Histoire Économique - 1913, 1939, 1945 - PDF
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Ce document décrit l'histoire économique du monde entre 1913 et 1945. Il analyse les tableaux géopolitiques de cette période, la domination de l'Europe et l'émergence des États-Unis et des pays de l'Union soviétique. Le document explore également la mondialisation, les révolutions agricole, scientifique et technique, et industrielle, ainsi que l'influence des transports sur la mobilité des populations européennes.
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THÈME N°1 : UN MONDE ENTRE GUERRES ET CRISES CHAPITRE N°1 : TABLEAUX GÉOPOLITIQUES DU MONDE EN 1913, EN 1939 ET EN 1945 DOSSIER N°1 : TABLEAU GÉOPOLITIQUE DU MONDE EN 1913 En 1914 l'Europe est au centre de l'économie-monde, elle domine les autres continents économiquement...
THÈME N°1 : UN MONDE ENTRE GUERRES ET CRISES CHAPITRE N°1 : TABLEAUX GÉOPOLITIQUES DU MONDE EN 1913, EN 1939 ET EN 1945 DOSSIER N°1 : TABLEAU GÉOPOLITIQUE DU MONDE EN 1913 En 1914 l'Europe est au centre de l'économie-monde, elle domine les autres continents économiquement, politiquement mais aussi religieusement.. L'Exposition universelle de Paris, en 1900, étale à la vue du monde la toute-puissance de l'Europe. Les pavillons des pays européens multiplient les signes de leur puissance, la force de leurs armes, la productivité de leurs économies et le dynamisme de leurs technologies, tandis qu'en marge l'Exposition coloniale témoigne de la domination que ces nations exercent sur la quasi-totalité du monde. Consécutivement à la guerre, l'Europe, accumulant les difficultés, va être amenée à se poser la question de son rang dans la hiérarchie des puissances. L'Europe de l'Entre-deux-guerres, affaiblie et divisée, n'est en effet plus que l'ombre de celle d'avant 1914, et sa puissance est interrogée par la montée en puissance des États-Unis et de l'Union soviétique. Il s'agit donc de comprendre comment, de choc en crise, les divisions internes de l'Europe ont transféré à d'autres régions les instruments de la puissance. I) L'Europe domine la processus de mondialisation des années 1880-1914 : La mondialisation est, selon Suzanne Berger, « la série de mutations dans l’économie internationale qui [tend] à créer un seul marché mondial pour les biens et services, le travail et le capital ». Il s’agit donc à la fois d’un concept et d’un processus. Selon Jacques Adda, la mondialisation serait ainsi née avec le capitalisme marchand puis industriel et enfin financier qui a progressivement diffusé son influence et son emprise à la surface du globe à partir du foyer européen. Cette dynamique historique et géographique apparaît, selon lui, au 15ème siècle avec « les grandes découvertes » et traverse des phases successives de développement jusqu’à nos jours où se produirait selon Michel Beaud, « le basculement du monde », c’est-à-dire le passage à un monde désormais sous « l’empire renforcé de la marchandise, de l’argent, de l’économie ». Selon Laurent Carroué, la période 1880- 1914 serait la principale d’entre elles, la « seconde vague », après celle des 15ème – 16ème siècles, qui annoncerait celle des années 1980-2000. A) L'Europe est la première à connaître une quadruple révolution agricole, scientifique et technique, industrielle et une révolution des transports. On doit à l'économiste américain W.W. Rostow (7 octobre 1916 - 13 février 2003 ; il a été conseiller spécial de la Maison Blanche de 1961 à 1968) une vision extrêmement linéaire et discutée du développement en cinq grandes étapes des sociétés industrielles (énoncée dans « Les étapes de la croissance économique » 1960). Selon Rostow: tour à tour les pays ouest-européens auraient connu une période d’une ou deux décennies où, avec un taux d’investissement de 5 à 10% du revenu national et sous l’impulsion de quelques secteurs pionniers, l’ensemble de l’économie s’arrache aux blocages qui l’entravaient. Le take-off marque un tournant décisif en ce sens qu’il débouche sur la croissance auto-entretenue ou self sustained growth (la croissance appelle ou génère la croissance). Ainsi, la Grande-Bretagne décollerait la première entre 1783 et 1802, suivie de la France (1830-1860), des Etats-Unis (1845-1860), de l’Allemagne (1850-1870), puis plus tard du Japon et de la Russie. L'historien Paul Bairoch distingue quatre groupes de pays en Europe en fonction de la date à laquelle s'amorce le décollage. L'industrialisation précoce concerne deux petits pays, la Belgique et la Suisse, qui, vers 1820, sont les plus industrialisés après l'Angleterre, ainsi 1 que la France, avec un retard lié aux perturbations de la Révolution et aux guerres d'Empire. Le deuxième groupe comprend l'Allemagne et une partie de l'Empire austro-hongrois. L'industrialisation qui s'amorce ente 1840 et 1860 coïncide avec l'essor du chemin de fer et accorde d'emblée une large place à l'industrie lourde. Dans le troisième groupe, Suède, Espagne, Italie et Russie, l'industrialisation s'amorce avec retard entre 1870 et 1890. Chaque pays a sa spécificité l'appel massif aux capitaux étrangers pour la Russie ; le développement des industries légères et notamment du textile pour l'Italie, pauvre en charbon et en fer; l'importance au contraire de la sidérurgie pour la Suède, riche en fer, et sa spécialisation précoce dans des secteurs spécifiques comme le téléphone ou les allumettes... Le dernier groupe concerne les pays qui ne se sont pas industrialisés au 19 siècle: Irlande, Norvège, Danemark, Portugal, Grèce et pays balkaniques, Finlande, Pologne, etc. Cet ensemble de pays en retard ne représente cependant que 10 % de la population européenne. En un siècle, la révolution industrielle partie d'Angleterre s'est donc étendue à presque toute l'Europe. Un fossé s'est donc creusé entre elle et le reste du monde exploité par les puissances européennes qui augmentent ainsi leur avance. Elle est le siège de l'innovation technologique, du cinéma à l'automobile, en passant par les innombrables innovations de procédé dans la sidérurgie, le chemin de fer, la machine à vapeur. De même, l'Europe est l'unique siège de l'innovation scientifique, ou peu s'en faut. Sur 62 prix Nobel attribués entre 1901 (le premier) et 1914, 59 sont décernés à des Européens. Cette domination s'étend de même dans le domaine de la culture, Paris, Londres ou les universités allemandes étant les points de passage obligé de tous les intellectuels du monde. 2 B) La « révolution des transports » et le progrès des communications accélèrent l'extrême mobilité des populations européennes et conduit à une certaine européanisation du monde. À la fin du 19ème siècle les flux migratoires prennent une ampleur inégalée... Dans les années 1880- 1914, les migrations des Anglo-Saxons, des Allemands, des Scandinaves s'accélèrent vers les Etats-Unis (les Etats-Unis accueillent les 2/3 des migrants, qui sont attirés par l’immensité du pays, sa forte croissance, sa réputation de liberté), le Canada, l'Argentine, le Brésil, l'Australie, la Nouvelle- Zélande... Des pays perdent, comme la Suède ou l'Irlande, jusqu'à 10 % de leur population par décennie. Malgré la perte de quelque 50 millions d’habitants au cours du siècle (entre 1840 et 1913 dont les ¾ après 1880) du fait de l’émigration (qui explique en partie la croissance démographique du continent américain), l’Europe renforce son poids humain et regroupe en 1900 le quart de la population mondiale (27% en 1914 (soit 450 millions d’habitants) contre 19% en 1800). L’émigration permet à l’Europe de répandre ses croyances, ses langues, ses valeurs, ses techniques et de s’affirmer comme un modèle de civilisation à l’échelle mondiale. C) Un système commercial centré sur l'Europe. L'Europe constitue le pivot de la première mondialisation industrielle. La « révolution des transports » et le progrès des communications ont permis l'établissement d'un vaste commerce international. Diverses innovations concourent à la mise en réseau des espaces nationaux et intercontinentaux : le télégraphe et le téléphone, le développement de la vapeur, le percement des grands canaux (Suez est réalisé en 1869 construit par le Français Ferdinand de Lesseps, suivi des canaux moins importants de Kiel en 1893 puis de Corinthe en 1895 et du 2ème grand canal transocéanique, Panama en 1914) la mise en place de câbles sous-marins pour le téléphone (A partir des années 1880, les câbles télégraphiques terrestres et sous marins forment un véritable réseau mondial et permettent de transmettre instantanément des informations [pour plus de précision… Après la pose du 1er câble transocéanique reliant l’Europe et l’Amérique du Nord en 1865 et la même année la création de l’Union télégraphique internationale, l’extension du réseau est très rapide : en moins de 50 ans, le réseau mondial des câbles télégraphiques terrestres et sous marins est porté à 450 000 km.]. Ce sont les grandes puissances européennes qui dominent ces réseaux. Le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne possèdent respectivement 60%, 9%, 7% des câbles télégraphiques sous-marins.), les réseaux nationaux et internationaux de chemins de fer, les grandes lignes de navigation à vapeur. Le contrôle du commerce est alors avant tout le contrôle de ses voies, marine marchande (83% de pavillons européens) et chemins de fer, construits à l'aide des techniques et surtout des capitaux européens. La baisse continue du prix du coût du fret, qui fait qu’en dépit des distances et des barrières douanières, l’importation de produits étrangers reste très intéressante, et la diversification des flottes qui rend possible le transport de nouvelles marchandises [pour plus de précision… suite à la construction de navires frigorifiques le Royaume- Uni organise l’importation de viande congelée d’Argentine et la compagnie Shell crée la première flotte pétrolière à vapeur] expliquent l’accroissement considérable du commerce transocéanique dominé par les Européens et surtout les Anglais. Après une période de ralentissement lors de la Grande Dépression, le commerce international reprend en effet son essor dans les années 1896-1914. Le taux d'ouverture des pays industrialisés est exceptionnel avec un taux d'exportation (15 %) qui ne sera retrouvé que dans les années 1990. Le protectionnisme de la fin du siècle est en effet plus souple qu’au début de l’industrialisation et jusqu’en 1914 n’a pas entraîné de contraction du commerce (multiplication des traités bilatéraux). En effet, les échanges internationaux sont multipliés par 3 de 1880 à 1914. Le décalage des degrés 3 d’industrialisation des pays favorise les échanges. Les grandes puissances industrielles font entrer librement les matières premières dont elles ont besoin et les pays neufs qui les leur vendent importent sans taxation les biens d’équipements nécessaires à leur industrialisation et les produits finis qu’ils ne sont pas encore en état de fabriquer. Selon Paul Bairoch, le taux d’exportation britannique atteint 18% à la veille de la 1ère guerre mondiale ; en France comme en Allemagne, il est de 15%, de 12% au Japon et seulement de 6% aux Etats-Unis et en Russie. Jusqu’à 1913, les produits primaires représentent environ deux tiers des échanges mondiaux de marchandises, les produits manufacturés ne représentent donc qu’un tiers des échanges. Les pays industriels d’Europe du Nord et de l’Ouest assurent les ¾ des échanges mondiaux de produits manufacturés mais également le 1/3 de ceux de produits primaires. Les pays industrialisés sont les principaux exportateurs de produits primaires et les principaux importateurs de produits manufacturés. L’échange entre pays peu développés, exportateurs de produits primaires, et pays avancés, exportateurs de produits manufacturés, caractérisant le modèle de la DIT traditionnelle ne représente en effet qu’un peu moins de 20 % du commerce mondial à la fin du 19ème siècle. Pour les produits agricoles non alimentaires, essentiellement le coton, les pays industrialisés sont dépendants des pays d’outre-mer, mais pour les produits alimentaires, le commerce est surtout intra- européen. Progressivement, de nouveau pays comme les Etats-Unis, le Canada, puis l’Argentine rejoignent le rang des pays exportateurs de produits alimentaires. En ce qui concerne les produits minéraux comme le charbon, le commerce est aussi surtout intra-européen. Le charbon représente 10% des exportations britanniques en 1913 ; la France est, quant à elle, un gros importateur de ce produit. Quant aux produits manufacturés, si les pays industrialisés en sont pratiquement les seuls exportateurs (environ 50% des exportations de la France et de l’Allemagne et 80% des exportations de la Grande-Bretagne entre 1870 et 1913), ils en sont aussi les principaux importateurs. Les flux démontrent donc la pertinence du centre européen. 40% des échanges européens sont internes (échanges intrazones). Jusqu’en 1914, le poids de l’Europe dans les échanges mondiaux reste prépondérant : 60% en 1913. Les pays industriels d’Europe continentale échangent d’abord entre eux (80% de leurs échanges). La Grande-Bretagne (15% du commerce mondial en 1913), échange à hauteur de 45% avec l’Europe continentale et les Etats-Unis. Ceux-ci échangent prioritairement avec l’Europe occidentale. Le commerce Russe est largement centré sur l’Europe (notamment l’Allemagne). Quant au Japon, près de la moitié de son commerce est orientée vers l’Asie, le reste vers l’Europe et les Etats-Unis. Les échanges sont donc inégaux avec le reste du monde ou la périphérie de l’Europe illustrant l'immense surcroît de productivité des puissances industrielles européennes sur leurs concurrents. L'Europe exporte des produits à forte valeur ajoutée contre des produits bruts et elle décourage fréquemment le développement industriel en pratiquant le dumping ou en imposant le pacte colonial. C) A partir des pays européens et notamment de la Grande-Bretagne rayonnent les réseaux financiers. Les pays les plus anciennement industrialisés sont à l’origine de l’industrialisation du reste de l’Europe puis le capitalisme européen se diffuse à tous les continents. Les banques et les bourses sont les vecteurs du développement de ce capitalisme international qui renforce le rayonnement des grands espaces financiers de Londres et Paris. La domination de l'Europe vient en effet principalement de sa richesse en capital, qui lui confère la puissance financière. L'or est alors un moyen de paiement internationalement accepté, et les pays européens détiennent 60% de l'or monnayé dans le monde. La suprématie de l’Europe occidentale est écrasante : Royaume-Uni, 4 France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas et Suisse réunis assurent 87 % de la totalité des investissements dans le monde, très loin devant les Etats-Unis et le Japon. L’enrichissement de ces pays leur a permis de dégager des sommes d’épargne de plus en plus élevées et dès lors de les affecter sous forme d’investissements directs et d’investissements de portefeuille. Les emprunts étrangers offrent des taux d’intérêt plus élevés qu’en Europe et l’achat d’actions dans des sociétés étrangères est stimulé par la perspective de profits exceptionnels. De plus, l’exportation de capitaux répond aussi de préoccupations commerciales. Les pays européens doivent en effet se procurer les ressources nécessaires à leur développement industriel, satisfaire la demande de leurs consommateurs en produits exotiques et développer les infrastructures leur permettant d’importer et d’exporter. Ils sont par contre peu enclins à développer des industries qui concurrenceraient leurs productions. La répartition sectorielle des investissements et placements est particulièrement significative : les infrastructures de transport occupent la 1ère place suivies par les activités minières, les plantations et plus marginalement les industries et les entreprises de service. L’exportation des capitaux est donc un facteur essentiel dans la DIT et la hiérarchisation du système mondial au profit de centre européen. Au-delà des niveaux plus ou moins élevés de leurs investissements, les grands pays émetteurs de capitaux dans le monde se différencient par des préférences géographiques qui n’obéissent pas strictement à des logiques financières mais également à des intérêts géopolitiques. En 1913, les avoirs à l’étranger du Royaume-Uni représentent près de la moitié du total mondial. Le Royaume- Uni oriente près de la moitié de ses investissements vers les pays neufs et notamment vers ses colonies de peuplement (Canada, Australie et Nouvelle Zélande). Les capitaux britanniques ont afflué en masse aux Etats-Unis où ils représentent 60% du capital venu de l’étranger. La Livre sterling joue un rôle de monnaie internationale ; la majorité des transactions internationales sont libellées en livre. Deuxième exportateur de capitaux en 1913, la France a suivi une stratégie différente. La France concentre 30 % de ses placements en Europe de l’Est, la Russie drainant à elle seule le quart de l’épargne française investie à l’étranger. Troisième fournisseur mondial de capitaux en 1913, l’Allemagne occupe une place relativement modeste en raison du caractère beaucoup plus tardif de son développement. Cependant, cette troisième place est due à un accroissement annuel spectaculaire de ces capitaux exportés de la fin du 19ème à 1913. Complément : L'économie britannique, une économie-monde au 19ème siècle. Selon les termes de Fernand Braudel (1902-1985), dans « Civilisation matérielle, économie et capitalisme » (1972), « une économie-monde est un fragment de l’univers économiquement autonome. Il est capable pour l’essentiel de se suffire à lui-même et ses liaisons et ses échanges internes lui confèrent une certaine unité organique ». Il revient à Fernand Braudel et à Immanuel Wallerstein d'avoir réfléchi sur le concept d'économie-monde, défini par trois caractéristiques essentielles : - c'est un espace délimité par une frontière et structuré par un centre rayonnant, une « ville- monde»; - une série de relais hiérarchisés facilitent la communication et les échanges du centre vers la périphérie ; - l'espace ainsi délimité est hétérogène, composé de zones polarisées positivement et d'autres en retard. Pour accéder à ce stade de la domination, trois conditions doivent être remplies : - acquérir un monopole durable dans une technologie majeure, - disposer de capitaux abondants pour financer les branches motrices, 5 - bénéficier d'un groupe social dominant, modèle pour les autres classes sociales. Une économie-monde anglaise, La primauté britannique repose d'abord sur sa capacité à maîtriser des flux: flux humains (un tiers des 50 millions de migrants européens partis entre 1850 et 1914 sont originaires des îles Britanniques) ; flux économiques avec l'adoption du libre-échange en 1846 ; flux financiers avec le sterling, liquidité internationale ; flux technologiques. La primauté britannique débouche sur la constitution d'un Empire colonial d'une taille planétaire. L'impérialisme devient ainsi l'idéologie de l'économie-monde britannique. Les fluctuations conjoncturelles de l'économie anglaise se reflètent dans les autres pays. L'Angleterre dispose donc encore à la veille de la Première Guerre mondiale d'atouts : une livre, seule liquidité internationale, non concurrencée par d'autres monnaies ; la City de Londres qui est le coeur financier névralgique de la planète ; des entreprises géantes dans le domaine des pétroles et de la chimie ; un empire colonial, une flotte militaire équivalente par son tonnage à celui des deuxième et troisième marines mondiales. II) La colonisation et l’impérialisme conduisent à l’assujettissement des mondes extra- européens. A). Au terme d'une longue évolution, l'Europe a établi des relations dissymétriques avec le reste du monde. Le colonialisme illustre de manière remarquable les phénomènes de domination de la fin du XIXème siècle et du début du 20ème siècle. Une dizaine de pays contrôle l'essentiel du monde. Entre 1870 et 1914, la colonisation s’accélère. De nouvelles puisances coloniales interviennent (Italie, Belgique, Allemagne, Japon et Etats-Unis). La Grande-Bretagne et la France intensifient leurs conquêtes. « Prendre le plus possible sans savoir ce qu’on en fera, par précaution, prendre ce que les autres veulent, le prendre parce qu’ils le veulent et pour qu’ils ne l’aient pas » Victor Bérard (homme politique français ; 1864-1931). Ce n'est pas seulement par l'exploitation des ressources naturelles que les zones colonisées sont en situation de dépendance. Les relations humaines sont également bloquées, les infrastructures sont maintenues par les métropoles au niveau le plus bas et surtout les attitudes d'acculturation font des ravages. Armées et flottes européennes s'imposent sur tous les continents et les océans. Précision de vocabulaire : L’impérialisme peut se définir comme l’imposition par la force à des peuples ou des Etats de rapports inégaux (Girault, 1979). Tendance d’un Etat à établir des relations de domination sur une autre région. Il se distingue ainsi du colonialisme qu’il englobe. L’impérialisme est souvent lié à la conquête coloniale mais peut exister indépendamment de la mainmise politique et militaire. L’interprétation économique de la colonisation fut défendue par l’historien Charles-André Julien (L’impérialisme colonial et les rivalités internationales, 1947) : « l’impérialisme colonial est une des formes de l’impérialisme économique. Cet impérialisme est proprement économique parce qu’il tire ses raisons profondes non pas d’intérêts politiques mais d’intérêts économiques ». Mais d’autres auteurs comme Raymond Aron (Paix et guerre entre les nations, 1962) soulignent que la motivation de puissance est hétérogène et donc non réductible à des motifs économiques ou à la « maximisation des ressources ». Il fonde sa théorie des relations internationales sur ce qu’il appelle « l’indétermination de la conduite diplomatico-stratégique » ou comme l’exprime William Langer (The Diplomacy of Imperialism, 1935) : « l’ambition de grandeur et de gloire qui animait les gouvernements a pesé davantage sur le cours des évènements que l’influence plus ou moins camouflée des sociétés anonymes ». 6 La colonisation se traduit par la conquête d’un ou de plusieurs territoires par une puissance étrangère qui soumet les populations autochtones à son autorité. C'est un corps de doctrines visant à justifier cette expansion, cette justification reposant sur le double pilier de la religion (« apporter les lumières de la foi aux peuples égarés »), et de l'oeuvre civilisatrice (« apporter les bienfaits de la civilisation à des peuples arriérés »). Le colonialisme est une doctrine légitimant la conquête puis la domination économique et politique d’un pays par un autre pays. 1) La puissance coloniale britannique. L'empire britannique, « sur lequel le soleil ne se couche jamais », couvre, à la veille de la Grande Guerre, 33 millions de km2 et compte 450 millions d'habitants. Il est présent sur tous les continents, contrôlant des territoires très riches (Inde, Afrique du Sud), des comptoirs commerciaux (Hong- Kong), des points d'escale sur les grands axes maritimes et stratégiques (Gibraltar, Malte, Chypre, Aden, Zanzibar, Singapour). L'Inde, « perle de la couronne », sous domination britannique depuis 1763, est la pièce maîtresse de l'empire. En Extrême-Orient, l'Angleterre établit un protectorat sur Bornéo et les États malais et renforce sa présence dans le Pacifique en contrôlant les îles Fidji, Salomon, Gilbert. En Afrique, l'Angleterre participe activement au « Scramble for Africa », le partage du continent. En Afrique occidentale, partant des comptoirs du golfe de Guinée, elle colonise la Côte de l'Or, le Nigeria, le Sierra Leone. Mais la grande ambition britannique est de contrôler la partie orientale du continent, du Caire au Cap: la mainmise sur l'Égypte en 1882, la Somalie en 1884, le Kenya puis l'Ouganda en 1890, le Soudan en 1892 assurent aux Anglais la domination sur les pays du Nil et le Nord-Est africain. En 1889-1890, à l'initiative de Cecil Rhodes est fondée la Rhodésie. Enfin l'Afrique du Sud, après une lutte acharnée contre les Boers, devient entièrement anglaise en 1902. Cependant, la Belgique en s'installant au Congo et l'Allemagne au Tanganyika ont brisé le grand rêve de Cecil Rhodes, la liaison Le Cap-Le Caire. 7 b) L'empire français Au début du 20ème siècle, l'empire colonial français est le 2ème du monde : il couvre 11 millions de km2 et compte 40 millions d'habitants. Il est loin derrière l'empire britannique (30 millions de km2 et 450 millions d'habitants) mais loin devant les empires allemand, italien, portugais ou hollandais. La France contrôle la moitié de l'Afrique. En 1895, naît l'Afrique occidentale française qui regroupe Sénégal, Haute-Volta, Guinée, Côte-d'Ivoire et Dahomey et en 1900 le Niger et la Mauritanie. En 1910, le Tchad, les bassins du Congo et de l'Ogooué, le Gabon sont réunis dans l'Afrique équatoriale française. La France a établi une colonie de peuplement en Algérie et a réussi, contre l'Allemagne, a imposé son protectorat sur le Maroc (1911). En outre, la France a des points d'appui sur tous les continents : Amérique du Nord et du Sud (Saint-Pierre et Miquelon, Caraïbes, Guyane), Asie (5 comptoirs de l'Inde et Indochine) et dans tous les océans (sa marine de guerre est la 5ème du monde). c) Les empires secondaires Comparées à ces deux grands empires, les autres colonisations sont plus modestes. Tardivement partie dans le partage colonial, l'Allemagne acquiert quelques morceaux d'Afrique: le Togo, le Cameroun, le Sud-Ouest africain, le Tanganyika. Quant aux archipels acquis dans le Pacifique, Carolines, Bismarck, Mariannes, Marshall, ils sont stratégiquement de première importance. - L'État indépendant du Congo, créé par Léopold II en 1885, fabuleux réservoir de cuivre, échoit en 1907 à la Belgique et devient une riche colonie avec l'exploitation du minerai katangais. 8 - L'Italie, réduite à la portion congrue, doit se contenter en Afrique de l'Érythrée et de la Somalie (1890) et renoncer à l'Éthiopie après sa cuisante défaite d'Adoua en 1896. Elle a une faible compensation en 1912 en enlevant à l'Empire ottoman le Dodécanèse et la Tripolitaine. - Parmi les puissances extra-européennes, la seule à se tailler un véritable empire colonial est le Japon. Après une guerre contre la Chine en 1894-1895, par le traité de Shimonoseki, il acquiert Formose et la presqu'île de Liao-Toung avec la rade de Port-Arthur, presqu'île à laquelle il devra renoncer sous la pression de l'Allemagne et de la France. Dix ans plus tard, la victoire du Japon sur les Russes lui permet, par le traité de Portsmouth, de récupérer le Liao-Toung et les intérêts russes en Mandchourie. En 1910, le pays du Soleil Levant annexe la Corée sur laquelle il exerçait un protectorat commun avec la Chine depuis 1885. Il dispose désormais de l'espace, des terres agricoles et des ressources minières qui lui faisaient défaut. - Les États-Unis se lancent à leur tour, mais modestement, dans l'aventure coloniale en 1898, après leur victoire sur l'Espagne, ils lui achètent les Philippines et annexent les îles de Porto-Rico et de Guam. Les préoccupations stratégiques sont aussi au cœur de ce que les Américains appellent la « diplomatie du dollar ». Citoyens d'une ancienne colonie révoltée, ils rejettent l'impérialisme territorial et la colonisation de type européen mais privilégient l'impérialisme financier, jugé moins coûteux et plus efficace. Ils utilisent les investissements directs ou le contrôle du service de la dette pour placer sous leur influence les pays voisins d'Amérique centrale ou des Caraïbes. - Le cas de la Russie est particulier: son empire s'étend vers l'Extrême-Orient, l'Asie centrale et le Caucase, donc à sa périphérie. d) Les empires informels Les grandes puissances cherchent aussi à être présentes dans les deux empires qu'il est possible de dépecer mais dont la conquête est rendue impossible par l'immensité et par leurs rivalités : les Empires chinois et ottoman. La Chine, à la fin des années 1890, est la proie des puissances européennes, américaine et japonaise. Après la guerre sino japonaise commence le break up de l'empire du Milieu. Chaque puissance, après avoir obtenu des concessions territoriales dans les grands ports où elle exerce les pouvoirs économiques, juridictionnels, acquiert un territoire à bail où elle installe ses troupes, exploite les richesses, construit des usines, des voies ferrées. S'esquisse ainsi un partage en zones d'influence de la Chine où les États-Unis revendiquent l'égalité des droits, la « porte ouverte », et où les capitaux étrangers contribuent à l'exploitation. L'Empire ottoman est lui aussi la proie des appétits européens : l'Allemagne obtient de construire le chemin de fer de Berlin à Bagdad, le B.B.B., et de reconstruire l'armée du Sultan. Les Anglais contrôlent les douanes et les Français participent à la gestion des finances d'un État ainsi placé sous tutelle. B) Les logiques de la colonisation reflètent une volonté de figurer en tête dans la hiérarchie des puissances 1) La colonisation apporte un surcroît de puissance économique... (1) Les colonies fournissent des sources d'approvisionnement en matières premières agricoles, minières ou énergétiques dont le caractère parfois stratégique (charbon du Tonkin, hévéas de Malaisie, etc.) peut être un facteur de puissance pour les pays qui les possèdent. (2) Les colonies sont vues comme des débouchés (ou des antichambres Indochine et marché chinois) pour la production de puissances industrielles et elles sont d'autant plus importantes qu'elles constituent un marché captif en période de protectionnisme dominant (comme c'est le cas avant 9 1914). Jules Ferry le dit clairement (1885) : « La politique coloniale est fille de la politique industrielle…La question coloniale…c’est la question même des débouchés. Là où est la prédominance politique, là est également la prédominance des produits, la prédominance économique. » (3) Elles apportent un éventuel surcroît de puissance financière du fait d'une rentabilité des capitaux plus élevée qu'en Europe et de l'éventuelle mainmise sur des mines d'or bien utiles dans le cadre d'un Gold Standard (guerre des Boers conduite aussi en raison des mines d'or du Transvaal). Lénine, considère que le capitalisme, trop à l’étroit dans ses frontières, a besoin de s’expatrier ; l’exploitation de l’homme par l’homme est peu à peu remplacé par celle des nations par d’autres nations. Ainsi, l’impérialisme est « le stade suprême du capitalisme ». 2)... mais satisfait aussi d'autres logiques de puissance... (1) Des logiques géostratégiques et géopolitiques. Ce sont les rivalités entre puissances européennes qui généralisent la « solution coloniale ». Dans un climat de nationalismes virulents et de conflits récurrents, elles luttent pour accroître leur prestige et renforcer leur sécurité : détenir des colonies flatte l’orgueil national, procure des soldats (réserves humaines en cas de guerre: projet français d’une « Force noire ») et des points de relâche pour les flottes de guerre ou/et des points d’appui pour des routes maritimes ou terrestres (de Londres à Bombay, les Britanniques contrôlent les routes stratégiques des Indes tant par Le Cap que par le canal de Suez et la mer rouge). Il ne faut pas être distancé par d’autres puissances, c'est la course pour celui qui arrive le premier (« course au clocher colonial »). C’est le partage du monde. Le rôle des individus dans ce processus importe en effet beaucoup : à l’origine d’un établissement colonial, on a souvent l’initiative personnelle d’un officier (Faidherbe au Sénégal, Gallieni à Madagascar…), d’un explorateur (Liingstone dans le bassin du Congo), d’un homme d’affaires (Cecil Rhodes en Afrique australe)…la métropole les appuyant si les conditions sont réunies. En 1885, il y a eut un congrès à Berlin qui dit que lorsqu'on débarque sur une côte, on doit aller perpendiculairement à la côte, d'où le morcellement caractéristique des côtes africaines. La colonisation peut être également, pour le colonisateur un moyen de diminuer la pression démographique sur son territoire (colonies de peuplement ; en Asie, il s’agit de l’un des motifs de la colonisation japonaise). (2) Des logiques de puissance et de rayonnement culturels : Elles peuvent être illustrées à travers les formules suivantes : le « fardeau de l’homme blanc » selon Kipling (auteur du Livre de la jungle (1894)), le « devoir de civiliser les peuples inférieurs » selon J. ferry. Les Européens considèrent qu’ils ont un « devoir civilisateur » en Afrique ou en Asie et souhaitent exporter un modèle [messianisme (doctrine fondée sur l’attente et la préparation d’une ère nouvelle) républicain a priori assimilateur pour le cas français (L’assimilation vise à conduire à terme les peuples colonisés au niveau du colonisateur, à l’égalisation des droits et peut s’achever par une fusion complète entre les deux entités. L’association, reconnaissant la personnalité des peuples colonisés, conçoit l’empire comme un ensemble d’entités différentes (+ proche du cas anglais))].. Les préjugés nationalistes et racistes atteignent des extrêmes délirants. Léon Bloy (écrivain français ; 1846-1917) écrit : « La France est tellement la première des nations que toutes les autres, quelles qu’elles soient, doivent se sentir honorées d’être autorisée à manger le pain de ses chiens. Si seulement la France est heureuse, alors le reste du monde peut être satisfait même s’il doit payer pour le bonheur de la France le prix de l’esclavage et de la destruction. Mais si la France souffre alors Dieu lui-même souffre… ». Benjamin Disraeli, Premier Ministre de Sa Majesté la reine Victoria écrit : « il y a quelque 10 chose de mieux que les droits de l’homme, ce sont les droits des Anglais. ». Le racisme est ainsi un moteur de la colonisation. Le « darwinisme social » dans lequel baigne le second 19ème siècle affirme que les peuples de couleur étant par nature inférieurs aux Européens, ceux-ci ont le droit de les dominer. Il y a l’idée que l’impérialisme est nécessaire pour étendre la culture d’un pays. Les peuples conquis adoptent la langue, les coutumes, les modes de vie de la métropole. Ainsi, dans le discours colonial, la mission civilisatrice des nations européennes est un des arguments parmi les plus utilisés. Ce « devoir de civilisation » sert de couverture aux intérêts socio-économiques et aux mobiles politiques. Le ressort religieux ne peut être négligé : les missions catholiques et protestante sont aussi d’actifs agents de la colonisation. L’Eglise accepte l’œuvre coloniale au nom du devoir d’évangélisation, s’appuie sur les militaires, les négociants, les gouvernements qui tirent eux-mêmes parti des activités missionnaires. Le clergé diffuse la scolarisation, la médicalisation, l’hygiène mais n’exerce pas toujours une action modératrice… Les missionnaires chrétiens entendent « sauver des âmes », évangéliser avant le concurrent, catholique ou protestant selon le cas. (3) Des logiques de volonté de puissance confortant une cohésion nationale au nom d’un grand dessein : la politique britannique du « grand large » confortant un sentiment de supériorité (jingoïsme : terme anglais synonyme de chauvinisme patriotique), la Weltpolitik d’une Allemagne à l’unité nationale récente (le pangermanisme), la fin d’un complexe d’infériorité justifiant les ambitions italiennes, le chauvinisme français. La IIIème République naissante veut effacer l'humiliation de la perte de l'Alsace-Lorraine par la conquête coloniale et par la mise en valeur des colonies : « l'Empire a fait perdre des provinces, la République, elle, fait gagner des territoires à la France». C) Le processus de colonisation et l’impérialisme financier ont effectivement apporté un surcroit de puissance... 1) La gestion des colonies s'est faite dans une logique de puissance... (1) L'esprit du « pacte colonial » (héritage de l'ancienne « règle de l'exclusive ») domine la gestion économique des colonies et consiste à en faire des marchés non concurrentiels et réservés aux métropoles d'où l'absence d'industrialisation massive. (2) Des espaces coloniaux façonnés par une logique de puissance: mise en place de lignes ferroviaires reliant les matières premières stratégiques aux grands ports exportateurs, implantation de bases militaires souvent maritimes (Singapour, Mers el-Kébir, etc.)… (3) La logique de puissance détermine la gestion humaine et politique des colonies : utilisation des élites indigènes comme simple relais de la domination européenne (jusque dans les protectorats ou les mandats), répressions brutales en cas de crise, maintien du travail forcé... (4) les investissements étrangers dans tous les secteurs (mines, agriculture, transports…) ont pour résultat de placer de manière très étroite l’économie de nombreux Etats sous la dépendance effective des puissances occidentales. Les groupes privés commerciaux, industriels et bancaires qui se développent et qui croissent, sont les vecteurs et les acteurs de l’impérialisme financier. Les rapports intenses tissés entre la politique et les affaires tendent à faire des intérêts économiques un élément nécessaire et permanent des influences politiques. La domination passe par l’endettement de certains pays. En effet, l’endettement constitue un puissant moyen pour mettre sous la tutelle des puissances dominantes des Etats faibles. Les entreprises européennes vendent aux gouvernements armes ou réseaux 11 ferrés, les gouvernements européens garantissant des emprunts aux montants inconsidérés au regard des ressources du pays, souscrits auprès des banques européennes ou placés en bourse à Paris ou à Londres. Les formes des engagements financiers au-dehors sont alors redoutables. Dettes à long terme et dettes à court terme des Etats méditerranéens, extrême-orientaux, latinos- américains renferment précisément tous les mécanismes d’exploitation et de domination. Les secondes dettes sont les parasites des premières. Les dettes à court terme interviennent, avec régularité, lorsque s’accumulent au même moment les échéances des services des dettes à long terme. L’Etat emprunteur (ottoman, grec, mexicain, chinois…) doit offrir des garanties matérielles à ses prêteurs. Celles-ci ne peuvent être que fiscales ou budgétaires. Une partie des ressources régulières du pays « aidé » est asservie et contrôlée par l’étranger. Une partie de sa souveraineté est ainsi mis en gage. Les degrés sont naturellement variables : versement de telle ressource fiscale aux banques qui prêtent ; organisation du prélèvement de certaines taxes par une administration regroupant des créanciers étrangers, administration que contrôlent les groupes bancaires européens ; livraison aux groupes bancaires de la production et de la vente de tabac, ou du commerce de l’opium ; présence permanente d’une commission internationale surveillant budget et trésorerie ; opération de « canonnières » si besoin est comme au Mexique, en Tunisie, en Egypte, au Maroc, au Vénézuela, en Chine, mais aussi au Japon. 2)... avec des résultats intéressants pour les métropoles européennes... (1) Les colonies ont servi la puissance et surtout la croissance économique de certains secteurs (ciment, métallurgie) et d'entreprises (Michelin, Unilever, etc.). (2) Les colonies ont favorisé le rayonnement culturel des métropoles: diffusion de la langue du colonisateur (qui devient alors langue impériale) et de systèmes de valeurs auprès de certaines élites indigènes devenant assimilationnistes. (3) Les colonies ont dans certains cas joué un rôle stratégique majeur: troupes indigènes dans les conflits mondiaux, intérêt stratégique pendant le conflit (canal de Suez coupant la route du pétrole à l'Allemagne, AOF et AEF premières bases territoriales de la France Libre). III. La domination européenne est menacée de l'intérieur et de l'extérieur "L'Europe deviendra-t-elle ce qu'elle est en réalité, c'est-à-dire: un petit cap du continent asiatique ? ou bien l'Europe restera-t-elle ce qu'elle paraît, c'est-à-dire: la partie précieuse de l'univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d'un vaste corps ? " Paul Valéry A. Le partage des marchés et du monde contribue à la montée des tensions entre les grandes puissances. (1-) Les rivalités commerciales restent vives, malgré la reprise de la croissance économique mondiale depuis 1906. La France et le Royaume-Uni se sentent menacés par la puissance montante de l'Allemagne mais comptent sur la puissance de leurs empires pour faire face. En 1913, l’Allemagne s’est hissé au deuxième rang des puissances commerciales, elle talonne désormais l’Angleterre. L’Allemagne dispose de puissantes sociétés de commerce et les exportateurs sont systématiquement soutenus par le réseau des banques allemandes à l’étranger, « la pieuvre germanique ». Ils bénéficient d’une nette supériorité technique dans des secteurs clés de la seconde révolution industrielle, en particulier le matériel électrique et les produits chimiques. Le système des cartels (plus de 350 cartels), développé à l’abri des barrières douanières, permet d’accumuler les profits sur le marché allemand pour vendre en recourant au dumping (pratique commerciale 12 consistant à vendre un produit à un prix inférieur à son coût de production), à l’exportation. Comme pour la Chine aujourd’hui, les contemporains ont eu l’impression d’une invasion irrésistible des produits germaniques un peu partout dans le monde. Chaque branche est aussi dominée par quelques Konzern, entreprises géantes, généralement deux ou trois, à l’image de la sidérurgie : Krupp, Thyssen et Stinnes. L’industrie allemande associe puissance et modernité : elle s’appuie sur une réputation de fiabilité et de qualité (le « made in Germany »). Les Français s’inquiètent de cette montée en puissance qui surclasse leur propre industrie. Les handicaps sont nombreux : la pénurie de charbon, la faiblesse du soutien bancaire, la prudence des épargnants qui préfèrent aux actions des placements réputés sûrs comme les titres d’État, la prédominance des PME, le manque de dynamisme de la demande interne issue de la stagnation démographique et du goût excessif pour l’épargne… Si quelques branches sont dynamiques (production d’aluminium, contruction automobile, industries du luxe), d’autres sont insuffisantes (production d’acier, de machines outils…). (2-) Aucune puissance ne se voit au début du 20ème siècle sans colonies: On peut évoquer le cas des puissances politico-économiques émergentes comme le Japon et l'Allemagne voulant se doter rapidement d'un empire ainsi que le débat aux États-Unis entre colonialistes et impérialistes après la guerre de 1898 contre l'Espagne à propos des Philippines (annexion des îles Hawaï, acquisition des Philippines, de Guam, de Porto Rico). En 1914, l'Allemagne est la 2ème puissance économique mondiale. Il existe une disproportion manifeste entre sa puissance économique et la part qu’elle a obtenue dans le partage du monde entre les grands pays impérialistes. La volonté allemande de remettre en cause ce partage a sans aucun doute contribué à la montée des tensions internationales. (3-) Cette colonisation est source de rivalités et de tensions croissantes entre puissances au début du 20ème siècle: « grand jeu » anglo-russe en Asie centrale, crises franco-allemandes au Maroc et tensions franco-britanniques (Siam, madagascar, Egypte). Les deux crises marocaines qui opposent la France et l’Allemagne en 1905 (discours de Guillaume II à Tanger en faveur de l’indépendance marocaine) puis en 1911 (envoi d’une canonnière (petit navire de guerre) à Agadir), ont été essentielles dans la dégradation du climat international en un temps où la course au clocher se terminait. En voulant isoler la France, Guillaume II obtient l’effet inverse ; il renforce l’Entente cordiale France-Angleterre. L’accord de 1904 met en effet fin aux différends coloniaux entre les deux pays par une sorte de troc : l’Angleterre, en échange de sa liberté d’action en Egypte, reconnaît celle de la France au Maroc. Le danger allemand a ainsi transformé rapidement ce qui n’était qu’un arrangement colonial en une entente qui semblait jusque-là totalement exclue. La tension entre le France et l’Allemagne est apaisée par un accord de compensation : la France a les mains libres au Maroc contre la cession d’un morceau du Congo à l’Allemagne. Les rivalités coloniales, apaisées entre la France, la Grande-Bretagne et la Russie, sont un des facteurs de la marche à la guerre entre l'Allemagne et les pays de l'Entente. (4-) Ces tensions coloniales peuvent favoriser les courses aux armements et les spasmes nationalistes mais elles ne débouchent pas sur des guerres (Fachoda, Agadir) ni a fortiori sur la Première Guerre mondiale aux origines d'abord européennes. La crise de Fachoda (juillet 1898 – mars 1899) découle de la rivalité entre les projets de la France (l’axe Atlantique-mer rouge) et du Royaume-Uni (l’axe du Cap au Caire) et de la rencontre dans la région du Haut-Nil entre la mission française dirigée par le commandant Marchand et le corps expéditionnaire britannique sous les ordres du général Kitchener. Des deux côtés de de la Manche, les opinions publiques se livrent à 13 une surenchère nationaliste, donnant l’impression d’une tension internationale extrême à laquelle les deux gouvernements respectifs ont eu la sagesse de ne pas répondre. Le dynamisme européen est donc miné par les contradictions d'intérêts mêlés aux antagonismes nationaux décuplés par la puissance industrielle. La concurrence sur les investissements les plus rentables est rude, comme le chemin de fer iraquien, et les ambitions coloniales s'affrontent, au Maroc comme en Chine. Cependant, cette rivalité ne débouche pas directement sur le conflit armé. La Première Guerre mondiale procède en effet d'un conflit entre nations désirant participer à cette puissance. L'Autriche-Hongrie est en marge de cette expansion, prise dans les conflits de nationalités, et la Russie cherche vainement un accès aux mers chaudes qui lui permettrait d'accéder aux réseaux commerciaux internationaux. Ce décalage entre la puissance militaire et la puissance économique explique l'apparente machine infernale qui conduit à la guerre. Celle-ci, en définitive, est mondiale avant tout parce qu'elle implique les principaux pays européens. B. La prééminence du modèle européen commence à susciter des réactions diverses d'imitation et de rejet. Le modèle européen a été copié et dépassé par les Etats-Unis qui sont devenus la première puissance industrielle : un tiers de la production industrielle mondiale en valeur en 1913. Première puissance industrielle mondiale, les Etats-Unis sont aussi la première puissance agricole. Au début du 20ème siècle, les Etats-Unis prennent le relais de la Grande-Bretagne. Ils atteignent la quatrième étape du développement, l'étape de la maturité technologique définie par Rostow comme « une période au cours de laquelle une société a effectivement appliqué l'ensemble de la technologie moderne à l'ensemble de ses ressources ». Ils connaissent pour la période 1894-1913 un taux de croissance annuel du PNB proche de 4%. Aux richesse naturelles s’ajoute le dynamisme démographique : la population double entre 1880 et 1915 pour atteindre 100 millions d’habitants. Cette croissance provient pour 70% de l’excédent naturel et pour 30% de l’entrée massive d’immigrants. L’immigration joue un rôle essentiel dans le dynamisme : augmentation simultanée de l’offre de travail (avec des perspectives quasi-illimitées au fur et à mesure du recul de la « frontière ») et de la demande solvable. La croissance américaine s’avère nettement plus intensive qu’en Europe. Ce fait s’explique par des taux d’investissement élevés en équipements industriels, par la mécanisation précoce et beaucoup plus étendue de nombreux secteurs (notamment agricole), et parallèlement par l’ampleur des processus de rationalisation de la production : les industriels américains sont les pionniers dans la mise au point des pièces standardisées et dans l’intensification de la division du travail (Tayloro-fordisme). La modernisation rapide de l’industrie nord-américaine, associée à l’ampleur du marché intérieur, explique pour partie la croissance spectaculaire des firmes et des flux de concentration. En 1900, les trusts contrôlent la majeure partie de l'industrie américaine, la moitié du textile mais plus des quatre cinquièmes de la chimie et de la sidérurgie. La Standard Oil de Rockefeller détient, à la fin du 19ème siècle, un quasi-monopole de l'industrie pétrolière des États- Unis. La période est celle des « Rois » - souvent des Self Made Man : Carnegie roi de l'acier, Dupont de Nemours roi de la chimie, Morgan roi de la banque, Rockfeller roi du pétrole, Vanderbilt roi des chemins de fer...L’expansion des grandes sociétés procède par intégration verticale : la concentration est dite verticale quand elle regroupe des entreprises qui contrôlent toutes les étapes du processus de production, de la matière au produit fini, sur le modèle du trust créé par Rockfeller qui va « du puits à la pompe ». Les activités de la Carnegie Steel Company, par exemple, s’étendent depuis l’extraction du charbon et du minerai de fer jusqu’aux constructions mécaniques, en passant par les hauts fourneaux. A la veille de la 1ère Guerre mondiale, sans exercer de leadership politique et financier, les Etats-Unis dominent incontestablement en matière de développement industriel et 14 sont largement en avance sur la voie vers « la consommation de masse ». Leur part dans les échanges internationaux ne cesse de progresser. De 10% dans les années 1870, elle est de l’ordre de 15% pour les années 1900-1913 ; seules l’Angleterre et l’Allemagne font mieux. Dès 1894, le commerce extérieur américain est excédentaire. Malgré tout, le taux d’ouverture de l’économie américaine demeure faible en raison du fait qu’ils sont les champions du protectionnisme (tarifs McKinley (1890) – tarifs Dingley (1897)). Dès la présidence Roosevelt, intérêt politique et intérêts économiques se conjuguent : les milieux économiques ont besoin du gouvernement pour défendre leurs intérêts à l’étranger face aux rivaux européens détenteurs de colonies ou au Japon. La vieille « doctrine Monroe », qui réserve l’ »Amérique aux Américains » et interdit toute intervention européenne sur le continent américain, est réactivée face aux menaces commerciales et financières britanniques et allemandes en Amérique latine. Elle est désormais accompagnée du « corollaire Roosevelt » qui donne aux Etats-Unis un pouvoir de police sur tout le continent. Ils interviennent en 1905 en République dominicaine, prennent le contrôle des douanes dont une partie des recettes sert à rembourser une banque américaine qui avait éloigné les créanciers européens du marché dominicain en les remboursant. Par la suite, Cuba (1906), le Nicaragua (1912), le Mexique (1914), Haïti (1915) font l’objet d’interventions. Le gouvernement américain prend le contrôle de la zone de Panama où il fait construire le canal ouvert en 1914. Certains dominions britanniques se ferment à la pénétration économique et démographique européenne. Ils contestent également le monopole colonial au nom du principe libéral de la « Porte ouverte ». De plus certains dominions revendiquent une autonomie de plus en plus large. COMPLEMENT D’INFORMATIONS : A) LE TAYLORISME A ACCRU L’EFFICACITE DU TRAVAIL EN LE PARCELLISANT ET EN SEPARANT LA CONCEPTION DE L’EXECUTION... 1) Les observations de Taylor Frederick Taylor (1856-1915), ingénieur-conseil spécialiste d’organisation d’ateliers, oppose l’organisation scientifique du travail (OST) au travail empirique des ouvriers. Il cherche à̀ déterminer les causes de l’inefficacité́du travail et donc de la faible productivité́du travail. Taylor observe ainsi que, dans l'industrie, ce sont les ouvriers qualifiés qui ont une bonne partie du pouvoir car ils sont les seuls à maitriser les gestes techniques, les savoir-faire de leur profession et qu’ils en profitent pour choisir leur rythme de travail (évidemment un peu lent, du point de vue du patron...) et, donc, freiner la croissance de la productivité. Son souci est de limiter la « flânerie » des ouvriers due aux gestes mal ajustés, aux déplacements liés à la diversité des tâches à réaliser dans l’atelier, mais aussi à̀la résistance des ouvriers eux-mêmes qui, du fait de leur faibles salaires, n’ont guère intérêt à accélérer leur rythme de travail. 2) Les prescriptions de Taylor. F.W. Taylor est le père du taylorisme, méthode de production qui a pour but d’augmenter le rendement des ouvriers en appliquant l’organisation scientifique du travail. - Le premier principe est celui de la division verticale des tâches : cela consiste en la séparation du travail de conception éffectué par le bureau des méthodes (cols blancs) du travail d’exécution effectué par les ouvriers (cols bleus). En effet, les ingénieurs du « bureau des méthodes » sont chargés d’analyser et de préparer le travail et ce, par une démarche scientifique (d’où le terme d’organisation scientifique...): étude du poste, décomposition et simplification des gestes, attribution d’un temps d’exécution à chaque tâche élémentaire (c'est le « chronométrage »). Ils déterminent the one best way, la meilleure façon de faire : une suite de gestes productifs qui seront ensuite 15 enseignés aux travailleurs et dont ils ne devront pas s’écarter. « Les ouvriers ne sont pas là pour penser, il y a des gens payés pour ça. ». Ainsi, on transfert le savoir des mains du compagnon au cerveau des ingénieurs. « Tout travail intellectuel doit être enlevé à l’atelier pour être concentré dans les bureaux de planification et d’organisation. ». « The right man on the right place. » : le fameux Schmidt, manutentionnaire de gueuse de fonte, est un « ouvrier de premier ordre » (selon les termes de Taylor) pour deux raisons. D’une part, il possède les qualités physiques pour déplacer 48 tonnes de fonte par jour. D’autre part, il présente les qualités intellectuelles pour. Selon la formule qui a fait date, c’est un « homme bœuf » car, avec cet animal, il partage le flegme et la bêtise. - Le second principe est celui de la division horizontale des tâches (parcellisation): on attribue à chacun une tâche la plus élémentaire et la plus courte possible afin d’automatiser et d’accélérer les gestes. Exemples de tâches (ne pouvant être effectuées par les machines en raison du niveau technique de l’époque) : placer une vis, caler l’outil, changer la pièce... Cette parcellisation des tâches encore appelée «travail en miettes» par Georges Friedmann (sociologue français ; 1902-1977) exprime ce mouvement où chaque ouvrier se voit confier quelques tâches localisées et au terme duquel il perd la vision d’ensemble de l’acte productif. Cette décomposition en tâches parcellaires renvoie à l’idée d’aliénation – déjà dénoncée par Marx – à savoir la situation du travailleur (qui est dépossédé de ses moyens de production) et qui ne peut ni s’exprimer ni se réaliser dans l’acte productif en raison de la logique de rentabilité qui les transforme en appendice ou accessoire de la machine. - Le dernier principe est l’instauration d’un salaire aux pièces, salaire directement lié au rendement de chacun. A chaque tâche correspond un temps d’exécution, le chronomètre détermine l’écart par rapport à la cadence et donc le niveau de salaire. Ce système se fonde également sur des primes de productivité au travail afin de développer la motivation de l’ouvrier (le salaire devient ainsi la seule motivation d’un travail vidé de tout intérêt intrinsèque). Ce mode d'organisation du travail transforme les conditions de la production, en particulier en justifiant une concentration accrue de travailleurs dans un même lieu. B -... TANDIS QUE LE FORDISME A INTENSIFIE LE TRAVAIL PAR LE TRAVAIL A LA CHAÎNE ET A DEVELOPPE LA CONSOMMATION DE MASSE... Les apports de Ford au taylorisme. 1. Le principe de standardisation Il s’agit de réaliser en milieu industriel une production de grandes séries grâce à des pièces interchangeables et standardisées. L’accroissement de la production par l’amélioration de la productivité conduit également à l’abaissement des coûts unitaires de production et donc à la réalisation d’économies d’échelle. Suivant cette logique, la première voiture produite en grande série, la Ford T peut être commercialisée à un prix compétitif. Cela va conduire H. Ford à un célèbre adage suivant lequel « tout le monde aura une voiture de la couleur qu’il souhaite, pourvu qu’elle soit noire ». Le 1er octobre 1908, le rêve automobile réservé aux fils de bonne famille est à la portée des économies des Américains. Henri Ford présente officiellement sa Ford T (T comme Tin Lizzie – la petite Elisabeth en fer blanc) à un prix de 825 $. 2. Le travail à la chaîne Ford poursuit l’œuvre de Taylor en accentuant la division horizontale du travail. Il introduit très vite dans ses usines la mécanisation. Au sein des unités de production, la circulation des pièces assurée par un convoyeur assure une production à flux continu. Concrètement, le convoyeur est un tapis roulant qui circule devant les travailleurs à une vitesse qui leur permet de réaliser leur tâche. La mise en place du système mécanique de convoyage a lieu en 1913. Ford montre ainsi que l’OST prônée par Taylor est une arme d’avenir : en 1908, ses ouvriers mettaient 12 heures et huit minutes 16 pour assembler la Ford T ; en 1913, ils y arrivent en 2 heures et 35 minutes. Finalement, le travail à la chaîne a conduit à déposséder l’ouvrier du contrôle de son rythme de travail car la chaîne dicte désormais la cadence à suivre. 3. Le principe du « five dollars a day » A partir du 1er janvier 1914, Ford innove au niveau salarial en doublant quasiment les salaires de l’époque (entre 2 et 3 $) par l’instauration d’une rémunération journalière de cinq dollars par jour et en ramenant la durée du travail à huit heures. Face à une certaine instabilité ouvrière dans les usines, il s’agit alors de fidéliser les travailleurs par un système de rémunération attractif pour l’époque. En effet, en décembre 1912, le taux de turn-over était déjà de 48 %. L’introduction du travail à la chaîne n’allait pas améliorer la situation. Quelques mois après la décision du « five dollars day », de longues files d’attentes se forment devant les bureaux d’embauche de la Ford Motor Company, tandis que le taux de turn-over retombe à 6.4%. Le second objectif poursuivi par ce système de rémunération est de permettre aux ouvriers de pouvoir acquérir progressivement les voitures qu’ils produisent par l’élévation de leur pouvoir d’achat. Ainsi, la grande nouveauté apportée par le fordisme se situe dans la façon d'envisager la production et ses liens avec la consommation. Henry Ford considère qu'il est essentiel d'accroître le nombre de ses clients et pour cela, il y a deux moyens, d'une part diminuer le prix de vente de ses voitures, d'autre part, augmenter le revenu de ses ouvriers qui pourront ainsi devenir ses clients, en même temps qu'ils seront des travailleurs fidèles et motivés. C'est pourquoi le fordisme, c'est à la fois le travail à la chaîne qui va permettre d'abaisser le prix de vente, et la hausse des salaires qui vont permettre d'augmenter le pouvoir d'achat des salariés. On a là la base d'une logique productive très différente de celle du 19ème siècle et qui va dominer le 20ème siècle : c'est la logique de la production de masse (ou production en grande série) qui appelle une consommation de masse. Le fordisme s'est répandu dans les entreprises des pays industrialisés après la seconde guerre mondiale. L'apogée de ce système a ainsi coïncidé́ avec la période des "Trente glorieuses", c'est- à-dire la plus forte et la plus longue période de croissance de l'époque industrielle. C'est pourquoi on a souvent associé cette croissance avec cette organisation du travail en parlant de " croissance fordiste ". - Le modèle européen a été imité en même temps que récusé par le Japon, premier pays à s'être libéré de la tutelle occidentale. Entre 1868, début de l’ère Meiji (ère du progrès pour « faire briller la gloire de la nation au-delà des mers »), et 1914, le Japon passe du statut féodal et d’une société bloquées au rang de puissance émergente associant force militaire et modernité technique (la construction d’une force militaire est une priorité dès le lancement du Meiji et répond au slogan populaire : «Un pays riche et une armée forte »). Atypique en pleine ère libérale, la croissance japonaise est décrétée par l’empereur et pilotée par les pouvoirs publics pour conjurer l’appétit des grandes puissances. Paradoxalement, pour assurer son indépendance, le Japon se met à l’école de l’étranger mais préserve son autonomie financière et développe en réponse au défi extérieur un nationalisme orgueilleux et un esprit de conquête. En Europe et aux Etats-Unis, la transformation spectaculaire de ce pays endormi suscite des inquiétudes et nourrit le sentiment d’un « péril jaune ». En Asie les succès militaires du Japon (Corée (1876), Manchourie (1905), Formose (1895)…) favorisent l’éveil des nationalismes. Il ne faut pas non plus négliger la valeur symbolique de la défaite russe de 1905 (première victoire d’un peuple jaune sur un peuple blanc): une grande puissance européenne est vaincue par un pays asiatique, les Etats-Unis s'interposent pour régler la question ce qui évoque l'émergence de l'aire Pacifique, symboliquement encore !... 17 - A la veille de la Première Guerre mondiale, on constate la montée des nationalismes anti- européens. En Chine la révolution nationaliste de 1911 ; en Inde le Parti du Congrès revendique le Home Rule ; autour de la Méditerranée on assiste au début d'un renouveau islamiste à partir de l'Université du Caire, en Algérie les ulémas sont le ferment des premiers mouvements nationalistes. Néanmoins, le modèle européen reste dominant : dans de nombreux cas les élites indigènes jugent prématurée une indépendance totale risquant d'interrompre le processus de modernisation (Inde, Turquie). Conclusion : À la veille de la Première Guerre mondiale, comme le montre bien J.-C. Asselain dans son Histoire économique, De la révolution industrielle à la Première Guerre mondiale, l'emprise du capitalisme par le biais de l'« économie monde » européenne sur la planète est quasi totale. Malgré la montée en puissance des Etats-Unis et dans une bien moindre mesure du Japon, elle contrôle les deux tiers du commerce mondial. Son commerce est chroniquement déficitaire mais sa balance des paiements chroniquement excédentaire grâce aux revenus des invisibles et de la balance des capitaux. Le développement des empires coloniaux a favorisé l’apparition de systèmes de préférence impériale auxquels Américains et Japonais ont répondu en développant des sphères d’influence en Amérique Latine et en Asie. La Grande-Bretagne, quoiqu’en recul, demeure la 1ère nation commerciale mondiale en 1913 (15% du volume mondial contre 25% en 1880). Elle est talonnée par l’Allemagne qui est passée de 9% à 13%. Les Etats-Unis progressant de 4% à 9 %, ont dépassé la France reculant de 11% à 8%. L’Europe dispose ainsi des premières réserves monétaires mondiales (60% du stock d’or). Les pays européens ont pourtant abandonné la première place industrielle aux Etats-Unis. La Première Guerre mondiale débouchera en 1918 sur deux phénomènes majeurs : le transfert de l'hégémonie capitaliste mondiale de l'Europe occidentale aux États-Unis, et la révolution socialiste en Russie qui deviendra l'URSS en 1922, et se présentera comme un modèle alternatif au système dominant. DOSSIER N°2 : TABLEAU GÉOPOLITIQUE DU MONDE EN 1939. Durant les années vingt, les pays gèrent l’héritage de la guerre pour revenir, après 1925, à une reprise fragile rapidement interrompue par la crise de 1929 qui plonge les pays dans la dépression…Cette brièveté et ces ambiguïtés de la prospérité qui s'achève en 1929 montre que l'impact de la Première Guerre mondiale, par son caractère total, s'il n'a pas interrompu la conjoncture de croissance entamée en 1896, n'en a pas moins profondément déstabilisé les structures de l'économie mondiale. Les conséquences de la guerre semblent avoir rendu illusoire tout espoir d'un « retour à la normale » - les enjeux de ce retour à l'avant 1914 étant notamment l'orientation libérale des politiques économiques, les modèles économiques et sociaux nationaux et l'organisation et la régulation des échanges commerciaux et financiers par la puissance dominante britannique -. La Grande Guerre met en effet fin à un ordre au sein duquel était placé le Royaume- Uni. L'Europe voit sa production s'affaiblir au profit des États-Unis. La période de l’entre-deux- guerres est une transition difficile (malgré cette illusion d'un « retour à la normale » dans les années 1920) entre un mode de régulation qui fonctionne mal, celui du « monde classique » d’avant 1914, et un nouveau mode qui a du mal à se mettre en place, le « keynésiannisme », qui désigne une gestion de l’économie dans laquelle la place des mécanismes de marché est réduite au profit de l’intervention de l’Etat. 18 Jusqu'en 1914, le monde vivait sur le système de l'étalon or universel. Ce dernier ne résultait alors d'aucun accord international mais plutôt de l'adoption progressive par les pays du monométallisme or. Selon ses partisans, fidèles aux enseignements des théories du libéralisme économique classique, (18ème et 19ème siècle) le Gold Standard présentait l'avantage d'assurer une stabilité monétaire incomparable, elle-même facteur de croissance des échanges mondiaux, d'enrichissement général des nations, de diminution des tensions dans les rapports internationaux. Ruiné par la guerre 14-18, le système de l'étalon or nourrit une puissante nostalgie et se retrouve paré des vertus propres à tous les mythes de « l'âge d'or ». Le monde est désormais entré dans l'âge des désordres en dépit de toutes les tentatives de stabilisation. À l'instabilité monétaire et à la perte des repères traditionnels semble correspondre une instabilité globale des relations internationales. Tout au long de la période le problème monétaire, c'est-à-dire le problème des monnaies comme instruments de puissance économique, comme symbole de prestige international et de puissance politique, semble au cœur des turbulences d'un ordre mondial bouleversé. Il semble être à la fois un facteur décisif de la crise que traversent les relations internationales et un révélateur de celles-ci. I. Le problème monétaire au coeur des tensions et des perturbations de l'après- guerre. La guerre a entraîné de graves perturbations qui désorganisent l'équilibre monétaire et financier international. Elle ouvre une période d' «anarchie monétaire» elle-même facteur et amplificateur des dérèglements, des difficultés dans les relations internationales. A. Les conséquences de la guerre Par ses destructions matérielles et son coût financier, la Première Guerre mondiale déstabilise les économies européennes …et met les instruments de la puissance financière aux mains des États- Unis. Le coût matériel de la guerre pour les puissances européennes est considérable. D'une part, l'Europe est amputée de la Russie, soustraite au système politique de l'avant-guerre par la révolution communiste, qui en déplace la capitale de Saint-Petersbourg l'européenne à Moscou. D'autre part, les pertes humaines (Les combats ont fait entre 8 et 10 millions de morts et 6.5 millions d’invalides) et matérielles limitent les capacités de reconstruction. En France, un tiers de l'appareil productif a été détruit, le reste est à reconvertir et à moderniser. Le même phénomène touche l'Allemagne, dont l'économie souffre de la ponction représentée par les Réparations. L'entrée dans l'«ère de l'inflation». Pour financer leur gigantesque effort de guerre, les belligérants ont eu recours non seulement à l'emprunt, à l'impôt, à l'utilisation de la richesse nationale existante mais aussi à la création d'une richesse artificielle sous la forme d'une création monétaire aussi massive que dangereuse dans ses conséquences. La masse monétaire en circulation a été multipliée par 4,5 en France, 7,6 en Grande-Bretagne et 16 en Allemagne. L'instabilité et l'affaiblissement des changes. La suppression de la convertibilité en or des monnaies dès le début de la guerre a entraîné celle de la fixité des changes. Les monnaies européennes se déprécient. Le mark perd les 8/10ème de sa valeur entre 1914 et 1919. Le recul de la livre sterling et du Franc est masqué par des accords de soutien avec les États-Unis jusqu'en 1919. Les rapports de force traditionnels sont bouleversés. Avant 1914, la monnaie anglaise dominait le système monétaire international, les États-Unis restant dans la dépendance et le sillage de Londres. 19 Encore débiteurs en 1914, les États-Unis ont renforcé leur position. Ils sont désormais créanciers de la vieille Europe, ils ont maintenu la convertibilité du dollar en or (ils disposent de 40 % des réserves mondiales en 1920), ils ont augmenté de manière considérable leur revenu national (33 milliards de dollars en 1914 contre 72). Endettés, (emprunts intérieurs et extérieurs), les pays comme la France et la Grande-Bretagne ont perdu leurs cartes maîtresses ou une partie d'entre elles, celles qui leur permettaient de dominer le jeu : monnaies fortes et stables qui inspiraient confiance, endettement faible, réserves d'or, balance des paiements largement positive, et avoirs à l'étranger considérables. Cette nouvelle donne monétaire et financière est source de difficultés, facteur d'instabilité. B) Une modification des rapports de puissance entre nations : Face au déclin relatif de l’Europe, la rupture introduite par la création de l’Urss et l’affirmation des Etats-Unis sont les deux faits majeurs de l’après-guerre. 1. L'Europe en déclin : Le conflit a fait perdre à l’Europe sa suprématie - La Russie sort du monde capitaliste en grande partie du fait d'une crise économique et sociale qui met non seulement fin au tsarisme (révolution de février) mais aussi à une brève expérience libérale (« révolution » d'octobre). Complément : LA NAISSANCE DU COMMUNISME ENTRE REVOLUTIONS ET GUERRES. 1) La première Guerre mondiale, « cadeau fait à la Révolution » (Lénine) Le conflit se révèle rapidement désastreux pour la Russie. L’armée, la plus nombreuse (1 650 000 hommes) parmi toutes celles des belligérants, manque de moyens de transport, de grosse artillerie et même de fusils et de munitions. La défaite de Tannenberg en août 1914 et la retraite qui s'en suit, révèlent vite l’état d’impréparation des troupes et le manque de matériel. Les généraux russes réussissent cependant à maintenir leurs troupes dans une position défensive jusqu'en 1916. Pour tenir dans cette longue guerre d'usure la Russie doit trouver les ressources nécessaires à la poursuite des opérations militaires, au ravitaillement des villes, ainsi qu'à la mise en place d'une production exceptionnelle de matériel de guerre. La décomposition du système économique est ainsi accélérée par la nécessité de satisfaire les besoins de l’armée aux dépens des biens de consommation nécessaires à l’ « arrière ». Ainsi, la priorité donnée à la production d'armement et la réquisition des moyens de transport pour la circulation des troupes et du matériel de guerre ont des conséquences désastreuses pour la population, aggravées par l'arrivée de réfugiés venant des régions envahies… Les Russes sont en outre démunis face aux effets de l'inflation, conséquence du mode de financement de la guerre. Grèves (1 million de grévistes dès 1916), manifestations et bientôt mutineries sur le front se multiplient. Ce mouvement se nourrit aussi en profondeur du lourd et ancien contentieux entre le régime impérial et le peuple russe. L’inertie et l’incompétence du pouvoir conduisent les Russes à s’organiser eux-mêmes et à anticiper de fait la révolution. Le 27 février 1917 est un jour décisif : à Petrograd (nom russifié de Saint-Pétersbourg adopté en 1914), les troupes qui ont reçu l’ordre d’intervenir contre les manifestants (affamés auxquels se joignent les grévistes) se mutinent. Les grévistes et soldats mutinés élisent le « soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd. Le tsar Nicolas II est obligé d’abdiquer le 2 mars 1917 (il abdique au profit de son frère…qui refuse le trône…c’est la fin du tsarisme). 20 2) L'échec de l'évolution démocratique Libéraux et socialistes modérés forment un gouvernement provisoire annonçant une nouvelle ère de libertés tout en poursuivant la guerre. Il prend une série de décisions (proclamation du suffrage universel, du droit des peuples à l’autodétermination dont profitent immédiatement Polonais et Finlandais, fixation à janvier 1918 d’une assemblée constituante), mais laisse à la future assemblée le règlement des problèmes de fond et notamment la réforme agraire. Si la rupture avec l’autocratie est spectaculaire, les revendications immédiates des masses populaires russes, la terre, le pain, la paix ne sont donc pas satisfaites [Le peuple russe ne désire pas de nouveaux droits politiques. Le paysan rêve d'une distribution gratuite de la terre qui ne lui appartient pas et l'ouvrier d'un transfert à son profit des bénéfices des capitalistes. L'idéologie bourgeoise reposant sur le droit de propriété et l'inégalité sociale justifiée par l'égalité devant la loi n'a pas pénétré la société russe]. Des soviets locaux se multiplient dans tout le pays. Les paysans, en mai-juin 1917, lassés d'attendre, s'emparent des terres des grands domaines de l'Église orthodoxe et de la Couronne. Pour Lénine, rentré d'exil en avril 1917, les Bolcheviks doivent préparer une seconde révolution. Les « thèses d'avril » reprennent les revendications des soviets : paix immédiate, opposition absolue au gouvernement provisoire et à la république parlementaire, la terre mise à la disposition des soviets locaux, le contrôle ouvrier et le pouvoir aux soviets. Le gouvernement provisoire dirigé par Lvov puis par Kerenski est impuissant à dénouer la situation militaire (revers militaires en juillet), politique et sociale (révolte des paysans contre les grands propriétaires). Le 23 octobre 1917, Lénine fait adopter par le Comité central du parti bolchevik, réuni à Petrograd, la décision de renverser le gouvernement provisoire et de fixer l'insurrection au 25 octobre 1917. 3) La révolution d’octobre. Dans la soirée du 24 octobre 1917, les Gardes rouges s’emparent des points stratégiques : gares, ponts, centrales électriques, etc…. Le pouvoir est pris par une coalition de Bolcheviks, d'Anarchistes et de S.R. de gauche. Le 25 octobre au matin, le gouvernement est renversé. C'est le triomphe de la Révolution. Elle inaugure la 1ère expérience mondiale de l’économie planifiée socialiste. Le 26 octobre les délégués des soviets élisent aussitôt un nouveau gouvernement dominé par les Bolcheviks prenant le nom de « Conseil des Commissaires du peuple », présidé par Lénine avec Trotsky aux Affaires étrangères et Staline aux Nationalités. Le Conseil adopte dans les semaines qui suivent toute une série de réformes allant dans le sens des aspirations populaires et entérinant une situation souvent déjà effective: - le décret sur la paix (8 novembre 1917) qui doit être « démocratique et équitable ». Si la paix est souhaitée par la population épuisée par les privations, elle n'est pas acceptée par la majorité des Bolcheviks qui considéraient que la réussite du communisme en Allemagne était liée à la poursuite de la guerre. Mais devant la menace militaire allemande, Lénine, estimant qu'il faut avant tout sauver la révolution russe, signe la paix à Brest-Litovsk en mars 1918, une paix objectivement désastreuse pour la Russie [convaincu que la révolution mondiale sortira de la guerre et que les traités signés seront rapidement caducs]: 800 000 km2 perdus, ¼ de sa population ; la Russie renonce à sa souveraineté sur la Finlande, la Pologne, les pays baltes et une partie de la Biélorussie (occupés par l’Allemagne), des territoires au sud du Caucase (remis à la Turquie) et reconnaît l'indépendance de l’Ukraine (grenier à blé et bastion industriel du pays : 75 % du charbon et du fer, 32 % des céréales sont ainsi perdus). Les pertes économiques sont immenses : la plus grande partie de la production de houille (90%), de métaux (70%) et la moitié des ressources agricoles. 21 - le décret établissant le contrôle ouvrier sur les entreprises ; - le décret sur la terre (8 novembre 1917) abolissant la propriété foncière sans aucune indemnité et confisquant les terres de la famille impériale, de l’église et de l’aristocratie pour les mettre à la disposition des soviets de paysans. - le décret sur les nationalités (15 novembre 1917) affirmant le droit à l'autodétermination des peuples de Russie. L’Ukraine, déjà indépendante de fait, est rejointe par la Finlande qui proclame son indépendance le 6 décembre 1917, bientôt suivie des Polonais, des Baltes, des Georgiens, des Arméniens, des Azeris… En avril 1918, le gouvernement quitte Petrograd pour s'installer à Moscou, au Kremlin; le parti bolchevik prend le nom de « Parti communiste ». Il réforme le calendrier, institue la Tchéka (police politique), interdit la presse et les partis bourgeois et promulgue en juillet 1918 une Constitution reconnaissant le suffrage universel. 4) La Révolution d’octobre crée une fracture européenne et mondiale La Révolution d'octobre 1917 est la plus grande conséquence pour le 20ème siècle de la Première Guerre mondiale. Cet événement provoque des changements fondamentaux sur le plan économique et politique : - C’est un affaiblissement de l'économie capitaliste confrontée à une perte de capitaux, puisque les bolcheviks refusent de reconnaître les dettes de l'ancien régime, et à une perte d'un marché. Les échanges se poursuivent avec l'URSS mais tous les flux commerciaux et financiers diminuent fortement et sont désormais étroitement contrôlés. - L'Europe cesse d'être un espace de libre circulation pour les biens et les personnes [Remarque R: d’autant que l’Allemagne- soumise aux réparations- est un angle mort des échanges en Europe] et le marché mondial qui se mettait en place depuis la fin du 19ème siècle est désormais fracturé. La fracture est aussi de nature idéologique puisque s'édifie un système socialiste alternatif au capitalisme libéral et désormais concurrent. - Vers une révolution européenne ? L'Europe traverse une phase d'agitation révolutionnaire, en partie inspirée par l'exemple russe. La Révolution russe encourage en effet des mouvements de même nature : révolution spartakiste en Allemagne en 1918-1919 [L'insurrection déclenchée par le parti communiste allemand, créé en décembre 1918, est férocement réprimée par le gouvernement socialiste de Ebert en janvier 1919 et ses responsables, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, sont assassinés. Cette contestation cesse pratiquement au cours de l'année 1919], République des Conseils en Hongrie, menée par Béla Kun [un gouvernement qui prend le nom de Commune dirigé par Bela Kun et porté par une alliance de communistes et de socialistes développe, à partir de février 1919, des réformes de type soviétique dans un contexte très tendu de disette, de tensions aux frontières au moment où les Alliés négocient les modalités du démantèlement de l'Empire austro- hongrois. Mais cette Commune qui ne contrôle en fait qu'une partie du pays est écrasée en août par une opposition soutenue par des pays étrangers (Roumanie, alliée de la France)]. Les mouvements de grève dans les autres pays comme le Royaume-Uni, la France, les troubles qui secouent l'Italie sont en effet considérés comme des manifestations du péril rouge et de la volonté bolchevique d'exporter la révolution dans le monde entier. 22 Lénine croit en effet possible une vaste révolution européenne. Pour la coordonner, il fonde en 1919 la Troisième Internationale ou Komintern pour soutenir ou diriger les mouvements révolutionnaires étrangers à partir de Moscou nouvelle capitale et appelle les socialistes à imiter son exemple. Mais les mouvements révolutionnaires échouent. La réaction suscite des courants politiques nouveaux: le fascisme italien comme le nazisme. Mussolini est au pouvoir dès 1922 en Italie, des dictatures militaires s’installent en Hongrie, plus tard en Pologne…La peur du communisme radicalise l’affrontement politique sur le Vieux continent. Dans l’immédiat, de nouveaux échecs en Allemagne (1923) puis en Chine confortent Staline qui prône « le socialisme dans un seul pays ». Non seulement la 1ère révolution socialiste n’a pas eu lieu dans l’Europe industrialisée, mais l’URSS reste isolée dans un environnement hostile. - L'affaiblissement des échanges et la perturbation des circuits commerciaux fragilisent l'Europe occidentale (impact particulier du blocus sur la société allemande et sur la chute du régime impérial). L'Allemagne n'est plus une puissance économique, la France et l'Angleterre sont durablement affaiblies. - La guerre a aussi démantelé les espaces économiques. L'Europe de l'Est a été morcelée en de multiples États aux frontières nouvelles. 2. Les États-Unis en position de force : - Leurs pertes humaines ont été faibles (75 000 tués) alors qu'en même temps par croissance migratoire et naturelle leur population augmente de 10 millions ; ils n'ont subi aucune destruction sur leur sol. - Au lieu d'affaiblir leur potentiel industriel la guerre l'a dopé. Leurs productions de charbon, d'acier, leur industrie militaire se sont considérablement accrues. Leur flotte commerciale a rattrapé celle de l'Angleterre. - En même temps ils sont devenus, avant même leur entrée en guerre, le garde à manger des alliés et leur agriculture a connu une forte expansion. - Ils ont remplacé l'Europe dans ses fonctions commerciales et financières par rapport au reste du monde. Ils supplantent l'Angleterre dans tout le continent américain. Leur balance commerciale est fortement excédentaire et ils possèdent la moitié du stock d'or mondial. - Les courants financiers se sont inversés. Débiteurs vis-à-vis de l'Europe avant la guerre ils sont devenus créanciers avec 9 milliards de dollars d'investissement et 10 milliards de prêts. Les Etats-Unis sont devenus les premiers exportateurs de capitaux (les pays européens ont en effet rapatrié des capitaux placés à l’étranger, ce qui a affaiblit leur situation financière internationale). 3. D'autres pays neufs en expansion : Les hauts prix de certains produits stratégiques (le pétrole en particulier), la disparition des exportations européennes, les énormes importations des belligérants ont profité à un grand nombre de pays extra-européens. - Cela a été le cas pour un certain nombre de pays d'Amérique latine comme l'Argentine qui exporte ses viandes et ses grains, le Brésil producteur de sucre ou le Venezuela exportateur de pétrole. Cela a été aussi le cas pour le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande qui au même titre que les États-Unis deviennent le « grenier » des alliés. En même temps ces pays jeunes, coupés de leur métropole politique et économique, commencent à s'industrialiser. 23 - Mais le principal bénéficiaire est le Japon qui implante son commerce en Asie au détriment des positions allemandes mais aussi anglaises et françaises et qui commence à se créer des débouchés en Océanie et en Amérique latine. Il voit sa production industrielle quintupler et son revenu tripler pendant la guerre. - Les dominations de l’Europe commence par ailleurs à être contestée dans les colonies : la participation de celles-ci à la défense des métropoles (d’où une dette à leur égard), la diffusion des principes wilsoniens (Wilson (1856-1924), président américain élu en 1912 et réélu en 1916) du droit des peuples à l’autodétermination (Il affirme dans ses « quatorze points », le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et réclament « un arrangement librement débattu de toutes les revendications coloniales »), la victoire des communistes en Russie (en mars 1919, l’Internationale communiste appelle « les esclaves coloniaux d’Afrique et d’Asie » à lutter pour leur libération), qui fustigent le colonialisme, ont réveillé le nationalisme des peuples colonisés. Le conflit a fortement affaibli le prestige des Européens et les scènes d’horreur vécues par les soldats coloniaux remettent totalement en cause la « mission civilisatrice que l’Europe prétendait apporter. En Inde, la revendication de self-government est formulée dès 1920 par le parti du Congrès sous l’influence de Gandhi. En Indochine, le parti communiste réclame un statut comparable à celui des dominions britanniques…partout où l’Europe est présente, la guerre marque la naissance des mouvements nationalistes. Comme l’avait pressenti l’économiste Paul Leroy-Beaulieu, la colonisation entre désormais dans son âge critique. C. Problèmes monétaires et tensions internationales (1919-1923-1924) De la Guerre à La Crise, la puissance des nations européennes s'effrite tandis que l'illusion persiste. L'obsession de la stabilisation des monnaies au niveau le plus proche possible de l'avant-guerre et du rétablissement de la convertibilité reflète une volonté de rétablir les signes extérieurs de la puissance financière, même si les fondements de cette puissance n'existent plus. Le refus des américains d'entrer dans la SDN achève de recentrer la politique mondiale sur les seuls intérêts des puissances européennes divisées. En effet, la SDN souffre de la non-ratification du traité de Versailles et ainsi du pacte créant la SDN par le congrès américain (mars 1920). Les républicains devenus majoritaires craignent d’avoir à intervenir dans un conflit en Europe où les intérêts des Etats-Unis ne seraient pas directement en jeu. En 1920 ; le président républicain Harding déclare : « J’ai en notre Amérique une confiance qui rend inutile la réunion d’un conseil des puissances étrangères pour indiquer où se trouve notre devoir. Appelez cela, si vous le voulez, de l’égoïsme nationaliste, mais moi je pense que c’est une inspiration de la ferveur patriotique. Sauvegardez l’Amérique d’abord ! …Pensez à l’Amérique d’abord ! » En quittant cet organisme de sécurité collective, les Etats-Unis l’affaiblissent considérablement et laissent les pays européens face à face. Complément sur la SDN : Un acte joint au traité de Versailles créé la Société des Nations dont l’objectif majeur est de « respecter et maintenir contre toute agression extérieure l’intégrité territoriale et l’indépendance politique présente de tous les membres de la société » et d’organiser le désarmement. Organisme de sécurité collective chargé de faire respecter le droit international et d’imposer des procédures d’arbitrage, la SDN ne peut cependant que recourir à des sanctions économiques et financières contre un Etat contrevenant et ne peut prendre des résolutions exécutoires qu’à l’unanimité. Le fonctionnement de la SDN (association de gouvernements, organisme inter-gouvernemental), qui siège à Genève, repose sur une Assemblée générale composée des Etats membres (48 en 1920, 59 en 1934) qui se réunit chaque année en septembre 24 et décide à l’unanimité, ainsi que d’un Conseil composé de membres permanents (aux cinq premiers désignés, Royaume-Uni, France, Italie, Japon et Etats-Unis, s’ajoutent l’Allemagne en 1926 et l’URSS en 1934) et de membres non permanents. S’ajoutent un Secrétariat permanent, une Cour internationale de justice à La Haye et des organismes comme l’Organisation internationale du travail (OIT)…En raison des limites étroites que les Etats qui l’ont fondée ont placé à son action, la SDN, dont l’existence juridique va de 1920 à 1946, sera assez vite confrontée aux difficultés et fera la preuve de son impuissance. Cependant, malgré en général le bilan fort médiocre qu’on lui attribue, l’ « esprit de Genève » qui se confond avec celui de la sécurité collective et d’une diplomatie mondiale ouverte laissera un héritage idéologique et institutionnel. Ces problèmes empoisonnent pendant plusieurs années le climat international. L'article 231 du traité de Versailles qui affirme la responsabilité de l'Allemagne, lui impose le paiement de réparations : la conférence de Londres en 1921 fixe un montant global de 132 milliards de marks-or. Cette politique de rétorsions financières et de revanche qui prend une allure très extensive est dénoncée par certains économistes à l'image du Britannique Keynes qui évoque « un acte de grave folie politique » ainsi qu'une approche idéologique, non scientifique des capacités de paiement de l'Allemagne (Les conséquences économiques de la paix, 1920). Dès 1919, il ecrit : « J’ose prédire que la revanche allemande sera terrible. » En 1921, les difficultés financières dans lesquelles la jeune République de Weimar est plongée (naufrage monétaire et hyper-inflation ; Illustration: Alors qu’un dollar vaut 4 marks en 1914, ce taux de change s’établira au début de l’année 1920 à 1$=100 marks, à 6 millions de marks en août 1923 et à 4800 milliards de marks le 20 novembre 1923. A cette date, la monnaie allemande n’a plus aucune valeur, près de cent trente imprimeries et une trentaine d’usines de pâte à papier sont utilisées uniquement pour la fabrication des billets de banque. Les prix augmentent du matin au soir, dans les restaurants les clients payent l’addition en commandant le menu…de peur qu’elle ne double au dessert ! Les particuliers sont contraints d’effectuer des retraits à leur banque avec une valise. Autre anecdote : « à la messe, le bedeau fait la quête dominicale non plus avec une aumonière ou un plateau mais avec un panier de blanchisseuse. ») et le climat de trouble politique allemand provoquent une première grave division parmi les Alliés. Alors que le Royaume-Uni adopte une attitude plus souple et pragmatique, la France entend faire prévaloir tous ses droits sur le vaincu (le Boche paiera !). Cette politique dite d'exécution se traduit par la décision unilatérale d'occuper la Ruhr, prise par Poincaré en 1923. Cette occupation militaire précipite encore un peu plus la chute du mark et la banqueroute allemande. Elle entraîne aussi une forte dépréciation du franc par rapport à la livre. Les divisions et dissensions dans le camp des vainqueurs sont aggravées par le problème des dettes interalliées. Au total le montant de ces dettes s'élève à 26,5 milliards de dollars (le Royaume-Uni doit aux Américains 4,6 milliards de dollars, les Français 4). Le problème tient ici à la volonté américaine de dissocier complètement la question des réparations et celle des dettes. Par ailleurs, la crise économique de 1921 a réactivé les réflexes protectionnistes ancrés dans la mentalité américaine (1922 vote du tarif Mac Cumber). Les États-Unis tendent en effet à un repliement économique, facilité par l'abondance et la variété de leurs ressources, qui prive, au moins partiellement, les autres pays du débouché normal que devrait leur procurer le pays le plus riche du monde ainsi que des devises nécessaires au remboursement de leur dette. 25 II. Stabilisation monétaire et stabilisation des relations internationales A. La conférence de Gênes (avril-mai 1922) La volonté de reconstruire un nouveau système international s'exprime dès le début des années vingt, surtout à l'initiative de la Grande-Bretagne. L'objectif principal de la conférence est de rétablir une stabilité monétaire, souci rendu encore plus urgent par l'amplification des écarts et le flottement généralisé des taux de change dans les années de l'après-guerre. La conférence donne naissance à un nouveau système de parité appelé Gold Exchange Standard ou « étalon de change or ». Ce nouveau système distingue deux catégories de monnaies : celles qui sont convertibles en or peuvent servir de monnaies internationales de règlement ou de réserve. Les autres sont limitées à un usage uniquement national. Les Banques centrales peuvent désormais détenir dans leur encaisse de l’or et des monnaies convertibles en or. Cet élargissement de l’encaisse est destiné à permettre l’émission d’une masse monétaire accrue. Ce système est plus souple que le précédent, il présente l’avantage d’économiser l’or. En revanche, il crée des « dépendances » en accrochant certaines monnaies à d’autres, et repose autant sur la confiance internationale que sur les mouvements de capitaux flottants stimulant une concurrence vive entre les places financières (Londres, New-York, Paris, Berlin, Tokyo). Il confirme dans l’immédiat le rôle du dollar, seule monnaie convertible en métal précieux, et l’affaiblissement de la livre sterling inconvertible depuis 1914 et flottante. La conférence de Gènes va pousser l’Angleterre à s’engager dans une politique de rigueur pour revaloriser sa monnaie, lui redonner sa parité d’avant-guerre et pouvoir rivaliser avec le dollar. B. Les États-Unis et la « diplomatie du dollar » : l'arme financière et monétaire. La désunion des nations européennes rend obsolète la notion de puissance de l'Europe. Cette division est au coeur de l'impossibilité d'un retour à la puissance. Tant la capacité productive de la fin des années 1920 que l'étendue de l'empire colonial dotaient l'Europe des instruments pour reconquérir la puissance qui lui avait échappé. L'acharnement français à faire payer l'Allemagne, la mauvaise volonté allemande et la politique d'équilibre des puissances continentales du Royaume- Uni empêchent toute tentative dans ce sens. En l'absence d'unité de vue politique, c'est la puissance financière détenue des États-Unis qui arbitre les querelles. À partir de 1920 et du retour des républicains au pouvoir, les États-Unis pratiquent une politique d'intervention en Europe qui privilégie les instruments de l'économie et de la finance. Elle laisse de côté les objectifs et les moyens politiques traditionnels de la diplomatie, le Département d'État et les administrations Fédérales se contentant de « gérer » le