Psychologie du travail digitali PDF - Chapitre 6
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Summary
Le document décrit comment la technologie affecte le travail. Il discute des rôles de la technologie en tant qu'objet de médiation et de réflexion dans l'activité professionnelle. Le travail traite des problèmes liés à la charge de travail, aux relations interpersonnelles, à la reconnaissance et aux problèmes de l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
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Chapitre 6 La technologie comme « objet de médiation et de réflexion » sur le travail Les objectifs du chapitre Ce dernier chapitre interroge plus spécifiquement la fonction symbolique de l’objet technique. Plus précisément, il s’agit d’envisager, au-delà de l...
Chapitre 6 La technologie comme « objet de médiation et de réflexion » sur le travail Les objectifs du chapitre Ce dernier chapitre interroge plus spécifiquement la fonction symbolique de l’objet technique. Plus précisément, il s’agit d’envisager, au-delà de la seule vocation fonctionnelle et artéfactuelle de l’outil (au service de l’action du sujet), la capacité potentiellement réflexive et dialogique de la technique. L’arrivée d’une nouvelle technologie, tout comme le projet de transformation digitale qui la porte, peut être l’opportunité de canaliser et de faire émerger des enjeux qui vont bien au-delà de la simple utilisation de la technologie. Il serait une sorte de « méta-outil » ouvrant la voie à des controverses1 constructives sur le travail qui se fait et que l’on va chercher – collectivement et institutionnellement – à mieux faire. Nous considérons que la technologie n’est pas seulement un instrument de réalisation du travail, mais qu’elle peut aussi être posée comme « objet de médiation et de réflexion » sur l’activité. Dit autrement, s’il faut partir de l’activité pour penser la technologie (dans une perspective ergonomique), il est tout aussi possible de partir de la technologie pour repenser – au sens de (re)concevoir – et de « repanser » – au sens de soigner, de corriger – le travail qui va mal et qui fait mal. La technologie dispose en effet d’une certaine propension à provoquer des mises en débat sur le travail quotidien. La raison est que l’artefact cristallise sur lui et autour de lui un ensemble de problématiques du travail. Celles-ci peuvent être déclenchées par le dispositif lui-même. Mais la plupart du temps, ces difficultés se trouvent attisées, amplifiées ou révélées par l’usage de la technologie. Cela concerne par exemple les problèmes de charge de travail, d’intensification, de qualité du travail et de qualité de vie au travail. Cela concerne aussi les relations interpersonnelles (avec ses pairs, les responsables, les clients) ainsi que le contrôle et la reconnaissance au/du travail (avec notamment les indicateurs de performance et le suivi de l’activité). Ces difficultés relèvent aussi de l’autonomie et des marges de manœuvre attribuées ou encore de l’équilibre entre la vie au travail et hors travail (avec l’épineuse question de la déconnexion). La dégradation des collectifs de travail et de la qualité du management (son manque de soutien, d’écoute, d’implication) serait également les symptômes de ces usages. L’arrivée des technologies vient mettre à nu des tensions qui, pour la plupart d’entre elles, existaient déjà dans le travail et dont les professionnels arrivaient à s’accommoder jusqu’à présent. C’est ce qu’a d’ailleurs bien montré la crise sanitaire avec le développement du travail hybride et à distance. Certaines procédures et outils qui autrefois étaient tolérés dans l’espace sécurisant et commun des bureaux sont devenus insupportables dans les conditions particulières de travail distant. En outre, les difficultés d’usage des technologies, l’impossibilité d’agir avec les outils sont aussi une façon d’accéder aux impensés de l’activité, en permettant d’ouvrir un dialogue pour comprendre ce qui bloque : du point de vue de l’outil, du système d’activité ou de l’individu. C’est la raison pour laquelle nous soutenons l’idée que l’objet technique peut avoir un rôle déterminant dans le processus d’intervention et d’accompagnement des transformations sociotechniques (Bobillier Chaumon et al., 2023) : la technologie n’a pas seulement pour vocation d’être un outil dédié de la réalisation d’une activité, elle est aussi un instrument au service de la compréhension de cette activité. Plus précisément, elle est un objet médiateur dont la fonction est de révéler le travail, de le rendre visible et lisible à tous (professionnel/usager, décideur/concepteur et intervenant/chercheur), notamment quand cette activité se dématérialise, s’invisibilise et se distancie. Il s’agit aussi de mettre en débat ce travail entre les divers protagonistes (professionnels, décideurs, concepteurs, partenaires sociaux et représentants du personnel…) qui œuvrent ensemble pour le bon déroulement de l’activité. Passer par l’intermédiaire de l’objet technique est une façon efficace de créer les conditions d’un débat apaisé sur les contraintes de travail et ses conditions d’exercice, sans glisser uniquement dans le champ des revendications. C’est aussi le moyen d’éviter d’incriminer les individus : leurs faiblesses, leurs impérities ou incompétences… et de stigmatiser leurs supposées résistances au changement. Ouvrir ce dialogue par et sur les instruments technologiques aurait deux vertus : d’une part, donner aux utilisateurs la possibilité de discuter collectivement de l’activité et des règles d’utilisation des outils techniques. D’autre part, de contribuer à la conception d’instruments techniques plus appropriés et acceptables : en déterminant leur rôle et leur statut dans l’activité, en participant à leur développement, en définissant aussi leurs apports et leurs contributions dans le processus de travail. Il s’agit aussi par ce biais de collaborer plus généralement au projet de transformations digitales. C’est l’occasion pour les salariés et l’organisation de réfléchir ensemble au travail à faire et de reconsidérer la manière dont les technologies peuvent servir au mieux les intérêts des professionnels et de leur métier, dans un souci d’efficacité, de performance et de bien-être. Le cas de l’analyse de la collaboration inter-métier par la controverse sur l’outil : comment passer d’une coopération prescrite à une coopération construite ? Dans le cadre de l’accompagnement et de la mise en place d’outils collaboratifs à une large échelle – sur près de mille salariés —, nous avions été missionnés pour conduire une recherche-action visant à définir, selon la commande établie par l’organisation, les conditions d’usage et d’adoption relatifs au TCAO2 (Triposelli et Bobillier Chaumon, 2012). Cet environnement collaboratif était composé d’une messagerie instantanée, d’un espace communautaire de partage de ressources et d’un dispositif de visio- conférence (Skype). À terme, ces outils devaient équiper tous les salariés de l’organisation pour devenir le principal support de coopération. L’intervention s’est focalisée sur trois services de l’entreprise (R & D, marketing et logistique) qui expérimentaient l’outil. Après avoir réalisé des analyses de terrain pour mieux comprendre les caractéristiques de ces différentes activités et métiers et les spécificités de leurs pratiques collaboratives, nous avons mis en place des espaces de discussion par métier. Concrètement, les professionnels étaient amenés à discuter collectivement (groupes de cinq à huit personnes) sur des situations et des pratiques collaboratives suffisamment riches et familières pour mettre le travail en débat : principalement au niveau des règles de métiers, des obstacles à l’activité ou des astuces déployées dans la profession. Il devait, selon la méthode de l’objet technique innovant (Bobillier et al., 2023) choisir un outil emblématique de leur activité et expliciter et dérouler le fil de leur activité, à travers les usagers qu’ils en font (par exemple, la messagerie instantanée, Skype…). Les TIC deviennent ainsi un objet médiateur qui permet de poser et de penser le rapport subjectif que les professionnels entretiennent : avec leur activité (comment considèrent-ils leur travail ? Quels sont les obstacles à sa réalisation ? Quelles sont les ressources nécessaires ?) ; avec eux-mêmes (sont-ils fiers de ce qu’ils font ? Sont-ils en capacité de faire ce qu’ils souhaitent faire ? Sinon comment cela les affectent-ils ?) ; avec les autres (en quoi les autres sont-ils un soutien, une ressource, de potentiels destinataires de secours dans le travail ? Que partagent-ils et que doivent-ils créer ensemble ?). Il ne s’agit pas seulement de produire des connaissances sur le travail, mais d’inciter les personnes à parler d’elles-mêmes et de leur rapport à la technologie et à l’activité. Le but est de décentrer sa perspective pour s’observer soi-même, et ainsi pouvoir mettre en dialogue ses façons de faire avec ses collègues. Ces espaces d’échange favorisent la confrontation de pratiques communes mais aussi de fonctionnements différents et contribuent ainsi à l’enrichissement de sa propre expérience. On cherche également dans ces espaces de dialogue à comprendre comment la technologie peut davantage s’articuler avec l’activité : quand et comment doit-elle intervenir ? À quoi peut-elle servir ? En prenant en charge quels types de ressources, de tâches ? Que doit-elle respecter dans le métier ? À titre d’exemple, on a pu observer comment le métier pouvait orienter l’usage de l’outil. L’individu s’appuie sur l’histoire du métier (ce qui existe avant moi, avec moi, après moi) pour définir ce qu’il est possible de faire avec l’outil et en quoi celui-ci est acceptable. Un ingénieur du service R & D explique ainsi pourquoi il refuse systématiquement d’utiliser la messagerie instantanée, malgré l’insistance de ses collègues du marketing qui souhaiteraient par ce biais accélérer les interactions et les prises de décision. Dans sa conception du métier d’ingénieur, toute décision d’ordre technique exige d’abord un temps de réflexion et d’analyse qui peut s’avérer assez long. Aussi, répondre à ces sollicitations dans l’urgence contredit l’idée même qu’il se fait d’un travail bien fait, qui relève d’un protocole scientifique éprouvé. Ce travail sur l’intelligibilité de l’expérience du travail médiatisé (par la messagerie instantanée) a conduit à déterminer des règles d’usage sur ces outils collaboratifs, collectivement acceptées. Enfin, cette démarche a également été l’occasion de réfléchir sur la notion de « bonnes pratiques » qui était, l’une des demandes initiales de l’intervention. Comme on l’a déjà mentionné à plusieurs reprises, l’outil n’est pas coopératif en soi. Il peut, en revanche, par les nouveaux modes d’activités collectives qu’il suppose, permettre de s’interroger sur les bonnes pratiques de l’outil en adéquation avec le métier qui change et ainsi jouer un rôle dans la constitution de liens de coopération. La pratique devient dès lors « bonne » quand un espace de délibération se crée et permet le dialogue entre les différentes instances du métier. La bonne pratique est donc un processus, non un état. Elle doit être vue dans une perspective développementale. C’est aussi dans ce cadre d’échange que la technologie peut être acceptée et intégrée à l’activité. En définitive, la technologie peut donc devenir un véritable instrument au service de l’intervention et de la réflexion sur le travail. C’est parce que l’usage de l’instrument technique concerne toutes les dimensions de l’organisation et les rationalités qui sont à l’œuvre dans les organisations, que l’outil technologique est au cœur de l’activité. Il devient alors un moyen de revitalisation des pratiques individuelles et collectives et, par voie de conséquence, de renouvellement du métier. Cet angle de vue, porté par la clinique des usages, permet dès lors de réhabiliter l’activité par la technologie, et inversement.