Psychologie du travail digitali_1_2 PDF
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This document discusses different types of technologies used in the workplace and their application to professional and organizational practices. It details technologies by function, application, and maturity. This includes communication and collaboration technologies, as well as management technologies.
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2. Vers une catégorisation des technologies : des systèmes matures aux technologies émergentes Parmi la grande famille des technologies existantes et pour amener un peu plus de clarté à cette profusion d’outils, on peut regrouper les technologies : selon leur domaine d’application qui peut être...
2. Vers une catégorisation des technologies : des systèmes matures aux technologies émergentes Parmi la grande famille des technologies existantes et pour amener un peu plus de clarté à cette profusion d’outils, on peut regrouper les technologies : selon leur domaine d’application qui peut être : soit à visée professionnelle (de production, services, gestion, d’organisation), soit à vocation médico-sociale (axée sur une meilleure prise en charge et un meilleur accompagnement des personnes fragilisées, déficientes et vulnérables). et aussi selon leur niveau de maturité : entre des technologies désormais familières qui sont déjà bien implantées dans les entreprises et utilisées par les salariés versus des technologies émergentes, qui se démarquent par des innovations majeures et requièrent des modes d’action et d’interaction inédits. De cette configuration ressortent trois grandes catégories de technologies que nous allons détailler. Cette proposition de taxonomie permet aussi de mieux cerner les principaux objectifs et bénéfices attendus dans le déploiement de ces TIC-C et de les confronter aussi à la réalité des usages et des pratiques observées sur le terrain. On rappellera d’ailleurs que derrière le déploiement d’une solution technologique se cache souvent un projet organisationnel qui vise à encadrer le travail des individus et à l’ajuster au projet de l’entreprise. 2.1 Les technologies à visée professionnelle et à niveau de maturité élevé Cette première catégorie de technologies se caractérise par un niveau de diffusion et d’intégration déjà très élevé dans les entreprises. Elles font désormais partie de la palette des outils ordinaires du professionnel et s’avèrent indispensables pour lui permettre d’exercer son activité. On peut regrouper ces dispositifs dans cinq grandes classes d’outils techniques : 1. Les technologies de communication dont le but est d’optimiser la transmission de l’information et de favoriser la communication (1) non seulement au sein des organisations, que cela soit entre les individus, les services, les niveaux hiérarchiques (internet et intranet), mais aussi (2) entre les organisations elles-mêmes (extranet). Les frontières de l’entreprise deviennent ainsi plus perméables, poreuses pour intégrer virtuellement d’autres acteurs de son fonctionnement. On parle dès lors « d’entreprise élargie ou étendue ». 2. Les technologies de collaboration (appelées encore CSCW7 ou TCAO) cherchent à optimiser le travail en équipe et en réseau. Il peut s’agir de groupware (collecticiel ou synergiciel) qui offre une plateforme technique et logicielle pour favoriser la coopération et les interactions entre personnes distantes : audio/visioconférence (comme Zoom, Teams, Skype), mur de téléprésence, corédaction virtuelle et espace documentaire partagé (Googledoc), tableau blanc… On trouve aussi des outils de workflow qui vise à l’automatisation de process de travail mettant en jeu différents acteurs, documents et tâches qui s’articulent entre eux. Cet instrument organise la coordination dans le travail en encadrant assez fortement l’activité des différents acteurs qui doivent coopérer et en assignant à chacun des tâches spécifiques, des rôles et des temporalités prédéterminés. On parle d’ailleurs de néotaylorisme pour ce type d’outils, car ils reprennent et appliquent les grands principes de la rationalisation du travail (De Terssac, Bazet et Rapp, 2007 ; Mulhmann, 2001). Dans les déclarations des sinistres d’assurance par exemple, il existe différentes opérations (d’analyse, de traitement, d’expertise, de clôture de dossiers) qui sont réalisées par des opérateurs. Cette activité va alors être segmentée et encadrée selon des procédures informatiques très précises dictées par le workflow. On retrouve cette même organisation du travail pour les centres d’appels où l’outil répartit automatiquement les appels en fournissant un cadre d’action bien spécifique à chaque opérateur (Grosjean et Ribert, 2005). Les réseaux socio-numériques d’entreprise (RSNE) font aussi partie de ces outils de collaboration. L’idée est de proposer un environnement susceptible de susciter un meilleur partage de l’information en interne et de favoriser l’intelligence collective (Barville et al., 2018). Le salarié n’est plus un simple consommateur passif des informations qui lui sont destinées ; il a la possibilité – voire dans certains cas l’obligation – de les produire, de les partager et de les enrichir pour en faire des connaissances utiles au plus grand nombre. 3. Les technologies de gestion : leur but est de rationaliser le plus possible le recueil, le traitement et la transmission des données opérationnelles de l’entreprise. Ainsi, les ERP (Enterprise Ressource Planning) sont des progiciels de gestion intégrés (PGI en français) dont les divers modules informatiques permettent de traiter l’ensemble des fonctions (financières, de production, vente, comptabilité, ressources humaines, etc.) de l’entreprise. Il s’agit d’intégrer en un seul système centralisé toutes les données concernant l’activité de l’entreprise. L’ERP est d’ailleurs souvent présenté comme un outil stratégique pour le développement des organisations dans la mesure où il fournit une sorte de tableau de bord dynamique et constamment réactualisé de l’état de santé de chaque domaine de l’entreprise. Le résultat est qu’une information saisie à un bout de l’entreprise – par exemple une vente réalisée par un commercial – va se propager via cet ERP dans les bases de données de tous les services concernés par cette opération, sans aucune intervention humaine ni double saisie. Ainsi, la comptabilité, les stocks, mais aussi la RH (pour la rémunération du vendeur à la commission), le marketing vont pouvoir prendre connaissance automatiquement de ces informations. Cette instantanéité permet de déclencher rapidement les actions idoines : réapprovisionnement, repositionnement et stratégie marketing, écritures comptables, masse salariale, primes… Autre outil de gestion, la GED (pour « gestion électronique de document ») dont le but est de transformer des documents papier (courrier, factures, brochures, liasses…) en documents électroniques afin de favoriser leur stockage et leur partage. On parle d’ailleurs de plus en plus de GEIDE (gestion électronique de l’information et des documents existants) dans la mesure où ces outils gèrent également les données dématérialisées obtenues par les réseaux (courrier électronique, facture et devis en PDF, documents téléchargés sur le Web). 4. Les technologies d’aide aux prises de décision qui, comme leur nom l’indique, contribuent à améliorer la réflexion et les prises de décision. Il peut s’agir des systèmes experts ou de SIAD (systèmes informatiques d’aide à la décision) qui cherchent à imiter ou à reproduire tout ou partie des raisonnements humains. Dans des situations complexes ou incertaines, ils peuvent aussi offrir des alternatives d’action possibles à l’individu, que ce dernier décidera d’appliquer – ou non – en connaissance de cause (le GPS en est un bon exemple, de même que les systèmes experts de simulation de prêts bancaires ou de patrimoine…). Ces systèmes peuvent aussi effectuer directement les opérations et prendre seuls des décisions qui peuvent se révéler stratégiques ou performantes pour l’entreprise (Zouinar, 2020). Dans le trading à haute fréquence, des robots sont programmés pour agir seuls dans l’achat et la vente d’actions en fonction des opportunités économiques et de l’actualité mondiale (crise, conflits, pénurie…). Leur vitesse d’action et de décision est sans commune mesure avec celle d’un humain : près de 10 000 ordres d’achat effectués en 250 millisecondes pour le système, soit lors d’un clignement d’œil humain. Dans le même ordre d’idée, les technologies de gestion de la connaissance (knowledge management) cherchent quant à elles à capitaliser les compétences et connaissances de l’organisation (qualifiées de bonnes pratiques) et à les mettre à disposition de l’ensemble des acteurs de l’entreprise, via des supports technologiques (cartographie des compétences, base de connaissances…). Ainsi, l’entreprise cherche à apprendre de ses propres connaissances ; ceci rejoint le concept « d’organisation apprenante ou qualifiante » définit par Argyris et Shön (2002). Précisons que si des outils spécifiques et innovants sont conçus pour permettre ce partage de connaissances, d’autres TIC plus traditionnelles (intranet, GED, groupware, ERP, WEB 2.0…) peuvent également être considérées comme des environnements de capitalisation et de diffusion de la connaissance, dès lors qu’elles apportent une réelle plus-value au travail des salariés, en fournissant « la bonne information à la bonne personne au bon moment » (Ciobanu et Bobillier Chaumon, 2006). Nonobstant, ces « bonnes pratiques » peuvent s’avérer être de nouvelles normes collectives et incitatives qui uniformisent la pensée et brident toute velléité de créativité, en se limitant à reproduire ce qui existe déjà. 5. Les technologies de formation renvoient à deux types d’environnement : (1) le e-learning (avec l’e-formation, l’EIAH8) qui donne la possibilité aux salariés de se connecter à distance pour consulter diverses ressources pédagogiques de manière autonome ou tutorée ; (2) les systèmes à réalité virtuelle et augmentée qui proposent une représentation informatique de la réalité afin de simuler des situations professionnelles (simulateur de TGV, de vol ou encore intervention chirurgicale, projet Teleos9…) (Sagnier, Loup- Escande et Valléry, 2021) ; (3) enfin, les serious games font une percée dans le domaine de l’apprentissage professionnel en proposant, par un environnement ludique, stimulant et attractif, d’apprendre en s’amusant et de s’amuser en apprenant (Keusch- Bessard, Bobillier Chaumon, Vacherand-Revel et Cuvillier, 2021 ; Martin et Vollaire, 2022). Les principales technologies utilisées dans le monde professionnel en précisant leurs spécificités, fonctions et finalités pour le travail. (1) Technologies de communication et outils de diffusion de l’information TIC-C : Internet Définition : Appelé réseaux des réseaux, il permet de relier des individus, des entreprises entre eux, par l’intermédiaire de différents canaux et supports (ondes, câbles, lignes téléphoniques…) pour transmettre différents types d’informations (son, image, texte…) (multimédia). Messagerie et messagerie instantanée. Liste de diffusion ; groupe de discussion. Agendas et annuaires partagés. Navigation et consultation de pages Web. Échanges de fichiers, foire aux questions. Stockage et accès à différentes bibliothèques ; administration de réseau. Finalités – Objectifs affichés : Collaborer, échanger et communiquer essentiellement de façon asynchrone (et quelquefois synchrone pour la messagerie instantanée et la webcam). Rechercher, échanger et partager de l’information. TIC-C : Intranet Définition : Système interactif favorisant le travail de groupe, il constitue un réseau informatique privé et protégé dans une organisation. Se fonder sur les technologies Internet. Réutilise les mêmes fonctionnalités que l’Internet (voir ci-dessus), mais pour des services et des usages spécifiques destinés à l’entreprise et à son personnel. Finalités – Objectifs affichés : Collaborer, échanger et communiquer essentiellement de façon asynchrone. Recueillir et partager de l’information dans, sur et à l’extérieur de l’entreprise. TIC-C : Extranet Définition : Basée sur les mêmes protocoles que l’internet, cette technologie cherche à constituer un réseau privé pour que l’entreprise puisse échanger et partager, de manière sécurisée, des informations avec les partenaires de son choix (clients, fournisseurs, distributeurs…). Créer un internet privé limité à la communauté des membres (cas d’un regroupement d’entreprises) ou des partenaires d’une entreprise (sous- traitants d’une entreprise par exemple). Finalités – Objectifs affichés : Étendre les frontières – virtuelles – de l’entreprise (« entreprise étendue »). Accroître la réactivité des entreprises clientes et partenaires (fournisseurs). Renforcer les relations avec ses partenaires. (2) Technologies de collaboration : outils de partage de l’information (Collecticiel) TIC-C : Groupware Définition : Le groupware (ou « synergiciel ») recouvre les architectures matérielles et logicielles permettant à un groupe ou des groupes de personnes dans l’entreprise de travailler en commun, tout en étant éventuellement distants, en leur apportant la logistique. Communiquer (par la messagerie, les forums, la publication…). Collaborer (espace pour partager des dossiers avec des droits d’écriture, de lecture, de révision, d’annotation…). Coordonner (partage de formulaire, agendas, planning électronique…). Finalités – Objectifs affichés : Communiquer, collaborer et coopérer dans un cadre d’échange et d’action prédéfini et contrôlable. Structurer le groupe de travail et le travail en groupe. Déterminer un cadre d’échange formel. Communication asynchrone. TIC-C : Workflow Définition : Il vise à l’automatisation de processus (généralement administratifs) mettant en jeu plusieurs acteurs, plusieurs documents, plusieurs tâches. Faire suivre aux documents, informations et tâches des règles et des circuits prédéterminés. Communication essentiellement asynchrone. Finalités – Objectifs affichés : Optimiser les flux de transmission des informations en automatisant les processus de travail et en réduisant les délais de traitement. Uniformiser les pratiques et les interprétations ; sécuriser les processus. TIC-C : Réseaux sociaux (Web 2.0) Définition : Technologies de mise en réseau des acteurs et des compétences afin d’instaurer une dynamique de coopération d’individus et d’entités dispersés géographiquement et professionnellement. Wiki, blog, flux RSS, espaces collaboratifs et partagés, réseaux sociaux numériques. Finalités – Objectifs affichés : Mobiliser les collaborateurs grâce à des espaces d’expertises orientés action. La valeur n’est plus créée par les connaissances détenues, mais par celles partagées. TIC-C : GED (Gestion électronique de document) Définition : Il s’agit d’une part de transformer des documents papier en fichiers informatiques après numérisation, et, d’autre part, de gérer ces documents électroniques. Archiver et classer tous les documents (factures, courriers, procédures…) d’un groupe de travail, de clients, d’entreprises…Indexer les documents pour les retrouver. Finalités – Objectifs affichés : Sauvegarder pour mieux gérer la mémoire de l’entreprise. Gagner de la place et faciliter la récupération des informations par des critères de recherche. TIC-C : Progiciel Intégré de Gestion (ERP) Définition : Sa vocation est de doter l’entreprise d’un système unique d’information, intégrant dans une seule base toutes les données nécessaires à son bon fonctionnement (production, commercial, logistique, financier, des ressources humaines…). Garantir l’unicité de l’information. Répercuter en temps réel une modification d’informations dans l’ensemble des modules. Assurer la traçabilité des opérations de gestion pour en permettre l’audit. Finalités – Objectifs affichés : Outil stratégique pour la prise de décision → mieux traiter les données de l’entreprise pour planifier, analyser, prévoir et décider. (4) Technologie d’assistance : outils d’aide à la prise de décision TIC-C : Système expert (SIAD) Définition : Outils cherchant à imiter et reproduire certaines caractéristiques du raisonnement humain. Fournir des décisions, déductions fiables. Interroger l’utilisateur de manière intelligente. Conduire des raisonnements logiques. Finalités – Objectifs affichés : Classer les données. Aider et prédire l’effet d’une décision. Assister la conception. Diagnostiquer et contrôler. TIC-C : Knowledge management Définition : Création de valeur ajoutée à partir de la mobilisation du patrimoine immatériel de l’entreprise. Mobiliser, dès que le besoin se présente, les savoirs des salariés. Élaborer, partager, diffuser des savoir-faire collectifs propres à l’entreprise. Finalités – Objectifs affichés : Productivité du travail intellectuel. Capitaliser et transmettre la mémoire de l’entreprise (apprentissage organisationnel). (5) Technologie de formation : outils d’aide à l’acquisition de la connaissance TIC-C : Visio conférence / Webcam Définition : Dispositifs permettant à des personnes éloignées géographiquement de communiquer et d’échanger de manière synchrone à l’aide de caméras/webcams. Mener simultanément des interactions (multimédia) avec des personnes réparties sur plusieurs sites géographiques. Finalités – Objectifs affichés : Interactions et collaborations en temps réel (synchrone). TIC-C : E-Learning Définition : Ensemble des technologies permettant de se connecter – de façon autonome et distante – à des ressources pédagogiques pour s’auto-évaluer, compléter sa formation ou se former dans un nouveau domaine. Enseignement assisté par ordinateur (EAO). Plateforme d’enseignement à distance. Bases de données éducatives. Universités virtuelles. Finalités – Objectifs affichés : Favoriser l’accès à la connaissance (aspect ludique). Formation à distance ou en présentiel. Ajustement de la formation à chaque individu « Formation sur mesure » TIC-C : Réalité virtuelle – Réalité augmentée Définition : Ensemble des technologies permettant de créer une représentation virtuelle de la réalité sur la base d’une maîtrise informatique des données. Simuler les sensations : vue, touché, ouïe Plonger l’utilisateur dans un décor virtuel Optimiser l’interactivité personne-machine-environnement de travail. Finalités – Objectifs affichés : Diminuer les coûts de formation. Simuler des milieux hostiles ou difficiles. Permettre l’intervention à distance (télémédecine). 2.2 Des technologies à visée professionnelle avec un niveau d’innovation élevé : panorama des technologies émergentes Cette seconde catégorie regroupe des technologies considérées comme émergentes dans la mesure où leur niveau d’intégration et de diffusion dans les entreprises reste encore assez faible alors que leur sophistication et leur potentialité sont importantes. Elles représentent en quelque sorte les nouvelles technologies du futur du travail. Cadre et contour des technologies émergentes Anastassova (2006) identifie quatre caractéristiques spécifiques des technologies émergentes : 1. un caractère novateur, une avancée technologique importante, partiellement réalisée ou en devenir ; 2. des usages peu clairs et peu différenciés ; 3. plusieurs limites qui en ralentissent l’application massive ; 4. et enfin une promesse de transformation du contexte économique et social dans lequel elle sera introduite. En somme, ces nouvelles technologies se définissent à la fois par une innovation majeure en rupture avec des usages connus et des incidences importantes dans l’environnement où elles seront déployées. Une autre particularité, soulevée par Loup-Escande et Burkhardt (2019), indique que les attentes vis-à-vis de ces technologies sont souvent au stade « latent », c’est-à-dire qu’elles se caractérisent par leur nature non encore avérée ou imaginée. Qui peut ainsi dire avec certitude ce qu’il attend d’une IA dans son travail, à part ce qu’il peut fantasmer de films ou de littérature d’anticipation, ou via des prototypes développés en laboratoire (Gamkrelidze, Zouinar et Barcellini, 2021). Aussi, ces technologies émergentes répondent rarement à des besoins clairement exprimés par les utilisateurs finaux et sont souvent propagées de manière descendante et verticale par les organisations, sans concertation ni implication des salariés finaux. Cela rejoint la vision très techno-centrée du déterminisme technologique (« techno-push ») qui a déjà été évoquée dans l’ouvrage, par opposition à une approche plus « techno-pull » qui part du besoin effectif des personnes et d’une compréhension fine de l’activité pour coconcevoir les outils adaptés (perspective plus anthropocentrée). Les courants de l’ergonomie prospective (Robert et Brangier, 2014) et l’approche de l’acceptation située (Bobillier Chaumon, 2021a) proposent d’ailleurs des méthodes pour être en capacité de cibler les besoins et d’explorer le devenir futur-probable des activités associées à ces technologies de rupture. En somme, les technologies auraient le statut de dispositif émergent quand elles souscrivent à ces trois conditions : Une rupture effective en matière d’usage : les transferts d’usage et d’apprentissage entre les anciens outils et les nouveaux s’avèrent difficiles, voire impossibles. De nouveaux schèmes d’utilisation sont requis et de nouvelles aptitudes sont exigées pour interagir avec ces technologies : comme savoir utiliser un exosquelette, interagir avec un robot (cobot), partager l’expertise de métier avec une IA. La difficulté, voire l’impossibilité, pour les usagers de se projeter avec ces environnements, en indiquant clairement les besoins et les services que ces outils devraient dispenser. On est davantage sur des attentes génériques, voire fantasmées que sur des besoins spécifiques liés à l’activité exercée. Par exemple, faire exprimer à des techniciens leurs besoins fonctionnels concernant un dispositif à réalité augmentée pour la maintenance d’une chaîne de fabrication. La difficulté d’anticiper le devenir de l’activité et les compétences dans ces environnements médiatisés particuliers. Ainsi, la chirurgie robotisée assistée par ordinateur conduit à transformer les repères et les gestes de métier et induit de nouvelles aptitudes professionnelles que les chirurgiens ont du mal à expliciter lors de la formation à l’outil (cf. travaux de Seppänen, Kloetzer et Riikonen, 2017). Propriétés et usages des technologies émergentes L’innovation digitale de rupture se manifeste au travers de diverses technologies qui se déploient dans nombre de secteurs d’activité. Ainsi, les robots collaboratifs (cobots, exosquelettes), les technologies communicantes, ambiantes ou ubiquitaires (IOT pour Internet of things), l’intelligence artificielle (assistants vocaux, systèmes d’aide à la décision), l’exploitation évaluative et prédictive des données (big data), les environnements immersifs (réalité virtuelle et/ou augmentée, métavers) et les nouvelles modalités d’interaction personnes-machines (haptiques, sensitives, cognitives de type BIM – brain interface machine10) trouvent des applications dans des domaines variés de notre vie professionnelle et socio-domestique. Elles se retrouvent notamment dans l’usine et l’hôpital du futur, la maison intelligente (domotique/smart-home), les transports autonomes, la santé connectée (HAD/hospitalisation à domicile ; MAD/maintien à domicile) ou encore dans les services proposés par des plateformes numériques de travail (ubérisation, robotariat). Nous proposons de nous focaliser plus particulièrement sur sept types de dispositifs innovants qui sont caractéristiques de cette révolution technologique et qui devraient permettre de mieux saisir leurs potentielles incidences sur l’activité professionnelle. Les robots collaboratifs et les exosquelettes Les robots collaboratifs (appelées aussi cobots) sont des assistants, qui restent dépendants de l’intention, du geste ou du comportement de l’homme au travail. Ils épaulent le salarié dans ses actions et ajustent leurs interventions à celles du professionnel. Ce n’est plus simplement une robotique de suppléance ou d’assistance mécanique pour des tâches particulières. Ici, la robotique devient symbiotique (Brangier, Dufresne et Hammes-Adélé, 2009), c’est-à-dire qu’elle prolonge (telle une extension) l’individu en permettant l’augmentation des capacités humaines en termes de force, de vitesse ou de précision. Dans ce contexte inédit d’interaction où évoluent ces systèmes mobiles et apprenants, de nouvelles formes de coopération et d’interfaçage homme-robot (Human Robot Interfaces, HRI) sont à imaginer et à déployer. L’exosquelette constitue une classe de cobots particulière. Il s’agit d’un dispositif d’amplification électrique, pneumatique ou hydraulique du mouvement de chaque segment du corps. Cette sorte de squelette externe permet des déplacements, des manipulations de charges et une gestion des outils que le corps seul ne pourrait effectuer (Claverie et al., 2013). Le retour de sensation est alors immédiat et on assiste à une certaine forme de conscience globale personne-machine, de schéma corporel hybride, ou encore de ce que Marle (2012) nomme « l’illusion d’unicité ». Pour autant, il faut être prudent, car ces exosquelettes qui viennent se greffer sur le corps humain contraignent fortement les mouvements du corps et les gestes. C’est davantage au sujet de s’ajuster à ce « corset mécanique » que le contraire : les conduites peuvent être réprimées, voire empêchées, avec des incidences possibles sur la santé physique des salariés (accroissement des troubles musculo-squelettiques ou TMS). Les technologies ambiantes Les technologies ambiantes, ubiquitaires ou pervasives constituent une seconde classe de ces innovations émergentes, que l’on retrouve plus généralement sous le vocable d’« objets connectés » ou encore « communicants », appelés aussi Internet of things (IoT). Ces technologies discrètes (car non intrusives) sont intégrées dans les objets du quotidien (Eliass et Bobillier Chaumon, 2022 ; Nehmer et al., 2006). Elles cherchent à capter l’activité et à déclencher les actions idoines, sans requérir d’interventions humaines. Par exemple, le thermostat électronique du domicile qui dialogue avec l’agenda professionnel pour déclencher le chauffage aux heures appropriées selon que la personne est en télétravail ou à son bureau dans l’entreprise. Il peut s’agir aussi de capteurs disséminés dans l’espace de vie ou de travail pour tracer l’activité (automesure : self-tracking – quantified self) et ainsi évaluer finement les comportements de l’usager (qualité du sommeil, activités physiques, chute). Par ce retour d’informations, l’objectif est de provoquer des changements comportementaux11 chez le sujet ou de le décharger/soulager de certaines tâches. Le système peut ainsi décider de prendre un rendez- vous chez le médecin s’il détecte une anomalie dans les constantes de santé. Dans le domaine industriel, des traceurs numériques sont par exemple massivement intégrés aux chaînes de production de l’usine du futur (4.0) pour évaluer en temps réel la conformité des gestes professionnels aux standards attendus et surtout pour prévoir les possibles conduites défaillantes. La maintenance n’est plus seulement corrective, elle devient prédictive. C’est-à-dire, que l’on est capable de réagir avant que l’erreur ne soit commise en mesurant le boulon trop, mal ou pas assez serré. De même, dans le travail d’entretien des trains12, les agents SNCF s’appuient sur une armée de capteurs installés sur tout le réseau ferroviaire, à des endroits stratégiques (ponts, postes d’aiguillage, passages à niveau…) ainsi qu’à bord des convois via le programme STC (surveillance des trains commerciaux). Ces capteurs ont des fonctions très variées : ils font parvenir en temps réel des données sur la tension, l’intensité, la température, les vibrations présentes sur le réseau. Cela permet alors d’anticiper les défaillances. Les agents vont ainsi recevoir des alertes et envoyer des équipes sur le terrain. Ils reçoivent aussi des données leur permettant d’optimiser leurs opérations de maintenance, comme la date de la dernière vérification, ce qui a été fait, etc. Pour la SNCF, la maintenance préventive représente aussi un gain économique en permettant de réduire de 20 % les coûts de ces opérations et de diviser par deux le nombre de pannes sur le réseau. L’intelligence artificielle L’intelligence artificielle (IA) correspond à des programmes algorithmiques très sophistiqués, à base de réseaux de neurones artificiels. Ils visent à résoudre des problèmes spécifiques pour lesquels les êtres humains utilisent leurs capacités cognitives (Zouinar, 2020). Ce qui fait la force de ces dispositifs est leur puissance de « raisonnement » qui repose sur le machine learning et le deep learning. Machine learning et deep learning Le machine learning correspond à l’ensemble de méthodes d’apprentissage permettant aux machines d’apprendre au gré de leurs expériences sans être programmées autrement qu’avec un programme de départ : c’est ce programme initial qui va générer de nouveaux programmes dès lors qu’il sera exposé à de nouvelles données. Mais pour cela, des assistants humains vont initier ce processus d’apprentissage du programme. L’apprentissage profond (deep learning) est un ensemble de méthodes d’apprentissage automatique tentant de modéliser avec un haut niveau d’abstraction des données : capables d’extraire/analyser/classer des caractéristiques abstraites des données qui leur sont présentées. Ces techniques particulières d’apprentissage machine permettent d’analyser, d’extraire et de classer des quantités importantes de données. Ces programmes sont utilisés pour réaliser des diagnostics (comme la détection des cancers de la peau plus fiable de 50 % que ceux effectués par un expert humain (Ayache, 2018)), prendre des décisions (90 % des ordres de Bourse sont dorénavant réalisés par des automates à base d’IA, appelés « trading à haute fréquence ») ou assister l’humain dans ses activités quotidiennes (à l’image des assistants vocaux Siri ou Alexia de nos téléphones portables). On qualifie ces dispositifs « d’intelligence artificielle », car ils sont capables d’une certaine forme d’apprentissage, voire « d’intuition » pour faire face à des situations complexes et parfois non programmées. C’est le cas de la voiture autonome qui doit gérer un large spectre d’évènements imprévus et d’incidents de parcours. Pour autant, il faut aussi rappeler que si l’IA est capable d’apprendre, d’évoluer et de prendre des initiatives13, elle reste cependant incapable de donner du sens à ce qu’elle voit ou fait et plus généralement aux informations qu’elle traite. Concrètement, elle peut reconnaître la présence d’un chat sur des millions de photos, mais elle ne sait pas ce qu’est ontologiquement un chat. Par ailleurs, si ces technologies sont performantes sur une tâche unique (de diagnostic, d’analyse, de reconnaissance…) et pour des domaines d’application très spécifiques (le transport, les activités médicales, bancaires, de loisirs…), elles montrent très vite leurs limites quand il s’agit de couvrir d’autres contextes d’action. En effet, là où l’individu arrive à gérer cette polycontextualité (comme planifier et préparer un voyage, conduire une voiture, gérer des conflits et prendre des décisions en fonction de divers enjeux, résoudre de multiples problèmes…), l’IA a dû mal à rester performante dans des domaines qu’elle ne connaît pas et pour lesquels elle n’a pas été spécifiquement formée/préparée. Le traitement symbolique et la flexibilité cognitive restent pour l’instant l’apanage de l’humain. L’utilisation de l’IA peut se décliner dans quatre grands domaines d’application (Bobillier Chaumon, 2021b) : Classer automatiquement des images, des documents et des signaux issus de diverses sources et capteurs. Ainsi, au domicile, des capteurs audio et vidéo intelligents arrivent à identifier les chutes de personnes âgées et préviennent automatiquement les secours selon la gravité constatée (Bobillier Chaumon et al., 2016). On a vu aussi en Chine des caméras de reconnaissance déployées dans certaines villes pour repérer les comportements inciviques et mieux surveiller et éduquer14 les citoyens. Assurer un échange d’informations ou conduire une conversation avec un usager humain. Ces assistants vocaux et commandes vocales (de types SIRI, Google Home, Alexia…) sont capables de reconnaître une requête humaine et de déclencher le service idoine (« compose tel numéro, fait telle recherche »). Inversement, ils peuvent aussi interpeller l’usager pour lui demander une confirmation ou l’alerter sur un problème que le système a détecté, comme d’avoir oublié une casserole sur le feu ou de fermer les portes de la maison (Eliass et Bobillier Chaumon, 2022). Créer de nouvelles formes (d’images, de sons, de textes, de codes) à partir d’ensembles existants. Cela peut être la génération automatique de texte (ChatGPT)15, la correction et l’amélioration d’images et de vidéos (comme avec des deepfake)16, les logiciels de traduction (comme avec DeepL ou Google Traduction). Proposer des solutions, prendre des décisions, choisir entre plusieurs possibilités, effectuer des raisonnements prédictifs à partir d’une connaissance de l’environnement et de l’anticipation qui peut en être faite. Cela peut être le GPS qui calcule en temps réel le meilleur trajet selon les évènements routiers (accidents, bouchons, intempéries) ; la voiture autonome qui gère sa vitesse sur autoroute pour opérer un dépassement au milieu d’autres voitures. Il est toutefois nécessaire de préciser que cette intelligence artificielle qui doit servir ou assister l’humain dans son activité ne peut paradoxalement bien fonctionner qu’en s’appuyant justement sur l’individu, à deux niveaux d’intervention : En ayant recours d’abord à une « assistance humaine » qui se décline aux différents stades du développement de l’IA : d’abord à sa conception pour initier le processus d’apprentissage du dispositif (machine-learning), puis lors de son utilisation, pour permettre à ces dispositifs de s’exécuter malgré tout, y compris en mode dégradé : lorsque l’IA est en échec et qu’un individu prend alors le relais à distance pour réaliser la requête. Et en fin de processus, quand il faut assurer le dernier maillon/kilomètre du service coordonné par les plateformes numériques (comme les livreurs à vélo des plateformes Uber). Prolétariat du digital On parle ainsi d’un prolétariat du digital (digital labour ou robotariat ; Casilli, 2019) qui se déploie avec ces nouvelles technologies et les plateformes numériques de travail qui les supportent. Ce « doigt d’œuvre » ou ces tâcherons du Net (comme il existait à l’époque une main-d’œuvre servile pour l’économie industrielle) sont employés pour assister les machines ou pallier leurs dysfonctionnements. Concrètement, il peut s’agir d’opérateurs payés à la tâche qui doivent trier des milliers de photos (en distinguant un feu rouge d’un feu vert dans divers contextes) afin d’apprendre à l’IA à classer automatiquement et « intelligemment » ces données. De même que pour optimiser la reconnaissance vocale, des personnes sont rémunérées pour enregistrer des centaines de fois les mêmes phrases afin d’apprendre aux assistants vocaux à distinguer les différentes tessitures de voix, d’accents, les écarts de prononciation et d’intonation. Ces « tâcherons » de la Net- économie permettent aussi à ces systèmes de fonctionner en mode dégradé. On transfère alors à ces exécutants les commandes que les systèmes ne savent pas traiter : comme répondre à un ordre que la machine ne comprend pas ou encore identifier un numéro de rue que le système de géolocalisation de la voiture autonome ne reconnaît pas. Par ailleurs, une « intelligence humaine » est également requise lors de l’usage de cette IA pour lui permettre de déployer toutes ces potentialités. Cette « métis de l’usage » consiste à créer les conditions favorables pour permettre une utilisation optimale et performante de l’artefact dans les situations toujours singulières et exigeantes des lieux de vie et de travail. Cette créativité relèverait aussi bien de la manière d’améliorer le système (en ajustant l’outil), d’enrichir le spectre des usages (catachrèse) que d’agir sur le contexte socio- organisationnel et spatial pour rendre possibles les fonctionnalités du système. Ce sont donc bien l’usage et l’usager qui permettent à la technologie de devenir intelligente et d’exprimer son « intelligence ». Ignorer ce principe revient à s’exposer au risque d’une utopie agissante qui placerait – fonctionnellement et statutairement – la technologie au-dessus de l’individu. Ce dernier ne pouvant que se soumettre à cette « autorité » technologique qui, de fait, est érigée comme plus puissante et performante que lui et contre laquelle l’individu ne serait pas en mesure de rivaliser. Le tragique exemple de l’attentat de Nice en 2016 vient nous le rappeler (Bobillier Chaumon, 2022). Quand les technologies influencent nos conduites et croyances : la soumission à l’autorité technologique Lors du procès de cet attentat, qui s’est tenu en octobre 2022 au tribunal de Paris, Christian Estrosi qui était maire de Nice en 2016, s’était défendu de toute négligence en arguant du fait que cette catastrophe aurait pu sans doute être déjouée par un système à base d’intelligence artificielle. Cette IA aurait pu permettre de visionner et d’analyser les images fournies par les quelque 1 836 caméras disséminées à l’époque dans la ville (contre 4 000 actuellement) et de lancer l’alerte : « Il aurait fallu avoir recours à l’intelligence artificielle, à des algorithmes qui nous sont aujourd’hui encore interdits », affirmait-il dans le journal Libération daté du 20 octobre 2022. Ici, cette technologie émergente est vue au mieux comme un système qui vient pallier les déficiences, les fragilités ou les incompétences des personnes (reconnaître rapidement la photo ou le comportement suspect d’une personne), au pire comme des outils qui font supposer à leur promoteur que ces dispositifs feront davantage et surtout mieux que les salariés. Surtout, ces outils représentent un atout de taille pour les organisations : ils réalisent les tâches demandées, selon les standards de qualité et de production attendus, sans s’en écarter comme le font les professionnels. Cette vision techno-centrée relègue donc les individus au second plan, comme de simples exécutants de technologies omniscientes et omnipotentes. Or, dans le cadre du déploiement rapide et souvent brutal des innovations techniques dans le monde du travail, il est urgent de reconsidérer cet absolutisme. Il y a au moins trois raisons qui le justifient. 1) D’abord, comme on l’a dit plus haut, ces technologies émergentes ne sont pas intelligentes par elles-mêmes ; c’est bien l’activité humaine qui permet à ces artefacts techniques d’être intelligents, ou, en tout cas, de déployer des conduites en cohérence avec les circonstances et les attendus particuliers de la situation. Ainsi, un robot aspirateur ne pourra bien faire sa tâche que si l’usager a auparavant veillé à arranger l’espace domestique pour supprimer les potentiels obstacles (chaussettes, jouet…) qui pourraient bloquer l’aspirateur. Même chose pour les assistants vocaux (de types Alexia, ou Google Home…) où ce sont les usagers qui doivent ajuster leur langage (débit, vocabulaire simplifié, articulation) pour être compris par le système. C’est donc bien l’individu qui s’adapte à la technologie et non le contraire. 2) Autre problème, le risque de soumission à une autorité technologique : d’abord, parce que ces systèmes sont annoncés comme infaillibles, comme le commentaire de Christian Estrosi le laisse supposer. Or les scènes enregistrées par la vidéo sont à la fois si complexes et singulières qu’elles ne peuvent être interprétées par la seule machine : comment décrypter l’implicite des interactions sociales filmées ? Comment interpréter le sens des situations en contexte et comprendre la signification des intentions humaines (comme des adolescents qui chahutent, une personne qui court après une autre ou une chute accidentelle) ? Ensuite, parce que ces dispositifs génèrent un nombre si important de données à traiter qu’il est tout simplement impossible pour un individu de gérer cette masse ininterrompue d’informations et surtout d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Par une sorte de mise en abyme, on va donc s’en remettre à une technologie qui va traiter les données qu’elle a elle-même générées. Cet état de soumission et de dépendance, que Milgram (1974) avait qualifié d’« état agentique », retire tout sens critique et tout pouvoir d’action et de décision aux individus, qui obéissent aveuglément aux injonctions de l’autorité. 3) Enfin, le manque d’entretien de la compétence professionnelle, qui se trouve déléguée à la technologie, favorise non seulement sa déliquescence, mais induit également une moindre confiance dans sa maîtrise. C’est ce qu’on appelle le sentiment d’efficacité personnelle17 (Bandura, 2007). En clair, en salle de contrôle des vidéos, le professionnel devient non seulement moins bon dans l’analyse des scènes dont il a la responsabilité, mais il doute également de son expertise et de ses analyses. Il va donc devenir plus dépendant des systèmes dont on vante l’infaillibilité et la rigueur. En somme, on déposséderait les professionnels de leurs compétences et leur capacité de jugement pour mieux les posséder et les asservir par ces technologies. Les environnements immersifs Les environnements immersifs (à base de réalité virtuelle, augmentée et tangible) consistent à plonger une personne dans un environnement artificiel, en stimulant ses modalités sensorielles (via le son, la vision, les odeurs), cognitives (prises d’information et de décision) et sensori- motrices (haptique, geste) via des dispositifs numériques appropriés (casques 3D, gants à retour de force, etc.) (Sagnier, Loup-Escande et Valléry, 2019). Ce monde peut être imaginaire, symbolique ou encore simuler certains aspects du monde réel. On peut distinguer différents types d’environnement immersif : La réalité virtuelle permet ainsi de s’extraire de la réalité physique afin de changer virtuellement de temps, de lieu et/ou de types d’interaction. Elle donne la possibilité à une personne d’exercer une activité sensori-motrice et cognitive dans un monde artificiel, récréé numériquement (Fuchs, Berthoz et Vercher, 2006). Elle permet de faire « comme si », c’est-à-dire de simuler ce que l’on pourrait faire en situation normale et réelle. Ces dispositifs sont souvent utilisés dans le domaine de la formation professionnelle : les salariés se retrouvent dans des situations proches de leurs conditions effectives de travail, difficilement reproduisibles (Ganier, Hoareau et Devillers, 2013). Il peut s’agir par exemple de simuler l’altitude pour conduire une intervention technique en haut d’un pylône électrique, ou encore de mener une opération délicate sur un patient en scénarisant des complications médicales. On utilise aussi de plus en plus ces environnements pour soigner certains troubles psychopathologiques (agoraphobie, troubles obsessionnels compulsifs, stress post- traumatique (Moraes, de Andrade et Paiva, 2016)) ou des délires de persécution (Freeman et al., 2016). La réalité augmentée consiste pour sa part à ajouter/enrichir des informations virtuelles au-dessus de l’environnement physique réel à l’aide d’un visiocasque, d’un ordinateur ou de tout autre système de projection (Marsot, Gardot et Govoere, 2009). Les applications dans le milieu industriel sont diverses. Ainsi, pour des tâches productives on va indiquer précisément à l’opérateur la localisation des rivets à visser sur la carlingue d’un avion en projetant virtuellement les cibles sur la surface des ailes. Dans le domaine industriel, les différentes opérations de maintenance à réaliser sont projetées en surimpression sur le moteur et l’opérateur muni d’un visiocasque est le seul à pouvoir les voir. On interagit donc avec du virtuel pour agir sur du réel. La virtualité augmentée (environnement tangible) consiste à intégrer à un environnement virtuel des entités réelles ; les deux pouvant interagir (Fleck et Audran, 2016). Par exemple, un architecte va déplacer physiquement des maquettes de maison pour un projet de lotissement afin de trouver le meilleur compromis dans la configuration des logements. Les différentes manipulations qu’il réalise sont reproduites en temps réel dans une représentation virtuelle de ce lotissement. Cela permet de calculer instantanément les possibles gains ou pertes énergétiques, selon différents scénarios d’exposition des maisons au vent et au soleil et compte tenu aussi des variations saisonnières. Ici, on interagit avec du réel pour agir sur du virtuel. L’intégration de ces diverses technologies immersives (réalité virtuelle, réalité augmentée, virtualité augmentée) est par ailleurs appelée réalité mixte (Moser et al., 2019). Le métavers Le métavers représente une nouvelle étape de ces environnements immersifs. Basé sur la superposition de plusieurs espaces numériques (c’est-à-dire réalité virtuelle et réalité augmentée), le terme « métavers » est la combinaison du préfixe meta (au sens « au-delà de, transcendance ») et du mot « univers » (multiples environnements possibles) (Lee, Braud et al., 2021). D’un point de vue conceptuel, cet espace virtuel se développe par le biais de trois phases successives : la dissociation entre monde virtuel et monde physique, l’interaction progressive entre le virtuel et le physique pour enfin aboutir à une « fusion » des deux environnements. Plus généralement, le métavers permettrait d’opérer une transition entre un monde virtuel indépendant et un réseau interconnecté en trois dimensions, proposant un réalisme immersif, une ubiquité relative et une interopérabilité fonctionnelle, le tout dans un contexte en constante évolution (Dionisio et al., 2013). A défaut de pouvoir inclure une version physique et réelle de soi dans un environnement virtuel, l’utilisateur projette une image présupposée de lui vers un avatar (représentation virtuelle et symbolique) qui devient alors une extension de lui-même, en contact avec d’autres avatars. 2.3 Les technologies à visée de réhabilitation pour des personnes fragilisées et en situation de handicap : les technologies compensatrices Une troisième classe de technologies vise à l’amélioration, la réhabilitation ou l’augmentation de l’humain. Celui-ci peut se trouver en effet fragilisé, handicapé et plus généralement empêché par diverses déficiences (motrices, organiques, perceptives, cognitives…). Ces vulnérabilités, d’origine naturelle ou acquise (accident de vie ou de travail, maladies…), peuvent fragiliser momentanément (bras cassé, alitement forcé) ou limiter durablement les capacités d’action, de compréhension et d’interaction de l’individu avec son environnement de vie et de travail. La technologie a lors pour ambition de redonner du pouvoir d’agir aux personnes qui en étaient privées. Plus précisément, le paradigme communément accepté sur la situation de handicap suppose que la survenue des incapacités ne résiderait pas seulement dans l’individu, mais se situerait aussi dans l’interaction entre cet individu et son environnement et, plus particulièrement, dans l’incompatibilité des conditions de vie avec les besoins spécifiques de la personne fragilisée. Si donc cet environnement n’est pas modifié de façon à s’adapter à l’individu porteur d’une « défaillance », alors cette personne serait confrontée à une situation d’empêchement. Et c’est justement à ce niveau que les technologies vont être envisagées comme une ressource pour « transformer une situation d’empêchement en une situation plus adaptée » (Vanderheiden, 1997). Ainsi, comme l’évoquent Newel et Gregor (2001), des personnes extraordinaires (porteur de fragilités) peuvent donc se retrouver en milieu ordinaire (lorsque l’environnement est adapté à leur handicap), alors que des personnes ordinaires (valides) peuvent se retrouver elles- mêmes dans des situations extraordinaires ; quand il s’agit par exemple de travailler dans un environnement bruyant, sombre ou avec une langue et des écrits incompréhensibles (sinogrammes en Chine). On perçoit dès lors le rôle supplétif que peut jouer la technologie dans l’intégration des personnes en situation de handicap, notamment au travail et dans leur vie quotidienne. Dans cette perspective, Ebsersold (2002) distingue deux modèles de suppléance auxquels peuvent se rattacher les technologies : un modèle « intégratif » où la réduction des handicaps, des fragilités passe par une action sur l’individu : par de la rééducation, des appareillages, des équipements de compensation du handicap ; un modèle « participatif » où c’est l’environnement « techniquement enrichi » qui va venir atténuer et pallier les déficiences et rendre ainsi la situation de vie et de travail, source de développement et d’autonomie. Dans le souci d’apporter une meilleure intelligibilité à la diversité des technologies d’assistance déployées pour soutenir l’activité des personnes fragilisées, nous proposons cette matrice afin d’identifier la fonction et les apports de ces dispositifs selon deux axes (Bobillier Chaumon, 2008 ; Bobillier et Cionanu, 2009) : Le premier axe horizontal reprend la dimension intégrative versus participative des TIC, à savoir : soit les TIC ont pour ambition d’atténuer ou de compenser les déficiences des personnes fragilisées, qu’elles soient fonctionnelles, cognitives ou sociales en équipant directement la personne (versant « intégratif ») ; soit la technologie cherche plutôt à prévenir ces déficiences et/ou à stimuler ou renforcer les capacités socio-biographiques des personnes pour favoriser leur autonomie. C’est le versant « participatif » qui vise à adapter l’environnement de vie. Le second axe vertical (tangible versus intangible) témoigne de l’expérience effective que l’individu a vis-à-vis de ces dispositifs : soit les systèmes techniques où les services rendus sont palpables et visibles dans l’environnement de vie et requièrent alors une interaction et une manipulation physique, directe et consciente. Ce sont les technologies « tangibles » ; soit ces systèmes sont au contraire totalement transparents et invisibles pour l’usager. Ils se fondent littéralement dans son milieu de vie et n’impliquent aucune interaction directe de la part de l’usager. Ce sont des technologies que nous qualifions « d’enfouies, d’intangibles ou d’impalpables ». On parle aussi de non-intrusivité (notion de calm technology ou d’invisible technology ; Weiser, et Brown, 1996), à savoir que la technologie ne doit pas empiéter sur l’espace personnel de la personne. Grâce à cette trame, il est alors possible de distinguer les technologies qui vont plutôt compenser les déficiences de celles qui vont les prévenir/ou stimuler les capacités des personnes pour favoriser leur autonomie. Plus précisément : 1. Sur le versant intégratif-palliatif/tangible, on trouve les exosquelettes, les NBIC, les systèmes de téléassistance (comme la téléalarme) et aussi les robots d’assistance qui permettent de déplacer au domicile des personnes très diminuées physiquement. NBIC C’est l’acronyme des termes « nanotechnologie, biotechnologie, informatique et cognition ». Elles se proposent d’intégrer les technologies les plus avancées aux fonctions humaines. Le but est d’optimiser le fonctionnement de l’individu et de compenser ses éventuels déclins. C’est ce que certains désignent par « l’homme symbiotique », c’est-à- dire faire de la personne un « homme augmenté » techniquement (Brangier et Pino, 2000). Des implants cérébraux commandent ainsi des assistants techniques (comme des fauteuils roulants), stimulent les muscles de personnes handicapées ou gouvernent des extensions techniques du corps (par des exosquelettes). 2. Sur le versant participatif/tangible, on retrouve les téléservices (comme la téléconsultation et la médecine à distance ; Sandoval, Bobillier-Chaumon, Hully et Barbet, 2022), ou encore les robots de téléprésence et les robots compagnons ou sociaux. Les robots sociaux Appelés également robots compagnons, ils ont été développés afin d’améliorer le bien-être des personnes âgées, ils peuvent avoir l’apparence d’animaux de compagnie tels que le chien AIBO, le chat NeCoRo, ou le phoque Paro (Martineau et Bobillier Chaumon, 2017). Ces robots peuvent agir comme des stimulants émotionnels, communicationnels et interactionnels. Ce sont des robots équipés de capteurs dotés de capacités d’apprentissage qui vont s’adapter en fonction des préférences des utilisateurs ; ils peuvent simuler des émotions, réagir à leur prénom, répondre à une attention. Ils sont destinés plutôt aux personnes fragiles présentant des déficiences cognitives et des troubles du comportement (Wrobel et al., 2014)18. 3. Sur le versant intégratif/intangible, on retrouve l’actimétrie (qui reprend les principes du big data déjà énoncés supra) ainsi que le jumeau numérique emprunté à l’industrie. L’actimétrie et le jumeau numérique L’actimétrie répond aux faiblesses de dispositif porté comme la téléassistance en utilisant des capteurs nomades qui vont mesurer un certain nombre de données telles que les données physiologiques, environnementales, ou encore celles liées à l’activité (Noury et al., 2014). Grâce à ces capteurs, il est possible de suivre l’état de santé de la personne et la réalisation de ses activités au domicile afin de réduire les potentiels accidents et favoriser le maintien à domicile. Par exemple, on va évaluer la qualité de vie des personnes âgées par la fréquence d’usage du téléphone (fréquence et durée des appels, destinataires…) ou encore selon la consommation électrique des objets du quotidien (TV, frigo, radio, lumière de certaines pièces…) qui témoigne chacun d’un rythme et des habitudes de vie (Hem et al., 2015). Dès lors, tout écart – dans la consommation électrique ou dans l’usage des artefacts – par rapport aux standards habituellement mesurés sera symptomatique d’une dégradation de l’état de la personne. Au travers de ces évaluations, on cherche à déterminer des comportements déviants et à alerter en conséquence les proches. Le jumeau numérique permet à partir de ces données de recréer l’exact double numérique de la personne. Il s’agit, de cette manière, de modéliser les comportements quotidiens et de créer des scénarios de fragilisation. Ces scénarios permettent d’anticiper ou d’identifier des signes de vulnérabilité afin de prévenir une dégradation de l’état de santé (Devanne et Papadakis, 2019). 4. Sur le versant participatif et intangible se positionne des technologies persuasives (appelées aussi captology pour computer as persuasive technology que l’on retrouve sous la forme des objets connectés (IoT). Selon le principe du nudge, ces technologies persuasives donnent à l’individu des informations sur leur activité (comme l’évaluation du rythme du sommeil, du poids, de l’activité physique…) afin de leur envoyer des avertissements ou des suggestions convaincantes pour leur faire adopter un comportement plus sain. Certaines entreprises utilisent aussi ces objets connectés disséminés dans l’environnement de travail afin d’évaluer les bonnes ou mauvaises conduites en matière de santé au travail (postures inadaptées, sédentarité prolongée…) et cherchent à provoquer des changements comportementaux. Les technologies pervasives, ambiantes, ubiquitaires (appelées assistant ambiant living – AAL) font leur apparition dans les domiciles depuis quelques années pour assister les personnes fragilisées dans la réalisation de certaines tâches. Le concept d’AAL a été développé en s’appuyant sur l’habitat intelligent (Nehmer et al., 2006). L’idée est d’équiper l’habitat de solutions techniques innovantes – types capteurs, traceurs, enregistreurs… – qui se fondent dans l’environnement de vie des personnes ou sur des objets de la vie courante (objets connectés) et qui n’impliquent généralement aucune action et ni interaction de la part du sujet. Elles sont ainsi capables d’identifier les besoins des personnes pour y répondre, voire d’anticiper ces attentes et de déclencher les actions idoines. La détection automatisées de chutes par des technologies ubiquitaires Dans le cas du maintien au domicile des personnes dépendantes, des technologies de téléassistance à base IA fonctionnent avec des caméras et des micros intelligents répartis dans l’habitat. Ces systèmes pervasifs suivent ainsi les déplacements des personnes et détectent automatiquement les chutes (par la reconnaissance visuelle et sonore). Selon la gravité de l’incident, ils vont solliciter les secours (Bobillier Chaumon et al., 2016). La réalité immersive – à base de réalité virtuelle et augmentée, déjà évoquée précédemment – est également massivement utilisée dans le domaine de la santé. On va ainsi recréer un environnement virtuel afin par exemple de confronter la personne à des situations traumatiques (phobie, angoisse, psychose…)19. En définitive, les divers empêchements, déficiences et/ou défaillances dont sont victimes les individus peuvent être envisagés autrement que comme des pertes irréversibles ou invalidantes, au regard des potentiels apports des technologies d’assistance et de soutien. Il est possible de miser sur les contributions de ces environnements technologiques dans une dynamique de compensation/stimulation de la personne fragilisée. Les TIC seraient en mesure d’accompagner ou même de susciter un processus global de réaménagement de vie, qui affecterait autant les capacités des personnes empêchées que les situations interpersonnelles et sociales dans lesquelles elles s’inscrivent. Dans ces conditions, ces technologies deviendraient habilitantes parce qu’elles sont propices à l’exécution des projets de ces individus et qu’elles reconnaissent leurs compétences et leurs potentiels. Elles apportent aussi des ressources pour favoriser leur autonomie et contribuer à leur développement tant cognitif que psychosocial. Ce qui accroîtrait le pouvoir d’agir de ces personnes fragilisées. On retrouve une idée analogue dans les travaux de Brangier et Pino (2002) sur les assistants techniques comme forme de symbiose entre l’homme et la technologie. Il montre comment ces technologies d’assistance ne rendent pas seulement les choses plus faciles à accomplir pour des sujets affaiblis et dépendants, mais surtout qu’elles les rendent possibles. On donne des possibilités d’agir aux sujets fragilisés afin qu’ils réalisent leur tâche de manière plus confortable et plus efficace. Ces possibilités d’action enfin recouvrées conduisent également à l’élaboration de processus d’appropriation ou de réappropriation du monde par les sujets et à la possibilité de retrouver une place sociale et d’être un acteur à part entière de situations desquelles ils avaient pu être exclus du fait de leur fragilité ou handicap : comme exercer une activité professionnelle, être autonome dans les tâches de la vie quotidienne, gérer seul ses procédures administratives… Pour ces raisons, les différentes technologies compensatrices représentent un objet d’étude et d’intervention à part entière pour la psychologie du travail. D’abord, pour les aides et assistances qu’elles peuvent procurer aux salariés les plus vulnérables, dans une logique de prévention ou de remédiation en santé au travail, et plus généralement de retour ou de maintien dans l’emploi. Ensuite, elles sont aussi à considérer pour les incidences qu’elles induisent auprès des professionnels (soignants, aidants, intervenants au domicile, administratifs…) qui gravitent autour des personnes fragilisées et qui peuvent voir leurs pratiques profondément remaniées par l’arrivée de ces nouveaux dispositifs. L’intervention du psychologue du travail peut dès lors s’étendre à plusieurs niveaux : comprendre les conditions d’usage et d’adoption de ces technologies auprès de ces destinataires fragilisés, mais aussi auprès de leur écosystème (sphère socio-domestique et professionnels du champ médico-social) ; déterminer dans quelle mesure l’outil ne fragilise pas davantage la personne dépendante en la déchargeant de toutes occupations et responsabilités : l’outil ne doit pas systématiquement « faire à la place de…, se substituer à l’individu » surtout pour les tâches qui sont jugées les plus valorisantes et stimulantes, au risque de fragiliser et de disqualifier la personne symboliquement et humainement ; veiller à ne pas créer une dépendance psychologique ou physique à l’égard de ces technologies, sous laquelle l’individu s’en remettrait à l’autorité ou à l’assistance du système pour mener une conduite sans risque. Prendre prétexte du projet de conception et d’implantation de ces technologies pour, d’une part, mener une étude sur les conditions de vie des sujets et, d’autre part, sur la base de cette compréhension fine de terrain, instaurer un dialogue fécond entre les différents acteurs (soignants, aidants professionnels et familiaux) impliqués dans la prise en charge des personnes fragilisées. L’objectif est alors de réfléchir à un meilleur accompagnement humain de ces dernières et de réfléchir collégialement à la place et aux rôles que les technologies pourraient avoir dans cette supervision ; en particulier quand la prise en charge humaine atteint ses limites : à quel moment la technologie peut-elle servir ou ne doit-elle pas intervenir ? Pour soulager quels types d’activités ou de pratiques ? Quelles sont les informations à transmettre, et à quels destinataires et pour quoi faire ? Comment aussi réorganiser au mieux le système d’activité socio-domestique pour mieux accueillir le dispositif. Et inversement, comment mieux adapter la technologie pour qu’elle s’intègre plus facilement dans ce cadre de vie ? Autant de questions et de points de vigilance qui doivent guider le psychologue du travail dans ses réflexions et dans le déroulement de son intervention. Nous allons d’ailleurs revenir plus en détail sur les modalités et les axes d’analyse que nous proposons de déployer dans les projets de transformation digitale, en définissant ce que nous entendons par « la clinique des usages » qui fonde cette psychologie du travail digitalisée.