Croissance, Pauvreté et Inégalités - Cours PDF 2024-2025

Summary

Ce document présente les bases de la croissance économique, de la pauvreté et des inégalités socio-économiques, notamment les définitions des termes en jeu. L'auteur explore des perspectives historiques, théoriques, et les travaux de Seebohm Rowntree pour mettre en lumière les difficultés de mesurer la pauvreté au cours du temps. Ce cours est destiné à des étudiants de niveau universitaire.

Full Transcript

TSM Année Universitaire 2024-2025 COURS DE CULTURE GÉNERALE ÉCONOMIQUE Par Sébastien CAZAULON Thème 1....

TSM Année Universitaire 2024-2025 COURS DE CULTURE GÉNERALE ÉCONOMIQUE Par Sébastien CAZAULON Thème 1. Croissance / Pauvreté Inégalités socio-économiques Première partie Les définitions q La pauvreté q Les inégalités q Développement humain q La croissance Perspective historique q L’expérience de Speenhamland (1795-1834) Une théorie q La courbe de Kuznets Deuxième partie qLa croissance permet-elle de réduire la pauvreté et les inégalités ? 1 TSM Année Universitaire 2024-2025 Première partie Les définitions A. La pauvreté La notion de pauvreté n’est pas aisée à définir. En effet, selon le dictionnaire est pauvre « celui qui manque du nécessaire ou n’a que le strict nécessaire ; qui n’a pas suffisamment d’argent, de moyens pour subvenir à ses besoins » (Dictionnaire Le Petit Robert, 1996). En 2024, environ 700 millions de personnes dans le monde vivent dans l'extrême pauvreté, ce qui signifie qu'elles survivent avec moins de 2,15 dollars par jour. Ce chiffre reflète les défis persistants dans la réduction de la pauvreté, notamment en Afrique subsaharienne, où réside plus de la moitié des personnes extrêmement pauvres. Malgré certains progrès, des événements mondiaux tels que la pandémie de COVID-19 et d'autres chocs économiques ont ralenti les efforts de réduction de la pauvreté, entraînant une augmentation du nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté par rapport à 2019. L'objectif de développement durable d'éradication de l'extrême pauvreté d'ici 2030 semble de plus en plus difficile à atteindre dans les conditions actuelles. Ces individus ont un accès très limité à la santé, à l’éducation et à l’eau potable. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Unicef, cela représente environ 9 % de la population mondiale. La situation s’est régulièrement améliorée depuis le début des années 2000, mais plus d'un tiers des habitants d’Afrique subsaharienne n’a toujours pas accès à l’eau potable. Bien que ces conditions soient principalement observées dans les pays en développement, la pauvreté persiste également dans les pays développés. En France, par exemple, le taux de pauvreté est estimé à environ 14,4% en 2024, ce qui représente plus de 9 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. Ce seuil est fixé à 1 216 euros par mois pour une personne seule. Les groupes les plus touchés par la pauvreté sont notamment les personnes seules, les familles monoparentales, et les travailleurs indépendants, qui ont vu leur situation économique se détériorer au cours des dernières années. Les disparités régionales et sociales restent marquées, malgré certaines mesures gouvernementales visant à atténuer ces difficultés. (L'INSEE rapporte que ce taux a augmenté en raison des impacts économiques de la pandémie de COVID-19. Le premier homme à avoir proposé une définition est Benjamin Seebohm Rowntree (1871-1954) est un industriel anglais qui fut à la tête d'une entreprise prospère. Combattant de la pauvreté. Surnommé par ses contemporains « Einstein du Welfare State » (l'État-providence), il conseille le chancelier de l'Échiquier1 David Lloyd George et le Parti libéral (Royaume-Uni). 1 Le chancelier de l'Échiquier (en anglais : Chancellor of the Exchequer), parfois simplement appelé chancelier, est le ministre du gouvernement du Royaume-Uni chargé des finances et du trésor, à la tête du Trésor de Sa Majesté. 1. Les travaux de Rowntree Rowntree, qui suite à une enquête à York auprès de plus de 11 000 familles, a construit un seuil de pauvreté qui correspond au minimum hebdomadaire permettant aux familles de garantir une vie « saine ». - Pour y parvenir, il a notamment fait appel à des nutritionnistes afin de chiffrer l’apport calorique et nutritionnel nécessaire pour éviter la maladie ou la perte de poids. - Il a ensuite recherché à York les prix les moins chers pour se procurer ce panier minimal. Le seuil de pauvreté correspond à cette valorisation. Rowntree entreprend à York une enquête minutieuse destinée à savoir, quelle est la mesure de la pauvreté dans la ville, son étendue et son intensité ? Quelle part est due à l’insuffisance des revenus et combien le sont par imprévoyance. Au vu de ces travaux, près de 28 % de la population de York vivait sous le seuil de pauvreté « ligne de pauvreté ». En 1901, il publie les résultats : « Pauvreté, une étude de la vie Urbaine ». Rowntree y distingue les familles souffrant de pauvreté « primaire » de celles qui sont affectées par une pauvreté « secondaire » : o La pauvreté « primaire » est celle des familles qui n'ont pas les revenus économiques suffisants pour assurer leur subsistance. o La pauvreté « secondaire » est celle de familles qui auraient les revenus économiques suffisants mais qui les dilapident dans des dépenses inutiles et déraisonnables (par exemple l'alcool ou le jeu...). L'étude porte une dénonciation de l'impuissance du système capitaliste et soutient l'urgence de nouvelles mesures pour remédier aux problèmes du chômage, de la vieillesse et de la maladie. 2 TSM Année Universitaire 2024-2025 Sa deuxième étude menée à nouveau à York en 1936 l’a conduit à réexaminer à la marge son panier minimal de 1899 en intégrant des biens qui n’étaient pas strictement nécessaires à la survie, comme les journaux, les livres, la radio, de la bière, du tabac, des vacances, et des cadeaux. Le compte rendu des travaux (« Progress and Poverty » publié en 1941) montre que : Le taux de pauvreté dans la ville a été réduit de 50 %. La cause principale de la pauvreté dans les années 1930 réside dans le chômage alors que dans les années 1890, les bas salaires sont l'explication première. Une troisième étude partielle « Pauvreté et État-Providence », réalisée en 1951 toujours à York, concluait à une quasi-disparition de la pauvreté définie avec les mêmes critères, sauf chez les personnes âgées, disparition qu’il attribue à l’action des travaillistes. qÉtat-providence : Concept d'abord anglo-saxon (rapport Beveridge de 1942 en Grande-Bretagne), le « welfare state » désigne un État qui investit massivement dans les dépenses sociales (santé, logement, éducation) pour assurer le bien-être de sa population et favoriser à la fois une augmentation du niveau de vie et une hausse de la consommation. L’État providence avait commencé à se développer aux États-Unis dans les années 1930 (« New Deal du président Roosevelt, influencé par les théories de Keynes) puis au Royaume-Uni dans les années 1940 (rapport Beveridge en 1942). Les travaux de Rowntree ont fait l’objet de nombreuses critiques, notamment liées au fait que l’achat du panier de subsistance au moyen du revenu minimal exigeait une rationalité économique que les individus en question étaient loin de posséder, que ce soit pour la construction du panier, ou pour la recherche des points de vente les moins onéreux. Au-delà des critiques sur la constitution et la valorisation d’un panier minimal même redéfini, le fait que la pauvreté aurait quasiment disparu dans l’Angleterre des années 1950 interpelle. Peut-être serait-il plus pertinent de conclure que dans les années 1950, tous ou presque pouvaient survivre en Angleterre, mais que la pauvreté avait changé avec les modes de vie, et qu’il fallait se réinterroger sur son essence. Ces travaux de Rowntree sont particulièrement illustratifs des difficultés que l’on peut rencontrer afin de définir un revenu minimal et de le faire évoluer au cours du temps et de le comparer au niveau international. q Un individu (ou un ménage) est considéré comme pauvre lorsqu'il vit dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. 2. Approches de la pauvreté qpauvreté absolue La pauvreté absolue correspond au seuil minimal au-dessous duquel il n’est pas possible de vivre. Le pauvre est alors l’indigent qui ne peut pas faire face aux dépenses vitales dans le domaine de l’alimentation, du logement, de l’habillement. Si la pauvreté se réduit à l’indigence, le pauvre, ou l’indigent, vit de manière totalement dépendante de la charité privée ou de l’aide sociale publique. Mais on peut également considérer la pauvreté comme un état intermédiaire entre indigence et précarité, cette dernière situation correspondant aux populations qui peuvent satisfaire leurs besoins « fondamentaux », sans être toutefois à l’abri de la pauvreté en cas de perte d’emploi ou de maladie, par exemple. Selon l'approche absolue, le seuil est fixé depuis les travaux de Benjamin Seebohm Rowntree en 1901, en fonction d'un panier de biens alimentaires et non alimentaires nécessaires à la survie quotidienne (2400 calories par jour pour la pauvreté et 1800 pour l'extrême pauvreté). Les biens non alimentaires comprennent l'habillement, le transport, l'hygiène, l'eau et l'énergie. Les États-Unis et le Canada ont recours à la mesure absolue de la pauvreté. Aux États-Unis, le seuil de pauvreté en 2024 a été fixé à 31200 $ (revenu annuel total) pour une famille de quatre personnes (24 250 $ en 2105). Au Canada, un nouveau seuil de pauvreté a été introduit en 2010 qui mesure le coût absolu d'un niveau de vie minimal - composé d'un régime alimentaire nutritif, des besoins de transport de base et d'un logement adéquat. La mesure est révisée périodiquement pour refléter les changements dans la société. La Banque mondiale a introduit une mesure de la pauvreté absolue dans les pays les plus pauvres du monde, une ligne de la pauvreté de « un dollar par jour » en 1990. Un nouveau seuil de pauvreté de 1,25 $ par jour a été introduit en 2005. Ces seuils ont été ajustés au fil des ans pour refléter les évolutions des coûts de la vie dans les différentes régions du monde. Par exemple, en 2015, la Banque mondiale a encore révisé ce seuil à 1,90 dollar par jour pour mieux correspondre aux conditions économiques actuelles. Ces seuils sont utilisés pour mesurer la pauvreté absolue, notamment dans les pays les plus pauvres du monde, et pour suivre les progrès vers l'éradication de la pauvreté. 3 TSM Année Universitaire 2024-2025 Aujourd'hui, la Banque mondiale utilise un seuil de pauvreté internationale de 2,15 dollars par jour pour mesurer la pauvreté extrême dans le monde. Ce seuil a été révisé en octobre 2022, passant de 1,90 dollar à 2,15 dollars par jour pour mieux refléter l'évolution des conditions économiques mondiales, notamment l'inflation et les coûts de la vie dans les pays les plus pauvres. Ce seuil est utilisé pour évaluer le nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté, c'est-à-dire celles qui ont des difficultés à satisfaire leurs besoins de base comme la nourriture, l'eau potable, l'éducation et les soins de santé. Bien que les États-Unis et le Canada utilisent cette méthode, celle-ci est davantage appropriée aux pays en développement. Inconvénient de ce système : la valeur relative du panier tend à diminuer avec le temps et seule une marge de la pauvreté est distinguée ; de plus, il faut tenir compte des évolutions de la consommation, ce qui nécessite de réévaluer le panier. qPauvreté relative Pauvreté relative : L’Union européenne a adopté une autre approche, basée sur des critères relatifs. En Europe, la pauvreté n’est pas établie à partir de l’impossibilité d’acheter un panier défini, mais repose sur le fait que le citoyen pauvre ne peut accéder aux modes de vie jugés « normaux » par l’essentiel de la population. Cette conception a fait l’objet d’une validation politique : les États membres de l’Union se sont mis d’accord sur un ensemble d’indicateurs dits de Laeken. Le premier indicateur primaire de Laeken mesure le taux de risque de pauvreté, avec un seuil fixé à 60 % du revenu par unité de consommation médian. Les taux de pauvreté mesurent la proportion de la population qui vit avec un revenu disponible inférieur au seuil de pauvreté. Ce seuil correspond à un pourcentage du revenu médian national. Le seuil le plus souvent utilisé équivaut à 60 % du revenu médian. Il s’agit d’une convention qui correspond à une conception large de la pauvreté. On peut tout aussi bien utiliser le seuil à 50 %, voire à 40 % qui se focalise sur la grande pauvreté. Aucun seuil n’est objectivement meilleur. Le seuil retenu n’est pas le revenu médian européen mais le revenu médian de chaque pays. Inconvénients : Ainsi, si l’on double le revenu de chacun à prix inchangés, il y a toujours autant de pauvres ; si les ressources des plus pauvres progressent, mais moins rapidement que le revenu médian, alors le nombre de pauvres augmente automatiquement. Enfin, le taux de pauvreté est souvent plus élevé dans des pays comme la France que chez les nouveaux entrants d’Europe centrale ou orientale, simplement parce que la distribution du revenu y est plus inégalitaire. À la limite, lorsque personne n’a rien, il n’y a pas de pauvres. Enfin, autre limitation partagée par l’approche absolue, le taux de pauvreté ne rend pas compte de la situation des plus pauvres d’entre les pauvres, même si d’autres indicateurs comme l’intensité de la pauvreté peuvent compléter la vision obtenue à partir des taux. Ainsi, en France, paradoxalement, les quelques 100 000 personnes sans domicile pèsent peu dans une population de pauvres qui dépasse 7,1 millions en 2005. Mais il semble tout de même qu’en France, comme c’est avéré aux États-Unis, le nombre de pauvres « absolus » soit très inférieur au nombre de pauvres « relatifs ». La France privilégie également ce seuil, mais publie des taux de pauvreté selon d'autres seuils (40 %, 50 % ou 70 %), conformément aux recommandations du rapport du Cnis (Conseil national de l’information statistique) sur la mesure des inégalités. En France, le seuil de pauvreté est défini à 60 % du revenu médian. En 2024, ce seuil est estimé à 1 216 euros par mois pour une personne seule. Ce chiffre est utilisé pour évaluer la proportion de la population vivant en dessous de ce seuil, ce qui permet de mesurer la pauvreté relative dans le pays. Environ 14,4 % de la population française vivait sous ce seuil en 2024, soit plus de 9 millions de personnes. Le seuil de pauvreté en France est régulièrement mis à jour par l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) en fonction des évolutions des revenus médians. L'intensité de la pauvreté (ou « poverty gap ») est un indicateur qui permet d'apprécier à quel point le niveau de vie de la population pauvre est éloigné du seuil de pauvreté. L'Insee mesure cet indicateur comme l'écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté. Formellement, il est calculé de la manière suivante :(seuil de pauvreté - niveau de vie médian de la population pauvre) / seuil de pauvreté. Plus cet indicateur est élevé et plus la pauvreté est dite intense, au sens où le niveau de vie des plus pauvres est très inférieur au seuil de pauvreté. Au final, l’approche monétaire relative de la pauvreté évalue les inégalités et omet une composante importante de la pauvreté, le sentiment d’insécurité. 4 TSM Année Universitaire 2024-2025 3. Approche en termes de pauvreté humaine ou sociale L’approche monétaire de la pauvreté est loin d’être la seule envisageable. ü Le taux de privation, une autre manière de mesurer la pauvreté. Le sociologue anglais Peter Townsend a développé une analyse de la pauvreté en termes de conditions d’existence, ou de privations. Une privation représente une exclusion par rapport au mode de vie dominant, tel qu’il ressort des pratiques sociales. Elle peut concerner le domaine alimentaire, l’habillement, l’habitat, l’environnement, ou plus généralement l’accès à une pratique habituelle et approuvée par la société environnante. La difficulté consiste à définir une liste d’items dont la privation peut représenter un symptôme de pauvreté. On peut néanmoins montrer qu’avec une liste suffisamment large, la frange de la population qui cumule un grand nombre de privations peut être considérée comme pauvre en termes d’existence, assez indépendamment du choix précis des items. Contrairement au taux de pauvreté monétaire, basé sur les revenus des ménages, le taux de privation repose sur le renoncement des ménages à certains produits ou services. L’indicateur de privation matérielle et sociale de l’UE est défini comme la part de personnes vivant en logement ordinaire ne pouvant pas couvrir les dépenses liées à au moins cinq éléments de la vie courante sur treize considérés comme souhaitables, voire nécessaires, pour avoir un niveau de vie acceptable. Les privations considérées sont les suivantes : - Ne pas avoir de voiture personnelle pour des raisons financières ; - Ne pas pouvoir maintenir son logement à bonne température pour des raisons financières ; - Ne pas pouvoir remplacer des meubles hors d’usage pour des raisons financières ; - Avoir des impayés de mensualités d’emprunts, de loyer ou de factures d’électricité, d’eau ou de gaz ; - Ne pas pouvoir dépenser une petite somme d’argent pour soi sans avoir à consulter quiconque ; - Ne pas pouvoir faire face à des dépenses inattendues ; - Ne pas avoir accès à internet pour des raisons financières ; - Ne pas pouvoir retrouver des amis ou de la famille au moins une fois par mois pour boire un verre ou pour un repas pour des raisons financières ; - Ne pas avoir une activité de loisirs régulière pour des raisons financières ; - Ne pas pouvoir s’offrir une semaine de vacances hors de son domicile pour des raisons financières ; - Ne pas avoir deux paires de bonnes chaussures pour des raisons financières ; - Ne pas pouvoir avoir un repas contenant des protéines au moins tous les deux jours pour des raisons financières ; - Ne pas pouvoir acheter des vêtements neufs. ü L’indice de pauvreté multidimensionnelle L’indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM) du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) a été créé dans les années 1990. Il reflète les « déprivations (c’est un terme clinique qui désigne le fait d’être privé de quelque chose à laquelle on avait accès auparavant) multiples dont souffre chaque individu sur le plan de l’éducation, de la santé et du niveau de vie. Cet indice est construit à partir d’enquêtes auprès des ménages. Il s’appuie sur la théorie des capabilités développée par Amartya Sen (prix Nobel en 1998). Amartya Sen a été marqué par deux événements dans sa vie : - en 1943, il est témoin d’une famine qui dévaste sa région (le Bengale) pendant deux ans et fait 3 millions de morts alors même que les réserves de nourriture étaient suffisantes pour alimenter la population. - en 1947, partition des Indes et conflits interreligieux. Pour Amartya Sen, les inégalités entre les individus ne s’apprécient pas au regard de leurs seules dotations en ressources mais de leurs capacités à les convertir en libertés réelles. Il introduit ainsi la notion de « capabilités », qui invite à considérer la pauvreté au-delà des seuls aspects monétaires et à la penser en termes de libertés d’action, de capacités à faire. Dans son ouvrage Un nouveau modèle économique. Développement, Justice, Liberté (2000), Sen soutient la thèse selon laquelle il n’y a de développement que par et pour la liberté. La tyrannie, l’absence d’opportunités économiques, l’inexistence des services publics, l’intolérance sont autant d’entraves à la liberté. Le marché est nécessaire : son absence serait le déni d’une liberté fondamentale, l’échange de biens. Sa théorie a toutefois fait l’objet de critiques, notamment car elle ne propose aucune liste des « capabilités » de base. 5 TSM Année Universitaire 2024-2025 qCapabilités/capacités : notion introduite par A. Sen pour désigner les capacités inégales dont disposent les individus de choisir leur vie (capabilities) ; la justice sociale vise à égaliser les capabilités. qCapabilités de base : elles concernent la survie des jeunes enfants, l’accès à l’école primaire, l’accès à des technologies de base comme la téléphonie, la résilience à des chocs récurrents, le droit de vote…. Elles permettent de faire des choix nécessaires pour survivre et éviter la pauvreté ou d’autres privations graves. Les inégalités de capabilités de base tendent à se réduire. qCapabilités avancées: elles concernent les perspectives de vivre longtemps et en bonne santé, d’accéder à des soins de qualité, d’accéder à l’enseignement secondaire et supérieur, la résilience aux nouveaux chocs imprévus, l’accès à des technologies plus pointues, le droit de participer à la vie politique pour les femmes. Elles permettent une plus grande autonomie. Les inégalités de capabilités avancées ont tendance à augmenter. 4. Approche en termes d’exclusion Ces approches ne se réfèrent pas uniquement aux diverses formes de privation matérielle ou de services sociaux mais à un processus de désintégration sociale, fondé sur diverses dimensions entretenant des liens étroits les uns avec les autres. On peut noter en particulier la place accordée au travail non seulement comme mode d’accès à des moyens d’existence mais aussi comme principal vecteur de lien social et d’identité sociale. Serge Paugam a défini une typologie de la pauvreté : o la pauvreté intégrée : définie comme la condition sociale d’une grande partie de la population (et donc faible stigmatisation des pauvres et solidarité) ; o la pauvreté marginale : la pauvreté est combattue (les pauvres sont peu nombreux et stigmatisés) ; o la pauvreté disqualifiante : de plus en plus de personnes sont susceptibles d’être reconnues comme pauvres ou exclus. C’est sur ce sentiment d’insécurité que se fondent les travaux de Nicolas Duvoux Adrien Papuchon « Qui se sent pauvre en France ? Pauvreté subjective et insécurité sociale ». Selon eux, Les données du baromètre d’opinion de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques montrent qu’un tiers des personnes qui se sentent pauvres sont en emploi. La moitié d’entre elles sont des employés et ouvriers en emploi ou au chômage, centre de gravité des classes populaires. Des retraités modestes et de petits indépendants apparaissent aussi surreprésentés. Ces catégories modestes mais non pauvres, subalternes mais non démunies, sont aujourd’hui dans une situation de tension et mal protégées : leur sentiment de pauvreté est attaché à un pessimisme pour l’avenir. C’est sans doute une des explications de l’irruption de populations « invisibles » à l’occasion du mouvement des « gilets jaunes ». Les travaux de Pierre Noël Giraud vont dans ce sens. Dans notre monde globalisé et confronté à une instabilité économique récurrente, “il existe de plus en plus d’hommes inemployés, piégés dans les trappes du travail précaire, dans l’extrême pauvreté, réduits à l’inutilité à soi et aux autres”, et privés de toute capacité d’en sortir : les hommes inutiles. Ces hommes inutiles sont, dans nos pays développés, les chômeurs de longue durée ainsi que les workings poors, les précaires enchaînant des petits boulots et incapables d’en sortir. Et dans les pays émergents ou stagnants, ce sont la masse des ruraux sans terre et des nouveaux urbains dans l’extrême pauvreté. 6 TSM Année Universitaire 2024-2025 B. Les inégalités. La pauvreté est, nous l’avons vu, assez difficile à évaluer. Elle est, aujourd’hui, souvent observée en parallèle d’une autre notion, celle des inégalités. Réfléchir sur la hausse des inégalités économiques nécessite en premier lieu de les identifier et d’en cerner les frontières. Au cours des trente dernières années, les inégalités économiques internes ont augmenté dans les PDEM, venant remettre en cause la courbe de Kuznets. L’étude des inégalités est longtemps restée un angle mort de la recherche économique. Cependant des travaux se sont multipliés ces dernières décennies et ont soulevé les effets potentiellement négatifs des inégalités sur le dynamisme économique. Le livre de T. Piketty, Le Capital au XXIe siècle (2013), en est probablement le pont d’orgue. qInégalités : il y a inégalités lorsque certains individus ou groupes bénéficient de ce que les normes sociales considèrent comme un avantage. qInégalités économiques : ce sont les inégalités de revenus et de patrimoine qui existent entre les différentes catégories sociales. qInégalités sociales : ce sont les inégalités d’accès à certains pratiques (éducation, politique...) qui proviennent ou non de l’appartenance à un groupe social (les femmes, les personnes d’origine étrangère…). Tout d’abord, définition de « inégalités globales » : elles mesurent la dispersion des revenus et des niveaux de vie des individus et des ménages au niveau de la population mondiale considérée comme un tout. Désaccord sur l’évolution de ces inégalités globales selon les indicateurs pris en compte. Certains estiment que, si les inégalités entre pays se réduisent depuis les années 1990, les inégalités globales s’accroissent. En 1980, les 10% les plus riches jouissaient d’un niveau de vie 60 fois plus élevé que les 10% les plus pauvres. Aujourd’hui ce rapport est de 90. Le coefficient ou l'indice de Gini porte le nom du statisticien et démographe italien Corrado Gini (1884–1965). C'est un indicateur de dispersion permettant principalement d'apprécier les inégalités dans la distribution des richesses d’un territoire. Il varie entre zéro et un, zéro étant la situation d'égalité parfaite (chaque citoyen est exactement aussi riche que son voisin), un étant la situation d'inégalité parfaite (un citoyen possède toutes les richesses, les autres aucune). qCoefficient de Gini : indicateur synthétique d’inégalités des salaires, revenus, patrimoines, niveau de vie, développement. Il varie entre 0 (égalité parfaite) et 1 (situation la plus inégalitaire possible). Ce coefficient a atteint 0,318 dans les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) en 2013 /2014, plus haut chiffre jamais enregistré depuis 1980. Coefficient de Gini en France en 2012 0,303. Les pays les plus égalitaires ont un coefficient de l’ordre de 0,2 : Danemark, Suède, Japon. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est un forum au sein duquel 30 démocraties de marché œuvrent de concert pour relever les défis économiques, sociaux et de gouvernance que posent une économie chaque jour plus mondialisée. Des économistes dont Thomas Piketty ont décidé de créer une nouvelle base de données et d’adopter une nouvelle méthodologie. La méthode se veut nouvelle : elle prend davantage en compte le patrimoine des plus riches et pas seulement leurs revenus. Pour surmonter les techniques classiques de mesure des inégalités, les chercheurs du World Inequality Lab ont rassemblé dans une base de données toutes les informations disponibles : revenus et patrimoines issus des comptabilités nationales (y compris dans la mesure du possible les avoirs planqués dans des paradis fiscaux), données fiscales sur l’impôt, successions, patrimoines ou encore classement des grandes fortunes… Ces nouvelles données ont fait l’objet d’un premier rapport publié en décembre 2017. Les inégalités globales de revenus ont augmenté et elles ont également augmenté dans toutes les régions du monde au cours des dernières décennies (de 1980 à 2016), mais à des rythmes différents. On peut associer aux trois manifestations de la pauvreté, les mêmes trois formes d'inégalités : inégalités monétaires, inégalités des conditions de vie et inégalités des chances. Comme précédemment se pose le problème de la mesure des différentes formes d'inégalités. 7 TSM Année Universitaire 2024-2025 C. Développement humain À la suite des travaux de F. Perroux, d’Amartya Sen et du Programme des Nations unies pour le développement, le développement peut se définir comme l’ensemble des changements qui améliorent les conditions d’existence d’une population et permettent l’expansion des « capabilités » humaines, c’est-à-dire des moyens de choisir librement son mode de vie. Les pauvres étant ceux qui ne possèdent pas les capacités à être ou à faire et n’ont donc pas la liberté de choisir leur vie. Le développement est le produit de stratégies mises en œuvre dans les années 1960, au moment de la décolonisation, à la suite des travaux de P. Rosenstein-Rodan. Ces stratégies ont eu des succès inégaux. La stratégie de promotion des exportations s’est révélée la plus efficace et a permis la forte croissance des pays émergents, tandis que de nombreux pays restaient à l’écart du développement, ce qui conduit à des inégalités de développement. De nombreux indicateurs permettent de mesurer ces inégalités entre les pays, au sein des pays, ou, au niveau mondial, entre les plus riches et les plus pauvres. Elles sont aujourd’hui considérables. Néanmoins, les différentes inégalités entre les pays ou au sein des pays, ainsi que les inégalités de revenu, de santé ou d’éducation n’évoluent pas nécessairement dans le même sens. Aujourd’hui, on constate une baisse des inégalités de revenus entre les pays mais une hausse des inégalités internes. La croissance rapide des pays émergents ne doit pas non plus masquer la persistance de la pauvreté absolue qui touche une large part de la population des pays en développement. Selon les inégalités étudiées, selon les pays retenus, on conclura à une hausse ou à une baisse des inégalités de développement. Les analyses des inégalités doivent donc être menées avec prudence. Les inégalités de développement se mesurent par des indicateurs quantitatifs comme le revenu national par habitant (indicateur du niveau de vie) et des indicateurs qualitatifs comme l’IDH. Pour mieux cerner les inégalités, le PNUD a mis en place de nouveaux indicateurs plus fins depuis 2010 (IDHI, IPM, IIG, IDG). Les indicateurs du développement du PNUD Depuis 1990, le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) a mis en place une série d’indicateurs dont l’objectif est de rendre compte des aspects quantitatifs et qualitatifs du développement. qL’IDH (indice de développement humain), créé en 1990 par A. Sen (économiste indien) et M. ul Haq (économiste pakistanais), est un indicateur synthétique du développement humain obtenu en agrégeant des indices élémentaires qui mesurent trois critères fondamentaux du développement : la santé, le savoir et le niveau de vie. Il permet de noter les pays sur une échelle de 0 à 1. Depuis 2010, la santé est mesurée par l’espérance de vie, le savoir par la durée moyenne et la durée attendue de scolarisation (le nombre d’années pendant lesquelles les enfants d’aujourd’hui peuvent espérer fréquenter l’école, si les taux de scolarisation se maintiennent) et le niveau de vie par le revenu national par habitant (RNB/h). L’IDH est une moyenne géométrique des trois indicateurs retenus pour mieux prendre en compte des différences d’évolution de chaque dimension. Par exemple, pour le RNB/h, c’est le logarithme népérien qui est retenu car la contribution du RNB/h au développement décroît au fur et à mesure que le niveau de revenu augmente. Mais l’IDH ne tient pas compte des inégalités et mesure mal les conditions de vie des populations les plus pauvres. C’est la raison pour laquelle, en 2010, le Pnud a publié de nouveaux indicateurs. qL’IDHI (indice de développement humain ajusté aux inégalités) tient compte des inégalités d’espérance de vie, de scolarité et de revenu en accordant un « malus » à la valeur moyenne de chaque dimension en fonction de son degré d’inégalité. L’IDHI est égal à l’IDH quand il n’y a pas d’inégalités, il diminue quand les inégalités augmentent. qL’IIG (indice d’inégalité de genre) prend en compte le niveau d’instruction, la participation économique et politique et les questions de santé spécifiques aux femmes (mortalité maternelle, forte fécondité des adolescentes notamment). L’indice varie de 0 (absence d’inégalité de genre) à 1. Plus l’indice est élevé, plus les différentes formes d’inégalités de genre se cumulent. Ainsi, une faible scolarité des filles va souvent de pair avec des difficultés d’accès à l’emploi et une mortalité maternelle élevée. L’IIG remplace l’indice sexospécifique de développement humain (ISDH) et l’indice de la participation des femmes (IPF). qL’IDG (indice de développement de genre) mesure les écarts de développement humain entre les hommes et les femmes dans trois dimensions (santé, éducation, niveau de vie). Les IDH des hommes et des femmes sont calculés séparément puis rassemblés dans un indice composite. Les pays sont classés en cinq groupes : du groupe 1 où l’égalité des scores d’IDH est élevée, au groupe 5 où les inégalités sont les plus fortes. qL’IPM (indice de la pauvreté multidimensionnelle) remplace l’indice de pauvreté humaine (IPH) et mesure les déficits en matière de santé, d’éducation et de niveau de vie, en tenant compte à la fois du nombre de personnes touchées par la pauvreté et de l’intensité de leurs privations. Pour la santé, sont retenues la nutrition et la mortalité infantile ; pour l’éducation, les années de scolarité et les enfants inscrits à l’école ; pour le niveau de vie, les combustibles de cuisson, les toilettes, l’accès à l’eau potable, l’électricité, la qualité du sol, les biens. 8 TSM Année Universitaire 2024-2025 L’amélioration de ces indicateurs fait partie des objectifs du millénaire pour le développement défini par l’ONU et des objectifs du développement durable définis en 2015. 9 TSM Année Universitaire 2024-2025 D. La croissance : La croissance économique est un phénomène de longue période qui se différencie de l’expansion, terme utilisé dans l’analyse des fluctuations et des cycles. La définition de François Perroux assimilant la croissance à l’augmentation de la production de l’économie d’un pays reste toujours une référence. Le taux de croissance de l’économie est ainsi mesuré par la variation du produit intérieur brut en volume. Néanmoins, les économistes sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à définir la croissance par l’augmentation en longue période de la production par tête. Cette croissance économique est caractérisée par des cycles. qLes cycles économiques désignent des mouvements récurrents et alternés de l’activité économique, d’amplitude et de périodicité régulières. Un cycle est caractérisé par quatre phases : l’expansion, la crise, la dépression la reprise. qL’expansion désigne une phase temporaire et réversible de l’activité économique : son taux de croissance est plus élevé que le trend (tendance annuelle moyenne) de longue période. Comme la production augmente, les entreprises ont d’importants besoins de main-d’œuvre et accordent des augmentations de salaire. Mais les entreprises veulent rattraper leurs coûts de production en hausse et gonflent leurs prix de vente. Les revenus augmentant, la demande croît rapidement, entretenant les tensions inflationnistes. La crise se prépare. qLa crise désigne le retournement de conjoncture : elle est marquée le plus souvent par un krach boursier. Celui-ci entraîne une brusque contraction des moyens de paiement, donc une évolution négative de la demande. Cette inversion brutale de la tendance se propage rapidement d’un pays à l’autre. qLa dépression est une phase de contraction cumulative de la production. La production et les prix baissent ; les revenus diminuent et le chômage augmente. Comme la demande a fortement baissé, les entreprises du secteur des biens de consommation éprouvent des difficultés à écouler leur production, donc baissent leurs prix de vente en rognant sur leurs marges. qKondratiev, économiste russe, a mis en lumière dès 1926, la notion de cycle économique dans son ouvrage Les Vagues longues de la conjoncture. Il y explique que chaque cycle dure entre 40 et 60 ans et alternent une phase ascendante (phase A) et une phase descendante (phase B). La succession de ces cycles s'explique selon lui par, lors de la phase A, d'un excès d'investissement des entreprises qui entraîne une hausse des prix et des taux d'intérêt, ce qui vient limiter la consommation et favorise une phase de crise. qSchumpeter explique, quant à lui, la mise en place d'une phase de croissance par l'innovation et le progrès technique. Dès qu'il y a mise sur le marché d'une invention, les agents économiques consomment pour s'équiper. Mais une fois que les marchés sont saturés, l'économie retombe jusqu'à une nouvelle « grappe » d'inventions. Quoi qu'il en soit, il est possible de constater, de 1850 à nos jours, plusieurs phases de croissance puis de crises : - De 1850 à 1873, on assiste à une phase de croissance économique importante. - De 1873 à 1896, il s'agit d'une période de dépression. - De 1896 aux années 1920 (à l'exception de l'épisode de la Première Guerre mondiale), il s'agit d'une phase de croissance. - De 1929 à 1945, la Grande Dépression s'installe à nouveau. - De 1945 à 1975, la croissance des Trente Glorieuses s'installe. - Depuis 1975, on assiste à une succession de crises dont les cycles semblent plus courts. 10 TSM Année Universitaire 2024-2025 Comment calcule-t-on la croissance ? La mesure du PIB et de la croissance obéit à des règles internationales. La définition et les méthodes de calcul du PIB sont établies par l’Organisation des nations unies (ONU) : elles sont les mêmes pour tous les pays. Au sein de l’Union européenne, la définition du PIB est détaillée dans un règlement dont l’application est contrôlée par l’office statistique de l’Union européenne (Eurostat). La croissance économique est quantifiée en additionnant les valeurs ajoutées des différentes branches. Selon l'INSEE, la valeur ajoutée est égale à la valeur de la production diminuée de la consommation intermédiaire. Il faut ensuite ajouter, au total des valeurs ajoutées, la TVA et les droits de douane de façon à mesurer le PIB aux prix du marché. Une des critiques adressées au PIB est, qu’il prend mal en compte les activités de l'économie souterraine : l'économie souterraine ou économie informelle, regroupe toutes les activités productrices qui échappent aux regards de l'État et à la comptabilité nationale. Au sens strict de l’Eurostat, cette économie comprend : les activités productrices licites mais non déclarées : fraude ou évasion fiscale d’entreprises déclarées, travail au noir ou production non déclarée d’entreprises n’ayant pas d’existence légale et les activités illicites telles que le trafic de drogue, la prostitution... qProduit intérieur brut (PIB) : agrégat qui mesure la richesse produite chaque année dans un pays. Somme des valeurs ajoutées brutes réalisées par les unités économiques résidentes plus les impôts sur la production moins les subventions sur les produits. 11 TSM Année Universitaire 2024-2025 Perspective historique q L’expérience de Speenhamland (1795-1834) La mise en place en Angleterre, à la fin du XVIIIe siècle, d’une loi sociale connue sous le nom de Speenhamland marque les débuts de l’histoire du revenu minimum. L’application de la mesure et les débats qu’elle a suscités ont malheureusement jeté un doute sur la volonté et la difficulté de garantir à tout individu un droit à la subsistance, un droit à la vie. Pourtant, cette expérience, au-delà de son objectif de justice sociale explicite, reste marquée par une réelle efficacité économique et sert de référence dans les débats contemporains sur le revenu universel de base. Par exemple, en 2021, l'Espagne a introduit le revenu minimum vital (RMV), destiné à réduire la pauvreté et l'exclusion sociale. La lutte contre la pauvreté a représenté au cours de notre histoire une des modalités particulières de l’intervention de l’État-nation. La responsabilité morale du pouvoir politique a fréquemment été soulignée et, même si la responsabilité individuelle des pauvres fut souvent avancée, elle ne servit jamais de prétexte à une absence totale de secours, car les pauvres ont toujours été perçus comme une menace pour le pou- voir en place. Tour à tour réprimés ou valorisés, emprisonnés ou secourus, les pauvres ont fait l’objet alternativement ou simultanément de politiques charitables et de politiques d’enfermement. A l’heure où les débats sur le revenu minimum et l’allocation universelle se sont à nouveau engagés, faisant passer leurs concepteurs le plus souvent pour les utopistes des temps modernes, il est intéressant de s’interroger sur la portée de cette politique sociale sans précédent dans l’histoire et sur sa véritable signification. S’agissait-il de mettre en partition le principe du droit à la vie, perçu au fil du temps comme étant aussi sacré que le droit de propriété, ou tout simplement s’agissait-il d’une réponse endogène à un problème économique conjoncturel d’une exceptionnelle gravité ? Speenhamland est une petite ville anglaise rendue célèbre par la loi sur les pauvres qu’elle a instaurée à la toute fin du XVIIIe siècle et qui a duré presque 40 ans (1795-1834) L’expérience de Speenhamland (1795-1834) fait désormais figure de précédent fameux en histoire économique et sociale. Une telle notoriété doit beaucoup à Karl Polanyi qui, dans son maître-livre, La grande transformation, accorde une place de choix à cet épisode de l’histoire anglaise. Le contexte politique, économique et social Cette loi a été édictée au début de la révolution industrielle anglaise, révolution qui a entraîné une transformation sociale sans précédent, excluant des petits paysans anglais de leurs terres et les obligeant à devenir ouvriers, les terres étant récupérées pour l’élevage des moutons, matière première indispensable à l’industrie du tissage de la laine. Elle avait pour but méritoire d’éviter à ces petits paysans, qui auparavant ne mouraient jamais de faim grâce à leur travail de la terre, de ne pas mourir de faim non plus en tant qu’ouvrier, grâce au complément distribué par les paroisses qui le mettaient en place. Cette expérience se déroule dans la période appelée « révolution industrielle » qui est une période intéressante pour la question qui nous occupe. En effet, période d’innovation et de croissance, elle est, pourtant souvent associée à la paupérisation des populations. La vision standard de la révolution industrielle dans le grand public est qu’elle aurait conduit à la paupérisation généralisée de personnes qui jusqu’alors vivaient dans la joie et l’abondance. Cette vision a été entretenue par l’art (peinture, littérature) et par des économistes influencés par la pensée marxiste, qui estiment que la révolution industrielle a vu apparaître une nouvelle classe sociale, les ouvriers (souvent des artisans ou des paysans ayant dû changer d’activité) dont les conditions de travail se sont avérées mauvaises. Certains auteurs estiment que la pauvreté a globalement reculé dans les pays connaissant la révolution industrielle et que les revendications sociales qui accompagnent cette révolution sont la preuve que la pauvreté jusque-là acceptée est de moins en moins tolérée. Exemple : « L’augmentation même de la richesse et du bienêtre à laquelle on était parvenu augmentait les niveaux de vie et les aspirations. Ce qui semblait depuis des âges une situation naturelle et inévitable, ou même comme une amélioration par rapport au passé, en vint à être regardé comme incongru avec les opportunités que le nouvel âge apparaissait offrir. La souffrance économique devint à la fois plus visible et sembla moins justifiée, parce que la richesse générale étaient en train d’augmenter plus vite que jamais auparavant. » F.A. Hayek, “History and Politics,” in Capitalism and the Historians, ed. F.A. Hayek (Chicago: University of Chicago Press, 1954 Il convient de rappeler que la pauvreté existait bien avant la révolution industrielle. L’essentiel de la population vit dans des conditions d’extrême pauvreté au Moyen-Age. La majeure partie de la population parvient à peine à satisfaire ses besoins les plus élémentaires. Parce qu’elle est généralisée cette pauvreté n’entraîne pas d’exclusion sociale. Les pauvres se distinguent peu des autres couches de la population. Leur situation est courante et renvoie au problème plus général d’une région ou d’une localité donnée qui a toujours été pauvre. Certaines villes du Nord ou de l’Est de la France connaissent cette réalité. Les personnes « pauvres » forment un groupe social étendu, elles ne sont pas fortement stigmatisées. Elles sont acceptées dans leur environnement et les collectivités territoriales se doivent de leur apporter soutiens et aides spécifiques.) L’expérience de Speenhamland montre que la question de la pauvreté est une question prise en compte et cette expérience pose les débats toujours actuels entre recherche de la croissance et réduction de la pauvreté. 12 TSM Année Universitaire 2024-2025 L’objet de cette loi était de complémenter le salaire des ouvriers, si celui-ci ne permettait pas à l’ouvrier et à sa famille de vivre de son travail. Le complément, indexé sur le prix du pain, disparaissait si le salaire atteignait un certain niveau minimal. « Les juges (justices) du Berkshire, réunis tôt le matin du 6 Mai 1795, en un temps de grande détresse, à l’auberge du Pélican, à Speenhamland, décidèrent qu’il fallait accorder des compléments de salaire (subsidies in aid of wages) conformément à un barème indexé sur le prix du pain, si bien qu’un revenu minimum devait être assuré aux pauvres indépendamment de leurs gains. Voici ce que disait la fameuse recommandation des magistrats : « quand la miche d’un gallon de pain d’une qualité déterminée coûtera 1 shilling, alors chaque pauvre et industrieuse personne aura pour son soutien 3 shillings par semaine par une allocation tirée de l’impôt pour les pauvres (poor rates), et pour le soutien de son épouse et de chaque membre de sa famille, 1 shilling 6 pence ; pour chaque penny dont le prix du pain augmente au-dessus de 1 shilling, il aura 3 pence pour lui-même et 1 penny pour les autres ». Cette loi a été édictée au début de la révolution industrielle anglaise, révolution qui a entraîné une transformation sociale sans précédent, excluant des petits paysans anglais de leurs terres et les obligeant à devenir ouvriers, les terres étant récupérées pour l’élevage des moutons, matière première indispensable à l’industrie du tissage de la laine. Elle avait pour but méritoire d’éviter à ces petits paysans, qui auparavant ne mouraient jamais de faim grâce à leur travail de la terre, de ne pas mourir de faim non plus en tant qu’ouvrier, grâce au complément distribué par les paroisses qui le mettaient en place. ll s’agit de soulager la détresse des plus démunis tandis que l’environnement économique se détériore rapidement du fait de la guerre avec la France et des mauvaises récoltes des années précédentes, qui renchérissent les denrées alimentaires de base. Mais il s’agit également de faire pièce à l’agitation sociale en évitant que les émeutes de la faim qui éclatent ici et là ne débordent sur le terrain politique. L’« acte de Speenhamland » s’efforce alors de répondre à ce double risque de famine et de désordre. Les économistes au cœur du débat Au début du XIXe siècle, Speenhamland se trouve en effet au centre d’un débat passionné – et décisif – opposant ceux pour qui la pauvreté résulte de l’inaction politique ou de la défaillance des lois à ceux qui feront de ces lois, précisément, la cause de la pauvreté qu’elles devaient combattre. La mise en place de Speenhamland ouvrit un important débat au sein des économistes, largement repris par les députés au Parlement entre 1795 et 1834, date d’abrogation de la loi. Tous les économistes ne furent pas adversaires de cette politique sociale inédite, même si en ce domaine il y eut prédominance de la pensée libérale. Des partisans de Speenhamland existèrent, et pas seulement chez les utopistes défenseurs d’un revenu d’existence. Quelques années avant la publication de l’Essai de Malthus, un certain nombre d’auteurs, en particulier le pasteur Townsend (1786), E. Burke (1795) et F. Eden, auteur d’une importante enquête en trois volumes sur la condition des pauvres (1797) Bentham (1797), considérèrent ces aides comme une politique de désincitation au travail et d’encouragement à la paresse. Malthus et la plupart des économistes de sa génération reprirent à leur compte ces critiques en condamnant avec violence ces lois qui étaient devenues une machine à fabriquer des pauvres et qui, faute de les faire disparaître, constituaient une première cause de croissance démographique. Non seulement ces lois favorisent la croissance du nombre de pauvres, mais encore elles appauvrissent les catégories de personnes situées socialement juste au-dessus, car toute augmentation des prix des subsistances provoquée par les effets démographiques de la loi sur les pauvres risquerait de réduire le pouvoir d’achat des gens moins pauvres. L’issue de ce débat va sceller le sort de Speenhamland : en 1834, le législateur prive les individus de ce « droit de vivre » qui leur avait été concédé et leur impose désormais de réagir aux signaux du marché. L’expérience de Speenhamland (1795-1834) fait désormais figure de précédent en histoire économique et sociale. Une telle notoriété doit beaucoup à Karl Polanyi qui, dans son maître-livre, « La grande transformation », accorde une place de choix à cet épisode de l’histoire anglaise. Conclusion En raison de son caractère inédit, l’expérience de Speenhamland constitue un point de référence riche et incontournable dans notre histoire sociale, qu’il convient de ne pas oublier au moment où s’engage un débat à propos de l’allocation universelle. Pour la première fois dans l’histoire, le droit à la subsistance pour tous non seulement était reconnu, mais devait être appliqué. Pouvait-on imaginer qu’une telle utopie puisse dépasser le stade simplement expérimental et être réalisable à l’échelle d’un pays ? Les prédictions les plus sombres des économistes finirent par mettre un terme à une poli- tique jugée un peu trop vite inefficace et coûteuse. Speenhamland n’aurait-il été alors qu’une fable naïve sans intérêt scientifique ? Pourtant, deux siècles plus tard et suite à un laborieux travail de décodage qui a permis de découvrir le véritable message dont il était porteur, les certitudes et les vérités premières disparaissent devant des analyses contemporaines convergentes, plus audacieuses et plus incisives. Le droit à la subsistance pour tous s’efface comme justificatif au profit d’une interprétation ex-post en termes d’efficacité économique : les poor laws, Speenhamland en particulier, ont contribué dans une certaine mesure à faciliter le passage de la révolution agricole à la révolution industrielle en amortissant les secousses sociales et les problèmes inhérents à toute période transitoire. Le message méritait d’être rappelé à une époque marquée par le passage progressif de l’ère industrielle à l’ère de l’information, durement frappée par le niveau exceptionnel de pauvreté et de chômage, et qui a trop souvent tendance à opposer efficacité économique et justice sociale. 13 TSM Année Universitaire 2024-2025 Une théorie q La courbe de Kuznets Simon Kuznets (1901 – 1985), économiste américano-russe, a proposé une théorie selon laquelle les inégalités économiques suivent une courbe en forme de U inversé au cours du développement économique d'un pays. Cette courbe de Kuznets montre que les inégalités augmentent dans les premières phases de développement économique, atteignent un sommet, puis diminuent à mesure que le pays continue de se développer. Toutefois, il serait pertinent de mentionner les travaux récents, notamment ceux de Thomas Piketty, qui contestent cette théorie. Dans son ouvrage Le Capital au XXIe siècle (2013), Piketty montre une augmentation des inégalités dans les pays développés depuis les années 1980. Il soutient que, sans intervention redistributive, les rendements du capital surpassent la croissance économique, ce qui exacerbe les inégalités plutôt que de les réduire. Ces recherches remettent en question l'idée que les inégalités diminuent nécessairement à long terme avec la croissance économique. 14 TSM Année Universitaire 2024-2025 Deuxième partie La croissance permet-elle de réduire la pauvreté et les inégalités ? Introduction Depuis le XIXe siècle, la croissance économique n'étant pas chose la mieux partagée sur terre, le développement économique des uns provoque également le sous-développement des autres, donc la hausse des inégalités internationales, c'est- à-dire la divergence des PIB/hab. Néanmoins, depuis les années 1980, la croissance économique rapide des pays émergents a eu pour effet d'inverser la dynamique des inégalités internationales de PIB/hab., contribuant à les diminuer significativement. S’agissant des inégalités économiques internes à une économie, la courbe de Kuznets offre une première approche : la croissance économique s'accompagne de la hausse puis de la baisse des inégalités économiques. Le développement économique depuis le XIXe siècle s'accompagne ainsi jusqu'aux années 1970 d'une évolution des inégalités internes non monotone. La courbe de Kuznets a été critiquée par Thomas Piketty du fait de la réouverture des inégalités économiques internes dans les PDEM depuis les années 1980. De quoi discuter la thèse du ruissellement, c'est-à-dire du rôle a priori favorable à la croissance économique de la réouverture des inégalités économiques dans les PDEM depuis les années 1980. Conformément à la courbe Kuznets, le rattrapage économique des émergents à partir de niveaux très faibles de PIB/hab. s'est néanmoins accompagné de la hausse des inégalités internes dans ces pays. Dans quelle mesure la croissance économique permet-elle de réduire la pauvreté et les inégalités ? Ainsi si la croissance est une condition nécessaire pour réduire la pauvreté, voire les inégalités (I), elle ne saurait être suffisante pour permettre sa résorption (II) ; mais le haut niveau des inégalités internes dans les émergents comme dans les PDEM semble désormais être un obstacle à la poursuite de la croissance (III). I. La croissance est une condition nécessaire à la réduction de la pauvreté A. La pauvreté augmente dans les périodes de dépression Þ Sur une approche historique on ne peut que constater que la pauvreté devient une question sociale lors de grandes crises économiques. Rappel : 3 grands moments de dépression depuis le milieu du XIXe siècle : q « Grande Dépression » de 1873-1896 q « Crise » des années 1930 q « Crise » depuis 2008 q La crise des années 1870-1880 : Cette crise est pensée en terme de pauvreté et de chômage. Rappel : « La grande dépression » fut une période de difficultés économiques qui se manifesta d’abord dans les pays germaniques, à partir du krach de la bourse de Vienne de 1873, puis aux États-Unis. La pensée libérale vient se heurter à un constat établi durant cette grande dépression : parmi tous les marchés que la pensée économique libérale suppose capable de s’équilibrer spontanément, il en est un qui, décidément, est différent des autres, celui du travail. Dans les grands pays nouvellement industrialisés (Grande-Bretagne, États-Unis, Allemagne, France, pays nordiques), des réformateurs sociaux imaginent des législations visant à protéger les travailleurs. Ex : En Allemagne, Bismarck pense intégrer les ouvriers à l’Empire en menant une politique sociale ambitieuse (lois créant l’assurance-maladie, un système de retraite, et obligeant les patrons à indemniser les accidents de travail, etc.). L'État social moderne, ou État-providence, naît. Cette législation sociale contribue à l'amélioration de la condition ouvrière. Attention : le système dit « Bismarckien » arrive après le vote de lois d'exception : par la loi dite antisocialiste le 21 octobre 1878. qÉtat providence : État qui garantit une protection sociale (indemnités de chômage, retraites, Sécurité sociale). Le terme allemand est Sozialstaat. q La crise des années 1930 s’est accompagnée d’une augmentation de la pauvreté qui a inspiré les artistes américains et a affaibli plus encore les théories libérales : 15 TSM Année Universitaire 2024-2025 Rappel : Les agriculteurs sont parmi les plus durement touchés par la crise : littéralement ruinés par l’effondrement des cours agricoles, ils sont contraints de céder leur terre à vil prix pour tenter de faire face à leurs charges d’endettement. Certains reprennent une nostalgique migration vers l’Ouest en quête de l’illusoire paradis californien qui n’est pourtant pas non plus épargné par la crise. Le cas des Okies, les habitants de l’Oklahoma qui prennent la Route 66, a été immortalisé par le roman de John Steinbeck Les Raisins de la colère (1939) ; Le célèbre roman de John Steinbeck, Les raisins de la colère (1939), montre l'ampleur de la pauvreté et de la misère dans les campagnes des États- Unis. Il décrit l'exode forcé des paysans ruinés de l'Oklahoma et de l'Arkansas vers la Californie, à la fois victimes de la crise économique et des calamités naturelles (grande sécheresse de 1934). La misère paysanne est bien connue grâce au reportage photographique que la Farm Security Administration a commandé à Dorothea Lange pour en témoigner. La paupérisation de la société remet en cause le modèle américain. Ainsi la misère sociale devient particulièrement visible dans les sociétés occidentales et les manifestations de chômeurs revendiquant le droit au travail se multiplient dans plusieurs pays afin d’alerter les pouvoirs publics sur une situation inacceptable. ZOOM : Les interprétations de la crise La crise de 1929 a suscité, dès son époque, de nombreuses controverses théoriques chez les économistes comme chez les historiens. Encore aujourd'hui, expliquer les causes et les mécanismes de la crise n'est pas aisé. Les modèles économiques traditionnels du XIXe siècle, c'est-à-dire le modèle libéral et le modèle marxiste, proposent des explications peu convaincantes. - Pour les libéraux, une crise économique n'est qu'un dérangement temporaire et normal du marché ; elle se résout d'elle- même si on laisse agir les mécanismes du marché, sans intervention de l'État. Il faut donc appliquer ces mêmes recettes que pour les précédentes crises (celle de 1920-1921 ou celle de 1873). - Les marxistes, eux, pensent que la crise de 1929, par son ampleur inédite, valide leur thèse selon laquelle l'heure de la fin du système capitaliste serait enfin arrivée. Ce serait en quelque sorte la crise finale du capitalisme. Ces explications demeurent toutefois insuffisantes aux yeux de plusieurs économistes, qui tentent alors des analyses novatrices. - C'est le cas de John Maynard Keynes, un économiste britannique très célèbre depuis qu'il a participé à la conférence sur la paix en 1919 et qu'il a rédigé un livre analysant les impacts économiques du traité de Versailles (Les conséquences économiques de la paix, 1919). Après la publication de plusieurs articles sur la crise de 1929, il rédige un livre qui résume toute sa pensée économique et connaît un immense succès : Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie (1936). Keynes s'oppose à la doctrine libérale : pour sortir de la crise, il faut appliquer d'autres solutions que celles qui sont habituellement pratiquées depuis le XIXe siècle. Il ne partage pas l'optimisme des libéraux qui pensent que le marché conduit toujours au meilleur équilibre possible ; il affirme au contraire qu'une économie peut s'installer durablement dans un équilibre de sous-emploi. Il dénonce les effets contre-productifs des politiques libérales : la baisse des salaires et des prix, donc une politique déflationniste, ne peut que réduire la consommation et décourager l'investissement. Au contraire des libéraux, Keynes estime que l'État doit impérativement intervenir : il faut une politique de l'offre, la seule à même de stimuler la demande et de relancer la consommation. Keynes recommande donc de pratiquer le déficit budgétaire et de mener une politique de grands travaux pour réduire le chômage et fournir l'impulsion initiale pour faire sortir l'économie de son état dépressif. Cette intervention doit bien entendu demeurer conjoncturelle : Keynes est contre toute étatisation de l'économie. - - Dans les années 1970, l'économiste libéral Milton Friedman, fondateur de l'école monétariste, considère que la cause principale de la crise de 1929 est une mauvaise politique monétaire menée par les États-Unis. La FED (banque centrale) ne serait pas assez intervenue pour faire face à la chute de la masse monétaire puis, en baissant les taux d'intérêt après le krach boursier, elle aurait réduit encore un peu plus les profits des banques, accélérant leur faillite. 16 TSM Année Universitaire 2024-2025 q La crise des subprimes en 2007 et la crise financière de 2008. Les États-Unis sont si endettés qu'ils dépendent des réserves financières des pays émergents comme la Chine. Cet affaiblissement de la puissance américaine n'a pas pour autant permis l'avènement d'un nouveau leader mondial. (Notons que la croissance aux États-Unis est repartie, portée par la haute technologie et l'exploitation des hydrocarbures de schiste) 2 : Les mécanismes de la crise de 1929 1 : Les mécanismes de la crise de 2008 17 TSM Année Universitaire 2024-2025 B. Croissance et réduction de la pauvreté 1. La pauvreté a globalement reculé au XXe siècle en parallèle à la croissance q Dans le sens de cette affirmation, notons, que la pauvreté a globalement reculé dans le monde en parallèle à la croissance. Toutes les régions du monde ont vu l’extrême pauvreté reculer au cours des trente dernières années, alors même qu’elles sont confrontées à une pression démographique souvent considérable. q En Asie de l’Est et Pacifique, la réduction est spectaculaire. En 2013, 74 millions de personnes vivaient avec moins de 1,90 dollar par jour dans cette région du monde (soit 3,7 % de la population), alors qu’elles étaient plus d’un milliard en 1981 (80,5 % de la population). La Chine et le Vietnam ont largement contribué à ce phénomène. Même l’Afrique subsaharienne – que l’on disait condamnée au sous-développement – suit le mouvement. q La croissance est une condition nécessaire pour réduire la pauvreté, mais elle ne suffit pas à elle seule. Des politiques redistributives et des investissements dans le capital humain sont essentiels pour assurer une croissance inclusive. Les mesures prises pendant la pandémie de COVID-19, comme les plans de relance économique et les aides sociales, ont montré l'importance de l'intervention de l'État pour soutenir les populations vulnérables. Aux États-Unis, par exemple, le Plan de sauvetage américain de 2021 a fourni des paiements directs aux familles et élargi les allocations de chômage, aidant ainsi à réduire la pauvreté. 18 TSM Année Universitaire 2024-2025 C. Pour certains observateurs, les inégalités ont également diminué. Après la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux années 1970, la croissance des économies développées s'est en revanche accompagnée d'une réduction des inégalités économiques en leur sein, même si par ailleurs les inégalités internationales poursuivaient leur hausse. La diffusion du compromis fordien, le développement de l'État-providence et du keynésianisme ont largement contribué à la réduction des inégalités internes dans le contexte de l'après-Seconde Guerre mondiale. La réduction des inégalités internes est vue comme un moyen de favoriser la croissance économique en soutenant la demande effective par la redistribution et en favorisant l'accumulation de capital humain, notamment par la prise en charge collective de l'éducation et de la santé. Rappel : qLa théorie de Keynes a pour postulat que l’État doit intervenir dans l’économie de deux façons : – en relançant l’offre d’emplois – en stimulant la demande par la distribution de pouvoir d’achat par des allocations diverses. Pour financer ces dépenses, l’État doit accepter un déficit budgétaire – un déficit de relance – qui sera comblé une fois la prospérité revenue. Le keynésianisme va à contre-courant de la pensée libérale traditionnelle qui prônait le « laisser faire, laisser passer », c’est-à-dire la non-intervention de l’État ; ; l’« État-gendarme » est remplacé par l’« État-providence ». Si on regarde les inégalités globales et entre pays, on peut faire le même constat celle d’une réduction. Après pratiquement deux siècles de hausse continue des inégalités entre les citoyens du monde, à la suite de la révolution industrielle, ce processus s'est ralenti, puis renversé depuis une vingtaine d'années. Cette rupture de tendance est le résultat d'une forte baisse des inégalités économiques entre pays, notamment entre pays développés et pays en développement, depuis les années 1990. La réduction des inégalités internationales (entre pays) est due à la croissance exceptionnelle des pays émergents, notamment asiatiques. Un processus de rattrapage s'est engagé à la fin du XXe siècle en Chine, en Inde, en Indonésie, au Brésil, au Chili. Il s'est étendu à une grande partie des pays en développement, y compris l'Afrique subsaharienne. L'ouverture internationale, l'insertion dans la division internationale du travail, l'accès aux marchés et aux technologies des pays du Nord ont été des facteurs incontestables d'accélération de la croissance des économies émergentes et d'amélioration du revenu moyen par tête depuis 1990 (+ 8% par an en Chine, + 4% en Inde). Du fait de leur poids très important dans la population mondiale, la Chine et l'Inde contribuent très largement, par leur essor économique, à la réduction des inégalités entre les habitants de la planète. Cette diminution de l'inégalité mondiale masque cependant des évolutions moins favorables qu'il ne faut pas négliger. L’extrême pauvreté s'enracine en Afrique subsaharienne où elle frappe encore 35,2% de la population. Selon la Banque mondiale, la région abrite ainsi, à elle seule, la moitié des plus défavorisés du globe. La situation est particulièrement préoccupante dans les deux pays les plus touchés sur le globe, Madagascar et la République démocratique du Congo, dont quelque 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté. A l’échelle mondiale, a longtemps prévalu le dogme, qui semble donc se confirmer, selon lequel le commerce accroît de toute façon la « taille du gâteau », la pauvreté qui suit parfois l’ouverture commerciale étant ainsi considérée comme un phénomène simplement relatif (le résultat de distorsions), rarement comme une perte nette de richesse induite par les variations des termes de l’échange. Ce dogme s’appuie sur le principe de l’avantage comparatif démontré par David Ricardo en 1817. Selon cette théorie, bénéficient du libre-échange tous les pays qui se spécialisent dans la production pour laquelle ils disposent de la productivité la plus élevée, relativement à leurs partenaires. Seule la comparaison des productivités relatives importe, et il n’est donc nul besoin pour un pays d’avoir un avantage absolu dans l’une ou plusieurs des différentes productions pour tirer parti de la participation à l’échange. Rappel : David Ricardo a présenté le problème de l’échange international en le résumant à l’échange de deux produits, le vin et le drap, entre deux pays, le Portugal et le Royaume-Uni. Dans son exemple, le Portugal possède un avantage absolu dans les deux productions. Cette hypothèse, volontairement irréaliste, permet de montrer que le commerce international est fondé sur les différences de coûts comparatifs et non les sur les différences de coûts absolus. 19 TSM Année Universitaire 2024-2025 q Le principe de l’avantage comparatif démontré par David Ricardo en 1817 1. Selon Adam Smith, la spécialisation d’une nation est fondée sur ses avantages absolus : un pays se spécialise dans les productions dans lesquelles il est plus productif que ses concurrents car ses coûts unitaires sont alors plus faibles et il détient un avantage de compétitivité-prix. 2. Selon Adam Smith, l’échange entre l’Angleterre et le Portugal est impossible car l’Angleterre ne détient aucun avantage absolu : la productivité est plus faible que le Portugal dans les productions de vin et de drap. 3. Un pays possède un avantage absolu dans une production lorsque la productivité est supérieure et le coût de production inférieur à ceux des autres pays. Un pays possède un avantage comparatif dans la production d’un bien ou d’un service si le coût relatif de ce bien ou service par rapport à un autre bien ou service dans le pays est inférieur au coût relatif de ces deux biens ou services dans les autres pays. 4. Après la spécialisation, le Portugal produit 2,125 (170/80) unités de vin et l’Angleterre produit 2,2 (220/200) unités de drap : il y a donc croissance au sein de chaque pays et au niveau mondial. 5. La spécialisation permet des gains mutuels à l’échange : – Le Portugal a un surplus de 1,125 unité de vin : en échangeant celui-ci avec l’Angleterre, il se procure 1,35 (1,125 x 1,2) unité de drap alors qu’il ne produisait auparavant qu’une unité de drap. – L’Angleterre a un surplus de drap de 1,2 unité de drap : en échangeant celui-ci avec le Portugal, elle se procure 1,35 (1,2 x 1,125) unité de vin alors qu’elle ne produisait auparavant qu’une unité de vin. 20 TSM Année Universitaire 2024-2025 II. La croissance n’est pas une condition suffisante pour réduire la pauvreté et les inégalités. A. La croissance peut être appauvrissante Jagdish Bhagwati a ainsi montré en 1958 la possibilité d’une croissance paradoxalement « appauvrissante » dans les pays assez grands pour que les variations de leurs exportations aient un impact sur les prix mondiaux (comme la Chine, l’Inde ou le Brésil). q Croissance appauvrissante : Un pays ouvert au commerce international connaît une croissance appauvrissante lorsque sa spécialisation dans la production d’un bien conduit à une diminution du revenu par tête. Dictionnaire de science économique, Alain Beitone, Antoine Cazorla, Estelle Hemdane, Armand Colin, 2016 La croissance peut être appauvrissante Des économistes ont contesté la validité actuelle du principe de Ricardo. Le principe est le suivant : un accroissement des exportations du bien pour lequel le pays a un avantage comparatif, favorisé par exemple par un progrès technologique dans ce secteur, conduit à une baisse du prix mondial du bien exporté. Sous certaines conditions (notamment une faible élasticité-prix de la demande, car le prix du bien est alors déterminé par l’offre), la hausse de la production entraîne une dégradation des termes de l’échange, qui se traduit par une perte de revenu. Lorsque cette perte de revenu n’est pas compensée par la hausse des ventes, le pays s’appauvrit – tout en produisant davantage. Cependant, les conditions d'apparition d'une croissance appauvrissante sont très restrictives. Déjà, un tel résultat nécessite que le pays dispose d'une offre d'exportations significative au plan mondial. Ceci étant posé, il faut que la demande et l'offre mondiale pour le produit exporté soient très peu élastique au prix. Dans ce cas, le supplément d'offre doit provoquer une baisse du prix mondial telle que la croissance des exportations en volume ne suffit plus à empêcher leur dégradation en valeur. Enfin, il faut que le pays connaisse une croissance très biaisée à l'exportation, ce qui suppose implicitement un degré d'ouverture sur l'extérieur très élevé. Dans les faits, aucun pays ne réunit l'ensemble de ces conditions et la croissance appauvrissante demeure un résultat purement théorique. B. Il semble intéressant d’aller regarder du côté de pays qui ont connu un fort taux de croissance à partir des années 1990 Coutumier de taux de croissance proches des deux chiffres, le groupe que forment ces cinq pays – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – a un nom, l'acronyme "Brics", formé des initiales du nom de ces même pays en anglais (Brazil, Russia, India, China, South Africa). Les Brics, qui représentent près de la moitié de la population mondiale et plus de 20% du produit intérieur brut (PIB) mondial, se réunissent depuis 2011 pour un sommet annuel. PIB : taux de croissance annuel moyen en volume, 1990-2014 (en pourcentage) Comme nous pouvons l’observer dans le graphique qui illustre l’évolution du produit intérieur brut par habitant des BRICS pendant les deux dernières décennies, le regroupement, sous un même concept de pays présentant des 21 TSM Année Universitaire 2024-2025 différences importantes risque de gommer, en surface, l’hétérogénéité réelle qui existe à l’intérieur de cette classification, faisant douter de sa validité à moyen et long terme. Le rythme de la croissance économique et l’évolution des inégalités diffèrent largement d’un pays à l’autre. La montée des inégalités s’est produite dans des situations et selon des mécanismes très différents. Trois trajectoires différentes peuvent être distinguées : - à une extrémité on trouve le Brésil, seul pays du groupe où une croissance importante de la production s’est accompagnée d’une diminution des inégalités de revenus et d’une réduction de la pauvreté (notamment dans les années 2000). L’exemple du Brésil a été considéré comme instructif quant à la possibilité d’une amélioration des inégalités économiques dans un contexte de croissance et d’ouverture. Les efforts du pays pour faire face à l’énorme inégalité historique de la société brésilienne ne sont pas suffisants mais démontrent qu’il est possible d’avoir une croissance économique tout en diminuant les inégalités. Cependant, ce modèle est aujourd’hui fortement fragilisé. L'indice de Gini a atteint 0,522 en 2016, contre 0,514 en 2015. L'augmentation des inégalités s'explique par la combinaison de deux facteurs : une inflation élevée et un chômage en forte hausse - à l’autre extrémité on trouve deux pays – Russie et Afrique du Sud –, où dans un premier temps, (années 1990) la pauvreté a augmenté de manière concomitante à la hausse des inégalités dans un contexte de crise économique et sociale. Dans un deuxième temps (années 2000), une forte croissance économique a donné lieu à une réduction de la pauvreté sans que pour autant les inégalités aient diminué de manière importante. Dans le cas de l’Afrique du Sud, la hausse des inégalités observée après la chute de l’apartheid, dans la deuxième moitié des années 1990, a eu lieu dans un contexte de croissance modérée et avec un climat social très détérioré. Durant les années 2000, la croissance s’améliore et une politique sociale plus intense fait reculer la pauvreté, mais l’Afrique du Sud reste parmi les pays les plus inégaux de la planète. Le cas russe montre la brutale expansion des inégalités dans un contexte de crise économique et sociale aiguë après la transformation post-socialiste, tout au long des années 1990. La récupération économique et l’amélioration des conditions sociales et institutionnelles ont réussi à diminuer de façon importante la pauvreté dans la première décennie des années 2000, mais le niveau des inégalités n’a guère évolué. - Enfin, la Chine et l’Inde qui – ayant une économie en forte croissance – ont enregistré, tout au long de la période (années 1990 et 2000), une forte hausse des inégalités, mais sont parvenus à réduire la pauvreté. L’exemple des Brics tend à montrer que la croissance ne s’accompagne pas d’une réduction systématique des inégalités mais, au contraire, depuis une vingtaine d’années, d’une augmentation des inégalités à l’intérieur des pays. Þ Nous pouvons donc en déduire que s’il n’existe aucun doute sur une interaction entre croissance et réduction de la pauvreté, en particulier de la pauvreté extrême, au contraire, le lien avec les inégalités est plus complexe. Ce lien est dépendant d’autres facteurs, notamment politiques, avec un rôle de l’État en faveur d’un développement plus inclusif. Þ La croissance peut s’accompagner d’une aggravation des inégalités, autrement dit la croissance n’est pas nécessairement inclusive. Lors d’une reprise économique, même faible, la baisse du chômage et la création d’emplois sont susceptibles de réduire les inégalités de revenu. Pour autant, une reprise peut également accroitre les inégalités en dopant les revenus du capital et en développant davantage l’emploi et les salaires parmi les ménages les plus aisés. Qui, plus est, la reprise actuelle est souvent allée de pair avec des restrictions budgétaires destinées à restaurer la viabilité des finances publiques qui ont, dans certains cas durci les conditions d’accès aux transferts sociaux. Dans les faits, au cours de ces sept dernières années, les inégalités de revenus sont restées à des niveaux historiques. ü La situation des BRICS montre que la croissance ne réduit pas les inégalités ü Les inégalités au sein des pays ont augmenté 22 TSM Année Universitaire 2024-2025 III. Des inégalités fortes : un frein à la croissance ? A. Des inégalités trop élevées sont génératrices d’externalités négatives qui peuvent faire obstacle à la croissance économique d’un pays. Des rapports de l’OCDE et du FMI (2015) en soulignent le poids des inégalités économiques dans le ralentissement de la croissance économique : entre 1985 et 2005, le creusement des inégalités a fait perdre près de 5 points de croissance aux pays développés entre 1990 et 2010, ce qui est considérable. Une des explications tient à la difficulté pour les ménages de milieux socioéconomiques modestes de financer leur formation et d’accumuler du capital humain, considéré comme un facteur clé de la croissance économique ( cf. les travaux de G. Becker). Le rapport de l’OCDE « L’ascenseur social en panne ? comment promouvoir la mobilité sociale ? » souligne ainsi que « les inégalités de revenus compromettent les possibilités de se former pour les populations défavorisées, limitant de fait » le développement des compétences », l’égalité des chances et les possibilités de mobilité sociale. Les inégalités économiques constituent un véritable frein à l’accumulation du capital humain et à la croissance économique, d’autant plus dans un contexte mondialisé qui exacerbe la concurrence entre travailleurs qualifiés et non qualifiés. Le débat entre les deux thèses renvoie à deux visions de la croissance : une vision dite endogène de la croissance qui s’oppose à une vision exogène portée par Solow (prix Nobel d’économie en 1987). o Dans le modèle de Solow, l’augmentation des facteurs de production (travail et capital) explique une part de la croissance. C’est donc parce qu’il y a une augmentation de la population (facteur travail) et des investissements (facteur capital), qu’il y a de la croissance. Toutefois, la plus grande part de la croissance n’est pas expliquée par ces deux facteurs, mais est due à un « facteur résiduel ». Il s’agit du progrès technique, dont on ne connaît pas vraiment l’origine (certains disent que c’est un facteur « tombé du ciel »). Les causes de la croissance (augmentation de la population et progrès technique) sont donc exogènes : le modèle n’explique pas leur origine. Ce modèle est en équilibre stable : à long-terme, l’économie converge vers un « état stationnaire », où l’activité économique évolue au même rythme que la population. o Les théories de la croissance endogène remettent en question l’idée d’un progrès technique exogène cad prenant naissance indépendamment du système économique. La théorie de la croissance endogène met en évidence quatre facteurs qui influent favorablement sur le taux de croissance économique. - Les rendements d’échelle croissants au niveau macro-économique : les rendements d’échelle sont croissants lorsque la quantité produite augmente plus vite que les quantités de facteurs mises en œuvre. - L’intervention de l’État qui investit dans des infrastructures et conduit de ce fait à l’amélioration de la productivité des entreprises. - La recherche et le développement - L’accumulation du capital humain : en améliorant son niveau d’éducation et de formation, chaque individu augmente le capital humain de la nation et, par là même, contribue à améliorer la productivité de l’économie nationale. q Définition de capital humain : stock des caractéristiques physiques et intellectuelles qui permettent à un individu de participer à l’activité productive. Ce stock est composé en partie de caractéristiques innées et en partie de caractéristiques acquises (connaissances résultant de l’éducation, savoir-faire résultant de l’activité productive). Ce stock peut augmenter ou diminuer. Il peut s’accroitre grâce à des investissements : - dans le domaine de l’éducation et de la formation ; - dans le domaine de la santé. Une partie de ces investissements est prise en charge par les administrations publiques. Les individus investissent aussi dans les domaines de l’éducation ou de la santé. Il faut ajouter les coûts d’opportunité c’est-à-dire les gains auxquels un individu renonce pour accumuler du capital humain. Coût d’opportunité : la somme des satisfactions auxquelles renonce un agent économique lorsqu’il effectue un choix d’arbitrage. Ex : le coût d’opportunité d’une heure de loisir est le salaire horaire auquel on renonce en ne travaillant pas. 23 TSM Année Universitaire 2024-2025 B. De fortes inégalités alimentent l’instabilité de la croissance La répartition inégalitaire des revenus et des patrimoines peut être à l’origine de crises économiques qui déstabilisent la croissance économique. Les crises économiques récurrentes depuis les années 1970-1980, avec l’apparition d’un chômage de masse et l’émergence de nouvelles pauvretés, peuvent s’expliquer par la faiblesse de la demande, facteur déterminant de la croissance économique. Dans ses analyses des crises, P. Krugman montre que la limitation de la croissance économique s’explique justement par « les défauts du côté de la demande – des dépenses privées insuffisantes au regard de la capacité de production disponible ». C’est pourquoi la mise en place d’un politique de relance par l’État pour soutenir la demande, en augmentant le niveau de prestations sociales (cf. la prime d’activité, les minima sociaux), redynamise la croissance économique. De plus, le soutien de la demande est un signal positif pour les entrepreneurs. Ces derniers, anticipant une croissance plus vigoureuse, augmentent leurs investissements, qui alimentent à leur tour la reprise de la croissance, contribuant ainsi à la réduction du chômage et donc à terme des inégalités de revenus. D’autre part, le creusement des inégalités, nous l’avons vu, a favorisé les ménages à hauts revenus et très hauts revenus qui, bénéficiant d’une hausse de leur épargne, ont acquis des actifs financiers et immobiliers sur les marchés financiers. Ces comportements ont créé des bulles spéculatives, à l’origine des crises financières récentes, comme celle des subprimes en 2007 aux États-Unis. Cet exemple montre combien la croissance économique peut être fragilisée par les comportements spéculatifs des ménages les plus riches et parallèlement l’endettement croissant des ménages plus modestes souhaitant accéder à la propriété. Des inégalités trop importantes sont donc génératrices d’externalités négatives qui génèrent une croissance plus instable. C. Concilier justice sociale et croissance reste cependant un objectif démocratique fondamental 1. Importance des politiques de réduction des inégalités La mise en place de politiques de réduction des inégalités est de nature à assurer une relative stabilité sociale sans laquelle la croissance économique ne peut pas être durable. Un climat social pacifié, permise par une société éduquée et relativement égalitaire, contribue à une coexistence plus pacifique entre citoyens avec moins de conflits sociaux et un bien-être général, source d’efficacité économique, comme le soulignent P. Cahuc et A. Zylberberg. La politique fiscale idéale « ni trop, ni trop peu » doit donc déterminer une clef de répartition secondaire des revenus, susceptible de combiner à la fois stabilité sociale, justice et croissance économique. Exemple : La politique fiscale en France En France, la politique fiscale joue un rôle clé dans la redistribution des revenus et la réduction des inégalités. Le système progressif de l'impôt sur le revenu et les cotisations sociales permet de redistribuer les richesses et de financer les services publics et les prestations sociales. - Impôt sur le revenu progressif : En France, l'impôt sur le revenu est structuré de manière progressive, avec des taux d'imposition augmentant par tranches de revenu. Cela permet de taxer davantage les hauts revenus et de redistribuer ces fonds sous forme de services publics et d'aides sociales. Par exemple, en 2023, les tranches d'imposition varient de 0% pour les revenus inférieurs à 10 777 euros à 45% pour les revenus supérieurs à 160 336 euros. - Réforme de la taxe d'habitation : La suppression progressive de la taxe d'habitation pour 80% des ménages, commencée en 2018 et achevée en 2023, est un exemple de politique visant à réduire les charges fiscales des ménages à revenus moyens et modestes. Cette réforme a permis d'augmenter le pouvoir d'achat de nombreux foyers. 2. Politiques sociales et éducatives pour une société égalitaire Des politiques sociales et éducatives robustes sont essentielles pour réduire les inégalités et favoriser une croissance inclusive. Investir dans l'éducation et la santé permet d'améliorer le capital humain, ce qui est crucial pour une croissance économique durable. - Exemple : Le programme "Plan Étudiants" en FranceEn 2017, la France a lancé le "Plan Étudiants" pour améliorer l'accès à l'enseignement supérieur et lutter contre les inégalités éducatives. Ce plan comprend des mesures comme l'accompagnement personnalisé des lycéens dans leur orientation, l'augmentation des capacités d'accueil dans les universités et la réforme de la sélection à l'entrée des cursus post-bac. - Mesure phare : Parcoursup La plateforme Parcoursup a été mise en place pour aider les lycéens à formuler leurs vœux d'orientation et à accéder à l'enseignement supérieur de manière plus transparente et équitable. Elle permet une meilleure adéquation entre les capacités des établissements et les aspirations des étudiants, réduisant ainsi les inégalités d'accès à l'éducation. 24 TSM Année Universitaire 2024-2025 3. Rôle de l'État dans la promotion de la justice sociale et économique L'intervention de l'État est essentielle pour mettre en place des politiques fiscales et sociales qui favorisent la justice sociale tout en soutenant la croissance économique. - Exemple : Les politiques de relance économique pendant la pandémie de COVID-19 - Plan de relance "France Relance" : En réponse à la pandémie de COVID-19, le gouvernement français a lancé en 2020 un plan de relance de 100 milliards d'euros pour soutenir l'économie. Ce plan comprend des mesures pour la transition écologique, la compétitivité des entreprises et la cohésion sociale et territoriale. - Aides aux plus vulnérables : Le plan de relance comprend des aides spécifiques pour les plus vulnérables, comme des subventions pour les jeunes, les étudiants et les travailleurs précaires. Par exemple, une aide exceptionnelle de solidarité a été versée aux ménages les plus modestes, et le dispositif de chômage partiel a été étendu pour éviter les licenciements massifs. - Investissements dans la transition écologique : Une part importante du plan de relance est dédiée à la transition écologique, avec des investissements dans les énergies renouvelables, la rénovation énergétique des bâtiments et

Use Quizgecko on...
Browser
Browser