L'éthique du care : une éthique de l'interdépendance PDF
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Université Paris 8
2009
Grégoire Meurin, Dominique Youf
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Cet article explore l'éthique du care, une approche philosophique émergente aux États-Unis qui s'intéresse aux pratiques professionnelles liées à la prise en charge des personnes vulnérables. En France, cette éthique commence à être étudiée et a un intérêt particulier pour le traitement judiciaire et éducatif des mineurs délinquants. L'auteur explique le rôle de Carol Gilligan dans l'émergence de cette approche.
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L'éthique du care, une éthique de l'interdépendance Propos recueillis par Grégoire Meurin, Dominique Youf Dans Les Cahiers Dynamiques 2009/2 (n° 44),...
L'éthique du care, une éthique de l'interdépendance Propos recueillis par Grégoire Meurin, Dominique Youf Dans Les Cahiers Dynamiques 2009/2 (n° 44), pages 22 à 26 Éditions Érès ISSN 1276-3780 DOI 10.3917/lcd.044.0022 © Érès | Téléchargé le 16/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.48.105.254) © Érès | Téléchargé le 16/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.48.105.254) Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-dynamiques-2009-2-page-22.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. Distribution électronique Cairn.info pour Érès. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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En France, cette pensée du care, à la fois difficile à cerner de façon précise et défini- tive, mais cependant féconde dans de nombreux domaines, commence à connaître une certaine fortune. Nous avons demandé à Patricia Paperman, maître de conférences en sociologie à l’université de Paris-8, de nous éclairer sur cette éthique du care qui consti- tue une grille de lecture intéressante pour comprendre les enjeux du traitement judi- ciaire et éducatif de la délinquance des mineurs. lcd : Patricia Paperman, pouvez-vous développement moral, éclairer les professionnels de la pjj sur l’ori- “L’éthique les filles chercheraient à du care, gine de l’éthique du care, et le rôle qu’a aider concrètement au- quant à elle, joué la psychologue Carol Gilligan dans trui et à faire plaisir à s’appuie l’émergence de cette philosophie ? sur un rap- leurs proches. Gilligan port attentif estime donc que ce mo- patricia paperman : Carole Gilligan est aux particu- dèle doit poser quel- une psychologue américaine qui a joué un larités de ques problèmes et refait rôle primordial dans la popularisation de la personne.” des enquêtes pour es- © Érès | Téléchargé le 16/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.48.105.254) © Érès | Téléchargé le 16/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.48.105.254) l’idée de care. L’intérêt de son travail est sayer de voir comment d’avoir mis en cause les résultats et les pré- entendre autrement les réponses des sujets supposés des théories dominantes dans le interviewés par Kohlberg. champ de la psychologie du développement L’importance du travail de Gilligan, moral. Il s’agissait essentiellement des théo- c’est de s’être demandé si la déficience sup- ries de Lawrence Kohlberg, dont elle était la posée des filles n’était pas plutôt impu- collègue, théories inspirées des conceptions table à la théorie de Kohlberg. Cette théo- traditionnelles de la justice en philosophie, rie permettait-elle d’entendre la diversité comme celles de Rawls, ou Habermas, et de des voix morales des sujets interviewés ? Piaget sur le versant de la psychologie. Gilligan met en cause le modèle de lcd : N’y a-t-il pas un danger qui serait Kohlberg essentiellement en raison du fait lié à une conception essentialiste des que les résultats de ses recherches aboutis- choses qui enfermerait les femmes dans sent à la conclusion que les filles et les une éthique du care ? femmes sont déficientes sur le plan moral. Plutôt que de poser leurs actes en référen- patricia paperman : L’éthique du care, ce à des règles de portée universelle, ce qui à la sortie du livre, a souvent été comprise est considéré comme le stade ultime du comme une éthique féminine. C’est un vrai L E S C A H I E R S D Y N A M I Q U E S N° 4 4 S E P T E M B R E 2 0 0 9 23 problème. L’intention de Caroll Gilligan l’exemple d’une possible cohabitation entre était d’abord de réintégrer les femmes dans éthique de la justice et éthique du care. la théorie psychologique. Elle écoute des femmes, elle fait parler des femmes, puis- patricia paperman : En effet, c’est une qu’on ne les a pas écoutées et qu’on ne les a éthique du care bien comprise comme une d o s s i e r pas fait parler. Le premier défaut des théories modalité de la justice. C’est ce qu’il m’a sem- dominantes, c’était en effet cette absence, blé possible de dire à partir de cette enquête cette exclusion “non vue, non remarquée”. sur les juges. J’ai l’impression que la concep- C’était de proposer un seul et même modèle tion de la justice qui était soutenue par les du développement humain général valant écrits des juges, des juristes ou des gens qui pour tout le monde. L’éthique féministe réfléchissaient à la justice des mineurs, était du care n’est pas réservée aux femmes. C’est vraiment une conception de la justice telle une éthique de la démocratie. Faire de que l’éthique du care pouvait la concevoir : l’éthique du care une morale des femmes adapter des principes procéduraux de la jus- est une idée patriarcale. tice de telle sorte qu’ils ne trahissent pas la visée d’éducation, de protection, d’être avec ; lcd : Pouvez-vous définir la différence entre ne pas lâcher et rester en lien avec ces mineurs l’éthique du care et l’éthique de la justice ? qui partent un peu de côté. Je voulais voir, à l’époque, quelle était la patricia paperman : Il n’y a pas forcé- place des émotions dans le travail des juges ment à les opposer. Je pense que l’éthique en observant le rapport entre émotion et du care a une visée de transformation de impartialité et ces travaux sur le care m’ont notre sens de la justice. Elle constitue une permis de parler de la place très importante autre conception de la justice. C’est ce que de la sensibilité que j’ai cru pouvoir déceler nous avons essayé de faire valoir dans nos dans certaines positions de juges. Je ne sais écrits divers et variés. Qu’est-ce que la justi- plus comment je suis tombée sur ces tra- ce ? C’est notamment l’impartialité. C’est vaux. C’est presque un hasard. Je n’avais traiter des cas semblables avec les mêmes pas trouvé dans les travaux sociologiques règles. C’est traiter les faits et non les per- d’outils pour parler de la sensibilité morale. sonnes. Alors que l’éthique du care, quant à C’est à l’occasion de cette enquête que j’ai elle, s’appuie sur un rapport attentif aux découvert et que j’ai compris combien ces particularités de la personne, des situations, travaux sur le care étaient intéressants. le refus des principes généraux et plutôt une attention fine aux circonstances des actes ou lcd : Par ailleurs, vous précisez que « les © Érès | Téléchargé le 16/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.48.105.254) © Érès | Téléchargé le 16/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.48.105.254) des situations qui permettent de voir quel pratiques du care se caractérisent par la est le problème moral qui se pose. Cela n’au- prise en compte de la vulnérabilité et de rait pas de sens de travailler autrement, avec la dépendance qui touchent tous les indi- des principes généraux qu’il suffirait d’appli- vidus à un moment ou à un autre de leur quer à des cas particuliers, ce qui ne marche parcours ». Les mineurs auteurs de délits pas. Dans le sens que développe Carol Gilli- peuvent-ils être considérés comme des gan, l’éthique du care est une éthique du lien. personnes relevant de l’éthique du care ? Elle consiste à maintenir, entretenir, et pro- duire en permanence du lien, ne pas lâcher patricia paperman : Oui, comme tout les personnes dans le besoin, de ne pas aban- le monde. La théorie du care que nous esti- donner, se soucier du caractère vivant et réel mons la plus productive est la perspective du lien, de la relation, du contact, des expé- développée par Joan Tronto qui s’appuie sur riences des personnes… Une forme de soli- une anthropologie de la vulnérabilité… darité, d’attention à l’autre, n’est pas nécessai- C’est la prise en compte de cette dimension rement synonyme de défaut d’impartialité. constitutive de la personne humaine, quel- le qu’elle soit. La vulnérabilité et la dépen- lcd : Dans l’un de vos articles (2) vous sem- dance ne sont pas réservées à des groupes blez décrire la justice des mineurs comme en particulier. L’idée de la vulnérabilité 24 L E S C A H I E R S D Y N A M I Q U E S N° 4 4 S E P T E M B R E 2 0 0 9 constitutive est, d’une part, pénible à recon- compte d’une logique de la justice. En naître : nous sommes tous fragiles et la vie insistant sur sa responsabilité, on semble humaine ne tient pas à grand-chose. D’autre considérer que le mineur délinquant n’est part, cette anthropologie de la vulnérabilité pas une personne vulnérable. doit être prolongée ou développée en une sociologie des relations de dépendance car patricia paperman : Peut-être que les nous ne sommes pas tous vulnérables de la choses se durcissent et que la tension est même façon. Le traitement de la vulnérabi- plus forte avec des réformes qui vont dans lité n’est pas égal. Il est différencié culturel- le sens d’une plus grande responsabilisa- lement ou socialement. tion individuelle, un sens qui serait moins La chose peut-être la plus importante, protecteur à l’égard des jeunes en difficulté. c’est de repartir toujours de cette vulnéra- Est-ce qu’il y a encore une place pour ça ? bilité commune qui met l’accent sur le fait C’est la tendance récente des réformes qui que ceux qui se pensent indépendants, rendent sans doute plus difficile une cer- autonomes, ont les moyens d’effacer les taine manière d’exercer une activité qui traces du travail de ceux qui leur permet- permettait de maintenir la relation avec tent cette autonomie. La perspective du les jeunes, de ne pas couper le lien entre care propose de parler d’interdépendance, les institutions et des jeunes en difficulté. de mettre en évidence le fait qu’on ne peut Cette justice a quand même permis d’aider pas se passer d’autrui, ni de son travail. beaucoup de jeunes. À l’époque, j’avais lu Quand on a les moyens, on commande du des chiffres qui montraient que beaucoup travail de care aux autres et on efface cette de jeunes sortaient de ce champ de la justice. présence du travail domestique. Le travail Cela a donc porté ses fruits. Les juges main- du care devient le travail subalterne. tenant et les éducateurs spécialisés, les tra- L’idée, c’est que cette éthique du care est vailleurs sociaux, se trouvent pris dans des une modalité du rapport à autrui qui concer- conditions de travail difficiles. ne tout le monde. C’est la partie la plus Dans mes souvenirs, l’idée de la respon- visible du travail du care qui, sinon, est plu- sabilisation des enfants était très importante tôt disséminé et surtout ne s’appelle plus care dans le travail éducatif. Il fallait amener à dès lors que ce travail acquiert une position cette responsabilisation mais avec l’idée dans l’échelle des professions, plus presti- qu’elle se constituait dans un lien. C’est gieuse, mieux payée, plus noble. On garde une éthique du care puisque l’éthique du souvent le terme de care pour les positions care est l’expression de pratiques déjà exis- les plus basses, les aides à domiciles, les aides- tantes, pratiques qui ont compris l’impor- © Érès | Téléchargé le 16/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.48.105.254) © Érès | Téléchargé le 16/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.48.105.254) soignantes… Dès qu’il s’agit du médecin, tance de ce lien. C’est aussi l’idée que la res- du chirurgien, du juge, des travailleurs ponsabilisation et l’autonomisation se font sociaux les plus qualifiés, on tend à effacer dans un lien un peu particulier puisque cette dimension de care puisqu’elle est asso- juges et éducateurs sont en position “supé- ciée aux positions disqualifiées. De la même rieure” et qu’ils ont un pouvoir. manière que l’on efface ce qui permet aux La conception pédagogique éducative personnes autonomes, indépendantes, de que j’avais compris être celle des tra- toujours être vaillantes pour aller à la tâche, vailleurs de la justice à l’égard des enfants, on efface les dimensions de care qui existent c’était la nécessité de faire accepter au dans un grand nombre d’activités profes- mineur délinquant sa responsabilité sans sionnelles ou non-professionnelles. pour autant l’humilier. Il y a le respect de la personne, le fait de ne pas l’enfermer lcd : Vous soulignez que, en chacun de dans une identité figée, de lui laisser la nous, il y a de la vulnérabilité et c’est ce qui latitude dans la relation. fait la nécessité politique de cette éthique Mais la condition minimale d’une telle du care. Or, dans le développement de la pédagogie, c’est la reconnaissance des faits justice des mineurs aujourd’hui, on semble par le mineur, qui rend possible la pro- se diriger vers une plus grande prise en messe de l’institution à son égard. C’est le L E S C A H I E R S D Y N A M I Q U E S N° 4 4 S E P T E M B R E 2 0 0 9 25 fondé, l’intérêt qu’elles ont ou non. Je remplacerai votre question par une autre. Quel type de care, quel genre de prendre soin peut se déve- lopper dans les conditions nou- d o s s i e r velles qui sont celles d’aujourd’hui. Que peut-on faire ? On peut tou- jours faire quelque chose, mais quoi ? À quoi ressemble ce que l’on veut faire ? C’est d’abord une ques- tion empirique. Un care vraiment large, ou ambitieux, ou généreux, c’est-à-dire une manière de prendre soin des jeunes en difficulté, un care au sens fort, est-il possible dans le cadre des réformes d’aujour- d’hui ? Il faut regarder et faire par- ler les gens qui y sont confrontés. Ce sont les pratiques de care qui développent la sensibilité plutôt que l’inverse. C’est sans doute parce Patricia Paperman qu’ils ont des pratiques de care anté- rieures, dans d’autres domaines de point d’accrochage qui permettait de leur existence, c’est le fait de pratiquer qui relancer, de garder la relation, de garder le rend extrêmement sensible, c’est-à-dire lien. C’est un accord de base sur une réa- capable de discernement rapidement. Les lité qui permet de restaurer un juste rap- travailleurs du care sont des gens extrême- port aux normes ou aux règles sociales. ment importants pour l’entretien de ce qui Mais cela passe quand même par le fait que fait encore une société. Mais c’est très géné- le lien reste possible et développé à travers ral de dire ça. Je serais curieuse d’avoir des cet engagement des adultes via l’institu- réponses ou les points de vue de profes- tion, qui s’engage à aider et à protéger. sionnels qui s’expriment sur le sujet. lcd : Y a-t-il une particularité de ces pro- lcd : L’originalité de l’éthique du care rési- © Érès | Téléchargé le 16/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.48.105.254) © Érès | Téléchargé le 16/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.48.105.254) fessions liées aux pratiques du care, une de dans le souci de prendre soin des per- sensibilité particulière à la vulnérabilité sonnes vulnérables. La visée d’autonomie des autres ? n’est-elle pas absente d’une telle éthique ? patricia paperman : Ce sont les pro- patricia paperman : Non, même si je fessionnels eux-mêmes qui pourraient pense que nous ne l’avons pas assez mis en répondre. Il y a une visée démocratique évidence. Il est vrai qu’on n’a pas développé radicale, fondamentale, dans l’éthique du cela, ou plus exactement uniquement sous care. Ce sont les gens qui les travaillent qui l’angle de la critique de cette dissociation trop ont la connaissance des situations et c’est radicale entre autonomie d’un côté et la dépen- ça qu’il faut discuter. Cela dépend de la dance de l’autre. Il y aurait les personnes auto- façon dont chacun conçoit son travail et nomes qui n’auraient besoin de personne pour les limites de son travail, celles qu’ils se entretenir leur autonomie, et les dépendants. donnent à eux-mêmes et celles qui sont La critique de cette dissociation est quand posées par les politiques publiques. Je sup- même centrale. D’un autre côté, on ne peut pose que les gens n’ont pas tous la même pas régler uniquement le problème comme conception du travail, qu’ils sont partagés ça. L’autonomie existe comme une valeur et sur l’impact de ces réformes, sur leur bien- une aspiration commune. 26 L E S C A H I E R S D Y N A M I Q U E S N° 4 4 S E P T E M B R E 2 0 0 9 La visée d’autonomie, c’est-à-dire le fait mie. Mais qu’est-ce que cela veut dire d’attribuer ou de conserver aux personnes quand on doit s’occuper de cette person- qui sont en situation de vulnérabilité ou ne vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? de dépendance, une visée, une aspiration Il faut toujours contextualiser : cela vou- à l’autonomie, cette reconnaissance est drait dire, pour un enfant handicapé par importante. Ne pas attribuer aux per- exemple, qui aurait une place dans un sonnes cet attachement à l’idée d’autono- foyer, qu’il deviendrait autonome de ses mie serait horriblement non-respectueux. parents. Les parents n’auraient plus à s’oc- Je crois que la particularité d’une approche cuper de lui. D’autres le feraient à ce en termes de care de la notion d’autono- moment-là. Il serait “autonome” en un mie consisterait à permettre à la personne sens mais par rapport à qui ? à quoi ? A-t- d’être autonome dans l’état où elle est, qu’elle il un revenu avec le travail qu’il fait ? Est- soit atteinte dans son corps ou dans son ce que cela a du sens de dire qu’il est auto- psychisme… Pour moi, le care reste très nome parce qu’il gagne trois sous ? Qu’est- éducatif, très pédagogique. C’était très ce que l’autonomie en fait ? Contextuali- proche en tout cas de ma conception de la ser, c’est revenir aux conditions concrètes pédagogie. C’est-à-dire qu’on respecte les qui permettent, ou non, le respect d’une personnes telles qu’elles sont dans leurs forme de quoi ? De contrôle sur sa vie ? particularités, leurs singularités, avec les Cela fait partie du processus du care, de capacités qui sont les leurs. Elles doivent son organisation que de réévaluer ce qui se pouvoir avoir une vie décente. Cette vie produit entre les différents protagonistes décente inclut le fait qu’on leur reconnais- pour évaluer d’abord la justesse des solu- se une autonomie et qu’on ne cherche pas tions qui ont été trouvées et ensuite, rétro- à les transformer, dans une visée thérapeu- activement, la manière dont les besoins ont tique forcément, ou normative comme été identifiés. Cela permet de réévaluer l’en- dans le cas de la délinquance. semble du processus. Si la personne qui est Il faudrait, idéalement, que soient ras- bénéficiaire, destinataire plutôt, peut parti- semblées les conditions d’un développe- ciper avec les différents protagonistes à une ment de leurs capacités en l’état, pour ce évaluation des solutions produites, on a qu’elles sont, sans normaliser, standardi- vraiment une possibilité de travailler prati- ser. Je pense que oui, il y a une idée forte quement à une certaine cohérence dans d’autonomie qui est maintenue et expri- l’organisation du processus de care, et de ce mée différemment, en fonction des con- fait, à un meilleur résultat. Cela peut textes de pratiques. Simplement, il y a un paraître modeste, mais en fait, c’est une © Érès | Téléchargé le 16/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.48.105.254) © Érès | Téléchargé le 16/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.48.105.254) renversement : la perspective du care cher- manière de prendre les gens au sérieux. cherait plutôt à faire apparaître combien C’est ce que soutien l’éthique du care. ceux qui sont avantagés socialement, poli- gm, dy > pp tiquement et en termes de pouvoir, en réa- lité sont des personnes qui dépendent d’au- (1) Terme anglophone difficilement tra- trui, mais dont ils effacent les traces. Ils duisible avec exactitude. À la fois verbe (se peuvent donc commander le travail du soucier de, s’intéresser, faire attention, s’occu- care des autres. Faire réapparaître com- per…) et substantif (soin, attention, ment leur autonomie est le produit de tout souci…). Voir l’ouvrage référence de gil- ce travail de care est très important. ligan (Carol), Une voix différente. Pour À l’inverse, par rapport aux personnes une éthique du care, coll. Champs, Flam- en situation de grande vulnérabilité, qui marion, Paris, 2008. ont un handicap mental, psychique ou (2) paperman (Patricia), “Les faits et les autre, il y a quand même, d’après ce que personnes : impartialité et aveu dans la jus- j’en comprends, un grand respect de la tice des mineurs”, in dulong (R.) L’aveu : personne en elle-même, et de son autono- histoire, sociologie philosophie, Paris, puf, 2001.