Psychologie du travail digitali PDF

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digital work psychology workplace technology human-computer interaction organizational behavior

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This document explores "Activity 4.0," focusing on how digital technologies are changing work patterns. It analyzes the mediating role of technology, the distributed nature of modern work, and the integration of human activities with machines. Concepts like telework, hybrid work, and remote work patterns are discussed, with emphasis on the impact on human engagement and task redefinition. The document also addresses the implications for management, employment assessment, and evolving organizational structures in the digital era.

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1. L’activité 4.0 : ses caractéristiques et ses manifestations Les modèles traditionnels d’activité en vigueur dans les entreprises se sont progressivement vus remis en cause par l’arrivée de nouvelles formes d’organisation du travail et de management des salariés, dont les facteurs déclencheurs...

1. L’activité 4.0 : ses caractéristiques et ses manifestations Les modèles traditionnels d’activité en vigueur dans les entreprises se sont progressivement vus remis en cause par l’arrivée de nouvelles formes d’organisation du travail et de management des salariés, dont les facteurs déclencheurs ont été : (1) la digitalisation massive de l’activité professionnelle avec une numérisation de tous les process de l’entreprise ; (2) le besoin de répondre à de nouvelles aspirations professionnelles (notamment chez les milléniaux) basées sur le besoin d’une plus grande autonomie et reconnaissance et surtout sur le besoin de trouver un sens dans leur engagement au travail, et (3) enfin, par les diverses crises (sanitaire, écologique, énergiques, géopolitiques et économiques) qui ont contraint les firmes à réaménager leurs modèles de travail dans une certaine précipitation : par exemple, la généralisation du télétravail et du travail hybride, le développement des équipes virtuelles, la réaffectation des espaces de travail, le besoin une plus grande agilité organisationnelle. De nouveaux modes d’activité 4.0 se sont alors déployés et/ou amplifiés à la faveur de ces reconfigurations. 1. C’est d’abord une activité médiatisée par les technologies, c’est-à-dire que l’usage même d’un artefact implique une transformation des modalités de conceptualisation, de réalisation et d’organisation de l’activité qui se fait. Ainsi, assurer une réunion à distance via Zoom ou Teams n’aura pas la même consistance ni la même dynamique interactionnelle qu’en présentiel. Il y a donc des changements dans ce qui se fait et dans la manière de le faire, du fait même de la présence de ce médium technologique. 2. C’est aussi une activité plus éclatée, distribuée, partagée entre des hommes – on parle de travail collaboratif, d’équipe virtuelle, de travail en réseau – et entre des hommes et des machines – on parle d’activité mutualisée, médiatisée, coopérative, d’interactions personne-machine. De nouveaux compromis d’action et de responsabilités sont alors à trouver dans ces environnements distribués, par exemple, le fait de devoir collaborer avec un robot (cas d’un cobot) ou avec une intelligence artificielle et de partager le travail et ses prérogatives. 3. Par ailleurs, tout ou partie de l’activité humaine – cognitive, sociale, physique, voire psychique – se voit prise en charge par les technologies. Dans ces collaborations personne-machine, une partie de l’activité humaine se trouve dès lors déléguée aux instruments pour des raisons d’efficacité et de performance, de fiabilité et de robustesse. L’enjeu est alors de bien apprécier quelle est la composante de l’activité humaine qui va se voir attribuée à la machine : est-ce la plus stimulante, la plus valorisante, celle qui incarne le mieux le métier et l’engagement du professionnel dans son travail ? Cette question se révèle cruciale, car en dépossédant le salarié de ses prérogatives, on risque de dénaturer le travail et son intérêt même. Aussi, il importe que le cœur de l’activité, celui qui a du sens pour l’individu et qui donne du sens à son travail, reste du côté du salarié. Nonobstant, ce principe reste tout aussi vrai pour des tâches qui pourraient être considérées a priori par les concepteurs des technologies comme plus anodines ou superficielles, et donc inutiles pour le travail des professionnels. Rappelons que l’un des projets de l’IA est de justement décharger les salariés de toutes ces tâches dites « futiles » afin de les soulager et leur permettre de s’investir dans des activités cognitives à plus haute valeur ajoutée. Or dans un travail très dense et aléatoire, certaines tâches répétitives et a priori insignifiantes vont justement prendre du sens pour le sujet, car elles offrent l’occasion de faire une pause, de vagabonder intellectuellement, de rêvasser pour s’adonner à la création. On laisse alors libre cours à son imagination tandis que les automatismes cognitifs prennent le relais en quelque sorte. Ces petites tâches futiles du quotidien donnent aussi l’impression de mener à bien une partie de son travail, notamment quand celui-ci souffre d’une multi-activités coûteuse et incertaine. C’est pourquoi, avant tout projet de réattribution de différentes composantes de l’activité, il convient de bien apprécier la valeur et l’utilité effective que revêtent ces pratiques pour le sujet. 4. Autres caractéristiques de cette activité 4.0, c’est l’évolution des repères et du contenu du travail, et plus généralement des règles d’exercice de l’activité et de ses modalités de réalisation. Le travail tend à s’invisibiliser et à s’individualiser, en étant plus distant, dématérialisé, automatisé et intangible. Il devient aussi davantage dispersé/fragmenté dans des espaces- temps pluriels et virtuels : à l’instar de ces nouveaux modes de travail que l’on qualifie de télétravail, d’hybride, de multimodal, de travail nomade ou encore de mobile. Si ces différents formes de travail médiatisées à distance partagent le principe commun d’une alternance et/ou d’une coexistence entre des temps, des lieux et des organisations de travail différents (domestiques, publics, professionnels, etc.) qu’il s’agit de réguler, d’articuler et d’ajuster, ces modalités présentent néanmoins des spécificités propres que nous allons détailler. Les nouvelles formes de travail Le télétravail désigne « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l’information dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci » (Accord national interprofessionnel-ANI, art. L. 1222-9 du Code du travail). Il peut s’exercer sur le lieu d’habitation du salarié ou dans un tiers lieu, de façon régulière, occasionnelle ou en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure. Le travail hybride se définit comme l’articulation/succession de temps et de formes de travail bien spécifiques : entre ceux dédiés au travail à distance (par exemple les journées en télétravail, les sessions de formation à distance par Teams, le travail itinérant nomade) et ceux effectués en présentiel (par ex. : travail au bureau de l’entreprise, formation dans une salle de classe physique). Le salarié va par exemple travailler deux jours à la maison puis trois jours dans l’entreprise. On parle aussi de travail pendulaire. Ce travail hybride est d’ailleurs souvent confondu – à tort – avec le travail multimodal (ou encore co/bimodal). Le travail multimodal implique la coexistence simultanée de modalités distancielles et présentielles dans la réalisation de la tâche. Par exemple, quand il s’agit d’enseigner à un groupe d’élèves en face et face et, dans le même temps, de dispenser ce cours à d’autres étudiants à distance, via de la visioconférence. Il existe, et cela depuis toujours, des travailleurs nomades, c’est-à-dire des personnes dont l’activité ne s’exerce pas dans les lieux maîtrisés par l’employeur, mais « sur place » (pour les travaux publics et le bâtiment par exemple) ou « itinérants » (comme les commerciaux) ou encore « chez le client » (pour des consultants en prestation ou en régie dans les entreprises). L’activité nomade relève d’une migration à la fois spatiale, temporelle, géographique et fonctionnelle entre différents lieux d’activité dont la caractéristique principale est que le professionnel connaît et maîtrise ces différents cadres d’exercice de travail. Par exemple, un cadre dirigeant va visiter régulièrement les équipes des différentes filiales de l’entreprise réparties dans le monde. Il peut ainsi anticiper et déterminer les ressources et contraintes auxquelles il devra faire face dans ces différents lieux d’action. Ces va-et-vient entre plusieurs espaces prédéterminés relèvent d’une forme d’itinérance par la capacité à programmer et à construire son activité. Ce qui est différent du travail mobile et de l’errance qui en découle. Le travailleur (ou le travail) mobile, à la différence du travailleur nomade, se caractérise par son incapacité à prévoir les contextes dans lesquels il va se retrouver. Il va les découvrir au fur et à mesure de ses déplacements et doit alors constamment improviser dans des situations qu’il ne connaît pas toujours ni ne maîtrise (Bonneau et Enel, 2018). On peut citer le cas de ces éducateurs mobiles qui doivent rendre visite à des enfants placés dans des familles (Lutumba, Bobillier Chaumon et Miossec, 2022). Il leur faut alors sans cesse reprogrammer les trajets en voiture (plusieurs centaines de kilomètres à parcourir) qui peuvent varier en fonction des conditions météorologiques et de circulation. L’intégration dans la sphère du domicile est également à renégocier à chaque fois selon l’ambiance familiale et les risques de tension associés. Il agit selon une organisation très opportuniste de l’activité, en fonction des circonstances et des contingences des lieux et modalités d’exercice du travail qui se multiplient : gérer les déplacements, les rendez-vous, les horaires, l’intégration au domicile, les modes d’évaluation dans l’espace singulier du domicile, effectuer les comptes rendus à distance… 5. C’est d’ailleurs parce que ce travail s’invisibilise, qu’il s’éloigne des structures de l’entreprise et qu’il échappe aux radars classiques de l’organisation que l’entreprise entreprend de réinventer – et souvent de démultiplier – des modalités technologiques d’évaluation du travail et de supervision des salariés pour s’assurer que ces derniers réalisent bien les tâches pour lesquelles ils sont rémunérés. Cela tend aussi à entretenir le sentiment de défiance que l’organisation porte à ses collaborateurs dans la mesure où tout ce qui ne peut être contrôlé et quantifié n’existe pas. Le rôle des instruments technologiques n’est alors pas de soutenir le « pouvoir de faire » mais plutôt de servir au « contrôle du faire » : ainsi les tableaux de reporting à remplir, les KPI à fournir (key performance indicator ou indicateurs de performance de l’activité), la traçabilité électronique des différentes tâches (heures et temps de connexions aux logiciels, aux espaces partagés, aux réunions virtuelles, fréquence des prises de parole, réactivité aux mails…) sont autant d’indices qui permettent à l’organisation de s’assurer de l’engagement performatif du salarié dans ce travail à distance (Gilbert et Bobillier Chaumon, 2022). Comme l’indique ce cadre manager, « est-ce normal de prendre bientôt autant de temps à justifier ce que l’on fait que de consacrer du temps à le faire ? ». Ces différentes propriétés de l’activité 4.0 vont alors contribuer à la reconfiguration des modes de gestion et d’organisation du travail. 1. Cela touche d’abord les pratiques, les compétences et les métiers. De nouvelles aptitudes et savoir-faire sont en effet requis pour prendre en charge l’évolution du contenu et des modalités du travail. On peut ainsi évoquer l’exemple de ces ingénieurs industriels dont le processus de représentation et de fabrication des pièces change selon les outils de conception assistée par ordinateur (CAO) employés. Ce sont aussi les informaticiens qui vont élaborer différemment les programmes à concevoir en fonction des environnements de développement et langages informatiques utilisés. Ou encore le chirurgien qui voit son geste de métier totalement remanié en passant sur un environnement robotisé (Seppänen, Kloetzer et Riikonen, 2017). Aussi, l’exercice du métier dépend de plus en plus de la maîtrise de l’outil technologique : par ce qu’il permet, autorise ou empêche de faire. Changer de technologie revient donc à changer ses façons de faire le métier. 2. La gestion des espaces de travail (flex-office, les tiers lieux comme le coworking, les fablab) se trouve aussi rénovée sous le joug de l’activité 4.0 (Bobillier Chaumon et al., 2021e). Le bureau n’est plus un déterminant majeur ni exclusif du travail. Il s’exporte, grâce aux environnements numériques, largement hors des murs de l’entreprise (i.e.le travail sans frontière) et s’affranchit également des barrières temporelles, spatiales et organisationnelles de l’entreprise. Parce que les salariés manifestaient une forte appétence pour le travail hybride et le télétravail suite à la crise Covid (Vayre, 2019), les entreprises en ont profité pour repenser l’aménagement de leur espace de travail. Elles proposent des locaux plus fonctionnels et plus adaptés aux taux d’occupation réels et surtout coûteux de leur immeuble. Cet aménagement optimisé et ciblé de l’espace par l’activité est désigné par la notion de « flex-office » (ou activity- based workplace). Les bureaux flexibles « En libre-service », ils offrent une diversité d’espaces et de postes de travail, dédiés à des types d’activités très spécifiques : répartis en lieux de « concentration », « d’interaction », de « collaboration », ou d’« échanges informels », « spontanés » ou « planifiés ». Le taux de partage de ces typologies d’espace de travail est d’environ 0,8, c’est-à-dire que huit postes de travail sont disponibles pour dix salariés dans l’organisation en fonction leur présence dans l’entreprise. L’usage de ces espaces est régi par une série de principes de fonctionnement et de règles, comme la politique du « bureau net » (clean desk), qui stipule qu’un poste de travail doit être libéré après la fin de son utilisation ou après un certain créneau horaire (journée ou demi-journée, quelques heures) afin de permettre aux autres travailleurs de s’y installer ; ou le principe du « zéro papier » (paperless), qui impose une gestion numérisée des documents dans un espace de travail où les zones de stockage sont réduites (Lai et al., 2021). Cette distribution des espaces fonctionnels de travail impose que le salarié organise sa journée de travail et planifie l’occupation des postes en fonction des activités qu’il projette de réaliser. C’est donc un travail supplémentaire qui requiert une adaptation de l’activité à ces espaces dédiés. Contrairement au bureau classique où le salarié asservissait son espace pour y réaliser ses diverses tâches. Quant aux tiers lieux, espaces à mi-chemin entre les lieux de vie et de travail, ce sont des espaces physiques ou virtuels de rencontres entre personnes et compétences variées qui n’ont pas forcément vocation à se croiser. Ils permettent les rencontres informelles et favorisent la créativité issue des interactions sociales, notamment à travers l’ouverture, la flexibilité, la convivialité et l’accessibilité. Chaque tiers lieu a ainsi sa spécificité, son fonctionnement, son mode de financement, mais tous ont pour vacation de favoriser la créativité, l’initiative, le partage, et de plus en plus l’activité économique. Parmi ces tiers lieux, on distingue les espaces de coworking, des fablabs et des living-lab. Les tiers lieux de travail Le coworking réunit dans un espace partagé des professionnels indépendants (auto- entrepreneurs, consultants…) qui louent des locaux pour être en mesure de réaliser leur activité. Ce regroupement et cette proximité physique favorisent des rencontres, des partenariats et les collaborations/synergies entre ces différents professionnels (Lescarret, Lemercier et Le Floch, 2022). Les fablabs sont une version plus « industrielle » et ouverte du coworking. Ce lieu est ouvert au public et met à disposition des matériels coûteux, spécifiques et difficilement accessibles pour le béotien (type imprimante 3D, outils de CAO – conception assistée par ordinateur –, machine-outil numérique, robot, environnement immersif) pour les aider à la conception, la fabrication ou la réparation de produits. Constituant un espace de rencontre et de création collaborative, l’ambition est aussi de stimuler l’inventivité en donnant accès à des instruments de conception et un accompagnement dédié (Martinaud et al., 2018). Les living-labs regroupent différents acteurs (industriels, concepteurs, utilisateurs finaux, aidants, associations, financeurs, politiques…) qui travaillent de concert – et non en vase clos – afin de concevoir, développer et valider des produits, services et technologies destinés le plus généralement à des personnes fragilisées (malades, âgées…) dans le champ de la santé et de l’autonomie. L’ambition est de recueillir et de confronter les différents points de vue (techniques, sociaux, culturels, économiques) portés par les différentes disciplines, partenaires et acteurs/destinataires du projet innovant (Voilmy, 2017). Mais œuvrer uniquement loin de l’entreprise peut se révéler délétère, car il y a un réel besoin de se sentir intégré physiquement à une structure. Et cela passe nécessairement par un attachement matériel et corporel à l’entreprise. Avoir un espace à soi, à son nom, c’est symboliquement appartenir à une organisation, être lié à une équipe. C’est pourquoi le déploiement du flex-office doit être mieux pensé avec les salariés car, avec des bureaux interchangeables, on se sent de fait plus interchangeable et remplaçable. Occuper des espaces sans âmes (car non appropriables), c’est risquer de perdre son âme. Et puis, ces nouvelles configurations de travail interrogent l’intégration sociale des jeunes embauchés ainsi que les processus de socialisation organisationnelle en œuvre en remettant en cause le sentiment d’appartenance à l’entreprise. 3. Enfin, dernières caractéristiques de cette activité 4.0, le fait que de nouvelles formes d’organisation du travail (mode agile, lean-management, entreprise libérée…), de nouveaux modes de management (distant, algorithmique, panoptique…) et de gestion des emplois et des compétences (plateforme numérique, travailleurs du clic…) accompagnent ou voient leur position renforcée par ces transitions numériques. Arrêtons-nous un instant sur les plateformes numériques et plus précisément sur le management algorithmique qui recompose la stratification des emplois (ubérisation des emplois) et les modes de gestion et de régulation du travail. Le management algorithmique Il repose sur l’usage d’outils logiciels couplés à un système d’intelligence artificielle qui croisent des données de productivité avec la satisfaction des clients servis (Teboul, 2017). Dans les faits, et comme l’évoque Leduc (2022), il y a une surveillance renforcée de l’activité des travailleurs et une évaluation quotidienne de leurs performances, à travers les notes des clients, les taux d’acceptation ou de rejets des tâches, mesurés par la plateforme ; ces notations deviennent des sources d’appréciation de la performance individuelle, utilisée par les manageurs pour récompenser, affecter les tâches, mais aussi sanctionner, en réduisant le volume de travail et donc la rémunération associée (Leduc, op. cit., p. 91). Ce dernier souligne d’ailleurs que les algorithmes peuvent aussi servir à inciter les travailleurs à rester connectés plus longtemps : que ce soit par un système de notification lors des heures de pointe, ou par la possibilité de fixer des objectifs monétaires quotidiens qui sont rappelés en fin de journée. Tout cela repose sur l’utilisation de nudges et de sanctions pour stimuler le comportement au travail. Cette technologie est aussi largement déployée dans les entreprises de logistique et sur les plateformes numériques de type Uber qui pilotent et organisent le travail des livreurs et des chauffeurs. Cette hyper-rationalisation des tâches déshumanise le travail, faisant du salarié le rouage d’une machine qui le dépasse et dont il ne comprend plus le fonctionnement. C’est la machine qui désormais le commande (op. cit., p. 91). De fait, ils savent rarement pour quelle société ils travaillent, ni même à quoi leur labeur va servir. Une dernière remarque concerne les populations aux prises avec ces transformations de travail. Il est difficile de soutenir la thèse d’un quelconque déterminisme générationnel qui verrait les plus jeunes comme étant les plus aptes à gérer ces évolutions sociotechniques (Cros, Bobillier Chaumon et Cuvillier, 2016). Or, comme on a pu le constater lors du confinement sanitaire, ce sont les salariés séniors qui ont su, mieux que les autres, faire face aux nombreux dérèglements organisationnels provoqués par le travail à distance. Ils ont ainsi réinventé, développé et ajusté leurs pratiques à ces nouvelles formes de travail grâce à leur connaissance « intime » de l’entreprise, aux astuces et règles du métier et au soutien d’un collectif élargi et solide. Pour autant, il est vrai qu’une partie de la génération de salariés qu’on appelle les « milléniaux » – génération Y ou encore Z (pour Zoomer) – entretient un rapport particulier au travail et à l’entreprise (Schroth, 2019). Lorsqu’ils ont un haut niveau d’étude, ils arrivent globalement mieux à jongler avec les exigences de ce travail médiatisé dispersé. Ils affichent aussi un rejet de l’autorité verticale (autocratique) et une aspiration pour une prise de décision plus collégiale. Il y a aussi la recherche d’une plus forte congruence entre leurs valeurs personnelles et celles de l’organisation. Enfin, la centralité du travail n’est plus de mise. Cette génération souhaite un équilibre de vie travail/hors travail pour se consacrer à leurs proches et à des engagements personnels (à visées écologiques, associatives, humanitaires…). Les reconfigurations à l’œuvre dans cette activité 4.0 ne sont pas sans conséquence sur la santé des professionnels. En effet, à ces nouvelles façons d’agir correspondent aussi de nouvelles façons de subir, que nous allons prendre soin d’analyser dans la partie qui va suivre et qui porte sur les effets paradoxaux des transformations numériques au travail.

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