Synthèse Complète Droit des Médias LCOMU1332 (2022-2023) PDF

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Université catholique de Louvain

2023

Cassidy Genonceaux

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media law media studies communication studies media evolution

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This document is a course summary for LCOMU1332 on media law. It examines the evolution of media types, covering written, audio-visual, and electronic media. The course aims to discern the legal facets, focusing on freedom of expression and the differences in regulation across each media. It also explores the changing role of media in the 21st century, with a focus on diverse aspects of communication and regulation.

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GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 LCOMU1332 LCOMU1332 : Droit des médias : Droit des et demédias...

GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 LCOMU1332 LCOMU1332 : Droit des médias : Droit des et demédias la communication Introduction – 01/02/22 Introduction 1. Contenu et objectifs Les médias sont les véhicules de la communication, soit le contenant. La communication est le contenu même du message. Ce cours a pour objectif de réveiller le/la citoyen.ne (intéréssé.e de la société) qui se cache derrière le/la futur.e étudiant.e en master de journalisme ou de communication. Il vise également a le/la faire réfléchir au-delà des clichés habituels. Aujourd’hui, les médias ont une importance évidente. Comprendre leur fonctionnement permet de décrypter leurs démarches et leurs contenus. On parlera donc de l’organisation des médias comme vecteur de communication. En ce qui concerne internet, nous allons voir que le droit spécifique à celui-ci est beaucoup moins développé que le droit applicable aux médias audiovisuels. Ces derniers occupent un volume juridique bien plus conséquent. Pour ce qui est de la radio, cela requière un niveau bien bien plus élevé de réglementation que les autres médias. Faire un site internet est plus facile que créer une chaine radio, par exemple. Dans la première partie de ce cours, nous travaillerons sur la liberté d’expression et la liberté d’entreprise. Cette dernière est propre aux systèmes libéraux (= générer des profits). 2. Types de médias La notion de média peut susciter des interrogations puisqu’elle détient un côté institutionnel. Dans la seconde partie de ce cours, nous passerons un certain temps à analyser le statut juridique des différents acteurs du processus de communica- tion1. On distingue 3 familles de médias :  Les médias écrits  Les médias audiovisuels  Les médias « électroniques », soit les médias d’internet. 2. 1. Les médias écrits Les médias écrits sont – d’un point de vue historique – les premiers à être apparus et ce, sous forme de livre. Ce format est peu réglementé car il ne connait pas de veritable limite technique. 1Le droit a toujours eu besoin d’identifier des destinataires (chaînes de radio, de télévision, …). C’est ce que l’on appelle maintenant les éditeurs de services audiovisuels. Page | 1 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 Or, la presse écrite est un secteur qui est soumis à légèrement plus de règles puisque le pouvoir a souvent tenté de réguler la presse. Il y a donc des enjeux démocratique importants qui se jouent suite à l’existence de ce média. De plus, il a besoin d’aide pour se développer et subsister. Pour ce qui est de l’affichage (bien qu’il est toujours catégorisé dans les médias écrits) a tendance à se numériser et se diriger vers l’audiovisuel. Les domaines dans lequels le droit intervient concernant l’affichage sont limités. Il en existe évidemment bien d’autres… 2. 2. Les médias audiovisuels Dans la directive SMA (Services des Médias Audivisuels)2, au niveau européen, le terme « audiovisuel » s’applique uniquement à la télévision puisqu’il n’y a qu’elle qui émet du son et de l’image simultanément. Néanmoins, au niveau belge, cela s’appli- que également à la radio. On distingue également ce qui est linéaire et ce qui est non-linéaire.  Linéaire : programme audiovisuel que l’on consomme selon une grille pré- établie par l’éditeur. On a des émissions précises avec des horaires précis. Ex. Le JT de 19h sur RTL-TVI.  Non-linéaire : Programme audiovisuel que l’on consomme quand on veut et ce qu’on veut. EX. Netflix, RTL Play, RTBF Auvio… Les éditeurs de contenus linéaires ont commencé à adapter leurs contenus afin de les rendre susceptibles d’être consommé aussi de façon non-linéaire (ex. Replay). De ce fait, cette distinction perd peu à peu de son sens. Enfin, dans les médias audiovisuels, on retrouve aussi le cinéma qui a la particularité de posséder un circuit de diffusion à part entière. Ce média est aussi réglementé. Par exemple, en Belgique, une loi interdisant l’entrée des salles de spectacles cinéma- tographiques aux mineurs de moins de 16 ans a subsisté de 1920 à 2019. 2. 3. Les médias électroniques Les médias électroniques sont en gros INTERNET. Bien que ceux-ci sont « révolutionnaires » grâce au fait qu’ils combattent le problème de la rareté technique du papier, ce n’est pas pour autant qu’ils ont boulversé le système déjà présent. En effet, on pensait atteindre une innovation technique jamais vue. Mais en réalité, nous n’avons pas inventé de nouveaux médias exploitables sur internet. Ce ne fut qu’ 2Auparavant, cela s’appelait « directive télévision sans frontières ». Mais cette appelation fut changée à cause de la disparition de la frontière linéaire/non-linéaire. Page | 2 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 un « transfert » des médias écrits (principalement presse) et des médias audio-visuels (télévision et radio sous format vidéos et podcasts) sur le web. Nous sommes toujours à l’utilisation des lettres de l’alphabet et à l’association d’images et de sons. Au niveau juridique, il faut toujours se demander si une règle initialement conçue pour un média papier ou audiovisuel peut s’appliquer au même contenu une fois que celui-ci se retrouve sur internet. Ça ne peut pas forcément fonctionner de la même manière puisque internet offre de nouveau aspects comme la permanence de diffusion, ce qui n’est pas le cas de tout les autres médias. Par exemple :  Une émission de radio est temporaire sauf si elle est rediffusée.  Le journal papier est remplacé chaque jour par un nouveau numéro alors que le journal numérique est disponible constamment. Un autre exemple est celui du « droit de réponse » qui offre à une personne, citée ou mise en cause, de répondre au travers du même média. Ce droit fut pensé avant l’arrivée d’internet et cette durée varie selon le support : 1 mois pour la radio et 3 mois pour le journal papier. Or, avec internet, cela perd de son sens puisque le contenu est disponible bien plus longtemps qu’auparavant. L’apparition d’internet n’a donc pas complètement changé le mode de production des contenus mais il a fortement modifié le mode de diffusion et de permanence de ceux-ci. 3. Evolution au XXIe siècle L’écrit se développe à partir de l’impression de la Bible de Gutenberg en 1450 et ce, dans un cadre libre où il n’existe pas de barrières à son expansion. L’audiovisuel – qui voit le jour dans la 1ère moitié du 20ème siècle (1900-1950) – s’inscrit dans un cadre bien plus contraignant puisque ce type de média requiert l’utilisation des ondes de fréquences hertziennes qui étaient difficiles à obtenir. Cela en faisait donc un média rare. En ce qui concerne internet, celui-ci :  s’inscrit dans un cadre sans limite qui mélange l’écrit et l’audiovisuel  abolit les frontières  affaiblit les censurs puisqu’avant son apparition, il était possible d’interdire certains écrits. Ce fut notamment le cas dans les années 90 avec le livre « Le grand secret »3.  relativise les limites techniques (ex. plus besoin de fréquences hertziennes)  démocratise la production de contenu puisque n’importe qui peut être producteur de contenu et devenir pourvoyeur d’informations. 3Le médecin de François Mitterand a publié après la mort de ce dernier un ouvrage relatant la maladie de l’ancien président de la République française et ce, sans l’accord de personne. C’est l’un des dernier cas emblématiques de la censure judiciaire. À l’heure d’aujourd’hui, il est inimaginable d’interdire la sortie d’un livre car celui-ci serait rapidement disponible sur le web. Page | 3 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 4. Processus de communication 4. 1. Les médias institutionnels/régulés VS individuels/peu régulés Il est essentiel de pouvoir faire la distinction entre les médias institutionnels et les médias individuels. Les premiers sont ceux qui ont officiellement un titre, une rédaction organisée, une infrastructure de production à grande échelle,etc. C’est le cas des chaines de télévision, par exemple. Les seconds sont notamment les réseaux sociaux (Instagram, Facebook, TikTok). Contrairement aux médias institutionnels, les médias individuels sont peu régulés. OR, la directive 4 SMA a été modifiée en 2018 pour pouvoir inclure les contenus disponibles sur internet et les grandes plateformes dans sa régulation. Un nouveau décret5 belge a aussi vu le jour en février 2022 dans l’optique de controler le contenu qui circule sur les grandes plateformes de partages vidéo (et donc les créateurs). 4. 2. L’auteur, l’éditeur et le récepteur Le processus de communication part de l’auteur, potentiellement journaliste. Ensuite, on passe par l’éditeur, soit la personne qui agrège les contenus et les mets à disposition. Ce mot était initialement utilisé pour la presse écrite. Mais depuis 20 ans, on utilise ce terme au niveau de l’audiovisuel et ce, à travers les directives. On a également des intermédiaires techniques comme Voo ou Proximus qui interviennent. Et enfin, le récepteur (le lecteur, internaute, téléspectateur). Celui-ci peut devenir auteur compte tenu des techniques actuelles. Le journaliste est une catégorie d’auteur dont le statut est régulé par la loi. On a longtemps fonctionné sur un modèle à sens unique : de l’auteur vers le publique. Avec l’arrivée d’internet, ce modèle s’est transformé pour offrire un schéma à double sens (du publique vers l’auteur). 4. 3. Question de contenu Celles-ci subissent aussi l’influence du temps. Entre le 19ème et la fin du 20ème siècle, on passe de la protection des institutions (des valeurs considérées de façon théori- ques) vers une protection centrée sur les individus (perçus comme vulnérables dans nos sociétés). Au 19ème, on protège essentiellement les bonnes mœurs et l’ordre public*. On se protège auss des blasphèmes**. 4 Une directive (européenne) c’est un texte communautaire fixant les objectifs à atteindre par les états membres de l’UE. 5 Un décret c’est une décision écrite émanant du pouvoir exécutif. Page | 4 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 * Notion de l’époque qui touche à tout ce qui vise à protéger la société et les institutions. Ex. Interdiction de critiquer un chef d’état. ** C’est une forme d’atteinte à l’ordre public dans la mesure où les états se mettent à protéger – parfois de façon excessive – les opinions religieuses. Vers la fin du 20ème, on va connaitre une évolution importante en ce qui concerne la sexualité et les bonnes mœurs. On a l’arrivée de la protection des mineurs en tant que sujets et objets, de la vie privée, du droit à l’image, du droit à l’oubli mais aussi des protections contre les hate speech 6 (racisme, révisionnisme, discrimination, sexiste…). En effet, peu à peu, dans l’après-guerre, on se préoccupe d’avantage de la protection des individus dans une perspective des droits des médias et de la communication avec un nombre croissant de législation limitant la liberté d’expression. On n’a pas trouvé d’autres solutions que d’interdire certaines expressions. On parlera de fake news, de cancel culture, d’incitation au terrorisme ou encore de la publicité et de l’objectivité de l’information. 5. Contexte « […] pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » Patrick de Lay (ancien directeur TF1) Les médias eux-mêmes ont toujours tenuent un discours justificatif fondé sur la liberté d’expression car elle est consensuelle (= tout le monde est d’accord là- dessus) et fondamentale (= permet de nous défendre quand toutes nos autres libertés sont ba-fouées). OR, les médias aujourd’hui ne sont pas là uniquement pour défendre la liberté d’expression, ils sont aussi là pour générer des profits dans le cadre d’une activité économique : engendrer des recettes publicitaires, notamment. C’est ce que nous appellerons la liberté d’entreprise.  Derrière la liberté d’expression se cache la liberté d’entreprise. Donc, il y a eu un basculement entre le 19ème siècle et la fin du 20ème siècle. On quitte une époque où un média était créé pour communiquer un message à un public vers une nouvelle optique qui est de créer un média pour « vendre » à un public ou à des annonceurs. « […] si la presse aime volontiers se qualifier de « quatrième pouvoir » dont la noble mission consiste, notamment, à surveiller les trois autres, et à clouer au pilori les errements réels ou supposés de ceux-ci, il n’est pas superflu de rappeler que cette mission, dont l’utilité n’est évidemment pas contestable, est 6 Loi antiracisme de 1981, Loi antirévisionnisme de 1995 ou loi anti-discrimination de 2007. Page | 5 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 exercée dans nos pays par des entreprises de caractère commercial pour la plupart et dont la finalité, par ailleurs légitime, est aussi de générer des profits ; Que l’importance du tirage conditionne pour une bonne part la rentabilité de ces entreprises ; que ce tirage est lui-même fortement influencé par le caractère sensationnel des nouvelles véhiculées par les journaux ; » Tribunal de Liège Certains médias utilisent plus leur liberté d’entreprise (faire de l’argent) que leur liberté d’expression (produire de l’information), comme la presse people ou sensationnelle. Pour d’autres médias institutionnels, c’est le contraire. Ils n’ont pas pour finalité la recherche de profit, mais ils sont de plus en plus minoritaires (ex : Charlie Hebdo). Mais la plupart d’entre-eux se situent entre les deux. LIBERTE DE PRESSE = liberté d’expression + liberté d’entreprise 6. Modalités du cours 6. 1. Plan du cours  Principes généraux ◦ Liberté d’expression en droit européen ◦ Liberté d’expression en droit belge ◦ Liberté d’entreprise  Statut des acteurs ◦ Journalistes ◦ Éditeurs ◦ Intermédiaires techniques ◦ Récepteurs  Procédures et règles de contenu ◦ Protection de l’ordre public et des bonnes moeurs ◦ Protection des personnes ◦ Procédures ◦ Publicité ◦ Autres contenus réglementés 6. 2. Supports  Enseignement oral  Syllabus  Moodle (Foreverandevernomore) ◦ Powerpoint ◦ Législation ◦ Documents Page | 6 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 ◦ Jurisprudence ◦ Liens 6. 3. Examen Nous serons évalué.e.s par un examen oral en présentiel composé de 3 questions.  Une question large, tirée au sort et préparée (10 mins) avec textes de lois et jurisprudence mises à disposition | 10pts  Deux autres questions | 5pts/question Si la situation l’impose, l’oral se fera à distance. Dans ce cas, ce sera 4 questions de 5pts chacune. Ce qui est demandé à l’examen comme compétences :  Connaissances  Précision des termes utilisés  CEDH (Convention) et CEDH (Cour)  Dans ce cours, pour un soucis de praticité, j’emploirais le terme « CEDH » en fesant référence à 95% du temps à la Cours.  CEDH et CJUE  Appel, cassation et recours à la CEDH  Jugement et arrêt  Qualité de l’expression  Esprit critique 6. 4. Contact [email protected] Collège Thomas More B220 Page | 7 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 LCOMU1332 : Droit des médias et de la communication Partie 1 : Principes généraux Chapitre 1 : La liberté d’expression en droit européen Le droit européen l’emporte sur le droit belge en cas de contradiction. Il existe deux ordres juridiques distincts :  Le Conseil de l’Europe est une organisation internationale dont le siège est à Strasbourg et qui rassemble 46 membres. Ce conseil a adopté la Convention Européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. La cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille au respecte de cette convention.  L’union européenne est composée de 27 membres et a son siège au Luxembourg avec la cour de justice. Elle a adopté la charte des droits fondamentaux. Mais ici, l’aspect économique prend le deçu (= liberté d’entre- prise). La CEDH peut être saisie par un individu (contrairement à la cour de justice du Luxembourg) seulement si toutes les voies de recours internes ont été épuisées. En effet, il faut d’abord faire tout son possible au niveau national (Tribunaux  Cour  Cour cassation) et si cela échoue, passer au niveau international (CEDH). RAPPEL SUR LES VOIES DE RECOURS7 7 Fondements du droit (LESPO1122B) - PARTIE VI – LE CONTRÔLE JURIDICTIONNEL – Le procès civil. Cours de l’UCLouvain. Page | 8 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 1. Article 10 L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. PRINCIPE. « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression 8. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées9 sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États 10 de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. » LIMITE. « 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi11, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. ». C’est réellement l’article fondateur en matière de liberté d’expression car il a la portée la plus large (sur les 47 pays membres de l’UE). C’est aussi un article conçu de façon ample et qui a été interprété plusieurs fois par la CEDH pour lui donner plus de sub- stance. C’est à travers toutes ces interprétations qui sont maintenant jurisprudence que nous pouvons nous faire une image de ce qu’est la liberté d’expression. 2. Charte européenne des droits fondamentaux DE L’U.E. ATTENTION. Il faut différencier la convention des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du Conseil d’Europe et la Charte des droits de l’Homme de l’UE !! Article 11 de la Charte européenne des droits fondamentaux DE L’U.E. sur la liberté d'expression et d'information « 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières. 2. La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés. »  L’article 11 est un « copié-collé » de l’article 10. 8 Cela implique également les ressortissants qui se trouvent sur un des 47 territoires européens. Il ne faut pas forcément être citoyen d’une de ces nations pour en bénéficier. 9 Il y a donc 3 composantes principales à cette liberté. 10 En 1950, on voulait toujours détenir un pouvoir sur les médias, ils se sont donc donné cette possibilité. 11 La liberté d’expression peut être soumise à des limites. Page | 9 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 3. Les composantes de la liberté d’expression 3. 1. La liberté d’opinion La liberté d’opinion c’est la liberté de penser, une liberté « intérieure ». C’est le droit de penser ce qu’on veut. Ex. « Connard de prof ». Tant qu’on ne dit rien, on a le droit de penser ce qu’on veut. Mais on ne peut pas encore lire dans les pensées donc pourquoi garantir cette liberté ? Et bien, face à l’évolution des technologies, on ne peut pas garantir que dans 10 ans il n’existera pas des appareils pour sonder l’esprit. La liberté d’opinion se traduit par le fait qu’on ne doit pas prouver quelque chose que l’on pense (= jugement de valeur) et qui relève de l’opinion. On peut donc avoir un jugement de valeur sans avoir à le justifier. AFFAIRE. LINGENS, 8 juillet 1986 : opinions ne doivent pas être prouvées Lingens est un journaliste autrichien qui occupait le poste de rédacteur en chef de la revue Profil. En 1975, celui-ci consacre plusieurs articles sur l’affaire qui accuse le chancelier autrichien (juif) de l’époque d’avoir protégé d’anciens nazis. Il explique que c’est parce que le chancelier est quelqu’un d’ « amoral ». Sur ces dires, ce dernier va intenter un procès envers le journaliste devant la justice autrichienne. Au tribunal, on demande à Lingens de prouver que le chancelier est amoral, ce qu’il n’arrive pas à faire, il est alors condamné. Après avoir fait appel et avoir épuisé toutes les voies de recours internes de l’Autriche, sa seule issue est de faire un recours devant la CEDH. Celle-ci lui donnera raison. En effet, la Cour fait le constat que les droits invoqués dans la Convention Europé- enne des Droits de l’Homme n’ont pas été respectés. L’Autriche a violé l’article 10 selon la CEDH car : « Il y a lieu de distinguer avec soin les faits et les jugements de valeur. Si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude. [...] Selon (…) l’article 111 du Code pénal (…) les journalistes ne peuvent en pareil cas échapper à une condamnation (…) que s’ils peuvent établir la vérité de leurs assertions […]. Or, pour les jugements de valeur, cette exigence est irréalisable et porte atteinte à la liberté d’expression elle-même (…)». ATTENTION. Il est donc primordial de bien faire la différence entre des faits (énoncés par un journaliste) qui doivent être prouvés et les jugements de valeur qui relève de l’opinion de chacun et qui touche à la liberté d’expression. Ex. Elio Di Rupo est corrompu (fait à prouver) mais il est aussi con (jugement de valeur). Page | 10 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 3. 2. La liberté de communication. 3.2.1. Bénéficiaires Qui a le droit à cette liberté de communication ? 1. Par « toute personne » on prend volontairement un large panel pour éviter l’exclusion de catégories de personnes. Ici on parle de personne physique et de personne morale. AFFAIRE. CEDH, Autronic AG contre Suisse, 22 mai 1990 Autronic vendait des antennes satellites pour capter les émissions russes en Suisse. Le gouvernement suisse l’interdisait. L’entreprise a donc été à la CEDH en parlant d’atteinte à la liberté de communication, et donc d’expression. Le gouvernement suisse disait que ça n’était pas une atteinte valable car cela concernait une société et non pas une personne physique. Or la Cour a donné raison à Autronic car la liberté de communication s’applique aussi aux personnes morales (et donc à leur société). 2. On compte également la presse (journalistes et éditeurs) comme « chien de garde » de la démocratie. En effet, on sait que les journalistes bénéficient d’une grande liberté d’expression puisque c’est la base de leur profession. Ils n’en n’ont pas nécessairement plus que les autres, mais ils bénéficient d’une protection renforcée s’ils font preuve d’un certain professionnalisme. Dans cette optique, la CEDH a forgé le concept de « journaliste responsable » : « La protection que l’article 10 offre aux journalistes est subordonnée à la condition qu’ils agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect des principes d’un journalisme responsable. Le concept de journalisme responsable (…), activité professionnelle protégée par l’article 10 de la Convention, est une notion qui ne couvre pas uniquement le contenu des informations qui sont recueillies et/ou diffusées par des moyens journalistiques (…) {mais } englobe aussi la licéité du comportement des journalistes (…) le fait qu’un journaliste a enfreint la loi doit être pris en compte, mais il n’est pas déterminant pour établir s’il a agi de manière responsable. » (CEDH, Bédat c. Suisse, 29 mars 2016) AFFAIRE. Bédat est un journaliste qui a consacré un article sur un accident routier très spectaculaire où un conducteur avait foncé dans la foule avant de se précipiter dans le vide. Or, Bédat est tombé (« par hasard ») sur une partie du dossier pénal et utilise ces documents dans son article en violant le secret de l’instruction. La CEDH conclut qu’on ne peut pas purement interdire à un journaliste de publier des éléments d’un dossier pénal mais que dans ce cas Page | 11 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 précis, il n’y a pas eu d’ingérence à l’art.10 puisque Bédat est un journaliste responsable12. 3. En ce qui concerne les éditeurs, ils se retrouvent au même niveau que les journalistes.  Ils partagent les « droits et responsabilités que les dits auteurs (= journalistes) assument lors de la diffusion de leurs écrits » (CEDH, Chauvy c. France, 29 juin 2004).  « Les éditeurs, qu’ils s’associent ou non au contenu des ouvrages qu’ils publient, participent pleinement à l’exercice de la liberté d’expression en fournissant un support aux auteurs » (CEDH, Editions Plon c. France, 18 mai 2004). 4. On retrouve aussi les politiques qui sont censés parlés pour eux-mêmes mais aussi au nom des gens qui les ont élus. Donc ils ont une liberté d’expression extrêmement protégée (surtout dans le cadre de leur fonction). Or, leur droit au respect de la vie privée se voit inférieur aux autres. AFFAIRES.  ARRÊT CASTELLS CONTRE ESPAGNE (1992) CEDH, Castells, 23 avril 1992 A l’époque, il existe un conflit entre les Basques espagnols (qui sont indépendantistes) et les Espagnols. Un groupe basque (l’ETA) met à sang l’Espagne avec des attentats etc. En réponse à cela, il y eu des contre-attentats anonymes qui s’en prenaient aux dirigeants basques. Castells est un parlementaire basque qui a dit que ces contre-attaques venaient du gouvernement espagnol. Le pays l’a donc attaqué en justice. La CEDH a dit qu’un politique a besoin de sa liberté d’expression puisqu’il parle pour ses électeurs.  ARRÊT A. CONTRE ROYAUME-UNI (2002) CEDH, A. c. Royaume-Uni, 17 décembre 2002 Un parlementaire Britannique avait fait un discours où il avait raconté une histoire en étant très précis sur le lieu et ce qu’il s’y passait. Il s’agissait d’un discours sur la situation de Madame « A », une mère célibataire d’un quartier défavorisé. La presse tabloïd britannique s’en était emparé et en a fait les gros titres. Après ça, la dame de cette maison s’est fait harceler donc elle s’est plainte contre le parlementaire aux tribunaux. Elle s’est fait rabrouer par la justice britannique. Une fois à la CEDH, on lui a dit que c’était normal qu’elle n’ait pas pu limiter la liberté d’expression du parlementaire, surtout qu’il s’exprimait au 12ATTENTION. La cour protège mieux les journalistes mais vérifie avant qu’il s’agisse d’un journaliste « responsable ». Page | 12 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 parlement (dans son environnement « naturel ») et était donc encore mieux protégé. En s’exprimant dans l’assemblée, le parlementaire a bénéficié de l’immunité parlementaire.  ARRÊT CORDOVA CONTRE ITALIE (2003) CEDH, Cordova, 30 janvier 2003 Cordova est un juge italien de gauche qui s’est fait attaquer par deux hommes politiques. Ils lui ont envoyé un jeu de Cluedo avec un message disant « puisque vous aimez bien inventer des histoires, voilà de quoi vous amuser ». Le juge attaqua les hommes politiques en justice pour outrage. La CEDH affirma que les politiques qui s’expriment en dehors de l’assemblée parlementaire sont moins protégés. Pour la Cour, il y a une différence selon que le juge s’exprime dans le cadre de ses fonctions ou non. 5. Cela s’appliquer également aux artistes. Ceux-ci sont rarement protégés, il est donc nécessaire de savoir jusqu’où peut aller un artiste et comment le protéger au mieux. La CEDH conçoit qu’un artiste est une personne qui s’exprimer et qu’elle doit donc bénéficier de la liberté d’expression MAIS cela ne lui donne pas tous les droits non plus. AFFAIRES.  ARRÊT MÜLLER CONTRE SUISSE (1988) CEDH, Müller, 24 mai 1988 Mr. Muller est un peintre qui a organisé une exposition temporaire dans un bâtiment désaffecté qui devait être démoli. Or, plusieurs œuvres avaient pour thème la zoophilie. Donc les autorités suisses ont confisqué les toiles et fermé l’exposition. Les artistes sont allés à la cour européenne pour atteinte à la liberté d’expression. Elle ne lui a pas donné raison car le contenu de l’exposition est trop « trash » pour une exposition accessible à tout le monde (car gratuite et en plein air) y compris des enfants. La Suisse a donc eu raison de fermer cette exposition pour protéger l’ordre public.  ARRÊT VEREINIGUNG BILDENDER KUNSTLER CONTRE AUTRICHE (2007) CEDH, Vereinigung Bildender Künstler, 25 janvier 2007 VBK est une association Viennoise de peintres qui a organisé une exposition comprenant une œuvre en forme de collage mettant en scène des hommes politiques nus dans des situations explicites. L’Autriche a pris la décision de sanctionner en fermant l’exposition. La VBK est donc Page | 13 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 allée devant la CEDH qui leur a donné raison car il y a un sens critiques dans cette œuvre. En effet, le message politique véhiculé augmente l’importance du message artistique, c’est pourquoi l’interdire serait un viol de la liberté d’expression.  ARRÊT KARTTUNEN CONTRE FINLANDE (2011) CEDH, Karttunen, 10 mai 2011 Une artiste finlandaise a réalisé un collage photos à caractère pédopornographique trouvées sur internet dans le but de dénoncer la pédophilie. L’œuvre a été interdite en Finlande. À nouveau, l’artiste a fait appel à la CEDH qui s’est rangée du côté des autorités du pays compte tenu de l’enjeu social très important (bien que celle-ci ait un but louable). Même si cette œuvre a un sens politique, elle est elle-même constituée de victimes de la pédopornographie. 3.2.2. Contenu Quelles sont les limites de la liberté d’expression ? 1. La CEDH couvre la publicité et consacre le droit à la publicité politique. AFFAIRES.  ARRÊT MARKT INTERN VERLAG (1989) CEDH, Markt Intern Verlag, 20 novembre 1989 Markt intern est une maison d’édition dont le siège se trouve à Düsseldorf. Il édite notamment d’une série de publications destinées à des secteurs commerciaux spécialisés, dont celui de la droguerie et des produits de beauté. Le 20 novembre 1975, un article de M. Klaus Page | 14 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 Beermann parut dans le bulletin d’information. Il relatait ainsi un incident mettant en cause une société anglaise de vente par correspondance, le Cosmetic Club International ("le Club"). La maison d’édition avait déjà publié à ce sujet dans d’autres articles. Saisi par le Club, le tribunal régional de Hambourg rendit une ordonnance de référé interdisant à markt intern de répéter les déclarations publiées le 20 novembre. Après appel, la maison se tourna vers la CEDH : « En l’espèce, il est indéniable que l’article publié par markt intern était défavorable au Club et révélait une attitude très critique à l’égard de celui-ci. D’un autre côté, il rapportait un incident dont la matérialité n’a pas été contestée; il n’exprimait pas un jugement définitif sur les pratiques commerciales du Club, mais invitait les détaillants à fournir des informations complémentaires. Pour ma part, je ne suis pas convaincu que dans une société démocratique il soit vraiment nécessaire d’interdire une telle publication. »13  ARRÊT VGT CONTRE SUISSE (2001) CEDH, VGT, 28 juin 2001 VGT est une association suisse (similaire à Gaïa) qui défend le bien- être des animaux. Une pub fut réalisée dans ce but. On y voit un petit cochon heureux, mis en comparaison avec des cochons d’élevage industriel MAIS avec des références aux camps nazis. Suite à cela, la tv suisse décide de ne pas diffuser cette pub dite politique. À nouveau, l’association fait appel et finie devant la CEDH qui déclare qu’on ne peut pas interdire totalement la pub politique.  ARRÊT TV VEST AS CONTRE NORVÈGE (2008) CEDH, TV Vest AS, 11 décembre 2008 Une chaine de télévision norvégienne a interdit la diffusion d’une pub pour un nouveau parti politique. La CEDH a donné tort à celle-ci en reconnaissant la pub comme un moyen pour un nouveau parti de se faire connaitre. Ainsi, elle conclut que cela est une façon de bloquer le jeu démocratique. En Belgique, on attribue des temps d’antenne en fonction de l’importance du parti. Plus il a des votes, plus son temps d’antenne sera long. Mais donc quid des nouveaux partis ? À la suite de cet arrêt, on a supprimé l’interdiction totale des pubs politiques 13 CEDH, Cour (Plénière), 20 nov. 1989, n° 10572/83. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/CHAMBER/1989/CEDH001-62172 Page | 15 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 2. La radio (locale) est considérée comme véhiculant de contenu (d’idée). AFFAIRE. CEDH, Groppera, 28 mars 1990 Une radio privée italienne qui émettait de la techno voulait être diffusée en Suisse, à Zurich. Or, la Suisse a refusé car selon elle, on ne pouvait pas considérer de la musique techno sans paroles comme étant du contenu en tant que tel. Après avoir épuisé tous les recours possibles, l’affaire atterrie devant la CEDH. Celle-ci déclare que peu importe le contenu, il doit être protégé. Ainsi, tout peut être considéré comme information à communiquer, même de la musique. 3. La photographie est aussi considérée comme étant un canal d’informations et d’idées. Cela peut se démontrer entre autres avec Caroline de Monaco (ou Caroline Von Hannover du nom de son dernier époux, un prince allemand) qui fut une mine d’or pour la presse. AFFAIRE. CEDH, Von Hannover, 24 juin 2004 Caroline de Monaco se plaint de l’acharnement des médias sur sa vie privée et plaide que des photos n’ont rien à voir avec la liberté d’expression. La CEDH conclut qu’au contraire, les photos véhiculent aussi des informations et des idées. Néanmoins, elle a gain de cause car ces clichés n’ont pas de réelle valeur informative. Peut-on tout communiquer ? AFFAIRE. CEDH, Handyside, 4 novembre 1976. TRÈS IMPORTANT !! Mr. Handyside était un éditeur britannique d’extrême gauche qui publiait des livres tels que « Les grands discours de Fidel Castro ». Il décide de publier à grande échelle des journaux de classe politiquement inspirés pour adolescents avec du contenu explicite de type sexuel qui s’appelleraient « The Little Red School Book » (jeu de mot en référence à Moa Tsé Tung, leader du parti communiste chinois). Les autorités ont alors saisi ces journaux de classe et les ont détruits. Par la suite, l’éditeur se retrouve à la CEDH qui va affirmer le principe suivant avant de l’appliquer de façon concrète. PRINCIPE. « La liberté d'expression vaut non seulement pour les « informations » ou les « idées » accueillies avec faveur ou consi- Page | 16 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 dérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». » Cet arrêt reste mitigé car oui, la liberté d’expression devrait valoir aussi pour les idées qui heurtent, choquent et inquiètent mais admet que le journal de classe dépasse quand même les limites. De ce fait, l’éditeur n’a pas vraiment gagné mais cette réponse témoigne d’une réelle évolution des mentalités en ce qui concerne la liberté d’expression qui peut parfois aller très/trop loin. MAIS… En théorie, on peut donc se baser sur la liberté d’expression pour porter un discours qui heurte, choque ou inquiète. Cependant, les acceptations sociales évoluent. Si on regarde les législations depuis 1976, on constate qu’une série d’idées non-consensuelles ont tout de même été interdites. En Belgique, dans les années 80, on voit apparaitre des lois pour interdire les discours racistes ou xénophobes (loi Moureaux) et les incitations à la haine. Quelques années plus tard (1995), on a des lois qui interdisent les discours révisionnistes, négationnistes. À partir du XXIème siècle (2007), on a des lois qui interdisent des discours de discrimination ou d’appel à la discrimination. Tout cela vient du fait que nos sociétés sont « malades » car les discours plus intelligents mettent plus de temps à convaincre et son moins persuasif que les discours de haines qui sont plus simplistes et se diffusent plus largement. Le seul moyen de les contenir est donc la mise en place de mesures d’interdiction. Bien entendu, ce genre de mesures est également appliqué à l’étranger. Nous verrons cela un peu plus tard dans le chapitre. Autres exemples… En 1976, en Belgique, le film « L’empire des sens » du grand réalisateur japonais Nagisa Oshima sort dans les salles. Suite au faut que cette œuvre cinématographique évoque la sexualité, il fut interdit. Aujourd’hui, cela parait surréa-liste d’arriver à cela. À la même époque, sort un film appelé « Biliti’s » réalisé par le photographe anglais David Hamilton qui était très en vogue dans les années 70 et 80. Sa spécialité était de photographier des jeunes filles (mineurs) plutôt dévêtues avec des focales brumeuses, des dentelles etc. Page | 17 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 Aujourd’hui, cela serait considéré comme à tendance plutôt pédophile. Or, à l’époque, les photos se vendaient partout. Il y a donc une évolution dans la conception de ce qui est admis et de ce qui ne l’est pas. On ne peut donc pas tout communiquer ! Dans les points suivants, nous allons voir les différents articles avec lesquels l’article 10 doit se concilier. 3.2.3. Articles 10 et 9 Article 9.1. « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. » Le blasphème est une infraction pénale qui existe dans un certain nombre de pays. Elle considère le fait de critiquer ou de se moquer d’une religion comme une faute. Le blasphème n’est plus reconnu dans le droit belge mais plusieurs pays européens le reconnaissent encore. Ce conflit vient du fait que si quelqu’un porte atteinte à notre religion, cela conduit à nous empêcher de la pratiquer ou de la manifester. MAIS « est-ce que se moquer d’une religion empêche réellement les croyants de vivre leurs convictions ? ». Les grandes religions établies ont historiquement eu tendance à encourager les populations à les observer, mais aussi à les décourager de toute critique. Pendant des siècles, l’Eglise catholique a banni toutes sortes de blasphèmes et elle n’a pas fini de le faire. D’autres religions monothéistes, notamment l’Islam ont tendance à avoir un comportement similaire en considérant qu’il ne peut y avoir de liberté religieuse, de pratiquer leur religion, que s’il y a une interdiction en périphérie de tout discours critique ou de toute raillerie. La CEDH a déjà dû arbitrer des conflits entre la liberté d’expression et la liberté de religion (article 9 de la CEDH) mais cela reste un sujet sensible. AFFAIRES.  ARRÊT OTTO PREMINGER INSTITUT CONTRE AUTRICHE (1994) CEDH, Otto Preminger Institut, 20 septembre 1994 Otto Preminger est un grand réalisateur autrichien de films américains. Il a quitté l’Autriche au moment du nazisme dans les années 30. Son nom a été donné à un cinéclub de la ville de Innsbruck : le Otto Preminger Institute. Ce cinéclub décide de diffuser un film appelé « Das Page | 18 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 Liebes Koncil » (le concile d’amour, en Français), qui est issu d’une pièce de théâtre d’Oskar Panizza datant de 1894. Cette pièce avait été interdite à l’époque et Panizza avait été reçu une peine de prison. Quand le cinéclub a voulu diffuser le film dans les années 80, ça provoque une levée de bouclier de la part de l’évêché d’Innsbruck qui veut l’interdire car c’est un film qui met en scène les personnages chrétiens (Marie, Jésus, etc…) faisant un pacte avec le diable. Le cinéclub va alors finir par atterrir à la CEDH pour atteinte à la liberté d’expression contre l’Etat autrichien qui défend la liberté religieuse. Est-ce que le fait que ce film soit montré empêche les catholiques d’Innsbruck d’exercer leur liberté religieuse ? C’est la question que la CEDH va se poser. Or, celle-ci va ensuite affirmer que les autorités locales sont plus compétentes pour juger d’une telle affaire. À nouveau, Ces dernières l’interdisent et fait passer la liberté religieuse avant la liberté d’expression. Ce « défilement » de la part de la CEDH démontre que le sujet est très sensible.  ARRÊT WINGROVE CONTRE ANGLETERRE (1996) CEDH, Wingrove, 25 novembre 1996 Nigel Wingrove est un cinéaste qui a fait un court-métrage intitulé « visions de l’extase » inspiré selon lui de la vie de Sainte Thérèse, une religieuse carmélite. Pour ce film, il a fait un visa d’exploitation dans des sex-shops, mais il est refusé. Il s’adresse donc à la CEDH. La CEDH refait le même coup en disant que la décision revient aux autorités britanniques.  ARRÊT ES CONTRE Autriche (2018) CEDH, ES, 25 octobre 2018 ES est une politicienne autrichienne d’un parti de droite qui avait déclaré que le prophète Mahomet était pédophile puisqu’il aimait les petits enfants. Cela lui a valu une condamnation pour blasphème. Elle s’est donc adressée à la CEDH qui a validé la décision autrichienne car ses propos étaient suffisamment forts que pour porter atteinte à la liberté religieuse des musulmans. 3.2.4. Articles 10 et 17 : Protection limitée ou exclue? Ici, on va se pencher sur la question du racisme, qui est évidemment un dis- cours qui heurte, choque ou inquiète une partie importante de la société. La question est donc de savoir si le racisme et ses différentes déclinaisons (xéno- phobie, antisémitisme, révisionnisme,...) sont protégés par la liberté d’expres- sion ? D’un point de vue théorique, il ne faut rien restreindre. Mais on a vu Page | 19 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 apparaitre dans les états démocratiques européens des législations qui inter- disent et criminalisent ce type de discours. Il existe dans la CEDH une disposition qui est l’application d’un vieux principe de la Révolution française qui avait été exprimé par St-Just sous la forme de « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». C’est une question éternelle, dans tous les régimes fondés sur la liberté des individus, de savoir jusqu’où la liberté de chacun peut aller. C’est là qu’on retrouve un article important de la CEDH qui est l’article 17 : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être inter- prétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Conven- tion ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention. » En d’autres termes, la CEDH a anticipé le problème et a dit qu’on ne pouvait pas utiliser la Convention pour nier la Convention, pour détruire les droits et les libertés. En matière de discours haineux, la CEDH va avoir tendance à utilise parfois l’article 17 et parfois l’article 10. Le principe est que le discours haineux est interdit dans nos sociétés occidentales :  Exclusion de la protection (art. 17) si négation valeurs fondamenta- les. S’il y a une négation d’une des valeurs fondamentales dans la plainte portée auprès de la CEDH, il n’y aura tout simplement pas de protection de la part de la CEDH. Ex. Si un raciste se plaint auprès de la CEDH, elle va le remballer.  Limitations de la protection (art. 10 al. 2). Si la CEDH estime qu’il n’y a pas de destruction des valeurs fondamentales, elle va inspecter l’affaire à la lumière de l’article 10. Article 10 = la CEDH analyse le cas comme tous les autres cas. Pour les hommes politiques, c’est l’article 10 qui est privilégié, car ils sont la « voix de leurs électeurs ». Un des critères de la CEDH est de savoir dans quel contexte, par quelle person- ne ce discours a été tenu. Elle aura tendance à dire que si ce discours émane d’un personnage politique qui représente des électeurs, elle ne va pas le mettre hors-jeu directement (privilégié article 10). Elle va analyser s’il était nécessaire de restreindre la liberté d’expression. Le résultat est le même à la fin : celui qui tient un discours haineux est condam- né par la CEDH. Mais dans le premier cas, cela se fait directement alors que dans le deuxième il y a une analyse. Page | 20 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 AFFAIRES.  ARRÊT JERSILD CONTRE DANEMARK (1994) (RACISME) CEDH, Jersild, 23 septembre 1994 Jersild est un journaliste de la radio publique danoise qui décide de con- sacrer un reportage à un mouvement politique danois « les blousons verts », ils sont d’extrême droite. C’est du journalisme immersif, c’est-à- dire qu’il est là mais qu’il se fait oublier. Ainsi, il enregistre ces personnes qui finissent par ne plus faire attention à lui. Or, dans son émission radio, on finit par entendre un discours raciste de ces militants. La radio danoise et Jersild vont être poursuivis pour incitation à la haine. Or, ce ne sont pas les militants racistes qui sont poursuivis, mais le journaliste. La CEDH va alors affirmer que de tels discours ne peuvent pas être protégés au regard de l’art 17. Cependant, elle ne va pas condamner le journaliste puisqu’il a choisi cette méthode d’immersion et qu’on doit lui faire faire confiance quant à la méthode qu’il emploie pour son reportage. De ce fait, on ne peut pas tenir un journaliste responsable de propos tenus par des personnes qu’il interview. NOTE. Si en live quelqu’un tient des propos racistes, le journaliste doit lui faire remarquer qu’il n’a pas le droit de tenir ce genre de propos. Sinon, dans d’autres circonstances, c’est de la responsabilité de l’éditeur d’avoir diffusé des propos racistes. Cela renvoie au principe du « Cordon sanitaire » appliqué en Belgique : on ne laisse pas la parole à l’extrême droite sur les médias, surtout du côté francophone. L’avantage c’est de ne pas donner de tribune à leurs idées mais l’inconvénient est de ne pas montrer la bêtise fondamentale de ces idées et de permettre à des personnes de se positionner en victimes privées de leur liberté d’expression.  ARRÊT FÉRET CONTRE BELGIQUE (2009) (RACISME) CEDH, Féret, 16 Juillet 2009 Daniel Féret était le président du front national belge. Il a été condamné par la justice belge pour des tracts racistes. Il a été en recours à la CEDH, qui ne va pas l’exclure de toute protection, mais laisse entendre que ces propos ne remettent pas en cause les valeurs fondamentales de la CEDH et le traite donc dans le prisme de l’article 10, en disant que la loi belge interdit ce genre de propos et qu’il était donc nécessaire de lui interdire de tels propos.  ARRÊT LE PEN CONTRE FRANCE (2010) (RACISME) CEDH, Le Pen , 20 avril 2010 : Page | 21 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 Jean-Marie Le Pen avait été condamné en France pour incitation à la haine raciale. Il fait un recours à la CEDH pour faire valoir l’article 10 mais celle-ci considère qu’il était légitime de le condamner. NOTE.Quand ce sont des hommes politiques, on ne les met pas direc- tement hors-jeu car les ceux-ci sont « la voix de leurs électeurs ».  ARRÊT LEHIDEUX ET ISORNI CONTRE FRANCE (1998) (RÉVISIONNISME) CEDH, Lehideux et Isorni, 23 septembre 1998 Lehideux (secrétaire d’Etat à la production industrielle dans le gouvernement du maréchal Pétain) a défendu Pétain en affirmant qu’il fessait semblant d’être ami avec les nazis pour sauver les juifs français. Ces propos furent publiés dans un quotidien national d’un encart publicitaire et ils passent mal. Des anciens combattants français portent plainte. La justice française va alors condamner Lehideux pour « apologie des crimes de guerre ou de crimes ou délits de collaboration ». Selon la CEDH, Lehideux n’a pas voulu nier ou réviser ce qu’il a lui- même appelé les « atrocités » et les « persécutions nazies » ou encore la « toute-puissance allemande et sa barbarie ». Ils n’étaient pas dans une démarche négationniste à proprement parler, mais qu’ils étaient dans une analyse de l’histoire, bien qu’elle soit contestable. Ainsi, elle conclut à la violation par la France de la liberté d’expression de deux requérants qui souhaitaient réhabiliter la mémoire du Maréchal Pétain.  ARRÊT CEDH MBALA MBALA CONTRE FRANCE (2015) (REVISIONNISME/ANTISÉMITISME) CEDH, Mbala Mbala, 20 octobre 2015 Mbala Mbala, de son vrai nom Dieudonné, est un humoriste français qui est devenu une des plus grandes figures du racisme et de l’antisémitisme en France. Dans un de ses spectacles, il avait invité un révisionniste assez célèbre en France pour lui remettre le « prix de l’audace », parce qu’il avait osé contester les thèses officielles. Ce prix lui était remis par un figurant déguisé en prisonnier juif de camp de concentration. Cela a valu à Dieudonné une condamnation pour antisémitisme. Il s’est adressé à la CEDH qui n’a pas chipoté et a rejeté son recours en disant qu’il n’était même pas recevable, car il était évident que ce discours menaçait gravement les fondements de la CEDH. Du négationnisme pur. Page | 22 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023  ARRÊT PERINCEK CONTRE SUISSE (2015) (NÉGATIONNISME) CEDH, Perincek, 15 octobre 2015 Perincek est un Turc qui conteste l’existence du génocide arménien par les Turcs (dans les années 20) et est condamné pour cela en Suisse. La CEDH en vient à dire que la Suisse, en interdisant de contester le génocide arménien, a porté atteinte à la liberté d’expression de Perincek parce que, à la différence des autres affaires, son discours n’était pas un discours de haine et qu’il n’était donc pas nécessaire de le condamner pour cela. Ce qu’on peut en retenir, c’est qu’il y a dans tous les Etats européens de l’Ouest, des législations qui condamnent la négation du génocide nazi. Mais actuellement, il n’y a pas encore d’approche similaire pour d’autres génocides. Ainsi, on s’aperçoit que tous les génocides ne sont pas traités de la même façon (ex : la Shoah vs les génocides arménien, rwandais, etc). 3.2.5. Articles 10 et 8 Une autre limite de l’article 10 concerne la protection de la vie privée. Article 8.1 : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. » Mais un article ne domine pas l’autre, il faut juger au cas par cas. AFFAIRES.  ARRÊT EDITIONS PLON CONTRE FRANCE (2004) CEDH, Editions Plon, 18 mai 2004 Le médecin de François Mitterrand publie un livre sur sa santé lors de ses derniers mois de vie. Il se fait attaquer en justice par la famille Mitterrand et le livre est interdit. La CEDH a dit qu’au moment-même de la mort de F. Mitterrand, on aurait dû respecter la vie privée de sa famille pour qu’elle puisse vivre son deuil. Donc on aurait pu interdire le livre pendant quelques mois, mais l’interdire définitivement était une atteinte à la liberté de communication à cause du caractère illimité dans le temps de l’interdiction.  ARRÊT VON HANNOVER CONTRE ALLEMAGNE (2004) CEDH, Von Hannover, 24 juin 2004 Nous en avons déjà parlé précédemment. Caroline de Monaco se plaint de l’acharnement des médias sur sa vie privée et plaide que des photos Page | 23 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 n’ont rien à voir avec la liberté d’expression. La CEDH conclut qu’au contraire, les photos véhiculent aussi des informations et des idées. Néanmoins, elle a gain de cause car ces clichés n’ont pas de réelle valeur informative.  ARRÊT VON HANNOVER II CONTRE ALLEMAGNE (2012) CEDH, Von Hannover, 7 février 2012 À nouveau, elle se retrouve devant la CEDH car la presse allemande continue de la harceler. Or, la cours va rejeter son recours car les photos étaient des clichés pris dans des endroits publics et diffusé à l’occasion d’articles relatant la maladie de son père.  ARRÊT COUDERC ET HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIÉS CONTRE FRANCE (2015) CEDH, Couderc et Hachette Filipacchi, 10 novembre 2015 Les éditeurs de Paris Match ont été condamnés par la justice française - après avoir été sollicitée par Albert de Monaco - pour avoir violé la vie privée de celui-ci. En effet, une interview d’une hôtesse de l’air avait été publiée. Celle-ci relatait comment elle avait rencontré le prince et qu’elle avait couché avec lui. Leur affaire a donné naissance à un fils, non reconnu par Albert. Les éditeurs du magazine vont donc faire appel à la CEDH. Cet arrêt est assez nuancé. D’un côté, lorsqu’il y un enfant qui nait, ce n’est pas totalement de la vie privée puisque la vie de l’enfant en dépend aussi. D’un point de vue juridique et politique, il fallait aussi s’interroger sur le statut de cet enfant, vis-à-vis de la succession au trône. Donc c’était légitime que Paris Match se penche sur le cas de cet enfant illégitime. Mais d’un autre côté, le CEDH reconnait que tous les détails présents dans l’interview n’étaient pas nécessaires. 3.2.6. Modalités de la liberté de communication 1. Technique. On ne protège pas seulement l’acte de communication mais tout ce qui sert à le transmettre. La liberté de communication, telle qu’elle est consa- crée par l’article 10, s’applique également aux modalités techniques. On l’a vu avec l’arrêt Autronic de 1990 (p. 11). Il serait donc inimaginable qu’un Etat puisse interdire à quelqu’un d’accéder à Internet - par exemple - car cela serait considéré comme une atteinte à sa liberté de communication 2. Contexte. Le contexte dans lequel les propos sont tenus est aussi impor- tant. Prenons l’exemple de l’arrêt Janowski contre Pologne du 12 janvier 1999. Janowski est un journaliste qui, le week-end, se promène sur le marché Page | 24 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 de sa ville. Sur la place de cette ville, il voit deux policiers qui sont en train de s’en prendre à un vendeur de rue de façon assez brutale. Il intervient donc et les insulte de goujats et d’idiots. Il va être condamné pour outrage envers les policiers. Il va alors s’adresser à la CEDH qui va dire qu’il n’a - en l’occurrence - pas agit comme journaliste mais comme citoyen et qu’il ne bénéficie donc pas de la même liberté d’expression qu’il aurait eu s’il avait agi en tant que journaliste. Cela rappelle la notion de « journaliste responsable ». 3. Exagération. La CEDH protège un droit à l’exagération. Elle admet qu’on peut parfois avoir une expression qui dépasse la pensée. Pour illustrer ce point, prenons l’exemple de l’arrêt De Haes et Gijsels contre Belgique du 24 février 1997. Ce sont deux journalistes qui avaient consacré plusieurs reportages à une affaire assez glauque qui avait beaucoup occupé les médias belges à l’époque. C’était l’histoire d’un notaire anversois qui avait été accusé de faits de pédophilies sur ses propres enfants mais dont on disait qu’il était protégé par certains magistrats. Dans un article, ils s’en étaient pris à des magistrats de la Cour d’appel d’Anvers qui n’avaient pas condamné le notaire en question, et ils avaient écrit que ce n’était pas étonnant et que d’ailleurs le père d’un des magistrats avait été condamné pour collaboration après la guerre. Les magistrats ont donc fait un procès contre De Haes et Gijsels qui ont été condamnés. Ils se sont adressés à la CEDH qui a dit qu’effectivement les journalistes étaient allés un peu loin concernant les accusations relatives au père du magistrat, mais que compte tenu de l’émotion causée par l’affaire, un certain degré d’exagération pouvait être admis et que la condamnation des journalistes portait atteinte à leur liberté d’expression. Cependant, il y a des limites à cette idée d’exagération. (1) Les injures. Certaines injures ne sont pas acceptables, elles dépassent ce qu’on peut admettre au titre de l’exagération. Une injure, c’est non pas une articulation de faits précis, mais un simple jugement de valeurs. C’est quelque chose que l’on lâche généralement quand on est en colère. Prenons l’exemple de l’arrêt Wabl contre l’Autriche du 21 mars 2000. Wabl est un parlementaire écologiste autrichien des années 90. Un jour, il participe à une manifestation pacifique contre la présence de bases militaires, en Autriche, soupçonnées de cacher des missiles nucléaire de l’OTAN. Les manifestants s’enchaînent afin de ne pas pouvoir obéir à la police lorsqu’elle leur demande de bouger. Lors des échauffourées, Wabl mord un policier. Un journal populaire décide d’écrit un article à ce sujet et fait une interview du policier mordu. Celui-ci déclare qu’il exige un test SIDA contre le député qui l’a mordu. Le député s’en prend alors au journal en disant que c’est « du journali- sme nazi ». Cela mène alors le journal a porter plainte contre Wabl et ses propos démesurés. La justice autrichienne donne raison au journal et interdit le député de réitérer de telles affirmations. Wabl va alors à la CEDH, qui lui dit Page | 25 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 que malgré son droit à l’exagération, il a franchi le cas de l’injure, ces propos ne sont donc plus couverts par la liberté d’expression. (2) La diffamation. Pour illustrer cela, prenons l’exemple de l’arrêt Lindon contre France du 22 octobre 2007. Lindon est un écrivain français qui avait publié, aux éditions de minuit, un livre appelé « Le procès de Jean-Marie Le Pen ». L’idée était de repartir d’un fait divers réel (où des colleurs d’affiches du FN avaient tué un maghrébin qui passait par là) et d’imaginer le procès qui s’en découle où Le Pen, lui-même, aurait été déclaré coupable. Le Pen n’a pas apprécié et a fait un procès contre l’auteur et l’éditeur. Un procès qu’il a gagné au titre de la diffamation. Lindon s’est adressé à la CEDH qui a dit, qu’effectivement, lorsque l’exagération allait jusqu’à accuser quelqu’un de faits précis sans fournir de preuves, cela dépassait les limites de l’exagération. Le fait qu’il est utilisé le nom de personnes réelles fait qu’il peut être difficile de faire la part des choses entre le réel et le fictif. 3. 3. La liberté de réception En droit, on distingue :  La liberté franchise qui est le droit DE faire quelque chose. Elle est passive.  La liberté de créance qui est le droit À quelque chose. Elle est active. La liberté de réception est-elle dès lors une liberté franchise (= on a le droit de recevoir les infos et les idées qui circulent déjà) ou est-ce une liberté créance (= en plus de recevoir les infos qui circulent déjà, on a également le droit de savoir des choses qu’on ne nous a pas encore dites) ? Existe-t-il un droit de savoir ? Par exemple, on apprend dans le numéro du Soir Mag que la Reine Mathilde aurait un amant qui serait un des ministres belges. Mais quel ministre ? On ne sait pas. Bien entendu, on a le droit d’acheter ce journal et de recevoir cette information. MAIS si on veut en savoir plus sur l’identité du ministre en question, a-t-on le droit de contacter les membres de la famille royale pour savoir ? NON, on a pas le droit. La liberté de réception, c’est donc une liberté franchise. C’est très important car cela permet de remettre en question l’existence d’un prétendu « droit de savoir ». En effet, certains médias et journalistes invoquent souvent le « droit de savoir » dans des déclarations comme : « Le public a le droit de savoir ! ». Mais existe-t-il réellement un tel concept juridique ? NON. C’est un slogan ou une revendication mais pas un droit. SAUF pour certains domaines particuliers où il y a certaines législations. C’est le cas de la protection du consommateur dans le domaine alimentaire : Page | 26 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 Ex. CEDH, Guerra, 19 février 1998 Madame Guerra est une femme au foyer italienne qui vit près d’une usine chimique. Elle se demande ce qu’il s’y passe et elle a peur d’un éventuel accident qui produirait une pollution chimique. Elle écrit à l’usine, à la municipalité, la région, au ministre national etc… pour demander des précisions mais personne ne lui répond. Elle s’adresse alors à la CEDH en disant qu’on a violé sa liberté de réception en désignant l’article 10. La CEDH lui donne raison mais en requalifiant sa demande autrement que sur l’article 10 car elle n’aurait le droit que de savoir des infos qui circulent déjà. Mais la CEDH lui dit que c’est une violation à l’article 8 car c’est le droit au respect de la vie privée et familiale. Donc en ne lui donnant pas d’information, les autorités italiennes lui empêchent de vivre une vie familiale sereine (stress constant de menace chimique). Cela confirme que le droit de savoir en tant que tel n’existe pas. 4. Les exceptions de l’article 10 Certaines de ces exceptions sont inscrites dans le texte de la CEDH. L’une d’entre- elles se trouve à la fin du premier paragraphe, c’est l’article 10.1 alinéa 3. L’autre se trouve au deuxième paragraphe, c’est l’article 10.2. 4. 1. Réserve : régimes d’autorisation 10.1., al. 3 : « Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entre- prises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisa- tions. » En 1950, année de l’adoption de la CEDH, les télévisions et les radios privées n’existaient pas encore dans (presque) tous les Etats européens et ces « nouvelles technologies » étaient soumises à une situation de monopole public. Ainsi, celles-ci étaient inscrites dans un régime de rareté technique qui générait un régime d’autorisa- tion. Concrètement, cela signifie que dans le cinéma, la radio et la télévision, on n’a pas la même liberté que dans la presse écrite (internet n’existe pas encore à l’époque). Par exemple, dans le cinéma, en Belgique, on a longtemps eu une loi de 1920 (qui a été remplacée par un accord de coopération entre les communautés et le fédéral le 15 février 2019) qui imposait une restriction d’accès aux salles pour les mineurs de moins de 16 ans. Aujourd’hui, le cinéma est tout à fait libre d’accès, où on veut et quand on veut. En matière de radio et de télévision, il y a eu (historiquement) 3 raisons qui justifiaient qu’on ne permette pas à n’importe qui de faire de la radio et de la télévision, à savoir : Page | 27 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023  Raisons techniques : l’accès limité aux fréquences hertziennes ce qui imposait une régulation pour partager les ondes disponibles.  Raisons sociologiques : impact accru des médias audiovisuels qui sont des plus intrusifs. Même un enfant peut allumer la télévision et se faire happer par celle- ci. Il convient donc d’être vigilant et de ne pas les mettre aux mains de tous. D’un point de vue sociologique et donc juridique, on admet donc que la télévi- sion est un média beaucoup plus puissant. Curieusement, beaucoup de gens y accordent plus de crédibilité qu’à la presse écrite, parce qu’on « voit ».  Raisons économiques : les médias audiovisuels restent aujourd’hui encore les médias les plus coûteux. Ce sont des budgets qui ne sont pas à la portée de tout le monde. Donc si on ne laisse que les forces du marché régner, on court le risque d’avoir un audiovisuel qui reflète plutôt les couches les plus aisées de la population Aujourd’hui, en Communauté française de Belgique14, on a plus besoin d’autorisation pour faire de la télévision car on n’a plus besoin de fréquences hertziennes (on passe par un satellite ou internet). On est donc libre de créer une télévision tout en respectant une série de règles évidentes. Mais pour la radio, on continue à utiliser majoritairement des fréquences hertziennes en nombre limité. Soit pour de la diffusion analogique (= la FM : fréquence modulée), soit pour de la diffusion numérique (= DAB+ : digital audio broadcasting). Comme les fréquences hertziennes utilisées dans la FM sont en nom- bre limité, il n’y en a pas pour tout le monde et on maintient donc un régime d’autorisa- tion. 4. 2. Ingérences 10.2. : « L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. » 4.2.1. Explication de l’ingérence Une ingérence c’est quand une autorité intervient dans l’exercice d’une liberté. Elles sont – en principe – pas permises. Mais dans la réalité, il peut y en avoir, pour autant qu’elles remplissent certaines conditions. 14 La radio et la télévision sont des compétences du ressort des communautés. Page | 28 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 En effet, toute liberté comporte des devoirs et des responsabilités et cela peut arriver qu’une liberté empiète sur une autre. Par exemple, la liberté d’expression peut entrainer des atteintes à la vie privée, à la liberté de religion,... En vertu de ces devoirs et de ces libertés, on accepte qu’il puisse y avoir des ingérences dans la liberté d’expression. L’ingérence, c’est donc la possibilité pour les autorités publiques de quand même venir canaliser l’exercice de la liberté d’expression. Il y a quatre formes d’ingérence, qui vont de la plus légère à la plus lourde :  Formalités : Par exemple, on dit que quiconque peut créer sa propre télévision, il suffit pour cela de faire une déclaration au CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel). Une déclaration, ce n’est pas grand-chose, mais c’est une formalité. La liberté n’est donc pas totale.  Conditions : Certes on peut créer une télévision, mais on doit, si on fait des JT, avoir un règlement d’objectivité, engager des journalistes professionnels,... Tout ça, ce sont des conditions.  Restrictions : Sur une chaine TV, il y a des sujets qu’on ne peut pas diffuser. Par exemple, des publicités pour le tabac, les messages haineux et racistes, les stéréotypes sexistes. Il y a également des restrictions concernant les coupures publicitaires qui doivent respecter un délai de 20 mins entre coupures.  Sanctions : si on ne respecte pas ces formalités, ces conditions ou ces restric-tions, on encoure le risque d’être poursuivi et condamné. Il peut y avoir des ingérences actives et des ingérences passives. Si on est poursuivi en justice, l’Etat sera actif. En revanche, l’existence d’une loi qui dit qu’on ne peut pas dire telle ou telle chose est une ingérence passive. L’ingérence peut venir de tous les pouvoirs (législatif, judiciaire ou exécutif). Elle peut également venir d’une personne publique (ex. l’Etat) ou d’une personne privée (ex. un employeur). Y a-t’il des obligations positives ?? AFFAIRE.  ARRÊT OZGUR GUNDEM CONTRE TURQUIE (2000) CEDH, Ozgur Gundem, 16 mars 2000 Ozgur Gundem est un journal pro-kurde diffusé en Turquie (qui fait partie du Conseil de l’Europe des 47). La Turquie n’a jamais empêché le journal de paraitre mais il y a eu des incendies au siège du journal, des attentats contre les journalistes et les marchands de journaux, des cambriolages et destructions dans les locaux du journal. Celui-ci a donc fini par renoncer à paraitre. Ils ont été à la CEDH pour dire que l’Etat Turc a atteint leur liberté. La Turquie se défend Page | 29 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 en disant que ce n’est pas elle mais la CEDH dit que la Turquie n’a rien fait pour protéger le journal et sa liberté d’expression. En ne faisant rien, ils sont donc coupables de l’ingérence envers le journal. L’ingérence n’est donc pas seulement le fait de faire quelque chose, mais ça peut être aussi le fait de ne pas faire. Ne rien faire dans ce cas pour protéger la liberté d’expression est aussi une attaque à la liberté d’expression ! 4.2.2. Conditions de l’ingérence Toute ingérence, pour être acceptable, doit répondre à trois conditions : finalité, légalité, proportionnalité. Ces conditions sont cumulatives. Quand on va à la CEDH pour évoquer une ingérence à l’article 10, il faut à la fois prouver qu’il y a ingérence, mais aussi qu’il y a les 3 conditions. 1. Finalité. La condition de finalité correspond à la raison pour laquelle l’autorité commet une ingérence dans la liberté d’expression. Il y en a toute une liste très précise dans l’article 10 al.2 : Sécurité nationale Intégrité territoriale ou sûreté publique Défense de l’ordre ou prévention du crime Protection de la santé ou de la morale Protection de la réputation ou des droits d’autrui Empêcher la divulgation d’informations confidentielles Garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire Les possibilités sont donc très nombreuses, et la liste est tellement large qu’on va en réalité toujours trouver une finalité pour justifier une mesure prise dans la liberté d’expression, même si c’est un prétexte. Ex. Si un chef d’Etat décide d’emprisonner des opposants, le motif de la déci- sion de justice - qui va faire taire les opposants - ne sera pas « parce que ces opposants nous emmerdent » mais « parce qu’ils portent atteinte à la sécurité publique », ou ce genre de chose. 2. Légalité et prévisibilité. Cette condition est souvent plus difficile à rencontrer. La mesure doit reposer sur une loi qui existait avant que la mesure ne soit prise15. Ça peut être, comme aux Royaume-Unis, qui est un Etat de droit non écrit, une loi non consignée dans un texte. 15 Droit non écrit : Sunday Times, 10 mars 1980. Page | 30 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 AFFAIRES.  ARRÊT TOLSTOY MILOSLAVSKY CONTRE ROYAUME-UNI (1995) CEDH, Tolstoy Miloslavsky, 13 juillet 1995 Une affaire en matière de dommages et intérêts (lorsqu’on demande un dédommagement assorti d’intérêts, ce qui arrive souvent en droit des médias). C’est un citoyen d’origine russe installé aux Royaume-Unis qui écrit un pamphlet à propos d’une personnalité britannique (un Lord) qu’il accuse d’avoir - à la fin de la deuxième guerre mondiale alors qu’il servait dans l’armée britannique - livré à l’armée britannique des prisonniers russes qui étaient prisonniers en Allemagne. Le Lord fait un procès à Milos- lavsky et obtient gain de cause avec une condamnation de ce dernier à environ 1000.000 £ de dommages et intérêts. C’est trois fois plus élevé que ce qu’un tribunal britannique a jamais accordé comme dommages et intérêts dans ce genre d’affaires. Miloslavsky fait un recours à la CEDH en disant que ce n’était pas prévisible, qu’il ne pouvait pas s’attendre à être condamné à une somme aussi élevée, et que ça ne répond dès lors pas à la condition de légalité. La CEDH va répondre qu’il savait qu’il pouvait être condamné à des dommages et intérêts, qu’il n’avait pas à pouvoir prévoir le chiffre exact. Elle dit donc qu’il n’y a pas de problème de légalité dans ce cas-là. Elle va cependant dire qu’il y a un problème de proportionnalité, et qu’il n’était pas nécessaire de le condamner à une somme aussi élevée.  ARRÊT DE HAES ET GIJSELS CONTRE BELGIQUE (1995) CEDH, De Haes et Gijsels, 29 novembre 1995 Il y a également un autre problème qui concerne les normes qui doivent être assez précises pour être légales. La Belgique ne répond pas tou- jours aux exigences de la CEDH à ce niveau-là. NOTE. En Belgique, les délits de presse ne sont plus jamais sanctionnés au pénal mais bien au civil. Il n’y a pas de loi sur la presse (contrairement à la France). Tous les procès de presse en Belgique se font donc à travers l’article 1382 du Code Civil, CC1382 : « celui qui cause un dommage par sa faute doit le réparer ». Dans l’affaire Haes et Gijsels dont on a parlé précédemment, les journalistes avaient été poursuivis et condamnés en Belgique dans une procédure civile basée sur cet article 1382. En allant devant la CEDH, Page | 31 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 ils ont argumenté que la loi n’était pas suffisamment précise et qu’ils ne pouvaient donc pas prévoir d’être condamnés sur cette base. La CEDH a répondu qu’en Belgique, on sait justement que cet article peut servir à beaucoup de chose et notamment à cela.  ARRÊT LEEMPOEL CONTRE BELGIQUE (2006) CEDH, Leempoel, 9 novembre 2006 Leempoel est le nom de l’éditeur de Ciné Télé Revue. Au moment de l’affaire Dutroux et de l’enlèvement de Julie et Melissa. Les gens se sont demandé ce qu’à fait la justice pour ne pas arriver à retrouver les deux filles. La justice a tellement mal fonctionné qu’il y a eu une com- mission d’enquête parlementaire (= enquête menée par les politiques). Les magistrats de l’affaire sont interrogés devant la commission d’enquête, qui est diffusée en direct et en intégralité à la RTBF et à la VRT. Les séances sont même diffusées le soir pour que les gens puissent les regarder. Une magistrate liégeoise comparait devant la commission d’enquête, et à la fin de son audition, le président lui demande de lui donner les papiers qu’elle a devant elle. Cinq jours plus tard, le Ciné Télé Revue parait avec comme titre « les notes secrètes du juge … (son nom) ». La juge va voir son avocat, elle obtient du président du tribunal la suspension de la vente du Ciné Télé Revue le matin-même de la parution. Le journal mène donc toutes les procédures en Belgique mais se fait rabrouer. Il va donc à la CEDH en disant qu’il y a eu une ingérence à leur liberté d’expression et qu’il n’y avait pas de base légale pour faire cela. La cour va répondre : « Quant à la prévisibilité de la mesure litigieuse, il existait des précédents judiciaires en matière de presse télévisée. Les requérants – en s’entourant, au besoin, de conseils éclairés – pouvaient donc prévoir, à un degré raisonnable, les conséquences pouvant résulter de l’article litigieux. […] » Pour la CEDH, c’était donc quand-même suffisamment prévisible car il existait des précédents judiciaires en matière de presse télévisée, la mesure était donc bien conforme aux 3 conditions des ingérences. Donc le Ciné Télé Revue perd.  ARRÊT RTBF CONTRE BELGIQUE (2011) CEDH, RTBF, 29 mars 2011 Le docteur B. est un médecin de Charleroi qui a la réputation d’avoir des méthodes bizarres avec ses patientes. La RTBF décide de faire Page | 32 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 un reportage sur lui et de le diffuser le mercredi soir. Le docteur ap- prend que la RTBF va diffuser un reportage sur lui, son avocat demande donc au juge que la RTBF doive montrer le reportage avant de le diffuser et que si elle refuse, il lui interdise de le diffuser. La RTBF refuse de montrer le reportage. La RTBF va à la CEDH en disant qu’on a porté atteinte à sa liberté d’expression et que ce n’était pas prévu par la loi. C’est différent du cas Ciné Télé Revue car ici, le reportage de la RTBF n’a jamais pu être diffusé au public. C’est pourquoi la CEDH va dire : « Un contrôle judiciaire de la diffusion des informations par quelque support de presse que ce soit, opéré par le juge des référés, sur la base de la mise en balance des intérêts en conflit et dans le but d’aménager un équilibre entre ces intérêts, ne saurait se concevoir sans un cadre fixant des règles précises et spécifiques pour l’application d’une restriction préventive à la liberté d’expression. […] le cadre législatif combiné avec le cadre jurisprudentiel existant en Belgique (…) ne répond pas à la condition de prévisibilité voulue par la Convention et ne lui a pas permis de jouir d’un degré suffisant de protection requise par la prééminence du droit dans une société démocratique. » Ça ne veut pas dire qu’il est interdit de prendre des mesures préventives, mais pour pouvoir le faire, il faut un cadre juridique précis, or « le cadre législatif … démocratique. ». Le cadre législatif belge n’est pas assez clair, précis, et même les interprétations jurisprudentielles ne sont pas claires non-plus. Il y a donc eu une ingérence qui n’était pas prévue par la loi, il manque un cadre légal spécifique. 3. Proportionnalité. Comme pour la légalité, cette condition est souvent plus difficile à rencontrer. C’est la question de la mesure nécessaire dans une société démocratique. C’est une question qui est très subjective. Chaque juge de la CEDH aura son propre avis. La Cour a cependant dit à plusieurs reprises que : « (...) la « nécessité » d’une quelconque restriction à l’exercice de la liberté d’expression doit se trouver établie de manière convaincante. (...) Lorsqu’il y va de la presse (...) le pouvoir d’appréciation national se heurte à l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse. De même, il convient d’accorder un grand poids à cet intérêt lorsqu’il s’agit de déterminer (...) si la restriction était proportionnée au but légitime poursuivi. La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce ce contrôle, de se substituer aux juridictions nationales, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Pour cela, la Cour Page | 33 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 doit considérer l’« ingérence » litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». » Quand c’est pour la presse, on va donc être encore plus strict quant à l’inter- prétation du critère de proportionnalité. Page | 34 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 Chapitre 2 : La liberté d’expression dans le Constitution belge Le droit européen est supérieur aux droits nationaux. Dans la hiérarchie des nor- mes, le droit international passe avant le droit belge, mais certaines normes nationales offrent plus de garantie et de protection que les normes internationales. Les journa- listes et la presse en Belgique peuvent avoir intérêt dans un certain nombre de cas à invoquer non seulement l’article 10 de la CEDH mais également les dispositions de la Constitution belge. Il y en a deux, dans le Constitution belge, qui sont susceptible de concerner les médias : les articles 19 (ex 14) et 25 (ex 18). 1. Article 19 PRINCIPE. « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés. » Un article très général qui ne traite pas que de la liberté d’expression, mais qui traite d’abord de la liberté de religion. C’est une conception très « XIXème siècle ». Le mot « répression » n’est pas nécessairement à prendre négativement. Cela veut dire qu’on accorde aux gens le bénéfice de leur liberté mais s’ils en abusent, ils devront en répondre devant la justice. Il est important de souligner également que cette liberté de manifester ses opinions est une disposition subsidiaire, c’est-à-dire qu’elle vient après une disposition principale qu’on verra dans l’article 25. Elle est également subsidiaire par rapport à l’article 10 de la CEDH (qui va plus loin et offre une protection plus élaborée). Il faut aussi préciser que cette liberté de l’article 19 est bien une liberté franchise, c’est-à-dire un droit DE pouvoir faire quelque chose. 2. Article 25 PRINCIPE. « La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie ; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs. Lorsque l’auteur est connu et domicilié en Belgique, l’éditeur, l’imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi. » Page | 35 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 Beaucoup plus précis, cet article traite de la liberté de presse. Le sens que l’on donne au mot « presse » et « censure » est ce qui pose problème ici. En 1831, le problème ne se posait pas mais ce n’est plus le cas aujourd’hui puisqu’il s’est complexifié. En ce qui concerne le mot « cautionnement », celui-ci désigne la notion juridique qui consiste à imposer à une personne de payer une somme d’argent pour exercer une liberté (référence à l’ancien régime). Avant, on imposait aux éditeurs de déposer une somme d’argent qu’ils ne récupéraient qu’à la fin de leur activité et que ceux-ci aient respecté la loi et la censure. Cette pratique est désorais interdite (du moins pour la presse). Pour cette article, nous allons l’étudier sous 4 aspects : son cadre général, son champ d’application, sur la notion de censure et enfin, sur ce qu’est la responsabilité en cascade. 2. 1. Le cadre général Pour le cadre général, il existe deux autres dispositions de la Constitution qui parle de la presse non pas d’un point de vue des libertés mais de l’organisation du pouvoir judiciaire : Art. 148, al. 2 : « En matière de délits politiques et de presse, le huis clos ne peut être prononcé qu'à l'unanimité. » Généralement, les audiences des tribunaux sont toujours publiques sauf dans certains cas exceptionnels où l’on peut interdir l’accès des audiences au grand public pour la protection des droits publics et des bonnes mœurs. Le huis-clos c’est donc une pratique qui consiste à faire une exception au principe de publicité des audiences (le fait qu’elles soient publiques).En matière de délits politiques et de presse, il faut l’unanimité du tribunal pour faire appliquer cette pratique. On considère donc que les procès qui portent sur des délits de presse doivent avoir une garantie le plus large possible de publicité. Art. 150 : « Le jury est établi en toutes matières criminelles et pour les délits politiques et de presse, à l'exception des délits de presse inspirés par le racisme ou la xénophobie. » TRÈS IMPORTANT !! C’est un article qui pose problème et ce, régulièrement. Il traite du jury populaire qui est une caractéristique marquante d’une juridiction d’exception et temporaire (ne siège pas en permanence) : la Cours d’assise. Les cours et tribunaux sont constitués de juges professionnels (parfois 3). Les juges populaires sont des citoyens et restent exceptionnels. Leur intervention peut être applicable que dans certains cas et principa- lement en matière criminelle. Page | 36 GENONCEAUX Cassidy LCOMU1332 2022_2023 En 1831, on a considéré qu’il y avait trois domaines où il était indispensable d’avoir un jury populaire : les matières criminelles, les délits politiques et les délits de presse. À l’époque, les juges professionnels achetaient parfois leur charge de juge et man- quaient donc souvent d’indépendance par rapport au pouvoir politique et - comme à cette époque - on a voulu protéger la presse. Il était nécessaire de garantir à la presse des juges indépendants, c’est-à-dire des jurys populaires. NOTE. La dernière phrase est un ajout de 1999 qui s’est fait dans l’idée de donner une garantie supplémentaire de démocratie et de liberté de presse aux journalismes et ce, sous la protection du jury populaire. ATTENTION. La cours de Cassation est l’organe qui regarde qu’on ne méconnaisse pas le droit. Elle est tout au-dessus de la pyramide judiciaire, en Belgique. Alors que la cour d’assise, établie dans chaque province ainsi qu’à Bruxelles, possède un jury populaire et 3 magistrats professionnels. On la retrouve en-dessous de la Cour de cassation dans la pyramide judicaire belge. 2. 2. Champ d’application 2.2.1. Notion de presse Cette notion de presse est importante de part son lien entre l’article 25 et 150. En 1831, le mot ne pas pas de question car la presse c’était les journaux (+ magazines). A l’époque, cela n’impliquait pas la radio, la Télé ou internet car ceux-ci n’existaient pas encore. Presque 2 siècles plus tard, le texte n’a pas été changé mais le monde a évolué. Doit-on faire une interprétation dynamique de l’institution ? Ou bien, une interprétation plus stricte ? Quand on regarde le texte flamand de 1967 de la Constitution, on voit que le mot « presse » se traduit par « drukpers ». Ce mot ne peut donc se référer qu’à la presse imprimée. Or, du côté francophone, il y a bel et bien

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