Cours Droit Constitutionnel - L'Etat PDF
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Ce document présente une introduction à la notion d'État, analysant ses diverses significations et les conditions nécessaires à son existence. Il aborde la population, le territoire et le gouvernement effectif. Le cours explore ensuite les caractéristiques juridiques de l'État, notamment sa personnalité morale et sa souveraineté. L'organisation et la structure politiques du pouvoir national et international sont au cœur de ces concepts.
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Titre II : L'Etat Examinons successivement la notion, puis les formes d’Etat. Chapitre I : La notion d'Etat Commençons par distinguer les diverses significations du mot "Etat" : - Dans un sens restrictif, l'Etat est d'abord le pouvoir central. En cela, il s'oppose au pouvoir décentr...
Titre II : L'Etat Examinons successivement la notion, puis les formes d’Etat. Chapitre I : La notion d'Etat Commençons par distinguer les diverses significations du mot "Etat" : - Dans un sens restrictif, l'Etat est d'abord le pouvoir central. En cela, il s'oppose au pouvoir décentralisé, aux collectivités locales décentralisées, que sont en France les communes, les départements, les régions et les collectivités d’outre-mer (COM). - Dans un sens plus large, l'Etat est également assimilé aux gouvernants, aux pouvoirs publics dans leur ensemble. Dans ce sens, l'Etat s'oppose aux gouvernés, à ce que l'on appelle la société civile. Ex : on peut dire que l'Etat doit prendre en charge telle activité - par exemple le maintien de l'ordre - ce qui signifie que ce n'est pas aux particuliers de l'assurer. - Dans un dernier sens qui est celui que nous retiendrons ici, l'Etat est une société politique organisée, le cadre d'exercice d'un phénomène d'autorité particulier que l’on appelle le pouvoir politique. C’est dans ce sens que l’on dit qu'il existe un Etat français, allemand, sud-africain etc. Pour qu'une société humaine forme un Etat, la pratique montre que trois conditions doivent être réunies. En général, les Etats considèrent en effet une collectivité comme constituant un Etat lorsque trois conditions sont remplies. Ces conditions seront étudiées dans la première section, puis nous nous pencherons sur les caractères de l’Etat dans la seconde section. Section I : Les conditions d’existence de l’Etat Trois conditions : la population, le territoire et un gouvernement effectif que nous allons étudier successivement. §1. La population La population, c'est la substance humaine de l'Etat. En effet, l'Etat, c'est avant tout une communauté humaine. Plusieurs précisions doivent être apportées à ce sujet : Le terme "population" n’est pas utilisé par hasard. Il est utilisé parce qu’il est un terme neutre : il n’implique pas que les individus qui composent cette population présentent des caractéristiques communes. Au contraire, des différences importantes peuvent exister entre ces individus autant du point de vue de leur langue, de leur culture, de leur religion que de leurs activités économiques ou de leur histoire. Mais il faut aller plus loin et constater que pour que l’Etat ait un avenir, pour qu’il survive dans le temps, il est nécessaire qu'un intérêt général puisse être dégagé au delà des intérêts particuliers de chaque individu. C’est pourquoi les individus qui composent cette population doivent croire que ce qui les unit, que ce qu’ils ont de commun (par ex. la langue) l'emportera sur ce qui les distingue (par ex. les activités, les traditions). Pour bien comprendre ce point, il faut s’intéresser à deux notions voisines de celles de population, celles de "nation" et de "peuple". A. Etat et nation Page 1 sur 9 On vient de voir qu'un Etat ne peut pas exister sans population. Faut-il aller plus loin, être plus exigeant, et prétendre que l'Etat ne peut pas exister si cette population ne forme pas une nation ? En d’autres termes, la nation est-elle également une condition d’existence de l’Etat ? Commençons par définir la nation 1). Puis nous constaterons que l'Etat ne coïncide pas forcément avec la nation 2). 1) La nation, vouloir-vivre collectif La nation, à la différence de la population, est une idée, une représentation que les individus se font de l’ensemble auquel ils appartiennent. Quand on parle de population, les choses sont simples : la population regroupe des êtres physiques, des êtres concrets comme vous et moi (des êtres qui existent dans la réalité). En revanche, la nation est plus exigeante puisqu’elle suppose qu’existe un sentiment de solidarité entre les individus qui la composent, sentiment qui leur inspire la volonté de vivre ensemble. C’est pourquoi elle a pu être définie comme un vouloir-vivre collectif, un rêve d’avenir partagé. D’où provient un tel sentiment de solidarité lorsqu’il existe ? Il existe sur ce point deux conceptions de la nation : - Une conception dite objective, issue de la philosophie allemande du XIXè siècle, qui insiste sur des éléments tels que la géographie ou la langue. Vous savez sans doute que certaines idéologies politiques ont fait de la race le critère central de la nation mais cette référence est évidemment dangereuse. D’abord parce que la distinction entre les races est scientifiquement infondée – elle n’a donc que les apparences de l’objectivité : la science moderne a prouvé que le fonds génétique commun de l’humanité est pour l’essentiel identique quelles que soient les différences biologiques observables entre les groupes humains (couleur de peau etc.). Ensuite parce qu’elle a le plus souvent servi des objectifs politiques condamnables, à savoir l’oppression d’un groupe humain par un autre au nom d’une prétendue inégalité entre les races. Cette conception a ainsi été exploitée par Hitler au profit de la prétendue race aryenne qu’il voulait faire coïncider exactement avec la nation allemande au détriment de la prétendue race juive, ce qui a abouti à l’extermination de 6 millions de juifs dans l'Europe occupée durant la seconde guerre mondiale. - Une conception dite subjective, issue de la philosophie française des Lumières, qui insiste davantage sur les éléments culturels, religieux, les souvenirs communs – en un mot sur la communauté de civilisation qui s’est créée au cours d’une histoire commune. Ce qu'il faut retenir est que la nation est une entité qui réunit non seulement les personnes en vie à un moment donné mais également les morts et les générations futures. D’un côté, elle plonge ses racines dans le passé, mais de l’autre elle est porteuse d'une représentation de l'avenir, du futur. Elle unit donc les générations passées et celles à venir. 2) L'Etat ne suppose pas forcément l'existence d'une nation Dans la réalité, l’Etat peut ne pas coïncider avec la nation. Bien sûr, ce constat n’empêche pas de penser que l'existence préalable d'une nation est une condition, non pas de l'Etat en général, mais d'un Etat durable et que l'idéal réside dans leur coïncidence. Cet idéal (une nation, un Etat = à chaque nation devrait correspondre un Etat) était d’ailleurs poursuivi par le mouvement des nationalités, mouvement de pensée qui a dominé Page 2 sur 9 l’Europe dans la seconde partie du XIXème siècle. Il est également à la base du principe juridique du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes qui est reconnu par le droit international contemporain (même s’ils ne coïncident pas toujours : les intérêts d’une nation peuvent l’emporter sur ceux d’un peuple – minoritaire). Toute l'histoire de l'Europe et également des autres continents depuis la fin du XVIIIème siècle - songez à l'Amérique du Nord et du Sud, à l'Afrique depuis la décolonisation ainsi qu'à l'Asie et à l'Océanie - est marquée par l'émancipation des nations et l'apparition d'Etats nouveaux pour gérer leur destin. Et, pour évoquer un débat actuel, l'on s'est demandé et l’on se demande toujours, si, malgré les différences qui séparent les peuples européens (langue, culture etc.), il existe ou il pourrait exister un jour une nation européenne sur laquelle un Etat fédéral européen pourrait prendre appui. Lorsqu'il y a coïncidence entre la nation et l'Etat, l'on peut alors affirmer avec A. ESMEIN, un des grands théoricien français du droit constitutionnel de la fin du XIXè siècle, que " l'Etat est la personnification juridique d'une nation". Dans cette hypothèse, la nation, qui est une réalité sociologique, trouve sa traduction juridique dans l'Etat. Le problème est qu’il faut bien constater que les exemples de non-coïncidence sont nombreux : - 1er cas de figure : les nations peuvent être divisées entre plusieurs Etats. Tel était le cas depuis 1949 et du fait de la guerre froide de la nation allemande avant la réunification des deux Allemagne de l’Est et de l’Ouest en 1990 (la première faisant partie du bloc communiste, la seconde du bloc occidental). Tel est en revanche toujours le cas de la nation coréenne qui a été partagée en deux Etats après la seconde guerre mondiale (1948) et de la nation kurde divisée entre plusieurs Etats (l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie pour l’essentiel). - 2ème cas de figure : les Etats peuvent englober plusieurs groupes nationaux : on parle alors d’Etats pluri-nationaux. De tels Etats, comme la Russie (128 nationalités), sont évidemment plus fragiles. Quel est leur devenir ? Deux possibilités schématiquement : - soit la vie en commun favorise la naissance progressive d'une nation malgré les frontières et les regroupements parfois arbitraires. C’est ce que l’on a pu espérer – mais cet espoir a été trop souvent déçu - pour les Etats africains nés de la décolonisation. Ces Etats sont en effet composés de sociétés plurales, c’est-à-dire composées d’éléments multiples, de sociétés distinctes - à la fois du point de vue religieux, linguistique et culturel. Ils sont donc le plus souvent à la recherche d’une identité, d’une unité nationale. - Soit, et c’est la seconde possibilité, une telle histoire commune peut s'achever dans la séparation, soit de façon douce (tel a été le cas au début des années 1990 de la Tchécoslovaquie et de l’URSS), soit de façon violente donc après une guerre civile. La Yougoslavie est là pour en témoigner (1990/2000). Pour finir sur une note plus optimiste, il faut signaler qu’il existe une forme d'organisation étatique qui permet aux différentes nations d'être représentées en tant que telles au sein de l'Etat : il s'agit de l'Etat fédéral qui sera étudié dans le prochain chapitre. B. Etat et peuple 1) Le peuple : définition générale Page 3 sur 9 Le peuple est une entité qui est à la fois plus que la population et moins que la nation. Plus que la population car le peuple possède les mêmes qualités que la nation. Les personnes qui forment un peuple se sentent unies par un lien particulier, par un sentiment d'identité et de solidarité. Moins que la nation car le peuple ne comprend que les personnes vivant à un moment donné alors que la nation unit en un tout, le passé, le présent et le futur. La nation française englobe tout autant les personnalités françaises du passé (Vercingétorix, Victor Hugo, le général de Gaulle etc.), les français qui vivent actuellement que les générations à venir. En revanche, le peuple français comprend uniquement l'ensemble des citoyens français vivant actuellement en France ou à l'étranger, c'est l'universalité des citoyens français. 2) L’Etat ne suppose pas non plus l’existence d’un peuple, mais l’existence d’un peuple distinct à l’intérieur d’un Etat peut entraîner la naissance d’un nouvel Etat Le peuple n’est pas non plus une condition d’existence de l’Etat. Il existe en revanche un droit qui est reconnu par le droit international contemporain : celui des peuples à disposer d'eux- mêmes. En vertu de ce droit, chaque peuple a droit – s’il le souhaite - à former un Etat indépendant. Le principe, qui est posé de façon générale à l’art. 1 §. 2 de la Charte des Nations Unies (qui est le traité fondateur de l’ONU - signé en 1945) n’est clair qu’en apparence. En effet, son application a posé et pose encore de redoutables difficultés qui sont de deux ordres : - Première difficulté : la difficulté d'identifier concrètement un peuple, de qualifier une population donnée de peuple. En d’autres termes, à partir de quel seuil, une population qui présente certaines caractéristiques communes et a des aspirations communes peut-elle être qualifiée de peuple ? Si on prend le cas de la France, il existe assurément, à l’intérieur du peuple français, un peuple kanak (en Nouvelle-Calédonie - la Constitution l'a reconnu dans son titre XIII qui renvoie à l'Accord de Nouméa de 1998 dont je vous parlerai ultérieurement), mais doit-on admettre – comme certains le prétendent - qu’il existe un peuple réunionnais, un peuple corse et de façon plus provocante un peuple alsacien, basque ou breton ? - Seconde difficulté : la tendance des Etats à vouloir éviter la perte d'une partie de leur territoire bien qu'elle abrite un peuple spécifique. Voir les réticences de la France à l'origine de la guerre d'Algérie (1954/1962) et, plus récemment, à propos de l'évolution de la Nouvelle-Calédonie. Le processus d’accès à l’indépendance de ce dernier territoire a toutefois été relancé par une révision de la Constitution (loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 - référendums sur l’accès à l’indépendance en novembre 2018, 2020 et 2021, majorité de votes défavorable à l’indépendance), même s’il peine à être prolongé actuellement. Ces difficultés expliquent pourquoi les Etats se sont accordés dans les années 60 et dans le cadre de l’Organisation des Nations-Unies à restreindre le champ d’application de ce principe aux seuls peuples colonisés, donc aux peuples qui ont été soumis contre leur gré à une domination étrangère (c’est-à-dire qui ont été placés dans une situation arbitraire d’inégalité et de subordination par rapport à une métropole). En effet, il a paru très dangereux de reconnaître à tout groupe social qui fait partie de la population d’un Etat constitué mais présente certaines caractéristiques propres un droit à l’autodétermination, donc un droit à former, s’il le souhaite, un Etat indépendant. Car quel est le risque qu’il y aurait à reconnaître un tel droit sans limites ? celui d’enclencher un processus indéfini de désintégration des Etats qui forment aujourd’hui la société internationale : chaque groupe social est toujours constitué de sous-groupes, qui pourraient eux-mêmes revendiquer demain Page 4 sur 9 un tel droit. Où s’arrêter ? En d’autres termes, lorsqu’il est conçu sans limites, le droit des peuples ne peut qu’être un facteur permanent d’anarchie, de contestation des Etats en place – et donc de violence. Or, une telle instabilité ne peut qu’être préjudiciable aux individus, elle a toutes les chances de se retourner contre les individus qu’elle prétend pourtant émanciper. Cette restriction, même si elle a connu quelques exceptions, explique par exemple pourquoi la Catalogne ne peut pas se fonder sur un tel droit pour accéder à l’indépendance dès lors qu’il n’est pas reconnu aux Communautés autonomes par la Constitution espagnole elle-même. 3) L’exemple français : la notion de "peuple français" dans la Constitution du 4 octobre 1958 Depuis la Révolution française, les constitutions républicaines mentionnent en général le seul peuple français composé de l'ensemble des citoyens français. Tel est le cas de l’actuelle Constitution du 4 octobre 1958. Elle débute d’ailleurs – c’est l’alinéa 1er de son préambule - par l'affirmation selon laquelle "le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale...". Le pluriel - "les peuples" - est toutefois utilisé à l’alinéa 2 de ce même préambule à propos des territoires d'outre-mer et du principe de libre-détermination qui leur est reconnu. "En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique." Que faut-il entendre par "territoires d'outre-mer" au sens de cette disposition ? ces territoires ne sont pas constitués par l'ensemble des territoires français ultra-marins - c’est-à-dire séparés de l'hexagone par la mer - mais uniquement par certains d’entre eux. Pendant longtemps et du fait de la rédaction même de l’alinéa 2, on a pensé qu’étaient seules concernées les anciennes colonies françaises qui se sont vu offrir la possibilité de devenir indépendantes en 1958 mais ont choisi de rester au sein de la République française, à savoir : - la Nouvelle-Calédonie. Elle a désormais un statut spécifique – la révision de la Constitution du 20 juillet 1998 relative à la NC a introduit un titre XIII qui constitutionnalise l’Accord de Nouméa signé entre les différentes forces politiques du territoire et l'Etat, accord qui reconnaît l’existence et l’identité du peuple kanak ; - la Polynésie française - et un autre archipel de Polynésie qui porte le nom de Wallis-et-Futuna. Ce sont des COM (collectivités d’outre-mer) au sens de la Constitution actuelle (telle qu’elle a été révisée en 2003). Cette qualification de peuple ne valait donc pas pour les populations des autres COM (dont Saint-Pierre-et-Miquelon) et pour les populations des DROM (départements et régions d'outre-mer), c’est-à-dire de la Réunion, de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et, depuis 2011, de Mayotte. Le problème est que l’une des révisions récentes de la Constitution, celle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, a certes maintenu l’alinéa 2 du préambule qui se réfère au principe de libre-détermination des peuples des territoires d'outre-mer, mais ne semble plus reconnaître aucun peuple outre-mer. En effet, le nouvel article 72- 3 ne mentionne plus que les "populations d’outre-mer" qui sont reconnues par la République "au sein du peuple Page 5 sur 9 français". La formule choisie, qui évite soigneusement le concept de peuple, n’est évidemment pas le fruit du hasard. ARTICLE 72-3. La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité. En résumé, en dehors de la Nouvelle-Calédonie, qui fait l’objet d’un traitement à part dans notre Constitution et apparaît aujourd’hui comme le seul territoire auquel s’applique l’alinéa 2 du préambule de la Constitution, il ne semble donc plus exister d’après la Constitution, qu’un peuple - " le peuple français" - et non plusieurs peuples sur le sol français. Cette question de l’éventuelle existence de peuples distincts au sein du peuple français s’était également posée à propos de la Corse dans les années 1990. En effet, l’article 1er d’une loi relative au statut de la Corse adoptée en 1991 mentionnait " le peuple corse, composante du peuple français". En tant que peuple spécifique, la collectivité qui le représentait se voyait reconnaître des droits spécifiques, qui ne sont donc pas accordés aux autres régions et "liés à son insularité". Vous devinez le problème : la Constitution française actuelle ne connaît qu'un seul peuple. La reconnaissance par une loi de l'existence d'un peuple corse, même considéré comme une composante du peuple français, était-elle conforme à la Constitution ? En d’autres termes, car tel était bien l’enjeu, pouvait-on admettre que le peuple français soit composé de plusieurs peuples coexistant sur le même territoire et qui forment ensemble le peuple français ? C'est le Conseil constitutionnel, qui est chargé en France de veiller à la conformité des lois à la Constitution, qui a tranché cette question délicate. Il a considéré que cette reconnaissance violait la Constitution et plus particulièrement deux principes qui y figurent (art. 1) : le principe d'égalité des citoyens français devant la loi et celui de l'indivisibilité de la République. Plus précisément, il a affirmé dans sa décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse que la Constitution "ne connaît que le peuple français composé de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race, ou de religion". Il a donc interprété de façon restrictive la référence au peuple français qui figure dans la Constitution comme excluant toute possibilité d’appartenance à un peuple concurrent, même partie du peuple français. Il a en revanche accepté le reste de la loi, c’est-à-dire la reconnaissance de droits spécifiques accordés à la collectivité territoriale de Corse (en matière d’identité culturelle et de développement économique). Point d’actualité : dans sa proposition d’évolution du statut de la Corse en date du 28 septembre 2023, donc antérieure à la dissolution, le Président Macron n’a pas évoqué l’inscription de la reconnaissance du "peuple corse" dans la Constitution, mais uniquement mentionné "une communauté insulaire, linguistique, historique et culturelle" ancrée dans la République et dont les spécificités pourraient être reconnues par la Constitution. La révision de la Constitution envisagée (mais dont l’adoption pourrait poser problème du côté du Sénat) ne reconnaîtrait donc pas l’existence d’un "peuple corse", mais seulement davantage d’autonomie à la Corse (https:// www.publicsenat.fr/actualites/politique/document-autonomie-de-la-corse-le-texte-de-laccord-entre- le-gouvernement-et-les-elus et https://www.isula.corsica/assemblea/docs/rapports/2024O1073-.pdf). §2. Le territoire Le territoire, délimité par des frontières, est la seconde condition d'existence de l'Etat. Attention ! Même si l'on dit souvent que l'Etat possède un territoire, le territoire national n'est pas la propriété Page 6 sur 9 de l'Etat. En effet, comme le droit de propriété est un droit exclusif, cela signifierait que les particuliers ne pourraient en être propriétaires simultanément, ce qui n’est pas le cas. Pour utiliser une formule rigoureuse, il faut dire que le territoire est le cadre d'exercice de la compétence de l'Etat : le territoire est donc le cadre géographique dans lequel les gouvernants exercent leurs fonctions. Toute personne se trouvant sur le territoire est en conséquence assujettie, soumise à la réglementation édictée par les autorités de l'Etat. §3. Le gouvernement effectif Deux approches seront développées successivement : A. L'approche juridique : le pouvoir de contrainte La troisième condition de l'existence d'un Etat est la présence sur ce territoire d'un gouvernement effectif, d'une organisation politique qui exerce sur cette population un pouvoir de contrainte dont il a le monopole. Ainsi, l'Etat est investi d'une puissance, appelée puissance publique. La caractéristique d’une telle puissance est de pouvoir s'imposer, au besoin par la force, à tous les citoyens, et de façon plus large, à toute personne, même étrangère se trouvant sur son territoire. Puisque l'Etat est la seule collectivité à disposer de la force coercitive, l'on peut affirmer que l'Etat dispose du monopole de la contrainte organisée sur son territoire. B. L'approche sociologique : la nécessaire légitimité du pouvoir Au début du XXème siècle, le sociologue allemand Max Weber a défini l'Etat dans son ouvrage Le savant et le politique "comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime ». Vous remarquerez que s'ajoute ainsi dans la définition de l'Etat, à côté de la contrainte, une notion sociologique et non juridique : celle de légitimité. En effet, l’on peut penser que le simple recours à la force ne suffit pas pour que le rapport de domination de l'homme sur l'homme que met en place l'Etat puisse exister et surtout exister durablement. Il serait nécessaire que ce rapport de domination soit ressenti comme légitime par les individus qu'il vise, c'est à dire qu'il soit consenti par ceux-ci, qu'il soit perçu par ceux-ci comme conforme à leurs exigences fondamentales. En effet, la force, la contrainte physique, qui est le moyen d'expression spécifique de l'Etat, ne peut être - ou en tout cas ne peut être durablement - le fondement de la puissance étatique. Si un tel consentement n’existe pas, la moindre faiblesse des gouvernants sera en effet exploitée par les gouvernés pour détruire l’Etat. Dans son ouvrage, Max Weber a distingué trois fondements de la légitimité : - la tradition qui joue au profit des gouvernements monarchiques - la personnalité exceptionnelle du chef, son charisme qui bénéficie aux pouvoirs appelés charismatiques - la raison, la croyance raisonnable en la légalité qui prévaut dans les régimes fondés sur le droit et, en particulier, les démocraties modernes. Il faut noter que ces types de légitimité peuvent jouer concurremment. En particulier, il y a toujours une part de charisme dans l'ascendant des gouvernants. Le général de Gaulle, lorsqu'il était Page 7 sur 9 Président de la République, était à la fois régulièrement investi de ses fonctions - c'est la légitimité fondée sur la raison - mais il n’en restait pas moins l'homme de l’appel du 18 juin 1940 et le libérateur de la France - c'est la légitimité charismatique -. Il bénéficiait donc d'une double légitimité. Section II : Les caractères de l’Etat Après avoir étudié les conditions d'existence de l'Etat, reste à mettre en lumière ses caractères juridiques. §1. L’Etat est doté de la personnalité morale L'Etat est un institution, une organisation qui se distingue à la fois des gouvernés et des gouvernants. On dit que l'Etat est une personne morale. Disons simplement que vous n'avez aucune chance de rencontrer dans la rue, dans le monde physique, la personne "Etat". En effet, l'Etat n'est pas une personne physique mais une personne morale. Il n'existe que dans l'ordre des réalités juridiques, dans le monde juridique. De façon générale, rappelons que l'idée de personnalité morale a été conçue afin de donner une existence et une capacité juridique à des groupements d'individus poursuivant un intérêt légitime, donc dans le but de permettre à des groupements d'être titulaires de droits et d'obligations. Songez aux sociétés commerciales, aux associations, aux communes, aux régions et vous aurez des exemples de personnes morales. L'Etat est une personne morale de droit public au même titre que les communes, les départements, les régions et les établissements publics. Ces personnes doivent ainsi être distinguées des personnes morales de droit privé que sont les associations et les sociétés commerciales. L’attribution de la personnalité morale à l’Etat a deux conséquences : - La personne de l'Etat ne se confond pas avec celle de ses dirigeants : le progrès qui a marqué la société politique a consisté à institutionnaliser le pouvoir politique, c'est-à-dire à le dissocier progressivement de la personne de ceux qui commandent pour le confier à l'Etat. Désormais le pouvoir n'appartient plus aux gouvernants. Les gouvernants sont des organes de l'Etat, titulaires d'une compétence accordée par le droit de l'Etat, et exercent leur pouvoir au nom de celui- ci. Ainsi, les décisions qu'ils prennent sont prises au nom de l'Etat - et non en leur nom personnel - et le patrimoine de l'Etat ne doit pas être confondu avec leur patrimoine personnel. Ceci explique également que l'Etat survive à la personne de ses dirigeants (le décès du chef de l'Etat n'entraîne pas la disparition de l'Etat, mais le simple remplacement de la personne du chef de l’Etat). - L'octroi à l'Etat de la personnalité morale lui confère la capacité juridique. A l'image des particuliers, il peut être propriétaire de biens, engager sa responsabilité, passer des contrats, contracter des emprunts etc. Comme nous venons de le voir, l'Etat n'est pas - et de loin - la seule collectivité qui dispose de la personnalité morale, mais il est la plus importante de toutes en raison de son second caractère, spécifique cette fois, la souveraineté. §2. L’Etat est souverain Ce second caractère est spécifique à l'Etat. La souveraineté de l'Etat s'exerce dans deux ordres juridiques distincts : l'ordre juridique interne et l'ordre juridique externe ou international et a dans ces deux ordres deux sens différents que nous allons étudier successivement : Page 8 sur 9 - dans l'ordre juridique interne, c'est-à-dire dans ses relations avec les sujets de droit qui forment sa population, l'Etat est souverain au sens où le pouvoir qu'il exerce est non-subordonné : il est à la fois - originaire ou initial, ce qui signifie que l'Etat ne tient son pouvoir que de lui-même et qu'il est à la source de l'ordre juridique - inconditionné, ce qui signifie que l'Etat peut édicter des normes et agir librement, si nécessaire au moyen de la contrainte. Il n’a pas à se conformer à des règles qui lui seraient extérieures - en dernier lieu, suprême, ce qui signifie qu'il n'existe aucun pouvoir supérieur à l’Etat. - Qu’en est-il maintenant de la souveraineté dans l'ordre juridique international, c'est-à-dire dans les relations que l’Etat entretient, non pas avec ses sujets, mais avec les autres Etats qui forment la société internationale : dans cet ordre, l'Etat est souverain au sens où il est indépendant. Son pouvoir vis-à-vis des autres Etats n'est pas, comme vis-à-vis de ses sujets, illimité puisqu'il se heurte à la souveraineté des autres Etats. Mais, de façon négative, la souveraineté dans l'ordre international signifie qu'un Etat ne peut se voir imposer aucune obligation, qu'elle émane d'un autre Etat ou d'une organisation internationale, sans qu'il y ait consenti. Un Etat peut cependant accepter de limiter sa souveraineté future, c'est-à-dire sa faculté de décider librement à l'avenir, en concluant des traités ou en adhérant à des organisations internationales qui lui imposent des obligations particulières. En effet, le respect de la souveraineté exige seulement que l'Etat consente au préalable à ces limitations futures. C'est ce qu'a fait la France en particulier lorsqu'elle a créé en 1957, avec 5 autres Etats européens, la CEE par le Traité de Rome, Communauté qui s'est élargie et approfondie par la suite pour devenir l'Union européenne. Page 9 sur 9