Cours de Droit Constitutionnel - Participation du Citoyen au Pouvoir - 1958
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Ce document présente un cours de droit constitutionnel, en particulier sur la participation du citoyen au pouvoir et l'histoire des concepts de souveraineté. Il s'attarde sur la théorie de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire, et leur opposition traditionnelle.
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Titre III : La participation du citoyen au pouvoir La démocratie a été définie par l’article 2 de la Constitution française de 1958 comme "le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple". Dans une démocratie, la source de tout pouvoir est donc le peuple, composé de l’ensemble des citoyens. La démocratie s'oppose non seulement à la monarchie, où le pouvoir n’appartient qu’à un seul individu, mais aussi à l’oligarchie, où le pouvoir appartient à un petit nombre d'individus. Le seul modèle de démocratie qui subsiste aujourd’hui est celui de la démocratie libérale et pluraliste. En effet, les démocraties dites socialistes ou populaires se sont effondrées à la fin du XXème siècle (à l’exception de trois d’entre elles : la Corée du Nord, Cuba et la Chine). La qualification de "démocratie" était de toute façon usurpée (elles étaient fondées sur un système de parti unique, qui exerçait une véritable dictature dans l’Etat). Vous l’aurez compris, la démocratie libérale implique donc non seulement que la source de tout pouvoir se situe dans le peuple, mais aussi que la liberté politique et le pluralisme des formations politiques soient garantis. La liberté politique, c’est, bien sûr, la liberté de choix par les citoyens de leurs opinions politiques et leur libre expression. Quant au pluralisme, il consiste en l’existence d’un offre politique diversifiée, donc d’une pluralité de partis politiques entre lesquels les citoyens pourront choisir. Ce n’est en effet qu’à ces conditions que la possibilité de choix des gouvernants, qui appartient au peuple dans une démocratie, pourra s’exercer de façon effective. Chapitre I : Les fondements de la participation du citoyen au pouvoir Dans un régime démocratique, le titulaire de la souveraineté, c'est-à-dire le titulaire du pouvoir suprême, la source de tout pouvoir, c’est le peuple. D'après la théorie démocratique, seuls sont donc légitimes les gouvernants qui ont reçu leur pouvoir du peuple. Cette théorie n'a pas toujours été dominante. Si l'on se tourne vers l'histoire, on remarque qu'elle a remplacé la théorie de la souveraineté de droit divin qui fondait, sous les anciens régimes, la puissance absolue des Rois, celle-ci étant censée être exercée au nom de Dieu. C'est justement pour réagir contre l'absolutisme monarchique que certains philosophes du XVIIIè siècle, dont John Locke et Jean-Jacques Rousseau, ont cherché un fondement à (c'est-à- dire à justifier théoriquement) la participation du corps social à l'exercice du pouvoir. Ils ont imaginé, pour les besoins de leur démonstration, que les hommes avaient conclu à l'origine un contrat, encore appelé "contrat social", par lequel ils renonçaient à une partie de leur liberté en échange de leur sécurité désormais assurée par l'Etat. Un tel pacte serait donc à l’origine de la société politique. La conclusion que ces philosophes en tiraient était la suivante : comme les hommes étaient égaux au moment de la passation de ce contrat originel, la souveraineté ne pouvait appartenir qu'à l'ensemble de ce corps social. Elle ne peut appartenir à une seule personne. Voilà le raisonnement commun qu'ils mènent. A partir de là, leurs conclusions sont toutefois différentes. Nous n'avons pas employé par hasard le terme neutre de corps social car les uns (J. Locke) affirment que la souveraineté appartient à la Nation, les autres (J.-J. Rousseau) pensent qu'elle appartient au peuple. Section I : L'opposition traditionnelle de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire Page 1 sur 10   Ces deux théories seront étudiées successivement. §1. La théorie de la souveraineté nationale La théorie de la souveraineté nationale est affirmée, entre autres, à l'article 3 de la Déclaration de 1789 : "Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément". Il faut préciser que l’adverbe "essentiellement" signifie par essence et n’est pas synonyme de principalement. En vertu de cette théorie, quelle est le titulaire de la souveraineté ? c'est la nation. Je vous rappelle que la nation est une entité abstraite, un être collectif indivisible qui dépasse (c'est-à-dire qui transcende) l'ensemble des citoyens qui le composent. Elle unit en effet le passé, le présent et le futur d'un peuple. Dans la mesure où la souveraineté n'appartient qu'à la nation dans son ensemble, elle n'appartient donc pas pour partie à chaque citoyen. Quelles sont les conséquences d'une telle attribution de souveraineté ? 1) Première conséquence : elle concerne l’exercice de la souveraineté. Lorsque la souveraineté est nationale, le régime politique est forcément représentatif. La souveraineté ne peut être exercée que par délégation à des représentants. Elle ne peut être exercée directement par la nation. En effet, comme la nation n’est qu’une abstraction, elle devra nécessairement recourir à des représentants pour s'exprimer : elle devra déléguer sa souveraineté à des personnes qui parleront en son nom, personnes qui exerceront cette souveraineté dont la nation restera cependant titulaire. Quels sont ces représentants ? ils seront ceux que la constitution aura qualifiés comme tels. Il s'agira le plus souvent d'élus mais la Constitution peut décider que la nation sera également représentée par un monarque, ce qui était le cas en France de la première Constitution, celle de 1791. 2) Seconde conséquence : elle concerne les modalités et la nature de la délégation. Celles-ci découlent de la théorie de l'électorat-fonction qui est attachée à la théorie de la souveraineté nationale. En vertu de cette théorie, lorsqu'ils choisissent leurs représentants, les électeurs n'exercent pas un droit mais une fonction attribuée par la constitution, qui est celle d'exprimer la volonté nationale. a. Commençons par les modalités de la délégation : Cette théorie comprend deux volets : - la fonction électorale, c'est-à-dire la fonction de désignation des représentants, peut être réservée à certaines catégories de citoyens. Le suffrage peut donc ne pas être universel mais restreint. Il le "peut", donc rien n’exclut que le suffrage soit universel, mais il pourra tout aussi bien ne pas l'être. Cette restriction du suffrage est l'un des intérêts de la théorie de la souveraineté nationale qui a été élaborée par l’abbé SIEYÈS à l’époque de la Révolution française. La Déclaration des droits de 1789 proclamait l'égalité en droits des citoyens (art. 1) et le droit de tous les citoyens de concourir à la formation de la loi (art. 6). En toute logique, à partir de cette date, le suffrage aura donc dû être universel. Cette théorie permettra de justifier que l’on s’en tienne au suffrage censitaire (qui est une forme de suffrage restreint fondée sur l'argent) et, donc, de retarder la mise en place effective du suffrage universel. - De plus, si l'électorat est une fonction, le vote peut être obligatoire. Il ne s'agit pas d'exercer un droit, une faculté, mais d'exercer une fonction, celle de désigner les représentants de la nation, que la constitution peut rendre obligatoire. b. Penchons-nous dans un second temps sur la nature de la délégation : les élus ne sont liés à la nation que par un mandat que l’on appelle représentatif. Rappelons que le mandat est un acte Page 2 sur 10   par lequel une personne (le mandant) donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour elle et en son nom (le mandataire). Le mandat dit représentatif présente cette particularité de n'unir que la nation à ses représentants et non pas les électeurs, c'est-à-dire ceux qui votent concrètement, à ceux qu'ils ont élus. En d'autres termes, les élus ne représentent pas les électeurs de leur circonscription, mais la nation toute entière (en tant qu'entité indivisible). Il n'existe donc de lien qu'entre la nation et ses représentants. Avec deux conséquences : - les élus ne peuvent pas recevoir d'ordres de leurs électeurs. - Ils ne peuvent davantage être révoqués par leurs électeurs si ces derniers ne sont pas satisfaits de leur action. L'élu dispose donc d'une très grande liberté par rapport à ses électeurs. Sa seule obligation est d’exprimer la volonté de la nation, mais comme la nation est une idée, une entité abstraite, cette obligation n'est pas très contraignante. La seule limite à cette liberté est politique : s'il souhaite être réélu, il est préférable qu'il tienne compte de la volonté de ses électeurs. §2. La théorie de la souveraineté populaire Cette théorie est due à J.-J. Rousseau et a été exposée dans son ouvrage fondamental " Du contrat social" qui date de 1762. Dans cette théorie, le titulaire de la souveraineté est le peuple : la souveraineté appartient au peuple, c'est-à-dire à tous les citoyens, qui détiennent donc chacun une fraction, une parcelle de souveraineté. C’est au peuple, en tant qu’entité concrète composée de tous les citoyens - et non à une entité abstraite - que revient la souveraineté. Rousseau précisait ainsi sa pensée : "Supposons que l'Etat soit composé de dix mille citoyens. Chaque membre de l'Etat n'a pour sa part que la dix millième partie de l'autorité souveraine." Certaines constitutions françaises datant de la Révolution ont proclamé le principe de la souveraineté populaire en précisant par exemple que "le peuple souverain est l'universalité des citoyens français" (Constitution de 1793). Si l'on s'intéresse maintenant aux conséquences de cette théorie, on remarque qu'elle produit des effets très différents de ceux que produit la théorie de la souveraineté nationale. Reprenons les mêmes subdivisions qu’auparavant : 1) S’agissant de l’exercice de la souveraineté, la souveraineté peut être exercée directement par les citoyens, sans l’intermédiaire de représentants. Autant, la première théorie impliquait le régime représentatif, autant J.J. Rousseau est favorable à la démocratie directe. Cela va même plus loin, car pour lui, la volonté du peuple ne se délègue pas. Toute délégation cache en réalité une renonciation par le peuple à sa souveraineté au profit de ses représentants. Ainsi, le système idéal, selon lui, est un système où toute représentation est exclue, les citoyens s'exprimant par la voie de référendums. Il faut bien comprendre que la différence essentielle entre la nation et le peuple, c'est que le peuple est un être réel, alors que la nation n'est qu'un être abstrait. Seul l'être réel peut s'exprimer sans intermédiaires. Mais, ajoutons que Rousseau a tout de même conscience du caractère impraticable d’une démocratie directe dans les Etats d’une certaine taille (la démocratie purement directe n’est envisageable, en tout cas à son époque, que dans les micro- Etats), c’est pourquoi il admet que l’exercice de la souveraineté puisse être délégué mais à certaines conditions. 2) Lorsque la délégation est admise, qu'en est-il de ses modalités et de sa nature ? La théorie attachée à celle de la souveraineté populaire est celle de l’électorat-droit. Dans cette conception, l'électorat est un droit. Chaque citoyen étant titulaire d'une fraction de souveraineté, il doit en effet pouvoir élire ses représentants. Avec deux conséquences : Page 3 sur 10   - La théorie de l'électorat-droit implique la mise en oeuvre du suffrage universel et la liberté dans l'exercice du droit de vote. Le vote doit donc être facultatif. - On l’a vu, cette théorie admet, pour les grands Etats, la désignation par les citoyens de délégués. Ceux-ci sont cependant investis d'un mandat impératif. Ce mandat présente des caractéristiques opposées à celles du mandat représentatif. En effet, le lien entre les électeurs et l'élu est ici très étroit alors qu'il n'y avait aucun lien dans la théorie de la souveraineté nationale. Plus précisément, les délégués sont munis d'instructions très précises et devront rendre compte de leurs prises de position devant leurs électeurs. En cas de non-respect par ce délégué de ses instructions, le délégué pourra être révoqué par les électeurs. Il y a donc une responsabilité du représentant devant ses électeurs. Ce système vise à assurer l'exacte coïncidence entre la volonté des électeurs et celle exprimée par l'élu. Section II : La confusion de la souveraineté nationale et populaire dans les textes constitutionnels récents Quel principe trouve-t-on consacré dans les Constitutions françaises récentes, et en particulier dans l’actuelle Constitution française de 1958 ? Même si la réponse peut paraître a priori étrange, les deux principes - de souveraineté nationale et de souveraineté populaire - y sont consacrés. Ceci peut sembler étonnant car les conséquences des deux théories sont sur certains points incompatibles. Et, pourtant, l’article 3 réalise une sorte de compromis entre les deux principes puisqu'il dispose que "la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum". Il s’agit d’une disposition de compromis au sens où la Constitution de 1958 consacre certaines des conséquences découlant de la souveraineté nationale - je veux parler de l'interdiction de tout mandat impératif qui est posée à son art. 27 - et certaines des conséquences découlant de la souveraineté populaire - je veux parler du suffrage universel et du référendum qui peut être organisé en matière législative et constitutionnelle. Ce qui est sûr, c'est que le seul intérêt de la théorie de la souveraineté nationale est aujourd'hui l'interdiction du mandat impératif. En effet, le fait que les élus ne soient pas liés par des engagements autres que politiques à l'égard de leurs électeurs permet aux assemblées de délibérer, c'est-à-dire aux élus de discuter et éventuellement de modifier leur position en cours de discussion. Il n'est évidemment plus question de justifier la mise en place d'un quelconque suffrage restreint. Quant à la théorie de la souveraineté populaire, elle permet de mettre en place des procédés de démocratie directe dans des régimes qui ne seront donc plus exclusivement représentatifs. Page 4 sur 10   Chapitre II : Les systèmes de participation du citoyen au pouvoir Il existe trois systèmes de participation des citoyens à l'exercice du pouvoir. Section I : La démocratie directe Dans les systèmes de démocratie directe, le peuple se gouverne lui-même par la participation de tous les citoyens à la gestion de l’Etat. Il n’y a pas de représentants, donc ni assemblée, ni gouvernement. Les gouvernés sont eux-mêmes les gouvernants et délibèrent des affaires publiques. Un telle démocratie peut apparaître comme la démocratie idéale. Mais un tel système est davantage une utopie qu’une réalité observable, pour deux raisons essentiellement : - Pendant longtemps, il n’était envisageable à l’état pur que dans un micro-Etat où le nombre de citoyens est réduit et peut s’assembler sur la place publique. Aujourd’hui la situation n’a d’ailleurs pas tellement changé en raison du manque de fiabilité des procédés électroniques de vote à distance. - Même si cette difficulté pouvait être surmontée, il reste que les citoyens ne pourraient résoudre qu’une part très faible des problèmes qu’un Etat moderne doit affronter, à la fois en raison de leur manque de capacité - en tout cas sur les sujets complexes ou techniques - et du manque de temps disponible. Section II : La démocratie représentative Ce système est à l’opposé de celui que nous venons de voir. Dans ce cas, l'exercice du pouvoir est uniquement confié à des représentants élus au suffrage universel et chargés de décider au nom de la nation ou du peuple. Dans le passé, la représentation était justifiée à la fois par l'impossibilité matérielle de mettre en oeuvre la démocratie directe dans les grands Etats mais également par l’incapacité totale ou partielle des citoyens à comprendre la chose politique. En effet, le régime purement représentatif permet, une fois l’élection achevée, de tenir le peuple à l'écart de la délibération des affaires publiques. En ce sens, voyez par ex. Montesquieu qui défendait une telle vision "aristocratique" de la démocratie dans son célèbre ouvrage " L'esprit des Lois" (1748) : " Il y avait un grand vice dans la plupart des anciennes républiques : c'est que le peuple avait le droit d'y prendre des résolutions actives, et qui demandent quelque exécution, chose dont il est entièrement incapable. Il ne doit entrer dans le gouvernement que pour choisir ses représentants, ce qui est très à sa portée". Aujourd’hui une telle vision est en partie dépassée. Nous ne sommes plus au XVIIIème siècle : le degré de conscience politique des citoyens, leur éducation et leur information ont augmenté, ce qui peut plaider - au moins - en faveur d’une certaine participation directe du peuple à la gestion des affaires publiques. Il n'empêche qu’un tel argument conserve sa valeur, en particulier dans les domaines techniques où une spécialisation s'avère souvent nécessaire. De façon générale, la gestion des affaires de l’Etat est devenue un véritable métier, en particulier du fait de la diversification des tâches qui sont les siennes aujourd'hui. Ce qui est sûr, c'est que le système représentatif envisagé au XVIIIème siècle n'est plus celui dont on peut observer le fonctionnement aujourd'hui. D’un côté, l'interdiction du mandat impératif est maintenue dans la plupart des démocraties. Page 5 sur 10   D’un autre côté, cette interdiction est atténuée dans les faits en raison des caractéristiques actuelles de la vie politique. Qu’est-ce que cela signifie ? que, bien sûr, l’élu continue d’un point de vue juridique, de n’être lié à la nation que par un mandat représentatif et dispose donc toujours d’une liberté totale vis-à-vis de ses électeurs. Mais, dans la réalité, les choses se passent différemment : - En premier lieu, les candidats aux élections affirment vouloir prendre la défense des intérêts locaux. Une fois élus, ils se comportent aussi en représentants de leur circonscription et développent de nombreux liens avec les électeurs. - En second lieu, l’appartenance fréquente des élus à un parti politique limite leur liberté. D’abord, elle permet à l'électeur, grâce aux programmes des divers partis, de faire son choix en connaissance de cause. Ensuite, une fois élu, le représentant voit sa liberté encadrée par le parti auquel il appartient, parti qui lui impose le plus souvent une discipline de vote (sous peine d’être sanctionné en application des statuts du parti en cause). Ceci n’empêche pas les partis de pouvoir évoluer et, donc, de ne pas respecter les promesses faites à leurs électeurs. On peut donc affirmer que les assemblées et, de façon plus générale les élus, sont moins libres aujourd'hui qu’au XIXème siècle, non parce que les règles juridiques ont changé mais en raison de l'évolution de la vie politique et, dans la seconde partie du XIXème siècle, de l'apparition des partis politiques modernes. Ceux-ci ont contribué à "démocratiser" le régime représentatif en accentuant le lien entre les élus et les électeurs. Il n’empêche que le risque de tout régime représentatif pur reste la confiscation par les représentants de la souveraineté qui appartient normalement au peuple. Le risque est donc celui de la substitution de ce qu’on appelé une "souveraineté parlementaire" à la souveraineté populaire. Elle peut par exemple se traduire par la modification des alliances entre les partis en cours de mandat - donc après les élections - à l’encontre de la volonté populaire ou sans que le peuple ait été consulté. Ceci explique pourquoi est apparu un troisième système de participation des citoyens au pouvoir. Section III : La démocratie semi-directe La démocratie semi-directe est un régime représentatif dans lequel ont été introduits des éléments de démocratie directe. Dans un tel régime, il y a donc coexistence d'organes représentatifs et de procédures d'interventions populaires directes. Dans certaines matières, le peuple est donc érigé en autorité de proposition ou de décision concurrente du Parlement. Certains Etats ont toujours pratiqué la démocratie semi-directe. Tel est le cas de la Suisse ou des Etats fédérés américains. De façon générale, on peut constater qu’elle a connu un regain d'intérêt durant la seconde partie du XXème siècle. En effet, de nouveaux Etats, en particulier européens, ont intégré des procédures de démocratie directe dans leur constitution (Italie, France). Il existe diverses techniques de démocratie directe auxquels les Etats représentatifs peuvent décider d’avoir recours. §1. Le veto populaire Page 6 sur 10   Dans ce cas, le peuple a le droit de s'opposer à l'entrée en vigueur d'une loi votée par le parlement. La constitution prévoit alors que les lois ne pourront être appliquées qu'après un certain délai durant lequel les citoyens pourront examiner la loi. Concrètement, lorsque une loi qui vient d’être votée suscite une opposition, certains citoyens peuvent déposer une pétition. Si cette pétition obtient le nombre de signatures requis par la constitution, la loi devra être soumise à référendum. Ainsi, le peuple dispose d'une "faculté d'empêcher", d'un droit de veto à l'égard des lois votées par le parlement, droit qu'il peut exercer jusqu'à l'expiration du délai qui lui accordé. Après l'expiration de ce délai, la loi devient incontestable. Quelle est la portée d’un tel système ? Lorsqu'il est étendu à l'ensemble des lois adoptées par le parlement il permet de soumettre ce dernier au contrôle permanent du peuple. Il limite en conséquence les effets du mandat représentatif (c’est-à-dire la liberté des élus) puisque les électeurs peuvent, pour chaque loi, vérifier si la volonté exprimée par les élus coïncide avec la leur. Ce système est pratiqué par la Suisse. L'article 141 de la Constitution suisse de 1999 prévoit en effet que lorsque la demande en est faite par 50.000 citoyens (ce qui représente moins de 1% de la population suisse) les lois et certains traités internationaux doivent être soumis à l'adoption ou au rejet du peuple par la voie du référendum. §2. L'initiative populaire L’initiative populaire est le droit conféré par la constitution à un certain nombre de citoyens de proposer l’adoption d’une loi. Plusieurs systèmes, certains rudimentaires, d’autres plus élaborés, peuvent être mis en place : - Commençons par le plus rudimentaire. Lorsqu’il est mis en place, une fraction du peuple déterminée par la constitution pourra signer une proposition, qui pourra éventuellement être totalement rédigée. Mais cette initiative n’a aucun effet contraignant sur les pouvoirs publics. En effet, la constitution ne prévoit rien au cas où le Parlement ne discuterait pas ou n'adopterait pas la proposition. Une initiative populaire de ce type est prévue en matière législative à l'article 71 de la Constitution italienne, la proposition devant être formulée par 50.000 personnes (0,1% de la population) et rédigée en articles, mais rien n'est prévu pour surmonter un éventuel refus du Parlement italien de légiférer à ce sujet. - Il existe en revanche des systèmes intermédiaires qui sont plus intéressants pour le peuple. Dans ces cas, le parlement est contraint, sur initiative populaire, de légiférer dans le domaine concerné. En effet, s'il ne légifère pas, c’est-à-dire s’il n’examine pas la proposition ou la rejette, le projet est soumis au référendum. Lorsqu’un système de ce type est appliqué, le peuple peut donc surmonter un éventuel refus du Parlement. C'est un système qui s'inspire de celui-ci - mais qui est un peu plus complexe - que l'on trouve consacré dans la Constitution suisse en matière constitutionnelle. La proposition, non rédigée (c’est-à-dire conçue en termes généraux), doit être signée par 100.000 personnes au minimum (ce qui représente environ 1,2% de la population) et peut en réalité concerner n’importe quel sujet. - Le dernier système est le plus favorable au peuple et le plus défavorable aux assemblées. Il permet l'adoption d'une loi sur initiative populaire mais sans aucune intervention de l'organe représentatif, donc du parlement. C'est l'hypothèse du référendum d'initiative populaire : un certain nombre de citoyens peut demander l'organisation d'un référendum pour adopter ou abroger une loi, c’est-à-dire pour demander sa disparition pour l’avenir. Page 7 sur 10   Ce système est pratiqué par la Suisse pour les initiatives rédigées (même nombre de signatures que ci-dessus), avec la possibilité pour l’Assemblée de présenter un contre-projet si elle recommande le rejet de l’initiative populaire. L’article 75 de la Constitution italienne permet également à 500.000 électeurs (c’est-à-dire à peu près 1% de la population) de demander l'organisation d'un référendum d'abrogation d'une loi en vigueur. S’agissant de la France, il faut savoir que l'article 11 de la Constitution française du 4 octobre 1958 a introduit le référendum en matière législative. Mais le droit d'initiative n'a pas été reconnu aux citoyens. Il n’y a donc pas de référendum d’initiative populaire en France. La révision de la Constitution de 2008 a toutefois introduit un référendum d’initiative partagée (1/5 des parlementaires peuvent signer une proposition qui doit être soutenue par 1/10 des électeurs). Le problème est qu’il est non seulement très difficile à mettre en oeuvre (1/10 des électeurs, cela représente un peu moins de 4,7 millions d’électeurs, ce qui est un chiffre très important), mais aussi plutôt rudimentaire dans ses effets (il n’y aura de référendum que si l’une des 2 assemblées refuse de l’examiner, mais non si le Parlement rejette la proposition). Il se situe donc entre le premier et le second système examiné. §3. Le référendum Le référendum consiste à soumettre un texte à l'approbation de l'ensemble des citoyens. Il existe différentes sortes de référendum : - Le référendum peut être soit constituant, soit législatif selon que le texte soumis au peuple est de nature constitutionnelle ou législative. La Constitution française actuelle prévoit ces deux types de référendum, le référendum législatif à l'article 11 et le référendum constituant à l'article 89. Mais, vous savez déjà, et vous reverrez ce point au second semestre, que le général de Gaulle n'a pas hésité à recourir à l'article 11 pour faire approuver des révisions constitutionnelles par le peuple. - Le référendum est soit obligatoire, soit facultatif. Il sera facultatif dans l'hypothèse où la loi aurait également pu être discutée et éventuellement adoptée par le Parlement. Il sera obligatoire lorsque seul le peuple est compétent pour adopter le texte considéré. En France, le référendum législatif est pour l’essentiel un référendum facultatif. En matière constitutionnelle, il n’est toutefois facultatif que si le projet émane de l’Exécutif. - Le référendum peut être soit un référendum d'acceptation, soit un référendum d'abrogation. Dans le premier cas, c'est l'adoption même du texte qui nécessite l'approbation populaire. Dans le second cas, le peuple peut mettre fin pour l'avenir à un texte déjà entré en vigueur. Ce dernier système est pratiqué en Italie où existe un référendum d'abrogation d'initiative populaire depuis 1970. Il permet au peuple, sur l’initiative d’un certain nombre de citoyens, de se prononcer sur l’opportunité de maintenir une législation qui a été adoptée antérieurement par le Parlement. Il y en a eu un peu moins de 70 qui ont été organisés, beaucoup ont échoué faute de réunir le quorum exigé (50 % des électeurs), 4 ont en revanche abouti en 2011 à l’abrogation de lois en vigueur (dont l’une sur le retour au nucléaire civil et l’autre sur l’immunité pénale des ministres). Page 8 sur 10   - Le référendum peut être consultatif ou décisionnel. Il est décisionnel lorsque le peuple décide l'adoption d'une loi, consultatif lorsqu’il est uniquement consulté sur elle. Dans ce dernier cas, l’avis du peuple ne lie pas les pouvoirs publics. Un référendum consultatif existe ainsi en Espagne (art. 92, pour les décisions politiques de grande importance), mais aussi au Royaume- Uni. En effet, le système politique britannique est fondé sur la souveraineté parlementaire - il est purement représentatif - et ne connaît pas en principe l'institution référendaire (c’est-à-dire l’institution du référendum). Le référendum favorable au Brexit de juin 2016 était donc un référendum consultatif. - Enfin, une dernière distinction doit être étudiée : elle distingue les référendums selon les organes habilités à en prendre l’initiative. L'initiative du référendum peut appartenir : * 1er cas de figure : à un certain nombre de citoyens, on l'a vu précédemment, il s’agit dans ce cas d’un référendum d’initiative populaire. C’est le système le plus démocratique puisque le peuple - ou du moins une fraction de celui-ci - choisit de se saisir lui-même d’une question qui lui tient à coeur. * 2ème cas de figure : elle peut appartenir au parlement, soit uniquement à la majorité, soit également à la minorité. Dans ce dernier cas, on parle de référendum d’initiative minoritaire. Cette dernière solution n’est pas sans danger si elle n’est pas encadrée, l'opposition pouvant se servir de cette procédure pour remettre en cause en permanence les choix de la majorité. En France, depuis 2008, le référendum d’initiative partagée est un référendum d’initiative minoritaire (1/5 des parlementaires, c’est-à-dire 185 sur 925) et populaire (1/10 des électeurs). * 3ème cas de figure : l'initiative peut être confiée au pouvoir exécutif, soit au chef de l'Etat, soit au gouvernement. Ce système peut être dangereux si son champ d’application est trop vaste. Il peut en effet entraîner un déséquilibre des institutions au profit de l’exécutif et au détriment du parlement. En d’autres termes, le risque existe qu’en cas de refus du parlement de voter les lois proposées par l’exécutif, celui-ci ne recourt ou ne menace de recourir de façon systématique au référendum. Cette possibilité constitue alors un instrument redoutable de domination du parlement. Un tel système est encore plus dangereux lorsqu’il bénéficie au chef de l'Etat plutôt qu’au gouvernement. En effet, ces référendums peuvent facilement dégénérer en plébiscites. Quelle est la différence ? Il y a référendum lorsque la réponse populaire est donnée en fonction de la question posée. En revanche, il y a plébiscite si elle est donnée en fonction de la personne auteur de la question. Dans le cas d'un plébiscite, il s'agira moins de voter pour ou contre un texte que d'accorder sa confiance à la personnalité qui occupe le poste de chef de l’Etat, personnalité qui pourra ensuite abuser de son pouvoir en utilisant le peuple contre le parlement ou contre ses adversaires politiques. Comment faire la différence entre un référendum et un plébiscite ? Plusieurs indices doivent être pris en compte dont : - la complexité de la "question" posée : plus la "question" posée est complexe, moins le peuple en comprendra la portée, et plus la réponse donnée se fera en fonction de l’auteur du texte, et non du texte lui-même. Par exemple, en France, en 2005, le refus par le peuple d’autoriser la ratification du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, dont la portée n’était pas évidente à comprendre, est plutôt dû au rejet par certains électeurs de la politique menée par le Président Jacques Chirac qu'au rejet du traité lui-même. Page 9 sur 10   - les éventuelles menaces de démission de l'auteur de la question en cas de vote négatif du peuple. Il faut cependant savoir que, dans nos sociétés hyper-médiatisées, les référendums organisés à l’initiative de l’exécutif ont quasiment tous une coloration plébiscitaire. En France, avant 2008, l’article 11 de la Constitution confie le droit d’initiative référendaire en matière législative au seul Président de la République mais uniquement sur proposition du Gouvernement ou des deux Chambres. De plus, et c’est un autre garde-fou, le référendum ne peut être utilisé que dans certaines matières limitativement énumérées par l’article 11, ce qui limite le risque de dérive que je viens d’évoquer. Conclusion sur le référendum - C'est le procédé de décision démocratique par excellence mais sa physionomie réelle dépend étroitement de ses modalités de mise en oeuvre. Il y a en particulier une différence très nette de philosophie entre un référendum d’initiative populaire - le plus démocratique - ou d’initiative minoritaire et un référendum d’initiative présidentielle tel qu’il en existe un en France depuis 1958, référendum qui tend surtout à conforter la position du chef de l'Etat - en tout cas si la réponse du peuple est positive. - Mais, attention, sauf exception, les Etats n’introduisent la démocratie directe que de façon subsidiaire. Le régime est pour l'essentiel représentatif et le référendum ne joue qu'un rôle secondaire. Il y a une certaine méfiance à l'égard du peuple qui n'est d'ailleurs pas toujours plus progressiste que ses représentants. Un exemple toujours cité : en Suisse, "royaume" de la démocratie populaire, le droit de vote n'a été accordé aux femmes par une révision constitutionnelle qu'en 1971 !!! L’élargissement du droit de suffrage avait été repoussé auparavant par référendum (uniquement masculin). Et enfin, autre exemple à méditer qui concerne la France cette fois : l’abolition de la peine de mort, votée par le Parlement en 1981, aurait-elle été votée, en tout cas à l'époque, par le peuple ? Page 10 sur 10