Psychologie du Développement PDF

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Summary

Ce document présente une introduction à la psychologie du développement, en se concentrant sur la manière dont les individus évoluent tout au long de leur vie. Il aborde les différents concepts clés, notamment les théories de la conception de l'enfant et les étapes du développement. Les influences de l'environnement et de la maturation biologique sur le développement sont également explorées.

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Introduction S’il fallait résumer en une phrase l’objet de la psychologie du développement, ce serait qu’il s’agit d’une discipline scientifique qui vise à répondre à la question « Comment devenons- nous ce que nous sommes ? ». En répondant à cette question de manière objective, elle permet n...

Introduction S’il fallait résumer en une phrase l’objet de la psychologie du développement, ce serait qu’il s’agit d’une discipline scientifique qui vise à répondre à la question « Comment devenons- nous ce que nous sommes ? ». En répondant à cette question de manière objective, elle permet non seulement d’alimenter les débats philosophiques sur la nature humaine, mais aussi de mieux comprendre le cheminement de l’être humain au fil des différentes étapes de sa vie ; comment et pourquoi l’être humain change, se développe, grandit, vieillit, et qu’est-ce qui fait qu’il reste néanmoins le même (qu’il y a une certaine continuité), malgré ces changements. Définition de la psychologie du développement Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, la conception de l’enfant a fortement évolué au cours de notre histoire ; adulte miniature, être humain imparfait, pâte vierge à modeler. La psychologie dans son ensemble, et la psychologie du développement en particulier, n’ont commencé à aborder son étude scientifique qu’à partir de la fin du 19 ième siècle, d’abord dans le cadre des théories darwiniennes de l’époque, dans un contexte de systématisation de la scolarité obligatoire. La psychologie du développement s’est alors progressivement instaurée en discipline scientifique autonome au cours du 20ième siècle, avec un objet d’étude propre et une approche scientifique spécifique. De nos jours, la psychologie du développement se définie comme l’« étude scientifique des changements qui se produisent dans le fonctionnement psychologique au cours de la vie mais aussi des phénomènes de continuité qui marquent la vie » (Baltes & Goulet, 1970). Cette définition a deux conséquences :  Les facteurs de changement (croissance, transformations, transitions, …) sont aussi importants que les facteurs de continuité.  Le développement est vu dans une perspective « vie entière » ou « tout au long de la vie » (lifespan en anglais). La psychologie du développement ne s’intéresse donc pas uniquement au développement de l’enfant. Elle ne considère pas non plus que le développement se résume à une simple amélioration de capacités cognitives, sociales, ou Les différentes étapes de la vie en psychologie scientifique (termes anglo-saxons). physiques pour atteindre un niveau optimal à l’âge adulte, pour ensuite décroitre avec le vieillissement. L’être humain est en évolution constante, passe par différentes étapes de la vie, chacune ayant ses propres caractéristiques. Il s’adapte à chacune de ces étapes, en fonction de ses possibilités. Il s’agit alors de comprendre comment il s’adapte, qu’est-ce qui fait qu’il passe d’une étape à un autre (étude des facteurs de changement), et que reste-t-il des étapes antérieures (étude des facteurs de continuité). Le développement, c’est tout simplement la vie. Un autre point important lorsqu’on définit la discipline : la notion de temporalité. A quelle temporalité du développement s’intéresse-t-on ? il existe différentes temporalités : le développement d’une espèce (développement phylogénétique : un temps très long de plusieurs millions d’années) ; le développement d’un individu de l’espèce (développement ontogénétique : un temps plus court, le temps d’une vie de la conception à la mort) ; le développement d’une compétence, d’une habilité (développement microgénétique : temps encore plus court, de quelques jours à quelques mois selon l’activité observée : c’est le temps de l’apprentissage de la marche, de la lecture, l’apprentissage de mots pendant une expérience…). La psychologie du développement s’intéresse le plus souvent à l’ontogénèse (même si, la phylogenèse éclaire parfois les questions de l’ontogenèse, et que considérer la microgénèse peut éclairer le développement). Une discipline à la croisée de plusieurs champs disciplinaires La psychologie du développement se distingue des autres sous-disciplines de la psychologie par le fait qu’elle ne s’intéresse pas au fonctionnement humain dans une domaine particulier (cognitif, social ou clinique), mais à son évolution au Psychologie long de la vie. Et elle le fait en tenant compte de toutes sociale Psychologie les dimensions de ce fonctionnement, qu’elles aient cognitive Psychologie du trait aux compétences cognitives, à l’intégration développement sociale, ou à la santé mentale et physique. Ainsi, elle étudie aussi bien le développement cognitif, que le Psychologie développement social et le développement clinique. clinique Les théories, modèles, données empiriques, méthodes d’étude sont donc souvent partagés avec les autres La psychologie du développement à la sous-disciplines de la psychologie. Par exemple, les croisée des sous-disciplines de la psychologues du développement qui étudient le rôle de psychologie. la mémoire de travail dans le développement cognitif utilisent les mêmes modèles de mémoire de travail que les psychologues cognitivistes qui travaillent sur cette mémoire chez l’adulte ; avec en plus un intérêt pour son évolution avec l’âge. Les frontières disciplinaires entre la psychologie du développement et ses disciplines sœurs ne sont ainsi pas étanches, et certains des éléments vus dans ce cours seront très probablement aussi abordés dans d’autres cours (et réciproquement), avec des recouvrements probablement plus importants qu’entre les autres sous-disciplines de la psychologie. La psychologie du développement les aborde cependant avec un autre regard, celui du développement. La psychologie du développement n’est pas seulement au croisement des différentes sous-disciplines de la psychologie ; elle intègre aussi les connaissances de disciplines voisines, tant en sciences humaines (sociologie, anthropologie, socio-économie, sciences de l’éducation) qu’en sciences de la vie (biologie, et notamment neurosciences, génétique et médecine). Comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, l’étude du développement consiste à déterminer comme l’individu s’adapte à chaque âge, en fonction de ses caractéristiques propres. Cette adaptation dépend de deux facteurs principaux ; les sollicitations de l’environnement et la capacité de l’organisme à y répondre, les deux évoluant au cours de la vie. Le développement de l’être humain consiste donc à trouver un équilibre entre ces deux dimensions. Du côté de l’organisme, le corps dans son ensemble (et le cerveau en particulier) évolue tout au long de la vie, avec des périodes de croissance et de modification morphologique importantes (croissance osseuse et musculaire, croissance neuronale, myélinisation, par exemple) ou de déclin (vieillissement corporel et cérébral). Ces évolutions s’opèrent en grande partie sous l’influence de facteurs génétiques, qui vont les piloter (croissance osseuse et cérébrale, etc.) et sous l’influence de changements hormonaux spécifiques qui se produisent aussi à différentes périodes de la vie (l’adolescence, la grossesse, la ménopause, etc.). Aucun apprentissage ne peut s’effectuer efficacement tant que l’organisme n’a pas atteint un certain niveau de maturation physique (osseux, musculaire) et cérébrale. L’ensemble de ces phénomènes est parfois qualifié d’horloge biologique interne ou encore de maturation physique, cérébrale… Par exemple, si l’on observe le développement de l’organisation des tissu nerveux, on s’aperçoit que la maturation est critique pendant les deux premières années de la vie. Les stocks de neurones sont presque complets à la naissance (environ 200 milliards). Néanmoins, ce sont les ramifications de chacune des cellules, y compris les synapses, qui se développent. Entre 700 et 1000 nouvelles connexions se créent par seconde pendant les cinq premières années de la vie. À deux ans, un jeune enfant aura approximativement 100 trillions de connexions synaptiques (soit 100 milliards de milliards). Parallèlement, les gaines de myéline se développent autour des fibres nerveuses. La myéline, qui donne la couleur blanche (substance blanche), agit comme un isolant qui facilite la transmission des signaux transmis par les fibres nerveuses. C’est ce qui fait que, physiologiquement, on obtient donc une diminution progressive de la matière grise avec l’âge. La matière grise du cerveau contient les corps cellulaires des cellules nerveuses (neurones) et augmentation de la matière blanche (contient les fibres nerveuses, axones des cellules nerveuses). Cette myélinisation ne va pas opérer de façon uniforme temporellement, certaines zones seront myélinisées avant d’autres. Les premières régions qui mûrissent sont par exemple celles où s’effectue l’intégration primaire des données sensorielles et motrices, puis le cortex pariétal et temporal, pour finalement finir sur le cortex préfrontal (qui termine très tard son développement – à l’âge de 20 à 25 ans selon les chercheurs – c’est la zone où sont gérées nombre de fonctions exécutives supérieures (raisonnement, méta-cognition, régulation des émotions…). Les chercheurs stipulent que le développement du cerveau serait représentatif du développement phylogénétique. En effet, les zones situées à l'intérieur du cerveau et contenant les activités les plus basiques, ayant été acquises plus précocement dans notre évolution, se développent en premier. A l’inverse, la dernière zone à maturer est le cerveau préfrontal, correspondant à la dernière région du cerveau à s'être développée chez l'être humain. De l’autre côté, l’environnement joue un rôle important dans les acquisitions de l’enfant, notamment l’environnement social. Cet environnement va exercer des pressions, des sollicitations ou des incitations, il va apporter des aides, des démonstrations, du soutien, des interdits ou des renforcements, qui dépendent des attentes sociales, attentes qui évoluent au cours de la vie. Il existe donc des dimensions sociologiques, culturelles, socio-économiques, historiques qui participent au développement. Par exemple, une expérience menée par Carlson en 1990 consistait à coudre des yeux de chatons afin d'étudier l'effet de l’expérience dans l’environnement. La conclusion était que, une fois les yeux de chatons décousus, les chats n'ont jamais été capables de développer leur vision. Ils n'étaient pas capables de voir, sauf peut-être des ombres, du fait que le manque d’expérience n’a pas permis de développer la zone du cerveau associée. De même, l'expérience réalisée par Hebb en 1955 a révélé que les cellules neurales des rats qui vivaient dans un environnement riche (cage avec des congénères et des jeux) montraient une arborescence plus développée et donc un plus grand nombre de synapses que celles des rats vivant dans un environnement pauvre (cage sans congénères et sans jeux). Une augmentation des synapses à pour effet d’augmenter les fonctions cognitives. Bien entendu, on peut aussi citer l’hygiène de vie ; l’alimentation (de la mère pendant la grossesse ou de l’enfant), l’exposition aux substances nocives ; la pratique du sport (favorise la neurogenèse ; la création de nouvelles cellules nerveuse), etc… Mais entre l’environnement et l’organisme… Il y a l’individu, qui pilote activement son développement ! Environnement Développement Développement organique La psychologie du développement à l’interface entre l’évolution des demandes de l’environnement et celle du corps. Le développement de l’individu doit être pensé comme un phénomène dynamique, avec le passage par plusieurs étapes au cours de la vie (nous rediscuterons de cette approche lorsque nous aborderons la théorie constructiviste de Jean Piaget, notamment). Le moteur de cette dynamique réside dans l’interaction entre un organisme (qui fixe ce qui est du domaine du possible ou non, quand cela le devient ou quand ce ne l’est plus) et les demandes de l’environnement (qui détermine ce qui doit être intégré, quand, et comment). L’évolution de l’un et de l’autre amène les différentes étapes. La stabilité est assurée par les facteurs de continuité qui donnent un fil conducteur guidant le développement, par l’intégration des différentes étapes les unes par rapport aux autres. Les facteurs du développement Comme nous venons de le voir, de nombreux facteurs influencent le développement de l’individu. Certains sont liés à la croissance de l’organisme, d’autres aux sollicitations de l’environnement, et d’autres encore aux dispositions de l’individu – ou aux outils dont il dispose – pour faire face à ces sollicitations. Ces facteurs peuvent être regroupés en trois grand types : les facteurs biologiques, les facteurs sociaux et les facteurs cognitifs. Les facteurs biologiques sont les changements d’ordre organique et physiologique qui interviennent au cours du développement : le développement cérébral, la croissance staturo- pondérale, la mise en place de la motricité, les changements hormonaux (par exemple, au moment de la puberté) ou liés à la sénescence (c’est-à-dire au vieillissement) sont autant de facteurs qui interviennent dans le développement de l’individu et qui influencent son évolution. Les changements opèrent ici généralement en suivant une évolution définie et commune à l’ensemble des individus de l’espèce (pour certains même, à l’ensemble des espèces). Il est souvent faire référence aux facteurs de maturation. Ces facteurs suivent des lois de développement qui sont inscrites dans notre patrimoine génétique et, ainsi, qui sont prédéterminées : c’est l’horloge biologique. Les facteurs biologiques sont donc des facteurs endogènes ; ils dépendent de l’organisme qui se développe. Ceci n’exclue pas des variations d’un individu à l’autre ; si tout le monde grandit, certains le font plus ou moins, plus ou moins vite, ou plus ou moins longtemps que d’autres. Certains peuvent même développer des maladies endogènes (ou génétiques) qui ne leur permettront pas de se développer selon les mêmes règles que les autres. Ceci n’exclue pas non plus des influences extérieures sur la maturation de l’organisme ; cette dernière peut être perturbée ou modifiée par des facteurs exogènes tels que des facteurs environnementaux (maladie acquise, accidents, intoxication, etc.) ou sociaux (par exemple, par l’apprentissage). Les facteurs sociaux correspondent à l’évolution du milieu social au cours du développement. Ils dépendent de l’environnement, et sont donc des facteurs exogènes. Les sollicitations sociales exercées sur un individu ne sont pas les mêmes selon que l’on s’adresse à un nouveau-né, à un enfant en phase de socialisation lorsqu’il rentre à l’école, à un adolescent ou un adulte, ou encore à une personne âgée. Les facteurs sociaux sont définis par l’environnement culturel et historique, et peuvent donc varier d’un groupe social ou d’une culture à l’autre et selon les périodes de l’histoire. Cependant, comme les facteurs biologiques, ils tendent souvent à suivre une séquence commune pour tous les individus d’un même groupe social ; l’apprentissage du langage, l’éducation sous toutes ses formes, les évolutions dans le mode d’alimentation (par exemple, passage du lait à la nourriture diversifiée), sont autant d’exemples de facteurs sociaux. Les facteurs cognitifs sont les changements qui opèrent au cours du développement dans les capacités cognitives comme la perception, la mémoire, l’attention, le langage, la conscience, la prise de décision, la résolution de problème, la régulation émotionnelle, la théorie de l’esprit, etc. Ces capacités et leur évolution au cours de la vie sont sous l’influence conjointe de facteurs endogènes (les facteurs biologiques) et de facteurs exogènes (les facteurs sociaux). Elles sont à l’interface entre l’organisme et son milieu ; elles sont les outils qui permettent à l’individu de s’adapter et d’évoluer dans son environnement physique et social. Nous verrons qu’un débat a été ouvert sur la question de savoir si le développement psychologique de l’être humain dépend de facteurs essentiellement biologiques ou de facteurs sociaux (ou, en d’autres termes, de facteurs endogènes ou de facteurs exogènes) : c’est le fameux débat inné-acquis. Si ce débat a été très polarisé au début du 20ième siècle (comme nous le verrons avec la position maturationniste d’Arnold Gesell et la position opposée des béhavioristes), l’avancée des connaissances amène plutôt à le considérer comme un faux débat ; ou en tout cas un débat qui ne peut être tranché par une réponse dichotomique en tout ou rien. Aujourd’hui, la notion d’héritabilité a été introduite pour penser les facteurs de développement : on va quantifier la part des facteurs environnementaux et des facteurs génétiques, congénitaux et épigénétiques dans la constitution des traits biologiques et des facultés mentales. L’individu possède des caractéristiques propres qui s’adapte en permanence à son environnement et qui se développe en interaction avec les stimulations de cet environnement. Les Facteurs internes et externes interagissent de façon complexe et influencent le développement. Le débat porte donc aujourd’hui davantage sur la part et le rôle de chacun de ces facteurs, qui tous participent au développement d’un individu. Les étapes du développement Le développement n’est pas un phénomène linéaire, l’individu ne passe pas d’un état initial à un état final simplement par une évolution lente et continue. Au contraire, des changements importants se produisent tant au niveau biologique que social et cognitif. Les changements se distinguent selon qu’ils sont qualitatifs ou quantitatifs. Un changement qualitatif consiste en un changement de forme, de structure, d’organisation. Le jeune enfant qui passe du quatre-pattes à la marche debout opère un changement qualitatif de son mode de locomotion. Un changement quantitatif consiste en une augmentation ou une diminution dans la quantité, qui est mesurable par exemple en nombre ou fréquence. L’augmentation du nombre de mots que l’enfant produit correspond ainsi à un changement quantitatif de son niveau de vocabulaire et de sa maitrise du langage. Les changements se traduisent par différentes étapes dans le développement (ce que certains appellent aussi stades), avec une rupture plus ou moins rapide, brusque et radicale entre les différentes étapes. L’entrée à l’école est un exemple, avec une modification importante de l’environnement social de l’enfant. La puberté en est un autre, avec des changements biologiques qui impactent aussi la sphère sociale et cognitive. La maitrise des opérations mentales ou du langage est un exemple d’un changement qualitatif cet fois-ci cognitif, qui affecte la manière d’appréhender l’environnement. Les changements observés dans le développement peuvent être liés à trois grands types d’évènements ; les évènements normatifs liés à l’âge, les évènements normatifs liés à l’époque et les évènement non normatifs. Les évènements normatifs liés à l’âge sont les évènements qui se produisent pour tout individu lorsqu’il atteint un âge donné. Ils sont définis par les facteurs biologiques et sociaux. L’apprentissage de la marche ou du langage, les modifications physiologiques au moment de la puberté ou de la ménopause, ou encore le vieillissement cognitif correspondent à ce type d’évènements. Une de leur principale caractéristique est d’être prédictibles, alors que les autres types d’évènement ne le sont pas ou moins. Les évènements normatifs liés à l’époque sont les évènements qui touchent l’ensemble des individus qui ont vécu au même endroit à un moment donné. Il s’agit d’évènements historiques. Si l’invasion et l’occupation de la seconde guerre mondiale ou la pandémie de Covid-19 en sont des exemples de la « grande » histoire, il consiste également en des évènements tels que le développement d’internet, le changement de méthode pédagogique à l’école, etc. Ils touchent souvent les individus de tout âge lorsqu’ils se produisent et ne sont donc pas spécifiques d’un âge donné, mais leur impact peut dépendre de l’âge des individus au moment de leur survenu. La seconde guerre mondiale a ainsi probablement été vécue différemment par les très jeunes enfants qui n’en gardent aucun souvenir conscient, les jeunes adultes en âge de se battre, ou les personnes âgées. Ce type d’évènement provoque ce qu’on appelle des effets de cohortes : les individus qui ont vécu les mêmes évènements normatifs historiques peuvent se comporter de la même manière les uns et les autres, mais différemment de ceux qui n’ont pas vécus ces évènements. Par exemple, les enfants qui ont intégré le système scolaire à une période ou le port du masque est obligatoire et la distanciation sociale de rigueur peuvent développer des comportements qui leur sont spécifiques. Finalement, les évènements non normatifs sont les évènements qui touchent l’individu. Ils peuvent être d’ordre biologique (la survenue d’une maladie par exemple) ou social (une séparation, un décès, ou gagner au loto). L’individu est confronté à ces trois types d’évènements au cours de la vie, et tous participent à son développement. Le développement, un phénomène continu ou discontinu ? Un débat récurrent en psychologie du développement est de savoir si ce dernier doit être considéré comme un phénomène continu ou au contraire comme un phénomène discontinu. Une conception continue du développement consiste à considérer le développement comme un processus cumulatif, avec des changements graduels. Nous verrons ce type de conception avec Arnold Gesell qui a considéré le développement de la motricité et de la préhension comme un processus continu ; l’enfant accumule des compétences qui l’amènent progressivement à une meilleure maitrise de ces fonctions. La conception béhavioriste de l’apprentissage que nous aborderons aussi s’apparente également à une vision continue. A l’opposé, une conception discontinue considère que l’individu passe par des étapes distinctes ; il évolue au travers de différents stades, avec des réorganisations et des modifications du mode de fonctionnement à chaque étape. Comme nous le verrons, Piaget considère le développement de l’intelligence comme un processus discontinu, avec différentes étapes qui correspondent chacune à un mode de fonctionnement différent (ou à des « intelligence » distinctes). Nous avons évoqué plus haut la distinction entre les changements quantitatifs et les changements qualitatifs qui interviennent au cours du développement. Un parallèle peut être fait avec les processus continus et discontinus : les changements quantitatifs renvoient à des processus continus, alors que les processus discontinus impliquent des changements qualitatifs. Quantitatif et continu ne sont pas pour autant synonymes, pas plus que ne le sont qualitatif et discontinu. Il est possible d’adopter une conception continue du développement qui intègre des changements qualitatifs. Arnold Gesell par exemple considérait les changements qualitatifs observés lors de l’acquisition de la locomotion et de la préhension comme des changements graduels dans un processus cumulatif amenant à la maitrise de ces fonctions. Humanité et évolution Comme nous venons de l’indiquer, l’environnement social dans lequel évolue l’être humain joue un rôle primordial dans son développement. Et ceci dès (avant) sa naissance. L’espèce humaine est une espèce dite altriciale : contrairement aux espèces dites précoces, les petits ne peuvent pas se déplacer et se nourrir de manière autonome à la naissance (ils ont besoin des autres pour être nourris). On utilise aussi le terme d’espèce nidicole (en référence aux oiseaux qui ne quittent pas leur nid tant qu’ils ne savent pas voler), par opposition aux espèces nidifuges (en référence aux oiseaux qui quittent le nid juste après l’éclosion). Pendant plusieurs mois, le très jeune enfant est complétement dépendant de son environnement social, plus particulièrement de ses parents. Cette dépendance est directement liée au niveau de maturation de l’organisme, qui est moins avancé chez les espèces altriciales que chez les espèces précoces. Les tortues de mer, par exemple, doivent être capables de rejoindre l’eau le plus rapidement possible après éclosion, pour survivre. Le poulain doit rapidement parvenir à se tenir debout s’il veut se nourrir. Ces espèces sont donc équipées dès leur naissance d’un niveau de maturation suffisant qui permet de réaliser ces comportements. De son côté, le nouveau-né humain devra patienter plusieurs mois avant de pouvoir se déplacer ou encore saisir des aliments pour les mettre à la bouche ; dans cette attente, les autres le feront à sa place. Les conséquences de ces particularités humaines sont immenses ; l’être humain apprendra beaucoup plus après qu’avant sa naissance. L’organe cérébral des espèces altriciales est à la naissance encore relativement peu développé, par rapport aux espèces précoces. Au cours des premières années de vie, le cerveau va connaître un développement important de sa masse et de son organisation. En comparaison avec les espèces précoces, dont la maturité cérébrale leur permet d’accomplir les comportements nécessaires à leur survie dès la naissance, le cerveau des espèces altriciales est particulièrement « immature »1 : il va encore largement se modifier, tant dans son volume que dans sa structure (voir la figure ci-dessous). Il va alors se développer, se façonner dans l’interaction avec l’environnement, et plus particulièrement avec l’environnement social : dans un bain de démonstrations affectives de soins, de sollicitations, de communication verbale et non verbale, et d’expériences sociales. Ainsi, l’environnement de l’enfant va participer à modeler son cerveau. 1 Nous utilisons les guillemets pour signifier une limite à l’utilisation du concept de maturité/immaturité en psychologie du développement. Ici, l’immaturité est relative à la maturité chez les espèces précoces : le cerveau ne permet pas encore de prendre en charge les mêmes comportements que ces espèces. Certains développementalistes considèrent cependant que ce concept est inapproprié aux questions du développement car adulto-centrique. Il suggère un état final au développement, qui serait le but ou l’objectif ultime des mécanismes en œuvre ; devenir un adulte qui est au sommet de l’évolution personnelle. Or, on peut considérer l’enfant de tout âge comme disposant d’un niveau de maturité suffisant pour s’adapter aux demandes de son environnement. Si le cerveau du nouveau-né n’est pas assez mature pour lui permettre de se nourrir par lui-même, il l’est parfaitement pour faire comprendre à ses congénères que c’est le moment de le faire. Le développement cérébral (adaptation de Thompson & Nelson, 2001, extraite de Casey et al., 2005) : le cerveau humain continue à se développer après la naissance pendant encore plusieurs années. On a souvent considéré que l’immaturité à la naissance est plus importante pour l’être humain que pour les autres espèces animales. Cette caractéristique va de pair avec une autre caractéristique : l’être humain est le seul primate à présenter une bipédie complète. Contrairement aux autres primates, nous sommes toujours plus rapides et plus agiles debout sur nos deux jambes qu’à quatre pattes. Cette bipédie est souvent présentée comme ayant apporté des avantages évolutifs. Notamment, notre vision a pu porter plus loin. En modifiant le point d’attache de la colonne vertébrale sur la boite crânienne, le système cérébral a aussi pu se développer davantage, notamment les lobes frontaux, qui jouent un rôle important de chef d’orchestre de notre fonctionnement cognitif. Finalement, la bipédie complète a permis de libérer les mains de leur fonction locomotrice, permettant le développement d’une habilité manuelle fine particulière, avec notamment l’opposabilité du pouce et de l’index. La bipédie complète présente cependant aussi des inconvénients évolutifs, qu’il a fallu compenser pour survivre (Festinger, 1983). Notamment, la vitesse de déplacement est moins rapide que chez les quadrupèdes, ce qui fragilise à la fois la position de prédateur et celle de proie potentielle. L’être humain aurait compensé cet inconvénient par la vie en groupe et la coopération entre les membres du groupe. Plus crucial pour ce qui nous intéresse ici, la bipédie complète, en imposant l’alignement des jambes avec le reste du corps, a provoqué un rétrécissement du bassin. La voie de passage du fœtus à la vie aérienne s’est donc rétrécie. Ceci a conduit au raccourcissement de la période gestationnelle et, en conséquence, une naissance plus précoce avec un niveau de maturité moins important. Ces différentes caractéristiques du nouveau-né humain auraient participé à la sédentarisation de son espèce. D’un point de vue développemental, ceci se traduit par un poids accru des acquisitions post- natales, dans un contexte social prégnant. Tarzan, Moogly, ou le mythe de l’enfant sauvage Un débat qui a fait couler beaucoup d’encre est la question de savoir s’il existe une nature humaine. Derrière cette question est posée celle de savoir si nous sommes prédéterminés, destinés à devenir ce que nous sommes ; nos caractéristiques humaines sont- elles innées ? Ce débat a largement été alimenté par la considération des enfants sauvages, êtres humains qui ont été livrés à eux-mêmes dès leur plus jeune âge, s’éduquant seuls ou l’étant par des animaux qui les ont recueillis. Que deviennent-ils sans présence humaine ? sont-ils humains ou sont-ils des animaux sauvages à l’image de ceux qui les ont élevés ? Nous parlons ici de mythe puisque, comme nous allons le voir à partir de plusieurs histoires célèbres très médiatisées et discutées, l’existence de tels cas n’est pas formellement établie. Il est extrêmement peu probable qu’un enfant en bas âge survive sans présence humaine, étant donné son niveau d’altricialité (y compris s’il est pris en charge par d’autres animaux). La véracité de toutes les histoires connues à ce jour est remise en cause, comme nous le verrons. Nous avons intitulé cette partie « Tarzan, Moogly, ou le mythe de l’enfant sauvage ». Tarzan et Moogly sont des contes populaires sur fond de questionnement de la nature humaine. Un enfant humain seul, perdu dans la nature sauvage est recueilli par des animaux, des singes ou des ours. A leur contact, il apprend et développe des comportements et des habilités propres à l’espèce qui l’a accueilli. Mais quelques années plus tard, un évènement amène cet enfant à Tarzan et Moogly, ou le mythe rencontrer les membres de l’espèce humaine. Se pose alors un de l’enfant sauvage dilemme : quelle est la vraie nature de cet enfant ? La nature animale dans laquelle il a grandi ? ou la nature humaine, qui reprendra alors fondamentalement le dessus ? On peut noter que le dilemme opère généralement au moment de l’adolescence, avec l’intérêt pour un congénère de sexe opposé. Des récits de ce type émaillent la culture populaire, évoquant des enfants recueillis par différentes espèces, les plus fréquentes étant des loups, des singes ou des ours. Trois cas d’enfants sauvages ont cependant été particulièrement documentés : celui de Victor de L’Aveyron et ceux d’Amala et Kamala. Victor de l’Aveyron a été repéré et capturé par des vous souhaitez aller plus loin », sous vous les trouverez dans le dossier « si Si vous souhaitez lire le mémoire de 1801 et le rapport de 1806 de Jean Itard, chasseurs dans l’Aveyron vers 1800 alors qu’il devait avoir environ une douzaine d’années. D’après les premiers témoignages, Victor se déplaçait à quatre pattes et mangeait des plantes. Après sa capture, il est transféré à l’hôpital de Victor de Jean Itard Bicêtre à paris, où il est diagnostiqué comme un enfant idiot l’Aveyron (1774 – 1838) de naissance – selon la terminologie de l’époque – par le (vers 1785 – 1828) Moodle. célèbre docteur Philippe Pinel, précurseur de la psychiatrie. Son cas intéresse cependant un autre psychiatre, précurseur pour sa part de la psychiatrie de l’enfant : le docteur Jean Itard. Il voit en Victor un moyen de montrer le pouvoir de l’éducation sur le devenir de l’enfant : autrement dit, qu’on ne naît pas humain mais qu’on le devient. Il obtient la garde de l’enfant en 1801, publie un mémoire la même année, et entreprend de le rééduquer, notamment en le socialisant et en lui apprenant à parler. Pendant 5 ans, Itard relate son travail et les évolutions de Victor dans un rapport qu’il publie en 1806. Le constat est plutôt celui d’un échec : si Victor fait L'enfant sauvage des progrès et parvient à prononcer quelques mots, il n’apprendra jamais complétement à parler, rôle du docteur Jean Itard. Pour vos loisirs, vous pouvez L’histoire de Victor de l’Aveyron a inspiré un film à François Truffaut (l’enfant sauvage, 1970), où il joue le et restera inadapté sur le plan social. Le docteur Itard abandonne ses études et Victor est confié à une gouvernante jusqu’à sa mort. L’intérêt pour le cas de Victor tient en grande partie au travail scientifique minutieux mis en place par le docteur Itard qui a fait preuve d’imagination dans son travail de rééducation, et le visualiser sur le lien suivant : tient un compte-rendu détaillé de ses observations. La nature sauvage de Victor a cependant été mise en cause dès le début. Outre le diagnostic d’arriération mentale posé par le docteur Pinel, plusieurs médecins qui l’ont examiné ont douté de sa nature sauvage, évoquant plutôt le cas d’un enfant maltraité (voir par exemple le rapport du naturiste Pierre Joseph Bonnaterre, qui examina également Victor et en fit une description dans « Notice historique sur le sauvage de l'Aveyron, et sur quelques autres individus qu'on a trouvés dans les forêts à différentes époques », 1800). Sa peau était notamment particulièrement blanche et fine, pour un enfant supposé avoir vécu en pleine nature pendant des années. Son corps était aussi couvert de cicatrices qui n’avaient rien des stigmates d’une vie extérieure difficile mais évoquaient plutôt des signes de maltraitance, comme des brulures. Une longue cicatrice sur son cou, probablement provoquée par une lame tranchante, suggère même qu’on ait voulu le tuer. Plutôt qu’un enfant sauvage, Victor est donc très probablement un enfant avec des troubles mentaux qui ont entravés son développement, le tout dans un contexte de maltraitance et d’abandon. Dans le sens de troubles mentaux préexistants, Uta Frith (2003) note aussi de nombreuses similarités entre le comportement de Victor tel qu’il est décrit dans les différents rapports et les comportements autistiques, sugérant la présence d’un autisme chez Victor. Amala et Kamala, les enfants loups, ont prétendument été trouvés dans la tanière d'une louve qui les aurait défendus comme ses propres louveteaux. Leur découverte remonte à 1920, dans la province du Bengale, en Inde. On estime Amala âgée Amala et Kamala, les enfants loups, d’après les photographies du révérend Singh. de dix-huit mois environ et Kamala de sept ou huit ans. Les deux fillettes, séparées de force des loups, sont ramenées à l'orphelinat de Midnapore, où elles sont prises en charge par le révérend père Joseph Amrito Lal Singh. Ce dernier va décrire vous pouvez lire l’article d’Adriana Silvia Benzaquen (2001) disponible dans le milieu scientifique et notamment ce qu’en disait Arnold Gesell, dans les documents supplémentaires sous Moodle (document en Si vous êtes intéressée par l’histoire d’Amala et Kamala, sa réception ses observations dans son journal intime en le documentant de photographies dont vous avez des exemples à droite. Selon le révérend Singh, les deux fillettes montrent un comportement typique d'enfants sauvages : elles marchent à quatre pattes, refusent qu'on les habille, griffent et mordent les personnes qui essayent de les nourrir, rejettent la nourriture cuite…. Elles vivent principalement la nuit, tiennent en aversion la lumière du soleil et bénéficient d'une très bonne vision nocturne. Elles manifestent aussi un sens de l'odorat aiguisé et des capacités auditives très développées. Elles aiment le goût de la viande crue et mangent hors de leur bol, à même le sol. Les deux fillettes semblent insensibles au froid et à la forte chaleur et ne montrent que peu d'émotions de quelque sorte que ce soit, exceptée la peur. En gros, de vraies louves. Le révérend Singh entreprend la tâche de les intégrer à la société humaine. Amala meurt un an après avoir été recueillie. Kamala mourra en 1929, après s’être habituée à la compagnie d'autres êtres humains. Elle a appris à marcher debout, mais revient régulièrement à la marche quadrupède, notamment anglais). pour se déplacer rapidement. Elle apprend aussi à prononcer quelques mots, mais son langage reste laborieux. L’histoire d’Amala et Kamala a fait couler beaucoup d’encre dans les médias de l’époque, mais aussi dans le milieu scientifique – Arnold Gesell, père du maturationnisme que nous aborderons plus tard, a notamment publié un livre en 1941 intitulé « Wolf Child and Human Child » inspiré par Kamala. Elle est cependant fortement contestée. Malgré plusieurs demandes pour que Kamala se rende aux Etats-Unis ou pour la visiter en Inde, aucun scientifique n’a pu l’observer directement ; le révérend Singh en justifia toujours l’impossibilité par l’état de santé de Kamala, puis par sa mort. Les preuves apportées par le révérend Singh à l’appui de son récit sont aussi douteuses. Son journal notamment, supposé tenu « au jour le jour » (conservé à la « division of the US Library of Congress », à Washington, D.C.), a en fait été écrit après 1935, plusieurs s pouvez nt années après la mort de Kamala. Les photographies sont soupçonnées être des montages, mettant en scènes des figurantes. Il est plus probable que les deux fillettes, notamment Kamala, soient des enfants qui présentent des troubles mentaux. Elles auraient subi des maltraitances de la part du révérend lui-même, qui les aurait instrumentalisées. Le révérend se révèlerait donc être un escroc. En conclusion, donc, même si l’histoire des enfants sauvages est passionnante à bien des égards, ce n’est pas la meilleure approche pour trancher le débat nature vs. culture, pour peu qu’il puisse l’être. Pour ceux qui sont intéressés et souhaitent approfondir la question, vous pouvez consulter les ouvrages de Lucien Malson (Les enfants sauvages. Mythe et réalité, 1964), Serge Aroles (L'énigme des enfants-loups : une certitude biologique mais un déni des archives, 2007) et de Kotaro Suzuki et Jacques Vauclair (De quelques mythes en psychologie, 2016). La nécessité de la présence humaine, ou le syndrome de l’hospitalisme Si les enfants sauvages relèvent probablement plus du mythe que de la réalité, d’autres éléments plus concrets montrent qu’un enfant ne peut se développer harmonieusement – et ainsi acquérir les caractéristiques classiques d’un « être humain » (en tant qu’être social doué de capacité d’interaction avec ses congénères) sans une intervention humaine qui l’y incite. Ceci est particulièrement visible dans le cas d’enfants dont les seuls besoins élémentaires ont été Pour des illustrations de faits divers, voir satisfaits (dans leur strict minimum, assurant ainsi la survie de l’enfant). L’enfant est nourri mais par exemple les deux articles suivants : ne reçoit pas de soins supplémentaires. Dans ce cas, le développement de l’enfant s’en trouve Le Monde alors fortement entravé dans toutes ses dimensions : cognitive, sociale mais aussi physique, pouvant aller parfois jusqu’au décès. La légende raconte que Frédéric II de Hohenstaufen (1194- 1250), empereur du Saint Empire et promoteur des sciences, ordonna à des nourrices d’élever Figaro des enfants sans leur parler. Il pensait qu’ainsi les enfants parleraient spontanément la langue Le originelle, ce qui lui permettrait de savoir quelle est cette langue. La réponse fut : aucune. Les enfants ne parleront jamais. Toujours selon la légende, tous moururent. La rubrique des faits divers illustre bien le fait que la négligence de soins provoque des retards importants et souvent irrémédiables sur la santé mentale et physique des jeunes enfants. Le rôle fondamental de l’investissement parental pour le bon développement du très 947. Cette vidéo n’a pas de son et elle est une vidéo de onc des images susceptibles de heurter la montre de très jeunes enfants en détresse jeune enfant a été identifiée dès le début du 20ième siècle par un psychiatre et psychanalyste d’origine hongroise qui a fait carrière aux Etats-Unis, René Arpad Spitz (1887-1974). René Spitz nt, vous pouvez visualiser ici vidéo s’est intéressé aux relations mère-enfant au cours des deux premières années de vie, en utilisant une méthode d’observation moderne (observation directe, utilisation d’enregistrements vidéos, études transversales2 et longitudinales3). Il a notamment travaillé dans différentes institutions où les enfants étaient séparés de leur mère pour une période plus ou moins longue (crèche de prison pour femmes où les enfants étaient placés le temps que leur mère purge leur peine, orphelinat). Nous reviendrons plus tard sur les apports de ses études ; nous nous intéressons pour l’instant à ce que Spitz a observé sur le rôle de l’environnement social (au-delà de la satisfaction des besoins vitaux par le personnel soignant). Les enfants séparés de leur mère développent des troubles mentaux importants, appelés syndrome de l’hospitalisme et dépression anaclitique. La séparation avec la mère après l’âge de 6 mois conduit l’enfant à trois phases : une première phase de pleurs et de recherche de contact, une deuxième phase de blocage du développement physique et mental (la croissance est alors ralentie voir bloquée), puis une troisième phase de retrait affectif (nommée dépression anaclitique). Si la mère est de nouveau rapidement présente, l’enfant revient à son état habituel (celui qu’il avait avant la séparation). Cependant, si la séparation dure trop longtemps, ou si elle opère avant l’âge de 6 mois, elle peut conduire l’enfant à un état de « marasme », qui devient irréversible et peut conduire à la mort de l’enfant. Le syndrome de l’hospitalisme illustre le rôle important de la prise en charge de l’enfant dans son développement. Cette prise en charge ne doit pas se limiter à la simple satisfaction des besoins nutritionnels ou de protection de l’intégrité physique. Elle doit aussi être stimulante de la sociabilité de l’enfant. Développement typique et développement atypique Nous avons souligné que le développement se fait à l’interface des demandes de l’environnement de l’individu (notamment son environnement social) et des possibilités de son organisme (croissance, maturation cérébrale). Les situations que nous avons décrites jusqu’à présent – enfants sauvages, maltraitance, hospitalisme – montrent les conséquences d’un environnement non adapté sur ce développement. Du côté de l’organisme, les altérations de son intégrité sont également des sources potentiellement importantes d’altération du développement. Les déficiences sensorielles (surdité et malvoyance notamment), en entravant la possibilité qu’à l’enfant d’interagir avec son environnement, peuvent provoquer des retards importants de développement. De même, le développement peut pâtir d’atteintes de l’intégrité 2 Etude transversale : étude, à un moment donné, de groupes d’individus d’âge différent. Par exemple, pour déterminer l’évolution du vocabulaire chez l’enfant, on mesure le niveau de vocabulaire (nombre de mots connus) en même temps chez 5 groupes d’enfants âgés respectivement de 1 an, 2 ans, 3 ans, 4 ans et 5 ans. 3 Etude longitudinale : étude où on suit un groupe d’individus sur une période donnée, en étudiant son évolution à des âges différents. Par exemple, pour déterminer l’évolution du vocabulaire chez l’enfant, on mesure le niveau de vocabulaire (nombre de mots connus) d’un groupe d’enfants âgés de 1 an, puis on mesure à nouveau ce niveau pour ces mêmes enfants lorsqu’ils sont âgés de 2 ans, 3 ans, 4 ans et 5 ans. cérébrale, qu’elles soient directes (suite à un traumatisme crânien ou un accident vasculaire cérébral, par exemple), ou qu’elles résultent d’une anomalie génétique (comme par exemple la trisomie 21, qui provoque le syndrome de Down). Le cerveau est le siège matériel sur lequel reposent les acquisitions de l’individu ; l’atteinte de l’intégrité cérébrale peut donc perturber ces acquisitions. Le cerveau fait cependant preuve d’une grande plasticité, notamment en début de vie. ici. D’autres cas sont notamment dans un article que vous Ce cas a été évoqué dans la presse, Cette plasticité va de l’établissement de nouvelles connexions, à la réorganisation de la cartographie cérébrale ; par exemple, chez les enfants aveugles ou sourds, les régions habituellement dédiées à la vision ou à l’audition pourront prendre en charge d’autres fonctions qui permettent de compenser le déficit sensoriel. Plusieurs cas sont édifiants ! certains enfants pouvez trouver ici peuvent présenter un développement étonnant, alors même qu’il leur manque jusqu’à la moitié ici. évoquésici du cerveau : par exemple, une jeune fille américaine a atteint un niveau de langage normal alors qu’il lui manque l’hémisphère gauche (Asaridou, Demir-Lira, Goldin-Meadow, Levine, & Small, 2020). L’hémisphère gauche est justement celui qui prend habituellement en charge le langage chez les enfants au développement typique. Si de tels cas restent rares, ils nous montrent cependant que le poids de l’environnement est déterminant dans le développement dans la mesure où les sollicitations qu’il offre à l’individu peuvent permettre de compenser les altérations cérébrales. Génèse de la psychologie du développement La psychologie du développement (une des sous disciplines de la Psychologie) est une discipline récente dans l’histoire des sciences puisqu’elle se constitue en tant que science il y a à peine plus d’un siècle. Il est cependant possible de trouver des considérations sur la nature de l’enfant ou des idées sur la meilleure manière de l’éduquer dès la Grèce antique. La conception de l’enfant qui domine jusqu’à la fin du moyen-âge est celle d’un être quantitativement différent de l’adulte : il est plus petit, moins fort, moins agile, etc. L’enfant est décrit comme un adulte inachevé ou miniature, aux compétences encore limitées. Cette vision de l’enfant se retrouve dans les représentations de l’époque, comme Philippe Ariès l’a illustré dans son ouvrage « L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime » (1960). L’enfant est généralement représenté comme un petit adulte, habillé de la même manière, et avec une morphologie identique ; seule la taille change. L’iconographie de la vierge à l’enfant à droite illustre particulièrement bien ce phénomène. On attribue à l’enfant le même mode de fonctionnement que l’adulte, avec La Vierge et l’Enfant pour conséquence une comparaison en sa défaveur ; toute différence est (iconographie du Moyen- négative, traduisant une infériorité, correspondant à une faiblesse, une Age) erreur ou à une perversion. Dans la chrétienté (très prégnante et influente au moyen-âge, notamment en Europe), l’enfant est même le fruit du pécher, l’œuvre du diable. Dès lors, l’éducation a pour objectif de l’améliorer et de le « redresser » afin d’en faire un bon chrétien ; elle se résume à inculquer des règles et des connaissances, à corriger des défauts, avec une pédagogie qui s’apparenterait aujourd’hui davantage à du dressage et à de la maltraitance. La vision de l’enfant et de l’enfance va commencer à évoluer vers de nouvelles conceptions à partir du 16ième et du 17ième siècles. Deux changements ont favorisé cette évolution. D’abord, l’avènement des théories humanistes qui, en plaçant l’être humain et son épanouissement au-dessus de toutes les autres valeurs, vont développer une réflexion sur la période de l’enfance et sur l’éducation. C’est aussi au cours de cette période que l’école et les institutions spécialisées pour les enfants handicapés se développent. Les enfants acquièrent ainsi un espace propre, et les pédagogues s’interrogent sur comment utiliser cet espace, et dans quel objectif. L’enfant y gagnera progressivement une qualité propre, avec la reconnaissance d’un mode de fonctionnement distinct de celui de l’adulte. Nous allons cependant voir que ces nouvelles idées sur ce qu’est un enfant et sur la manière dont on doit le prendre en charge mettront beaucoup de temps à se mettre en place. Les penseurs et philosophes précurseurs d’une psychologie de l’éducation et de l’enfant Erasme, les prémisses de l’éducation moderne Erasme, aussi appelé Erasme de Rotterdam ou Desiderius Erasmus, est un chanoine néerlandais, également théologien. Figure centrale de l’Humaniste du 16ième siècle – parfois même décrit comme le père de l’Humanisme – il a beaucoup voyagé en Europe, défendant les principes de tolérance religieuse et dénonçant les conflits. Du fait de sa vision humaniste, Erasme accorde une part importante à l’éducation. Il juge que « les hommes ne naissent point hommes, ils sont faits tels (…) c’est la raison qui fait l’homme »4 ; ce qui est souvent traduit par « l’être humain ne nait pas humain, il le devient ». D’où le rôle fondamental de l’éducation dans la construction de l’individu. Erasme est l’auteur de Erasme (1469-1536) plusieurs écrits sur l’éducation et la pédagogie. Il dénonce à l’occasion certains principes éducatifs de son époque, dont l’usage du fouet, considérant que ces pratiques sont liées à l’amalgame entre le « petit enfant » et le « petit homme » ; selon lui, il s’agit d’éduquer, non de rudoyer. L’éducation doit s’appuyer sur les principes de tendresse et de douceur. Elle doit intégrer le jeu comme principe éducatif afin de susciter l’intérêt et l’adhésion de l’enfant, et favoriser l’esprit critique cultivé. L’objectif de l’éducation est de préparer les enfants à la vie sociale adulte. Il propose une définition dans « La civilité puérile » (1530) : dans le dossier « si vous souhaitez aller française en regard), vous le trouverez Si vous voulez consulter l’ouvrage d’Erasme (en latin avec la traduction « La tâche d'instruire la jeunesse consiste en plusieurs choses : la première, et donc la principale, est d'inculquer à des esprits tendres encore les germes de la piété ; la deuxième de leur faire aimer et étudier les arts libéraux ; la troisième de les mettre plus loin », sous Moodle. au courant des devoirs de la vie, la quatrième de les habituer dès leurs premiers pas dans l'existence à la civilité des mœurs. » (extrait de Bierlaire, 1978) On trouve dans cette définition l’idée que l’enfant est un esprit encore en devenir, pas encore forgé (« tendre »). L’éducation vise à le sociabiliser, en lui inculquant les principes de la vie en société (principes qui sont ici les principes chrétiens qui régissent le fonctionnement de la société à l’époque d’Erasme). Pour arriver à cet objectif, Erasme propose une approche qui amène l’adhésion de l’enfant, de sorte à lui « faire aimer » ce qu’il apprend. Cette approche qu’il qualifie de libérale (par opposition à l’approche classique fondée sur la répétition mécanique et 4 Dans « Declamatio de pueris statim ac liberaliter instituendis » (1529), d’après Adélaïde Gregorio (2017). la sanction, sans initiative laissée à l’enfant) repose sur la bienveillance, l’absence de violence. La finalité étant d’ouvrir les élèves à l’amour de la culture – et même des cultures, pour ouvrir son esprit – afin qu’ils puissent devenir des êtres authentiquement humanisés. Cette vision humaniste de l’éducation proposée par Erasme au 16 ième siècle est aujourd’hui au cœur des principes éducatifs modernes ; le nombre d’esplanades, d’amphithéâtres, ou de programmes universitaires (européens, bien sûr) qui portent son nom en atteste. John Locke et l’empirisme John Locke est un philosophe anglais du 17ième siècle. Il est considéré version (en anglais) dans le dossier « si vous souhaitez aller plus loin », sous Si vous voulez feuilleter l’ouvrage de John Locke, vous en trouverez une comme l’un des pères de l’empirisme moderne, une doctrine philosophique selon laquelle l’expérience est la source de la connaissance. Locke s’oppose notamment au rationalisme de Descartes selon lequel toute connaissance vient de la raison (ou du raisonnement : « je pense, donc je suis »). Dans son œuvre majeure – « Essai sur l’entendement humain » publié en 1690 – Locke rejette l’idée de connaissances innées, toute connaissance étant le fruit de John Locke (1632- Moodle. l’expérience, et uniquement de l’expérience. L’esprit du nouveau-né est 1704) donc vierge (selon l’expression qu’on lui prête souvent : une tabula rasa , c’est-à-dire une feuille 5 blanche sur laquelle l’expérience va imprimer les connaissances). Suite aux sollicitations d’un ami aristocrate qui lui demandait des conseils sur la vous souhaitez aller plus loin », sous votre préférence) dans le dossier « si (en anglais ou traduit en français, selon Vous trouverez également cet ouvrage meilleure manière d’éduquer son fils, John Locke écrit un autre ouvrage dans lequel il regroupe ses conseils : « Pensées sur l'éducation », publié en 1693. Il y affirme le rôle de l’éducation, notamment en déclarant que : « Je crois que je peux dire que de tous les hommes que j'ai rencontrés, neuf sur dix sont ce qu'ils sont, bons ou mauvais, utiles ou non, de par leur éducation ». Moodle. Il détaille dans cet ouvrage sa vision de l’enfant et de l’éducation, insistant sur l’importance des renforcements, avec sanctions positives ou négatives qui augmentent ou diminuent la probabilité d’apparition d’un comportement. Si l’usage des renforcements positifs est toujours d’actualité, les conseils qu’il donne révèlent cependant une conception de l’éducation qui parait 5 Si on attribue souvent à Locke la formule « Tabula Rasa », il ne l’a pas utilisée dans ses écrits de 1690 ni dans ceux de 1693 ; il s’agit en fait d’une expression utilisée pour la première fois par Platon dans « Théétète », pour faire référence au fait que l’esprit humain est « vierge ». Les « tabula » sont des plaques de cires que les grecs utilisaient pour écrire en les gravant avec un stylet ; la cire leur permettait de se corriger en grattant la surface pour effacer ce qui était précédemment gravé. Si dans l’esprit, cette métaphore correspond bien à ce que Locke imaginait, Locke préférait celle de la feuille blanche. Aujourd’hui, nous pourrions utiliser comme image celle du disque dur vierge. austère au regard des principes modernes. Par exemple, Locke conseillait de laver les pieds des enfants à l’eau froide tous les jours, pour les rendre plus résistants. Dans l’ensemble, la conception de Locke reste très classique : l’enfant y apparait toujours davantage comme un adulte en miniature, incomplet, qui va s’achever, se compléter grâce à l’éducation. Les différences entre l’enfant et l’adulte restent encore essentiellement quantitatives. L’enfant ne participe pas à son développement, c’est un acteur passif qui ne fait qu’emmagasiner les connaissances qu’on lui inculque. Jean-Jacques Rousseau C’est avec Jean-Jacques Rousseau que l’enfant acquière une nature propre, différente qualitativement de celle de l’adulte – et non plus est dans le dossier « si vous souhaitez aller plus loin », sous Pour les curieux, une copie de la version originale de cet ouvrage seulement quantitativement. Jean-Jacques Rousseau est un philosophe et écrivain français du 18ième siècle qui a écrit un traité sur l’éducation qui deviendra une œuvre majeure dans le domaine : « Émile ou de l’éducation », publié en 1762. Il y invente un enfant (Emile) pour proposer sa vision de l’éducation. A travers son ouvrage, Rousseau présente sa conception Moodle. fondamentale : l’être humain est naturellement bon, c’est la société qui le corrompt. Jean-Jacques Dans « Emile ou de l’éducation », Rousseau propose deux idées Rousseau (1712-1778) nouvelles à l’origine de la famille moderne : l’enfant est au centre du processus éducatif et la mère y tient une place essentielle. Il s’oppose ainsi à deux pratiques courantes à son époque : la mise en nourrice des enfants les plus jeunes (les mères n’allaitent pas. A l’époque, l’allaitement est considéré comme sale, répugnant et parfois dangereux pour les enfants. Les nouveau-nés étaient donc confiés à des nourrices professionnelles et les parents ne récupéraient leurs enfants que lorsqu’ils étaient sevrés), et l’emmaillotage, qui consiste à envelopper le bébé dans un linge pour limiter ses mouvements. Rousseau, opposé farouchement à ces pratiques, considère au contraire que la mère doit allaiter son nourrisson, et que l’enfant doit être libre de ses mouvements. Comme pour John Locke, l’expérience de l’enfant joue un rôle fondamental chez Rousseau. Contrairement à Locke, cependant, l’enfant est un acteur actif de cette expérience qui résulte de l’interaction entre l’enfant et son environnement, et qui implique autant l’un que l’autre. L’éducation doit permettre de créer les conditions favorables à une autoconstruction de la personnalité dans toutes ses formes. L’éducateur est donc non-interventionniste, l’enfant n’est pas contrôlé. Cette idée de l’enfant acteur de sa construction se retrouve chez des pédagogues et des psychologues du 20ième siècle comme Maria Montessori ou Jean Piaget, notamment. L’enfant n’est pas mauvais par nature, c’est la société qui le pervertie. Cette idée est révolutionnaire et dans sa continuité, Rousseau assure qu’il faut éduquer l’enfant au contact de la nature ; il propose que cette éducation se fasse à la campagne. L’expérience et l’observation de la nature sont plus importantes que les livres. Rousseau valorise l’affectivité et la connaissance par les sens. Le travail manuel et les exercices physiques sont recommandés pour le développement de l’homme idéal décrit par Rousseau. Cette position le distingue des positions précédentes ou l’éducation visait à faire de l’enfant un adulte sociabilisé (citoyen, croyant, savant, ou autre). Pour Rousseau, l’enfant doit découvrir lui-même, librement l’être humain naturel qui est en lui, sans entraves susceptibles de le pervertir. Le statut de l’enfant change aussi : il pense et agit de manière spécifique avec ses propres valeurs, son propre fonctionnement. La différence avec l’adulte devient donc qualitative et non plus simplement quantitative. L’enfant n’est pas un pré-adulte mais un être humain en évolution. Il apprend par expérience avec la nature. Rousseau introduit ainsi une notion toujours d’actualité : la notion de « rythme naturel de croissance ». L’enfant se développe à son propre rythme, rythme qu’il faut respecter. La conception de Rousseau est illustrée dans les conseils suivants, présents dans son ouvrage : « Aimez l’enfance, favorisez ses jeux, ses plaisirs, son aimable instinct » « L ’enfance a des manières de voir, de penser, de sentir qui lui sont propres » « Respectez l’enfance et ne vous pressez point de la juger, soit en bien, soit en mal » L’ouvrage de Rousseau est profondément marqué par sa philosophie politique – il a d’ailleurs été publié la même année qu’une autre de ses œuvres majeures, « Le contrat social ». Certains, comme Voltaire, s’étonneront ironiquement que Rousseau se permette de donner des conseils éducatifs, et qu’il valorise autant le rôle central de la mère mais aussi celui du père : Rousseau a eu cinq enfants, et les a tous placés à l’assistance publique ! Rousseau lui-même n’a pas considéré son œuvre comme une méthode au sens strict, mais bien comme une œuvre philosophique. La pédagogie qu’il a proposé n’est d’ailleurs pas appliquée par les pédagogues actuels, et ne l’a jamais réellement été. L’apport de Rousseau réside essentiellement dans sa conception de l’enfant, acteur de son propre développement, avec un fonctionnement et un rythme de développement propre. Rousseau est le premier auteur à proposer que la connaissance de l’enfant doit précéder sa prise en charge. Cette idée va faire son chemin et constitue l’une des bases de la psychologie du développement. Notons au passage que l’idée selon laquelle l’être humain est fondamentalement bon implique une part d’innée ; Rousseau ne fait pas totalement sienne l’idée de John Locke selon laquelle nous venons au monde vierge de toute connaissance. Selon Rousseau, l’enfant vient au monde avec une conscience morale, une force spirituelle, qui guide ses apprentissages : comme il l’écrit, « l’amour du bon et la haine du mauvais nous sont aussi naturels que l’amour de nous- mêmes ». Surtout, ce sont selon lui des cadeaux de Dieu, dont nous sommes pourvus dès notre naissance. La théorie de l’évolution : une révolution scientifique au 19ième siècle Le 19ième siècle va être marqué par une évolution scientifique majeure sous l’impulsion du naturaliste français Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829), puis du naturaliste anglais Charles Darwin (1809-1882). Ils proposent que les êtres vivants évoluent… Cette proposition simple de prime abord va provoquer une véritable révolution dans l’approche scientifique de l’être vivant (animal ou végétal), et sur son origine. Darwin : l’évolution et l’adaptation au cœur de la vie… et de l’être humain L’approche scientifique de l’enfant va se concrétiser au cours du 19 ième siècle, avec notamment la révolution scientifique provoquée par la théorie de l’évolution de Charles Darwin, qu’il expose notamment dans son ouvrage « L’origine des espèces » (1859). Cette théorie va bouleverser l’approche scientifique dans de nombreux domaines, plus particulièrement en ce qui nous concerne, celui de l’étude de l’espèce humaine. Si l’homme est le fruit d’une longue évolution (évolution phylogénétique, à l’échelle de l’espèce), alors on peut commencer à s’intéresser au temps qui passe pour comprendre le fonctionnement de l’homme. Progressivement, avec cet intérêt nouveau accordé à la Charles Darwin (1809-1882) dimension temporelle, le développement (évolution ontogénétique, à l’échelle de l’individu) devient un objet d’étude en soi. Or, l’une des périodes de la vie où le développement est le plus visible est l’enfance… Aussi, pour les scientifiques de l’époque, l’étude de l’enfant et de son développement va commencer à s’imposer naturellement… La théorie de l’évolution de Darwin postule que tous les organismes vivants – être humain compris – sont en perpétuelle évolution6. La dynamique de cette évolution réside dans un phénomène de sélection naturelle où les individus d’une espèce les plus adaptés à leur milieu se reproduisent davantage que les autres. La sélection repose non seulement sur l’adaptation au milieu actuel, mais aussi sur la capacité à s’adapter aux changements de ce milieu, Comme l’illustre la citation en anglais qui accompagne le portrait de Darwin à droite, « ce ne sont pas les plus forts des espèces qui survivent, ni les plus intelligents, mais ceux qui répondent le mieux aux changements ». Par ailleurs, toutes les espèces descendent d’un ou de plusieurs ancêtres communs. Darwin pose ainsi le postulat de « l’ascendance commune » : un ancêtre commun dont les espèces se sont progressivement différenciées au cours du temps en accumulant des caractères nouveaux. Charles Darwin traite plus spécifiquement de l’espèce humaine dans un autre ouvrage : « La filiation de l'homme et la sélection liée au sexe » (1871). Il y présente sa théorie sur l’évolution et la sélection naturelle pour l’espèce humaine, qui inspira la psychologie évolutionniste. Cet ouvrage a fait débat. Certaines positions prises par son auteur, sont à l’origine de ce qu’on appelle le darwinisme social (l’organisation sociale est vue comme une compétition, une lutte pour la survie), et sont taxées d’eugénisme (théories proposant la sélection des individus selon leur patrimoine génétique). L’anthropologue et psychologue anglais Francis Galton (1822-1911) – un des premiers théoriciens de la sélection chez l’être humain et inventeur du terme Eugénisme – s’est beaucoup inspiré des théories Darwiniennes, et notamment de l’ouvrage « L’origine des espèces ». Dans son ouvrage de 1871, Darwin fait sienne l’idée de Galton selon laquelle il existe des hérédités telles que l’intelligence7. Cependant, il se distancie de la position politique de Galton, qui propose d’appliquer la sélection naturelle. Pour Darwin, l’esprit de fraternité se place au-dessus ; ainsi, écrit-il : « Nous ne saurions restreindre notre sympathie, en admettant même que l’inflexible raison nous en fît une loi, sans porter préjudice à la plus noble partie de notre nature. » L'arbre phylogénétique de la vie représenté 6 par déjà Notons qu’un naturaliste français - Jean-Baptiste de Lamarck (1744 – 1829) – avait Darwin (1859). proposé que tous les êtres vivants évoluent à partir d’un ancêtre commun. Cependant, Lamarck n’avait pas proposé de mécanisme permettant d’expliquer cette évolution, ce que Darwin fit avec la sélection naturelle. 7 Les deux hommes étaient cousins et proches, se voyant régulièrement et entretenant une correspondance sur leurs travaux respectifs. Si Darwin prend de la distance avec l’application eugénique de sa théorie de l’évolution, c’est parce qu’il considère que, chez l’être humain, la sélection naturelle n’agit plus de la même manière que chez les autres espèces animales. A la lumière des efforts particuliers déployés par la société humaine pour protéger les plus démunis – et par là même pour contrecarrer le processus de sélection naturelle – Darwin conclue que l’évolution a amené l’être humain à développer un instinct de sympathie, qui a été acquis dans le cadre des instincts sociaux. Combinés aux facultés intellectuelles et au langage articulé, ces instincts poussent l’être humain à éduquer sa progéniture et permettent ainsi d’opérer le passage de la nature à la culture. Darwin a poursuivi sa réflexion dans un troisième ouvrage publié en 1872 : « L'Expression Une copie de la version originale de cet aller plus loin », sous Moodle. Elle est en ouvrage est dans le dossier « si vous souhaitez anglais, mais les illustrations sont des émotions chez l'homme et les animaux » (cet ouvrage était initialement prévu comme une partie de son ouvrage précédent). En observant comment les différentes espèces animales expriment leurs émotions, Darwin constate une forte similarité inter-espèces. Il en conclue donc que les émotions et leur expression sont universelles, traduisant un héritage commun aux différentes espèces. Cette proposition a fortement influencé (et influence toujours) les théories de l’émotion ; Paul Ekman est un psychologue américain à l’origine de l’une des théories de intéressantes. l’émotion les plus influentes de la seconde moitié du 20ième siècle. Dans sa théorie, il s’inspire directement des propositions darwiniennes en étudiant les expressions universelles. Indirectement, les propositions de Darwin intéressent les conceptions de l’enfant. Puisque les émotions et la façon de les exprimer sont un héritage phylogénétique, point besoin de les apprendre. Darwin déclare d’ailleurs à ce propos, en 1872 : « Ne pouvons-nous pas soupçonner que les peurs des enfants, vagues mais bien réelles et tout à fait indépendantes de l'expérience, sont les effets hérités des dangers réels et des superstitions grossières des époques sauvages les plus reculées ? » Pour la petite histoire, Darwin a aussi été un observateur attentif du développement de l’enfant : celui de son propre fils, Doddy. Il a tenu un journal des comportements spontanés de celui-ci, de sa naissance jusqu’à 2 ans8, Un chimpanzé déçu et qui boude (illustration de l’ouvrage observations qu’il a publiées 37 ans plus tard (« Esquisse « L’expressions des émotions chez biographique d’un petit enfant », publié en 1877). Il y décrit les l’homme et les animaux »). premières expressions faciales de colère, de peur ou de plaisir de son fils et réalise même 8 Ces observations lui ont servi pour son ouvrage sur les expressions faciales. quelques petites expériences : un bruit violent a par exemple un effet sur son fils lorsqu’il est âgé de 4,5 mois. Haeckel, de l’évolution phylogénétique à l’évolution ontogénétique Ernst Heinrich Philipp August Haeckel est un médecin biologiste allemand qui a fait connaître les théories de Charles Darwin en Allemagne. Haeckel a surtout développé une théorie des origines de l'être humain (et non plus de l’espèce humaine) en étudiant le lien entre évolution et embryologie où il a transposé les théories darwiniennes. Il s’est ainsi penché sur la question de l’ontogénèse (l’évolution de l’individu de sa conception jusqu’à sa mort). Notons d’ores et déjà que si les théories d’Ernst Haeckel ont eu un impact scientifique au début du 20 ième siècle, elles sont de nos jours quasi totalement abandonnées. De ces théories, nous pouvons retenir qu’elles éclairent surtout notre connaissance sur ce que n’est pas l’évolution ontogénétique ; une répétition de l’évolution de l’humanité. Haeckel est le père de la théorie de la récapitulation, appelée aussi loi biogénique (dans « Morphologie générale des organismes », 1866). Le postulat central est que le développement de l’embryon reproduit l’évolution de l’espèce ; autrement dit, ce qui a pris des millions d’années au cours de l’évolution des espèces serait répété par les membres de Le développement de l’embryon dans plusieurs espèces, selon chaque espèce au cours des Haeckel (1866). premiers mois, semaines et jours de leur propre développement. Cette loi est souvent formulée par la maxime suivante : « l’ontogenèse récapitule la phylogenèse » A l’appui de sa théorie, Haeckel a produit des planches de dessins Ernst Heinrich Haeckel (1834-1919) qui représentent le développement embryonnaire de plusieurs espèces, plus ou moins proches les unes des autres dans l’arbre de l’évolution de Darwin. Nous reproduisons une de ces planches dans la figure de droite. Comme on peut le constater sur la première ligne d’embryons, tous se ressemblent, même pour des espèces pourtant très éloignées, comme le poisson (1er en partant de la gauche) et l’être humain (1er en partant de la droite). Ces embryons présentent selon Haeckel les caractères de l’ancêtre commun. Puis les caractères spécifiques de l’espèce vont apparaitre, dans l’ordre de leur apparition lors de l’évolution phylogénétique. Ainsi, si au cours de l’évolution, deux espèces se sont différenciées il y a très longtemps, elles vont présenter des caractères distincts très rapidement. Au contraire, si elles se sont différenciées récemment, leurs caractères spécifiques apparaitront plus tardivement. Comme on peut le voir sur la deuxième ligne d’embryons, les poissons et les salamandres (deux premiers embryons) ont des caractères distincts des tortues et des poules (deux embryons suivants) qui eux-mêmes présentent des caractères distincts des mammifères (porcs, bovins, lapins et humains ; quatre derniers embryons). La ressemblance à l’intérieure de chaque groupe reste cependant importante ; cette phase récapitule donc un temps de l’évolution où ces espèces n’étaient pas encore différenciées. Ce n’est qu’au stade final que l’embryon de chaque espèce achèvera d’acquérir les caractères propres à son espèce. Sur la base de cette théorie, Haeckel propose que le développement de l’enfant récapitule le parcours de l’espèce de la manière suivante : 1. Tout d’abord, la vie embryonnaire et fœtale (poche placentaire) correspond à la première forme de vie en milieu aquatique. 2. La période postnatale jusqu’à 4 ans correspond à la phase du primate. On y trouve une trace de la locomotion quadrupédique des premiers hominidés. 3. La période suivante qui s’étend jusqu’à 7-8 ans est la préhistoire de l’homme (« l’enfance de l’humanité est la préhistoire ») 4. Les débuts de la civilisation commencent seulement avec l’adolescence, le 18ème siècle (« le siècle des Lumières ») n’étant atteint qu’à la fin de cette période. Comme nous l’avons déjà souligné, la théorie de la récapitulation n’est plus d’actualité ; du point de vue de l’embryologie, l’embryon ne développe pas l’ensemble des caractères antérieurs de l’espèce, et il ne respecte pas toujours l’ordre d’apparition. D’ailleurs, Haeckel a été soupçonné d’avoir largement exagéré les ressemblances entre embryons au stade précoce de leur développement9. Le fait que l’enfant reproduise les étapes de l’évolution humaine est 9 Dans un article du London Times de 1997, le journaliste Nigel Hawkes accuse même Ernst Haeckael de fraude : il aurait pris des embryons humains comme modèle pour ses embryons de salamandre. Il s’appuie encore plus improbable. A aucun moment de sa vie, l’enfant ne ressemble aux premiers hominidés, ni à l’homme préhistorique. Au cours du 19ième siècle, avec les théories de l’évolution, l’enfant et son développement vont devenir un objet d’étude scientifique à part entière. L’enfant sera d’abord un objet d’étude pour la biologie de l’évolution, mais surtout pour ce qui nous intéresse, il va devenir aussi l’objet d’étude principal d’une discipline scientifique qui s’apprête à apparaître : la psychologie du développement. La psychologie du développement entre à l’université et dans les institutions William Thierry Preyer Apparition d’une approche scientifique de la (1841-1897) psychologie du développement La fin du 19ième siècle voit la psychologie du développement entrer à l’Université et dans différents laboratoires. En Europe, le premier laboratoire de Psychologie est fondé par Wilhelm Wundt (1832-1920) à Leipzig en 1879. Aux Etats-Unis, William James (1842-1910) publie « Les principes de la psychologie » en 1890. Les premières chairs de Psychologie sont créées dans les universités. L’enfant en tant qu’objet d’étude scientifique devient alors une discipline universitaire, avec les premiers psychologues qui y consacrent leurs recherches. Parmi les précurseurs en psychologie du développement, William Stanley Hall (1846- Thierry Preyer (1841-1897), physiologiste, psychobiologiste et psychologue 1924) anglais qui a fait carrière en Allemagne où il a étudié avec Wilhelm Wundt, publie en 1882 les premiers travaux scientifiques sur l’enfant : « L’esprit des enfants ». Il y présente l’observation systématique du développement psychique de l'enfant (en l’occurrence, sa propre fille âgée de 0 à 3 ans). Tout le champ mental est exploré : activités sensorielles, imitation et premières formes d’expression, développement des sens, développement de la volonté ou des mouvements volontaires, développement de l’intelligence, acquisition du langage, sentiment du moi. Il apporte aussi une contribution méthodologique majeure (quasi-expérimentale). Aux Etats-Unis, Stanley Hall (1846-1924), psychologue qui a étudié avec Wilhelm Wundt et William James, fonde le premier laboratoire de Psychologie dans ce pays, avec un fort intérêt sur l’interview de Michael Richardson qui a démontré les erreurs d’Haeckel dans un article scientifique (Richardson et al., 1997). pour le développement de l’enfant et de l’adolescent. Il publie en 1883 « le contenu de l’esprit des enfants ». Hall utilise l’observation et les questionnaires systématiques pour établir des normes du développement intellectuel ; il met par exemple en évidence que les enfants ont des conceptions erronées de la réalité. Il popularise aussi la théorie fausse de la récapitulation de Haeckel, en considérant par exemple que le jeu chez l’enfant est une activité inutile qui reflète des activités primitives autrefois utiles à l’humanité. Un autre élève de Wundt est James Mark Baldwin (1861-1934), philosophe et psychologue américain qui fit également carrière au Canada et aux Etats-Unis avant de rejoindre l’Europe et plus particulièrement la France. Également fortement influencé par les théories darwiniennes – comme beaucoup à son époque – il propose une théorie du développement dans deux ouvrages : « Le développement mental chez l'enfant et l’espèce » (1895) and « Interprétations sociales et éthiques dans le développement mental » (1897). Il introduit un certain nombre de concepts qui deviendrons des concepts importants en psychologie du développement. C’est le cas notamment du concept de réaction circulaire qui consiste à établir un lien entre une action et ses effets et à la répétition de l’action pour produire à nouveau les mêmes effets. Par exemple, l’enfant qui tire satisfaction d’une action sur l’environnement reproduit la même action. Baldwin a aussi introduit le concept de stades de développement, qui correspondent à des modes de raisonnement ou des logiques spécifiques (pré-logique, quasi-logique, logique et hyperlogique). Il propose que l’enfant construit activement ses connaissances par ses réponses adaptatives à l’environnement. Cette construction repose par ailleurs sur des processus d’assimilation et d’accommodation. Il insiste aussi sur le rôle de l’imitation et du jeu. Nous aurons l’occasion de revenir sur les notions en gras dans les lignes précédentes car nous verrons qu’elles sont centrales dans beaucoup de théories développer ultérieurement, notamment les théories de Jean Piaget (voir aussi Lev Vygotski). James Mark Baldwin (1861-1934) Baldwin est surtout passé à la postérité pour une autre proposition théorique : la sélection organique appelée aussi « Effet Baldwin ». La sélection organique est un mécanisme de sélection qui permet d’expliquer la Illustration de l’effet Baldwin : transmission de caractéristiques nouvelles dans le Imaginez qu’une espèce est menacée par un cadre de l’évolution de l’espèce. L’idée est que les nouveau prédateur et adopte un comportement comportements adaptatifs qui apparaissent au spécifique qui complique la tâche du prédateur (fuir, se hérisser, contre-attaquer, se regrouper cours de l’ontogénèse d’un individu (ou d’un ou se disperser, …). Les individus qui apprennent organisme) sont transmis de génération en le plus rapidement ce comport

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