Santé publique et santé environnementale PDF

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L'École de santé publique de l'Université de Montréal

Pierre Fournier, Lise Gauvin, Laurent Chambaud

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santé publique santé environnementale développement durable sciences de la santé

Summary

Ce chapitre introduit les grands courants, les méthodes et les objets de la santé publique. Il décrit l'évolution de la santé publique et son lien avec le concept de santé et ses déterminants, pour mieux situer le champ disciplinaire de la santé environnementale. L'auteur présente différentes perspectives professionnelles sur la santé publique et aborde l'évolution historique de la discipline.

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Chapitre 1. Santé publique et santé environnementale Pierre Fournier, Lise Gauvin, Laurent Chambaud Dans Références Santé Social 2023, pages 39 à 68 Éditions Presses de l’EHESP © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Article disponible en ligne à l’adres...

Chapitre 1. Santé publique et santé environnementale Pierre Fournier, Lise Gauvin, Laurent Chambaud Dans Références Santé Social 2023, pages 39 à 68 Éditions Presses de l’EHESP © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/environnement-et-sante-publique--9782810910076-page-39.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. Distribution électronique Cairn.info pour Presses de l’EHESP. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) ISBN 9782810910076 DOI 10.3917/ehesp.goupi.2023.01.0039 Chapitre 1 Santé publique et santé environnementale Pierre Fournier, Lise Gauvin, Laurent Chambaud Ce chapitre introductif présente les grands courants, les méthodes et les objets de la santé publique. Décrire comment la santé publique s’est déve­ loppée, ce qui l’anime actuellement et s’initier au concept de la santé et de ses déterminants apparaît fondamental pour ensuite aborder, dans les chapitres sui­ vants, l’évolution de la santé environnementale. Bien comprendre ce qui carac­ térise la santé publique permet en effet de mieux situer le champ disciplinaire de la pratique en santé environnementale. Objectifs du chapitre  Décrire l’évolution et la dynamique de la santé publique et comment certains courants l’ont façonnée et continuent de le faire.   Associer la santé publique à la compréhension du concept de santé et de ses déterminants.  Relier les concepts et les fondements de la santé publique aux différents champs de pratique tels qu’observés aujourd’hui.  Détailler la diversité des politiques et des pratiques de santé publique dans différentes régions du monde.  Replacer la santé environnementale dans un contexte plus large de santé publique.  Connaître les défis auxquels la santé publique est confrontée et comprendre les enjeux qui sous-tendent le renouveau de la santé publique. © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) 1.1. Définir la santé publique Il n’existe pas de définition simple et univoque de la santé publique. Les énoncés suivants reflètent la diversité des perceptions professionnelles : « Quand je pense à la santé publique, je pense intervention précoce, pré­ vention… » « La santé publique, c’est la vaccination, la santé dans les écoles, le contrôle des maladies contagieuses… » REF_Environnement_Sante.indb 39 « C’est tout ce qui affecte la santé de la communauté sur une base collective… » 39 15/05/2023 13:48:33 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale « La santé publique, c’est tout ce qui est en dehors de la pratique médicale individuelle… » « La fonction centrale de la santé publique, c’est la capacité de reconnaître les problèmes, de les mesurer et d’essayer d’intervenir… » (IOM, 1988)1 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Le concept de santé publique est communément utilisé avec deux sens : celui d’établir une distinction entre des services publics et privés et celui de distinguer le particulier (ou individuel) du général (ou collectif) (Turshen, 1988). Pour Frenk (1993), le concept de santé publique évoque les notions d’action gouver­ nementale, de services collectifs (les mesures environnementales comme l’as­ sainissement) ou de services individuels destinés à des groupes vulnérables (par exemple, la vaccination). La notion de problème de santé publique réfère à des maladies fréquentes, dangereuses ou des menaces sanitaires d’envergure. Les difficultés rencontrées pour définir la santé publique tiennent à plusieurs raisons : la santé est surtout vue comme un attribut individuel dont les représen­ tations sont bien établies (maladie, souffrance, bien-être, réalisation, etc.). La « santé collective » est plus difficile à percevoir et mesurer : c’est une construction sociale et un axe autour duquel se structurent les sociétés. Du point de vue des connaissances, la santé publique n’est pas une discipline, mais un domaine d’action vers lequel convergent de nombreuses disciplines. Du point de vue des pratiques et des systèmes de santé, on observe à la fois une variété et des divergences considérables, d’où la difficulté de reconstruire empirique­ ment le champ d’action de la santé publique. À défaut d’une définition univoque, on peut retenir un énoncé de mission qui permet d’intégrer à une vision dynamique de l’action, celle d’un champ de connaissances et également d’un domaine de pratiques qui sont en constante évolution : « La mission de la santé publique consiste à garantir les intérêts de la société en assurant des conditions dans lesquelles les populations sont en santé. » (IOM, 1988) Plus d’un demi-siècle auparavant, Winslow (1920) avait proposé une défi­ nition plus exhaustive toujours d’actualité : « La santé publique est la science et l’art de prévenir les maladies, de prolon­ ger la vie et de promouvoir la santé physique et l’efficacité, par le biais d’efforts collectifs organisés, et visant la salubrité de l’environnement, le contrôle des infections communautaires, l’éducation des individus à l’hygiène personnelle, l’organisation des services médicaux et infirmiers pour le diagnostic précoce et la prévention de la maladie et le développement de l’infrastructure sociale qui assurera à chaque individu de la communauté un standard de vie adéquat pour se maintenir en santé. » La difficulté à définir simplement la santé publique n’est pas sans consé­ quences : les professionnels sont affectés par le fait que leur rôle n’est pas perçu 1. Depuis 2015, l’Institute of Medicine (IOM) est devenu la National Academy of Medicine (NAM). REF_Environnement_Sante.indb 40 40 15/05/2023 13:48:33 « Tout en santé publique commence avec la perspective populationnelle et avec l’effort de mesurer et d’améliorer l’état de santé des populations. » © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Nous verrons dans ce chapitre comment cette mission s’organise en grandes fonctions qui, à leur tour, déterminent des pratiques. Selon DeSalvo et al. (2017), la santé publique a évolué en trois étapes : – La santé publique 1.0 se pratiquait à la fin du XIXe siècle et une majeure partie du XXe siècle et était essentiellement centrée sur l’hygiène des milieux et la lutte contre les maladies infectieuses avec l’avènement d’antibiotiques et de vaccins. – La santé publique 2.0 était celle décrite par l’IOM en 1988 et qui s’est actualisée au cours des deux dernières décennies du XXe siècle. Elle a permis la mise en place d’organisations entièrement dédiées à la santé publique, l’iden­ tification de ses fonctions essentielles, de compétences spécifiques et de stan­ dards de performance. – La santé publique 3.0 propose un élargissement de son action au-delà des organisations de santé publique dans les secteurs autres (éducation, municipa­ lités, organisations représentant la société civile, transports) que ceux de la santé et de la santé publique. Les responsables dans les organisations de santé publique jouant un rôle stratégique pour orchestrer des réponses intersectorielles et tisser des partenariats vecteurs de changement des expositions environne­ mentales, sociales et économiques qui influencent la santé et l’équité. Parallèlement, en médecine et en promotion de la santé, on a avancé la notion de « médecine 4.0 » (Topol, 2012, 2015) et de « promotion de la santé 4.0 » (Kickbusch, 2019), une façon de souligner que les transformations de la 4e révo­ lution industrielle sont intégrées dans les actions professionnelles et l’interven­ tion, notamment à travers les objets connectés et les mégadonnées (encadré 1). Suite aux avancées en génomique, des réflexions se développent autour de la médecine de précision et de la médecine personnalisée (Dzau et Ginsburg, 2016 ; Khoury et Holt, 2021), mais aussi de la santé publique de précision 2 (Dobbins et Buckeridge, 2020). L’évolution de ces concepts et leur mise en application contribueront à transformer la santé publique. Partie 1. Chapitre 1. clairement par le public et son développement académique est freiné par l’ab­ sence d’identification disciplinaire. Selon Beauchamp et Steinbock (1999) : © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Santé publique et santé environnementale Encadré 1. Les révolutions industrielles e La notion de 4 révolution industrielle a été mise en avant par Schwab (2015, 2016) et entérinée au Forum économique mondial de 2016 : – La 1re révolution industrielle (fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle) a été marquée par la mécanisation et l’invention de la machine à vapeur qui a permis l’expansion du système ferroviaire. – La 2e révolution industrielle (fin du XIXe siècle au début du XXe siècle) a été caractérisée par la production de masse, l’extraction du pétrole et du gaz et l’électrification. 2. Les notions reliées à la médecine de précision et la santé de précision sont d’actualité. Les auteurs Heckler et al. (2020) cherchent actuellement à établir des convergences ou divergences entre les approches qui sont orientées vers les applications issues de la médecine génomique pour les individus et celles qui visent les populations et l’action sur les déterminants de la santé. REF_Environnement_Sante.indb 41 41 15/05/2023 13:48:33 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale – Lors de la 3e révolution industrielle (autour des années 1970), l’informatique et l’automatisation se sont largement répandues. – Et finalement la 4e révolution industrielle s’amorce actuellement, marquée par la numérisation croissante, l’interconnectivité des individus sur la planète, l’intelligence artificielle et la production de mégadonnées. 1.2. Courants qui ont façonné la santé publique © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) On peut situer au XVIIIe siècle et à la période préindustrielle les origines de la santé publique telle que nous la connaissons actuellement dans le monde occi­ dental. Bien que ce soit à partir de cette époque que des événements marquants ont façonné la santé publique, l’origine de ces mouvements est bien antérieure3. L’esquisse qui sera brossée ici se limite à la civilisation occidentale et indirecte­ ment à ses précurseurs (égyptienne, grecque et latine). D’autres civilisations ont établi des pratiques de santé publique. En fait, la vie en société et l’organisation familiale ont toujours imposé l’adoption de certaines règles dont bon nombre ont trait à la santé, certaines pouvant être qualifiées « de santé publique ». Nous présentons ici les origines, les logiques et les contenus de quatre grands courants qui ont façonné la santé publique : – celui de l’hygiène publique, originellement connu sous le nom de Sanitary Movement ; – celui de l’hygiène personnelle ; – celui de la médecine sociale ; – celui de l’organisation des services de santé. Tout le monde ne s’accordera pas à considérer que ce sont les seuls courants significatifs, ou même que le dernier d’entre eux relève bien de la santé publique. Si les limites entre ces courants peuvent paraître artificielles, elles ont l’avantage de clarifier cette esquisse historique. Plus récemment, la santé publique élargit ses perspectives et se décline en santé mondiale, voire planétaire. Nous nous référerons ici à des situations du Québec, du Canada mais aussi de la France ou d’autres pays européens. Dans d’autres régions du monde, les influences culturelles, les niveaux de ressources et les rapports géopolitiques ont façonné différemment la santé publique. Les incidences des liens entre les humains, le monde animal et les éco­ systèmes sont de mieux en mieux connues et ont donné naissance à la notion « d’une seule santé » qui marquera certainement l’avenir de la santé publique. On peut en dire de même de l’élargissement de la vision des déterminants de la santé qui s’étendent à tous nos écosystèmes : les moyens de les préserver et les menaces à leur intégrité sont autant d’enjeux à venir pour la santé. 3. On référera en particulier à Hippocrate dont un des traités vers 500 ans avant J.-C. examinait les relations entre l’environnement et la santé. Il rapportait également des observations au sujet des maladies endémiques et épidémiques (Hippocrate, 1800). REF_Environnement_Sante.indb 42 42 15/05/2023 13:48:33 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Ce courant est à la fois le plus ancien et celui auquel la santé publique est la plus fréquemment identifiée ; le développement et l’organisation des sociétés ont toujours inclus des dispositions collectives qui rendaient la vie en groupe possible, voire meilleure. Dès le Moyen Âge, le contrôle des maladies contagieuses (peste, lèpre, choléra) a suscité les premières mesures publiques dans le domaine de la santé : quarantaines, protections individuelles, etc. Le contrôle des épidémies a constitué la première préoccupation internationale de santé publique et la 1re Conférence internationale en santé à Paris en 1851 lui était exclusivement consacrée. Les premières organisations de santé à caractère international (Bureau sanitaire panaméricain, 1902) visaient à limiter la propagation des épidémies. Plus récemment, le sida, le risque d’extension globale de la maladie du virus Ebola en 2014, la pandémie de Covid-19 et l’éclosion de variole du singe de 2022 ont mis cette fonction de la santé publique au premier plan. Dès le milieu du XIXe siècle, l’industrialisation et l’urbanisation des pays occi­ dentaux et, en premier lieu de la Grande-Bretagne, ont mis en évidence l’influence des conditions d’hygiène et de vie comme déterminants des maladies contagieuses. Le Sanitary Movement et les travaux de Chadwick (1842, 1848) initient cette mobilisation. Ces rapports mettaient en évidence les relations entre l’insalubrité de l’environnement et le mauvais état de santé des travailleurs. Même si les théories microbiennes des germes n’étaient pas encore connues, il préconisait des mesures d’hygiène collective qui sont toujours d’actualité (ramassage des ordures, normes d’habitation, assainissement, adduction d’eau, etc.). Les travaux de Pasteur, puis de Koch, ont conduit à la naissance de la micro­ biologie (1880). Les fondements de la bactériologie et la mise en évidence des mécanismes de transmission des maladies infectieuses mettent fin aux polémiques entre « contagionnistes » et « anticontagionnistes » et apportent à ce champ de pra­ tique une forte légitimité scientifique qui sera renforcée par la découverte de nou­ veaux vaccins4. L’identification des agents microbiens responsables des maladies infectieuses a ouvert la voie d’une « nouvelle santé publique » à la fin du XIXe siècle (Fee, 1997). La microbiologie exercera une influence marquante sur la santé publique pendant toute la première moitié du XXe siècle. C’est dans ce champ que la santé publique compte l’un de ses plus remarquables succès : l’éradication de la variole dans les années 1970 (Henderson, 1980). Aujourd’hui, risques infectieux et environnementaux sont étroitement liés, bien que faisant appel à des disciplines et des connaissances différentes. Ils par­ tagent des caractéristiques communes : ce sont des risques dont le niveau ne peut être nul et qui nécessitent une évaluation permanente, des mesures Partie 1. Chapitre 1. 1.2.1. Hygiène publique, contrôle des maladies transmissibles et environnement © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Santé publique et santé environnementale 4. Certains considèrent la découverte de la vaccination par Jenner en 1796 comme l’acte de naissance de la santé publique (Foege, 1994). Il s’agit plutôt d’une observation isolée et presque fortuite dont les fondements biologiques n’ont été compris que plus tard. REF_Environnement_Sante.indb 43 43 15/05/2023 13:48:33 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale collectives de protection, une gestion du risque et des crises et une communi­ cation à la population. Le Québec et le Canada, à l’instar d’autres pays, ont connu une période d’industrialisation majeure au début du XXe siècle. Les causes principales de mortalité et de morbidité étaient liées aux maladies infectieuses et aux accidents du travail. Desrosiers (1984) indique qu’au Québec cette période est caractérisée par des coûts des services de santé assumés par les individus et les familles et une extension du réseau hospitalier grâce aux institutions religieuses. Progressivement, des actions sont prises pour agir sur la santé de la population, les mesures d’assistance et de sécurité sociale se développent et, en 1909, le Québec adopte une loi sur les accidents de travail. Elle est suivie, en 1921, par l’adoption de la loi d’assistance publique qui rend les hôpitaux responsables de la prise en charge des personnes sans domicile fixe et, en 1928, par la création de la Commission des accidents du travail. À cette époque, la santé publique porte seulement sur quelques enjeux et de façon parcellaire. C’est dans ce courant que se situe l’émergence de la santé environnementale dans les pays occidentaux. 1.2.2. Hygiène individuelle et éducation pour la santé « Liée non seulement à la médecine, mais aussi à la religion, à la morale, à l’éducation, à l’art de gouverner, l’hygiène individuelle reste longtemps une philosophie. Plus tard, la physiologie, qui lui dicte ses préceptes, fera d’elle une science… » (Sand, 1948) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Ce courant de la santé publique a toujours établi un lien entre le corps et l’esprit. Dès le XIXe siècle, les premières grandes campagnes sanitaires sont organisées contre le fléau de l’alcoolisme. Avec l’accroissement des connaissances en biologie et en médecine et leur vulgarisation, ce champ s’élargit pour englober l’autotrai­ tement et les soins donnés dans la sphère familiale. Pour Green (1999), c’est dans ce mouvement que l’éducation pour la santé a trouvé ses origines. Au milieu du XXe siècle, ce courant connaît un essor dû au déclin des mala­ dies infectieuses en Occident, à l’importance croissante des maladies chroniques et dégénératives et aux premiers résultats des études épidémiologiques montrant le rôle prépondérant de certains comportements (tabagisme, alimentation ina­ déquate, activité physique insuffisante) dans la survenue de ces maladies. On a pu voir dans ce courant une forme de contrôle social, crainte ravivée aujourd’hui par l’essor de nouvelles pratiques de la santé publique. Dans une dérive extrême et à des fins politiques, il a permis de justifier des pratiques eugéniques : « Mais dans un même temps, la promotion de l’hygiène sociale, de la méde­ cine préventive et de la protection de la famille aboutit à la mise en place de pratiques eugéniques destinées à améliorer la santé des futures générations. » (Weindling, 2005) Au Québec, c’est au cours des années 1920 à 1930 que le courant vers une santé publique davantage axée sur l’hygiène individuelle et l’éducation pour la santé se REF_Environnement_Sante.indb 44 44 15/05/2023 13:48:34 formalise (Desrosiers, 1984). Les unités sanitaires de comté (ancêtres des centres locaux de services communautaires), créées en 1926, visaient à « éduquer » la population en matière d’hygiène en vue d’améliorer les conditions de santé. 1.2.3. Médecine sociale et protection des groupes vulnérables Partie 1. Chapitre 1. Santé publique et santé environnementale © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) La caractéristique principale de ce courant de la santé publique tient au lien qu’il établit entre les conditions sociales et la santé. Quand le contexte idéo­ logique et politique l’a permis, l’action publique a été guidée par l’idée que la santé de tous ou de certains groupes particuliers constituait une responsabilité collective assumée par l’État. Au milieu du XIXe siècle, dans différents pays d’Europe, et en particulier en Allemagne, les mouvements démocratiques favorisent l’émergence d’un cou­ rant de pensée dirigé par Virchow et Neumann pour qui la santé constitue une priorité pour laquelle la société doit assumer ses responsabilités. On reconnaît également que les conditions sociales et économiques ont des effets importants sur la santé, ce qui justifie à la fois des analyses scientifiques et des interventions directes de l’État (Rosen, 1948). Ces courants s’inspiraient des philosophies sociales bien antérieures à ces périodes. En France, après la Révolution de 1789, on instaure des centres de distribution de lait aux enfants et aux mères. En 1945, les services de Protection maternelle et infantile (PMI) sont mis en place. Ils assurent le suivi des grossesses, des nourris­ sons et des enfants et le recours à des visites à domicile (Cadart, 2007). Après avoir découvert que 40 % des recrues britanniques (guerre des Boers, 1899-1902) étaient en mauvaise santé, la Grande-Bretagne instaure, en 1907, un système de santé scolaire qui veille à ce que les enfants aient une alimenta­ tion adéquate et y supplée au besoin. Le même mouvement s’observe aux ÉtatsUnis (New York) peu après. On y note un rôle très important des organisations communautaires. On a reproché à ce courant d’avoir perdu son idéalisme originel (GunningSchepers, 1997) et de s’être affaibli du fait de la prédominance d’approches quantitatives incapables d’induire des interventions qui puissent faire la preuve de leur efficacité. Certains ont même plaidé pour la renaissance d’une épidémio­ logie sociale (de Almeida-Filho, 1995 ; Scott-Samuel, 1989). Au Québec, la loi sur les pensions de vieillesse voit le jour en 1927 et celle sur l’assurance-chômage n’est adoptée qu’en 1940 après de longues luttes popu­ laires. Ces actions se produisent au cours d’une transition vers de nouveaux courants en santé publique. 1.2.4. Croissance des systèmes de soins et rôle accru de l’État Le développement des systèmes de soins a été caractérisé dans un premier temps par le rôle prépondérant des organisations charitables (surtout confes­ sionnelles) dès le Moyen Âge. La constitution progressive d’États-nations laïcs a légitimé leur intervention dans le secteur de la santé. On attribue à Bismarck et à l’Allemagne de la fin du XIXe siècle la première intervention de l’État REF_Environnement_Sante.indb 45 45 15/05/2023 13:48:34 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale en matière de couverture sociale et sanitaire qui préfigure les systèmes d’assu­ rance-maladie actuels. Ce rôle accru de l’État n’aurait pas été possible si le savoir médical ne s’était progressivement constitué en disciplines scientifiques et si la pratique médicale n’avait acquis ses lettres de noblesse (Foucault, 2015). Kleiber (1991), citant l’exemple suisse qui est transposable à d’autres pays, considère que le système de soins a évolué en trois périodes : – celle des rendements croissants (XIXe siècle), marquée par la naissance de la clinique, les transformations des représentations de la maladie et le rôle pré­ pondérant de l’hôpital ; – celle des rendements équilibrés (première moitié du XXe siècle), alimentée par une croissance économique relativement stable et un rôle accru des États ; les systèmes de soins connaissent un développement important ; – et, finalement, celle des rendements décroissants, caractérisée par une aug­ mentation importante de la demande, une forte différenciation des organisations sanitaires et une remise en question de l’efficacité globale des soins médicaux. Quelle que soit la responsabilité des États vis-à-vis des systèmes de soins, la part croissante que ces derniers occupent dans les économies et les enjeux de société qui en découlent en font des éléments incontournables de nos sociétés qu’elles interpellent collectivement et de manière récurrente. C’est en 1936 que le gouvernement du Québec crée le ministère de la santé pour veiller à l’application de lois liées à l’hygiène, la santé publique et l’assis­ tance publique. © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) 1.2.5. Rôle de l’État, intégration des courants et transition épidémiologique Ces différents courants ne se sont pas développés isolément et des liens ont rapidement été établis entre eux. La meilleure preuve en est l’œuvre monumen­ tale de Frank5 à qui on doit, au début du XIXe siècle, la première encyclopédie de santé publique du monde occidental. En plus d’être contemporains, les courants hygiéniste et de médecine sociale comportent deux analogies importantes : ils établissent des liens entre environ­ nement et santé et ils reconnaissent à l’État la légitimité de modifier les facteurs qui affectent collectivement la santé. Ils sont néanmoins distincts, en ce sens que le courant hygiéniste se limite à l’environnement physique. Il faut rappeler qu’il s’est développé dans le contexte de l’Angleterre libérale du XIXe siècle où l’intervention de l’État était limitée et relevait d’une vision utilitariste. À l’in­ verse, le mouvement de la médecine sociale met l’accent sur les déterminants sociaux de la maladie et donne à l’État le devoir d’intervenir dans ce domaine. Ce courant traduit, dans le domaine de la santé, les idéaux démocratiques et progressistes qui font suite au siècle des Lumières. 5. Entre 1779 et 1817, il publie les six volumes de Système complet de police médicale. Bien que qualifié par Rosen (1993) de « représentant du despotisme éclairé », cet ouvrage couvre tous les aspects de la santé publique connus à l’époque : la dynamique des populations, l’hygiène individuelle, l’ali­ mentation, la santé des groupes vulnérables, l’hygiène publique, les services de santé, etc. REF_Environnement_Sante.indb 46 46 15/05/2023 13:48:34 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Partie 1. Chapitre 1. Il y a également un rapprochement à effectuer entre le mouvement de la médecine sociale et celui de l’organisation des services médicaux. La transpo­ sition des idéaux égalitaires du mouvement de la médecine sociale a logique­ ment conduit les États à renforcer leurs responsabilités en matière d’accessibilité et de dispensation des services médicaux. Là encore, des contextes particuliers ont donné des connotations très différentes à ces interventions. En GrandeBretagne, le mouvement de la médecine sociale était faible jusque dans la pre­ mière moitié du XXe siècle : il a ensuite connu un essor remarquable dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec l’instauration par un gouver­ nement travailliste d’un système national de santé. Aux États-Unis, cette pré­ occupation s’est traduite par l’intervention de l’État en matière de soins médicaux auprès de groupes défavorisés : les programmes Medicare et Medicaid (1965) sont considérés comme des « programmes de santé publique ». Selon une vision plus restrictive, l’organisation des soins médicaux ne ferait pas partie de la santé publique. Cette position est plus conjoncturelle que fonda­ mentale : on oppose la logique des individus à celle des populations, et on met souvent la santé publique et les services médicaux en opposition, voire en compé­ tition quand il s’agit d’allocations budgétaires. Pour Terris (1985), ce que nous avons qualifié de courants hygiéniste et de médecine sociale constitue la médecine sociale et préventive ou communautaire. Il considère que le champ de la santé publique est plus large et inclut l’organisation des services médicaux. Au cours des années 1940 et 1950 et en réponse aux besoins émergents de santé des pays industrialisés, plusieurs provinces canadiennes ont implanté des régimes publics d’assurance-hospitalisation. En 1957, le gouvernement fédéral a adopté la loi sur l’assurance-hospitalisation qui couvrait la moitié des coûts de certains services hospitaliers et diagnostiques (Gouvernement du Canada, 2018). Le Québec y adhère en 1961 mais la création du régime d’assurancemaladie se réalise seulement en 1969 (RAMQ, 2022). C’est en 1970 qu’un régime de santé universel, gratuit et en principe équitable est en place. Le rôle de l’État continue à s’accroître en 1973 avec la création des Départements de santé communautaire et les centres locaux de services communautaires qui ont des mandats élargis en prévention et en action communautaire pour répondre aux besoins de santé et sociaux (Desrosiers, 1999). En Europe, à la suite de l’Allemagne, premier pays à avoir créé une forme aboutie de protection sociale dès la fin du XIXe siècle6, de nombreux pays mettent progressivement en place des systèmes de protection sociale. La France fonde en 1920 le Secrétariat pour les affaires de la santé, suivi la même année de la création du ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale. Enfin, le système de protection sociale est dessiné pendant la Seconde Guerre mondiale par le Conseil national de la Résistance. C’est grâce à ses travaux qu’est créée par ordonnance en octobre 1945 la Sécurité sociale, qui a constamment évolué depuis tout en gardant ses fondements. © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Santé publique et santé environnementale 6. Sous l’impulsion de Bismarck, avec les lois de 1883 (assurance maladie), 1884 (assurance acci­ dents) et 1889 (vieillesse-invalidité). REF_Environnement_Sante.indb 47 47 15/05/2023 13:48:34 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale 1.2.6. Évolutions récentes de la santé publique Pour résumer ce qu’a été la santé publique au cours de ces 150 dernières années, il convient de la lier aux modifications de la structure des populations et des enjeux de santé (encadré 2). D’un point de vue démographique, les pays occidentaux sont passés d’un régime de mortalité et de natalité élevées à un régime de faible mortalité et de très faible natalité. Ceci a entraîné une diminu­ tion de l’accroissement naturel de la population. Concomitamment, le profil de la mortalité et de la morbidité a évolué d’un portrait où prédominaient les mala­ dies infectieuses à celui où les maladies chroniques et dégénératives sont deve­ nues prépondérantes. Puis, suite au déclin de certaines d’entre elles et à l’entrée dans une ère post-industrielle, le profil épidémiologique fait une place grandis­ sante à toutes les formes de violence et à leurs conséquences. Encadré 2. Les transitions épidémiologiques REF_Environnement_Sante.indb 48 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Initialement décrite par Omran (1971), la question de la transition épidémiologique visait à schématiser l’évolution des enjeux de santé et leurs liens avec la dynamique des populations. De façon imagée, cette évolution couvre trois périodes : – l’ère de « la pestilence et des famines », où la natalité et la mortalité étaient élevées et les maladies transmissibles prédominaient ; – celle du « recul des pandémies », à laquelle sont associées une augmentation de l’espérance de vie et une forte croissance de la population ; – et enfin l’ère des « maladies dégénératives et induites par l’homme », durant laquelle la mortalité continue à diminuer mais où la baisse de la natalité conduit à une faible augmentation de la population et à son vieillissement. Cette vision schématique a été critiquée, car elle s’appuyait principalement sur des données empiriques de mortalité de pays occidentaux. Elle ignorait les améliorations des services d’hygiène et médicaux et la linéarité du processus occultait les dynamiques sociales sous-jacentes génératrices d’écarts au modèle initial (Heuveline et al., 2002 ; Munoz Pradas et Nos, 1995). Omran (1998) en a proposé une révision qui répond en partie à ces critiques en proposant l’ajout de deux phases pour les pays industrialisés : – celle du déclin de la mortalité cardiovasculaire, du vieillissement, de la modification des habitudes de vie et de la résurgence de certaines maladies transmissibles ; – une ultime phase, qu’il qualifie de « futuriste », caractérisée par une aspiration à une meilleure qualité de vie, un allongement de l’espérance de vie et la persistance d’inégalités. Pour ce qui concerne les pays à revenu faible et intermédiaire, il modifie la terminologie de la troisième phase en la qualifiant « d’âge du triple fardeau de santé dans les pays non industrialisés ». Par « triple fardeau », Omran désigne la persistance des maladies transmissibles, l’émergence de nouveaux problèmes de santé et l’inadéquation de la réponse apportée par les systèmes de santé et de soins à cette situation. Pour conclure cet aperçu de l’évolution historique des profils démographiques et des enjeux de santé, on admet aujourd’hui qu’il n’existe pas de modèle universel et que, dans un contexte donné, cette évolution n’est pas univoque, car des fractures sociales et des inégalités génèrent des profils qui évoluent différemment. Le terme de « double fardeau » est souvent utilisé pour illustrer cette situation (Wells et al., 2020), il a également été appliqué à la Covid-19 (Smith-Jervelund et Eikemo, 2021). Cette post-phase de transition épidémiologique se caractérise par la réémergence des pathologies infectieuses, les maladies dégénératives retardées et celles causées par l’activité humaine. 48 15/05/2023 13:48:34 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Partie 1. Chapitre 1. Tout au long de son évolution, le champ de la santé publique ne fait que s’élargir, les droits de la personne, et surtout les effets de leur non-respect sur la santé des populations, sont vus comme des défis pour la santé publique (Mann et Bagnoux, 1993). On peut résumer, avec Breslow (1998) et Green (1999), ce qu’auront été les grandes tendances de la santé publique au cours du XXe siècle : – La première moitié du XXe siècle, dans la continuation du précédent, a été celle du contrôle des maladies infectieuses. – À partir de 1950, l’émergence des maladies chroniques et dégénératives a conduit à mettre l’accent sur l’analyse et les modifications des comportements indi­ viduels, donnant ainsi un nouvel élan au courant de l’hygiène individuelle. – De la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 1970, l’essor des services de santé et la pression créée par une forte demande ont amené la santé publique à porter une attention accrue à l’organisation des services de santé. – À partir de 1975, la promotion de la santé a ravivé les origines de la santé publique en mettant l’accent sur les liens entre les structures sociales et la santé et en prônant une approche impliquant les communautés. À partir des années 1970, le courant de l’éducation pour la santé a été remis en question, car les limites des approches de changement des comportements individuels sont apparues clairement. Au-delà des caractéristiques et des fac­ teurs liés aux individus, ces comportements sont, pour une large part, détermi­ nés par des valeurs et des conditions sociales hors du contrôle des individus. Green (1999) fixe à 1974 la naissance de la promotion de la santé ; il ne s’agit pas réellement d’un nouveau courant de la santé publique, car il s’inscrit dans la perspective de l’éducation pour la santé qu’il amène à rejoindre le courant central de la santé publique (celui de la médecine sociale dont l’objet est d’éta­ blir des liens entre les conditions sociales, d’une part, et des états de santé, d’autre part). La contribution de la promotion de la santé se situe plutôt dans l’association de cette perspective avec une conception élargie de la santé, incluant le bien-être, et une philosophie d’intervention communautaire. Pour certains, la promotion de la santé est une forme de renouveau de la santé publique, car elle redéfinit des perspectives d’intervention auprès et avec les communautés (Ashton et Seymour, 1988). Pour d’autres, il s’agit plutôt d’un retour aux sources et de nouvelles formulations : © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Santé publique et santé environnementale « À la fin du siècle, nous trouvons de nouvelles formes pour d’anciennes idées, du vin nouveau dans d’anciennes bouteilles. » (Green, 1999) La pandémie de Covid-19 permet de tirer des enseignements sur les liens entre la santé publique et les pouvoirs publics. Un tel phénomène d’ampleur mondiale lié à un agent infectieux ne s’était pas vu depuis plus d’un siècle. Pourtant, des épisodes infectieux dus à de nouveaux pathogènes ou à la résur­ gence de pathogènes anciens ont bien eu lieu au cours des dernières décennies (7e pandémie cholérique, VIH/sida, encéphalite spongiforme bovine, fièvre d’Ebola), mais aucune n’a eu l’ampleur et les conséquences sociopolitiques et économiques de la Covid-19 amplifiées par la mondialisation et qui ont abouti à une paralysie quasi totale des activités non essentielles sur l’ensemble de la planète. Il faut mentionner que toutes ces épidémies sont toujours liées à un comportement humain et le plus souvent en interaction avec le monde animal. REF_Environnement_Sante.indb 49 49 15/05/2023 13:48:34 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale Les autorités publiques ont été largement mobilisées, quelles que soient leurs orientations politiques et leurs traditions dans le rôle de l’État vis-à-vis de la santé publique, bien que de façon très disparate et asynchrone suivant les États. Nous pouvons déjà retenir plusieurs leçons de cette pandémie. Indéniablement, le rôle des États a été très important, car il a fallu tenir compte des effets éco­ nomiques et sociaux des mesures de protection sanitaire. Ces mesures ont été largement influencées par leurs contextes politiques. En ce qui concerne la santé environnementale, son origine s’inscrit dans le cou­ rant hygiéniste pour lequel l’environnement était avant tout de nature physique et concernait les milieux de vie. Le domaine de la santé environnementale n’a égale­ ment cessé de s’élargir et a vu l’État y jouer un rôle accru. Les normes sociales ont imposé une meilleure régulation des environnements et des conditions de travail. L’environnement, à l’origine vu comme physique et immédiat, s’est étendu et il englobe maintenant les écosystèmes dans lesquels les humains cohabitent et interagissent avec les mondes animal et végétal. Le concept « Une seule santé » correspond à cette vision élargie de la santé environnementale. Les chan­ gements climatiques modifient profondément l’environnement et ses écosys­ tèmes et, de ce fait, intègrent le champ de la santé environnementale. Comme on le verra dans la suite de cet ouvrage, le champ de la santé environnementale intègre désormais également le social, notamment en lien avec les inégalités socio-environnementales et la promotion en santé environnementale. © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) 1.3. La santé : définitions et déterminants 1.3.1. Définitions de la santé L’évolution de la santé publique est étroitement liée à celle de la définition de la santé. Les perspectives sont différentes selon que l’on aborde la santé sous un angle personnel ou qu’elle fait l’objet d’études. De nombreux auteurs ont documenté les définitions profanes de la santé publique (Blaxter, 1990 ; Herzlich, 1973). Elles font référence à plusieurs notions : absence de maladie, santé physique et mentale, fonctionnalité, adaptation psychologique et physique aux conditions environnantes ou à la maladie et potentiel de réalisation. Ces définitions varient selon les caractéristiques des individus (âge et sexe, en par­ ticulier) et selon que l’individu considère sa propre santé ou celle des autres. Les définitions de la santé ont d’abord été dominées par une vision biomé­ dicale dans laquelle la santé est essentiellement l’absence de maladie. Elles ont tendance à élargir leurs perspectives et la définition adoptée par l’OMS tradui­ sait cette volonté d’élargissement : « La santé est un état de bien-être complet, physique, mental et social, et non pas simplement l’absence de maladie ou d’infirmité. » (OMS, 1946) Tout en donnant une dimension positive à la santé, elle ne faisait pas réfé­ rence à la fonctionnalité, au potentiel de contribution sociale et établissait une REF_Environnement_Sante.indb 50 50 15/05/2023 13:48:34 dichotomie réductrice entre maladie et absence de maladie, alors qu’il existe un état intermédiaire d’inconfort. Terris (1992) en a proposé une révision : « La santé est, d’une part, un état de bien-être physique, mental et social et, d’autre part, la capacité de se réaliser et non simplement l’absence d’inconfort ou d’infirmité. » Partie 1. Chapitre 1. Santé publique et santé environnementale Une version récente de l’OMS fait une place plus importante à l’interaction entre l’individu et son environnement social : « [La santé est] l’aptitude à identifier et réaliser ses aspirations, satisfaire à ses besoins et modifier ou faire face à son environnement. La santé est donc une ressource de la vie quotidienne et non pas un objectif de vie. La santé est un concept positif mettant l’accent sur les ressources sociales et personnelles ainsi que sur les capacités physiques. » (OMS-Europe, 1986) 1.3.2. Déterminants de la santé REF_Environnement_Sante.indb 51 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Si tout le monde s’accorde à dire que la santé d’une population est avant tout la résultante de facteurs macrosociaux et macro-environnementaux, il y a diver­ gence sur les actions qui doivent découler de ce constat. Alors que certains considèrent que nous n’avons ni les moyens ni la légitimité pour intervenir directement, d’autres sont convaincus qu’il est nécessaire et justifié de tenter de modifier ces facteurs qui affectent la santé. La santé publique s’inscrit bien évidemment dans le second courant, mais tous les intervenants de la santé publique ne s’accordent pas sur les limites des interventions qui relèvent de son champ d’action. La théorie des germes a exercé une influence majeure sur la conception de la santé ; les maladies avaient des causes identifiables, généralement uniques, et les progrès scientifiques et techniques allaient permettre d’élucider un nombre de plus en plus grand de ces mécanismes et d’apporter des réponses thérapeu­ tiques adéquates. Cette conception de la santé et du potentiel des actions médi­ cales préventives et thérapeutiques à l’améliorer a été vigoureusement remise en cause à partir de différentes perspectives. Pour McKeown (1979), ce ne sont pas l’hygiène et les traitements médicaux qui ont amélioré la santé en Angleterre et au Pays de Galles entre 1838 et 1970, mais plutôt l’amélioration du niveau et des modes de vie et, en particulier, de l’alimentation. Cette thèse a été contestée, sur certains points et surtout dans ses interprétations univoques (Gaumer, 1999). Par exemple, Sretzer (1988) montre l’importance des interventions en santé publique pour réduire la mortalité infantile. Pour Dubos (1981), la notion de « santé parfaite et positive » est une utopie. Les êtres humains sont responsables de la dégradation de leur environnement qui affecte leur santé et il est illusoire de penser que les progrès de la biologie et de la médecine permettront « la conquête et la conservation de la santé ». Autre point central de la thèse de Dubos : l’adaptation de l’être humain à son milieu constitue l’élément déterminant de la santé. Or, les transformations sociales et technologiques sont si rapides qu’il devient de plus en plus difficile aux êtres humains de s’adapter à leurs milieux de vie. 51 15/05/2023 13:48:34 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale Pour Illich (1975a, 1975b, 1975c), la critique est plus radicale : la médecine ne contribue que marginalement à l’amélioration de la santé et ses effets iatro­ gènes font que globalement son impact est négatif sur la santé. Adoptant une perspective plus évaluative, Cochrane (1977) relève de nombreux exemples d’inefficacité des interventions médicales. Sans pour autant dire que tous ces courants de pensée peuvent être réconciliés, Rootman et al. (2017) proposent une vision globale de la santé qu’ils qualifient de « canadienne » et qui synthétise ce qui est actuellement globalement accepté. Les déterminants de la santé sont principalement de quatre ordres : – l’environnement physique ; – l’environnement psychosocial ; – les comportements individuels ; – et le capital (ou dotation) biologique. C’est sur ces deux derniers groupes de facteurs que le système de santé peut agir. L’environnement psychosocial et les comportements individuels sont étroi­ tement liés et constituent des déterminants enracinés dans la communauté. La culture est un macrodéterminant qui influence tous les éléments précédem­ ment mentionnés. Ces notions sont schématisées dans la figure 1. CONTEXTE GLOBAL Environnement naturel et écosystèmes Communauté locale et voisinage © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Milieux d’hébergement Soutien à l’emploi et solidarité sociale Santé physique Habitudes de vie et comportements Santé mentale et psychosociale Caractéristiques socioéconomiques e Aménagement du territoire Santé globale Compétences personnelles et sociales Milieu de travail ÉTAT DE SANTÉ DE LA POPULATION ac Contexte technologique et scientifique Caractéristiques biologiques et génétiques Milieu scolaire et de garde Esp Contexte social et culturel Système des services sociaux et de santé CARACTÉRISTIQUES INDIVIDUELLES ps © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Contexte démographique MILIEUX DE VIE m Te Contexte économique SYSTÈMES Contexte politique et législatif Systèmes d’éducation et de services de garde Milieu familial à l’enfance Autres systèmes et programmes Source : MSSS (2012). Figure 1. La carte de la santé et de ses déterminants 1.3.3. Indicateurs de santé et sources de données Les indicateurs de santé sont extrêmement variés, du fait, d’une part, des exi­ gences accrues de la planification et de l’évaluation des systèmes de santé et, d’autre part, des définitions de plus en plus complexes ou spécifiques de la santé. REF_Environnement_Sante.indb 52 52 15/05/2023 13:48:35 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Partie 1. Chapitre 1. Les premiers indicateurs de santé ont suivi la mise en place de systèmes de recueil de données statistiques sur la population (natalité, mortalité, etc.). Les indicateurs de santé utilisés dans les enquêtes nationales, au Canada et au Québec, sont regrou­ pés en trois volets selon qu’ils concernent l’état de santé, les déterminants de la santé ou les conséquences des maladies (Joubert et Baraldi, 2017). Ces indicateurs sont établis à partir de données collectées de façon routinière (données de l’état civil, hospitalisation) ou dans le cadre d’enquêtes qui sont soit répétées – par exemple, celles de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ, 2022) –, soit réalisées dans un but spécifique (projet de recherche, intervention ponctuelle). Les indicateurs disponibles ne donnent généralement qu’une mesure partielle de la santé (les taux de mortalité, d’incidence des maladies à déclaration obliga­ toire). Ceux qui donnent une mesure plus globale ou au contraire très spécifique de la santé sont souvent complexes, élaborés et utilisés dans un cadre de recherche7. Des mesures des années de vie pondérées par la qualité et des années de vie corrigées de l’incapacité permettent d’offrir davantage d’indicateurs de la santé au niveau populationnel (Touré et al., 2021). À l’ère des mégadonnées ou du Big Data, des réflexions sont en cours sur la façon d’améliorer les méthodes de surveillance en utilisant une diversité de sources de données telles que les systèmes d’information géographiques (SIG), les données provenant des objets connectés et celles provenant des réseaux sociaux (Chiolero et Buckeridge, 2020). La multiplication des sources de données, la capacité à traiter des quantités considérables d’informations à travers des « entrepôts de données », le développe­ ment des méthodes de traitement et de prévention automatisés ou d’intelligence artificielle vont très certainement amplifier la fonction stratégique de la construc­ tion et du suivi des indicateurs de santé, tout en accentuant les enjeux éthiques de la préservation des données personnelles et la protection de la vie privée. © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Santé publique et santé environnementale 1.4. Fonctions et pratiques de santé publique 1.4.1. Intervenir en santé publique Les interventions en santé publique découlent de l’identification d’un pro­ blème de santé qui nécessite d’être résolu ou contenu. La spécificité de l’action de santé publique tient au fait qu’elle est fondée sur l’observation et l’analyse proactives des problèmes d’une population donnée, suivies d’une analyse de leurs causes. Il faut ensuite prioriser les interventions, en fonction de la nature et de l’ampleur du problème et de leur efficacité. La mise en pratique de ce principe universaliste est très variable. Elle dépend des connaissances disponibles sur la nature et les causes des problèmes de santé 7. On trouvera dans Bowling (1997) une revue synthétique de plus de 70 échelles de mesure de la santé couvrant des mesures globales de la santé (le SF-36, par exemple), des mesures de bien-être social, etc. REF_Environnement_Sante.indb 53 53 15/05/2023 13:48:35 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale et des interventions et, également, du caractère public de ces problèmes et des fondements éthiques des interventions à mener. L’importance accordée à cer­ tains problèmes, leur caractère public et le rôle de l’État varient considérable­ ment selon les intérêts étatiques (sécurité sanitaire) et les valeurs des sociétés dans lesquelles ces questions se posent. Les premières interventions en santé publique ont concerné historiquement l’hygiène publique, car avant que les relations causales entre l’environnement et la santé ne soient établies, des observations rendaient ces liens patents. Si l’on considère le lien établi de longue date entre les conditions sociales et la santé, l’existence d’interventions probantes et surtout la légitimité d’inter­ venir ne font pas consensus. D’une part, les responsabilités semblent incomber en premier lieu aux individus, et intervenir accroîtrait leur dépendance et, d’autre part, les responsabilités de la société comprennent une attention parti­ culière vis-à-vis des plus démunis, car leur situation s’explique en partie par la structure sociale, les tensions entre les groupes sociaux et la violence sociale qui en découle. Ces écarts dans la vision entre ce qu’est la santé publique et ce qu’elle devrait être expliquent à la fois les tensions qui traversent ce domaine et le fait que la santé publique ait toujours été animée par un courant volontariste et progressiste. Cela l’amène inéluctablement à étendre le champ de ses inter­ ventions à des secteurs et des acteurs en dehors des systèmes de santé tels l’éducation, les municipalités et les milieux de travail en partenariat avec des organisations publiques ou privées et la société civile. © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) 1.4.2. Fonctions centrales de la santé publique Tous les systèmes de santé n’ont pas formalisé les principales fonctions de la santé publique, bien que cette tendance s’accentue. On peut citer le Québec où les champs de pratiques sont clairement établis et les États-Unis, qui ont procédé à plusieurs analyses en profondeur de leur système de santé publique. Au Québec, les activités de santé publique relèvent de quatre grandes fonctions (MSSS, 2015) : – La connaissance et la surveillance de l’état de santé et du bien-être de la population permettent de suivre l’évolution des problèmes de santé et de ses déterminants, de reconnaître les problèmes émergents et d’évaluer l’efficacité des interventions. – La promotion de la santé et du bien-être vise à promouvoir le développe­ ment de conditions et d’environnements favorables à la santé et au bien-être. – La prévention vise plus spécifiquement à contrôler les facteurs de risque de maladies ou de blessures. – La protection a pour objectif de prévenir ou de contrôler les différentes menaces à la santé de la population (épidémies, urgences environnementales). Les domaines des maladies infectieuses, de la santé au travail et de la santé environnementale relèvent de cette dernière fonction. L’exercice de ces fonctions fait appel à la communication. La prévention, qui se définit par rapport à la maladie, est subdivisée en quatre niveaux : REF_Environnement_Sante.indb 54 54 15/05/2023 13:48:35 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) REF_Environnement_Sante.indb 55 Partie 1. Chapitre 1. – Le niveau « primordial » désigne les actions qui visent à changer les fac­ teurs environnementaux et sociaux qui affectent la santé des individus et des populations. – Le niveau primaire concerne les actions qui visent à éviter l’apparition de la maladie, soit directement (vaccination), soit en agissant sur des facteurs de risque (réduire le tabagisme). – Le niveau secondaire correspond au stade où la maladie est latente ou asymptomatique et dont la détection précoce permet d’intervenir plus efficace­ ment. Le dépistage ou l’identification des groupes exposés en font partie. – Le niveau tertiaire, une fois la maladie déclarée, recouvre les actions permettant d’en réduire la gravité et les conséquences (traitements, réadaptation). L’IOM (1988) définit les trois grandes fonctions de la santé publique de la façon suivante : – L’évaluation (Assessment) et la surveillance consistent, sur une base régu­ lière et systématique, à recueillir, analyser et rendre disponibles les informations sur la santé de la communauté (statistiques sur l’état de santé, besoins commu­ nautaires et études épidémiologiques). – Le développement des politiques (Policy Development) et le plaidoyer (Advocacy) consistent à servir les intérêts du public par le développement de politiques de santé publique en promouvant la prise de décision sur des bases scientifiquement fondées et en conduisant le développement de ces politiques. – La responsabilité et la garantie (Assurance) se rapportent au principe selon lequel les organisations (de santé publique) doivent garantir à leurs mandants que les services nécessaires à l’atteinte des objectifs convenus sont dispensés, soit en favorisant des actions d’autres organismes (publics ou privés), soit par le biais de mesures régulatrices ou encore en les fournissant directement. Lors de la détermination des services individuels et collectifs prioritaires qui doivent être accessibles à tous, chaque agence de santé publique doit associer des res­ ponsables politiques et le public. On peut s’étonner que seule la première de ces fonctions de base soit iden­ tique dans les deux énoncés. Cette divergence n’est qu’apparente. Elle tient au fait que les perspectives à partir desquelles ces deux énoncés ont été produits diffèrent profondément. Dans le cas du Québec, la perspective est plutôt opé­ rationnelle, proche des champs des pratiques de la santé publique. La perspec­ tive adoptée par l’IOM est plutôt axée sur la dynamique et les processus de l’action, et sur des résultats visés. Les différences de contexte socio-politique et de l’organisation des services de santé publique expliquent ces divergences dans les énoncés de problématique et de perspective. Sur un plan différent, une définition des compétences en santé publique fait l’objet, en Europe, de travaux depuis des décennies. En 2018, une 5e version de ces compétences essentielles a été publiée (ASPHER, 2018) et rejoint la pers­ pective québécoise d’une approche opérationnelle de la pratique. La santé publique étant en évolution permanente, une 6 e version est en cours de préparation. © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Santé publique et santé environnementale 55 15/05/2023 13:48:35 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale 1.4.3. Orientations et politiques de santé publique REF_Environnement_Sante.indb 56 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Le Québec s’est doté en 1997 d’une politique de santé publique (MSSS, 2015) qui établit sept priorités d’intervention : 1. Le développement et l’adaptation sociale des enfants et des jeunes. 2. Les maladies évitables par la vaccination. 3. Le VIH/sida et les maladies sexuellement transmissibles. 4. Le dépistage du cancer du sein. 5. Le tabagisme. 6. Les traumatismes non intentionnels et les traumatismes intentionnels (vio­ lence envers les personnes, suicide). 7. L’alcoolisme et les toxicomanies. Quatre principes guident les interventions : 1. Comprendre et agir. 2. S’engager davantage auprès des communautés. 3. Lutter contre les inégalités en matière de santé et de bien-être. 4. Intervenir de façon concertée et coordonnée. La politique gouvernementale de prévention en santé (MSSS, 2016) met l’accent sur quatre orientations accompagnées d’objectifs spécifiques et de cibles : 1. Le développement des capacités personnelles dès leur plus jeune âge. 2. L’aménagement de communautés et de territoires sains et sécuritaires. 3. L’amélioration des conditions de vie qui favorisent la santé. 4. Le renforcement des actions de prévention dans le système de santé et de services sociaux. Aux États-Unis, la politique de santé publique adoptée pour la période 19902000 fixait trois grands objectifs : 1. Augmenter la durée de la vie en bonne santé. 2. Réduire les disparités de santé. 3. Rendre accessibles les services préventifs pour tous. Elle comporte 319 objectifs plus spécifiques regroupés en 22 domaines prio­ ritaires d’intervention (8 en promotion de la santé, 5 en protection, 8 en services préventifs et 1 en surveillance) (USPHS, 1990). Les grands objectifs ont été révisés en 2010, 2020 et pour 2030 en y ajoutant la promotion des comportements salutogènes et le bien-être à tous les stades de la vie. L’engagement d’un leadership des parties prenantes et du public de différents secteurs pour mettre en place des politiques qui améliorent la santé et le bien-être de tous en font également partie. Au Canada, le rapport Lalonde (1974) est reconnu mondialement comme un document clé qui transforme la conception de la santé des populations et il a donné un essor important au mouvement de la promotion de la santé. Bien qu’il y ait un système de santé universel, on reconnaît que les déterminants de la santé se situent dans les milieux de vie des individus sur lesquels il faut agir. En 1978, le gouvernement fédéral crée une Direction de la promotion de la santé et établit des programmes visant l’amélioration des habitudes de vie, des cam­ pagnes de communication et des pratiques de promotion de la santé. 56 15/05/2023 13:48:35 Le mouvement de la promotion se mobilise avec le lancement en 1986 de la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé suite à la 1re Conférence inter­ nationale sur la promotion de la santé. Le gouvernement fédéral publie un docu­ ment qui fait suite au rapport Lalonde intitulé La santé pour tous : plan d’ensemble pour la promotion de la santé (SBESC, 1986). Il adopte la loi canadienne sur la santé qui stipule que toutes les provinces offrent des services de santé qui respectent cinq grands principes : l’universalité, la transférabilité, l’intégralité, l’accessibilité et la gestion publique (Turgeon et al., 2011). Si la France se caractérise par un système de soins relativement homogène, avec une planification importante et une forte prégnance du niveau hospitalier, la santé publique constitue plutôt le parent pauvre du développement du système de santé. Cette situation est reconnue depuis de nombreuses années par les pouvoirs publics et les affirmations pour inscrire des objectifs ambitieux ne manquent pas. Ainsi, introduit en 2002 et modifié en 2019, le Code de santé publique (art. L1411-1) inscrit clairement la nécessité de disposer d’une politique de santé dont la responsabilité incombe à l’État : Partie 1. Chapitre 1. Santé publique et santé environnementale « La Nation définit sa politique de santé afin de garantir le droit à la protec­ tion de la santé de chacun. La politique de santé relève de la responsabilité de l’État. Elle tend à assurer la promotion de conditions de vie favorables à la santé, l’amélioration de l’état de santé de la population, la réduction des inégalités sociales et territoriales et l’égalité entre les femmes et les hommes et à garantir la meilleure sécurité sanitaire possible et l’accès effectif de la popu­ lation à la prévention et aux soins. » REF_Environnement_Sante.indb 57 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Depuis 2002, les lois se sont succédé : loi relative à la politique de santé (2004), loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (2009), loi de modernisation du système de santé (2015), loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (2019). Elles ont tenté d’adapter le système de santé à des besoins de santé en pleine évolution. Dans chacune de ces lois, la santé publique est abordée, mais avec des effets peu transformants. En parallèle, une Stratégie nationale de santé est adoptée en 2013 qui fixe à moyen terme (10 ans) trois grands objectifs dont le premier est de « faire le choix de la prévention et agir tôt et fortement sur tout ce qui a une influence sur notre santé ». Quatre ans plus tard, une nouvelle Stratégie nationale quinquen­ nale de santé est promulguée qui, de la même manière, fixe deux priorités sur quatre qui poursuivent explicitement des objectifs de santé publique : donner la priorité à la prévention et lutter contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé. Mais si cette volonté politique est bien affirmée, les données contredisent la réalité de cette prise en compte des déterminants de la santé en France. Les indicateurs de santé donnent depuis de nombreuses années des signaux préoc­ cupants. Ainsi, si l’espérance de vie à la naissance des hommes et des femmes est plus élevée en France que la moyenne des pays de l’Union européenne, l’espérance de vie en bonne santé à la naissance est inférieure à cette moyenne pour les deux sexes (Insee, 2021). Par ailleurs, les inégalités de santé selon le 57 15/05/2023 13:48:35 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) statut social, décrites depuis des décennies, restent fortement présentes et ont été fortement révélées durant la crise sanitaire liée à la Covid-19 (HCSP, 2021). Sur le plan budgétaire, les dépenses de santé liées à la prévention stagnent depuis longtemps. La part de la prévention dite « institutionnelle » dans la dépense courante de santé, est passée de 2,5 % en 2006 à 2,2 % en 2018 (Drees, 2020). Si elle a triplé entre 2019 et 2021, c’est essentiellement pour faire face à la pandémie de Covid-19. Au niveau de l’organisation des services de santé publique et des interventions, le rôle de l’État, reconnu par la loi, est assuré au niveau régional par les agences régionales de santé, créées en 2009. Si elles définissent un cadre au travers du projet régional de santé, en pratique les acteurs de ces actions sont dispersés entre plusieurs structures et organismes : les col­ lectivités de proximité, les caisses d’assurance maladie, les organismes de pro­ tection santé complémentaire, les associations sans but lucratif… Cette fragmentation rend les actions concertées et le développement de stratégies à moyen et long terme difficiles. Il est à noter toutefois que, depuis 2009, une dynamique positive s’est renforcée avec la création et le développement d’une logique contractuelle à travers les contrats locaux de santé qui fédèrent les initiatives locales autour des agences et des municipalités ou regroupement de communes. La crise de la Covid-19 a montré que l’Europe de la santé était, jusqu’à présent, surtout orientée vers des enjeux économiques et la libre circulation des personnes, chaque État membre étant largement autonome dans la construction et l’organisation de son système de santé. Une réflexion est en cours pour permettre une plus grande coordination sur les sujets de santé publique, toute­ fois limitée aux situations de crise. Ainsi, une nouvelle structure européenne, l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire, a été créée pour mieux se préparer à de futures situations d’urgence sanitaire. 1.5. Défis de la santé publique Nous visons ici à établir un bilan sommaire des progrès et des réalisations de la santé publique et identifier les problèmes de santé majeurs et les défis qui en découlent. La pandémie de Covid-19 a en effet mis en évidence certains enjeux en exacerbant des déficiences qui préexistaient. La pandémie de Covid-19 a notamment montré que la santé publique était largement sous-financée comparativement au système de soins curatif. Denis et al. (2020) ont relevé les défis majeurs auxquels la santé publique a dû faire face au Québec et la Commissaire à la santé et au bien-être a publié un portrait de l’organisation de la santé publique (CSBE, 2022). En France, une mission a été demandée par le ministre de la santé sur l’état de la santé publique suite à la crise. Un rapport comportant dix chantiers pour refonder la santé publique a été publié (Chauvin, 2021). En premier lieu, même si la situation a tout d’abord interpellé la fonction de protection sanitaire, toutes les autres fonctions de la santé publique se sont REF_Environnement_Sante.indb 58 58 15/05/2023 13:48:35 avérées importantes et montrent l’utilité d’une approche globale en santé publique. La pandémie a accentué et révélé au grand public les inégalités sociales de santé et a eu des répercussions majeures en termes de santé et de bien-être psychologique. Des enjeux de gouvernance se posent également ; selon les contextes, la parole des responsables des organisations gouvernementales de santé publique a été soit libre, soit étroitement liée au discours politique avec tous les risques de politisation que cela entraîne. Cette pandémie a illustré le fait que les fonctions de la santé publique sont indivisibles, mais aussi qu’elle doit se renouveler. Elle doit devenir un système agile et apprenant s’appuyant sur des bases informatives solides et affirmer un leadership qui se situera plus ou moins près du pouvoir politique. Certes, la proximité de la santé publique avec le pouvoir politique est favorable à la prise de décisions qui intègrent une vision de santé publique, mais une trop grande proximité expose la parole de la santé publique à des contingences politiques et économiques et de ce fait mine sa crédibilité auprès du public. Partie 1. Chapitre 1. Santé publique et santé environnementale 1.5.1. Maladies infectieuses, affections chroniques et habitudes de vie REF_Environnement_Sante.indb 59 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Les figures 2 à 5 proviennent des bases de données de l’Institute for Health Metrics (2022). Elles présentent les profils du fardeau de la maladie selon ses principales causes et risques pour la santé. L’indicateur utilisé est l’année de vie corrigée du facteur d’invalidité (AVCI ou DALY). Il combine les don­ nées de mortalité et de morbidité et tient compte du niveau d’invalidité. Son caractère global et composite permet d’évaluer le fardeau de la maladie (Gold et al., 2002). Les grands groupes d’affections se retrouvent en quatre catégories : – les maladies transmissibles, maternelles, néonatales et nutritionnelles (MTMNN) ; – les accidents ; – les maladies non transmissibles (MnT) ; – les cancers. Ces profils sont présentés au niveau mondial et à celui des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 2022) qui regroupe 38 des pays les plus nantis des cinq continents. Au niveau mondial, les maladies non transmissibles ont fortement augmenté (affections respiratoires, neurologiques, mentales…). Les MTMNN qui sur­ viennent principalement dans les pays à revenu faible et intermédiaire ont consi­ dérablement diminué. L’impact de la pandémie pourra influencer les données pour les années 2020 et 2021 mais ne modifiera probablement pas cette tendance. Dans les pays de l’OCDE, le fardeau de la maladie lié aux affections chroniques en représente, et de loin, la première cause : il a augmenté durant la période étudiée, les autres causes ont peu évolué. On note tout au plus une diminution du fardeau lié aux MTMNN. 59 15/05/2023 13:48:35 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale Il est intéressant d’analyser le fardeau de la maladie sous l’angle des risques pour la santé, car ils peuvent être communs à différents groupes d’affection et constituent une cible privilégiée pour l’action en santé publique. Au niveau mondial, ce sont les risques dits « comportementaux » qui entraînent le plus lourd fardeau de la maladie. Ils sont en régression et sont principalement constitués par la malnutrition maternelle et infantile qui sévit principalement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire et dont la cause n’est pas que comportementale. Les risques métaboliques (hypertension arté­ rielle, hypercholestérolémie, obésité…) sont en croissance rapide. Pour les pays de l’OCDE, les risques comportementaux prédominent et en premier lieu la consommation de tabac et d’alcool. Durant la dernière décennie, les risques métaboliques ont fortement augmenté et constituent une cible prio­ ritaire pour les actions de santé publique. AVCIs (105) 17 000 15 000 MTMNN Accidents MnT Cancers 13 000 11 000 9 000 7 000 5 000 3 000 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2019 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) 1 000 Figure 2. Fardeau de la maladie par causes (monde, 1990-2019) AVCIs (105) 320 270 MnT Accidents MTMNN Cancers 220 170 120 70 20 REF_Environnement_Sante.indb 60 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2019 Figure 3. Fardeau de la maladie par causes (OCDE, 1990-2019) 60 15/05/2023 13:48:36 AVCIs (105) 9 500 7 500 Partie 1. Chapitre 1. Santé publique et santé environnementale 5 500 3 500 1 500 1990 1995 2000 Comportements Malnutrition mat&inf Env&SantéTrav 2005 2010 2015 2019 Métabolique Tabac Figure 4. Fardeau de la maladie et risques à la santé (monde, 1990-2019) AVCIs (105) 1180 980 780 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) 580 380 180 1990 1995 2000 Comportements Alcool Env&SantéTrav 2005 2010 2015 2019 Métabolique Tabac Figure 5. Fardeau de la maladie et risques à la santé (OCDE, 1990-2019) 1.5.2. Services de santé L’évolution constante de la technologie médicale, la croissance de la demande de services de santé, particulièrement curatifs, ont entraîné dans tous les pays industrialisés une forte augmentation des dépenses de santé et, secon­ dairement, des mesures parfois draconiennes pour freiner cette croissance. Il est difficile, sauf cas particuliers, d’établir un lien direct entre le rationnement des services de santé (difficulté d’accès à un médecin de famille, délais pour l’accès à certaines interventions chirurgicales) et leur éventuel impact sur la santé. Cette REF_Environnement_Sante.indb 61 61 15/05/2023 13:48:36 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale situation engendre néanmoins des inquiétudes légitimes. La réduction de l’acces­ sibilité accentue la différenciation de l’utilisation selon les groupes socio-écono­ miques et suscite des inquiétudes parmi les groupes les plus vulnérables ou ceux dont la consommation de soins est la plus importante. Dans la région de Montréal, qui a connu des changements importants dans l’offre de soins, une étude montre que l’utilisation des services de santé semble peu affectée quantitativement et qu’une certaine redistribution s’opère parmi les four­ nisseurs, du fait de modifications de leur accessibilité, mais que la population estime que les services se sont détériorés et que le niveau de confiance dans le système de soins a baissé (Pineault et al., 1999). Puisque cette étude date d’il y a 20 ans et que plusieurs éléments du contexte ont changé, il y a lieu de reproduire ces analyses. Plus récemment, c’est la notion de « système de santé apprenant » qui semble orienter les transformations des systèmes de santé. Ce concept fait suite aux réflexions initiées par l’IOM pour améliorer la pratique de la médecine fondée sur les données probantes. Dans un tel système, la science, l’informatique, les incitatifs (en particulier financiers) et la culture concourent à une amélioration continue de l’offre de services. Ceci est permis grâce à l’application d’un cercle vertueux continu de collecte, analyse et partage de données probantes sur les pratiques mises en œuvre et leurs retombées pour les patients (IOM, 2007). Il y a eu une reprise marquée de ces idées partout dans les pays industrialisés et même la création d’un nouveau périodique Learning Health Systems (Friedman et al., 2017) dédié à ce sujet. 1.5.3. Défis de la nouvelle santé publique8 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) La santé publique fait face à des problèmes nouveaux ou exacerbés du fait des modifications de l’environnement physique dû à l’urbanisation et aux chan­ gements climatiques, des structures sociales, des rapports entre les groupes sociaux ou des dynamiques familiales et individuelles. Certains de ces pro­ blèmes existent en fait de longue date, mais ont intégré progressivement le champ de la santé publique, car il était légitime d’intervenir. C’est le cas des différentes formes de violences, qu’elles soient individuelles ou collectives, intentionnelles ou non : les traumatismes (en particulier à la suite d’accidents de la route), les crimes contre les personnes, les violences sexuelles et sexistes, le suicide, les maladies mentales et les toxicomanies, les migrations de tous types (volontaires, forcées, etc.). Les traumatismes présentent à bien des égards les caractéristiques d’une épidémie. Au Canada, ils constituent la principale cause de décès parmi les adultes jeunes et la deuxième cause d’années potentielles de vies perdues après les cancers (CCFPTSP, 1996, 1999). Les accidents de la route en constituent la première cause spécifique : au Canada, en 1996, plus de 3 000 personnes ont été tuées et plus de 230 000 ont été blessées à la suite d’accidents de la route 8. On cédera à la tentation d’utiliser le terme « nouvelle santé publique », mais en rappelant que la santé publique est perpétuellement en renouveau. REF_Environnement_Sante.indb 62 62 15/05/2023 13:48:37 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) REF_Environnement_Sante.indb 63 Partie 1. Chapitre 1. (CCFPTSP, 1996, 1999). Ce fléau illustre bien l’évolution du champ des pra­ tiques de la santé publique : aux déterminants individuels (comportements des conducteurs, port de la ceinture de sécurité, alcoolisme), dont les modifications font partie des stratégies habituelles en santé publique, s’en ajoutent d’autres (infrastructures, état des véhicules, réglementations, etc.) qui requièrent des interventions dont la nature et les besoins d’expertise sont hors du domaine de la santé publique. Ces changements plus structurels qui modifient les environ­ nements de vie ou de travail font partie de ce qu’on appelle des « politiques publiques saines ». Leur promotion, excessive pour certains, soulève une des questions d’éthique importante de la santé publique : jusqu’où peut-on ou doiton restreindre les libertés individuelles au nom du bien public ? Outre ces traumatismes qualifiés de « non intentionnels », en figurent d’autres à caractère intentionnel comme les homicides, les suicides et d’autres formes de violence qui se manifestent dans différents milieux de vie : famille, école, travail, etc. Bien que ce soient uniquement des conventions sociales qui déterminent les limites entre les drogues illicites et licites (par exemple, le tabac), la consom­ mation des drogues illicites constitue une préoccupation croissante en santé publique. Loin de s’atténuer, l’utilisation de drogues dures s’est amplifiée avec l’émergence d’une nouvelle crise liée aux opioïdes (Belzak et Halverson, 2018). Les inégalités sociales et de santé (ISS), thème ancien et récurrent de la santé publique, sont à nouveau d’actualité. Il y a eu d’importantes analyses relatives aux actions sur les ISS dont celle produite sous les auspices de l’OMS (CSDH, 2008) et également une mise à jour par Marmot sur les ISS au Royaume-Uni (Marmot et al., 2021). À la constance des liens entre les groupes sociaux et la santé, il faut ajouter le fait que les améliorations de santé que l’on observe sont liées à un gra­ dient social : en France, entre les périodes 1980-1984 et 1988-1992, les réductions de la mortalité par cancers et maladies vasculaires cérébrales sont plus importantes chez les cadres supérieurs et les professions libérales que chez les cadres moyens, et, pour ces derniers, les améliorations relevées sont supérieures à celles notées chez les employés et les ouvriers (HCSP, 1996). L’enjeu des ISS est d’actualité. Forts des leçons tirées du Black Report (Gray, 1982) et des études Whitehall au Royaume-Uni (LSHTM, 2017) qui montraient des écarts de santé importants entre les mieux nantis et les plus démunis, les acteurs en santé publique ont montré que les ISS étaient aussi un fait avéré au Québec et au Canada. À l’instar des grands rapports internationaux sur les iné­ galités sociales (CSDH, 2008), plusieurs appels à l’action ont été formulés pour surveiller en continu les ISS et inclure systématiquement l’équité comme objec­ tif des interventions. La Direction de la santé publique de Montréal a publié deux rapports pour mettre en relief les inégalités et les actions visant à les réduire. De même, le gouvernement fait la surveillance des inégalités (ASPC, 2018). Malheureusement, les actions efficaces et pérennes sont peu nombreuses. De plus, la pandémie de Covid-19 a mis en relief des préoccupations qui, tout en étant déjà présentes, se sont vu exacerbées, comme l’infodémie et la désin­ formation (Vivion et Gauvin, 2022). Partout dans le monde, des réflexions sont en cours pour mieux outiller les acteurs de santé publique afin de surveiller et améliorer la santé de la population (UN, 2020). © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Santé publique et santé environnementale 63 15/05/2023 13:48:37 Partie 1. Fondements et principes en santé publique environnementale Les progrès des connaissances en génétique humaine et en expologie laissent présager des remises en question et des modifications des pratiques en santé publique : mieux connaître et mieux comprendre le rôle des déterminants géné­ tiques et leurs interrelations avec d’autres déterminants, notamment des expo­ sitions, semblent ouvrir la voie à des activités de protection, de prévention et de promotion plus ciblées, plus efficaces. Mais quels sont les risques que ces connaissances introduiront quand ces caractéristiques génétiques s’appliqueront à des comportements ou se retrouveront plus fréquemment concentrées dans certains groupes de population ? Bon nombre des problèmes de santé publique actuels exigent des interven­ tions dans des groupes particuliers, voire des modifications de la structure sociale. Dès lors se pose la question du contrôle social, thème qui n’est pas nouveau en santé publique, mais qui se trouve réactualisé et nécessite un regard éthique. 1.6. Perspectives REF_Environnement_Sante.indb 64 © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) L’évolution de la santé publique et de la santé des populations est constante et n’est pas univoque, elle n’obéit pas à une logique déterministe et elle ne peut être assimilée à un phénomène biologique, bien qu’elle intègre une notion col­ lective de la biologie. Son évolution est dictée en premier lieu par des change­ ments des environnements (naturels ou anthropiques) dans lesquels les populations évoluent, mais également des modifications des valeurs de la société vis-à-vis de la santé et du rôle régulateur et interventionniste des pouvoirs publics dans cette sphère. La dimension volontariste et progressiste qui a toujours animé la santé publique, avec une vigueur variable selon les lieux et les époques, constitue une force qui amène son champ à s’étendre. Certains appellent à une vision plus politique de la santé publique qui devrait s’engager dans des actions conduisant à plus de justice sociale (Bibeau, 1999). Bien que son essence et ses principes soient communément partagés, les pratiques de la santé publique varient d’un pays à un autre, façonnées par les héritages biologiques et l’histoire sociale. Le domaine de la santé publique, dont la « délimitation floue et les frontières changeantes » (Gagnon et al., 1999) demeureront une caractéristique perma­ nente, se recomposera constamment en fonction de l’histoire, des réalités locales et de l’activisme de ses acteurs principaux. Les changements climatiques façonneront la santé publique pour les décen­ nies à venir. Ils modifient profondément nos écosystèmes et affectent la santé, soit directement du fait par exemple de l’augmentation des températures ou de la raréfaction de produits alimentaires, soit indirectement par leur impact sur l’économie, les migrations engendrées ou des modifications des habitats. Les changements climatiques nécessitent une vision à long terme et des engage­ ments collectifs supranationaux complexes. Les changements climatiques ne sont pas la seule menace qui pèse sur nos milieux de vie ; la réduction de la biodiversité, la diminution des terres arables, l’acidification des océans, la raréfaction de l’eau douce en constituent les 64 15/05/2023 13:48:37 principales autres, mais aussi les instabilités sociopolitiques qui en découlent déjà aujourd’hui (réfugiés climatiques, sécurité alimentaire, etc.). Certains n’hésitent pas à parler de « péril » pour la santé de la planète (Whitmee et al., 2015) et par conséquence pour ses habitants9. L’accélération du nombre et de la diversité des technologies numériques tant dans le secteur de la santé que dans la vie quotidienne va contribuer à l’avancement des connaissances comme des pratiques en santé publique. Partie 1. Chapitre 1. Santé publique et santé environnementale Notions clés  La santé publique résulte de la convergence de plusieurs courants nés de préoccupations différentes mais relevant tous des défis posés par des menaces ou des modifications des milieux de vie et de l’évolution des prérogatives des pouvoirs publics. Il s’est agi de lutter contre les fléaux épidémiques, de promouvoir des habitudes de vie favorables à la santé et de protéger les groupes les plus vulnérables vis-à-vis de la maladie.  La notion de santé et le champ de ses déterminants se sont élargis en même temps que le rôle des États : c’est ainsi que la protection sociale, l’accès aux services de santé sont devenus des domaines de la santé publique.  Le champ des connaissances en santé publique est incommensurable, mais c’est l’action qui la caractérise : elle relève d’une volonté d’agir collectivement vis-à-vis de ce qui menace la santé et le bien-être et de promouvoir leur amélioration.  Bien que l’action de santé publique ait des caractéristiques universelles, elle se concrétise en pratiques différentes selon les contextes géographiques, historiques, politiques et sociaux.  La santé publique est constamment appelée à se renouveler, car les forces qui la gouvernent évoluent en permanence.  En abolissant les frontières des déterminants de la santé, la santé publique est devenue mondiale et, plus encore, les modifications macroscopiques des écosystèmes dans lesquelles nous évoluons ont maintenant assujetti la santé des populations mondiales à celle de la planète. © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 24.201.80.50) Bibliographie Ashton J., Seymour H. 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