Jancovici Cours 2 - Les Energies Fossiles PDF
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Mines ParisTech
2019
Jean-Marc Jancovici
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This document is a transcript of a lecture by Jean-Marc Jancovici on fossil fuels, delivered at MINES ParisTech in 2018-2019. It analyzes France's energy consumption, highlighting the significant role of fossil fuels, and contrasting it with the role of nuclear energy.
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Transcription des cours magistraux de Jean-Marc Jancovici Éléments de base sur l’énergie au XXIe siècle Partie 2 – Les énergies fossiles Cours magistraux dispensés à MINES ParisTech Année scolaire 2018 – 2019 c bna The...
Transcription des cours magistraux de Jean-Marc Jancovici Éléments de base sur l’énergie au XXIe siècle Partie 2 – Les énergies fossiles Cours magistraux dispensés à MINES ParisTech Année scolaire 2018 – 2019 c bna The Shifters, 2019. AVERTISSEMENT Ce document a été réalisé par les membres de l’association de loi 1901 The Shifters au cours du second semestre 2019. Il contient une transcription écrite d’une des interventions filmées de Jean- Marc Jancovici à MINES ParisTech au cours de l’année scolaire 2018-2019. Cette transcription a été réalisée dans le but d’être la plus fidèle possible aux propos tenus par l’orateur lors de son intervention. Cependant, comme toute transcription écrite de propos tenus oralement, celle-ci est nécessairement im- parfaite, et certains éléments du discours original ont été supprimés ou révisés – quoique de façon marginale – afin d’obtenir un texte plus fluide. L’intervention filmée originale est consultable à l’URL suivante: https://www.youtube.com/watch?v=1NHPgrH5lcQ Ce document est placé sous license CC-BY-NC-SA. Il est librement distri- buable, sauf à des fins commerciales. Dans le cas où ce document servirait à produire des créations dérivées, il convient aux auteurs de ces créations déri- vées de faire mention de la provenance du présent document et de placer ces créations dérivées également sous licence CC-BY-NC-SA. ii Table des matières 1 L’ère du feu, croissance à gogo, et 2 questions............. 1 2 La France, pays « tout nucléaire » ?.................. 2 3 Du pétrole, pour quoi faire ?..................... 5 4 Du pétrole, chez qui ?......................... 10 5 Du gaz, pour quoi faire ?....................... 11 6 Du charbon, chez qui ?........................ 12 7 Du charbon, pour quoi faire ?.................... 13 8 Où va « notre » pétrole ?........................ 16 9 Où va « notre » gaz ?.......................... 18 10 Où va « notre » charbon ?....................... 19 11 L’aventure du pétrole commence à la plage ou presque...... 21 12 Le pétrole aime la cuisson à petit feu................ 23 13 Le but du jeu, c’est de piéger l’autre................. 26 14 On peut être piégé de plusieurs manières.............. 29 15 Le lendemain de cui...sson est parfois pâteux........... 30 16 L’aventure recommence........................ 32 17 Merci, mère nature !.......................... 34 18 Pétrole et gaz, des énergies de dinosaure !.............. 36 19 Parlons un peu nomenclature.................... 38 20 Production de quoi exactement ?................... 41 21 Du plancton à l’huile, une sélection plus sévère qu’à ENSMP.. 43 22 Le pétrole sous terre : réserve or not réserve ?........... 44 23 Plus dur que le sexe d’un bébé : combien de pétrole ?....... 46 24 Un réservoir de géologue n’est pas celui d’une auto.......... 48 25 Les joies de la nomenclature....................... 49 26 Les joies de la nomenclature (bis).................. 51 27 Une réserve, c’est (un peu) pour un prix.............. 54 28 Hydrocarbures de schiste : back to the future........... 56 29 Plein de trous sans l’ombre d’un dollar de gain ?.......... 58 30 Faire le tour du hangar et regarder par le trou de la serrure... 60 31 Parlons chiffres............................. 62 32 Mieux vaut d’abord trouver le pétrole si on veut l’extraire.... 64 iii 33 C’est la petite bête qui descend, qui descend............. 65 34 Et il en sortira quoi de tout ça ?................... 66 35 Moins de découvertes parce que nous cherchons moins ?..... 67 36 Mais ça ne suffit pas à produire plus.................. 70 37 Chère, la technologie !......................... 73 38 Les réserves, normalement sensibles à l’activité des shadoks... 74 39 Et en plus les réserves prouvées sont un poker menteur....... 92 40 Les réserves sont l’affaire du ministre plus que du PDG..... 93 41 Les maths, c’est décidément détestable................. 95 42 Pic systématique !........................... 98 43 Pic pour un champ.......................... 99 44 Pic pour un gros champ........................ 100 45 Pic pour un gros pays......................... 101 46 Un double pic est aussi possible................... 102 47 Le pic est très rapide pour un puits de shale oil.......... 103 48 Et donc il faut faire des trous en permanence !........... 105 49 Du champ au pays........................... 106 50 Stock non renouvelable ⇒ pic et pic et................. 107 51 Comment passer de grosses recettes à de menues dépenses... 108 52 Le pic, une réalité déjà fréquente.................. 109 53 Pic de la production... mais pas de la consommation !...... 110 54 Le pic, une réalité déjà fréquente – 2................ 114 55 Je gagnais quelques sous, mais c’est du passé !........... 115 56 Le pic, une réalité déjà fréquente – 3................ 116 57 Pic du sud............................... 117 58 Au grand jeu du pic, les Européens sont excellents........ 118 59 Le pic, une réalité qui se combat ?.................. 119 60 Un petit coup de microscope..................... 120 61 Mais le baril, ça pèse toujours la même chose ?........... 121 62 Et l’auto-suffisance ce n’est pas vraiment pour tout de suite... 123 63 On peut exporter et importer ailleurs que dans le pétrole.... 124 64 Des découvertes à la production................... 125 65 Découvertes et productions se ressemblent souvent........ 127 66 En France, peu de pétrole, mais deux pics !............. 128 67 Des idées et pas de pétrole, voilà le résultat............ 129 68 Trois versions d’un R/P = 40..................... 131 69 Je crois, mais un peu moins... en attendant de décroître ?.... 133 70 Il y a toujours pétrole et pétrole..................... 135 71 Et le pic mondial, il est loin papa ?.................. 136 72 World energy outlook 2018...................... 137 iv 73 Le prix du pétrole est-il élastique ?.................. 139 74 Il vaut mieux prévoir le passé que le prix futur.......... 141 75 Puis-je avoir de l’économie sans pétrole ?.............. 143 76 Autant de pétrole qu’on veut, qu’il paraît ?............. 146 77 Camionneur en Europe, un métier d’avenir ?............ 148 78 Des idées hexagonales mais du pétrole qui ne l’est pas...... 149 79 Combien pour mes précieuses énergies fossiles ?.......... 150 80 Quel signal faut-il observer ?..................... 151 81 Plus de pétrole ? Mettons les gaz !.................. 152 82 Plus de gaz ? Sus aux gaz de schiste !................. 153 83 Gaz à tous les étages ?......................... 154 84 Tout le monde ne pique pas en même temps............ 158 85 Vers le haut... puis vers le bas.................... 159 86 Le problème se complique encore !................. 160 87 Et qui arrive en tête des réserves de carbone ?........... 162 88 Let’s pile everything up........................ 164 v 1. L’ère du feu, croissance à gogo, et 2 questions... Diapositive 2. Pour la 2ème partie de ce cours, on va parler des énergies fossiles. C’est ça le but du jeu aujourd’hui. Si vous deviez retenir une seule chose du cours dernier, c’est cette planche. Donc, très rapidement, en 15 secondes : le monde dans lequel nous vivons – 7 ou 8 milliards d’homo industrialis – c’est aux énergies fossiles (pour l’essentiel) qu’on le doit. Elles ont permis d’alimenter un parc de machines croissant, qui a permis de créer une production croissante, qui nous a donné ce qu’on a coutume d’appeler « notre niveau de vie ». 1 2. La France, pays « tout nucléaire » ? Diapositive 3. Vous savez que dans le paysage médiatique français, il arrive que les titres de journaux ne reflètent pas cette réalité. Et je pense qu’il n’y a pas une personne dans cette salle, malgré votre jeune âge (par rapport à moi en tout cas), qui n’ait pas entendu – ou lu plus exactement – que la France était un pays « tout nucléaire ». Est-ce qu’il y a quelqu’un dans cette salle qui n’a jamais entendu ça dans la presse ? Quand vous regardez les débats sur l’énergie dans la presse française, vous avez un élément absorbant du débat qui s’appelle le nucléaire. Donc, en général, assez vite, ça se focalise là-dessus. Vous avez ici un graphique qui a été fait par l’excellente société dans laquelle je travaille, et dans laquelle on a regardé de quelle énergie primaire – donc de quelle énergie tirée de l’environnement – se nourrissaient les machines qui nous rendent la vie si douce dans le pays. Selon l’endroit où sont les machines, la colonne ne porte pas le même nom. 2 2. LA FRANCE, PAYS « TOUT NUCLÉAIRE » ? — La colonne qui est tout à gauche, « Industrie », ce sont des machines qui se trouvent dans les industries. Ce sont celles qui servent à fabriquer une partie des objets qu’on consomme : une partie seulement. — Dans la case « Transport » ce sont des machines qui servent à déplacer des personnes ou des marchandises. — Les cases « Tertiaire » et « Résidentiel » ce sont des machines qui sont dans des bâtiments. Donc typiquement la consommation d’énergie des radia- teurs de l’école des Mines, du vidéoprojecteur de l’école des Mines et de la cuisine de l’école des Mines. Tout ça se trouve dans le tertiaire. — Et enfin, si la machine se trouve dans un champ, c’est dans « Agriculture ». L’ordonnée est en milliards de kilowattheures – en térawattheures – et il s’agit d’énergie finale. Il s’agit donc d’énergie qui passe un compteur avant d’alimen- ter une machine. C’est de l’énergie qui est payée en général, pas toujours, par le consommateur final. Ce que je fais maintenant : je cercle la totalité de ce qui, en France, vient des combustibles fossiles dans ce qui alimente le parc de machines qui structure l’activité du pays. Vous pouvez assez facilement voir sur ce graphique – même sans qu’on parle de chiffres de manière très précise – que l’essentiel de l’énergie dite « finale » – celle qui passe un compteur du consommateur final, que ce soit un consomma- teur particulier ou un consommateur « entreprise » – est constituée d’un vecteur qui a été fabriqué à partir d’énergies fossiles. Ce vecteur peut être : des carburants liquides. Ça peut être : de l’électricité faite avec du gaz, de la chaleur faite avec du gaz, etc. En France, c’est essentiellement des carburants liquides et du gaz final – qu’on utilise directement pour le chauffage ou pour d’autres usages dans l’in- dustrie – qui sont l’essentiel de nos combustibles fossiles. On utilise un peu de charbon, pas beaucoup : ça fait 10% de notre CO2. Mais c’est encore moins que ça en quantité d’énergie. Et l’électricité qui vient du nucléaire, je l’ai mise – à dessein, évidemment, puisque je suis un peu taquin – en vert clair ici. Vous voyez par exemple dans le résidentiel – donc là où les gens habitent –, le bois et l’électricité d’origine nucléaire représentent des approvisionnements énergétiques qui sont du même ordre de grandeur. 3 2. LA FRANCE, PAYS « TOUT NUCLÉAIRE » ? Donc l’essentiel, en France comme ailleurs, des énergies qui alimentent l’exosque- lette que nous avons créé, ce sont des énergies fossiles. Quand on raisonnera en CO2 , on verra qu’on ne peut pas raisonner exacte- ment comme ça, parce que la génération électrique se fait avec des machines de Carnot. Donc vous avez beaucoup de pertes dans le système. Mais sur l’énergie finale, c’est très fossile. Et dans ces énergies fossiles, vous voyez que ce qui domine en France, comme dans tous les pays de la zone qu’on appelle OCDE – c’est-à-dire les pays qui sont anciennement industrialisés, pour dire les choses de manière un peu simple –, c’est du pétrole. Donc l’énergie qui domine dans l’approvisionnement énergétique des pays de l’OCDE – États-Unis, Canada, Mexique, l’essentiel de l’Europe, Corée du sud, Australie, Japon, etc. – c’est du pétrole. Donc on va commencer par parler du pétrole. 4 3. Du pétrole, pour quoi faire ? Diapositive 4. Le pétrole, bien évidemment, une fois qu’on l’a fait sortir de terre, on ne s’en sert pas tel quel. À peu près aucune machine, sauf les chars d’assaut, ne sait utiliser du pé- trole brut. Donc on va le raffiner. Ça veut dire qu’on le fait passer dans un grand alambic – un peu moins intéressant que celui qui vous donne de l’eau de vie – et on va distiller ce pétrole et en faire des fractions qui sont constituées de molé- cules qui ne sont pas de même longueur en ce qui concerne la chaîne carbonée. On va séparer les chaînes carbonées entre les chaînes courtes et les chaînes longues. Ici vous avez la décomposition d’un baril de pétrole à l’arrivée – j’ai envie de dire : en sortie de raffinerie – dans lequel : — Vous avez des produits qui sont légers : le naphta et le GPL. Le naphta, c’est la base de la pétrochimie. La pétrochimie, c’est la chimie organique. Donc toute la chimie organique qu’on a sur Terre est à base gaz ou pétrole. 5 3. DU PÉTROLE, POUR QUOI FAIRE ? — Vous avez de l’essence. — Vous avez du diesel. — Vous avez du fioul, qui sont exactement les mêmes produits. — Vous avez du kérosène. — Vous avez les bitumes avec lesquels on recouvre les routes. — Vous avez des cires et des huiles. — Et vous avez du coke de pétrole. Le coke de pétrole, c’est le résidu so- lide qu’on a en fin de distillation et qui, soit dit en passant, sert à ali- menter l’énergie de la colonne de distillation. C’est recyclé sur place, sauf quelques usages industriels divers et variés. Voilà ce qu’on fait essentiellement d’un baril de pétrole. Diapositive 5. Si on regarde comment évolue la consommation du monde en produits dis- tillés, voilà à quoi ça ressemble : tout en haut, vous avez l’essence et l’essence aviation : l’essentiel de ce truc-là, c’est de l’essence. En dessous, vous avez du 6 3. DU PÉTROLE, POUR QUOI FAIRE ? gasoil et du fioul de chauffage. Et l’essentiel, c’est du gasoil. En dessous, vous avez du fioul – qu’on appelait autrefois du fioul lourd – qui sert dans la marine marchande, dans l’industrie, et dans la génération électrique. Là, vous avez tout le reste. Donc le naphta, les cires, les huiles, le bitume, le coke de pétrole, etc. Vous voyez que dans le monde, la consommation de chacun de ces produits augmente. Si je regarde l’Europe, vous voyez que c’est un peu différent : Diapositive 6. Je vous ai dit la dernière fois que l’Europe était déjà, depuis 2005, sous stress d’approvisionnement en ce qui concerne son pétrole. Elle n’arrive plus à suivre la tendance mondiale (pour des raisons que j’ai un peu évoquées, on y reviendra aujourd’hui) et vous voyez que l’essentiel de ce que consomme l’Europe, en ce qui concerne les produits raffinés, c’est du diesel et du fioul. Ce n’est pas propre à la France : il y a eu un mouvement croissant de consom- mation de diesel, de fioul et de kérosène. Le kérosène pour l’aviation est égale- ment là-dedans. 7 3. DU PÉTROLE, POUR QUOI FAIRE ? Diapositive 7. Si vous regardez pour le monde dans son ensemble, en ce qui concerne les produits raffinés, vous voyez que ce qui est important de noter, c’est qu’ils servent majoritairement les transports routiers... ∗ ∗ ∗ Question auditoire ∗ ∗ ∗ « Quand on regarde le graphique précédent, il y a quand même une diminution notable de la consommation en fioul lourd, à quoi peut-on l’attribuer ? » Vous avez à la fois la sortie du fioul dans la génération électrique et la sortie du fioul dans l’industrie : ça a été remplacé par du gaz. Ce sont les deux bascule- ments principaux. Et par ailleurs, on a progressivement adapté les raffineries. Parce qu’en gros, dans une raffinerie, vous rentrez un paquet donné d’atomes de carbone et d’ato- mes d’hydrogène, et tout ce que vous allez faire dans la raffinerie, c’est que vous les réarrangez de façon différente. Mais grâce à ce cher Lavoisier, tout le carbone que vous ne retrouvez pas dans des produits légers, vous allez le retrouver dans des produits lourds. Donc si vous organisez ce qu’on appelle votre « coupe de raffinerie » – c’est- à-dire la manière dont se décomposent les produits en sortant de raffinerie – en 8 3. DU PÉTROLE, POUR QUOI FAIRE ? donnant de l’avantage à des produits plus légers que le fioul lourd (parce que vous voulez augmenter la part d’essence et de diesel), à ce moment, vous allez aussi corrélativement augmenter la part de bitumes, de cires et d’huiles dont vous ne savez pas nécessairement quoi faire. Vous avez toujours un arbitrage qui se passe. Et l’une des raisons pour lesquelles, en France, on a fiscalement avantagé le diesel, c’est qu’il y a eu un moment, en France, où on consommait « trop d’essence » par rapport à ce que savaient sortir les raffineries. Donc, à ce moment, on a cherché à favoriser le diesel, histoire de rééquili- brer la donne – notamment après les chocs pétroliers, quand le fioul est sorti rapidement du chauffage des habitations. On s’est dit : « Là on se retrouve avec plein de fioul sur les bras, on ne sait pas quoi en faire, et donc on va essayer de le faire consommer par des voitures. » Ce n’était pas du tout un complot des constructeurs parce qu’ils voulaient qu’il y ait des particules fines partout : c’était juste un rééquilibrage des produits de sortie des raffineries. Demain matin, si on dit qu’on interdit le diesel, soit dit en passant, on se retrouve avec 30% de la coupe de raffineries sur les bras dont on ne sait pas quoi faire. Vous ne pouvez pas le mettre dans le chauffage (puisqu’on veut sortir le fioul du chauffage pour des raisons de climat). Vous ne le mettez pas dans l’industrie pour la même raison. Je ne dis pas qu’il faut rester comme on est : je dis juste que c’est un truc à prendre en compte, à garder en tête. Une raffinerie, ce n’est pas quelque chose qui se paramètre d’un jour sur l’autre. Une fois que vous avez construit votre raffinerie pour qu’elle ait une décomposition donnée en bitumes, etc.,... En fait ce sont des prises dans une colonne de distillation qui sont des prises physiques, à des hauteurs données dans la colonne de distillation. Donc vous ne débranchez pas le machin pour le remettre dix mètres plus bas en disant : « Je vais changer le fractionnement de ma raffinerie. » Ce sont des travaux lourds qui sont nécessaires pour faire ce genre de choses. Donc je disais : l’essentiel des produits raffinés servent aux transports aujour- d’hui dans le monde. Et en particulier aux transports routiers. Je l’ai dit la der- nière fois, mais je le répète : 98% du transport planétaire est fait avec du pétrole. L’électricité est marginale. Le gaz est marginal. C’est vraiment le pétrole qui do- mine de la tête et des épaules dans les transports. Ce qui veut dire aussi une chose : c’est que le pétrole est par essence – pardon du mauvais jeu de mots – l’énergie de la mondialisation. Il n’y a pas de mondiali- sation sans pétrole. Et symétriquement, pour qu’il y ait de la mondialisation, il faut du pétrole. 9 4. Du pétrole, chez qui ? Diapositive 8. Voilà maintenant une décomposition de la consommation de pétrole par zone. Ce que vous voyez, c’est que la consommation des États-Unis est raison- nablement constante depuis longtemps ; et que c’est depuis longtemps – dans cette décomposition-là – le premier consommateur de pétrole dans le monde. Aujourd’hui encore, les États-Unis consomment pas loin d’un cinquième du pé- trole mondial. Ce qui fait quand même beaucoup pour un pays qui ne fait pas un cinquième de la population mondiale, mais plutôt 5%. Ensuite vous avez diverses zones – vous noterez évidemment l’essor de la Chine dans les périodes récentes. 10 5. Du gaz, pour quoi faire ? Diapositive 9. A côté du pétrole, on consomme aussi du gaz. Vous avez ici la décomposition de la destination du gaz utilisé dans le monde. Là, il s’agit bien « dans le monde ». Retenez qu’en gros, vous avez trois gros pa- quets : électricité, industrie, chauffage, pour le dire de manière très simple. En France, c’est le chauffage qui domine de très loin. On a à peu près 60% du gaz qu’on consomme qui est utilisé dans le chauffage. Mais en gros, dans le monde, encore une fois, c’est : électricité, industrie, chauffage. 11 6. Du charbon, chez qui ? Diapositive 10. Enfin, on consomme du charbon dans le monde. Et ici, vous avez une dé- composition de la consommation de charbon par pays depuis 1965. Alors, vous voyez il y a une grosse bosse : c’est l’essor industriel de la Chine. Mais avant elle, je vous signale que l’essor industriel de la Corée s’est fait exac- tement de la même manière. La Corée du Sud a multiplié ses émissions de CO2 par 27 – entendez bien : par 27 – entre 1965 et aujourd’hui. Donc là, vous avez exactement le même processus qui s’est produit pour la Chine, qui était insignifiante dans la consommation de charbon en 1965 et qui, aujourd’hui, en utilise la moitié dans le monde. 12 7. Du charbon, pour quoi faire ? Diapositive 11. Alors, le charbon, à quoi ça sert ? Je l’avais dit la dernière fois ; j’ai essayé de trouver des chiffres plus récents ; mais je n’y suis pas arrivé. Mais enfin, je sais que c’est toujours des assez gros paquets. L’essentiel du charbon qu’on utilise dans le monde sert à la production électrique ! En gros : les deux tiers. Et dans le tiers restant, vous avez une moitié – en gros – qui sert à la production d’acier, qui est du charbon métallurgique. Alors, ces énergies ne sont pas égales en ce qui concerne leur rayonnement géographique. La seule énergie mondiale que nous ayons – et pour des raisons physiques – c’est le pétrole. Le pétrole est la seule énergie pour laquelle vous avez plus des deux tiers de la production mondiale qui passent une frontière entre le pays de production et le pays de consommation. La raison à cela, c’est que le pétrole est très dense par unité de volume. C’est la plus dense des énergies fossiles par unité de volume. Vous avez 10 kilowatt- heures dans un litre : les autres énergies ne font pas ça. 13 7. DU CHARBON, POUR QUOI FAIRE ? Dans un litre de gaz à température et pression ambiante, vous avez mille fois moins d’énergie (en gros). Et dans un litre de charbon, vous avez 3 à 4 fois moins d’énergie (ou 2 fois : ça dépend de la qualité du charbon). Et par ailleurs, c’est liquide, donc ça se transvase, donc ça se transporte et ça se stocke extrêmement facilement avec des déperditions d’énergie dans la chaîne de logistique qui sont très, très faibles. En ce qui concerne le gaz, vous n’avez que 30% du gaz produit dans le monde qui passe une frontière entre pays de production et pays de consommation. Et là-dedans, vous n’avez que 10% de la production mondiale de gaz, donc 10 sur 30, qui transitent sous forme de gaz liquéfié. Or le gaz naturel liquéfié – qui se transporte dans des méthaniers (qui sont des espèces de grands frigos sur l’eau : des endroits où c’est comprimé et surtout froid pour que le méthane soit liquide) – c’est la seule forme de transport qui est arbitrable à la demande comme le pétrole. Pour le pétrole : vous avez mon négociant suisse, de Vitol, qui dit : « Allô ? Le bateau qui va à tel endroit ? On vous achète votre cargaison combien à Anvers ? Non, non, moi je vous l’achète un centime de plus le baril si vous allez à Rotter- dam ou si vous allez à la Nouvelle-Orléans. Donc crac ! vous allez changer de route. » Vous pouvez faire ça avec le pétrole : le pétrole papier, le multiple des échanges par rapport au pétrole physique, c’est un facteur 100. C’est une autre manière de dire qu’une cargaison est négociée des dizaines de fois entre son point de départ et son point d’arrivée. Alors que, en ce qui concerne le gaz – pour le gaz par « pipeline » – vous ne pouvez pas faire ça. Une fois que vous avez mis le pipeline entre la Russie et l’Allemagne, vous n’avez qu’un seul producteur : la Russie, et qu’un seul client : l’Allemagne. Vous ne pouvez pas avoir un négociant au bout de son téléphone qui dit : « Ah tiens, ça serait quand même beaucoup mieux de mettre le tuyau en Iran et de mettre l’arrivée du tuyau en Espagne. » Vous ne pouvez pas faire un truc comme ça. Donc les échanges internationaux de gaz par gazoduc sont des échanges qui sont très rigides – puisque vous avez un producteur et un consommateur de l’autre côté. Et, soit dit en passant, c’est la raison pour laquelle, historiquement, le prix du gaz a été calé sur le prix du pétrole. Le gaz était un substitut au pétrole et il fallait être absolument sûr, tant du côté producteurs que du côté consomma- 14 7. DU CHARBON, POUR QUOI FAIRE ? teurs, qu’on n’aurait pas envie d’arrêter de consommer du gaz en fonction de ce qu’était le prix du pétrole. Donc on s’est dit : « Le meilleur moyen, c’est que les deux valent la même chose, comme ça on est tranquille. » Et c’est la façon dont les contrats de gaz se sont mis en place dans le monde. C’est pour ça que le gaz est – à peu près partout maintenant, sauf quelques exceptions – indexé sur le prix du pétrole. Le charbon, hors charbon métallurgique – qui est un charbon qui vaut cher parce qu’il sert à faire de l’acier et que vous n’avez que quelques mines qui savent faire du charbon métallurgique dans le monde (c’est-à-dire du charbon à très haute teneur en carbone qui va servir à donner ensuite du coke, au mas- culin) – donc à part le charbon métallurgique, vous n’avez que 10% du charbon extrait d’une mine dans le monde qui passe une frontière entre le pays de pro- duction et le pays de consommation. Donc, retenez que quand on va du pétrole vers le charbon en passant par le gaz, on va d’une énergie qui est mondiale par essence à une énergie qui est domestique par essence. C’est la raison aussi pour laquelle dans les pays qui ne consomment pas de charbon en direct – ce qui est le cas de la France – on a tendance à oublier sa place chez les autres. Parce que, encore une fois, ce qui se passe dans un pays donné est raisonnablement indépendant de ce qui se passe dans les autres pays en ce qui concerne le charbon. Ce que vous voyez ici, par exemple, c’est que : alors que la Chine explose en ce qui concerne sa consommation de charbon, vous avez d’autres zones dans le monde qui augmentent aussi, mais vous en avez qui diminuent. Et si je prends l’ensemble du reste du monde, vous voyez, il n’y a pas une grosse grosse diffé- rence entre là et là. Donc, la consommation de charbon est une affaire domestique, je le redis. La consommation de gaz est une affaire régionale, si je schématise. Et la consommation de pétrole, une affaire mondiale. 15 8. Où va « notre » pétrole ? Diapositive 12. Alors, en France, nous consommons des énergies fossiles. Voilà déjà la con- sommation de pétrole dans le pays. Alors, ce que vous voyez, c’est que la consommation de pétrole a augmenté très, très fortement jusqu’à ces fameux chocs pétroliers dont je vous ai parlé la dernière fois, et dont je rappelle qu’ils sont la marque de l’arrêt de la croissance de la quantité de pétrole consommée par les pays de l’OCDE. C’est ça les chocs pétroliers. Donc ce n’est pas juste une variation du prix : c’est une variation instantanée sur le volume et qui a été extrêmement structu- rante sur ce qui s’est passé ensuite dans l’économie. Ce que vous voyez, c’est qu’au moment des chocs pétroliers, vous avez une bonne partie du pétrole qui est consommée par l’industrie (ça répond à la ques- tion qui était posée tout à l’heure) : une partie par les transports, une bonne partie dans le chauffage – résidentiel et tertiaire –, et vous avez toujours eu une petite partie dans l’agriculture – importante pour la productivité des agricul- teurs, mais marginale pour la consommation d’ensemble. 16 8. OÙ VA « NOTRE » PÉTROLE ? Alors, ne faites pas attention à ce qui se passe là sur le « switch » entre rési- dentiel et tertiaire. Mon hypothèse est que c’est soit une erreur, soit un artefact statistique : c’est-à-dire qu’il y a une catégorie de bâtiments qui a dû être passée d’une catégorie à l’autre. Regardez le volume global de ce qui est consommé dans les bâtiments et vous voyez que c’était beaucoup plus important au mo- ment des chocs pétroliers qu’aujourd’hui, où ça a été remplacé par du gaz et de l’électricité. Ce que vous voyez, c’est qu’aujourd’hui l’essentiel du pétrole qu’on consomme en France va dans les transports. Soit dit en passant, c’est aussi là que le consommateur final est prêt à le payer le plus cher. Ce n’est pas complètement étonnant, j’ai envie de dire, en termes d’arbitrages. Si vous êtes vendeur de produits raffinés, c’est bien ça que vous allez chercher à faire : c’est à le vendre là où le consommateur est prêt à le payer plus cher. ∗ ∗ ∗ Question auditoire ∗ ∗ ∗ « Comment cela se fait-il que la consommation de pétrole a vraiment diminué dans le tertiaire, alors qu’il y a eu une explosion de ce secteur ? » Je l’ai dit : je ne sais pas, il faudrait que je regarde. Par contre, ce que je sais, c’est que le total des deux c’est l’ensemble de ce qui est consommé dans les bâtiments. Et ça c’est représentatif. C’est un fichier de statistiques que j’ai récupéré sur le site du ministère. Et donc il faudra que j’écrive à qui de droit pour savoir à quoi ça correspond. Je suis, par contre, totalement confiant dans la tendance globale pour l’ensemble des bâtiments. Parce que ça, c’est clair que c’était une substitution par de l’électricité et par du gaz dans bon nombre des cas de figure. 17 9. Où va « notre » gaz ? Diapositive 13. En ce qui concerne le gaz : voilà où va le gaz utilisé en France. Donc, ce que vous voyez, c’est que le premier poste de consommation du gaz utilisé en France, c’est le chauffage. Vous en avez un petit morceau qui va dans l’électricité, mais, en gros, c’est la moitié de la petite partie qui est en haut. Et puis, tout en bas, vous en avez également une partie qui va dans l’industrie. Alors, notez un truc intéressant. Je vous en avais déjà parlé la dernière fois rapidement, mais je le redis : depuis que la mer du Nord a passé son pic de pro- duction, c’est-à-dire 2005, vous voyez que la consommation de gaz en France s’est arrêtée de croître, et qu’elle est globalement en décroissance pour l’en- semble « Bâtiments et Industrie ». Le moment où la mer du Nord passe son pic, le gaz de la mer du Nord c’est 60 % de l’approvisionnement européen. Aujourd’hui, c’est encore 50%, et on va voir dans pas longtemps que lorsque la Norvège va passer son pic – parce que ce n’est pas encore le cas – probablement que l’approvisionnement de la mer du Nord va descendre encore d’une grosse marche d’escalier. 18 10. Où va « notre » charbon ? Diapositive 14. Enfin, nous utilisons du charbon en France. Donc, ici vous avez la quantité de charbon utilisé par secteur. Vous voyez à nouveau que « Hauts-fourneaux » et « Cokeries », c’est l’en- semble de ce qui est utilisé dans la sidérurgie. Les cokeries, comme je le disais tout à l’heure, font du coke à partir du charbon. C’est-à-dire du carbone presque pur. Et donc, pour ça, on a un traitement spécial du charbon. Puis on utilise également du charbon qu’on enfourne directement tel quel dans les industries. Au-dessus, vous avez – sauf erreur de ma part – l’électricité et les réseaux de chaleur. Mais surtout l’électricité. Vous voyez que ça a beaucoup diminué. Et puis ensuite, il vous reste quelques petites bricoles. 19 10. OÙ VA « NOTRE » CHARBON ? Ce n’est pas grand-chose le charbon en France – comme je le disais tout à l’heure – puisque la consommation primaire totale de la France c’est 240 millions de tonnes-équivalent-pétrole. Là, vous voyez, aujourd’hui, le charbon est à moins de 10. Donc ce n’est pas grand-chose. Voilà rapidement les combustibles fossiles tels qu’on les consomme dans le monde et en France, et pour quels types d’usages. 20 11. L’aventure du pétrole commence à la plage ou presque Diapositive 15. Alors, maintenant, on va essayer de comprendre d’où ils sortent. Le dictionnaire étant bien fait, les combustibles fossiles sont des fossiles. « Fossile », ça veut dire que c’est un reste de vie ancienne. Et c’est très exactement ce que sont les combustibles fossiles. Alors, la façon dont ils sont apparus sous nos pieds est la suivante. Vous avez depuis très longtemps des océans sur Terre. Et dans ces océans, vous avez depuis très longtemps des êtres uni- ou pluricellulaires qui sont apparus et qui vivent. Dans ces êtres uni- ou pluricellulaires, vous avez notamment des algues et du plancton. Alors ces êtres, comme nous, ne sont pas immortels, c’est-à-dire que de temps en temps, hélas pour eux, ils passent de vie à trépas. Et quand ils passent de vie à trépas, l’essentiel d’entre eux est décomposé dans la colonne d’eau, c’est-à-dire que les restes ne tombent pas sur le plancher océanique. Mais vous 21 11. L’AVENTURE DU PÉTROLE COMMENCE À LA PLAGE OU PRESQUE avez quand même une petite partie de ces restes organiques qui tombe sur le plancher océanique – ce qui est sous l’eau. En général, le processus que je vais vous décrire arrive plutôt près des côtes, là où la hauteur d’eau n’est pas très épaisse. Parce que c’est là que vous avez les éléments minéraux qui permettent à la vie d’être la plus abondante. Et du coup, ça veut dire que c’est là qu’il y a la plus grande probabilité que les restes orga- niques tombent sur le plancher sans s’être décomposés dans la colonne d’eau. Quand ils tombent sur le plancher océanique, ils vont se retrouver mélangés à des sédiments minéraux, qui sont des poussières amenées par le vent, des alluvions amenés par les rivières, des restes de coquilles pour les êtres qui en ont une (parce qu’une partie du plancton synthétise des coquilles en calcaire), etc. Tout ça va se mélanger. 22 12. Le pétrole aime la cuisson à petit feu Diapositive 16. Et si vous êtes dans un endroit approprié, d’abord ça va se compacter sous l’effet de son propre poids – ce sédiment – et ensuite la tectonique des plaques va vous entraîner ça vers les profondeurs. Et à partir du moment où la tectonique des plaques vous entraîne ça vers les profondeurs, elle vous rapproche du gros radiateur que vous avez au centre de la terre – qui est entretenu, soit dit en passant, par la radioactivité naturelle des roches – et ça va engendrer une succession de dégradations ou de décomposi- tions de ce que vous avez dans le sédiment. Alors, avec ce mouvement de sédimentation et d’entraînement vers les pro- fondeurs, la partie minérale du sédiment va se transformer en ce qu’on appelle une roche-mère. C’est-à-dire que le truc va se compacter et se transformer en roche. Et la partie organique qui est dans des petites inclusions dans ce sédi- ment va elle-même subir un certain nombre de dégradations. 23 12. LE PÉTROLE AIME LA CUISSON À PETIT FEU Dans un premier temps, vous avez une dégradation qui est bactérienne et ça va vous expulser de l’eau et du gaz carbonique. Dans un deuxième temps, cette dégradation va devenir thermique, anaéro- bie. Et à ce moment, vous avez (comme dans une raffinerie) un fractionnement de la matière organique qui est contenue dans la roche et qui va donner (exacte- ment comme dans une raffinerie) trois types de chaînes organiques. Vous allez avoir du gaz. Vous allez avoir du liquide – qu’on a coutume d’appeler de l’huile. Et vous allez avoir un résidu solide qui ressemble à du charbon et qui va rester contenu dans la roche. Primitivement, ce truc-là s’appelle du « kérogène ». Et, une fois qu’il a fini d’être pyrolysé, à ce moment, vous avez du gaz, de l’huile, et le reste solide. Une fois que ces composants fluides – pour le gaz et le pétrole – et solides ont été faits, il peut leur arriver deux choses : — La première, c’est qu’ils restent là où ils sont parce que le sédiment a formé une roche qui est imperméable. A ce moment, si la roche est im- perméable, la décomposition de la matière organique reste là où elle est. — Ou bien la roche est perméable, et à ce moment, vous allez avoir à l’inté- rieur de la roche, sous l’effet de la pression, ce qu’on appelle une « migra- tion primaire ». C’est-à-dire que le pétrole et le gaz qui ont été formés vont diffuser à l’intérieur de la roche et vont commencer à migrer à l’intérieur de la roche en ayant envie – parce que c’est le gradient de pression qui les pousse – de remonter vers la surface. Si jamais la pyrolyse est incomplète – c’est-à-dire que le phénomène de tec- tonique et de dégradation a pris place il y a trop peu de temps –, vous avez une roche riche en matière organique qui s’appelle des « schistes bitumineux » (à ne pas confondre avec les « sables bitumineux »). En anglais ça s’appelle « oil shale ». À ne pas confondre avec « shale oil ». Pour utiliser ce produit-là, vous devez finir de le chauffer « à la main ». C’est comme ça qu’on s’en sert. Et donc vous avez des centrales électriques... Vous avez une centrale électrique qui fonctionne – je ne sais pas où dans le monde – avec un très très mauvais rendement. Parce que le produit a un pouvoir calori- fique faible. On peut s’en servir, de ces schistes bitumineux, en amenant des grandes quantités d’énergie pour finir artificiellement la transformation et donc récu- pérer du pétrole. Mais avec un rendement général qui est inférieur à 1. 24 12. LE PÉTROLE AIME LA CUISSON À PETIT FEU Alors, il y a des gens qui imaginent par exemple utiliser de la vapeur nu- cléaire pour faire ce genre de trucs. Auquel cas : vous injectez un type d’énergie dans le sol ; vous récupérez un autre type d’énergie en sortie du sol ; et comme ce n’est pas la même qui vous intéresse, on peut imaginer qu’économiquement ça puisse valoir le coup. Ça ne va jamais énormément se développer. Si vous avez les produits qui ont été formés jusqu’à leur terme – donc vous avez effectivement du gaz ou du pétrole qui s’est formé dans la roche mais qui est resté prisonnier –, on verra à la planche suivante que ça porte un nom ex- trêmement connu. Si vous n’avez pas du plancton, mais qu’à la place vous avez des fougères – c’est ce qui s’est passé sur Terre à l’ère du charbon, au Carbonifère –, à ce moment, vous avez des veines de charbon. Alors retenez que, quand vous avez des fougères – et non pas du plancton – à qui il arrive ce processus, la veine de charbon, quand elle se forme, produit aussi du pétrole et produit aussi du gaz, exactement dans le même processus de décomposition et de pyrolyse créé par la chaleur de la Terre. Alors, le pétrole, en général, s’échappe. Par contre, une partie du méthane reste absorbée dans la veine de char- bon. C’est ce qui fait que quand vous avez une exploitation charbonnière et que vous remettez la veine de charbon à la pression atmosphérique, le méthane se désorbe. Et si jamais vous ne ventilez pas les mines, vous avez des coups de grisou. Ce processus de formation, c’est la raison pour laquelle vous avez du mé- thane, soit absorbé dans le charbon, soit carrément des poches de méthane, dans les veines de charbon. 25 13. Le but du jeu, c’est de piéger l’autre Diapositive 17. Vous avez donc la roche qui se retrouve loin sous Terre. Alors, il a fallu des millions d’années, ou des dizaines de millions d’années, pour que tout ça se produise. On le verra après. Donc, vous avez la roche qui est sous terre, qui a emprisonné sa matière organique, qui a produit du pétrole et du gaz. Et donc ce pétrole et ce gaz vont avoir tendance, comme je le disais, à migrer de façon primaire. Après, une fois qu’il y a eu l’expulsion des alvéoles, le pétrole et le gaz vont sortir de la roche-mère et migrer vers la surface. Donc, ça, c’est ce qu’on appelle la migration secondaire. L’essentiel du temps, cette migration vers la surface est complète. C’est-à- dire que depuis les 10, 20, 30, 40, 50 ou 100 millions d’années que le pétrole a été formé, il migre « doucettement » vers la surface. Arrivé en surface ; c’est un produit organique : il se décompose, c’est-à-dire qu’il se fait bouffer par les bactéries : fin de l’histoire. 26 13. LE BUT DU JEU, C’EST DE PIÉGER L’AUTRE De temps en temps, dans sa migration vers la surface, il est coincé. C’est-à-dire que vous avez une roche perméable – parce qu’en général, sous la surface, vous n’avez pas des trous. Donc à un moment, vous avez une roche perméable qui est surmontée par une roche imperméable. À ce moment, vous avez ce que dans le jargon des géologues pétroliers on appelle un « piège ». C’est-à-dire que le pétrole – qui est formé par la roche- mère qui est en dessous – migre « doucettement », jusqu’au moment où il arrive dans la roche qui deviendra la roche réservoir. Au-dessus, il ne peut pas aller plus haut – parce que c’est une couche imperméable – et donc il va s’accumuler dans la roche réservoir. En général, dans la roche réservoir, la porosité était remplie d’eau, avant. Et ça explique pourquoi, aujourd’hui, vous avez toujours, sous le pétrole – dans un réservoir de pétrole classique, conventionnel – vous avez une couche d’eau sous la couche de pétrole. Plus exactement : sous la partie imprégnée de pétrole, vous avez une partie imprégnée d’eau. Toujours. Il se peut que le pétrole ait été piégé à moins de 500 mètres sous terre, auquel cas on a l’habitude d’appeler ça du « pétrole conventionnel ». S’il est à plus de 500 mètres sous terre – ou plus exactement, à plus de 500 mètres sous l’eau – on appelle ça de l’« offshore profond ». Quand le pétrole fait sa migration primaire mais pas secondaire – ou même pas sa migration primaire – il vous reste une roche-mère contenant des hydro- carbures. Ce qui a donné lieu, récemment, aux États-Unis, à une explosion de la production de pétrole. C’est le pétrole issu de ces roches-mères – dont le pétrole ne s’était pas échappé – et qu’en anglais on appelle du « shale oil ». Pas « oil shale » : ce sont les schistes bitumineux. « Shale oil » : dans l’autre sens donc. Et ce que, en français, on traduit mal par « pétrole de schiste ». En l’occurrence, on le traduit mal parce que ce n’est pas toujours un schiste qui est la roche-mère. Mais peu importe. Les Français aiment bien faire des traductions approximatives des termes anglais. Donc, c’est du pétrole de roche-mère. Vous avez en fait deux types d’exploitation de pétrole de roche-mère. Vous avez le pétrole qui est vraiment dans la roche-mère – où le pétrole a migré dans des petites inclusions poreuses qui sont dans la roche-mère – et à ce moment, ça ne s’appelle pas du « shale oil » : ça s’appelle du « tight oil ». Alors, dans les deux cas de figure, comme le pétrole ne circule pas dans la roche – c’est la raison pour laquelle il n’est pas allé se promener ailleurs – il 27 13. LE BUT DU JEU, C’EST DE PIÉGER L’AUTRE faut créer artificiellement la circulation dans la roche pour pouvoir faire sortir le pétrole. Et c’est l’objet de la fracturation. Donc la fracturation conduit à créer dans la roche-mère un réseau de fis- sures qui permet au pétrole – qui ne circule pas – de se mettre à circuler. Mais évidemment, l’énergie de fracturation est une énergie significative. Ce qui fait que le rendement énergétique de l’extraction du pétrole de roche-mère est plus mauvais que le rendement d’extraction du pétrole dit « conventionnel ». Donc, voilà en gros la façon dont se présente la formation du pétrole et du gaz. C’est la même chose pour le gaz. Donc, le gaz qui reste prisonnier dans la roche-mère – ou dans des inclusions dans la roche-mère, ou dans des réservoirs qui ont re-sédimenté – s’appelle « shale gas » ou « tight gas ». De la même ma- nière. 28 14. On peut être piégé de plusieurs manières Diapositive 18. Alors, voilà quelques exemples de réservoirs. Ce qui veut dire, soit dit en passant, que quand les géologues cherchent du pétrole, ils ne cherchent pas au hasard. Ils savent qu’ils doivent chercher dans des bassins sédimentaires. Ils savent que, s’il y a du sel qui se balade quelque part, peut-être que ça sent bon pour eux, etc. 29 15. Le lendemain de cui...sson est parfois pâteux Diapositive 19. Il arrive parfois que la fin de route du pétrole qui a été formé en sous-sol soit du sable qui est situé en surface. Donc, à ce moment, le pétrole va faire comme si c’était une roche poreuse sous terre : il va s’accumuler dans le sable. Mais comme le sable communique avec la surface, à ce moment, le pétrole va perdre ses éléments les plus volatils. Et vous vous retrouvez avec ce qu’on appelle des « sables bitumineux ». C’est exactement ce que vous avez au Canada, dans la province de l’Atha- basca [sic : Alberta]. Et à ce moment, ça s’exploite comme des mines à ciel ou- vert. C’est à peu près aussi sympathique que les exploitations de mines à ciel ouvert de lignite. Vous faites un grand machin qui fait 5 km sur 10 km. Vous décapez tout ce qui est au-dessus. Je peux vous dire qu’il ne reste pas un lapin, pas un arbre. Et avec des énormes excavatrices, vous allez récupérer ce truc-là. Comme dans une exploitation de mine à ciel ouvert. 30 15. LE LENDEMAIN DE CUI...SSON EST PARFOIS PÂTEUX Et vous emmenez ça dans des « upgraders », c’est-à-dire des raffineries d’un genre particulier, qui vous transforment ce mélange de bitume et de sable en quelque chose de sympathique qui va entrer dans votre voiture. Avec, là aussi, un rendement énergétique qui est beaucoup plus mauvais que celui que vous avez dans une chaîne pétrolière traditionnelle. Parce que, en gros, vous avez perdu les éléments les plus intéressants, les éléments les plus volatils. Et donc vous avez un pétrole de moins bonne qualité. 31 16. L’aventure recommence Diapositive 20. Quand vous avez un réservoir conventionnel de pétrole et de gaz, l’histoire ne s’arrête pas nécessairement là. Comme il a été formé dans une région où il y a de la subduction, l’histoire peut recommencer. Et donc votre réservoir de pétrole et de gaz peut lui-même être entraîné vers les profondeurs. À ce moment, il y a une nouvelle distillation qui arrive. Ce qui fait que quand on cherche du pétrole et du gaz, il y a ce qu’on appelle une « fenêtre à huile », c’est-à-dire une profondeur où on se dit : « Là, si on trouve quelque chose, il va peut-être y avoir du pétrole. » Et il y a une profondeur en dessous de laquelle, si on trouve quelque chose, c’est nécessairement essentiellement du gaz, parce que c’est un ancien réservoir de pétrole qui a été ré-entraîné vers les profondeurs où la chaleur a fractionné le pétrole en molécules plus courtes. Historiquement, soit dit en passant, quand les pétroliers trouvaient du gaz, il y a cinquante ans, c’était une absolue calamité pour eux. Parce que le pétrole, 32 16. L’AVENTURE RECOMMENCE c’est facile à évacuer d’un puits, où que vous soyez : vous le mettez dans une cuve sur roue – ça s’appelle un camion – et vous l’embarquez. En ce qui concerne le gaz, vous ne mettez pas le gaz dans un camion. Parce que le gaz est 1000 fois moins dense que le pétrole à température et pression ordinaires. Donc il faut vraiment avoir un tuyau pour être capable de l’évacuer. Si vous allez faire un trou au milieu de l’Iran et que vous trouvez du gaz, il n’y a pas de tuyaux, et donc vous vous demandez ce que vous en faites. Et si vous allez faire un trou au milieu du Golfe de Guinée et que vous trouvez du gaz, vous vous demandez ce que vous en faites. Parce qu’il n’y a pas de tuyaux pour évacuer le gaz. C’est la raison pour laquelle dans les exploitations modernes de gaz offshore, aujourd’hui, on fait non seulement le puits, mais la plateforme de liquéfaction. Parce que si on avait juste du gaz, on ne saurait pas quoi en faire : il n’y a pas de tuyaux pour l’évacuer. C’est aussi la raison pour laquelle, historiquement, les pétroliers laissaient fuir le gaz dans l’atmosphère quand ils trouvaient un gisement combiné de pé- trole et de gaz. Toujours pour la même raison : parce qu’ils ne savaient pas quoi faire du gaz s’ils étaient loin de toute infrastructure. Et donc ils le laissaient partir dans l’atmosphère. Alors, depuis qu’on leur a dit « le méthane a un pouvoir de réchauffement beaucoup plus élevé que le CO2 », a minima, ils le brûlent. 33 17. Merci, mère nature ! Diapositive 21. Voilà du pétrole à son origine. C’est plein de carbone. Voilà l’histoire par laquelle ça passe. Et voilà à quoi on arrive après quelques millions à centaines de millions d’années d’évolution. Si vous faites le Shadok au bon endroit, vous ferez sortir du pétrole. Je vous l’avais dit la dernière fois, je le répète : ce processus de formation du pétrole est aussi gratuit que le processus d’apparition du vent. Je ré-insiste : toutes les énergies sont gratuites. Vous n’avez pas payé le plancton qui a vécu dans l’océan il y a 300 millions d’années. Et vous n’avez pas payé la géothermie qui vous a distillé le kérogène. Et vous n’avez pas payé la tectonique des plaques qui vous a enfoui ça sous terre. Le pétrole est gratuit. Exactement comme le vent, le charbon, le gaz, etc. C’est gratuit et c’est vieux. 34 17. MERCI, MÈRE NATURE ! ∗ ∗ ∗ Question auditoire ∗ ∗ ∗ « Pourquoi est ce que vous précisez dans 0,000 000 000 1% des cas ? » Je vais y venir après. C’est parce qu’en fait vous n’avez qu’une toute petite partie de la matière organique qui a vécu sur Terre qui se retrouve aujourd’hui sous forme de résidus pétroliers, gaziers ou charbonniers. Le reste s’est décomposé naturellement, ou bien s’est transformé en pétrole et gaz et ça a migré jusqu’à la surface et ça s’est décomposé après. Donc, en gros, si vous prenez la totalité du carbone qui a été à un moment contenu dans les êtres vivants, et que vous rapportez ça à ce qui est contenu dans les réservoirs fossiles, c’est une toute petite partie. Donc c’est un processus d’accumulation qui porte sur un tout petit exutoire de la chaîne. 35 18. Pétrole et gaz, des énergies de dinosaure ! Diapositive 22. Ici vous avez une représentation de la fraction des réserves de pétrole et de gaz en fonction de leur ancienneté. C’est une autre manière de dire que c’est le temps qu’il faut attendre pour que se reconstituent les réserves. C’est une autre manière de présenter exactement la même information. Donc ce que vous voyez, c’est qu’une petite partie du pétrole est « raisonna- blement » jeune – encore que le « raisonnablement » dans cette affaire... Mais vous pouvez avoir une fraction significative du pétrole sur Terre qui a plusieurs centaines de millions d’années. Donc le pétrole, c’est quelque chose qui est renouvelable si vous pouvez at- tendre quelques centaines ou quelques dizaines de millions d’années. Mais si vous êtes un peu plus impatient, ce n’est pas très renouvelable. Soit dit en passant, j’en profite également pour faire une remarque qui a son importance dans le débat qui s’ouvre en France sur la question du confinement des déchets nucléaires. Quand vous avez un gisement de pétrole qui date de 36 18. PÉTROLE ET GAZ, DES ÉNERGIES DE DINOSAURE ! quelques dizaines de millions d’années, ce qu’on a dit implicitement, c’est que pendant quelques dizaines de millions d’années vous avez un produit qui est chaud et liquide qui est resté confiné au même endroit. On dit que le réservoir a tenu pendant quelques dizaines de millions d’années, sur un truc qui est chaud et liquide. Donc le confinement géologique, si vous vous y prenez bien, c’est quelque chose qui tient très, très longtemps sans problème. Ce n’est pas toujours le cas, mais si on s’y prend bien, ça tient très longtemps. 37 19. Parlons un peu nomenclature Diapositive 23. Alors maintenant, je vais un peu vous faire mal à la tête en vous disant un truc qui n’est peut-être pas totalement intuitif, mais qui a son importance quand on regarde les chiffres. Vous savez qu’on ne peut pas manipuler des statistiques sans nomenclature. Tant que je ne vous ai pas dit : « Voilà ce qu’est une chaussure », je ne peux pas compter les chaussures. En ce qui concerne le pétrole, vous pouvez vous dire : « Le pétrole c’est très simple : il y a du pétrole et on compte le pétrole. » Mais en fait ce n’est pas simple du tout. Parce que dans le pétrole, vous mettez des produits qui ne viennent pas du même endroit, qui ne s’appellent pas de la même façon, et qui ne servent pas à la même chose. Historiquement, ce qu’il y avait dans le pétrole, c’était ce qui sortait des gi- sements de pétrole, sans traitement (on va dire). Donc, au moment où monsieur Drake commence à donner des coups de pioche à Titusville, il y a des puits éruptifs : il sort un machin liquide, il colle ça dans des barils. 38 19. PARLONS UN PEU NOMENCLATURE Raison, soit dit en passant, pour laquelle on compte le pétrole en barils : c’est parce qu’au début de l’exploitation du pétrole, les récipients qu’on avait sous la main aux États-Unis, c’était des barils – qui avaient servi à contenir des harengs, qui ne sentent pas tellement meilleur que le pétrole, mais pas pire non plus. Donc on s’est dit : « On va mettre le pétrole là-dedans, c’est le truc qu’on a sous la main, et donc on va compter le pétrole en barils. » C’est la raison historique pour laquelle on a ce système métrique très particulier dans le pétrole. Donc c’était un truc liquide. On voyait à peu près ce que c’était. Et puis avec le temps, on s’est rendu compte que d’un gisement de pétrole, on pouvait faire sortir d’autres choses. Il y a du gaz qui est dissous dans le pé- trole. Alors, le méthane on ne le met pas avec le pétrole. Mais il y a des gens qui comptent, avec le pétrole, du gaz qui sort du gisement de pétrole qui s’appelle de l’éthane (C2 H6 ) – pas tellement du pétrole – et du propane et du butane. Ce sont des hydrocarbures saturés C2 , C3 , C4. Aujourd’hui, vous avez des statis- tiques dans lesquelles ils sont comptés avec le pétrole. Alors, ça porte un nom particulier C2 , C3 , C4 : ça s’appelle des « liquides de gaz » ou « natural gas liquids ». Pourquoi ça s’appelle des liquides de gaz alors que l’éthane n’est pas liquide à température et pression ambiantes ? Parce que dans les usines de séparation des produits gazeux entre eux, on comprime, on refroidit et on fait de la distillation cryogénique (en gros). C’est-à-dire que le méthane est le dernier truc qui reste gazeux. C’est comme ça qu’on l’évacue. Et on fractionne. Et tous les autres deviennent liquides et on les évacue comme ça également. Alors les liquides de gaz, vous pouvez en avoir dans le pétrole – ce sont des molécules dissoutes dans le pétrole qui ne sont pas du méthane –, mais vous en avez également plein dans le gaz. Tous les réservoirs de gaz qui ont été formés par des réservoirs de pétrole, qui se sont enfouis sous terre et où le pétrole s’est fractionné sont, en général, des réservoirs de gaz qu’on appelle « humides ». C’est-à-dire que vous avez du méthane dedans, mais vous avez aussi du butane, du propane et de l’éthane. Donc, ces produits qu’on extrait avec le gaz sont comptés avec le pétrole. Alors, vous allez me dire : « Est-ce que ça vaut la peine de passer deux mi- nutes sur le sujet ? » Quand vous verrez le graphe suivant, vous verrez que oui. Après, vous avez également, sortant avec le gaz, des produits qu’on appelle des condensats. Ce sont des chaînes carbonées qui vont en gros de C5 à C8. C’est un peu plus léger que les produits distillés standards que vous sortez de raffi- nerie et qui viennent également avec le gaz. 39 19. PARLONS UN PEU NOMENCLATURE Alors, ceux-là, en général, on les compte avec le pétrole brut. C’est très com- pliqué de trouver des statistiques dans lesquelles ils sont discriminés du pétrole brut. 40 20. Production de quoi exactement ? Diapositive 24. Alors, voilà les statistiques de l’agence américaine qui s’appelle « Energy In- formation Agency » [sic : Energy Information Administration]. Elle vous donne la production mondiale de pétrole en discriminant brut et condensats (donc le pétrole qui sort sous forme liquide et les condensats), puis les liquides de gaz (donc C2 , C3 , C4 ), puis les biocarburants. Mais quand vous regardez les statistiques de « BP Statistical Review » – que j’utilise aussi assez souvent –, eux ils agrègent les trois et vous appellent ça « pé- trole ». Donc, vous pouvez augmenter la production de pétrole avec du pétrole brut qui diminue, des liquides de gaz qui augmentent, et des biocarburants qui augmentent. Chez BP, ça s’appelle toujours « augmentation du pétrole ». Ça se discute un peu. Parce que si on veut avoir une attribution des causes claire et bien comprendre ce qui est en train de se passer, ça se discute. Et, tout à fait à la fin de cet exposé, je vous montrerai également une discrimination – qui ne va que jusqu’en 2013 malheureusement – entre le brut et les condensats. Et vous verrez que ça donne encore une image différente. 41 20. PRODUCTION DE QUOI EXACTEMENT ? Ce que vous arrivez à voir facilement sur ce graphique, c’est que si vous re- gardez le pétrole brut, il y a une longue période qui a démarré en 2005 – ça doit vous rappeler un petit quelque chose avec la crise de 2008 – où ça n’augmente quasiment plus. Et l’augmentation des années récentes, en fait, elle est moins rapide que l’augmentation que vous avez eue sur la même période des liquides de gaz. Donc, en fait, une partie de l’augmentation de la production dite de « pé- trole » – quand vous utilisez les statistiques de BP ou de l’Agence Internationale de l’Énergie (ils utilisent en général la même nomenclature) – vient de là. Ils mettent dans « production de pétrole » les liquides de gaz. Donc, si vous avez une production de pétrole brut qui baisse et une production de gaz qui aug- mente, vous pouvez très bien vous retrouver, à l’arrivée, avec la production de pétrole qui augmente. ∗ ∗ ∗ Question auditoire ∗ ∗ ∗ « Est ce que les liquides de gaz sont des résidus indésirables ? » Non. Ce sont des produits qui ont une valeur en tant que tel. L’éthane sert de base pour la pétrochimie, de même que le propane. Le butane sert directement si vous allez faire du camping. ∗ ∗ ∗ Question auditoire ∗ ∗ ∗ « Est ce qu’on cherche à les séparer ? » On cherche à les séparer du méthane – dans le gaz absolument –, parce ce que vous avez des spécifications dans les appareils qui utilisent le gaz. Par exemple, votre cuisinière – si vous avez une cuisinière à gaz –, elle n’est pas configurée pour brûler un gaz dans lequel vous avez une teneur variable de butane, de propane et d’éthane. Vous avez une spécification : ça doit être du méthane pur à 99 virgule je ne sais pas combien de neuf derrière. Et donc c’est pour ça qu’on épure les produits. Par ailleurs, on les épure aussi parce qu’ils ont des utilisations particulières en chimie organique. Et donc ça a de la valeur à cause de ça. 42 21. Du plancton à l’huile, une sélection plus sévère qu’à ENSMP Diapositive 25. Là, on revient à la question qui a été posée tout à l’heure. Vous avez ici quelques ordres de grandeur pour comparer la matière orga- nique de ce qui est totalement séquestré sous le sol, c’est-à-dire le kérogène, et des masses respectives de pétrole, de charbon, etc. Donc, vous voyez encore une fois : à chaque fois, vous avez des processus de transformation qui ont des tous petits rendements. Vous n’avez qu’une petite partie de ce qui prend place à une étape donnée qui se retrouve à l’étape d’après. Donc c’est juste pour dire que les rendements, dans cette affaire, sont très faibles. 43 22. Le pétrole sous terre : réserve or not réserve ? Diapositive 26. Donc, à ce stade, quelques éléments de nomenclature. Le pétrole et le gaz se trouvent sous terre dans des réservoirs. L’essentiel du temps, ce réservoir est une roche-réservoir. Il arrive que ça soit la roche- mère elle-même. Quand c’est une roche-mère, elle est par essence sédimentaire (parce qu’elle s’est formée par sédimentation). Quand c’est une roche-réservoir, c’est également une roche sédimentaire – parce que ça se forme dans les mêmes bassins (donc vous avez du calcaire, du grès, du sable, etc.) – qui est poreuse, et le pétrole imprègne les pores en question. Et vous avez, au plus, trois étages : de l’eau, du pétrole et du gaz. Vous pou- vez avoir deux étages seulement : du pétrole et de l’eau ; ou : du gaz et de l’eau. Quand vous avez du pétrole et de l’eau, vous avez toujours un peu de gaz qui est dissous dans le pétrole. Ce qui veut dire que dans l’exploitation du pétrole, vous devrez toujours séparer – en arrivant à pression atmosphérique – du gaz dissous et du pétrole. 44 22. LE PÉTROLE SOUS TERRE : RÉSERVE OR NOT RÉSERVE ? La proportion d’huile dans la roche, c’est quelques pourcents à quelques dizaines de pourcents. Mais on va dire que le cas typique, c’est une dizaine de pourcents. Le pétrole qui est contenu dans la roche s’appelle du « pétrole en place ». À cause de la capillarité – c’est-à-dire que le truc est visqueux et les pores tout petits –, vous ne ferez jamais sortir la totalité du pétrole en place d’une roche- réservoir. De même que vous ne ferez jamais sortir la totalité du pétrole en place dans une roche-mère. Donc, dans le monde des pétroliers, vous avez un élément de discussion qui est le taux de récupération que vous avez dans un réservoir. Bien évidemment, quand vous faites une découverte, vous allez essayer d’estimer ce taux de récu- pération parce que ça conditionne la rentabilité économique du gisement. Une fois que vous avez mis les infrastructures en place, plus il sort de pétrole et mieux vous vous portez. Économiquement. Pour le reste, ça se discute. Donc, je dis également que : plus c’est profond, et plus la partie de gaz est élevée ; que si c’est du pétrole qui s’est dégradé en surface, c’est du bitume ; et que si c’est plus jeune que du pétrole, vous avez des schistes bitumineux ou du pétrole de roche-mère. 45 23. Plus dur que le sexe d’un bébé : combien de pé- trole ? Diapositive 27. Quand vous trouvez un réservoir de pétrole conventionnel, vous trouvez quelque chose qui ressemble à ça. Dit autrement : vous n’êtes pas sous terre comme dans Jules Verne. Vous n’avez pas un microscope ou une paire de ju- melles qui vous met directement le réservoir sous le nez. Vous avez des moyens d’exploration en surface. Et pour ceux d’entre vous qui ont déjà connu et pour ceux d’entre vous qui connaîtront : la première fois que vous irez vous faire échographier le ventre, mesdames, ou le ventre de votre compagne, messieurs, je vous assure que le médecin vous dira : « Là on voit très bien ça. » Vous regarderez en vous disant : « Ah bon, vous êtes sûr ? » Donc, c’est une image qui parle aux spécialistes. C’est évident que ce n’est pas une image qui parle à chacun d’entre nous. 46 23. PLUS DUR QUE LE SEXE D’UN BÉBÉ : COMBIEN DE PÉTROLE ? Donc, quand on essaie de comprendre combien il y a de pétrole sous terre, un de mes amis géologue-pétrolier dit : « En gros, vous faites le tour d’un han- gar, vous regardez par le trou de la serrure et vous essayez de comprendre ce qu’il y a dans le hangar. » C’est à peu près ça l’idée qu’il faut garder. Alors, maintenant, on sait faire un peu plus que ce qu’on faisait avant. Mais enfin quand même, ça ne vous dit toujours pas exactement ce qu’il y a dedans. 47 24. Un réservoir de géologue n’est pas celui d’une auto... Diapositive 28. Et donc, pour savoir, on va faire des trous. Donc, une fois qu’on a trouvé quelque chose dont on pense que ça contient du pétrole, eh bien on fait un trou. Alors le trou s’appelle un « forage d’exploration ». Vous allez éventuellement en faire plusieurs. Vous voyez que si vous vous y prenez mal, vous pouvez très bien tomber juste à côté du truc intéressant et vous tromper sur ce que la roche contient. Donc, vous faites un trou ; vous remontez une carotte ; et vous regardez ce qu’il y a dedans. 48 25. Les joies de la nomenclature... Diapositive 29. Alors, le pétrole en place, une fois que vous l’avez à peu près qualifié et quantifié, s’appelle une « ressource ». Jamais vous ne le connaîtrez avec précision. Donc, à chaque fois que vous voyez passer dans la presse : « Il y aurait tant de pétrole dans les sous-sols de tel pays, ça relève d’indications de cette nature (parcellaires, extrapolées, etc.). Ce sont des gens qui ont fait des calculs de coin de table en disant : « Imaginons que ce qu’on a déjà trouvé soit représentatif. Imaginons que ceci. Imaginons que cela. » Mais ça relève toujours d’un raisonnement de type « modélisation ». Ça peut être une modélisation rustique, mais c’est toujours un raisonnement de type modélisation. Jamais vous n’aurez une balance pour aller peser très exactement le pétrole qu’il y a dans le sous-sol d’un pays. Donc, ce qui est en place s’appelle une ressource. Et ça dépend évidemment d’un certain nombre de paramètres – que je vous liste là et que vous ne connaî- trez jamais « ex ante », avec perfection. 49 25. LES JOIES DE LA NOMENCLATURE... Je rappelle qu’une découverte ne crée pas du pétrole : ça permet juste de savoir où il est. C’est pareil pour le gaz et c’est pareil pour le charbon. Et une fois qu’on a découvert, vous avez trois phases possibles. Ou bien c’est découvert et ça reste découvert. Ou bien c’est ce qu’on appelle « en développe- ment », c’est-à-dire que vous êtes en train de créer une exploitation. Ou bien c’est en exploitation. 50 26. Les joies de la nomenclature (bis) Diapositive 30. Une fois que vous avez un réservoir où vous avez trouvé du pétrole que vous avez commencé à exploiter – et en général on demande que l’exploitation ait commencé pour parler de « réserves » –, on va parler de « réserves prouvées » pour désigner le volume sur lequel vous pariez votre propre argent (je vais le dire comme ça) sur le fait que ça va sortir. Donc, la réserve prouvée c’est : je prends l’ingénieur-réservoir, je le regarde droit dans les yeux et lui dis : « La totalité de ton plan épargne retraite, on va parier. Et tu vas me dire combien de pétrole il sort de ce gisement. Et tu dois y laisser ton plan épargne retraite s’il sort moins que ça. » Donc c’est, en gros, le truc le plus conservateur que vous puissiez dire sur combien de pétrole va sortir de votre gisement. Dit encore autrement, c’est une estimation que vous faites en mettant tous les paramètres dimensionnants à la valeur la plus défavorable. Donc c’est là où vous allez être le plus conservateur sur la taille, la porosité, la viscosité, le taux de récupération, le coût, etc. Ça c’est la réserve prouvée. 51 26. LES JOIES DE LA NOMENCLATURE (BIS) Bien évidemment, si vous vous rendez compte que vous avez sous-estimé la taille du réservoir, elle augmente. Par contre, si vous vous rendez compte que vous l’avez surestimée, elle diminue. Quand vous augmentez le taux de récupération à cause de la technique, vous pouvez augmenter la réserve prouvée (toutes choses égales par ailleurs). Elle peut augmenter avec le prix – mais en fait assez peu, parce que la quan- tité de pétrole qui va sortir d’un réservoir dépend avant tout de l’infrastructure de production que vous allez mettre en place au début (et l’infrastructure que vous mettez en place au début, elle, ne dépend pas de la variation du prix du pétrole ensuite). Donc c’est assez peu sensible au prix pour un gisement qui est déjà en exploitation. Par contre, le prix détermine le fait que vous en mettiez des nouveaux. C’est- à-dire qu’aujourd’hui, pour mettre un nouveau gisement – même si c’est des cochonneries pour la forêt – de sables bitumineux en production au Canada, c’est mieux si le prix du baril atteint 80 ou 100 dollars. Et, si le prix du baril est à 30 dollars, vous n’y allez pas. Parce que vous êtes sûr de perdre votre chemise. Et bien évidemment, si aucun autre paramètre ne varie, la réserve prouvée diminue avec le temps, puisqu’avec le temps, vous sortez une partie du pétrole qui est contenue sous terre. Donc ça ne peut pas augmenter la réserve qui y reste. Ce truc paraît relever du simple bon sens : on verra un peu plus tard que ce n’est pas exactement comme ça que les choses se passent dans le monde. Vous avez une deuxième notion qui est importante dans les réserves : c’est ce qu’on appelle les « réserves ultimes ». Alors, les réserves ultimes, pour le dire simplement : c’est l’intégrale de la production entre le début et la fin. Ce sont les réserves ultimes. Alors, ça vaut pour un gisement ; ça vaut pour le monde dans son ensemble ; ça vaut pour un bassin ; c’est tout ce qui va sortir, du début à la fin. Et comme tout ce qui va sortir, du début à la fin, ne varie pas avec le temps (normalement) : les réserves ultimes ne varient pas avec le temps. Par contre, l’appréciation peut varier. Parce que vous pouvez vous rendre compte que vous vous êtes planté sur un paramètre dimensionnant. Et, à un instant donné, ce qui va finir de sortir d’ici à ce qu’on mette une croix sur le gisement s’appelle les « réserves ultimes restantes ». Dans un monde bien fait – je dis bien : dans un monde bien fait –, les réserves prouvées, à tout instant, sont nécessairement inférieures aux réserves ultimes restantes. On est d’accord ? Vous ne pouvez pas garantir qu’il va sortir du champ 52 26. LES JOIES DE LA NOMENCLATURE (BIS) plus que ce qui va effectivement sortir (si vous avez bien fait votre boulot). Si vous avez bien fait votre boulot, ce que vous garantissez la tête sur le billot, c’est nécessairement inférieur ou égal à ce qui va vraiment sortir jusqu’au moment où vous allez arrêter l’exploitation. Nécessairement. Comme je le disais, il y a toujours une petite incertitude dans l’exploitation. En fait, les réserves ultimes ne sont effectivement connues qu’une fois l’exploi- tation terminée. 53 27. Une réserve, c’est (un peu) pour un prix Diapositive 31. Comme je le disais, les réserves c’est pour un prix. Mais en fait les réserves sont assez peu sensibles aux prix parce que beaucoup d’exploitations de pétrole conventionnel sont rentables, en gros, quel que soit le prix du baril. Vous avez ici les coûts techniques d’extraction – je dis bien les coûts tech- niques d’extraction – du baril dans un certain nombre de pays dans le monde. Alors, ce que vous voyez, c’est qu’une bonne partie du pétrole sort entre 5 et 10 dollars le baril de coûts techniques d’extraction. Alors, vous allez me dire : « Où passent les 80 si ça coûte 10 d’en sortir un de terre ? » Ça passe essentielle- ment en rentes. C’est-à-dire en impôts, taxes et marges d’intermédiaires. Alors, les marges d’intermédiaires, ce n’est pas le plus important. Vous avez une bonne partie du prix du baril qui sont des taxes payées au pays producteur. Quand vous exploitez du pétrole, vous avez en général un accord de partage entre la compagnie qui exploite et le pays qui détient le pétrole. C’est-à-dire que Total va en Irak ; Total négocie avec les Irakiens pour pouvoir avoir le droit 54 27. UNE RÉSERVE, C’EST (UN PEU) POUR UN PRIX – ça s’appelle un « permis d’exploitation » – d’exploiter du pétrole qui se trouve là-bas ; et les Irakiens disent à Total : « OK, on est bien d’accord : ça va sortir à 10 dollars le baril. Eh bien, quand vous sortez un baril, moi je vous en donne 12 et le reste est pour moi. » Ça s’appelle un accord de partage. Ou bien : « Vous le sortez ; vous le vendez ; et, quel que soit le prix du baril, vous m’en donnez les deux tiers et vous vous démerdez pour gagner de l’argent sur ce qui reste. » Ce genre de truc s’appelle un accord de partage. Donc, l’essentiel du prix du baril sur le marché part dans les pays produc- teurs. Et après, évidemment, à la pompe, il y a encore un supplément de prix qui part dans les poches du pays consommateur. 55 28. Hydrocarbures de schiste : back to the future Diapositive 32. Vous avez une différence fondamentale en ce qui concerne le pétrole dit « conventionnel » et le pétrole dit « de roche-mère » dans la structure des coûts. Dans un gisement de pétrole conventionnel, vous avez une roche poreuse qui contient du pétrole. L’essentiel des coûts a lieu avant que le premier baril de pétrole ne sorte. Vous avez d’abord des coûts d’exploration. C’est-à-dire que vous vous baladez avec vos avions renifleurs un peu partout pour regarder s’il n’y aurait pas du pétrole. Alors en l’occurrence, ce n’est pas des avions renifleurs ; c’est, comme je le disais tout à l’heure, de la sismique – donc ça fonctionne avec des ondes sonores, des forages, etc. Et puis si vous vous dites : « Là, je sais qu’il y a du pétrole et qu’il va sortir », vous devez construire vos infrastructures d’exploitation. Vos infrastructures d’exploitation, ce sont des engins qui coûtent cher – surtout maintenant que le nouveau pétrole accessible, c’est en général dans des zones dans lesquelles c’est compliqué – c’est en montagne, au fond de la jungle, avec 3000 mètres d’eau 56 28. HYDROCARBURES DE SCHISTE : BACK TO THE FUTURE sous les pieds, dans la zone arctique, etc. Donc vous allez construire quelque chose qui vaut très cher – une plateforme d’extraction, à terre ou en mer – et derrière votre pétrole va sortir. Je ne sais pas si je vous ai raconté l’anecdote de Kashagan ? Non, je n’ai pas raconté l’anecdote de Kashagan ? L’anecdote de Kashagan : Kashagan, c’est un gisement de pétrole qui se situe au nord de la mer Caspienne et pour lequel le budget initial de développement – c’est-à-dire d’installation des infrastructures de production – était de 5 milliards de dollars. Et ça s’est terminé à 50. Donc ils ont fait × 10 sur le développement, parce qu’il faut faire des trucs qui sont extrêmement compliqués ; ça gèle l’hiver ;... Donc, dans ce genre de gisements conventionnels, une fois que vous avez construit les infrastructures de production, derrière vous avez des coûts d’ex- ploitation qui sont raisonnablement modestes : ce que vous voyez là. Donc, en vert, ce sont les coûts en capitaux de départ ; en bleu c’est les coûts d’exploita- tion derrière ; et la courbe noire c’est le profil de production. En ce qui concerne le pétrole de roche-mère – je vais vous montrer dans pas longtemps (j’aurais dû commencer par ça mais peu importe) – le profil de pro- duction d’un puits, c’est quasi un Dirac. C’est-à-dire qu’après que le puits soit mis en production, il vous faut un mois pour qu’il monte au maximum de produc- tion. Et, un an après avoir été mis en production, il est retombé de 50 à 20% de son niveau initial. Donc c’est vraiment un truc où ça décline extrêmement vite après avoir été mis en production. Du coup, pour conserver un approvisionnement constant en provenance d’un champ, il faut rajouter des puits en permanence. Donc le puits – la plate- forme – n’est plus un élément de capital : c’est presque devenu un élément de charges courantes. C’est-à-dire que quand vous exploitez un champ de pétrole ou de gaz de roche-mère, le puits, c’est un consommable. Vous n’avez pas un puits comme une infrastructure – comme une plate-forme offshore – à quelques milliards de dollars : un puits, ça vaut quelques millions de dollars, puis vous en rajoutez en permanence, en permanence, en permanence, pour garantir le volume qui sort de votre champ. Et alors, ça, ça vous montre qu’en gros, ce qui était des investissements pour un champ de pétrole conventionnel devient (quelque part) des charges courantes pour des gens qui exploitent du pétrole de roche-mère. Et ici, vous avez le profil de pro- duction correspondant. Dès que vous arrêtez de rajouter des puits en perma- nence, vous suivez exactement le même déclin qu’ici, avec quelques charges d’exploitation résiduelles. 57 29. Plein de trous sans l’ombre d’un dollar de gain ? Diapositive 33. À cause de cette particularité du pétrole et du gaz de roche-mère, vous avez cette bizarrerie aux États-Unis – et qui est un truc que je n’ai toujours pas bien compris (donc je vous livre le résultat brut mais je ne suis pas capable de vous livrer l’explication) – qui est que depuis 2012, en moyenne, si vous prenez l’en- semble des exploitants, les exploitants de pétrole et de gaz de roche-mère aux États-Unis perdent de l’argent. C’est-à-dire que chaque année, l’argent qu’ils doivent décaisser pour payer les gens qui vont faire les puits, c’est plus que l’argent qu’ils vont gagner avec le pétrole qui sort des puits. Alors, maintenant, ils doivent également payer non seulement les gens qui font les puits, mais également la dette croissante qu’ils ont contractée pour sur- vivre à l’époque où ils ont commencé à faire les puits. Donc, en gros, au moment où ils commencent à faire les puits, le pétrole est cher (il est à plus de 100 dollars le baril). Du coup, ils s’endettent avec des taux 58 29. PLEIN DE TROUS SANS L’OMBRE D’UN DOLLAR DE GAIN ? d’intérêt élevés. Et maintenant – où les coûts d’exploitation ont quand même baissé –, ils ont une telle quantité d’intérêts à payer qu’ils ne gagnent toujours pas d’argent. Ils arriveraient à gagner de l’argent s’ils n’avaient plus de dettes, mais ils ont tellement de dettes qu’ils n’arrivent pas à gagner d’argent non plus. Donc, il y a une bizarrerie dans le pétrole de roche-mère aux États-Unis. C’est la raison pour laquelle, personnellement, je surveille d’assez près ce qui est en train de s’y passer parce que mon sentiment, c’est que s’il y a une bizar- rerie financière dans ce secteur-là, il pourrait y avoir un arrêt assez rapide de la croissance de la production de pétrole dans ce secteur. Et il se trouve que c’est le seul endroit au monde – avec l’Irak – où la production de pétrole continue à croître. Donc, ce qui est en train de se passer en ce moment aux États-Unis dans le pétrole de roche-mère conditionne l’évolution de la production mondiale de pétrole. Et vous allez voir dans pas longtemps que ça conditionne un tout petit peu l’économie mondiale. 59 30. Faire le tour du hangar et regarder par le trou de la serrure Diapositive 34. Alors revenons à ce que je disais. Vous avez donc un endroit où on pense qu’il y a du pétrole. Et selon le fait que vous mettez les paramètres dimensionnants... ∗ ∗ ∗ Question auditoire ∗ ∗ ∗ « Le fait qu’ils perdent de l’argent, ce n’est pas en rapport avec une décision politique des pays de l’OPEP ? Qui font chuter le prix des barils ? » Si j’avais la réponse, je vous l’aurais donnée. Je vous l’ai dit : moi, je n’ai pas la réponse. La décision politique des pays de l’OPEP, il n’y a que les gens qui couchent avec les décideurs de l’OPEP qui l’ont vraiment – et encore. Méfiez- vous beaucoup de ce qu’il y a dans le journal. Parce que dans le journal, il y a de la théorie du complot à tous les étages. 60 30. LE TOUR DU HANGAR, ET REGARDER PAR LE TROU DE LA SERRURE Moi, je pense que pour avoir une réponse à ce genre de question, il faut avoir fréquenté les décideurs en question pendant dix ans ; les avoir un peu saoulés entre la poire et le fromage ; avoir recueilli leurs confidences ; et avoir fini par arriver à un tout cohérent. Tant qu’on n’en est pas là, il faut être hyper prudent sur la façon dont on pense que les choses se passent. Très honnêtement. Je peux vous dire qu’il y a au moins un cas de figure dans lequel l’OPEP a raconté des choses dont je savais pertinemment qu’elles étaient fausses : c’est au moment du choc pétrolier de 2005 à 2008, où l’OPEP n’arrêtait pas de dire : « Le marché est suffisamment approvisionné, il n’y a pas de raison d’en rajou- ter. » Alors que les prix étaient en train de s’envoler et que les gens de l’OPEP sa- vaient très bien que derrière, il allait y avoir des variations un peu désagréables. Et personnellement, je sais très bien qu’à l’époque, ils ne pouvaient tout simple- ment plus ouvrir les robinets. Il n’y avait pas de robinets à ouvrir. C’est-à-dire que les capacités inemployées de production étaient au taquet : il n’y en avait plus. Donc ils se cachaient derrière le fait de dire : « Le marché est suffisamment approvisionné. » Et les journaux de répéter : « Le marché est suffisamment ap- provisionné. » Donc, moi je ne sais pas ce qu’il y a dans la tête des dirigeants de l’OPEP en ce moment. En plus, c’est plein de pays et ce n’est pas sûr que dans toutes les têtes de tous les dirigeants il y a exactement la même chose. Donc je ne sais pas. La seule chose que je sais, c’est qu’ils perdent de l’argent. Et du coup, c’est un équilibre instable. J’en reviens à ce que je disais. Donc, en ce qui concerne mes réserves. Vous avez une approche probabiliste quand vous dimensionnez vos réserves. C’est un résumé de ce que je viens de vous dire : — Si vous mettez tous les paramètres dimensionnants au plus conservateur, vous avez ce qu’on appelle les réserves prouvées. — Si vous mettez tous les paramètres dimensionnants à la valeur que vous estimez la plus probable, vous avez les réserves ultimes. — Si vous mettez tous les paramètres dimensionnants à la valeur la plus op- timiste possible, vous avez ce qu’on appelle des « réserves 3P » – mais vous avez à peu près autant de chance d’avoir ça que de gagner au loto (un peu plus quand même, mais pas beaucoup plus). 61 31. Parlons chiffres Diapositive 35. Je n’ai pas réactualisé ce graphique qui traîne depuis de nombreuses années. Il est juste pour dire qu’en ce qui concerne le pétrole et le gaz, la quantité totale de pétrole et de gaz extractible de terre dans les gisements dits « conven- tionnels » – donc je ne parle pas des roches-mères – est à peu près connue au- jourd’hui. C’est-à-dire que le reste à découvrir – et vous verrez plus tard que l’on ne découvre pas grand-chose – dans ce domaine-là, aujourd’hui, est consi- déré comme étant très faible. Donc, le pétrole et le gaz extractibles, sur Terre, aujourd’hui, ne rentrent que dans deux catégories (pour l’essentiel) : ce qu’on a déjà extrait (ça on est sûr : c’est extractible) et ce qu’on n’a pas encore extrait, mais qui est contenu dans des endroits qui sont déjà localisés, évalués, quanti- fiés, etc. C’est dans l’un ou dans l’autre. Alors que pour le charbon, ce n’est pas du tout le cas. Pour le charbon, il y a une beaucoup plus grosse incertitude sur ce qui pourrait être contenu dans des endroits qui ne sont pas, aujourd’hui, dans les réserves. 62 31. PARLONS CHIFFRES Rappelez-vous que la chasse au pétrole ressemble à la chasse aux œufs de Pâques (pour ceux d’entre vous qui en ont déjà cherché dans leur jardin). Quand vous cherchez les œufs de Pâques, en général, vous allez trouver en premier les plus gros et les moins bien planqués. Le pétrole, c’est pareil. Quand vous cherchez du pétrole, vous trouvez en premier les plus gros et les moins bien planqués. Ce qui veut dire qu’avec le temps, il vous reste à trouver les plus petits et les mieux planqués. C’est-à-dire : là où il n’y a pas grand-chose, ou bien s’ils sont gros ils sont extrêmement bien planqués. Et s’ils sont extrêmement bien planqués, ça veut dire qu’en termes de coûts d’exploitation, ça va être cher. ∗ ∗ ∗ Question auditoire ∗ ∗ ∗ « Où sont les grandes réserves de charbon dans la nature ? » Alors, les réserves de charbon, j’y viendrai à la fin de cette présentation. Vous verrez où se trouve le charbon. Là, ce que vous avez en rouge, c’est le charbon déjà consommé. En jaune, vous avez les réserves qui sont déclarées exactement sur le même principe que les réserves pétrolières (normalement). C’est-à-dire : c’est dans des trucs déjà en exploitation et c’est ce que vous pouvez être sûr de sortir à prix et techniques constants. Et le reste, c’est la barre d’erreurs on va dire. C’est le charbon qui n’est pas dans les réserves et dont diverses sources pensent que ça pourrait être extrait si on avait envie de le faire. Et vous avez des chiffres qui ne sont pas du tout concordants. Donc vous avez une très, très grosse barre d’erreurs sur ce qui reste en dehors des réserves. 63 32. Mieux vaut d’abord trouver le pétrole si on veut l’extraire Diapositive 36. En ce qui concerne le pétrole et le gaz conventionnels, vous avez ici un his- togramme qui vous donne l’historique des découvertes dans le monde, depuis le début du 20e siècle. Ce que vous voyez sur cet histogramme, de manière manifeste, c’est que depuis, en gros, l’année de ma naissance – bon, vous n’existiez même pas, à peine sous forme d’ovocytes –, les découvertes de pétrole et de gaz ont décliné. Donc les découvertes de pétrole et de gaz contenus dans des gisements dits « conven- tionnels », c’est-à-dire des roches poreuses imprégnées et pas des roches-mères, déclinent depuis maintenant plus de cinquante ans. C’est une autre façon de dire que vous avez une tendance lourde qui est à l’œuvre, et qu’il vaut mieux ne pas trop compter sur la probabilité que l’on découvre, demain matin, un énorme œuf de Pâques, dont on n’avait vraiment pas idée jusqu’à maintenant. 64 33. C’est la petite bête qui descend, qui descend... Diapositive 37. Voilà un autre graphique qui vous dit exactement la même chose. 65 34. Et il en sortira quoi de tout ça ? Diapositive 38. [Éditée par les transcripteurs.] Et voilà encore un autre graphique qui vous dit exactement la même chose. Et alors, ce que je vous disais tout à l’heure au sujet de ces découvertes, c’est que si au moment où vous découvrez, vous avez correctement évalué la quantité de pétrole extractible, il sortira effectivement ce que vous pensez avoir décou- vert. Parce qu’en général, les découvertes se comptent en pétrole extractible le plus probable (donc en 2P). Si vous n’avez pas eu de chance, il en sortira ça. Et si vous avez beaucoup de chance il en sortira ça. 66 35. Moins de découvertes parce que nous cherchons moins ? Diapositive 39. Les régions du monde étant de mieux en mieux connues au fur et à mesure qu’elles sont de plus en plus explorées, ce que vous voyez sur ce graphique, c’est le cumul des découvertes (en ordonnée) en fonction du cumul des puits d’exploration qui ont été forés. Ce que vous voyez c’est que toutes ces courbes ont une asymptote horizon- tale. C’est à dire qu’à un moment, vous avez tout découvert. Vous pouvez bien rajouter des puits d’exploration, il n’y a plus rien à découvrir. Donc vous ne découvrez rien. Et vous voyez également que la découverte marginale tend à s’amenuiser au cours du temps. 67 35. MOINS DE DÉCOUVERTES PARCE QUE NOUS CHERCHONS MOINS ? Diapositive 40. Là, vous avez un zoom sur le Moyen-Orient, parce que sur la courbe précé- dente, vous pouvez avoir l’impression que ça continue à monter en flèche. En fait si vous dézoomez, ça donne ça. Il se trouve que le Moyen-Orient, c’est un endroit où on a découvert des champs super géants, dont le plus grand champ jamais découvert au monde, Ghawar, qui faisait 100 milliards de barils à sa découverte. 100 milliards de barils, c’est trois ans de consommation actuelle. Donc c’est quand même un bon gros champ. Et donc le Moyen-Orient, c’est exactement comme le reste. Donc il y a pro- bablement encore des trucs à découvrir si on cherche – à supposer qu’on doive chercher à cause du climat – mais on a découvert l’essentiel. 68 35. MOINS DE