L'art et la science de la santé publique PDF
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University Canada West
2003
Pierre Fournier
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Ce document est un manuel sur l'art et la science de la santé publique, publié en 2003 par Pierre Fournier. Il explore les courants historiques qui ont façonné la santé publique ainsi que les différents déterminants et mesures de la santé.
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Chapitre 2 L'art et la science de la santé publique Pierre Fournier La référence bibliographique de ce document se lit comme suit: Fournier P (2003) L'art et la science de la santé publique In : Environnement et santé publique - Fondements et pratiques, pp. 39-57. Gérin M, Gosselin P, Cordier...
Chapitre 2 L'art et la science de la santé publique Pierre Fournier La référence bibliographique de ce document se lit comme suit: Fournier P (2003) L'art et la science de la santé publique In : Environnement et santé publique - Fondements et pratiques, pp. 39-57. Gérin M, Gosselin P, Cordier S, Viau C, Quénel P, Dewailly É, rédacteurs. Edisem / Tec & Doc, Acton Vale / Paris Note : Ce manuel a été publié en 2003. Les connaissances ont pu évoluer de façon importante depuis sa publication. Chapitre 2 L'art et la science de la santé publique Pierre Fournier 1. Définir la santé publique 2. Les courants historiques qui ont façonné la santé publique 2.1 Hygiène publique, contrôle des maladies transmissibles et environ- nement 2.2 Hygiène individuelle et éducation pour la santé 2.3 Médecine sociale et protection des groupes vulnérables 2.4 Croissance des systèmes de soins et rôle accru de l'État 2.5 Rôle de l'État, intégration de ces courants et transition épidémiologique 3. La santé: définitions, déterminants et mesure 3.1 Définitions de la santé 3.2 Déterminants de la santé 3.3 Indicateurs de santé et sources de données 4. Fonctions et pratiques de santé publique 4.1 Intervenir en santé publique 4.2 Fonctions centrales de la santé publique 5. Défis de la santé publique 5.1 Maladies infectieuses, affections chroniques et habitudes de vie 5.2 Quelques groupes particulièrement vulnérables 5.3 Services de santé 5.4 Défis de la nouvelle santé publique 6. Conclusion 40 ENVIRONNEMENT ET SANTÉ PUBLIQUE 1. DÉFINIR LA SANTÉ PUBLIQUE* - la «santé collective» est plus difficile à définir et à mesurer**; Il n'existe pas de définition simple et univoque de la santé publique. Les énoncés qui suivent - dans sa dimension collective, la santé est reflètent la diversité des perceptions de profes- également une construction sociale - à la fois sionnels œuvrant dans ce champ ( I O M , 1988): un enjeu social majeur et un axe autour duquel se structurent les sociétés; «Quand je pense à la santé publique, je pense intervention précoce, prévention...» - du point de vue des connaissances, la santé «La santé publique, c'est la vaccination, la publique n'est pas une discipline, mais un santé dans les écoles, le contrôle des maladies champ d'action vers lequel convergent de contagieuses...» nombreuses disciplines; «C'est tout ce qui affecte la santé de la com- - du point de vue des pratiques, on observe à munauté sur une base collective...» la fois une variété et des divergences consi- dérables, d'où la difficulté de reconstruire «La santé publique, c'est tout ce qui est en empiriquement le champ. dehors de la pratique médicale i n d i v i - À défaut d'une définition univoque, on peut duelle...» plutôt retenir un énoncé de mission qui permet «La fonction centrale de la santé publique, d'intégrer une vision dynamique (celle de l'ac- c'est la capacité de reconnaître les problèmes, tion), celle d'un champ de connaissances et de les mesurer et d'essayer d'intervenir...» également d'un domaine de pratiques qui sont en constante évolution et en perpétuelle redéfi- Le terme de santé publique est communé- nition: ment utilisé avec deux sens: celui d'établir une distinction entre des services publics et privés et «La mission de la santé publique consiste celui de distinguer le particulier (ou individuel) à garantir les intérêts de la société en du général (ou collectif) (Turshen, 1988). assurant des conditions dans laquelle les Pour Frenk (1993). le terme de santé populations sont en santé ( I O M , 1988).» publique évoque également, dans le langage Plus d'un demi-siècle auparavant, Vinslow courant, les notions d'action gouvernementale, (1920) avait proposé une définition plus de services collectifs (par exemple, l'assainisse- exhaustive et qui demeure d'actualité: ment), de services personnels destinés à des «La santé publique est la science et l'art de groupes vulnérables, et la notion de problème de prévenir les maladies, de prolonger la vie et santé publique réfère à des maladies fréquentes de promouvoir la santé physique et l'effi- ou dangereuses. En fait, le terme public ne cacité, par le biais d'efforts collectifs désigne pas un groupe spécifique de services, organisés, et visant la salubrité de l'envi- une forme de propriété, un type de problème, ronnement, le contrôle des infections com- mais plutôt un niveau spécifique de référence et munautaires, l'éducation des individus à d'analyse: celui de la population. l'hygiène personnelle, l'organisation des Les difficultés rencontrées pour définir la services médicaux et infirmiers pour le santé publique tiennent à plusieurs raisons: diagnostic précoce et la prévention de la - la santé est généralement perçue comme un maladie et le développement de l'infra- attribut individuel dont les représentations structure sociale qui assurera à chaque sont bien établies (maladie, souffrance, bien- individu de la communauté un standard de être, réalisation, etc.); vie adéquat pour se maintenir en santé.» * Cette section s'inspire largement d'une partie de l'article de Fournier, P.: «La santé publique: concepts et pratiques». Ruptures, 5, 2, 1998, p. 132-139. ** La santé, la maladie, le bien-être et leurs déterminants constituent des notions complexes qui sont à la base de la santé publique; elles seront brièvement présentées à la section 3 de ce chapitre. L'ART ET LA SCIENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE 41 La difficulté de définir simplement la santé amérindiennes) ont établi des pratiques de santé publique n'est pas sans conséquences: les profes- publique. En fait, la vie en société a toujours sionnels sont affectés par le fait que leur rôle imposé l'adoption de certaines règles dont bon n'est pas perçu clairement par le public et la nombre ont trait à la santé, certaines pouvant société, et le développement académique du aisément être identifiées à la santé publique. champ est freiné par l'absence d'identification Dans les paragraphes suivants, les origines, disciplinaire*. les logiques et les contenus des quatre grands Sans qu'il s'agisse d'une définition à propre- courants qui ont façonné la santé publique ment parler, Beauchamp et Steinbock carac- «occidentale» actuelle seront présentés: celui de térisent de façon synthétique ce en quoi consiste l'hygiène publique, plus connu sous le nom la santé publique: de «sanitary movement», celui de l'hygiène per- sonnelle, celui de la médecine sociale et finale- «Tout en santé publique commence avec ment celui qui se rapporte à l'organisation des la perspective populationnelle et avec l'ef- services de santé. Tout le monde ne s'accordera fort de mesurer et d'améliorer l'état de pas à considérer que ce sont les seuls courants santé des populations**.» significatifs, voire même que le dernier d'entre Nous verrons plus avant dans ce chapitre eux relève de la santé publique. Dans certains (section 4) comment cette mission s'organise en cas, les limites entre ces courants paraîtront arti- grandes fonctions qui, à leur tour, déterminent ficielles. Elles ont néanmoins l'avantage de cla- des pratiques. rifier cette brève présentation historique. 2. LES COURANTS HISTORIQUES 2.1 Hygiène publique, contrôle QUI ONT FAÇONNÉ LA SANTÉ des maladies transmissibles et PUBLIQUE*** environnement On situe généralement au X V I I I e siècle et à la Ce courant est à la fois le plus ancien et égale- période préindustrielle les origines de la santé ment celui auquel la santé publique est la plus publique telle que nous la connaissons aujour- fréquemment identifiée; le développement et d'hui. Bien qu'il y ait indéniablement à partir de l'organisation des sociétés ont toujours inclus cette époque des événements marquants qui ont des dispositions collectives qui rendaient la vie façonné la santé publique, l'origine de ces mou- en groupe possible, voire meilleure. vements est bien antérieure à cette période****. Dès le Moyen Age, le contrôle des maladies L'esquisse historique qui sera brossée ici est contagieuses (peste, lèpre) a suscité les pre- également limitée, dans la mesure où ses sources mières mesures publiques dans le domaine de se cantonnent à la civilisation occidentale et à la santé: quarantaines, protections indivi- ses précurseurs (égyptienne, grecque et latine). duelles, etc. Il faut également noter que le D'autres civilisations (asiatiques, africaines et contrôle des épidémies a constitué la pre- * L'importance et la localisation très variables de la santé publique dans les universités illustre cette situa- tion: tantôt départements de facultés de médecine (tendant vers une vision réduite à la dimension bio- médicale), parfois inclus dans des facultés ou écoles de santé (élargissant la perspective précédente mais s'orientant vers les professions de santé), et dans d'autres cas écoles de santé publique autonomes avec des liens plus ou moins forts avec les écoles professionnelles de santé et les sciences sociales. ** Beauchamp, D. E. et B. Steinbock. New Ethics for the Public's Health, Oxford University Press. 1999, p. 25. * * * Cette section s'inspire également d'une partie de l'article de Fournier. P.. «La santé publique: concepts et pratiques», Ruptures 5, 2, 1998, p. 132-139. * * * * O n référera en particulier à Hippocrate dont un des traités publié à peu près 500 ans avant J.C. exa- minait les relations entre l'environnement et la santé. Il livrait également des observations au sujet des maladies endémiques et épidémiques (Hippocrate. Traité d'Hippocrate des Airs, des Eaux et des Lieux, Beaudelot, Paris, 1800). 42 ENVIRONNEMENT ET SANTÉ PUBLIQUE mière préoccupation internationale de santé Aujourd'hui, risques infectieux et environ- publique*. nemental sont étroitement liés, bien que L'industrialisation et l'urbanisation des pays faisant appel à des disciplines et des connais- occidentaux et, en premier lieu, de la sances techniques différentes, car ils parta- Grande-Bretagne ont amené à mettre en évi- gent des caractéristiques communes: risques dence, dès le milieu du X I I I e siècle, l'in- dont le niveau ne peut être nul et qui néces- fluence des conditions d'hygiène et de vie sitent une évaluation permanente, mesures comme déterminants des maladies con- collectives de protection, gestion du risque et tagieuses (choléra, par exemple). Le Sanitary des crises et communication à la population. Movement et les travaux de Chadwick (Report on the Sanitary Condition of the 2.2 Hygiène individuelle Labouring Population of Great Britain, 1842) illustrent ce mouvement. Ce rapport mettait et éducation pour la santé en évidence les relations entre l'insalubrité de «Liée non seulement à la médecine, mais aussi à l'environnement et le mauvais état de santé la religion, à la morale, à l'éducation, à l'art de des travailleurs britanniques. Même si les gouverner, l'hygiène individuelle reste long- théories des germes n'étaient pas encore con- temps une philosophie. Plus tard, la physiolo- nues, il préconisait des mesures d'hygiène gie, qui lui dicte ses préceptes, fera d'elle une collective qui sont toujours d'actualité science...» (Sand, 1948). Ce courant de la santé (ramassage des ordures, assainissement, publique a toujours établi un lien entre le adduction d'eau, normes d'habitation, etc.). physique et le mental, dans ses applications pra- tiques. Il n'a pas non plus dissocié les comporte- Les travaux de Pasteur ont conduit à la nais- ments que nous qualifierions aujourd'hui de sance de la bactériologie (1880) et la mise en préventifs et de curatifs. évidence des mécanismes de transmission des maladies infectieuses met fin aux polémiques Dès le X I X e siècle, les premières grandes entre «contagionnistes» et «anticontagion- campagnes sanitaires sont organisées contre nistes» et apporte à ce champ de pratique une l'alcoolisme qui constituait déjà un fléau légitimité scientifique qui sera renforcée par dans les pays industrialisés. la découverte de nouveaux vaccins**. Avec l'accroissement des connaissances en Pour Fee (1997), l'identification spécifique biologie et en médecine et leur diffusion des bactéries responsables des maladies infec- auprès du public, ce champ s'élargit pour tieuses a ouvert la voie de la «nouvelle santé englober l'autotraitement et les soins donnés publique» à la fin du X I X e siècle***. La dans la sphère familiale. microbiologie exercera une influence mar- Pour Green, c'est dans ce mouvement que l'é- quante sur la santé publique pendant toute la ducation pour la santé a trouvé ses origines première moitié du X X e siècle. (Green, 1999). C'est dans ce champ que la santé publique Au milieu du X X e siècle, le déclin des ma- compte un des ses plus remarquables succès ladies infectieuses en Occident, l'importance du X X e siècle: l'éradication de la variole dans croissante des maladies chroniques et les années 70 (Henderson, 1980). dégénératives et les premiers résultats des * La première conférence internationale en santé (Paris, 1851) était consacrée à ce sujet. Les premières organisations de santé à caractère international (Bureau Sanitaire pan-américain. 1902) visaient à limiter la propagation des épidémies. ** Certains fixent la «naissance» de la santé publique à la «découverte» de la vaccination par Jenner en 1796 (Foege, W.H. «Preventive medecine and public health», JAMA, 275 (23), 1996, p. 1846-7). Il s'a- git plutôt d'une observation isolée et presque fortuite dont les fondements biologiques n'ont été com- pris que plus tard. * * * On verra que cette terminologie de « nouvelle santé publique » a été très récurrente tout au long du XXe siècle. L'ART ET LA SCIENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE 43 études épidémiologiques mettant l'accent sur Schepers, 1997) et de s'être affaibli, du fait de le rôle prépondérant de certains comporte- la prédominance d'approches quantitatives ments (tabagisme, alimentation inadéquate, incapables d'induire des interventions qui exercice physique insuffisant) dans leur sur- puissent faire la preuve de leur efficacité. Cer- venue ont donné un essor important à ce tains ont même plaidé pour la naissance (la courant. renaissance?) d'une épidémiologie sociale (de Almeida-Filho, 1995; Scott-Samuel, 1989). Certains ont vu dans ce courant une forme de contrôle social, crainte ravivée aujourd'hui par l'essor de nouvelles pratiques de la santé 2.4 Croissance des systèmes de soins publique. et rôle accru de l'État Le développement des systèmes de soins a été 2.3 Médecine sociale et protection des caractérisé dans un premier temps par le rôle groupes vulnérables prépondérant des organisations charitables La spécificité de ce courant de la santé publique (essentiellement confessionnelles) dès le est constituée par le lien entre les conditions Moyen Age. sociales et la santé. Quand le contexte idéo- La constitution progressive d'États-nations logique et politique le permettait, ce lien a con- laïcs a légitimé leur intervention dans le duit à l'action, en considérant que la santé de secteur de la santé. On attribue à Bismarck et tous ou de certains groupes particuliers consti- à l'Allemagne de la fin du X I X e siècle la pre- tuait une responsabilité de l'Etat. mière intervention de l'État en matière de Au milieu du X I X e siècle, dans différents couverture sociale et sanitaire qui préfigure pays d'Europe, et en particulier en Alle- les systèmes d'assurance-maladie actuels. magne, les mouvements démocratiques Ce rôle accru des jeunes États n'aurait pas été favorisent l'émergence d'un courant de pen- possible si le savoir médical ne s'était pro- sée dirigé par Virchow et Neumann pour qui gressivement constitué en disciplines scien- la santé de la population constitue une tifiques et si la pratique médicale n'avait préoccupation sociale vis-à-vis de laquelle la acquis ses lettres de noblesse (Foucault, société doit prendre ses responsabilités*. On 1972). reconnaît également que les conditions L'évolution des systèmes de soins est résumée sociales et économiques ont des effets impor- par Kleiber (1991) q u i , citant l'exemple tants sur la santé, ce qui justifie à la fois des suisse, considère trois périodes: analyses scientifiques et des interventions directes de l'État (Rosen, 1949). - celle des rendements croissants ( X I X e siè- cle), marquée par la naissance de la c l i n i - En France, après la Révolution de 1789, on que, les transformations des représenta- instaure des centres de distribution de lait tions de la maladie et le rôle prépondérant aux enfants et aux mères. de l'hôpital; - celle des rendements équilibrés (première Après avoir découvert que 40 % des recrues moitié du X X e siècle), alimentée par une britanniques (guerre des Boers, 1899-1902) croissance économique relativement sta- étaient en mauvaise santé, la Grande- ble et un rôle accru des États; les systèmes Bretagne instaure, en 1907, un système de de soins connaissent alors un développe- santé scolaire qui veille (en suppléant) à ce ment important; que les enfants aient une alimentation - et, finalement, celle des rendements adéquate. Le même mouvement s'observe décroissants (caractérisée par une aug- aux États-Unis (New York) peu après. On y mentation considérable de la demande, note un rôle très important des organisations une expansion et une forte différenciation communautaires. des organisations sanitaires et une remise Récemment, on a reproché à ce courant en question de l'efficacité globale des soins d'avoir perdu son idéalisme initial (Gunning- médicaux). * Ces courants s'alimentaient dans les philosophies sociales antérieures à cette période. 44 ENVIRONNEMENT ET SANTÉ PUBLIQUE Quelles que soient les options des États en le jour en Europe occidentale et qui ont fait matière de responsabilité vis-à-vis des sys- suite au Siècle des Lumières. tèmes de soins, la part croissante qu'ils occu- Il y a également un rapprochement à pent dans les économies et les enjeux de effectuer entre le mouvement de la médecine société qu'ils font naître font d'eux des élé- sociale et celui de l'organisation «publique» des ments incontournables de nos sociétés services médicaux. La transposition des idéaux qu'elles interpellent collectivement et de égalitaires du mouvement de la médecine sociale manière récurrente. a logiquement conduit les États à renforcer leurs rôles et leurs responsabilités en matière d'acces- sibilité et de dispensation des services médi- 2.5 Rôle de l'État, intégration de ces caux***. courants et transition épidémiologique Il existe une vision de la santé publique qui peut être qualifiée de « classique ou restrictive » Il ne faudrait pas penser que ces différents qui exclut de ce champ tout ce qui concerne courants se sont développés isolément; des liens l'organisation des soins médicaux. Cette posi- ont rapidement été établis entre eux. La tion semble plus conjoncturelle que fondamen- meilleure preuve en est l'œuvre monumentale tale: on oppose la logique des individus à celle de Frank* qui établit la première documentation des populations, et on met souvent la santé encyclopédique de santé publique du monde publique et les services médicaux en opposition, occidental. voire en compétition quand il s'agit d'alloca- En plus d'être contemporains, les deux pre- tions budgétaires. miers courants comportent deux analogies À partir des années 1970, le courant de l'édu- importantes: 1) ils établissent des liens entre cation pour la santé a été remis en question, car l'environnement et la santé et 2) ils reconnais- les limites des approches de changement des sent à l'Etat une légitimité pour modifier les fac- comportements individuels sont apparues teurs qui affectent collectivement la santé. Ils clairement: au delà des caractéristiques et des sont néanmoins radicalement différents, en ce facteurs liés aux individus, ces comportements sens que le courant hygiéniste se limite à l'envi- sont, pour une large part, déterminés par des ronnement physique. Il faut, à ce point de vue, valeurs et des conditions sociales hors du con- considérer qu'il s'est développé dans le contexte trôle des individus. Green fixe à 1974 la nais- de l'Angleterre libérale du XIX e siècle où l'inter- sance de la promotion de la santé (Green, vention de l'État était limitée et relevait d'une 1999); il ne s'agit pas réellement d'un nouveau vision utilitariste**. À l'inverse, le mouvement courant de la santé publique, car il s'inscrit dans de la médecine sociale met l'accent sur les déter- la perspective de l'éducation pour la santé qu'il minants sociaux de la maladie et reconnaît à amène à rejoindre le courant central de la santé l'État le devoir d'intervenir dans ce domaine. Ce publique (celui de la médecine sociale dont l'ob- courant traduit, dans le domaine de la santé, les jet est d'établir des liens entre les conditions idéaux démocratiques et progressistes qui ont vu sociales, d'une part, et des états de santé, d'autre * Entre 1779 et 1817, il publie les 6 volumes de Système complet de police médicale, et bien que quali- fié par Rosen de représentant du despotisme éclairé» (Rosen, G. A history of public health, Johns Hopkins University Press, Baltimore. 1993, p. 138), cet ouvrage couvre tous les aspects de la santé publique connus à l'époque: la dynamique des populations, l'hygiène individuelle, l'alimentation, la santé des groupes vulnérables, l'hygiène publique, les services de santé, etc. ** Le rapport de Chadwick considérait que les mauvaises conditions de la classe ouvrière amenaient «à gaspiller des vies et la force de travail». * * * Là encore les contextes particuliers de chaque pays ont donné des connotations très différentes à ces interventions. Par exemple, en Grande-Bretagne où le mouvement de la médecine sociale était faible jusque dans la première moitié du XXe siècle, il a ensuite connu un essor remarquable dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec l'instauration par un gouvernement travailliste d'un système national de santé. Plusieurs chaires de médecine sociale ont alors été créées dans les grandes univer- sités (Oxford, Edimburg, etc.). Aux États-Unis, cette préoccupation s'est traduite par l'intervention de l'État en matière de soins médicaux auprès de groupes défavorisés: aujourd'hui encore, les pro- grammes Medicare et Medicaid sont considérés comme des «programmes de santé publique». L'ART ET LA SCIENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE 45 part). La contribution de la promotion de la La première moitié, dans la continuation du santé se situe plutôt dans l'association de cette siècle précédent, a été celle du contrôle des perspective avec une conception élargie de la maladies infectieuses; santé, incluant le bien-être, et une philosophie À partir de 1950, l'émergence des maladies d'intervention communautaire. chroniques et dégénératives a conduit à met- Pour certains, la promotion de la santé est tre l'accent sur l'analyse et les modifications une forme de renouveau de la santé publique, des comportements individuels, donnant car elle redéfinit des perspectives d'intervention ainsi un nouvel élan au courant de l'hygiène auprès et avec les communautés (Ashton et individuelle; Seymour, 1988). Pour d'autres, il s'agit plutôt d'un retour aux sources et de nouvelles formula- De la fin de la Seconde Guerre mondiale aux tions. années 1970, l'essor fulgurant des services de Pour Terris (1985), ce que nous avons quali- santé et la pression créée par une forte fié de courants hygiénistes et de médecine so- demande ont amené la santé publique à porter ciale constitue la médecine sociale et préventive une attention accrue, excessive pour certains, ou communautaire. Il considère que le champ à l'organisation des services de santé; de la santé publique est plus large, car il inclut À partir de 1975, la promotion de la santé a également l'organisation des services médicaux. ravivé les origines de la santé publique en Pour résumer ce qu'a été la santé publique au mettant l'accent sur les liens entre les struc- cours de ces 150 dernières années, il convient tures sociales et la santé et en prônant une d'établir un lien avec les transitions démo- approche impliquant les communautés. graphique et épidémiologique. D ' u n point de vue démographique, les pays occidentaux sont 3. LA SANTÉ: DÉFINITIONS, passés d'un régime de mortalité et de natalité fortes à un régime de faible mortalité et de très DÉTERMINANTS ET MESURE faible natalité. Ceci a entraîné une diminution, 3.1 Définitions de la santé voire une régression, de l'accroissement naturel de la population. Concomitamment, le profil de Les perspectives sont différentes selon que l'on la mortalité et de la morbidité a évolué d'un aborde la santé sous un angle individuel, comme régime où prédominaient les maladies infec- le font les individus à partir de leurs expériences tieuses à un régime où les maladies chroniques de vie ou de maladie ou selon qu'elle fasse l'objet et dégénératives sont devenues prépondérantes. d'étude ou de référence pour des professionnels Au déclin de bon nombre d'entre elles et à l'en- ou des chercheurs. De nombreuses études ont trée dans une ère post-industrielle correspond documenté les définitions spontanées de la santé une évolution du profil épidémiologique qui auprès du public (Herzlich, 1973; D'Houtaud et fait une place grandissante à toutes les formes de coll., 1989; Blaxter, 1990). Elles font référence à violence et à leurs conséquences. plusieurs notions: absence de maladie, santé Au delà de cette notion maintenant bien physique et mentale, fonctionnalité, adaptation établie de promotion de la santé, au moins psychologique et physique aux conditions envi- parmi les professionnels de la santé publique, le ronnantes ou à la maladie et potentiel de réalisa- concept de santé publique ne lait que s'élargir. tion. Ces définitions varient selon les caractéris- Les droits de la personne, et surtout les effets de tiques des individus (âge et sexe, en particulier) et leur non-respect sur la santé des populations, selon que l'individu considère sa propre santé ou ont été définis comme un défi pour la santé pu- celle des autres. blique (Mann et coll., 1993). Les définitions plus professionnelles de la On peut résumer, avec Breslow (1998) et Green santé ont été traditionnellement dominées par (1999), ce qu'auront été les grandes tendances de une vision biomédicale dans laquelle la santé est la santé publique au cours du X X e siècle. essentiellement l'absence de maladie. Elles ont * «À la fin du siècle, nous trouvons de nouvelles formes pour d'anciennes idées, du vin nouveau dans d'anciennes bouteilles.» Green, L. «Health education's contributions to public health in the twentieth century: a glimpse through health promotion's rear-view mirror». Annual Review of Public Health, 20, 1999, p. 67-88. 46 ENVIRONNEMENT ET SANTÉ PUBLIQUE maintenant tendance à élargir leurs perspectives. pas sur la limite des interventions qui lui sont La définition initiale de la santé adoptée par légitimement rattachées. l'Organisation Mondiale de la Santé traduisait La théorie des germes a eu une influence cette volonté d'élargissement. majeure sur la conception de la santé; les ma- «La santé est un état de bien-être complet, ladies avaient des causes identifiables, générale- physique, mental et social, et non pas sim- ment uniques, et les progrès scientifiques et tech- plement l'absence de maladie ou d'infir- niques allaient permettre d'élucider un nombre de plus en plus grand de ces mécanismes et d'ap- mité ( O M S , 1946).» porter des réponses thérapeutiques adéquates. Cette définition reconnaît la dimension po- Cette conception de la santé et du potentiel sitive de la santé, mais certains lui ont reproché des actions médicales préventives et thérapeu- de ne pas référer à la fonctionnalité, au potentiel tiques à l'améliorer a été vigoureusement remise de contribution sociale et également d'établir en cause à partir de différentes perspectives. une dichotomie réductrice entre maladie et Pour McKoewn, ce ne sont pas l'hygiène et absence de maladie, alors qu'il existe un état les traitements médicaux qui ont amélioré la intermédiaire d'inconfort*. Terris a proposé une santé en Angleterre et au Pays de Galles entre révision. 1838 et 1970, mais plutôt l'amélioration du «La santé est, d'une part, un état de bien- niveau et des modes de vie et, en particulier, de être physique, mental et social et, d'autre l'alimentation (McKoewn, 1979). Cette thèse a part, la capacité de se réaliser et non sim- été contestée, sur certains points et surtout dans plement l'absence d'inconfort ou d'infir- ses interprétations univoques (Gaumer, 1999). mité (Terris, 1992)..» Par exemple, Sretzer montre l'importance des interventions en santé publique pour réduire la Une version plus récente de l'Organisation mortalité, surtout infantile (Sretzer, 1988). Mondiale de la Santé fait une place encore plus importante à l'interaction entre l'individu et son Pour Dubos, la notion de santé parfaite et environnement social. positive est une utopie créée par l'esprit humain. L'homme est responsable de la dégradation de «[La santé est]... l'aptitude d'identifier et son environnement, ce qui affecte sa santé, et il de réaliser ses aspirations, satisfaire à ses est illusoire de penser que les progrès de la besoins et modifier ou faire face à son biologie et de la médecine permettront la con- environnement. La santé est donc une quête et la conservation de la santé (Dubos, ressource de la vie quotidienne et non pas 1981). Autre point central de la thèse de Dubos: un objectif de vie. La santé est un concept l'adaptation de l'homme à son milieu constitue positif mettant l'accent sur les ressources l'élément déterminant de la santé. Or, les trans- sociales et personnelles ainsi que sur les formations sociales et technologiques sont si capacités physiques ( O M S , 1986).» rapides qu'il devient de plus en plus difficile à l'homme de s'adapter à ses milieux de vie. 3.2 Déterminants de la santé Pour Illich, la critique est beaucoup plus ra- dicale: la médecine, d'une part, ne contribue Si tout le monde s'accorde à dire que la santé que marginalement à l'amélioration de la santé, d'une population est avant tout la résultante de mais, d'autre part, l'importance de ses effets facteurs macro-sociaux et macro-environnemen- iatrogènes fait que, globalement, son impact est taux, il y a divergence sur les actions qui doivent négatif sur la santé (Illich, 1975). découler de ce constat: pour certains, nous Adoptant une perpective différente, plus n'avons ni les moyens ni la légitimité pour épidémiologique, Cochrane relève de nombreux intervenir directement, tandis que, au contraire exemples d'inefficacité des interventions médi- pour d'autres, il est nécessaire et justifié de ten- cales (Cochrane, 1977). ter de modifier ces facteurs qui affectent la Sans pour autant dire que tous ces courants santé. La santé publique s'inscrit bien évidem- de pensée puissent être réconciliés, Pederson, ment dans le second courant, mais tous les O'Neill et Rootman (Pederson et coll., 1994) intervenants de la santé publique ne s'accordent proposent une vision globale de la santé qu'ils * Traduction impropre du terme «illness» qui veut plutôt dire « mal être ». L'ART ET LA SCIENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE 47 Biologie humaine - Âge, sexe, hérédité - Physiologie, psychologie - Défense immunitaire Stress Environnement - Social (familial, culturel) - Économique - Milieu de travail - Physique Habitudes de vie - Tabagisme, alcoolisme - Drogues, psychotropes - Alimentation - Activité physique S y s t è m e de soins Problèmes de santé (Incidence, gravité) Impact de la maladie (Conséquences physiques, Déterminants psychiques, familiales, professionnelles, financières) Conséquences Objectif: santé. Rapport du comité d'étude sur la promotion de la santé (Conseil des affaires sociales et de la famille. Gouvernement du Québec, 1984, p. 6) Figure 2.1 «Approche écologique de la santé» qualifient de canadienne et qui synthétise ce qui de la planification et de l'évaluation des sys- est actuellement globalement accepté. Les dé- tèmes de santé et, d'autre part, des définitions terminants de la santé sont principalement de de plus en plus complexes ou spécifiques de quatre ordres: l'environnement physique, l'envi- dimensions particulières de la santé. ronnement psychosocial, les comportements Les premiers indicateurs de santé ont suivi la individuels et le capital (ou la dotation) mise en place de systèmes de recueil de données biologique. C'est sur ces deux derniers groupes statistiques sur la population (natalité, morta- de facteurs que le système de santé peut agir. lité, etc.). L'environnement psychosocial et les comporte- Les indicateurs de santé utilisés dans les ments individuels sont étroitement liés et cons- enquêtes nationales, au Canada et au Québec, tituent un style de vie qui possède un enraci- sont regroupés en trois groupes selon qu'ils con- nement communautaire. La culture est un cernent l'état de santé, les déterminants de la macrodéterminant qui influence fortement tous santé ou les conséquences des maladies les éléments précédemment mentionnés. Ces (Chevalier et coll., 1995). notions sont schématisées dans la figure 2. 1. Ces indicateurs sont établis à partir de don- nées collectées soit de façon routinière et systé- matique (données de l'état civil ou données sur 3.3 Indicateurs de santé l'hospitalisation par exemple), soit dans le cadre et sources de données d'enquêtes. Il faut distinguer deux grands types d'enquêtes: celles qui sont répétées (par exem- Les indicateurs de santé sont extrêmement nom- ple, Santé Québec ) et celles qui sont breux du fait, d'une part, des exigences accrues réalisées dans un but spécifique (par exemple, 48 ENVIRONNEMENT ET SANTÉ PUBLIQUE un projet de recherche ou une intervention varient considérablement selon les valeurs des ponctuelle). sociétés dans lesquelles ces questions se posent. Les indicateurs de l'état de santé sont parti- Les premières interventions en santé culièrement nombreux: ceux qui sont couram- publique ont concerné l'hygiène publique car, ment disponibles ne donnent généralement avant que les relations causales entre l'environ- qu'une mesure partielle de la santé (par exem- nement physique et la santé ne soient établies, ple, les taux de mortalité ou les taux d'incidence des observations rendaient ces liens évidents. des maladies à déclaration obligatoire). Ceux Par contre, si l'on considère le lien de longue qui donnent une mesure plus globale ou au con- date entre les conditions sociales et la santé, traire très spécifique de la santé sont souvent des l'existence d'interventions probantes et surtout indicateurs complexes élaborés et utilisés dans la légitimité d'intervenir sont loin de faire con- un cadre de recherche*. sensus. Pour certains, les responsabilités incombent aux individus, et intervenir accroî- 4. FONCTIONS ET PRATIQUES trait leur dépendance; pour d'autres, les respon- sabilités de la société comprennent une atten- DE SANTÉ PUBLIQUE tion particulière vis-à-vis des plus démunis, car Cette section couvre l'intervention en santé leur situation s'explique en partie par la struc- publique, tant des points de vue de sa logique ture sociale, les tensions entre les groupes so- que des ses grandes modalités opérationnelles. ciaux et la «violence sociale» qui en découle. Ces écarts dans la vision de ce qu'est, et de ce 4.1 Intervenir en santé publique que devrait être, la santé publique expliquent à la fois les tensions qui agitent ce domaine et Bien que cela puisse sembler tautologique, il faut également le fait que la santé publique ait tou- rappeler que les interventions en santé publique jours été animée par un courant volontariste découlent de l'identification d'un problème de progressiste, qui l'amène inéluctablement à santé qui affecte la population et pour lequel on étendre le champ de ses interventions. possède ou l'on recherche une ou des interven- tions. A priori, ceci spécifie que la santé publique, car autant les acteurs que les interventions qui 4.2 Fonctions centrales répondent à cette définition sont nombreux et de la santé publique pas particulièrement identifiés au champ de la santé publique. La spécificité tient au fait que le Peu de systèmes de santé publique ont à la fois mandat de la santé publique est fondé sur l'ob- synthétisé et formalisé leurs principales fonc- servation et l'analyse simultanée des problèmes tions. On peut citer les cas du Québec où les d'une population donnée, dans le cadre d'une champs de pratiques sont relativement claire- démarche proactive, suivis d'une analyse de leurs ment établis et les Etats-Unis, qui ont procédé causes et de la priorisation des interventions, en récemment à une analyse en profondeur de leur fonction de la nature et de l'ampleur du pro- système de santé publique ( I O M , 1988). blème et de la disponibilité d'une ou de plusieurs Dans le premier cas, les activités de santé interventions dont l'efficacité est établie. publique relèvent de quatre grandes fonctions: La mise en pratique de ce principe universa- La connaissance et la surveillance de l'état de liste est très variable. Elle dépend des connais- santé et du bien-être de la population permet sances disponibles sur la nature et les causes des de suivre l'évolution des problèmes de santé problèmes de santé et des interventions et, et des facteurs qui les déterminent, de recon- également, du caractère public de ces problèmes naître les problèmes émergents et d'évaluer et des fondements éthiques des interventions à l'efficacité des interventions. mener. L'importance accordée à certains pro- La promotion de la santé et du bien-être vise à blèmes, leur caractère public et le rôle de l'Etat promouvoir le développement de conditions * On trouvera dans Bowling, Ann, «Measuring health. A review of quality of life measurement scales». Open University Press, Buckingham, 1997, une revue synthétique de plus de 70 échelles de mesure de la santé couvrant des mesures globales de la santé (le SF-36, par exemple), des mesures de bien-être social, etc. L'ART ET LA SCIENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE 49 et d'environnements favorables à la santé et ses responsabilités pour servir les intérêts du au bien-être de la population. public par le développement de politiques de La prévention vise plus spécifiquement à con- santé publique globales en promouvant la trôler les facteurs de risque de maladies ou de prise de décision en santé publique sur des blessures. bases scientifiquement fondées et en dirigeant le développement de ces politiques. Les La protection a pour objectif de prévenir ou de organisations devront adopter une approche contrôler les différentes menaces à la santé de stratégique, basée sur une appréciation posi- la population (épidémies, urgences environ- tive du processus politique démocratique. nementales, etc.). Les domaines des maladies La responsabilité et la garantie («assurance»): infectieuses, de la santé au travail et de la santé environnementale relèvent généralement de Les organisations (de santé publique) doivent cette dernière fonction (CRRSSSQ, 1999). garantir à leurs mandants que les services nécessaires à l'atteinte des objectifs convenus L'accomplissement de ces fonctions fait très sont dispensés, soit en favorisant des actions fréquemment appel à la communication. entreprises par d'autres organismes (publics La prévention qui constitue un domaine ou privés), soit par le biais de mesures régu- important de la santé publique, et qui se définit latrices, soit en les fournissant directement. par rapport à la maladie, est à son tour subdi- Lors de la détermination des services indi- visée en trois niveaux. viduels et collectifs hautement prioritaires qui Niveau primaire. Il concerne toutes les doivent être accessibles à tous, chaque agence actions qui visent à éviter l'apparition de la de santé publique doit associer des respon- maladie, soit directement (vaccination, par sables politiques et le public. Cette respon- exemple) soit en agissant sur un ou des fac- sabilité doit englober le financement ou la teurs de risque (par exemple, réduire le dispensation directe des ces services à ceux tabagisme constitue une action de prévention qui n'ont pas les moyens de se les procurer*. primaire vis-à-vis certains cancers ou ma- On peut s'étonner que seule la première de ces ladies cardio-vasculaires). fonctions de base soit identique dans les deux Niveau secondaire. À ce stade, la maladie est énoncés. Cette divergence n'est qu'apparente. latente ou asymptomatique; sa détection pré- Elle tient au fait que les perspectives à partir coce doit permettre d'intervenir plus effi- desquelles ces deux énoncés ont été produits dif- cacement. Les différentes formes de fèrent profondément. Dans le cas du Québec, la dépistages ou d'identification des groupes perspective est plutôt opérationnelle, proche des exposés en font partie. champs des pratiques de la santé publique. Aux Niveau tertiaire. Une lois la maladie Etats-Unis, la perspective adoptée est plutôt axée déclarée, les actions de prévention tertiaire sur la dynamique et les processus de l'action, et doivent permettre d'en réduire la gravité et sur des résultats visés. Les différences de contexte les conséquences (traitements, réadaptation). socio-politique et de l'organisation des services de santé publique, entre un État libéral et un État L'Institute of Medicine définit les trois grandes plus social-démocrate, expliquent ces différences fonctions de la santé publique de la façon suivante. de problématique et de perspective. L'évaluation et la surveillance («assessment») Nonobstant les façons de définir les fonc- consistent, sur une base régulière et systéma- tions de la santé publique, une manière explicite tique, à recueillir, rassembler, analyser et ren- d'en saisir l'objet consiste à examiner, quand dre disponibles les informations sur la santé elles sont établies, les politiques de santé ou de de la communauté, incluant des statistiques santé publique. Elles représentent l'aboutisse- sur l'état de santé, les besoins communau- ment d'un processus d'identification et taires ainsi que des études épidémiologiques d'analyse des problèmes, de revue des interven- et autres sur les problèmes de santé. tions techniquement, politiquement et finan- Le développement des politiques et le plaidoyer cièrement faisables et finalement de la détermi- («policy development») consistent à exercer nation de priorités pour l'intervention. * IOM. The Future of Public Health, National Academy Press, Washington DC, 1988, p. 6-7 (traduction de l'auteur). 50 ENVIRONNEMENT ET SANTÉ PUBLIQUE Le Québec s'est doté en 1997, pour la première des progrès et des réalisations de la santé publique fois, d'une politique de santé publique (MSSS, ainsi qu'à déceler les problèmes majeurs qui se 1997) qui établit sept priorités d'intervention: 1) posent actuellement et les défis qui se dessinent. le développement et l'adaptation sociale des Du fait de la nature multicausale des pro- enfants et des jeunes, 2) les maladies évitables par blèmes de santé et du caractère indissociable des la vaccination, 3) le V I H - S I D A et les maladies notions de santé et de bien-être, il existe transmissibles sexuellement, 4) le dépistage du plusieurs façons non exclusives d'analyser et de cancer du sein, 5) le tabagisme, 6) les trauma- présenter des problèmes de santé: 1) selon la tismes non intentionnels et les traumatismes nature du problème (par exemple, le cancer du intentionnels (violence envers les personnes, sui- sein), 2) selon un groupe de population (par cide) et 7) l'alcoolisme et les toxicomanies. Quatre exemple, les enfants, ce qui permet de considé- principes doivent guider les interventions vis-à-vis rer simultanément tous les problèmes qui de ces problèmes: 1) «agir» et «comprendre», 2) affectent ce groupe, ce qui se rapproche d'une s'engager davantage auprès des communautés, 3) philosophie d'intervention vis-à-vis de groupes s'engager davantage dans la lutte contre les inéga- cibles) ou 3) selon le ou les déterminants de la lités en matière de santé et de bien-être et 4) inter- santé ou du bien-être (par exemple, le tabac, fac- venir de façon concertée et coordonnée. teur déterminant de plusieurs problèmes de De manière similaire, aux États-Unis, une santé: cancer du poumon, maladies cardio- politique de santé publique a été adoptée pour la vasculaires, autres affections pulmonaires et can- période 1990-2000. Elle fixe trois grands objec- cers, etc.; ou encore la pauvreté, qui est à la fois tifs: 1) augmenter la durée de la vie en bonne une caractéristique du bien-être et le détermi- santé, 2) réduire les disparités de santé et 3) ren- nant de nombreux problèmes de santé). dre accessibles les services préventifs pour tous. La section 2 de ce chapitre qui décrivait les Elle a adopté aussi 319 objectifs plus spécifiques courants historiques qui ont façonné la santé regroupés en 22 domaines prioritaires d'interven- publique se terminait par un bref portrait de tion (8 en promotion de la santé, 5 en protection, l'évolution de la santé publique au cours du siècle 8 en services préventifs et 1 en surveillance) (US dernier. Les maladies transmissibles ont PHS, 1990). Cette politique fait l'objet d'un longtemps dominé la scène; elles ont régressé sans suivi régulier*, et une nouvelle politique pour la toutefois disparaître (voire être en recrudescence décennie 2000-2010 a été élaborée. dans certains cas comme le sida ou la tubercu- Plus récemment, on a utilisé des cadres supra- lose). Les maladies chroniques et dégénératives nationaux pour définir des priorités de santé ont ensuite occupé une place plus importante, et, publique. L'Union européenne a énoncé 10 actuellement, les différentes formes de violence domaines prioritaires d'intervention: 1) les iné- mettent à l'avant-scène une nouvelle série de galités sociales de santé, 2) la prévention de l'al- problèmes et ravivent ceux qui prévalaient déjà. coolisme, 3) l'usage des drogues, 4) le tabac, 5) la Les pages suivantes examineront successive- surveillance de la santé, 6) la qualité des services ment 1) l'évolution des problèmes de santé défi- de santé, 7) le vieillissement, 8) la santé mentale, nis à partir de quelques affections dominantes, 9) l'environnement et 10) la nutrition ( D G - 2) la vulnérabilité spécifique de quelques E M P L , 1999). groupes de la population, 3) les soins médicaux et la santé publique et 4) les objets principaux de la «nouvelle santé publique»***. 5. DÉFIS DE LA SANTÉ PUBLIQUE** La figure 2.2 donne un panorama mondial Le but de cette section n'est pas de dresser un de la situation de la santé, niveau auquel les pro- tableau exhaustif de tous les problèmes de santé blèmes de santé des pays en développement publique. Elle vise plutôt à établir un bref bilan dominent. * Dernière évaluation disponible: «National Health Center for Health Statistics», Healthy People 2000 Review. 1998-99, Public Health Service, Hyattsville, Maryland, 1999. ** Cette section, plus encore que les précédentes, fera référence aux pays industrialisés. * * * Une couverture exhaustive du domaine de la santé publique aurait nécessité d'inclure la santé au tra- vail et la santé environnementale. Tous les autres chapitres de cet ouvrage leur étant consacrés, il n'a pas paru nécessaire d'en faire mention ici. L'ART ET LA SCIENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE 51 Situation mondiale de la santé Choisir un indicateur synthétique à partir duquel des comparaisons mondiales sur les états de santé peuvent être établies est un défi de taille. La mesure «du fardeau de la maladie» à partir des AVCI (Années de vie corrigées du facteur d'invalidité) tente de relever ce défi. Cet indicateur intègre celui qui mesure les APVP (Années potentielles de vie perdues) et qui ne concerne que la mortalité, à la morbidité qui, elle aussi, est mesurée en termes d'années perdues. Dans ce cas, cependant, les années n'étant pas «totalement perdues», car il n'y a pas décès; elles sont «partiellement perdues», l'intensité de l'incapacité déterminant ce caractère plus ou moins partiel*. Les régions défavorisées du monde portent une part considérable du fardeau mondial de la maladie. Leur part relative est encore plus importante si l'on considère la proportion mondiale de la population qu'elles représentent (Afrique sub-saharienne: 10 %, Inde: 16 %). Distribution mondiale du fardeau de la m a l a d i e * * * Murray, C. L. J. «Quantifying the burden of disease: the technical basis for disability-adjusted life of years», Bulletin of the World Health Organization. 72, 3, 1994. p. 429-445. ** Murray, C. L. J., A. D. Lopez et D. T. Jamison «The global burden of disease in 1990: summary results, sensitivity analysis and future directions», Bulletin of the World Health Organization, 72, 3, 1994, p. 495-509. Figure 2.2 Situation mondiale de la santé 52 ENVIRONNEMENT ET SANTÉ PUBLIQUE 5.1 Maladies infectieuses, affections Le V I H , dont la transmission n'est pas exclu- chroniques et habitudes de vie sivement sexuelle mais également sanguine (pro- duits sanguins contaminés, seringues et instru- Les maladies infectieuses ont constitué des ments souillés) et intra-utérine, constitue un fléaux dans le passé. Les mesures d'hygiène, de problème majeur de santé publique du fait de son protection individuelle, en premier lieu, la vac- caractère actuellement incurable et des con- cination, de même que l'avènement des pro- séquences morbides considérables qu'il entraîne, duits anti-infectieux les ont considérablement tant en terme de souffrances que de demande de réduites, bien qu'elles continuent à représenter services de santé. Au niveau mondial, en 1999, des problèmes majeurs dans de nombreux pays on relevait 33,6 millions de personnes infectées en développement. Certaines maladies évitables avec le V I H , 5,6 millions de nouveaux cas et 2,6 par la vaccination ont été éradiquées (variole) ou millions de décès ( O N U S I D A , 1999). sont sur le point de l'être (poliomyélite). La résurgence des maladies transmissibles n'est Les maladies qui peuvent être prévenues par la pas simplement liée aux quelques maladies infec- vaccination (coqueluche, rougeole, rubéole, tieuses ré-émergentes ou nouvelles qui viennent influenza, maladies à méningocoques, à hae- d'être évoquées. L'apparition de résistances liées à mophilius, hépatite B et tuberculose) font l'objet l'utilisation parfois incontrôlée des agents anti- d'une attention particulière, car les vaccins ne infectieux et les risques accrus liés à l'évolution permettent toutefois pas de les contrôler parfaite- des modes de vie (voyages et maladies tropicales), ment, du fait de l'efficacité relative du vaccin ou des techniques industrielles et agro-alimentaires d'une couverture vaccinale incomplète. (alimentation animale et encéphalopathie Dans le courant de la décennie 1980, on a spongiforme) et des pratiques médicales font des observé une recrudescence des cas de rougeole maladies infectieuses un risque permanent dont l'incidence annuelle* est passée de 2,4 à (HCSP, 1996). Dans le cadre de ces nouveaux 42,5/100 000 au Québec, où l'on a observé risques infectieux, une nouvelle forme est parti- plus de 10 000 cas en 1989 (Santé Canada, culièrement à craindre: le bio-terrorisme. 1995). L'inflenza (grippe) demeure un problème Les cancers, les maladies cérébro- et cardio- de santé majeur, particulièrement auprès des vasculaires ont vu leur importance augmenter au personnes âgées. Au Canada, on estime qu'elle cours des dernières décennies, mais leurs évolu- est responsable, directement et indirectement, tions ne sont pas univoques. Ces affections sont de 6700 décès et près de 75 000 hospitalisations qualifiées de chroniques, car elles ont une évolu- annuellement ( L C D C , 1993). La tuberculose tion généralement plus lente que ce qu'il était est également en recrudescence, essentiellement coutume d'observer avec les maladies infec- du fait de son augmentation considérable parmi tieuses à manifestations plus aiguës, et de les groupes vulnérables dont le système i m m u - dégénératives, car elles s'accompagnent des mo- nitaire est affaibli. Cette situation fait suite à difications tissulaires et physiopathologiques. une forte diminution à l'échelle mondiale, ce Les maladies cardio-vasculaires ( M C V ) con- qui a conduit l ' O M S à déclarer que cela consti- stituent la première cause de mortalité au tuait une urgence mondiale (Reichman, 1991). Canada et dans la plupart des pays industrialisés ; L'obstacle principal au contrôle de ce problème les plus communes sont les maladies corona- demeure l'observance aux traitements. riennes ou ischémiques, dont l'infarctus du Les maladies sexuellement transmissibles myocarde et les accidents vasculaires cérébraux. sont également en augmentation, et l'infection Au Canada, en 1997, les taux de mortalité liés au V I H responsable du sida a fait de ce groupe aux M C V étaient de 307 et 188 par 100 000 d'affections un des problèmes majeurs de santé respectivement pour les hommes et les femmes, publique. Les gonococcies, la chlamydiose et ce qui représentait 36 % des causes de décès l'herpès génital, pour ne citer que les plus (Statistique Canada, 1999). En France, où les importants, sont en recrudescence. M C V sont en diminution, ces taux étaient de 130 et 90/100 000 en 1994 (HCSP, 1996). Ces données illustrent le fait que, bien que les M C V constituent un problème majeur de santé dans * Rapport entre le nombre de nouveaux cas pendant une année et la population de cette même année. L'ART ET LA SCIENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE 53 les pays industrialisés, leurs taux de mortalité du système nerveux central et périphérique et varient considérablement d'un pays à l'autre*. du système cardio-vasculaire, et il augmente le Le groupe disparate des cancers est, avec les risque d'accidents de la route. M C V , l'autre groupe majeur de maladies que L'évolution des habitudes alimentaires dans les l'on peut observer dans les pays industrialisés. pays industrialisés a amené à réduire la consom- En 2002, au Canada, on prévoyait une inci- mation de sucres à absorption lente et de végé- dence de 136 900 nouveaux cas pour 66 200 taux, et à augmenter celle de corps gras et de décès (1NCC, 2002). Chez les hommes, le can- sucres rapides. Ceci combiné à une insuffisance cer du poumon représente de loin le premier des d'exercice physique entraîne une augmentation cancers, alors qu'il a tendance à ne plus aug- du poids et d'autres problèmes métaboliques. menter, voire légèrement régresser, dans certains Il faut mentionner que certains groupes de la pays. Les cancers colorectal et prostatiques sont population cumulent plusieurs comportements les autres cancers les plus importants chez les à risques: en 1994-95, parmi les comportements hommes. Chez les femmes, le cancer du sein est suivants, tabagisme, consommation d'alcool la principale cause de décès par cancer. Le can- excessive, partenaires sexuels multiples et rap- cer du poumon est en augmentation consi- ports sexuels non protégés, 26 % des hommes dérable et entraîne un niveau de mortalité sou- adolescents présentaient un comportement à vent proche de celui du cancer du sein. Au cours des dernières décennies, à peu d'exceptions près, risque, 24 %, en avaient 2 et 19 %, 3 ou 4. Ces les durées de survie des personnes atteintes du proportions sont plus faibles chez les femmes cancer ont considérablement augmenté. (CCSP, 1999). Pour les deux groupes de maladies qui viennent d'être évoqués, les M C V et les cancers, outre leurs 5.2 Quelques groupes déterminants génétiques, les habitudes de vie et les particulièrement vulnérables facteurs environnementaux jouent un rôle consi- dérable. Le tabac est fortement incriminé dans la Les enfants constituent un groupe vulnérable où survenue de plusieurs cancers (poumon, larynx, que ce soit dans le monde et quel que soit le vessie, pancréas, etc.) et également dans celle des moment dans l'histoire. Après avoir payé un M C V et des maladies respiratoires. Il a également lourd tribut aux maladies infectieuses, toujours un effet dommageable sur le fœtus, le nourrisson prévalantes dans les pays en développement et et le nouveau-né. Au Canada, entre 1970 et 1990, menaçantes dans les pays industrialisés, les la fréquence de l'usage du tabac a chuté consi- enfants sont particulièrement à risque durant la dérablement, passant de 47 à 30 % chez les per- période périnatale et quand ils grandissent dans sonnes de 15 ans et plus. Par contre, la proportion des environnement précaires et démunis. Le des fumeurs adolescents a augmenté notablement, développement in utero peut être affecté par les passant de 21 % en 1990 à 29 % en 1994-95, con- conditions de la grossesse (alimentation, habi- trairement à ce qui se passe dans les autres groupes tudes de vie de la mère, etc.), ce qui peut aboutir d'âge. Il faut également noter que l'usage du tabac à une naissance prématurée ou à un poids est inversement proportionnel au niveau d'instruc- insuffisant à la naissance. Ces deux caractéris- tion (CCSP, 1999a). En 1991, on estimait que, au tiques sont des prédicteurs de problèmes de Canada, 45 000 décès prématurés étaient attribués croissance et de survenue plus fréquente de au tabagisme, soit le quart de tous les décès sur- diverses affections pathologiques. venant entre 35 et 84 ans (CCSP, 1999a). Dans les pays industrialisés, et plus parti- L'alcool a une responsabilité dans la survenue culièrement ceux dont la couverture sociale est des cancers de la bouche, du larynx et de l'œ- faible, la santé des enfants des groupes pauvres sophage. Il est également responsable d'atteintes est particulièrement préoccupante. Du fait des * Par exemple, en 1992, pour les maladies cardio-ischémiques. les taux de mortalité pour les hommes de 49 à 60 ans variaient de 100 en France à plus de 350/100 000 en Finlande, Irlande, Écosse, etc. WHO MONICA Project, préparé par H. Tunstall-Pedoe, K. Kuulasmaa. P. Amouyel, D. Arveiler, A. M. Rajankangas et A. Pajak, «Myocardial infarction and coronary deaths in the World Health Organization Monica Project. Registration procedures, event rates, and case-fatality rates in 38 populations from 21 countries in four continents», Circulation. 90, 1994, p. 583-612. 54 ENVIRONNEMENT ET SANTÉ PUBLIQUE caractéristiques de ces milieux, les problèmes situation engendre néanmoins des inquiétudes d'adaptation sociale sont également plus légitimes. La réduction de l'accessibilité accentue fréquents chez ces enfants qui sont, plus souvent la différenciation de l'utilisation selon les groupes que d'autres, victimes d'abus et de négligence. socio-économiques et suscite des inquiétudes À l'autre extrémité du spectre de la vie, les per- parmi les groupes les plus vulnérables ou ceux sonnes âgées constituent également un groupe dont la consommation de soins est la plus impor- vulnérable. La diminution de la natalité et de la tante. Une étude récente dans la région de M o n - mortalité à tous les âges de la vie a pour effet d'ac- tréal, qui a connu des bouleversements impor- croître la proportion des personnes âgées dans la tants dans l'offre de soins, confirme que population et également d'augmenter la durée de l'utilisation des services de santé semble peu affec- la vie. Alors que le seuil «psychologique» de la tée quantitativement et qu'une certaine redistri- vieillesse est fixé à 65 ans, il faut maintenant con- bution s'opère parmi les fournisseurs, du fait de sidérer plusieurs tranches d'âges parmi les per- modifications de leur accessibilité, mais que la sonnes âgées: 65-74, 74-84, 85 et plus. Il faut population estime que les services se sont détério- également mentionner que l'espérance de vie en rés et que le niveau de confiance dans le système bonne santé, ou tout du moins avec des handi- de soins a baissé (Pineault et coll., 1999). caps mineurs, augmente, et que cela a pour effet de changer de façon importante les profils de santé et de bien-être de ces populations. 5.4 Défis de la nouvelle santé Bien que les revenus des personnes âgées aient publique* eu tendance à augmenter au cours des dernières La santé publique lait face à des problèmes nou- décennies, ce segment de la population est veaux ou exacerbés du lait des modifications de économiquement vulnérable, d'autant plus que la l'environnement physique, des structures réduction des capacités physiques exige souvent des modifications des environnements de vie et sociales, des rapports entre les groupes sociaux que celles-ci peuvent s'avérer coûteuses. ou des dynamiques familiales et individuelles **. Il faut également mentionner qu'au titre de En plus de concentrer les maladies nouveaux défis de la santé publique on y intègre chroniques et dégénératives qui viennent d'être des problèmes qui existent de longue date, mais mentionnées, les personnes âgées sont parti- culièrement exposées en ce qui concerne les que l'on considère maintenant du champ de la abus (physiques, psychologiques et financiers), santé publique et pour lesquels il devient la négligence et les accidents (par exemple, légitime d'intervenir. chutes à domicile). Ces problèmes sont pour la plupart liés à dif- La notion de groupe vulnérable est également férentes formes de violences, qu'elles soient étroitement liée à des considérations sociales. individuelles ou collectives, intentionnelles ou non. À ces titres figurent les traumatismes (en particulier à la suite d'accidents de la route), les 5.3 Services de santé crimes contre les personnes, le suicide, certaines L'évolution constante de la technologie médi- maladies mentales et les toxicomanies. cale, la croissance de la demande de services de Les traumatismes présentent à bien des égards santé, particulièrement curatifs, ont entraîné les caractéristiques d'une épidémie. Au Canada, ils dans tous les pays industrialisés une forte aug- constituent la principale cause de décès parmi les mentation des dépenses de santé et, secondaire- adultes jeunes et la deuxième cause d'années ment, des mesures parfois draconiennes pour potentielles de vies perdues (après les cancers) freiner cette croissance. (CCSP, 1999a). Les accidents de la route en cons- Il est difficile, sauf cas particuliers, d'établir un tituent la première cause spécifique: au Canada, en lien direct entre le rationnement des services de 1996, plus de 3000 personnes ont été tuées et plus santé et leur éventuel impact sur la santé. Cette de 230 000 ont été blessées à la suite d'accidents de * On cédera à la tentation actuelle d'utiliser le terme «nouvelle santé publique», mais en rappelant que la santé publique est perpétuellement en renouveau. ** Voir section 3.2, la thèse de Dubos, selon laquelle les changements de l'environnement et des condi- tions de vie déterminent la santé collective. L'ART ET LA SCIENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE 55 la route (CCSP, 1999a). Ce fléau illustre bien ventions dans des groupes particuliers, voire des l'évolution du champ des pratiques de la santé modifications de la structure sociale. À partir de publique: aux déterminants individuels (com- ce moment se pose la question du contrôle portements des conducteurs, port de la ceinture de social, thème qui n'est pas nouveau en santé sécurité, alcoolisme), dont les modifications font publique, mais qui se trouve réactualisé. partie des stratégies habituelles de la santé Les progrès des connaissances en génétique publique, s'en ajoutent d'autres (infrastructures, humaine laissent prévoir des remises en ques- état des véhicules, réglementations, etc.) qui tion, des modifications des pratiques de la santé requièrent des interventions dont la nature et les publique: mieux connaître et mieux compren- besoins d'expertise ne sont pas identifiés à la santé dre le rôle des déterminants génétiques et leurs publique. Ces changements plus structurels qui interrelations avec d'autres déterminants sem- modifient les environnements de vie ou de travail blent ouvrir la voie à des activités de protection, font partie de ce qu'on appelle maintenant des de prévention et de promotion plus ciblées, plus «politiques publiques saines». Leur promotion, efficaces. Mais quels sont les risques que ces excessive pour certains, soulève une des questions connaissances introduiront quand ces caractéris- d'éthique importante de la santé publique: tiques génétiques s'appliqueront à des com- jusqu'où peut-on ou doit-on restreindre les libertés portements ou se retrouveront plus fréquem- individuelles au nom du bien public? ment concentrées dans certains groupes de Outre ces traumatismes qualifiés de non inten- population? tionnels, en figurent d'autres à caractère intention- nel comme les homicides, les suicides et d'autres 6. CONCLUSION formes de violence qui se manifestent dans dif- férents milieux de vie: famille, école, travail, etc. L'évolution de la santé publique ne saurait être Bien que ce soient uniquement des conven- univoque, elle n'obéit pas à une logique déter- tions sociales qui déterminent les limites entre ministe et elle ne peut être assimilée à un les drogues illicites et licites, le tabac par exem- phénomène biologique, bien qu'elle intègre une ple, la consommation des drogues illicites cons- notion collective de la biologie. Son évolution titue une préoccupation croissante en santé est dictée en premier lieu par des changements publique. Au Canada, on rapportait que, en des environnements dans lesquels les popula- 1994, 7 % des adultes déclaraient une utilisation tions évoluent, mais également des modifica- actuelle du cannabis et environ 1 % déclaraient tions des valeurs de la société vis-à-vis de la santé utiliser couramment une autre drogue comme et du rôle régulateur et interventionniste des l'héroïne, la cocaïne, le «crack», le L S D , etc. Ceci pouvoirs publics dans cette sphère. représente un quart de million d'utilisateurs de La dimension volontariste et progressiste qui drogues « dures » (CCSP, 1999a). a toujours animé la santé publique, avec une Les inégalités sociales et la santé, thème vigueur variable selon les lieux et les époques, ancien et récurrent de la santé publique, sont à constitue une force qui amène son champ à s'é- nouveau sous les feux de l'actualité. À la cons- tendre. Certains appellent à une vision plus tante des liens entre les groupes sociaux et la politique de la santé publique qui devrait s'en- santé, il faut ajouter le fait que les améliorations gager dans des actions conduisant à plus de jus- de santé que l'on observe sont également liées à tice sociale (Bibeau, 1999). Bien que son un gradient social: en France, entre les périodes essence et ses principes soient communément 1980-84 et 1988-92, on observe des réductions partagés, les pratiques de la santé publique va- de la mortalité par cancers et maladies vasculaires rient d'un pays à un autre, façonnées par les cérébrales plus importantes chez les cadres héritages biologiques et l'histoire sociale. supérieurs et les professions libérales que chez les Le domaine de la santé publique dont la cadres moyens, et, pour ces derniers, les amélio- «délimitation floue et les frontières chan- rations relevées sont supérieures à celles notées geantes»* demeureront une caractéristique per- chez les employés et les ouvriers (HCSP, 1996). manente se recomposera constamment en fonc- Bon nombre de ce qui constitue les pro- tion de l'histoire, des réalités locales et de blèmes de santé publique actuels exige des inter- l'activisme de ses leaders. * Gagnon, F. et P. Bergeron (avec la collaboration de J. P. Fortin). «Le champ contemporain de la santé publique. Un modèle en transformation», sous la direction de C. Bégin, P. Bergeron, P. Gerlier-Forest et V. Lemieux, les Presses de l'Université de Montréal, 1999. 56 ENVIRONNEMENT ET SANTÉ PUBLIQUE Bibliographie Ashton, J. et H. Seymour. The New Public Health, tions coopératives Albert Saint-Martin, Laval, Open University Press, Buckingham, 1988. 1981, p. 53-80. Bibeau, G. «Une troisième voie en santé publique», Fee, E. «The origins and development of public health Ruptures 6, 2, 1999, p. 209-236. in the United States in Oxford Textbook of Public Blaxter, M. Health and lifestyles, Tavistock/Routledge, Health», The Scope of public Health, volume I, London, 1990. Oxford Medical Publications, 1997, p. 35-54. Breslow, L. «Musing on sixty years in public health», Foucault, M. Naissance de la clinique. Presses Ann Rev Pub Health, 19, 1998, p. 1-15. Universitaires de France, Paris, 1972. 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