Travail Social et Droits de l'Homme (PDF)

Summary

Cet article explore le concept du travail social et son rapport avec les droits de l'homme. Il analyse l'évolution historique de cette relation et examine l'influence de la religion, de la science et du militantisme sur le travail social.

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LIEN SOCIAL N° 909 | du 11 décembre 2008 | Numéro épuisé Travail social et droits de l’homme Jacques Trémintin Thèmes : Droits de l’homme, Travail social Si l’aide aux plus faibles se retrouve dans toutes les sociétés, le travail social proprement dit s’est structuré autour de valeurs qui ont évol...

LIEN SOCIAL N° 909 | du 11 décembre 2008 | Numéro épuisé Travail social et droits de l’homme Jacques Trémintin Thèmes : Droits de l’homme, Travail social Si l’aide aux plus faibles se retrouve dans toutes les sociétés, le travail social proprement dit s’est structuré autour de valeurs qui ont évolué aux cours des siècles. De l’influence religieuse, on est passé à une approche scientifique nourrie de sciences humaines, puis à une démarche militante. Trois styles qui, loin de s’annuler, se retrouvent sur un thème qui dépasse tous les clivages idéologiques : celui de la dignité humaine. Thème fondateur s’il en est de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui fête son soixantième anniversaire cette semaine et a largement inspiré le travail social Le travail social s’est construit à partir de toute une série de fondements éthiques et de représentations idéologiques. Ces influences multiples doivent se concevoir comme autant de couches d’un millefeuille, qu’il est fort difficile de séparer les unes des autres, tant leur enchevêtrement forme un tout complexe. Chacun se sent plus proche de l’une, sans jamais être vraiment éloigné des autres. Mais, si nous sommes bien les héritiers d’un ensemble de sources d’inspiration, être légataire d’une succession ne signifie pas l’accepter dans son entier (lire article). Il s’agit surtout de connaître la nature des fées qui se sont penchées sur le berceau de nos professions et décider, en pleine connaissance de cause, ce que l’on fait de ce qu’elles nous ont transmis. Se pose ensuite une question : existe-t-il des valeurs communes qui les transcenderaient toutes ? Avant de proposer une réponse à cette interrogation, commençons par repérer, une à une, ces influences. Influence religieuse Dans la plupart des civilisations, l’on trouve des dispositifs permettant d’organiser le secours aux pauvres, aux infirmes, aux vieillards et aux orphelins. Pendant les deux premiers millénaires de notre ère, en Europe, c’est l’Eglise qui a assuré ce service. Le fondement de la foi chrétienne est comme dans bien d’autres religions l’adoration d’un Dieu. Particularité de ce culte, cette dévotion s’exprime non au travers de sacrifices divers et variés, mais au travers de l’amour de son prochain (qui perpétue, il est vrai, le sacrifice d’un crucifié). La doctrine officielle du christianisme invite ses adeptes à faire le bien d’autrui, comme meilleur moyen de gagner le paradis. La charité est même considérée comme la première des vertus. Mieux encore, chaque figure de pauvre personnifie le Christ en personne : soulager l’un revient directement à servir l’autre. Certes, il y aurait beaucoup à dire sur le gouffre qui s’est creusé, tout au long des siècles, entre ces nobles intentions et leur concrétisation. Malgré tout, reconnaissons-le : jamais une religion n’a autant élevé le secours et la générosité à l’égard des plus démunis, au rang de premier devoir du croyant. À compter du IVe siècle, se généralisent les « diaconies », ces institutions destinées à venir en aide aux exclus, accueillant malades et déshérités. Des ordres se créent avec pour mission première, l’assistance aux pauvres. François 1er tentera, pour la première fois, de séculariser cette intervention en créant « le grand bureau des pauvres » qui perçoit une taxe sur les propriétés laïques et ecclésiastiques destinées à alimenter un fond de distribution d’aumônes. Mais, pour l’essentiel, ce sont les congrégations qui gardent la haute main sur l’assistance et ce jusqu’à la moitié du XXe siècle. Rien d’étonnant, dès lors, que l’action sociale reste encore largement imprégnée des conceptions judéo-chrétiennes de « don de soi » et de charité. Rôle de la science Avec la modernité, émerge une nouvelle perspective : celle d’une amélioration continue et sans limite des conditions d’existence. L’accroissement fabuleux tant de la production de richesses que du secteur des connaissances ouvre l’avenir sur un espoir insoupçonné jusqu’alors : pouvoir enfin comprendre le monde et percer à jour le fonctionnement de l’être humain, permettant ainsi de mettre un terme aux malheurs de l’humanité. Finalement, le mythe du progrès scientifique a explosé en vol, sous les coups de boutoir des guerres, des violences, des génocides qui ont atteint des sommets de cruauté. Si l’obscurantisme qui s’imposa pendant 2000 ans dans le sillage des religions n’avait pas réussi à changer l’homme, la rationalité triomphante du XXe siècle ne semblait pas y avoir mieux réussi. Les injustices et inégalités étaient juste devenues encore plus criantes, en regard de l’abondance dont disposait une petite minorité de la population mondiale. L’action sociale est confrontée aujourd’hui au paradoxe d’une société qui n’a jamais été aussi riche et qui, pourtant, n’a jamais cumulé autant de disparités dans la répartition des ressources. Les professionnels, toujours mieux armés et formés pour comprendre les mécanismes à la fois psychiques et sociaux des populations auprès desquelles ils interviennent, sont confrontés à l’impuissance de réussir à les accompagner dans une dynamique d’intégration. Mais, ce n’est pas parce que les sciences de l’homme ne se sont pas montrées suffisantes pour vaincre la souffrance et l’exclusion, qu’elles n’en sont pas moins nécessaires. En tant que fondement incontournable de nos professions, la dimension technicienne reste donc à la fois une ambition et une illusion qui l’imprègne et la perpétue. Apport du militantisme La fin de la résignation face au destin est une transformation majeure que l’on doit à la modernité : l’individu n’est plus condamné à subir son sort. La prédestination, que lui imposait jusque-là sa communauté d’appartenance, a disparu au profit de la liberté de conduire sa vie sur des chemins qu’il peut, dans une certaine mesure, choisir. L’ordre du monde tel qu’il se présente à lui, n’a plus rien d’irrémédiable. Chacun peut agir pour le changer. C’est l’époque des militants, des mouvements de masse et des révolutions. Certains préconisent la violence, d’autres lui préfèrent le combat démocratique. Aux premières lignes de l’accompagnement des plus déshérités, les travailleurs sociaux sont tentés de se joindre aux militants pour changer une société décidément trop marquée par les injustices. Rappelons-nous, Lien Social avait consacré un colloque à cette question, en octobre 1999. Les arguments s’y succédèrent, s’opposant et se contredisant dans une farandole incessante. Le travail social ne saurait être autrement que subversif, il favorise l’accouchement d’un monde meilleur, affirmaient les uns. Nos enfants nous demanderont des comptes : qu’avez-vous fait pour résister à l’exclusion et à la montée des inégalités et de la misère ?, disaient les autres. Comment peut-on se protéger derrière une position de neutralité, en s’identifiant à la seule fonction de technicien qui, pour légitime qu’elle soit, est loin d’être suffisante ? Par quelle schizophrénie pourrait-on renier des aspirations au changement social inhérentes à un métier en contact avec des populations particulièrement victimes de l’injustice ? Pour une partie des intervenants donc, les professionnels ne pouvaient pas ne pas s’engager. Pour d’autres orateurs, en revanche, il était tout à fait illusoire de vouloir changer la société à partir de sa place de professionnel. L’action sociale n’est pas une cause, mais un métier, affirmaient-ils. La démarche militante est dangereuse en ce qu’elle ne mesure pas la réussite de l’action sur les résultats obtenus, mais à l’aune du postulat de départ. Ce qui compte, c’est la fidélité à la doctrine. Tout au contraire, seule la relation contractuelle peut apporter une garantie aux usagers de ne pas être confrontés au pire des arbitraires. C’est pourquoi, le cadre du travail devait l’emporter sur l’idéologie. Le travail social devait s’émanciper définitivement du militantisme chrétien et philanthropique des âges premiers. Peine perdue, à la fin du forum, les participants appelés à voter, l’affirmèrent à près de 70 % : les travailleurs sociaux doivent être des militants.La fibre de l’engagement et de l’implication, le désir de transformer le monde et ne pas se contenter de le faire accepter aux plus démunis taraudent encore nombre de professionnels. Pourtant, les grandes utopies révolutionnaires qui revendiquaient l’émancipation de l’espèce humaine ont sombré dans la tyrannie et le génocide, contribuant largement à décrédibiliser l’action militante. Tant de dévouement, de renoncement et de sacrifices pour en arriver à de si cruelles déceptions… Tout ça, pour ça ? Les milliers de fervents partisans de l’activisme politique, syndical ou associatif, s’interrogeant sur leur engagement, préférèrent au final se réfugier dans le cocon de leur vie privée. Il n’est qu’à voir la difficulté de mobilisation qui concerne autant les travailleurs sociaux que les autres fractions de la population, pour s’en convaincre. Valeurs fédératrices Le travailleur social ne serait-il finalement qu’une chimère : à la fois curé (par son souci du souci d’autrui), technicien (par son utilisation des connaissances en sciences humaines) et militant (par son désir de transformer le monde) ? Les uns s’identifieront à l’une ou l’autre de ces figures, d’autres voudront s’en détacher. Ecartons tout de suite les protestations des mécréants désireux de ne pas être confondus avec les croyants. Si la religion peut inspirer certains travailleurs sociaux à vouloir faire le bien de leur prochain, l’altruisme et le profond sentiment de solidarité motivent d’autres à agir pour ne laisser personne sur le bord du chemin. On retrouve là l’équivalent laïc de la morale chrétienne, tel que l’exprimait Léon Bourgeois dans sa théorie sur le solidarisme qu’il définissait comme ce « lien fraternel qui oblige tous les êtres humains les uns envers les autres, nous faisant un devoir d’assister ceux de nos semblables qui sont dans l’infortune. » Revenons, à présent, à notre interrogation première : y a-t-il des valeurs qui transcenderaient chacune de ces représentations et dans lesquelles tout un chacun pourrait se retrouver ? Ces références fédératrices existent : ce sont les droits de l’homme. Considérer comme vecteur universel un certain nombre de droits inaliénables s’appuie sur une conception de l’être humain qui traverse les coutumes, les cultures et les spécificités locales. Cela revient à établir un principe éthique qui s’impose en tous temps, en tous lieux et en toutes circonstances. Ce qui n’est pas sans irriter les pourfendeurs d’une pensée globale accusée d’agir tel un rouleau compresseur, en venant araser les spécificités ethnoculturelles et les appartenances collectives. Peut-on néanmoins faire le pari que le travail social trouve dans les droits de l’homme le fondement de son action quotidienne ? Si l’on s’inspire de l’enseignement des religions qui valorisent la fraternité et l’égalité entre les hommes (même si les pires discriminations s’opèrent en leur nom), l’on sera en conformité avec cette hypothèse. Si l’on se réfère à l’influence scientifique, beaucoup de chercheurs ne conçoivent pas leur prospection, sans de solides bases éthiques : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » affirmait déjà Rabelais au XVIe siècle. Là aussi, la proposition des droits de l’homme semble cohérente. Quant au militantisme qui s’inscrit dans une lutte pour un monde plus juste, il se réfère au principe d’équité et de respect dû à tous comme à chacun (même si, là aussi, les meilleures causes ont trop souvent justifié les plus inacceptables exactions). Les trois mamelles qui ont nourri le travail social (et qui continuent à le faire) sont donc en cohérence avec ce paradigme qui peut constituer leur point de rencontre et de synthèse : la recherche de la dignité humaine comme finalité première et ultime. Chaque individu a une valeur en lui-même, qui transcende les différences physiques et la couleur de peau. Sa légitimité n’est pas dans l’appartenance à une communauté ou une religion. Elle tient dans sa structure biologique, au simple fait d’appartenir à l’espèce humaine, dans le partage d’une même nature universelle. La dignité d’autrui s’impose à moi, quelque valeur que je lui confère, tout simplement parce qu’il est homme. Et rien ne peut mieux garantir le respect qui nous est dû que de respecter autrui. Dans une époque marquée par l’individualisme et le repli égoïste, exiger de l’autre qu’il prenne en compte nos droits implique de se reconnaître obligé envers lui. De telles conceptions dépassent les clivages idéologiques et permettent de se retrouver autour d’une même vision de l’humanité et de la place que chacun y tient. *********************** LIEN SOCIAL N° 909 | du 11 décembre 2008 | Numéro épuisé La déclaration de 1948 : source d’inspiration du travail social Jacques Trémintin Le 10 décembre 1948, les cinquante-huit membres de la toute jeune Organisation des nations unies adoptaient en assemblée générale la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’occasion, soixante ans après, de mesurer l’impact de ce texte sur le travail social L’avènement de la modernité marque une évolution politique majeure : l’abolition de la tyrannie et l’émergence des revendications d’égalité et de libertés. Ces droits individuels ne peuvent se déployer que dans un cadre qui leur garantit un espace minimum permettant à chacun de s’épanouir, selon ses propres goûts et désirs. Pour autant, ce cadre comporte autant de droits (la collectivité ne peut tout se permettre contre les individus) que d’obligations (on ne peut pas tout se permettre contre les autres individus, qui disposent des mêmes espaces de liberté, car tous les hommes sont égaux), les uns et les autres étant intrinsèquement liés par un lien de réciprocité. On ne fait pas aux autres ce qu’on n’aimerait pas soi-même subir. Le droit à être respecté dans sa dignité implique l’obligation de respecter celle des autres. La structuration des droits humains a émergé en trois vagues successives. Il y a d’abord eu les droits civils et politiques (droits de pensée, d’expression de circulation, de grève, d’association, de réunion…) arrachés dans la lutte contre les régimes de monarchie absolue. La seconde génération de droits a été le fruit des luttes syndicales et associatives : ce sont les droits économiques, sociaux et culturels (droit au travail, au logement, à l’éducation, à la santé, à un revenu minimum, aux loisirs, à parler sa langue…) Il y a enfin les droits à la solidarité (droits au développement, à la paix, à un environnement sain, à l’accès à l’eau…) mis en exergue par le combat des organisations humanitaires (lire l’interview de Nicole Hénouille, militante à Amnesty International). Ce mouvement connut une consécration internationale en 1948. Le monde vient de sortir de l’une des pires guerres qu’il a connue. En réaction aux horreurs du nazisme, une commission de la toute jeune Organisation des nations unies est chargée en 1945 de rédiger un texte proclamant les droits humains. Celui-ci sera adopté en assemblée générale le 10 décembre 1948 sous le nom de « Déclaration universelle des droits de l’homme ». S’inspirant de l’esprit tant de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis de 1776 que de la Déclaration française datant de 1789, ce texte va au-delà, puisqu’il ne se limite pas aux seuls droits et libertés civiques et politiques (chacun doit pouvoir vivre, penser, s’exprimer, se réunir, s’associer, se syndiquer, se déplacer… à sa guise), mais s’étend aussi aux domaines économiques, sociaux et culturels (chacun doit pouvoir travailler, profiter de repos suffisant, bénéficier de loisirs…). On y trouve aussi le croisement de deux approches du droit : ceux inhérents à l’existence de la personne, en tant que membre à part entière au sein de la société, et ceux liés à l’obligation de la communauté à son égard. Chacun a le « droit de » faire valoir ses intérêts, ses besoins, ses désirs dans la limite où ils ne viennent pas nuire à ceux d’autrui. Mais il a aussi le « droit à » toute une série de protection que lui doit la société. Ce sont les droits créances dont l’Etat et la collectivité doivent s’acquitter : la sécurité sociale, un traitement équitable, une éducation gratuite, un niveau de vie, un bien-être et une santé suffisante… La Déclaration universelle des droits de l’homme est d’une richesse telle que chacun des articles peut nous concerner dans notre quotidien professionnel. L’article 2, par exemple, dénonce toute distinction « de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. » Voilà qui nous fonde à nous battre pour l’accès à l’emploi des handicapés ou des basanés. L’article 5 affirme que « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Cela ne peut que renforcer notre combat contre les mauvais traitements subis par des enfants ou des personnes vulnérables, tout autant que contre les conditions de détention dans certaines prisons ou centres de rétention. « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée », affirme l’article 12. La mise en cause du fichier Edvige trouve ici un argument de poids. Que dire de l’application aux gens du voyage de l’article 13, « toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat », quand on sait qu’ils sont encore tenus, chaque trimestre, de faire pointer un carnet de circulation ? On doute de l’application de l’article 14, « devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays », quand on connaît le doute et la suspicion systématiques qui accueillent cette demande d’asile. « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la Sécurité sociale » affirme l’article 22 : quid de celles et de ceux qui n’ont pas les moyens de se faire soigner et qui fréquentent les permanences de Médecins sans frontières ? La démonstration pourrait s’étendre à l’ensemble du texte. Décidément, les droits de l’homme constituent une source inépuisable.

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