Introduction à la Sociologie – 2024-2025 (PDF)
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Ronan Kerneur
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Ce document comprend un cours d'introduction à la sociologie, couvrant, entre autre, les prémisses de la discipline et les précurseurs. Il est destiné aux étudiants de 1ère année d'éco-gestion et l'année universitaire est 2024-2025.
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Introduction à la sociologie – L1 éco-gestion – 2024/2025 - Ronan Kerneur Partie 1 : La démarche sociologique La sociologie a émergé comme nouveau savoir, puis comme discipline universitaire au cours du XIX e siècle. Certaines conditions politiques, économique...
Introduction à la sociologie – L1 éco-gestion – 2024/2025 - Ronan Kerneur Partie 1 : La démarche sociologique La sociologie a émergé comme nouveau savoir, puis comme discipline universitaire au cours du XIX e siècle. Certaines conditions politiques, économiques et sociales ont favorisé la nécessité de mieux connaître notre société et de produire des données sur monde social. Des auteurs tels qu’Alexis de Tocqueville, Auguste Comte ou Karl Marx sont considérés par leur analyse comme de véritables précurseurs de cette nouvelle démarche intellectuelle (chap.1). La sociologie s’est véritablement constituée avec une démarche scientifique et des concepts propres. Émile Durkheim et son analyse du fait social et Max Weber et sa sociologie de l’action sociale sont considérés comme les pères fondateurs de la sociologie. Il ne faut pas oublier outre-Atlantique l’école de Chicago qui va par sa démarche empirique donner un nouvel élan à cette discipline universitaire naissante (chap.2). La sociologie a progressivement édifié des méthodes d’investigation tant quantitatives que qualitatives lui permettant de récolter des données du monde social et de les confronter à ses propositions théoriques. La sociologie comme tout champ de savoirs est traversée par différents clivages structurants qui permettent de confronter des regardes différents sur le monde qui nous entoure (chap.3). Chapitre 1 : Les prémisses de la sociologie ▪ Plan du cours : I. La sociologie, fille des révolutions A) Le siècle des lumières, « le siècle de la critique » ▪ Une théorie du contrat social chez Rousseau ▪ La théorie de la main invisible d’Adam Smith ▪ Analyser le social chez Montesquieu B) Révolution française et révolution industrielle ▪ Un questionnement de l’ordre social ▪ Des transformations économiques et sociales majeures II. Les précurseurs de la sociologie A) Les premières enquêtes sociales ▪ Tableau de l’état physique et moral des ouvriers (1840) du docteur Villermé ▪ Entre enquête et engagement, Engels en Grande-Bretagne ▪ Vaste enquête sociale de Le Play, Les ouvriers européens (1855) B) Le libéralisme d’Alexis de Tocqueville ▪ Processus d’égalisation de la société ▪ Effets pervers de la démocratie ▪ Remèdes aux dérives de la démocratie ▪ Apports pour la sociologie C) La lutte des classes chez Karl Marx ▪ Une société de classes sociales ▪ Matérialisme historique (cf. A1 et A2) D) Le positivisme chez Auguste Comte ▪ Penseur positiviste ▪ Naissance du terme « sociologie » 1 Introduction à la sociologie – L1 éco-gestion – 2024/2025 - Ronan Kerneur ▪ Extraits de texte : Extrait 1 : La volonté générale selon Rousseau « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ? » Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution. Les clauses de ce contrat sont tellement déterminées par la nature de l’acte, que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet ; en sorte que, bien qu’elles n’aient peut-être jamais été formellement énoncées, elles sont partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues ; jusqu’à ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et reprenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça. Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté : Car premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres. De plus, l’aliénation se faisant sans réserve, l’union est aussi parfaite qu’elle peut l’être et nul associé n’a plus rien à réclamer : Car s’il restait quelques droits aux particuliers, comme il n’y aurait aucun supérieur commun qui put prononcer entre eux et le public, chacun étant en quelque point son propre juge prétendrait bientôt l’être en tous, l’état de nature subsisterait, et l’association deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine. Enfin chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquière le même droit qu’on lui cède sur soi, on gagne l’équivalent de tout ce qu’on perd, et plus de force pour conserver ce qu’on a. Si donc on écarte du pacte social ce qui n’est pas de son essence, on trouvera qu’il se réduit aux termes suivants. Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. » Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social (1762) Extrait 2 : La fable des abeilles selon Mandeville « Soyez aussi avides, égoïstes, dépensiers pour votre propre plaisir que vous pourrez l’être, car ainsi vous ferez le mieux que vous puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le bonheur de vos concitoyens. » Bernard Mandeville, La fable des abeilles (ou les vices privés font le bien public) (1714) Extrait 3 : La théorie de la main invisible selon Adam Smith « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme. » (…) « (…) et en dirigeant cette industrie de manière à ce que (sic) son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d'autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions ; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. » Adam Smith, De la Richesse des nations (1776) Extrait 4 : Analyser le social chez Montesquieu « Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver. Mais, surtout, on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode. Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures ? Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers, et, avant que tu eusses reçu ma lettre, tout serait changé. Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique que si elle s’y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait de sa mère, tant l’habit avec lequel elle est peinte lui paraît étranger ; il s’imagine que c’est quelque Américaine qui y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu’une de ses fantaisies. Quelquefois les coiffures montent insensiblement, et une résolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d’une femme au milieu d’elle-même. Dans un autre, c’étaient les pieds 2 Introduction à la sociologie – L1 éco-gestion – 2024/2025 - Ronan Kerneur qui occupaient cette place : les talons faisaient un piédestal qui les tenait en l’air. Qui pourrait le croire ? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et l’élargir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeaient d’eux ce changement, et les règles de leur art ont été asservies à ce caprices. On voit quelques fois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches, et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois, les femmes avaient de la taille et des dents ; aujourd’hui, il n’en est pas question. Dans cette changeante nation, quoi qu’en disent les mauvais plaisants, les filles se trouvent autrement faites que leurs mères. Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de mœurs selon l’âge de leur roi. Le monarque pourrait même parvenir à rendre la nation grave, s’il l’avait entrepris. Le Prince imprime le caractère de son esprit à la Cour ; la Cour, à la Ville ; la Ville, aux provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres. De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717. » Montesquieu, Lettres persanes (1721) Extrait 5 : L’attitude de la bourgeoisie à l’égard du prolétariat selon Engels « Je n'ai jamais vu une classe si profondément immorale, si incurablement pourrie et intérieurement rongée d'égoïsme, si incapable du moindre progrès que la bourgeoisie anglaise, et j'entends par là surtout la bourgeoisie proprement dite, singulièrement la bourgeoisie libérale, qui veut abroger les lois sur les grains. Pour elle il n'existe rien au monde qui ne soit là pour l'argent, sans l'excepter elle-même, car elle ne vit que pour gagner de l'argent et pour rien d'autre, elle ne connaît pas d'autre félicité que de faire une rapide fortune, pas d'autre souffrance que de perdre de l'argent. Avec une telle rapacité et une telle cupidité il est impossible qu'il existe un sentiment, une idée humaine qui ne soient souillés. » Friedrich Engels, La Situation de la classe ouvrière en Angleterre en 1844 (1845) Extrait 6 : Processus d’ « égalisation des conditions » selon Tocqueville « Quand l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil, mais quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C’est pour cela que le désir de l’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique I (1835) Extrait 7 : La passion pour l’égalité selon Tocqueville « Y a en effet une passion mâle et légitime pour l'égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et valorisants. Cette passion tend à élever les petits au rang des grands, mais il se rencontre aussi dans le cœur humain un goût dépravé pour l'égalité, qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l 'égalité dans la servitude à l'inégalité dans la liberté. Ce n'est pas que les peuples dont l'État social est démocratique méprisent naturellement la liberté ; ils ont au contraire un goût instinctif pour elle. Mais la liberté n'est pas l'objet principal et continue de leur désir ; ce qu'ils aiment d'un amour éternel, c'est l’égalité ; ils s’élancent vers la liberté par impulsion rapide et par efforts soudains, et, s’ils manquent le but, ils se résignent ; mais rien ne saurait les satisfaire sans l’égalité, et ils consentiraient plutôt à périr qu’à la perdre. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique II (1840) Extrait 8 : Individualisme et repli sur la sphère privée selon Tocqueville « L'individualisme est une expression récente qu'une idée nouvelle a fait naître. Nos pères ne connaissaient que l'égoïsme. L'égoïsme est un amour passionné et exagéré de soi-même, qui porte l'homme à ne rien rapporter qu'à lui seul et à se préférer à tout. L'individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l'écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s'être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. L'égoïsme naît d'un instinct aveugle ; l'individualisme procède d'un jugement erroné plutôt que d'un sentiment dépravé. Il prend sa source dans les défauts de l'esprit autant que dans les vices du cœur. L'égoïsme dessèche le germe de toutes les vertus, l'individualisme ne tarit d'abord que la source des vertus publiques ; mais, à la longue, il attaque et détruit toutes les autres et va enfin s'absorber dans l'égoïsme. L'égoïsme est un vice aussi ancien que le monde. Il n'appartient guère plus à une forme de société qu'à une autre. L'individualisme est d'origine démocratique, et il menace de se développer à mesure que les conditions s'égalisent. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique II (1840) 3 Introduction à la sociologie – L1 éco-gestion – 2024/2025 - Ronan Kerneur Extrait 9 : Le risque du « despotisme démocratique » selon Tocqueville « Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui- même et pour lui seul, et s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie. Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même. L’égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait. Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique II (1840) Extrait 10 : L’importance des associations intellectuelles et morales en Amérique « La première fois que j'ai entendu dire aux États-Unis que cent mille hommes s'étaient engagés publiquement à ne pas faire usage de liqueurs fortes, la chose m'a paru plus plaisante que sérieuse, et je n'ai pas bien vu d'abord pourquoi ces citoyens si tempérants ne se contentaient point de boire de l'eau dans l'intérieur de leur famille. J'ai fini par comprendre que ces cent mille Américains, effrayés des progrès que faisait autour d'eux l'ivrognerie, avaient voulu accorder à la sobriété leur patronage. Ils avaient agi précisément comme un grand seigneur qui se vêtirait très uniment afin d'inspirer aux simples citoyens le mépris du luxe. Il est à croire que si ces cent mille hommes eussent vécu en France, chacun d'eux se serait adressé individuellement au gouvernement, pour le prier de surveiller les cabarets sur toute la surface du royaume. Il n'y a rien, suivant moi, qui mérite plus d'attirer nos regards que les associations intellectuelles et morales de l'Amérique. Les associations politiques et industrielles des Américains tombent aisément sous nos sens ; mais les autres nous échappent ; et, si nous les découvrons, nous les comprenons mal, parce que nous n'avons presque jamais rien vu d'analogue. On doit reconnaître cependant qu'elles sont aussi nécessaires que les premières au peuple américain, et peut-être plus. Dans les pays démocratiques, la science de l'association est la science mère ; le progrès de toutes les autres dépend des progrès de celle-là. Parmi les lois qui régissent les sociétés humaines, il y en a une qui semble plus précise et plus claire que toutes les autres. Pour que les hommes restent civilisés ou le deviennent, il faut que parmi eux l'art de s'associer se développe et se perfectionne dans le même rapport que l'égalité des conditions s'accroît. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique II (1840) Extrait 11 : Précurseur de l’individualisme méthodologique « Je hais, pour ma part, ces systèmes absolus, qui font dépendre tous les évènements de l’histoire de grandes causes premières se liant les unes aux autres par une chaîne fatale, et qui suppriment, pour ainsi dire, les hommes de l’histoire du genre humain. » Alexis de Tocqueville, Souvenirs (1893) (écrits de 1850) 4 Introduction à la sociologie – L1 éco-gestion – 2024/2025 - Ronan Kerneur Extrait 12 : Les historiens bourgeois, théoriciens de la « lutte des classes », selon Marx « Ce n'est pas à moi que revient le mérite d'avoir découvert l'existence des classes dans la société moderne, pas plus que la lutte qu'elles s'y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l'évolution historique de cette lutte des classes. » Karl Marx et Friedrich Engels, Lettres sur « Le Capital » (1852, Correspondance) Extrait 13 : La « lutte des classes », comme moteur de l’histoire « L’histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de luttes de classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, bref oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une lutte ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une lutte qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la disparition des deux classes en lutte. » Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste (1848) Extrait 14 : Les paysans, une classe en soi « Les paysans parcellaires constituent une masse énorme dont les membres vivent tous dans la même situation, mais sans être unis les uns aux autres par des rapports variés. Leur mode de production les isole les uns des autres, au lieu de les amener à des relations réciproques. Cet isolement est encore aggravé par le mauvais état des moyens de communication en France et par la pauvreté des paysans. Dans la mesure où des millions de familles paysannes vivent dans des conditions économiques qui les séparent les unes des autres et opposent leur genre de vie, leurs intérêts et leur culture à ceux des autres classes de la société, elles constituent une classe. Mais elles ne constituent pas une classe dans la mesure où il n'existe entre les paysans parcellaires qu'un lien local et où la similitude de leurs intérêts ne crée entre eux aucune communauté, aucune liaison nationale ni aucune organisation politique. » Karl Marx, Extrait de la revue « Die Revolution » (1852) Extrait 15 : Le matérialisme historique de Marx « Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure ». Karl Marx, Contribution à la critique de l'économie politique (1859) Extrait 16 : La « physique sociale » selon Auguste Comte « Maintenant que l'esprit humain a fondé la physique céleste, la physique terrestre, soit mécanique, soit chimique ; la physique organique, soit végétale, soit animale, il lui reste à terminer le système des sciences d'observation en fondant la physique sociale. Tel est aujourd'hui, sous plusieurs rapports capitaux, le plus grand et le plus pressant besoin de notre intelligence : tel est, j'ose le dire, le premier but de ce cours, son but spécial ». Auguste Comte, Cours de philosophie positive, 1ère et 2ème leçons (1830-1842) Extrait 17 : Holisme méthodologique de Comte « Car la décomposition de l’humanité en individus proprement dits ne constitue qu’une analyse anarchique autant irrationnelle qu’immorale qui tend à dissoudre l’existence sociale au lieu de l’expliquer, puisqu’elle ne devient applicable que quand l’association cesse. Elle est aussi vicieuse en sociologie que le serait, en biologie, la décomposition chimique de l’individu lui-même en molécules irréductibles, dont la séparation n’a jamais lieu pendant la vie. » Auguste Comte, Discours sur l’esprit positif (1844) 5 Introduction à la sociologie – L1 éco-gestion – 2024/2025 - Ronan Kerneur ▪ Notions clés : Théories du contrat social : théories de philosophie politique qui pensent l'origine de l'État dans une convention originaire entre les humains, par laquelle ceux-ci renoncent à une partie de leurs libertés, ou droits naturels, en échange de lois garantissant la perpétuation du corps social. Volonté générale : concept créé par le philosophe Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) dans son ouvrage Du Contrat social (1762) qui correspond aux choix réalisés par les citoyens s'exprimant pour le bien de tous et non pour son intérêt particulier. La volonté générale repose sur le pouvoir du peuple souverain et sur l’indivisibilité de cette souveraineté. Théorie de la main invisible : La recherche des intérêts particuliers aboutirait à l’intérêt général de tous, selon Adam Smith. Ainsi, il y aurait une sorte d’équilibre naturel résultant du jeu de tous les acteurs de l’économie et de la confrontation de leurs intérêts, sans qu’aucune intervention régulatrice ne soit nécessaire. Le marché permettrait ainsi la satisfaction du plus grand nombre. Relativisme culturel : démarche pratiquée par les anthropologues et ethnologues lorsqu’iels étudient les groupes culturels selon des critères objectifs (pratiques, récits, témoignages) sans émettre de jugement de valeurs. Elle découle de l’idée que tout fait culturel, toute norme, n’a de sens que dans le contexte de sa propre culture. Ethnocentrisme : tendance plus ou moins consciente à prendre en référence les normes et valeurs de sa propre culture pour analyser les autres cultures ou groupes sociaux, voire à les considérer comme supérieures. L’ethnocentrisme est « l’attitude [qui] consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles […] qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions » Claude Lévi-Strauss, Race et histoire (1952) Individualisme : conception de la vie en société dans laquelle l'individu constitue la valeur centrale. L'individu, plus autonome, s'affranchit des normes imposées par les tutelles traditionnelles (église, famille, patrie…) Individualisme méthodologique : méthode des sciences sociales qui consiste à analyser un phénomène collectif comme la résultante d’un ensemble d’actions de croyances ou d’attitudes individuelles. Classes sociales : groupes sociaux de grande dimension nés de la division scientifique du travail et des inégalités de conditions de vie ayant une existence de fait et non de droit (≠ castes ou ordres). Marx distingue la classe sociale en soi (ensemble d’individus partageant la même place dans le processus de production et les mêmes conditions de vie) de la classe sociale pour soi qui existe en tant que communauté et qui présuppose une conscience de classe (conscience d’intérêts communs, sentiment d’appartenance) et une auto-organisation politique (rentrer en lutte). Matérialisme historique : théorie marxiste de l'histoire d'après laquelle les faits économiques jouent un rôle déterminant dans les phénomènes historiques, politiques et sociaux. Le mode de production conditionne le mode de vie social, politique, intellectuel : c'est donc l'être social des hommes qui détermine leur conscience et non l'inverse. C’est « l’infrastructure » économique qui explique son évolution et non sa « superstructure » idéologique, juridique et politique. Marx analyse l’économie comme une succession de modes de production (communisme primitif, société esclavagiste, féodalisme, capitalisme et communisme). Positivisme : supériorité de la pensée scientifique sur les autres formes de connaissance. Holisme (méthodologique) est un mode de pensée qui invite à aborder l’analyse des faits sociaux à partir de la société dans sa totalité plutôt qu’en partant des comportements individuels. On ne peut déduire les propriétés d'un ensemble à partir de ses parties car le collectif est plus que la somme des parties. Il s’oppose à l’individualisme méthodologique. 6