Éthique et philosophie morale - PDF

Summary

Ce document examine l'éthique et la philosophie morale, en commençant par une étude de l'étymologie et une question clé sur la vie bonne. Il aborde des notions telles que le bonheur, la morale, et les réflexions de Kant. Des exemples concrets, comme le film "Les noces rebelles", illustrent les concepts examinés. En outre, il explore le rôle de la connaissance dans la recherche du bonheur et la connaissance de soi.

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Séquence 1 : Ethique et philosophie morale Étymologie Éthique : vient du grec ethos (ἦθος) Signifie : les manières d'être Morale : vient du latin mores Signifie : les habitudes, les coutumes → Un même sens : faire de l'éthique ou de la philosophie morale, c'est s'interroger sur nos manières de v...

Séquence 1 : Ethique et philosophie morale Étymologie Éthique : vient du grec ethos (ἦθος) Signifie : les manières d'être Morale : vient du latin mores Signifie : les habitudes, les coutumes → Un même sens : faire de l'éthique ou de la philosophie morale, c'est s'interroger sur nos manières de vivre. Une question directrice : “Qu’est-ce qu’une vie bonne ?” Chapitre 1 : Le bonheur Q1 – Peut-on savoir ce qu'est le bonheur ? Définitions : Le paternalisme consiste à imposer ou à faire un choix à la place d'une personne en prétendant savoir ce qui est bien pour elle. Une conception normative du bonheur prétend qu'il y a une règle à suivre afin de parvenir au bonheur. I – Kant : On ne peut pas vraiment définir ce qu’est le bonheur Distinction bonheur ≠ plaisir : Texte 1 : « Le concept de bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c’est-à-dire qu’ils doivent être empruntés à l’expérience, et que cependant pour l’idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Or il est impossible qu’un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu’on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu’il veut ici véritablement. Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d’envie, que de pièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissance et de lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d’une manière d’autant plus terrible les maux qui jusqu’à présent se dérobent encore à sa vue et qui sont pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de besoins encore ses désirs qu’il a déjà bien assez de peine à satisfaire. […] Bref, il est incapable de déterminer avec une entière certitude d’après quelque principe ce qui le rendrait véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l’omniscience. […] [L]e problème qui consiste à déterminer de façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d'un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble ; il n'y a donc pas à cet égard d'impératif qui puisse commander, au sens strict du mot, de faire ce qui rend heureux, parce que le bonheur est un idéal non de la raison mais de l'imagination […]. » Kant, Fondements de la métaphysique de mœurs Pour Kant : Non seulement les autres ne peuvent pas prétendre savoir ce que je dois faire pour être heureux, mais … moi non plus. On ne sait pas vraiment ce qu'on veut. Le bonheur n'est qu'une image qu'on se fait. On croit qu'on obtiendra le bonheur en suivant cette image, mais la déception est toujours possible. Exemple concret : Le film Les noces rebelles (Revolutionary road). « Au milieu des années 1950, April et Frank Wheeler forment un jeune couple américain qui, en apparence, a tout pour être heureux (enfants, maison, travail...) […] ils finissent par devenir tout ce qu'ils ne voulaient pas être : un homme coincé par son métier et dont la désinvolture peine à cacher le manque d'assurance et une femme au foyer morose rêvant d'une autre vie. » (source : Wikipedia) La déception dont il s'agit dans cet exemple n'est pas la déception de ne pas être parvenu à son objectif. Il s'agit d'une déception éprouvée alors qu'on est parvenu à son objectif, qui souligne le fait qu'on ne peut pas savoir véritablement ce qu'est le bonheur. (Autres exemples de film illustrant cette déception : Citizen Kane, Into the wild) II – Le bonheur repose sur la connaissance de ce qui trouble notre esprit (les sagesses antiques) Texte 2 : « [Pour les philosophes de l'Antiquité], la philosophie ne consiste pas dans l'enseignement d'une théorie abstraite, encore moins dans une exégèse de textes, mais dans un art de vivre, dans une attitude concrète, dans un style de vie déterminé, qui engage toute l'existence. L'acte philosophique ne se situe pas seulement dans l'ordre de la connaissance, mais dans l'ordre du “soi” et de l'être : c'est un progrès qui nous fait plus être, qui nous rend meilleurs. C'est une conversion qui bouleverse toute la vie, qui change l'être de celui qui l'accomplit. Elle le fait passer d'un état de vie inauthentique, obscurci par l'inconscience, rongé par le souci, à un état de vie authentique, dans lequel l'homme atteint la conscience de soi, la vision exacte du monde, la paix et la liberté intérieures. Pour toutes les écoles philosophiques, la principale cause de souffrance, de désordre, d'inconscience, pour l'homme, ce sont les passions : désirs désordonnés, craintes exagérées. La domination du souci l'empêche de vivre vraiment. La philosophie apparaîtra donc, en premier lieu, comme une thérapeutique des passions. » Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique Selon Pierre Hadot, pour les sagesses antiques : La sagesse ≠ un savoir théorique abstrait = une pratique concrète = 1 art de vivre (≠ science) La sagesse = une pratique de transformation de soi. Il y a des modes de vie qui constituent un obstacle au bonheur. Une réflexion sur soi est nécessaire L'obstacle principal au bonheur se situe dans notre affectivité (émotions, craintes, désirs …) La sagesse = une vie guidée par la raison ≠ soumise à nos affects = une forme de thérapie de l'âme (rétablir un équilibre intérieur, chasser. les troubles de notre esprit) Q1b– Le désir nous fait-il nécessairement souffrir ? I – Le désir est un état de manque insatiable (Schopenhauer) Texte 1 : « Tout vouloir naît du besoin, donc du manque, donc de la souffrance ; la satisfaction y met un terme ; mais pour un souhait satisfait, au moins dix se trouvent frustrés ; en outre la convoitise dure longtemps, ses exigences sont sans fin ; la satisfaction, elle, est brève et chichement comptée. Or ce contentement final n'est lui-même qu'apparent : le souhait satisfait donne aussitôt lieu à un autre souhait ; le premier est une illusion qui a été reconnue, le second une illusion qui ne l'a pas encore été. Aucun objet atteint par le vouloir ne peut procurer un contentement durable, définitif : l'objet sera toujours pareil à l'aumône qui, jetée au mendiant, lui permet de vivoter aujourd'hui en remettant son tourment à demain. — C'est pourquoi, aussi longtemps que notre conscience est remplie par notre volonté, aussi longtemps que nous cédons à l'élan des souhaits avec l'espoir et la crainte incessante qui lui sont associés, aussi longtemps que nous sommes sujets du vouloir, nous ne connaîtrons jamais ni bonheur durable ni repos. [...] Ainsi, le sujet du vouloir se trouve continuellement attaché sur la roue tournante d'Ixion, il remplit éternellement le tonneau des Danaïdes, il est Tantale subissant ses éternels supplices. » Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, Livre III, §38 A. Le désir comme manque « Tout vouloir naît du besoin, donc du manque, donc de la souffrance » Le mythe d’Aristophane : Discours d'Aristophane B. Le désir insatiable « Le sujet du vouloir […] remplit éternellement le tonneau des Danaïdes ». II – La recherche du plaisir ne nous conduit pas nécessairement à l'insatisfaction (Épicure) A. Il faut réfléchir aux plaisirs que nous recherchons La philosophie d'Épicure est bien une forme d'hédonisme, mais il faut distinguer l'hédonisme d'Épicure de l'hédonisme au sens commun, que l'on appelle l'hédonisme anacréontique. NB : L'hédonisme au sens commun est appelé hédonisme anacréontique, en raison des poèmes d’Anacréon qui en donnent une formulation particulièrement vive. L'hédonisme d'Épicure n'est pas un idéal ascétique : il ne s'agit pas de se priver de tout en raison d'une critique moraliste des désirs. Épicure affirme simplement que nous ne sommes pas condamnés à vivre comme des tonneaux percés : nous pouvons nous libérer des désirs qui nous poussent à l’excès. L'art de vivre épicurien est une médecine de l'âme, une thérapeutique qui nous invite à réfléchir à nos désirs afin d'éviter les désirs vains et de nous refocaliser sur les désirs qui par nature sont capables de nous faire ressentir le plaisir d'exister (les désirs naturels). Quels sont les désirs qui correspondent à cette catégorie des désirs naturels ? Nous avons trouvé dans l'art de vivre épicurien un moyen de dépasser à la fois l'objection de l'absence de science du bonheur et l'objection du tonneau percé : le bonheur ne peut certes pas faire l'objet d'une science, mais il n'est pas pour autant impossible si on le cherche dans le simple plaisir d'exister une fois qu'on s'est débarrassé des désirs vains qui nous poussent à l'excès. Q1c: Que pouvons-nous faire face au tragique de l’existence ? I. Il faut accepter le tragique de la condition humaine A. Le tragique de l’impuissance Texte 1 : Dans l'expérience amère de l'irréversible se concentre pour nous l'objectivité […] d'un temps désobéissant, pour ne pas dire indomptable, et qui échappe à notre contrôle. On ne peut s'y soustraire. […] L'objectivité du temps est sans commune mesure avec la résistance d'une matière palpable et tangible et massive qu'on peut façonner par l'effort et le travail, et sur laquelle nos outils ont des prises […]. [P]ar rapport au temps tout-puissant, la volonté elle-même apparaît impuissante […]. » Vadimir Jankélévitch, L'irréversible et la nostalgie B. Tragique de l’insignifiance Textes issues des Pensées de Pascal 1. « En regardant l’univers muet et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître où il est, et sans moyen d’en sortir » Pascal, Pensées, L.198 - B.693 2. « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser. » Pascal, Pensées, L.133 - B.158 3. « Sans examiner toutes les occupations particulières, il suffit de les comprendre sous le divertissement. » Pascal, Pensées, L.478, B.137 Nous venons de dégager trois arguments en faveur de l’idée que le bonheur n’est qu’un idéal. Tout d’abord, si on analyse le désir du bonheur, on se rend compte que nous ne savons pas vraiment ce que nous cherchons lorsque nous désirons le bonheur : il n’y a pas de science du bonheur. D’autre part, le désir lui-même a tendance à faire de nous des êtres insatisfaits, incapables de parvenir à cet état de satisfaction global qu’est le bonheur. Enfin, nous sommes soumis à l’emprise du hasard, à la mort et nous ne pouvons pas prétendre éliminer le tragique de notre existence. Mais, s’il n’y a pas de science du bonheur, ne peut-on pas trouver un certain art d’être heureux ? Ne pouvons-nous pas maîtriser en partie nos désirs, afin de ne pas rester dans un cycle d’insatisfactions qui rend le bonheur impossible ? Enfin, n’est-il pas possible d’adopter une attitude plus sereine face au tragique de l’existence ? II. Nous pouvons faire face au tragique Face aux événements douloureux que nous pouvons subir dans notre existence, l’invitation à se focaliser sur le simple plaisir d’exister semble peu pertinente, ou du moins insuffisante. A. Accepter ce qui ne dépend pas de nous « Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d'autres non. » Épictète, Manuel 1. Accepter le tragique ≠ se divertir ○ ⇒ il faut affronter le réel 2. Accepter le tragique → ne pas se morfondre dans la tristesse et l'espérance ○ ⇒ il faut se focaliser sur ce qu'on peut faire 3. Accepter ≠ se résigner ○ ⇒ accepter ce qui est là maintenant ne signifie pas qu'il faut rester dans l'inaction B. Maîtriser ce qui dépend de nous « Pour tout objet qui t'attire, te sert ou te plaît, représente-toi bien ce qu'il est […] Quand tu te prépares à faire quoi que ce soit, représente-toi bien de quoi il s'agit. […] Ce qui tourmente les hommes, ce n'est pas la réalité mais les jugements qu'ils portent sur elle. […] » Épictète, Manuel En définitive, au lieu de chercher le bonheur hors de nous-mêmes dans des désirs vains ou dans ce qui ne dépend pas de nous, il faudrait plutôt apprendre à nous focaliser sur les désirs naturels pour ne pas devenir des tonneaux percés et sur la force intérieure de notre volonté pour pouvoir affronter le tragique de l'existence. Le bonheur n'est pas une science, mais un art de vivre qui nous invite chacun à opérer un retour sur soi. Texte 3 : I 1.— Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d'autres non. De nous, dépendent la pensée, l'impulsion, le désir, l'aversion, bref, tout ce en quoi c'est nous qui agissons ; ne dépendent pas de nous le corps, l'argent, la réputation, les charges publiques, tout ce en quoi ce n'est pas nous qui agissons. 2.— Ce qui dépend de nous est libre naturellement, ne connaît ni obstacles ni entraves ; ce qui n'en dépend pas est faible, esclave, exposé aux obstacles et nous est étranger. 3.— Donc, rappelle-toi que si tu tiens pour libre ce qui est naturellement esclave et pour un bien propre ce qui t'est étranger, tu vivras contrarié, chagriné, tourmenté ; tu en voudras aux hommes comme aux dieux ; mais si tu ne juges tien que ce qui l'est vraiment — et tout le reste étranger —, jamais personne ne saura te contraindre ni te barrer la route ; tu ne t'en prendras à personne, n'accuseras personne, ne feras jamais rien contre ton gré, personne ne pourra te faire de mal et tu n'auras pas d'ennemi puisqu'on ne t'obligera jamais à rien qui pour toi soit mauvais. 5.— Donc, dès qu'une image viendra te troubler l'esprit, pense à te dire : « Tu n'es qu'image, et non la réalité dont tu as l'apparence. » Puis, examine-la et soumets-la à l'épreuve des lois qui règlent ta vie : avant tout, vois si cette réalité dépend de nous ou n'en dépend pas ; et si elle ne dépend pas de nous, sois prêt à dire : « Cela ne me regarde pas. » III Pour tout objet qui t'attire, te sert ou te plaît, représente-toi bien ce qu'il est, en commençant par les choses les plus petites. Si tu aimes un pot de terre, dis-toi : « J'aime un pot de terre. » S'il se casse, tu n'en feras pas une maladie. En serrant dans tes bras ton enfant ou ta femme, dis-toi : « J'embrasse un être humain. » S'ils viennent à mourir, tu n'en seras pas autrement bouleversé. […] V Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu'ils portent sur ces choses […] Le jugement que nous portons sur la mort en la déclarant redoutable, c'est cela qui est redoutable. Lorsque donc nous sommes traversés, troublés, chagrinés, ne nous en prenons jamais à un autre, mais à nous-même, c'est-à-dire à nos jugements propres. […] VIII N'attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites ; décide de vouloir ce qui arrive et tu seras heureux. Epictète, Manuel (extraits) Q2 - Le bonheur est-il le but de l’existence ? I – Le but de l'existence n'est pas le bonheur mais la liberté Définition : le féminisme est un mouvement de justice sociale qui lutte contre les oppressions et les situations de domination spécifiquement subies par les femmes. Texte : « On ne sait trop ce que le mot bonheur signifie et encore moins quelles valeurs authentiques il recouvre ; il n’y a aucune possibilité de mesurer le bonheur d’autrui et il est toujours facile de déclarer heureuse la situation qu’on veut lui imposer. C’est donc une notion à laquelle nous ne nous référerons pas. […] Comment dans la condition féminine peut s’accomplir un être humain ? Quelles voies lui sont ouvertes ? Lesquelles aboutissent à des impasses ? Comment retrouver l’indépendance au sein de la dépendance ? Quelles circonstances limitent la liberté de la femme et peut-elle les dépasser ? Ce sont là les questions fondamentales que nous voudrions élucider. C’est dire que nous intéressant aux chances de l’individu nous ne définirons pas ces chances en termes de bonheur, mais en termes de liberté. » Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, I, Introduction Question de l'authenticité du bonheur : Le choix de vie que fait une personne est-il un choix libre et source d'un véritable bonheur ? Ou bien … … ce choix n'est-il qu'une soumission aux normes sociales dominantes qui ne permet pas de se réaliser ? Ce qui est critiqué ici, c'est un ensemble d'usages sociaux et politiques du bonheur. Le prétendu bonheur d'une personne peut en effet masquer des inégalités, des injustices, des situations de domination. [Approfondissement : Mais alors, que faut-il penser quand c'est la personne elle-même qui déclare qu'elle est heureuse ? Définition : Les préférences adaptatives désignent la tendance à se résigner à son sort et à adapter ses désirs et ses ambitions au contexte dans lequel on vit. A consulter : 1) Approche de Martha Nussbaum 2) Les limites de cette approche ] II - Si on conçoit le bonheur comme la quête d’une vie accomplie, alors le bonheur est le but de l’existence Texte : « Peu de créatures humaines accepteraient d'être changées en animaux inférieurs sur la promesse de la plus large ration de plaisirs de bêtes ; aucun être humain intelligent ne consentirait à être un imbécile […], aucun homme ayant du cœur […] à être égoïste et vil. Nous pouvons donner de cette répugnance le nom qu'il nous plaira [...] mais si on veut l'appeler de son vrai nom, c'est un sens de la dignité que tous les êtres humains possèdent, sous une forme ou sous une autre, et qui correspond – de façon nullement rigoureuse d'ailleurs – au développement de leurs facultés supérieures. [...] Quiconque suppose que cette préférence est un sacrifice du bonheur, que l’être supérieur, dans des circonstances identiques, n’est pas plus heureux que l’être inférieur, confond deux idées très différentes, l’idée de bonheur et l’idée de satisfaction. [...] Il vaut mieux être un homme insatisfait qu'un porc satisfait. » John Stuart Mill, L’utilitarisme [Approfondissement : texte complet « C’est un fait indiscutable que ceux qui ont une égale connaissance de deux genres de vie, qui sont également capables de les apprécier et d’en jouir, donnent résolument une préférence très marquée à celui qui met en œuvre leurs facultés supérieures. Peu de créatures humaines accepteraient d’être changées en animaux inférieurs sur la promesse de la plus large ration de plaisir de bêtes; aucun être humain intelligent ne consentirait à être un imbécile, aucun homme instruit à être un ignorant, aucun homme ayant du coeur et une conscience à être égoïste et vil, même s’ils avaient la conviction que l’imbécile, l’ignorant ou le gredin sont, avec leurs lots respectifs, plus complètement satisfait qu’eux même avec le leur. […]Un être pourvu de faculté supérieure demande plus pour être heureux, est probablement exposé à souffrir de façon plus aiguë, et offre certainement à la souffrance plus de points vulnérables qu’un être de type inférieur; mais en dépit de ces risques, il ne peut jamais souhaiter réellement tomber à un niveau d’existence qu’il sent inférieur. […] Croire qu’en manifestant une telle préférence, on sacrifie quelque chose de son bonheur, croire que l’être supérieur – dans des circonstances qui seraient équivalentes à tous égards pour l’un et pour l’autre n’est pas plus heureux que l’être inférieur, c’est confondre les deux idées très différentes de bonheur et de satisfaction. Incontestablement, l’être dont les facultés de jouissance sont d’ordre inférieur, a les plus grandes chances de les voir pleinement satisfaites; tandis qu’un être d’aspirations élevées sentira toujours que le bonheur qu’il peut viser, quel qu’il soit, le monde étant fait comme il l’est, est un bonheur imparfait. Mais il peut apprendre à supporter ce qu’il y a d’imperfections dans ce bonheur, pour peu que celles-ci soient supportables; et elles ne le rendront pas jaloux d’un être qui, à la vérité, ignore ces imperfections, mais ne les ignore que parce qu’il ne soupçonne aucunement le bien auquel ces imperfections sont attachées. Il vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait; il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. Et si l’imbécile ou le porc sont d’un avis différent, c’est qu’ils ne connaissent qu’un côté de la question : le leur. L’autre partie, pour faire la comparaison, connaît les deux côtés. » ] Une vie avec plus de plaisirs n'est pas nécessairement une vie meilleure, car ce qui compte ce n'est pas la quantité des plaisirs (en nombre, en intensité, en durée), mais la qualité. La vie bonne n'est pas une simple somme de plaisirs, mais repose sur certaines valeurs : une vie proprement humaine, la réflexion, la conscience morale. Exemple concret : l’épisode de l’Odyssée lorsqu’Ulysse et son équipage arrivent sur l’île des Lotophages. La vie bonne repose sur l'exercice et le développement de nos facultés : la réflexion, la conscience morale ; mais aussi : nos facultés physiques, l'imagination, la créativité, le lien social … La vie bonne est une vie accomplie : le bien suprême, c'est le perfectionnement de soi. Cela n'implique pas un modèle prédéfini que chacun devrait suivre. Il y a au contraire une valorisation de l'individualité, de la recherche de soi. Il y a ici une réinterprétation de la notion de bonheur. Le bonheur n'est pas l'idéal d'une vie pleine de satisfactions. Le bonheur est l'idéal d'une vie accomplie, pleine de sens, riche et profonde. Il vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait; il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. La satisfaction n'est pas suffisante pour caractériser le bonheur authentique. Le bonheur authentique est un idéal qui repose sur d'autres valeurs importantes : – la liberté – l'épanouissement humain/ – des vertus : à la fois morales et épistémiques (liées à la connaissance et à la recherche de la vérité)