mort saisit le vif son plus prochain héritier, habile à lui succéder ab intestat et aussi son héritier testamentaire » porte l'article 28 du titre 19 de la coutume de Berry. La coutume du comté de Bourgogne prévoit quant à elle que « le mort saisit le vif son héritier testamentaire institué en testament solennel ou nuncupatif ». À la question de savoir si l'institution d'héritier était nécessaire comme en pays de droit écrit, le jurisconsulte Furgole estime que l'institution n'est pas nécessaire dans le Berry, situé au centre du pays coutumier. En revanche, dans la coutume de Bourgogne, non seulement l'institution est admise, mais elle est nécessaire pour la validité du testament. Dans les pays de droit coutumier sans institution d'héritier, ceux-ci admettent néanmoins l'institution contractuelle. Cette institution, propre aux pays de droit coutumier, constitue une exception à la règle « institution d'héritier n'a lieu ». C'est en effet une véritable institution d'héritier, faite par contrat de mariage au profit d'un des futurs époux et même de leurs enfants à naitre de ce mariage. Contrairement à l'institution d'héritier du droit romain, l'institution contractuelle d'héritier est faite irrévocablement, puisque le contrat de mariage est immuable. En pays de droit écrit, l'institution contractuelle fut également utilisée malgré la prohibition par le droit de Justinien des pactes sur succession future. Mais l'usage en fut moins fréquent que dans les pays de droit coutumier, en raison de l'existence de l'institution testamentaire d'héritier. Dans les pays de droit écrit, l'institution d'héritier reste en effet fondamentale dans le testament. Le plus souvent, elle est faite en faveur d'un membre de la famille, l'aîné des fils notamment. L'hérédité testamentaire conférait la saisine à l'institué comme à l'héritier *ab intestat*, à la différence des pays de droit coutumier ; l'institution était une telle faveur que l'hérédité *ab intestat* n'était ouverte que s'il y avait certitude absolue du défaut de testament. En cas d'institution partielle, on en étendait la portée en s'appuyant sur la règle romaine selon laquelle personne ne peut décéder partiellement intestat. \[Nécessité pour le chrétien de léguer ses biens à l'Église, Rigaudeau\] À l'époque féodale, il est courant de gratifier les établissements religieux de dons qui devaient concourir au salut de l'âme de leur auteur, en se réservant la jouissance des biens donnés jusqu'à sa mort (donation post obitum) ou en effectuant ces libéralités lors d'une maladie voire juste avant de mourir (don *in extremis*). Toutefois, des testaments aux formes simplifiées se sont maintenus dans une partie du midi et, dans l'ouest, le don *in extremis*, très tôt affranchi des exigences de la donation (en particulier de la tradition immédiate des biens) et considéré comme révocable a joué un rôle identique à celui du testament oral. À partir du XIIe siècle, on constate partout la renaissance du testament, favorisé par l'Église par les progrès de l'individualisme et par les besoins juridiques nouveaux nés de l'essor économique et des croisades. Dans le midi, l'influence du droit romain est déterminante. Dans le nord, où sa pénétration a été plus tardive, le testament est reconstitué surtout à partir des usages coutumiers et des règles posées par le droit canonique. Cette dualité d'origine a laissé des traces durables dans les formes et le contenu de l'acte testamentaire, subordonné aussi aux limites posées pour la protection des héritiers *ab intestat*. B. L'uniformisation du régime juridique de l'institution d'héritier par la codification. L'unification du droit civil avait donc été imparfaitement et indirectement tentée au XVIe siècle par rapprochement entre coutumes Malgré une certaine résorption de la diversité médiévale, les réformes des coutumes et les travaux de la doctrine n'étaient pas parvenus à unifier le droit des testaments. Cette situation était une source de difficultés. Par exemple, selon le type de testament, le droit applicable pouvait être celui du domicile du testateur ou bien celui du lieu où le testament avait été fait. L'unification du droit des successions progressa au cours des XVIIe et XVIIIe siècles grâce à la législation royale, seule à même de triompher du pluralisme juridique. Les ordonnances de Louis XIV s'étaient limitées à la procédure et au droit commercial. Celles de Louis XV préparées par le chancelier Daguesseau s'étendirent au droit civil *stricto sensu*. Après l'ordonnance de 1731 relative aux donations, Louis XV prit une nouvelle ordonnance en 1735 consacrée aux testaments. Dès 1729, le chancelier Daguesseau entreprit la rédaction de cette ordonnance en adressant des projets aux parlements. Encouragé par le Parlement de Paris, il voulait établir une forme de testament qui aurait été valable pour tout le royaume. Le chancelier caressait même l'espoir qu'elle finirait par supplanter les autres et que l'unité du droit des testaments finirait par se faire d'elle-même, sans recourir à l'autorité du roi. Mais la seconde consultation des parlements fit apparaître des divergences entre les cours. Daguesseau dut renoncer à ce projet et se contenter d'une réforme plus modeste. Quant à l'institution d'héritier, Daguesseau songe à fusionner deux institutions voisines entre les pays de droit écrit et les pays de coutumes. Dans les pays de droit écrit, le testament n'était valable que s'il contenait une institution d'héritier ; sinon, il était seulement réputé codicille. L'héritier institué était considéré comme le continuateur de la personne du défunt. Il avait vocation au tout et était tenu des dettes de la succession in infinitum. Dans les pays de coutumes, dépourvus d'institution d'héritier, le legs universel conférait également vocation au tout et obligation aux dettes in infinitum. Daguesseau aurait voulu fondre ces deux institutions, mais l'opposition des parlements l'en empêcha et il put seulement les assimiler. Par exemple, une institution d'héritier faite illégalement par un testateur domicilié en pays de coutumes vaudrait comme telle pour les immeubles possédés en pays de droit écrit et comme legs universels pour ceux qu'il possède en pays de coutumes ainsi que pour ses biens meubles, qui suivent la loi du domicile. Daguesseau décide que la même disposition testamentaire peut valoir comme legs universel ou institution d'héritier, pourvu qu'il n'y ait pas de doute sur l'intention du testateur. Malgré cette assimilation, l'institution d'héritier et le legs universel ne sont pas fusionnés. Le critère de distinction de la saisine subsiste, comme l'enseigne Pothier dans son traité des successions, des propres et des donations testamentaires de 1777 : « les legs universels et les legs particuliers conviennent entre eux en ce qu'ils sont sujets à délivrance ; le légataire universel doit, ainsi que les légataires particuliers, demander à l'héritier la délivrance de son legs ; car le légataire universel n'est pas héritier. En cela, le legs même universel diffère de l'institution d'héritier ». Les révolutionnaires ayant proclamé l'égalité en droit entre les citoyens et aboli les privilèges locaux, la persistance malgré les efforts du chancelier Daguesseau de règles testamentaires différentes entre le nord et le sud de la France était vouée à disparaître. Néanmoins, si la constituante abolit les anciens privilèges successoraux tel le droit d'aînesse, ces réformes ne modifiaient pas les ordres traditionnels de dévolution des biens établis par les coutumes au nord et par le droit romain au sud. Dans un souci d'unification et de conformité à la nouvelle idéologie politique, la Convention a décidé de créer un ordre entièrement nouveau, imposé à l'ensemble du pays par la loi du 17 nivôse an II (6 janvier 1794). Cette loi a restreint le droit de disposer. Mirabeau et Robespierre voyaient dans le testament l'instrument du despotisme paternel. Toute modification apportée à l'ordre de dévolution établi par la loi est prohibée, les institutions d'héritier testamentaire ou contractuelles sont frappées de nullité. La quotité disponible se réduit à un dixième en présence d'héritiers directs et il est interdit de l'utiliser pour avantager un héritier ab intestat. Le législateur de 1804 a repris les solutions de Daguesseau sans renoncer bien sûr à un régime juridique unifié sur l'ensemble du territoire. Conformément au vœu du chancelier de Louis XV, le Code Napoléon a ainsi fusionné l'institution d'héritier et le legs universel. Seul se dernier subsiste même si le Code fait mémoire de l'institution d'héritier en la nommant par deux fois. L'effet de l'institution d'héritier, à savoir la saisine successorale, qui dans l'ordonnance de 1735 la distinguait toujours du legs universel s'applique dorénavant au legs universel, à la différence du legs particulier et du legs d'une quote-part d'universalité, désormais distinct du legs universel et qualifié de legs à titre universel.

Use Quizgecko on...
Browser
Browser