Le Développement Durable 2024-2025 - Cours PDF
Document Details
Uploaded by Deleted User
EPHEC
2024
Correntin De Salle
Tags
Related
- La Responsabilité Sociétale Des Entreprises - Développement Durable Et RSE PDF
- Sustainable Development: The Key Questions PDF
- Sustainable Development: The Key Questions (OECD 2001) PDF
- Objectif EIE - Développement Durable
- Ressources et Développement Durable PDF
- Matériaux Écologiques pour la Construction - 2024 PDF
Summary
Ce syllabus présente les enjeux du développement durable. L'auteur explore deux approches principales, la sobriété écologique et l'éco-modernisme, en distinguant les aspects constatifs et normatifs du sujet. Le cours vise à former des citoyens responsables et encourager la réflexion personnelle sur les questions environnementales.
Full Transcript
LE DEVELOPPEMENT DURABLE CORENTIN DE SALLE PROFESSEUR A L’EPHEC SYLLABUS A ETUDIER POUR L’EXAMEN DE JANVIER DU COURS DE TECHNIQUE D’EXPRESSION 2 INTRODUCTION C...
LE DEVELOPPEMENT DURABLE CORENTIN DE SALLE PROFESSEUR A L’EPHEC SYLLABUS A ETUDIER POUR L’EXAMEN DE JANVIER DU COURS DE TECHNIQUE D’EXPRESSION 2 INTRODUCTION Ces dernières décennies, la sensibilité écologique s’est fort développée. Est-ce à dire que les écologistes pensent tous le même chose et qu’ils préconisent tous les mêmes solutions ? Même si tous les écologistes s’accordent à penser que la situation est grave et qu’il faut impérativement faire face au défi écologique, il existe une multitude de mouvements écologistes. Et ces derniers ne sont pas d’accord sur les causes du problème et ne sont pas d’accord non plus sur la manière de le résoudre. C’est d’ailleurs une bonne chose qu’il y ait une diversité de points de vue sur les solutions à mettre en œuvre car le problème est tellement complexe et le défi écologique tellement crucial pour notre futur qu’il n’existe pas « une » solution mais un grand nombre et que ces dernières doivent être testées, expérimentés et mises en œuvre à travers diverses politiques. Même si les tendances écologistes sont beaucoup plus nombreuses, nous allons nous concentrer sur deux positions principales, très différentes entre elles : la position de la sobriété écologique la position éco-moderniste Il importe aussi de distinguer deux registres : le constatif et le normatif. A savoir, d’une part, ce que la science constate et établit et, d’autre part, ce que la société choisit et décide en fonction de ses moyens (limités) et de ses valeurs (en débat). Ainsi, par exemple, la science « constate » : qu’il existe des limites planétaires à ne pas dépasser ; qu’il existe un changement climatique, qu’il est dangereux et que ce dernier est causé par l’homme ; que la biodiversité est menacée ; etc. Mais il est faux de prétendre que la science nous dit précisément ce que nous « devons » faire. Ce qu’on « doit » faire, c’est le registre du normatif. Ce n’est plus le domaine de la science mais de la politique. En effet, qui dit mesures et interventions dit choix politiques et décisions éthiques. Aucun de ces choix ne sont scientifiquement neutres, précisément parce que ce sont des choix de société. Ils doivent être arbitrés non pas scientifiquement mais démocratiquement. Ils doivent être débattus entre les membres d’une communauté. C’est la raison pour laquelle il y a différentes positions sur ce sujet. Le débat n’existe pas uniquement au sein de la science. Il existe aussi dans le champ politique, économique, social, idéologique. Ce qui s’affronte ici, ce sont divers projets de société. Faut-il surtout changer nos comportements ou nos procédés technologiques ou les deux ? Faut-il changer de modèle économique ? Faut-il éviter de répéter des erreurs ? Faut-il retrouver foi dans le progrès ? Faut-il freiner ou au contraire faut-il mettre en place une nouvelle révolution industrielle ? Autant de débats qui rendent cette thématique passionnante et qui nous obligent à ne pas rester indifférents. 3 Ce qui est important dans ce cours, c’est former des citoyens (éco) responsables. À savoir, permettre aux étudiants de réfléchir par eux-mêmes et de se forger une opinion personnelle sur ce sur qui doit être fait. La finalité de ce cours n’est pas de dire aux étudiants « CE » qu’ils doivent penser mais les inciter « À » penser. Et cela nécessite de s’informer, de se documenter, de réfléchir. Une question importante de l’examen portera sur un point (et il y en a beaucoup dans ce cours) où l’étudiant devra défendre une opinion personnelle. Pas nécessairement en optant pour une position plutôt que l’autre. Il y a probablement des éléments intéressants dans les deux. Il y a aussi quantité de positions intermédiaires. Ces deux positions sont en réalité un point de départ à la réflexion. Et elles évoluent elles aussi constamment. Car, régulièrement, de nouvelles menaces apparaissent. Mais également, heureusement, de nouvelles solutions. 4 I. QU’EST-CE QUE LE DEVELOPPEMENT DURABLE ? Le développement durable est une idéologie qui est née au milieu des années 70. A l’époque où s’achevaient les Trente Glorieuses. Elle vise à répondre à sa manière à des problèmes réels : la crise pétrolière, l’augmentation démographique, la pollution environnementale, les grandes catastrophes industrielles (notamment pétrolières et nucléaires), etc. C’est dans les années 70 que surviennent les deux « chocs pétroliers » : les pays producteurs de pétrole (surtout situés au Proche et Moyen-Orient mais aussi au Venezuela, etc.) se regroupent pour former un cartel économique (dénommé l’OPEP) qui impose un prix artificiel (sur lequel ils se sont entendus) et qui ne traduit pas le prix réel tel qu’il se dégagerait en vertu de la loi de l’offre et la demande. Cela entraîne une profonde crise économique dans le monde occidental car cela fait augmenter considérablement le coût du pétrole qui est indispensable au chauffage, aux voitures, aux usines, etc. Beaucoup de licenciements en résultent mais aussi une inquiétude quant à la disponibilité des ressources dans le futur. Les idées de base se mettent d’ailleurs en place à l’époque de la crise pétrolière. On les retrouve dans le fameux Rapport du Club de Rome (ou rapport Meadows) en 1972, rapport traduit en 30 langues et diffusé à 30 millions d’exemplaires. Ce rapport, dont beaucoup de prédictions alarmistes se sont, comme on le verra, révélées fausses, alertait l’opinion publique sur la disparition des ressources naturelles. Il a néanmoins eu le mérite de tirer la sonnette d’alarme. Est-ce à dire que ce fut une mauvaise chose de l’avoir publié ? Non. Même si, suite à sa publication, de nombreuses politiques natalistes désastreuses ont été menées de force dans des pays autoritaires en Chine, en Inde et en Afrique, il faut aussi noter que le fait d’avoir mis le monde en garde a probablement permis d’activer des solutions innovantes permettant d’éviter des catastrophes. Après tout, n’est-ce pas l’objectif d’un rapport interpellant de faire en sorte que ses prédictions dommageables ne se réalisent pas ? La représentation la plus connue du développement durable est un schéma à trois ensembles sécants : Pour prétendre à la « durabilité », une société doit se trouver à l’intersection des trois ensembles. Elle ne peut favoriser un des trois pôles au détriment des deux autres. 5 Si on privilégie l’environnement, cela se fera au détriment de la création de richesses (économique) et du développement de l’humain (social). Si on privilégie le social, cela se fera au détriment de la création de richesses (économique) et de l’état de la planète (écologique). Si on privilégie, l’économique, cela se fera au détriment du développement humain (social) et de l’état de la planète (écologique). Les premiers à avoir utilisé l’expression « développement durable », ce sont, en 1980, des associations écologistes (le WWF, le PNUE et l’Union Internationale de Conservation de la Nature) dans un document intitulé « La stratégie de la conservation mondiale » et dont le sous-titre est « La conservation des ressources vivantes au service du développement durable ». Mais c’est en juin 1992 que le développement durable reçoit une consécration officielle mondiale au sommet de la terre de Rio de Janeiro. C’est là qu’est adopté, par 173 chefs d’Etat et de gouvernement, le fameux « Agenda 21 », le texte fondateur des politiques menées au nom du développement durable. Il comprend 27 principes présentés comme essentiels. C’est là qu’on dégage, les trois piliers du développement durable (le social, l’économique et l’environnemental). C’est là que se popularise le fameux adage « Penser global, agir local », ce qu’on a appelé la « Glocalisation ». Le développement durable est une idéologie qui n’aurait jamais pu naître sans la montée en puissance des ONG au niveau international. Ces dernières sont le fruit de la mondialisation. La liberté d’association est l’une des libertés fondamentales permettant à des gens de se regrouper à l’échelon local, régional, national et même mondial. Avec la mondialisation, ces ONG accèdent tout à coup à une audience mondiale. En soi, c’est un processus positif car il universalise la diffusion des idées. Mais cette diffusion fonctionne aussi bien avec des idées positives que des idées nocives. Songeons notamment à la diffusion des idées racistes, intégristes, terroristes, antisémites, haineuses, complotistes, etc. Comment définir le développement durable ? On cite toujours la définition du fameux rapport Brundtland en 1987 : « Le développement durable, c’est s’efforcer de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité de satisfaire ceux des génération futures ». Ce rapport parle de « sustainable development » qu’on a traduit par développement durable mais qu’on aurait dû, en toute rigueur des termes, traduire par « développement soutenable ». Ce rapport Brundtland va inspirer le G7 à Toronto qui va créer le GIEC. On peut citer aussi la première définition internationale une année plus tôt, en 1986, dans la Déclaration des Nations Unies. 6 Signalons ici un problème méthodologique : ce mouvement est très diversifié. Il n’y a pas une Eglise ou un pape du développement durable. Il n’y a pas un livre qui serait l’évangile du développement durable. Il n’y a pas une orthodoxie du développement durable. En réalité, il existe une multitude d’acteurs, d’institutions, d’ouvrages et donc de conceptions du développement durable. Ce sujet fait évidemment l’objet d’une littérature abondante. Néanmoins, on peut trouver un certain nombre de notions récurrentes sur lesquelles existe un certain consensus. Il y a quand même quelques textes majeurs tels que l’Agenda 21, le rapport Meadows, plusieurs protocoles et conventions, etc. On distingue traditionnellement entre : la durabilité forte : selon cette conception, priorité doit être donnée à l’environnement. Le capital naturel (ressources naturelles) doit être maintenu en l’état. Les activités humaines ne peuvent pas consommer plus que l’intérêt de ce capital, c’est-à-dire pas plus que ce qui peut se régénérer par soi-même. C’est la conception qui prône la croissance 0 ou la décroissance (croissance négative). la durabilité faible : selon cette conception, priorité doit être donnée à l’humanité. On peut entamer le capital naturel à condition de le convertir en capital construit, c’est-à-dire en biens produits, en infrastructures, en compétences, en capital social, en capital humain, en capital financier, etc. La première conception, celle de la décroissance, est minoritaire. Concentrons-nous sur la seconde. A priori, le développement durable est une conception de l’écologie qui semble à la fois pertinente, raisonnable et équilibrée. Qui ne souscrirait pas à un projet qui permet aux entreprises de continuer à se développer tout en luttant contre la pauvreté et en préservant l’environnement ? Les gens qui défendent la conception du développement durable le font car ils se préoccupent légitimement de l’avenir de la planète. Ils sont animés par des idéaux sincères. Ceci dit, ce n’est pas toujours le cas. Si le développement durable est une conception qui connaît un si grand succès aujourd’hui, c’est également parce qu’il satisfait les intérêts d’un très grand nombre de gens. Un très grand nombre d’entreprises - et non des moindres - se disent enchantées de contribuer à ce projet généreux. Cela leur donne un « supplément d’âme » et aussi une respectabilité, une publicité, des débouchés, des contrats et des subsides pour développer des projets « verts » (énergies renouvelable, efficience énergétique, etc.). Or, certaines de ces entreprises ne sont pas toujours sincères et sont surtout soucieuses de se donner une bonne image. On appelle alors cette opération « greenwashing » (ou « verdissement » en référence aux procédés de blanchiment d’argent). Les gouvernements signent des deux mains car cela leur donne un champ d’action important dans l’économie (ce qui renforce son importance) et une légitimité pour lever de nouveaux impôts. 7 La presse aime défendre les grandes causes, aime critiquer le système économique. Par ailleurs, les prédictions souvent pessimistes de ce mouvement permettent de vendre beaucoup de papier (ou de « clicks »). Le monde associatif est également favorable car cela lui confère un magistère moral et un financement important (si les gens ont peur pour la nature, ils donneront beaucoup d’argent aux associations écologistes). Les scientifiques y sont également favorables car cela leur donne de la visibilité et parce que cela fait augmenter la hauteur leurs subsides. Depuis quelques années, on a mis en évidence le fait que le développement économique tel qu’il a été mené jusqu’à aujourd’hui a conduit à dépasser certaines limites planétaires. Ce sont les travaux de John Rockström et du Will Steffen du groupe international Stockholm Resilience Center1 qui, en 2009, ont mis au point un tableau avec plusieurs limites à ne pas dépasser à l’échelle de la planète. Ils affirment qu’en 2023, 6 limites planétaires ont probablement été dépassées. Le mot « probablement » s’explique par le fait qu’il n’est pas possible de connaître avec précision où se situe la limite et où le shift sera irréversible. Chaque limite franchie constitue une 1 Rockström J et al. (2009), “A safe operating place for humanity”, Nature, 461: 472-475 8 menace pour le développement durable de l'humanité et accélère le dépassement des autres limites, en raison des multiples interactions entre les différents processus biophysiques représentés par ces limites. Si nous franchissons toutes ces limites, le développement durable de l'humanité et de la biosphère sera compromis. *** 9 II. POSITION 1 : LA SOBRIETE ECOLOGIQUE Le mouvement de la sobriété écologique repose sur différents présupposés. Nous allons distinguer entre les présupposés philosophiques et les présupposés économiques. PRESUPPOSES PHILOSOPHIQUES DE LA SOBRIETE ECOLOGIQUE La sobriété écologique est un « cosmologisme ». Cosmologisme est un « néologisme » (mot qui n’existait pas mais inventé pour décrire cette réalité) qui fait référence au Cosmos (Kosmos en grec). Qu’est-ce que le « Kosmos » des Anciens (Grecs) ? Le cosmos, c’est l’univers. Les Grecs se représentaient l’univers comme une sphère parfaite. La terre – qui était également une sphère - en formait le centre et le voûte céleste en traçait la limite. Les astres visibles de la terre étaient considérés comme adhérents à cette voûte. Le Kosmos est donc un espace verrouillé, limité, ordonné, harmonieux et signifiant où chaque être (animal, homme ou dieu), chaque corps se voit assigner un lieu et une finalité. Chaque chose a sa place ou tend à retrouver sa place : l’eau s’écoule jusqu’à ce qu’elle retrouve la mer ; les corps solides sont attirés vers la terre, les corps gazeux (comme le feu) sont attitrés vers les airs, etc. La conception des Grecs anciens de l’univers est celle d’un univers « fini » (limité), c’est-à-dire le contraire d’un univers infini. Il a donc des limites. Les Anciens croyaient que l’univers s’arrêtait à la voûte céleste et que, au-delà, il n’y avait rien : le néant. C’est à a période moderne, avec les progrès de l’astronomie et de la physique (avec des savants tels que Copernic, Galilée, Kepler, etc.), 2 que nous avons basculé dans une conception où l’univers est considéré comme infini. Notons que nous avons-nous-même du mal à comprendre où « s’arrête » l’univers : il est plus « grand » que celui des Anciens mais il aurait aussi des extrémités… Les Anciens pensaient que le monde est en équilibre et que, dès lors, il ne faut jamais perturber cet équilibre. Les mythes de Prométhée (héros grec puni les dieux pour avoir volé le feu aux dieux et l’avoir donné aux hommes), d’Icare (autre héros puni par les dieux pour avoir voulu, en s’envolant, quitter le domaine terrestre et avoir prétendu égaler les dieux) et d’autres encore témoignent de la méfiance et de l’hostilité qu’avaient les anciens Grecs envers tous ceux qui 2 Lire à ce sujet le fameux livre d’Alexandre Koyré : De l’univers clos à l’univers infini. 10 veulent perturber l’équilibre cosmique (où rochers, plantes, animaux, hommes, héros, dieux, etc. ont chacun leur place et ne doivent pas en sortir). La chute d’Icare (Jacob Peter Gowy, 1636-1637) Le « cosmologisme » partage avec les écoles philosophiques de l’Antiquité l’idée prémoderne plusieurs choses, à savoir : que le monde est fini, que l’univers est ordonné, que chaque chose, l’homme inclus, a sa place et que la finalité consiste à vivre de manière à ne pas bouleverser cet équilibre cosmologique. Quel est le rapport avec le mouvement de la sobriété écologique ? Ce dernier partage plusieurs points communs avec cette conception cosmologique : 1. Les partisans de la sobriété écologique disent que nous n’avons qu’une planète. C’est la notion d’ « empreinte écologique » (global footprint) : c’est un indicateur qui est censé mesurer la pression que les hommes font sur les ressources naturelles en raison des exigences de leur consommation. Si tous les habitants de la planète, disent-ils, vivaient comme des Occidentaux, il nous faudrait au moins deux ou trois planètes pour combler ces besoins à brève échéance. Or, nous n’avons qu’une planète. Dès lors, disent-ils, il faut économiser les ressources. Il faut non seulement économiser les ressources mais il faut également stopper l’essor démographique : nous sommes trop nombreux sur terre. La pression que nous exerçons sur les ressources est insoutenable. Pour nourrir l’humanité, il faut une surface agricole suffisante. Or, affirment les partisans de la sobriété écologique, celle-ci se rétrécit. Par ailleurs, les sols s’épuisent en 11 raison de leur exploitation intensive et se dégradent en raison de l’excès des intrants (engrais et pesticides), lesquels, en s’infiltrant et en s’écoulant, polluent aussi les sols, les nappes phréatiques et les cours d’eau. Le biologiste Paul Ehrlich a écrit « La Bombe P » où « P » représente la population et dans lequel il recommande une diminution drastique de la population (via des politiques « natalistes », c’est-à-dire des politiques qui découragent voire contraignent par la force (comme en Chine) les gens à diminuer le nombre d’enfants). Selon cette conception, la coexistence harmonieuse de l’humain et de la nature est à ce prix. 2. Les partisans de la sobriété écologique considèrent qu’il ne faut pas troubler l’ordre naturel des choses, ce qui les conduit souvent à s’opposer au progrès. Deux exemples : les partisans de la sobriété écologique sont souvent opposés à la technologie nucléaire. Ils estiment que la puissance nucléaire peut, par les risques qu’elle fait courir, grandement perturber les équilibres naturels. Pour la première fois, l’homme peut détruire se planète : il peut rendre radioactives (et impropres à la vie) des zones entières de la planète si elles deviennent radioactives. Un « hiver nucléaire » tuerait toute la végétation, etc. Ils sont souvent anti-OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) : pour eux, manipuler la nature (concevoir de nouvelles plantes, de nouvelles graines, de nouvelles culture, etc. grâce au génie génétique), c’est perturber l’ordre naturel des choses. Ils craignent constamment que les OGM ne contaminent les autres plantes. Comme si les autres plantes provenaient d’une nature pure et inviolée (alors même que la plupart de nos cultures sont le résultat de mélanges, de boutures et d’expérimentations faits par les agriculteurs au cours des derniers millénaires). Il faut, disent les partisans de la sobriété écologique, inventer et promouvoir « un état d’harmonie entre les humains et entre les hommes et la nature » (rapport Brundtland, chapitre II). Cette méfiance du progrès est justifiée par un principe très important pour les partisans du sobriété écologique : le principe de précaution. Selon ce principe, il faut s’abstenir de toute innovation dont les conséquences sont potentiellement dangereuses. Ce principe peut se résumer sous la forme de ce célèbre adage populaire : « dans le doute, abstiens-toi ». De manière générale, ils s’opposent à la conception des Modernes : transformer et améliorer le monde. Pour eux, l’homme ne peut pas transformer le monde. Bien au contraire, il importe plutôt de transformer l’homme. 3. La sobriété écologique est une « diètéthique » (néologisme regroupant les mots « diète » et éthique »). La diète au sens large dépasse le simple fait de faire attention à la nourriture. La diète, au sens où les Grecs l’entendaient, était un art de vivre. En effet, les Ecoles philosophiques de l’antiquité (stoïcisme, épicurisme, cynisme, hédonisme, pythagorisme, etc.) proposaient chacune un mode de vie, c’est-à-dire, au sens large, une diète. C’était une manière de vivre, de s’habiller, de manger, etc. Son respect n’était pas seulement motivé pour des raisons médicales ou d’hygiène C’était une obligation éthique. 12 De la même façon, la sobriété écologique est une éthique invitant à la diète, à la frugalité, à la sobriété, au rationnement des ressources considérées comme des stocks finis qui, certes, peuvent se régénérer en fonction de cycles mais dont la quantité oblige l’humanité à limiter son développement démographique et à réguler sa consommation. La sobriété écologique vise à l’uniformisation des modes de vie. Il faut se déplacer de telle façon (ne pas prendre la voiture), travailler de telle façon (de préférence à domicile ou près du lieu où l’on habite), consommer de telle façon (consommer bio, limiter sa consommation de viande), voyager de telle façon (ne pas prendre l’avion), habiter de telle façon (ne pas résider dans une villa 4 façades), se chauffer de telle façon (pas au mazout), etc. Les partisans de la sobriété écologique sont en faveur d’une monoculture sociale : les humains doivent tous vivre de la même manière pour minimiser l’impact négatif sur l’environnement. 4. La sobriété écologique est un « eudémonisme ». L’eudémonisme, c’est une conception philosophique inventée par les Grecs qui vise au bonheur de la société et qui énonce les recettes pour devenir heureux. De la même façon, la sobriété écologique est une invitation à une vie saine et heureuse. On parle de « sobriété heureuse ». Les partisans de la sobriété écologique critiquent les indicateurs économiques traditionnels (le PIB, la croissance, les investissements, etc.) car ils considèrent qu’ils n’ont pas de sens. Ils préfèrent leur substituer des indicateurs mesurant le bonheur humain. Par exemple l’indicateur du Bhoutan, le « bonheur national brut » : ce pays est très pauvre mais les gens, on le prétend, sont heureux avec rien. 13 PRESUPPOSES ECONOMIQUES DE LA SOBRIETE ECOLOGIQUE 1. Le mode de vie occidental, qui se généralise à l’échelle mondiale, conduit, si on ne change pas radicalement dans le sens d’une réduction massive de notre consommation, vers un épuisement généralisé de toutes les ressources : agricoles, minérales, forestières, naturelles, etc. C’est la position que défend le Club de Rome depuis plus de 50 ans. 2. Le développement économique actuel conduit également et plus spécifiquement au gaspillage et au tarissement des ressources énergétiques. Il faudrait plutôt limiter radicalement notre consommation d’énergie. 3. Le développement économique actuel conduit à polluer l’environnement. Depuis la Révolution industrielle, notre environnement se dégrade irréversiblement. Nous devons consommer considérablement moins si nous voulons préserver notre environnement. 4. La poursuite de la croissance économique nous conduit droit dans le mur. Dès lors, il faut opter pour une croissance 0 voire pour une décroissance. Il est insensé de croire que nous puissions continuer comme nous le faisons. 14 III. POSITION 2 : L’ECO-MODERNISME Une autre tendance, plus minoritaire, de l’écologie, considère ces présupposés comme critiquables. Il s’agit de la tendance « éco-moderniste ». Composés de nombreux spécialistes (démographes, économistes, statisticiens, ingénieurs, géologues, etc.), ils contestent cette vision des choses en s’appuyant sur des données chiffrées. PRESUPPOSES PHILOSOPHIQUES DE L’ECO-MODERNISME Les éco-modernises affirment qu’en réalité, nos ressources sont illimitées. Que veulent-ils dire par là ? Plusieurs choses. 1. Ce qui est limité, disent-ils, c’est l’accès aux ressources. Pas les stocks de ressources. Ne confondons pas, disent ces spécialistes, les stocks de ressources et l’accessibilité aux stocks de ressources. a) Par exemple, à l’heure actuelle, le cuivre n’est plus extrait en dessous d’un kilomètre et demi de profondeur. La mine la plus profonde au monde est une mine d’or (Tau Tona en Afrique du Sud) qui descend à la profondeur vertigineuse de 3,9 kilomètres. Or, la croûte terrestre à elle seule fait en moyenne entre 15 à 20 kilomètres d’épaisseur. Et le diamètre de la terre fait 12.742 kilomètres ! Et elle est principalement constituée de fer, d’oxygène, de nickel, de calcium, d’aluminium, etc. b) Cela signifie qu’environ 99% des ressources de cuivre présentes sur terre (mais c’est aussi le cas de quantité d’autres ressources) sont aujourd’hui inaccessibles. Mais ce stock existe bel et bien. Les cours du prix du cuivre sont exclusivement déterminés sur ce seul 1% disponible. Il y en a donc encore largement sous les pieds. c) Et que dire du cuivre présent dans les océans mais sous une forme extrêmement diluée ? Que dire aussi des fonds marins sur lesquels reposent des quantités colossales de « nodules polymétalliques » (sorte de « patates » constituées de divers métaux agrégés tels que le cuivre, le nickel et le manganèse) ? La société belge DEME a déjà investi 100 millions d’euros dans du matériel roulant pour aller les récolter à 6.000 mètres de profondeur sur le plancher océanique de l’Océan Pacifique (zone de Clarion Clipperton). d) Ce qu’on dit ici du cuivre vaut en réalité pour quasiment toutes les ressources. e) On objectera que, même s’il reste encore énormément de richesses sur terre, la terre est néanmoins limitée (c’est une sphère d’une masse déterminée). Si on continue pendant des dizaines de milliers d’années, on finira bien, diront les partisans du développement durable, par les épuiser totalement. Ce raisonnement ignore le fait que nous pouvons aussi recycler les ressources mais admettons qu’il soit vrai. Admettons que ce soit le cas, disent les experts qui s’opposent à la position de la sobriété écologique mais, pourquoi serait-on condamné à n’exploiter que les richesses de la terre ? Que dire du stock de cuivre dans d’autres régions de l’univers (planètes, astéroïde, etc.) ? Des missions spatiales de la NASA sont déjà en préparation pour récupérer les matériaux précieux de certains astéroïdes. 15 f) Si l’univers est infini, n’est-il pas logique d’affirmer que ce qu’il contient est infini ? Dès lors, n’est-il pas logique d’affirmer que les stocks potentiels de ressources sont illimités ? Evidemment, ce n’est pas pour autant qu’ils soient accessibles. Pour y accéder dans leur totalité, il faut des connaissances scientifiques que nous ne possédons pas (encore) et des outils technologiques qui n’existent pas (encore). g) Aujourd’hui, les nanotechnologies permettent de « fabriquer » des éléments en agençant des atomes. Tout ce qui s’épuise peut donc théoriquement être reconstitué si on connaît sa structure atomique. Evidemment, cela a un coût. Désormais, on peut, par exemple, transformer le plomb en or mais le coût de cette opération est supérieur à la valeur de la quantité d’or qu’on peut produire grâce à cette opération. Mais ce coût baisse constamment à mesure que ces technologies progressent. h) N’oublions pas non plus qu’il est possible de recycler les métaux. Et c’est bien ce qui se fait depuis plusieurs années dans beaucoup de pays. Mais il reste beaucoup de progrès à faire dans ce domaine (à titre d’exemple, à peine 30% des GSM sont récoltés en fin de vie en Belgique et seule une petite partie des métaux est recyclée en raison du coût important de l’opération). 2. Les géologues précisent que, concernant le potentiel d’un sous-sol, ce qui est inconnu excède très largement ce qui est connu. On confond généralement « réserve » et « ressource ». a) Une réserve, c’est ce qui est considéré comme techniquement exploitable dans l’immédiat. b) Mais la réserve correspond à un tout petit sous ensemble de la « ressource ». La « ressource » désigne toute la quantité identifiée de telle ou telle matière première à un endroit. c) Mais cette ressource - ce qui est connu - ne désigne elle-même qu’une partie infime, un tout petit sous-ensemble de ce qui est inconnu. d) Dès lors, ceux qui s’alarment sur le fait « qu’on n’en a plus que pour 20 ou 30 ans » relativement à telle ou telle matière première, font une double confusion. D’abord, ils confondent « réserve » (ce qui est directement exploitable) et « ressource » (ce qui est connu). Mais, en outre, ils confondent « ressource » et stock total de matière première qui repose dans nos sous-sols. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que les réserves soient de 20 ou 30 ans. C’est le cas depuis plus d’un siècle d’ailleurs. Pourquoi ? Parce que c’est précisément la durée des prévisions dont l’industrie a besoin pour planifier ses activités. Elle ne va pas mobiliser des géomètres, dont l’expertise est coûteuse, pour déterminer ce qu’il conviendra de faire dans 40 ou plus. 3. Il n’existe pas de ressources naturelles au sens de ressources brutes. Les ressources sont « inventées » et non pas « découvertes ». Il faut, disent les écomodernistes, distinguer ici les ressources et les matières premières. Telle matière première clairement identifiée (le charbon, le pétrole, etc.) est évidemment limitée et donc épuisable. Avant d’être utilisée, le pétrole n’était pas une ressource. C’était juste une matière première. Il n’intéressait personne (ou pas grand monde). C’est quand on a inventé le moteur à explosion que cette matière première a été « inventée » comme ressource (quelque chose dont on a besoin). 16 Une matière première est limitée. Ce n’est pas le cas des ressources. Les ressources sont illimitées pour la simple et bonne raison qu'elles sont « inventées ». En ce sens, il est erroné de parler de ressource « naturelle » : c’est l'homme qui, dans de la matière, identifie quelque chose qui, à la base n'a ni sens ni usage, mais dont il pourrait se servir. Il procède à un découpage à même la matière pour n’en soutirer que la partie totalisant un certain nombre de propriétés jugées intéressantes pour une utilisation possible correspondant à l’état de la technique à tel ou tel moment. En ce sens, c’est l’homme qui « constitue » la matière première. Ce qui importe ici, ce n'est pas la matière première en elle-même mais les services qu'elle peut nous rendre. A ce titre, il n'y a pas lieu de fétichiser telle ou telle matière première ou penser que le chaos succédera à sa disparition (qui d'ailleurs n’aura pas lieu vu que ce n'est pas parce qu'une ressource est épuisable qu’on va l’épuiser, autre nuance capitale) car l'histoire nous montre que l'homme trouve toujours des substituts dès que la matière première se raréfie. 4. L’histoire des ressources est l’histoire d’une invention permanente des substituts. Au XIXème siècle, Stanley Jevons, un scientifique britannique de premier ordre, pensait avoir démontré que la croissance anglaise, dépendante du stock de charbon, ne pourrait se poursuivre indéfiniment vu que ce dernier était épuisable. 3 On sait que, non seulement des sources alternatives d’énergie ont pris le relais mais que le charbon est resté surabondant : on a même fermé des mines produisant un charbon dont plus personne n’avait besoin. Il en sera de même pour le pétrole. Il sera déclassé. Pas nécessairement parce que son prix augmentera mais parce que d’autres sources énergétiques assurant les mêmes services s’avèreront plus avantageuses. Des sources alternatives d’énergie - les sables bitumineux, le gaz de schiste, etc.- sont déjà exploitées depuis 30 ans à un coût de production encore supérieur au pétrole. Aujourd’hui, c’est le gaz de schiste (et le pétrole de schiste) qui révolutionne le monde de l’énergie aux Etats- Unis. Les stocks sont proprement considérables, au point que, l’année passée, l’Agence Internationale de l’Energie a fait passer nos réserves mondiales de 70 ans à...250 ans. Du côté du nucléaire, le thorium, 4 à 5 fois plus abondant que l’uranium, prendra bientôt la succession de ce combustible. Par ailleurs, si un jour, on parvient à mettre au point la « fusion nucléaire », il n’y aura plus de problème de rareté énergétique : dans cette hypothèse, tant qu’il y aura de la matière, il y aura de l’énergie. La fusion nucléaire consiste à créer sur terre une source d’énergie comparable au soleil. C’est le projet ITER qui se développe actuellement à Cadarache en France. C’est le plus grand projet scientifique mondial (19 milliards €). Quoi qu’il en soit, l’histoire énergétique est l’histoire de l’invention de substituts. Nos ressources sont aussi illimitées car même si les matières qui les composent sont des stocks finis, l’histoire humaine est la découverte permanente de substituts aux ressources antérieures. Comme le disait le ministre saoudien Zaki Yanami : « Dans 30 ans, il y aura une quantité phénoménale de pétrole, mais aucun acheteur. Le pétrole sera laissé dans le sol. L’âge de pierre s’est terminé un jour, et ce n’est pas parce qu’il n’y avait plus de pierres. L’ère du pétrole s’achèvera aussi 3W. S. Jevons, The coal question. An inquiry concerning the progress of the nation and the probable exhaustion of our coal mines, CPSI, USA, 1866 (confer Chapter VII- Of the economy of fuel). 17 éventuellement, et ce ne sera pas parce qu’il n’y aura plus de pétrole » (Interview, 2000). Evidemment, il y a eu, il y a et il y aura encore sans doute encore des pénuries de ressources dans le monde. Beaucoup de gens manquent de l’essentiel. Il existe en effet quantité d’obstacles en tout genre entre l’homme et les ressources : des obstacles techniques mais aussi des obstacles économiques, étatiques, politiques, nationalistes, militaires, etc. Mais encore fois, il s’agit de problèmes d’accès aux ressources. Pas de stock de ressources. Cela dit, ces problèmes d’accès sont tout sauf négligeables. Imaginons une piscine remplie d’eau et une personne assoiffée quelques mètres à côté. Si une grille verrouille la piscine, cette personne peut pourtant mourir de soif… Ceci pour dire que, en vertu de ce que disent ces experts, le problème, n’est pas de rationner, d’économiser les ressources mais de les déverrouiller, de les rendre accessible. Cela passe par le développement économique, par la prospérité qui permet de financer la recherche et qui permet aux industries de développer et d’appliquer de nouvelles technologies. Soit le contraire de ce que préconisent ceux qui veulent une croissance 0 voire une croissance négative. 5. « L’effet rebond » de Stanley Jevons est un faux problème. Stanley Jevons est aussi très connu pour son « paradoxe » : il déplorait aussi le fait que les gains d’efficience dans la production de biens et de services s’accompagne généralement - et paradoxalement - d’une augmentation corrélative de la consommation de ces biens et services, abolissant du même coup la diminution de la consommation espérée en raison de ce gain d’efficience. On a appelé ce phénomène « l’effet rebond » : tout gain réalisé grâce à un procédé plus efficient (par exemple, une ampoule qui nécessite moins d’électricité tout en fournissant la même intensité lumineuse) est automatiquement annulé par une consommation plus importante soit directement (on augmente sa consommation électrique en achetant, par exemple, un second téléviseur) soit indirectement (l’argent économisé sur l’électricité finance, par exemple, un minitrip). Dans les deux cas, nous n’aurions, en définitive, rien gagné… Mais, se demandent les éco-modernistes, ce « paradoxe de Jevons » est-il réellement un problème ? L’effet rebond est une réalité. En effet, il est illusoire de croire que nous allons diminuer notre consommation parce que nous aurions satisfait nos besoins de base. Mais le malentendu réside en ceci : quel est le but visé ? Réduire la consommation pour réduire les gaz à effet de serre (GES) ou réduire les GES ? Penser qu’il faut nécessairement réduire la consommation pour réduire les GES est un postulat décroissantiste. Postulat erroné selon les éco-modernistes. Il faut parvenir, disent- ils, à un « découplage ». De quoi s’agit-il ? Le découplage vise à reconvertir en profondeur l’appareil économique afin d’éliminer tout impact négatif sur l’environnement. En résumé, le découplage vise à décorréler l’économie et la nature. À partir du moment où l’activité économique n’endommage pas l’environnement, la consommation cesse d’être un problème. Loin de condamner l’augmentation de la consommation, il faut l’encourager et même l’ériger en impératif moral. En effet, comme on le verra, les éco- modernistes pensent que plus la croissance augmente, plus le découplage s’accélère au niveau mondial. Car, plus une société s’enrichit, plus elle est à même de financer des politiques favorables à l’environnement et des procédés permettant de produire sans polluer. 18 6. L’essor démographique est un faux problème Quand on écoute réellement ce que disent la plupart des démographes, on se rend compte que les craintes sont alarmistes et non fondées. Cela fait plus de deux siècles que cette crainte est régulièrement exprimée. C’est le pasteur anglais Thomas Malthus qui a exprimé cette idée le plus clairement et de la façon la plus alarmiste pour la première fois en. Il publie en 1798 son « Essai sur le principe de population ». L’idée est simple : mathématiquement, sans freins, la population augmente de façon exponentielle (ou géométrique) (2,4,8,16,32,64, etc.) tandis que les ressources ne croissent que de façon arithmétique (2,4,6,8,10,12,14,16, etc.). Cela ne peut conduire qu’à la pénurie et une catastrophe humaine de grande ampleur. Remarquons d’abord que les prédictions de Malthus étaient totalement erronées : elles ont été démenties empiriquement. Depuis que Malthus a publié son ouvrage il y a deux siècles, la population humaine a plus que doublé. Par ailleurs, elle est mieux éduquée, plus riche et plus libre. Remarquons aussi que les comparaisons qui sont faites entre l’essor démographique des humains et l’essor démographique des populations animales sont souvent méprisantes, paternalistes, voire teintées de racisme. En réalité, dans les cultures traditionnelles, on ne fait pas des enfants de manière irrationnelle. Au contraire. Rien n’est plus codifié. Il faut d’abord se marier, payer une dot, ce qui peut prendre de nombreuses années de travail. Etc. Avoir beaucoup d’enfants au tiers-monde, loin d’être un caprice, est une nécessité économique pour les ménages : en effet, jusqu’il y a peu, le taux de mortalité infantile était très élevé. Pour conserver un enfant en vie, il fallait en faire deux. Or, dans ces pays, les enfants sont des acteurs économiques. Ils travaillent assez tôt et leur revenu additionné est indispensable pour permettre à la cellule familiale de survivre. Pendant des millénaires, nous avons fonctionné de la même façon en Europe. Par ailleurs, avoir beaucoup d’enfants est, pour leurs parents, une garantie pour les vieux jours. En effet, dans ces pays, il n’y a pas de sécurité sociale. Les parents n’ont pas les moyens de cotiser pour une pension car ils parviennent à peine à faire vivre leur famille. Ils ont besoin d’être hébergés et nourris par leurs enfants quand ils n’auront plus l’âge ni la force de travailler. Si la population a fait un « bond » spectaculaire au tiers-monde, c’est justement parce que cette situation difficile a pris fin : le taux de mortalité infantile a chuté, la production de richesses a augmenté considérablement dans de très nombreux pays et l’espérance de vie s’est également envolée à des sommets. Le tiers-monde connaît aujourd’hui la situation que nous avons connue il y a plus d’un siècle. Tout cela est une conséquence de la mondialisation des échanges. Elle a enrichi le tiers-monde, du moins les zones où elle se développait (les pays, principalement africains, où la situation économique ne s’est pas améliorée, voire s’est dégradée, depuis les années 60, sont tous ceux où la guerre, les dictatures, les violences, le mépris du droit de propriété, le protectionnisme, ont empêché le développement de la mondialisation libérale). Avec le développement économique, l’Etat-Providence se développe et, avec lui, la sécurité sociale, l’enseignement, etc. Du coup, les taux de fertilité ont chuté sur la planète entière. En réalité, le pic du taux de natalité a été atteint dans les années 70. C’est la période où, grâce à la mondialisation libérale, la médication, même rudimentaire, de la médecine occidentale a pu se diffuser dans le Tiers-monde, réduisant radicalement le taux de mortalité. Cet essor démographique est d’ailleurs ce qui a engendré les peurs malthusiennes actuelles. Pourtant cet essor démographique est en train de freiner. Quand la pauvreté se réduit, on observe une diminution du taux de fécondité quasi automatique. Pour quelles raisons ? 19 a) Car la réduction de la pauvreté fait chuter le taux de mortalité infantile, réduction qui, elle-même, diminue la nécessité de donner naissance à un grand nombre d’enfants dans l’espoir d’en conserver une partie en vie ; b) Car les pays plus riches peuvent se payer des programmes de sécurité sociale et n’ont plus besoin d’enfants pour assurer cette fonction ; c) Car la diminution de la pauvreté permet un accès plus large à la technologie qui diminue elle-même la nécessité de recourir à la force de travail des enfants ; d) Car les salaires sont plus élevés dans les sociétés riches, ce qui diminue la nécessité d’avoir beaucoup d’enfants dont le travail permet de boucler le budget familial ; e) Car les sociétés plus riches offrent une meilleure éducation pour les femmes et de plus larges possibilités d’accéder au marché du travail, ce qui les rend moins disponibles à la procréation ; f) Car, pour rester compétitif et productif dans une société riche, il faut, de préférence, avoir une petite famille ; g) Car beaucoup de gens, dans des sociétés riches, sont influencés par les mass media et incités à consommer plutôt qu’à donner naissance à des enfants (par exemple, des séries télévisées occidentales, chinoises, etc. mettent en scène des couples riches avec 2 ou 3 enfants seulement et ce mode de vie est convoité et copié dans le tiers-monde). Quoi qu’il en soit, nous avons vu que, selon un grand nombre d’experts, les ressources ne manquent pas pour faire vivre une population même très nombreuse. Avec les techniques actuelles (OGM, etc.), on pourrait, si on exploitait rationnellement la terre, produire de quoi nourrir plusieurs dizaines de milliards de personnes sur terre. Selon cette conception, s’il y a bien une ressource - précieuse entre toutes - dont il ne faut pas se priver, c’est la ressource humaine. Selon le très beau titre d’un des livres les plus passionnants sur le sujet : « The Ultimate Resource » de Julian Simon, l’être humain est la ressource ultime. Plus une population est nombreuse, plus - statistiquement - elle abrite de cerveaux brillants à même de trouver des solutions pour les défis du futur. Selon Julian Simon, le simple fait de parler de « surpopulation » est une imposture scientifique. Dire qu’une population est trop nombreuse (par rapport à ce qu’elle « devrait » être) n’est pas un jugement scientifique. C’est un jugement de valeur. La population humaine est d’ailleurs - poursuit Julian Simon - la seule ressource qui se raréfie. Pourquoi ? Car ce qui mesure la rareté d’une ressource, c’est son prix. Plus son prix augmente, plus c’est le signe qu’elle se raréfie (elle est moins facilement accessible). Or, en raison de l’augmentation des richesses au niveau mondial, le prix de la main d’œuvre augmente. La ressource « homme » est plus chère à mobiliser. C’est la preuve qu’elle se raréfie. 7. Le principe de précaution est un principe dangereux si on l’applique de manière intégriste. Plusieurs spécialistes critiquent une application trop rigoureuse de ce principe. A quel titre ? Le principe de précaution est, à première vue, un principe très judicieux et très utile. Si on l’avait mieux respecté par le passé, on aurait évité, par exemple, de mettre sur le marché le tristement célèbre thalidomide (entre 1958 et 1961) et il n’y aurait pas d’enfants « Softenon » (enfants naissant avec des tous petits bras et ainsi dénommés car leurs mères avaient, sous avis médical, consommé ce médicament durant leur grossesse). C’est donc une bonne chose de tester, contrôler, vérifier qu’une innovation ne va pas causer des dégâts avant de la produire de manière industrielle. 20 Le problème, c’est que ce principe est invoqué de manière intégriste pour disqualifier toute initiative qui implique un risque. La prise de risque est inhérente à la logique entrepreneuriale. Or, il est impossible de relever les défis écologiques sans y laisser participer largement le secteur privé. Il faut rester à l’écart des raisonnements fatalistes. Il faut, certes, anticiper intelligemment et lister les dangers mais cette attitude doit servir non à s’opposer à tout changement mais plutôt à évaluer les risques et à trouver des solutions pour y faire face. Si on avait dû appliquer le principe de précaution à partir du XIXème siècle, on aurait empêché de voir le jour les inventions suivantes : le train, l’avion, les antibiotiques, les pesticides, les transplantations d’organes, les radars, la réfrigération, le téléphone, les scanners, les transfusions de sang, etc. Par ailleurs, poursuivent ces spécialistes, le principe de précaution est un principe dangereux. L’application intégriste du principe de précaution est parfois dangereuse pour l’homme et l’environnement. Quand on veut éviter un risque ou une menace potentielle, il faut prendre garde à ne pas adopter des mesures qui, à court ou à moyen terme, créent un dommage encore plus grand que celui qu’on cherche ainsi à éviter. Telle est l’histoire de l’interdiction de l’usage du DTT écarté parce qu’on le soupçonnait d’être cancérigène. Ce produit a été interdit en 1972 aux Etats-Unis et quelques années plus tard un peu partout dans le monde. Il est désormais établi que le DTT n’est pas cancérigène. Par contre, son interdiction a fait réapparaître la malaria en de nombreuses régions du monde où elle avait pourtant été éradiquée grâce à l’usage du DTT. Alors que cette maladie était quasiment en voie de disparaître dans les années 70, les organisations sanitaires estiment que la population infectée oscille entre 300 et 500 millions dans le monde. Chaque année, cette maladie tue entre 1 et 2,5 millions de personnes dont la moitié sont des enfants. 4 Sans l’application intégriste du principe de précaution (aucune preuve du risque cancérigène n’avait été établie à l’époque), il est certain que le DTT, réintroduit depuis, aurait empêché la propagation de cette épidémie mortelle. Selon certains de ces auteurs, au lieu du principe de précaution (PP), il vaudrait mieux adopter un principe du moindre mal (MM), c’est-à-dire un principe coût/bénéfice qui évalue les risques qui valent la peine d’être courus. Passons maintenant aux présupposés économiques de l’éco-modernisme. 4 3000 enfants meurent chaque jour de malaria dans le monde, soit l’équivalent de 80 cars scolaires qui seraient précipités chaque jour le haut d’une falaise. 21 PRESUPPOSES ECONOMIQUES DE L’ECO-MODERNISME En raison de la croissance économique, l’homme est-il condamné à épuiser toutes les ressources de la planète ? Personne ne nie l’existence de limites. Mais, disent les éco-modernistes, le fait de reconnaître qu’elles sont dépassées ne conduit pas nécessairement à la capacité de faire des prévisions précises et fiables quant à la date d’épuisement des ressources et d’effondrement (la plupart des prévisions du rapport Meadows - et des études ultérieures du Club de Rome - se sont avérées trop pessimistes et même catastrophistes). Ainsi, le rapport Meadows de 1972 prévoyait que : « le manque de terres cultivables se fera désespérément sentir avant même l’an 2000 si la population continue de s’accroître au taux actuel et si on n’arrive pas à satisfaire ses besoins alimentaires en utilisant pour chaque homme une superficie de terre encore inférieure au strict minimum actuel. (…) Dans les 30 ans à venir (temps de doublement de la population mondiale), nous risquons d’être exposés à une pénurie brutale ». 5 Or, que constatons-nous aujourd’hui ? D’une part, la pénurie annoncée n’a pas eu lieu. Au contraire, la population mondiale est beaucoup mieux nourrie qu’il y a 50 ans. D’autre part, loin d’être limités par la place, nous serions arrivés aujourd’hui à un pic de la surface agricole mondiale. C’est-à-dire que nous produisons beaucoup plus qu’avant sans augmenter la surface cultivable. 5D.H. Meadows, D. Meadows, J. Randers & W.W Behrens III, Rapport sur les limites de la croissance, Fayard, 1972, p.170 22 Gardons néanmoins à l'esprit que c'est une tendance globale et que la surface agricole continue à croître dans les pays pauvres (entraînant déforestation, perte de biodiversité, pollution, etc.). Restons conscients aussi que rien ne garantit que ce phénomène va se poursuivre dans le futur. Cela dépend évidemment des choix qu'on fait : à cet égard, opter pour des techniques plus traditionnelles risque de faire remonter en flèche la surface agricole dans le monde. On assiste dans le même temps à un phénomène de découplage entre la production agricole et la surface agricole. Ce qui montre empiriquement que - contrairement au postulat sous-jacent à la méthodologie servant à calculer l’empreinte écologique – une augmentation de la production de biens, une augmentation de nos standards de vie ou une augmentation de la population ne nécessite pas nécessairement une surface supplémentaire pour procurer ces ressources ou absorber ces déchets. Voici une autre prédiction erronée du rapport Meadows de 1972, sur le prétendu épuisement des métaux avant la fin du siècle passé. 23 En vert le nombre d'années avant l'épuisement de ces métaux. Soit au rythme de 1972 (colonne 3) soit au rythme exponentiel (colonne 7). La plupart de ces derniers devraient avoir disparus depuis 20 ans à en croire le Club de Rome. Encore une fois, difficile de se tromper plus lourdement. Loin de s’épuiser, la quantité de ces métaux a, en réalité, augmenté depuis ! Cette incapacité à prédire repose sur une incapacité à comprendre la nature dynamique et économique de l’état des stocks ressources physiques : les stocks évoluent en fonction de nouvelles explorations mais aussi de la capacité technologique de les extraire, de les exploiter, même sous une forme plus brute ou diluée et aussi du coût de ces extractions. On oublie aussi assez fréquemment de prendre en compte l’efficience croissante avec lesquelles on les consomme ainsi que la capacité à les recycler. Tous ces arguments avaient déjà été énoncés par Julian Simon6 au moment de la publication du Rapport mais en les ignorant, ces derniers en viennent à faire des prédictions de ce type : 6 J. L. Simon, The Ultimate Resource 2, Princeton University Press, 1998 (1996 : second edition) 24 En 1992, nouvelle édition du rapport Meadows rebaptisée « Beyond the Limits ». Les auteurs ne se rendent comptent que leurs prédictions ne se sont pas réalisées mais affirment qu’ils se sont juste trompés de 30 ans… En 2004, Donella et Denis Meadows publient « Limits to Growht. The 30-Year Update ». 7 Nouvelles prévisions, sur le pétrole. A en croire ces prévisions, les stocks pétroliers américains allaient irrémédiablement décroître…. 7D. Meadows, J. Randers & D. Meadows, Limits to Growht. The 30-Year Update, Chelsea Green Publishin Company, 2004 25 Sauf que, depuis, les Etats-Unis sont quasiment devenus autarciques relativement au pétrole. Ils ont acquis la souveraineté énergétique. Car les Meadows n’avaient pas prévu la révolution du gaz de schiste. A leur décharge, presque personne ne l’avait prévue. Par contre, ce qui est récurrent dans l’histoire des ressources, c’est la thèse centrale de Julian Simon, à savoir le fait que l’augmentation du prix d’une ressource (symptôme d’une rareté croissante) engendre alors un incitant (pour les inventeurs, ingénieurs, entrepreneurs, investisseurs, etc.) à trouver de nouveaux procédés ou des substituts pour faire redescendre le prix. Et cela fonctionne. Ce fut la même erreur commise par Stanley Jevons quand, dans The Coal Question, 8 il prévoyait l’épuisement des ressources en charbon, faute d’avoir prévu la révolution pétrolière suite à l’invention du moteur à explosion. Il n’est donc pas rare que les prédictions s’avèrent fausses, ce qui ne doit pas nous interdire d’en faire - bien au contraire- mais doit nous inciter à la modestie et à la réserve quand on les formule. 9 Ce qui n’est pas le cas de nombre de publications et effets d’annonces des personnes prônant la décroissance et la simplicité. Cela dit, dans leur ouvrage de 2004, les Meadows font désormais 10 scenarii dont l’un semble opportun en phase avec la position éco-moderniste : le scénario 9. 10 8 W. S. Jevons, The coal question. An inquiry concerning the progress of the nation and the probable exhaustion of our coal mines, CPSI, USA, 1866 (confer Chapter VII- Of the economy of fuel). 9 J. L. Simon, The Ultimate Resource 2, Princeton University Press, 1998 (1996 : second edition), p.74 & s. 10 D. Meadows, J. Randers & D. Meadows, Limits to Growht. The 30-Year Update, Chelsea Green Publishin Company, 2004, p.245 26 Ce scénario 9 est le plus optimiste. Il implique le recours massif aux technologies et... à la croissance. Avec une période de 20 ans pour que les technologies deviennent mâtures.. Notons que le scénario 10 est encore plus optimiste mais représente ce qu’aurait été la situation si le scénario 9 avait été appliqué en 1982, soit l’exact inverse des recommandations des Meadows à cette époque. Quels sont, concrètement, les postulats des éco-modernistes ? 1. Utiliser un stock de ressources énergétique n’équivaut pas à le faire partir en fumée. Au contraire, selon les éco-modernistes, la consommation d’une ressource permet : a) d’inventer de nouveaux procédés d’extraction et, in fine, de nouvelles ressources. Nous accroissons les quantités exploitables d’énergie dans le sol. Nous creusons plus profondément et nous pompons plus rapidement. Grâce aux progrès de l’intelligence artificielle, nous pouvons aujourd’hui expédier des robots dans les mines (c’est le cas en Australie par exemple) : ces derniers ont l’avantage de ne jamais être fatigués, stressés. Ils ne souffrent pas d’absence d’oxygène, des poussières, des vapeurs toxiques, etc. b) d’inventer de nouvelles sources d’énergie. Les centrales à fission nucléaire, génération après génération, produisent une énergie à des coûts constants ou en diminution. Sans parler d’une éventuelle maîtrise de la fusion nucléaire dans un futur lointain. On produit désormais également des biocarburants (sous base d’algues). Citons aussi les éoliennes offshore (marines) et onshore (sur le sol), les panneaux photovoltaïques, les barrages, la géothermie (fait de faire remonter et redescendre de l’eau chaude des profondeurs), etc. On développe aujourd’hui aussi le « power to gas » qui vise à transformer de l’énergie verte excédentaire (provenant des panneaux solaires ou des éoloennes) en hydrogène, lequel, mélangé à du CO2 , devient du biogaz utilisable pour la propulsion des voitures et pour chauffer les logements, notamment. c) d’améliorer l’efficience énergétique. Consommer engendre un gain en efficience : avec une quantité X de matière première, on obtient davantage de services après qu’avant. Ainsi, ce qui, selon Leakey, distingue l'homme de Neandertal de ses prédécesseurs, c'est qu'il parvient à tirer, d'un même bloc de silex, cinq fois plus de pointes taillées. Ensuite, consommer permet de progresser. Une fois que la matière première s'est raréfiée, on ne se retrouve pas à la case départ. Le prix de l’énergie et des autres ressources naturelles diminue en raison des avancées technologiques. Si l’on estime la première machine à vapeur comme opérant à 1% d’efficience, on peut considérer que nos machines actuelles sont 30 fois plus efficientes, c’est-à-dire qu’elles utilisent trente fois moins d’énergie pour produire le même résultat. On le voit aussi avec les automobiles : les progrès permettent chaque fois d’augmenter le nombre de kilomètres qu’on peut parcourir avec un litre d’essence (nouveaux moteurs, matériaux plus légers, 15 etc.). Autre exemple : l’invention du four à microondes a diminué de dix fois la quantité d’énergie nécessaire pour réchauffer un repas (par rapport à un four thermique). Un autre exemple très parlant de l’efficience énergétique, ce sont les ampoules. Pour un Watt, une ampoule à incandescence (les premières à avoir été inventées) fournit 12 à 20 lumens. Aujourd’hui, les lampes LED, une merveille technologique, peuvent, avec un Watt, fournir 25 à 140 lumens. Donc, les lampes d’aujourd’hui, avec la même quantité d’énergie, fournissent 10 fois plus de lumière ! 27 Ces progrès, disent les éco-modernistes, continueront sans doute pendant une longue période, peut-être même indéfiniment. d) de faire progresser nos connaissances scientifiques et techniques. A la fin de l’ère du pétrole, l’humanité ne sera pas au même stade de développement qu’elle était au moment où elle y est entrée. Nous avons, dit-on souvent, consommé plus de pétrole ces trente dernières années que dans toute l'histoire de l'humanité mais on oublie de préciser que nous avons plus progressé scientifiquement ces 50 dernières années que les 500 dernières. Ce qu’il s’efforcer de transmettre aux générations futures, ce n’est pas, disent ces spécialistes, un stock de matières énergétiques car, même en se rationnant, un stock x finit toujours par s’épuiser : si x est un stock, si y est le nombre de générations futures et si on postule que le nombre de générations futures est infini, on obtient que x divisé par l’infini, est toujours égal à zéro. Dès lors, ce qu’il faut transmettre aux générations futures, ce n’est pas un stock de matière mais : un stock de connaissances leur permettant de faire face aux défis du futur, un niveau de bien-être, une dette publique raisonnable, etc. 2. La qualité de l’environnement s’améliore à mesure que croît le niveau de prospérité d’une société : la courbe environnementale de Kuznets. Personne ne peut nier que l’industrialisation s’est accompagnée d’une lourde pollution. Personne ne peut nier que la pression sur les milieux naturels est considérablement plus importante lorsque la population compte 6 milliards d’individus (comme aujourd’hui) plutôt que 750 millions (comme en 1750). Pourtant, la pollution correspond à un stade transitoire du développement. En devenant riche, une société cesse de polluer. La courbe environnementale dite de Kuznets sur la qualité de l’air tend à prouver que l’évolution de la pollution dans les pays industrialisés suit une courbe en U renversé. Pour le dire autrement, plus une société se développe économiquement, plus elle 28 est à même de lutter efficacement contre la pollution (elle a les connaissances scientifiques, les instruments technologiques et les moyens financiers pour le faire). Cette « courbe environnementale » provient, en réalité, des travaux de Grossman et Krueger (1994) qui appliquent au domaine environnemental (en l’occurrence la pollution de l’air) la courbe en U renversé de l’économiste Simon Kuznets, prix Nobel en économie en 1971, apparue dans les années 50 et tendant à démontrer l’évolution des inégalités dans une société industrielle : les inégalités entre les hommes d’une société donnée augmentent dans un premier temps avec l’industrialisation mais finissent par diminuer drastiquement dans la phase postindustrielle avec la hausse du coût de la main d’œuvre, l’augmentation du pouvoir d’achat, le développement du secteur des services, l’extension de l’Etat-Providence, etc. 11 La version environnementale de cette courbe tente à prouver que la pollution augmente d’abord avec le développement économique (période de la révolution industrielle) et puis se met à stagner pour ensuite baisser considérablement. Les pays occidentaux sont arrivés à gauche de la courbe. Malheureusement, les pays du tiers-monde sont encore dans la phase ascendante de la courbe (et, comme ils sont très nombreux, ils polluent énormément). Courbe environnementale de Kuznets Pour le dire autrement, plus une société se développe économiquement, plus elle est à même de lutter efficacement contre la pollution. En effet, elle a, premièrement, les connaissances scientifiques, les instruments technologiques et les moyens financiers pour le faire. Et, deuxièmement, elle a une opinion publique très écologique (qui la pousse à adopter des politiques favorables à l’environnement). Les indicateurs environnementaux (relevés chaque année par diverses agences) prouvent que la qualité de l’environnement s’est améliorée avec l’accroissement des richesses et du pouvoir d’achat. C’est ce que l’on constate, par exemple, aux Etats-Unis, l’EPA, la fameuse agence étatique américaine en matière environnementale a, dans un rapport examinant la période 1980 à 2011, noté que : le PIB a augmenté de 128%, Une méta-analyse de 2011 reprenant 878 observations tirées de 105 études empiriques sur la courbe de 11 Kuznets établit clairement cette corrélation : http://ceser.in/ceserp/index.php/ijees/article/view/1935 29 la consommation d’énergie de 26% o et la population de 37% o alors que, durant cette même période, le total des émissions des 6 principaux agents polluants chutait de 63%. Même constat lorsqu’on consulte le site de Bruxelles Environnement : les agents polluants (les substances acidifiantes, les précurseurs d’ozone, les particules fines, etc.) ont tous diminué massivement ces 30 dernières années (en moyenne de 60 à 70%) et les rapports successifs de la Région wallonne sur l’Etat de l’environnement wallon (pour la qualité de l’eau, de l’air, du sol, de la faune et de la flore, etc.) illustrent cette tendance lourde. Selon ces experts, nous sommes justement dans une phase où nous parviendrons, grâce aux technologies, à voir une validation de cette courbe dans le domaine des émissions du CO2. C’est le défi technologique actuel. Comment cela a-t-il été possible ? a) la révolution industrielle a pollué l’environnement dans un premier temps mais, par la suite, l’augmentation du rendement des machines et de la productivité des terres agricoles a eu pour effet de réduire la déforestation et, par la suite, d’inverser le mouvement : plus d’espace que naguère peut désormais être consacrée aux étendues forestières. L’agriculture intelligente (smart farming) est en plein développement. On peut réduire considérablement les surfaces agricoles en cultivant massivement fruits et légumes dans d’immenses fermes verticales ou souterraines sous des lampes LED. Plus besoin de pesticides. L’eau est distribuée dans un univers contrôlé qui la recycle immédiatement. Ce procédé permet également de produire des protéines végétales destinées aux animaux d’élevage, réduisant ainsi l’utilisation d’importantes surfaces agraires. Voire à produire directement, pour ceux qui le désirent, des viandes d’origine 100% végétale (par exemple, « l’Impossible burger » qui fait un carton aux Etats-Unis tellement il devient impossible de faire la différence avec de la vraie viande) ou même de la viande synthétique, résolvant du même coup le problème de la souffrance animale. Que faire des terres libérées ? De nouvelles et vastes forêts pouvant séquestrer naturellement énormément de CO2… On peut même y réintroduire des espèces sauvages (ours, loups, etc.) en semi-liberté et accessibles au public et aux écoles à des fins récréatives et éducatives. b) dans le même ordre d’idées, le développement de l’exploitation du gaz naturel et de l’hydroélectricité a permis de réduire considérablement le recours au charbon et au bois de chauffage, ce qui a diminué la pression sur les forêts et amélioré significativement la qualité de l’air dans les villes. Cette substitution fut d’autant plus aisée que l’urbanisation l’a rendu économiquement rentable : le regroupement et la densification de la population dans les villes permet effectivement, passé un certain stade, de rendre rentable l’investissement dans des systèmes de production et de distribution de gaz et d’électricité ; c) l’invention et l’utilisation massive des véhicules automoteurs (voitures et camions) a augmenté la pollution de l’air (avant que les progrès des filtres et pots catalytiques aient réduit cette pollution automobile d’un facteur de 10.000 à 1) mais ont permis de réduire drastiquement la quantité de terres agricoles requises pour nourrir les chevaux (eux- mêmes sources de pollution et vecteurs de plusieurs maladies). d) le kérosène qui alimente les avions augmente considérablement le niveau des émissions de gaz à effet de serre. Mais, une solution technologique se profile : le kérosène vert. Lequel pourrait être fabriqué à partir d’eau, d’électricité verte (excédentaire à certaines périodes de l’année) et de… CO2 préalablement capté dans l’atmosphère. Mais comment prélever ce CO2 ? Par de grands ventilateurs aspirant l’air pour l’envoyer dans une solution hydroxyde de potassium aqueux, laquelle extrait le CO2 de l’air qui peut alors être stocké. A titre 30 d’exemple, à Vancouver, au Canada, la société Carbon Engineering est déjà sur la balle. Ce kérosène est « vert » parce que neutre en termes d’émissions : certes, les avions émettent du CO2, mais vu qu’on réutilise précisément du CO2 de l’atmosphère pour produire ce kérosène, on reste donc en circuit fermé, ce qui revient à décarboner l’aviation. Les indicateurs environnementaux (relevés chaque année par diverses agences partout dans le monde) prouvent que la qualité de l’environnement (étendue forestière, qualité de l’eau, de l’air, du sol, etc.) s’est améliorée, aux Etats-Unis et ailleurs, avec l’accroissement des richesses et du pouvoir d’achat. Les gens commencent d’abord à dépolluer leur environnement immédiat et puis se tournent vers les espaces publics et, enfin, les zones les plus éloignées du monde. Ce modèle de Kuznets fait l’objet de plusieurs objections : ce modèle est valable pour plusieurs indicateurs écologiques mais pas pour le CO2 qui continue d’augmenter dans le monde ; ce modèle est valable pour certains pays occidentaux mais pas pour le reste du monde ; ce modèle fonctionne en Occident car en réalité l’Occident « exporte » sa pollution en faisant produire ses marchandises dans les pays pauvres. Etc. Ces objections seront examinées dans la partie « découplage » du syllabus. Notons toutefois, concernant le CO2, que, même s’il augmente et continuera probablement d’augmenter dans le reste du monde dans les 40 prochaines années, ses émissions diminuent dans les pays occidentaux de manière telle qu’on se demande si, par compensation, on n’atteindra pas bientôt un pic au niveau mondial. Il est trop tôt pour l’affirmer mais le graphique qui suit fournit une indication de la tendance. 31 NOTRE SITUATION A-T-ELLE EMPIRE AU FIL DU TEMPS ? Il faut se défaire de l’image du Jardin d’Eden. Le passé n’était pas le paradis écologique qu’on croit. « Sapiens », le best-seller de l’historien israélien Yuval Harari, 12 explique que, dès l’origine, l’homme a endommagé son environnement. En réalité, ce récit d’un âge d’or de l’homme vivant en harmonie avec la nature est un mythe. Il y a 45.000 ans : les premiers Sapiens débarquent en Australie. En quelques milliers d’années, 23 des 24 espèces australiennes de plus de 50 kg ont été exterminées par ces chasseurs impitoyables. Un très grand nombre de plus petites espèces également. Ils brûlaient de vastes zones de fourrés impénétrables et des forêts touffues pour créer des prairies qui attiraient du gibier facile à chasser. Cela a entraîné un effondrement des chaînes alimentaires. En Eurasie, il y avait des millions de mammouths. Ils ont tous disparu il y a 10.000 ans. Il y a 16.000 ans, l’homo Sapiens arrive en Amérique depuis l’Asie via la Sibérie (les Indiens d’Amérique que « découvriront » les Européens au XVème siècle sont en réalité des descendants de ces Asiatiques. Il existait un pont de terre entre l’Asie et l’Amérique à cette période-là. Il y a 12.000 ans, un réchauffement climatique fait fondre la glace et ouvre un couloir plus facile. Les hommes passent alors en masse et colonisent les forêts épaisses. En un millénaire ou deux, toute l’Amérique est conquise. Il y avait en Amérique des mammouths, des chameaux, des lions et des paresseux géants. Malheureusement, 37 des 47 gros mammifères ont disparu en Amérique du Nord et 50 sur 60 des gros mammifères en Amérique du Nord en l’espace de 2 millénaires (aux alentours de 10.000 avant JC). L’homme est un serial killer écologique. L’homme est une catastrophe écologique à lui tout seul. Près de la moitié des grands animaux terrestres ont disparu de la planète à cause de l’homo Sapiens bien avant l’invention de la roue et de l’écriture. Cela dit, il y avait déjà eu 5 extinctions massives sur terre bien avant que n’apparaisse l’homme. Plus de 95% des espèces ayant existé dans l’histoire de la terre se sont éteintes. Une espèce vit en moyenne entre 1 et 10 millions d’années. Et la terre a 4,5 milliards d’années. Une espèce, ce vit et ça meurt. Cela dit, selon le programme des nations unies pour l’environnement (PNUE), il n’y a jamais eu autant d’espèces qu’aujourd’hui. Diversification et spécialisation. 12 Y. Harari, Sapiens, Une brève histoire de l’humanité, Albin Michel, 2002, 506 p. 32 L’homme a détruit une bonne partie de son environnement mais, c’est justement, à la période de la révolution industrielle que la dynamique s’inverse. Elle empire dans un premier temps et puis s’améliore considérablement. L’homme tire enfin parti à grande échelle de quelques outils inventés au cours des 2 millénaires qui ont procédé. Ce sont ces outils-là (technologiques mais aussi juridiques et économiques) qui vont tout à coup permettre de contrecarrer les désastres écologiques. Quelle était la situation au début de la révolution industrielle ? Imaginez-vous en train de vous promener dans une ville en plein cœur du moyen-âge. Les routes ne sont pas pavées. Vous marchez dans la fange, une bouse composée d’excréments animaux et humains, de déchets de bouchers, de tripiers, de teinturiers et autres tanneurs. Il faut enjamber des marigots d’eau croupie et puante. De la volaille, des chiens errants et autres bêtes y vivent en liberté. La nuit, des loups entraient parfois dans la ville et dévoraient les mendiants. Les gens ne se lavaient pas régulièrement et entièrement. Ils avaient les dents jaunes et pourries. Ils se grattaient constamment la tête et le dos pour enlever les poux, les puces et la vermine. Les artisans travaillent de jour comme de nuit. Le tintamarre est constant. L’air est souillé de vapeurs de soufre, de plomb, de sulfate d’aluminium et de potassium. Le professeur d’université américain Julian Simon décrit l’état d’une rue dans une métropole comme Londres en 1890 : la boue, les excréments, les détritus alimentaires, l’odeur, le bruit assourdissant des ateliers, la Tamise pestilentielle qui ne possède plus de poissons depuis un siècle (alors que quarante espèces y ont été réintroduites en 1968, l’absence d’oiseaux (alors que 138 espèces y ont été identifiées en 1968), le « smog », lourd et visqueux, chargé de pollution (il a disparu aujourd’hui avec une diminution drastique du pourcentage de bronchites). Ces deux derniers siècles, la propreté de notre environnement s’est améliorée de manière extraordinaire après plusieurs milliers d’année de stagnation. En conséquence, le nombre et l’impact des maladies ont également diminué de façon spectaculaire. Simon montre de nombreux tableaux décrivant la régression des morts par tuberculose, par maladies infectieuses, grippes, pneumonies, par accidents, etc. Les gens pensent que les conditions sanitaires sont moins bonnes dans le monde que ce n’était le cas il y a quelques décennies. Cette croyance généralisée est entièrement contredite par les faits. Il y a plusieurs sortes de pollution. Certaines ont considérablement diminué au fil du temps comme, par exemple, la saleté dans la rue et les agents contaminants causant des maladies contagieuses. D’autres ont empiré comme les émissions de fumée, 13 le bruit à certains endroits, les déchets nucléaires, etc. Difficile de découvrir une direction à ces diverses trajectoires. Comment évaluer ce degré de pollution dans le temps et l’espace ? Par l’espérance de vie. C’est un critère simple pour évaluer le degré de pollution et c’est aussi le critère le plus inclusif. Si l’on mesure la pollution par ce critère qu’est l’espérance de vie, on constate que la pollution a diminué depuis le début de l’espèce humaine. L’espérance de vie d’un nouveau-né s’est accrue considérablement au fil des derniers siècles. Elle continue d’augmenter. 13 Depuis les années 80, la qualité de l’air dans les pays occidentaux, s’est considérablement améliorée (en partie grâce aux filtres des pots catalytiques). Nous en sommes revenus à une qualité de l’air encore supérieure à celle précédant la révolution industrielle. 33 3. Il faut « découpler » croissance économique et impact sur l’environnement On a vu que le découplage vise à reconvertir en profondeur l’appareil économique afin d’éliminer tout impact négatif sur l’environnement. Le découplage est dit : « relatif » si le dommage causé à l’environnement augmente moins rapidement que ne le fait le PIB ; il est dit « absolu » s’il cesse d’augmenter, voire décroit, lorsque le PIB croît. Dans son rapport de 2022, le GIEC affirme que 32 pays ont atteint le découplage absolu (entre, d’une part, le PIB et, d’autre part, les GES émis sur le territoire). Et, parmi eux, 23 ont atteint le découplage entre le PIB et les GES émis pour les biens et services consommés sur le territoire : ce qui signifie que ce n’est pas parce qu’ils auraient délocalisé à l’étranger les usines produisant leurs biens de consommation qu’ils arrivent à ce découplage absolu. Le découplage existe, sous une forme relative et même absolue, mais uniquement dans les pays économiquement riches. La courbe de Kuznets, empiriquement validée ces 50 dernières années, est une courbe en forme de U inversé qui démontre qu’après une période de développement extrêmement polluante, un pays, une fois atteint un certain niveau de PIB, connaît un pic de pollution qui se stabilise avant de s’effondrer à mesure que croît le PIB. De la même manière, si plusieurs pays atteignent le découplage à un stade avancé du développement économique, quantité d’autres les suivront. Ceux qui - et non des moindres (Inde, Chine, etc.) - les suivent sont ceux qui polluent le plus aujourd’hui mais qui, passé un certain seuil de développement dont ils se rapprochent chaque jour, amorceront leur découplage car ils seront alors en mesure de le financer. Il est vrai que le découplage est encore partiel et local mais c’est un processus qui nécessite une période de transition. Il est vrai que le découplage risque de freiner voire de régresser si la croissance stagne ou diminue. Raison pour laquelle elle doit demeurer importante. Peu importe que la quantité totale des matériaux extraits et transformés augmente ou que la quantité d’énergie produite et consommée augmente : les stocks sur terre sont abondants, bien au-delà de ce qui est nécessaire pour réussir la transition. Dans cette optique, l’effet rebond cesse d’être perçu comme une malédiction et devient une bénédiction : une population prospère aux besoins qui s’étendent permet d’accélérer l’acheminement de l’économie mondiale vers l’autre versant de la courbe de Kuznets. Ce qui importe, c’est que le niveau de PIB nécessaire au financement du découplage mondial soit atteint le plus vite possible pour que la quantité totale de CO2 atteigne rapidement son plafond et diminue alors drastiquement. Ce qui importe, c’est que les pays pauvres atteignent nos standards pour financer des alternatives au fait de brûler du bois et du charbon, de déforester les forêts primaires ou de rejeter massivement le plastique dans nos océans. Ce qui importe, c’est que le découplage opère avant que les limites de la planète ne soient dépassées de manière irréversible. Ce qui importe, en définitive, ce n’est pas l’adoption d’un mode de vie sobre mais d’un mode de vie respectueux de l’environnement grâce au découplage dans un monde débarrassé de la pauvreté. Ce qui importe, c’est non pas la sobriété mais la prospérité. Le découplage nécessite urgemment une révolution industrielle et donc à la fois un investissement massif du privé et une politique industrielle d’une ampleur jamais vue dans 34 l’histoire humaine : la production énergétique décarbonée (nucléaire et renouvelable), l’électrification des processus industriels, la captation de CO2, la fabrication d’hydrogène et de molécules vertes, la réouverture des mines (propres) en Europe, la production de carburant synthétique neutre en carbone pour les véhicules lourds, les cargos et les avions, l’agriculture de précision, les nouvelles techniques génomiques, la reforestation massive et la régénération de la biodiversité terrestre et maritime. Selon les éco-modernistes, l’ennemi principal de l’environnement, ce n’est pas l’augmentation de la consommation mais le conservatisme, le précautionnisme, l’inertie et les tergiversations des pouvoirs publics par rapport à ce redéploiement industriel et, surtout, tout ce qui - comme le discours décroissantiste - freine ou entrave cette révolution écologique indispensable pour atteindre le découplage. Cette politique industrielle doit être enclenchée de toute urgence car chaque minute qui passe augmente la probabilité d’un échec de la transition écologique et d’une destruction irréversible de cycles et éco-services indispensables à notre survie. 4. La croissance, selon les éco-modernistes, peut continuer indéfiniment On entend souvent des phrases telles que « la croissance illimitée est un cul de sac ». Les éco- modernistes prétendent que cette phrase fait partie des « évidences » partagées par tout le monde et questionnées par personne. Tous les esprits raisonnables se disent en effet que « les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel », que les ressources sont limitées, etc. Mais, si on prend la peine de se documenter et de réfléchir un peu plus, on se rend compte que ce qui paraît certain ne l’est pas nécessairement. Pourquoi ? Pour sept raisons. Premièrement, il y a ce constat empirique : depuis la préhistoire, la quantité de richesses produites par habitant n’a cessé d’augmenter (avec, bien entendu, des périodes et des zones de stagnation voire de régression mais, globalement, l’humanité n’a jamais été aussi nombreuse et aussi prospère). On pourrait rétorquer que la croissance passée s’expliquant par le prodigieux essor démographique au niveau mondial, celle-ci cessera lorsque la population cessera de croître faute de ressources. Mais cette hypothèse, non dénuée de plausibilité, justifie-t-elle de rejeter d’emblée comme absurde l’hypothèse opposée ? Deuxièmement, quand on parle de croissance, on parle de valeur : il ne faut pas confondre la composante matérielle d’un bien et la valeur de ce bien. La matière présente sur terre est en quantité limitée mais la valeur - immatérielle et fluctuante - ne l’est pas : c’est une qualité que nous accordons par convention aux biens. Un même bien peut voir sa valeur augmenter ou chuter dans des proportions considérables. Troisièmement, il faut distinguer entre la chose et sa valeur mais également entre la valeur de cette chose et la valeur des matériaux qui la composent. Celle-ci n’entre que pour une part très limitée dans la valeur de la chose. Ainsi, pour un ordinateur portable de 500€, le coût du matériau excède rarement quelques dizaines d’euros. Le reste de la valeur procède essentiellement de la concentration extraordinaire de créativité et du savoir présidant à la réalisation d’un pareil objet mais aussi la main d’œuvre, le transport, la diffusion, le marketing, le design, la distribution, le service après-vente, etc. Si un ordinateur contenait pour 500 € de matériaux, il serait tout sauf portable… 35 Quatrièmement, au fil du temps, l’homme crée de plus en plus de biens immatériels et ce processus s’accélère avec la société de l’information, le développement des télécommunications et la numérisation de la culture. 14 Sous format numérique, un journal, un livre, une musique, un film, etc. peut être vendu un nombre presque infini de fois (je dis « presque » car cela consomme évidemment de l’énergie). Qu’une musique soit vendue 1 fois ou 100 millions de fois sur internet, les coûts de production sont identiques mais la valeur créée sera, dans le second cas, cent millions de fois supérieure. Ainsi, la chanson « Despacito » a été visionnée plus de 8,5 milliards de fois, soit une multiplication par 6 milliards de la valeur de ce titre par rapport à l’hypothèse où il n’aurait été visionné qu’une seule fois (et cela pour un coût de production qui reste inchangé). Cinquièmement, la matière est certes limitée sur terre mais elle peut être recyclée et reste largement sous-exploitée. Les géologues estiment que, vu nos moyens technologiques encore très limités, on n’exploite même pas 0,0001% des matériaux présents dans les profondeurs de la terre et de l’océan. Par ailleurs, des programmes existent déjà pour extraire, via des sondes spatiales, les matériaux de certains astéroïdes. Et l’univers est - dit-on - infini… Sixièmement, la croissance est fonction des ressources énergétiques. Contrairement à ce qu’on croit généralement, ces dernières, on l’a déjà dit, ne sont pas limitées. C’est l’accès au stock des ressources qui est limité. Par le stock lui-même. Enfin, septièmement, de nouvelles solutions se mettent aujourd’hui en œuvre avec l’économie collaborative. Grâce au développement des réseaux sociaux, des nouvelles technologies de communication (smartphones, tablettes, etc.), de la géolocalisation, etc., il est désormais possible aux particuliers de partager (gratuitement ou contre payement) des ressources inexploitées. Par exemple, une voiture (Uber, Blabla Car, Car Amigo), un logement (AirBnB, Couchsurfing), un repas, etc. C’est une création de richesses supplémentaires à partir de biens déjà existants. Ainsi, on pourrait envisager que, bientôt, plutôt que d’avoir chacun une voiture (qui, généralement, reste inoccupée 90% du temps, c’est-à-dire pendant le temps qu’on dort et pendant qu’on travaille), une flotte de voitures (appartenant à des sociétés spécialisées) circule en permanence dans la ville et que, par un abonnement et une application smartphone, on puisse en trouver ou appeler une qui arriverait dans les minutes qui suivent (soit elle est garée tout près, soit, encore mieux, elle sera autonome, c’est-à-dire sans conducteurs). On paye via l’abonnement (on crée donc de la valeur) mais on n’augmente pas la quantité de matériaux nécessaires à cette création de richesse. En réalité, c’est l’inverse : on la diminue car, dans cette hypothèse, il y aurait considérablement moins de voitures en circulation dans les rues). Selon les éco-modernistes, la croissance n’est pas le problème mais la solution au problème. Nous avons, envers les populations du Tiers-monde et envers les générations futures, le devoir moral de nous développer. En effet, selon Friedrich von Hayek, prix Nobel d’économie : 14 Notons toutefois que cette économie n’est pas purement immatérielle car elle requiert un équipement (smartphones, ordinateurs, réseaux, infrastructures, data centers, etc.) et que ce dernier est constitué de métaux rares dont l’extraction – au stade actuel - consomme énormément de ressources et génère des dégâts environnementaux considérables. 36 « nous devons défendre le capitalisme. Non parce que nous l’aimons mais parce que le sort de l’humanité en dépend ». Pourquoi ? Car le tiers-monde n’a pas encore accès aux mêmes standards de vie que les nôtres. Or, la croissance mondiale tire le développement économique de tous les pays vers le haut. Tous les indicateurs de développement humain de l’ONU mis à jour chaque année montrent que ces derniers augmentent en même temps que les revenus. C’est vrai pour tous les pays qui s’ouvrent à la mondialisation. Pas pour les autres (Corée du Nord, nombreux pays africains, Venezuela, etc.). Selon les éco-modernistes, ceux qui, comme les décroissantistes, préconisent la croissance zéro ou la croissance négative sont généralement des personnes qui vivent dans une société prospère et qui ont tous leurs besoins de base satisfaits. N’est-ce pas un peu égoïste de leur part, questionnent-ils, de condamner la croissance qui permet d’améliorer les conditions de vie de ceux qui n’ont rien ? 37 IV. CONCLUSIONS Au terme de ce rapide parcours de deux positions très contrastées, il est utile de préciser, comme nous l’avons déjà fait partiellement dans l’introduction, plusieurs choses : 1. Il n’y a pas que deux positions. Il y en a un très grand nombre. Nous avons choisi deux positions très fortes pour les opposer l’une à l’autre et montrer qu’il y a place pour un débat sur beaucoup de sujets. 2. Distinguons bien ici entre le registre de la science et le registre des positions écologiques. La différence porte ici sur : a. Ce qui EST (le constatif) : ce que la science constate, ce qui est observé, etc. b. Ce qui DOIT ETRE (le normatif) : ce que les citoyens, organisés politiquement, pensent qu’il faut adopter comme mesures. 3. Dans ces deux registres, il y a un espace de débat : a. Le débat scientifique : la science constitue une communauté de savants et d’intellectuels qui sont dans une entreprise de construction et d’évolution du savoir. Ils sont diplômés, spécialisés, travaillent dans des équipes de recherche, etc. Ils ont des espaces de discussion, ils organisent des conférences, des colloques, des sommets. Ils ont des journaux spécialisés, avec des dispositifs de relecture (peer- reviews), d’évaluation, d’appréciation, etc. C’est une communauté très active. Ils parviennent à dégager des consensus. Et ces derniers sont toujours susceptibles d’évoluer en fonction de nouvelles découvertes, d’évènements en rapport, en l’occurrence, avec le climat, etc. C’est un domaine fascinant mais ce débat n’est pas nécessairement accessible aux simples citoyens qui ne sont pas nécessairement compétents pour s’exprimer en connaissance de cause sur ces sujets. Il y a donc des consensus importants sur la réalité du changement climatique, sur le fait qu’il est causé au moins partiellement par l’homme, sur l’érosion de la biodiversité, sur la rapidité et la dangerosité de ce phénomène, etc. Même si ces consensus peuvent évoluer, le plus sage est de les considérer comme acquis et d’agir en conséquence. b. Le débat démocratique : les sociétés démocratiques sont constituées de citoyens et chacun d’entre eux a le droit de participer au débat sur les grandes orientations et choix de société. Tout le monde a le même droit de participer à ce débat et chacun est égal. Une voix égale une voix. Que vous soyez diplômé ou pas ne change rien : un grand scientifique n’a pas plus le droit de faire des choix de valeur sur la société qu’une personne de condition modeste sans qualification particulière. Ce débat est important car, quand on fait des choix politiques, il faut arbitrer entre des valeurs (sécurité/prospérité, liberté/égalité, précaution/innovation, etc.) qui, tout en étant complémentaires, peuvent parfois s’opposer. C’est la démocratie qui, par ses mécanismes (débat citoyen dans des réunions, dans la presse, etc. ; élections, débat parlementaire, concertation, débat dans les conseils de ministre, etc.), permet de trancher. 4. Entre ces positions écologiques (plus nombreuses que deux comme on l’a dit), il y a des débats car les théories que les partisans de ces positions avancent sur la manière d’utiliser les ressources, sur les choix économiques, sur les choix démographiques, sur les 38 choix de politiques sociales et environnementales, etc. ; ces théories donc sont controversées. Ainsi, les partisans de la sobriété écologique contestent partiellement ou totalement la validité de la courbe de Kuznets ou la possibilité pour nos sociétés de réussir le découplage. Alors que les éco-modernistes estiment généralement que la théorie de l’empreinte écologique n’a aucune validité scientifique car basée sur un calcul de surfaces terrestres alors même que la science et la technologie diminuent chaque jour, selon eux, la surface nécessaire à la production de biens vitaux. Pour ne donner que quelques exemples. Ces théories, qui font intervenir des éléments socio-économiques, ont certes un caractère scientifique mais il n’en demeure pas moins qu’elles sont fort débattues, tant entre les spécialistes qu’au niveau citoyen car elles entraînent des choix citoyens très concrets et sont donc un peu à mi-chemin entre le débat scientifique et démocratique. Et la frontière n’est pas toujours facile à tracer. 5. Il appartient aux étudiants de l’EPHEC, durant et après l’apprentissage attentif et approfondi de ce syllabus, de se documenter par eux-mêmes et de forger leur propre opinion. Dans la seconde partie de cet