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Cours L1- Introduction psycho clinique et psychopatho (14.10.2016).pdf

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Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 INTRODUCTION A LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET A LA PSYCHOPATHOLOGIE PLAN DU COURS I. HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET DE LA PSYCHOPATHOLO...

Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 INTRODUCTION A LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET A LA PSYCHOPATHOLOGIE PLAN DU COURS I. HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET DE LA PSYCHOPATHOLOGIE 3 1. LES PRECURSEURS DE LA PSYCHOPATHOLOGIE ET DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE 3 2. L’ESSOR DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET DES PSYCHOTHERAPIES 13 3. LE METIER DE PSYCHOLOGUE CLINICIEN DE NOS JOURS 22 II. OBJETS ET SPECIFICITES DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET DE LA PSYCHOPATHOLOGIE25 1. DEFINITIONS ET OBJETS 25 2. FRONTIERES AVEC LA PSYCHIATRIE ET LA PSYCHANALYSE 26 3. PLACE DU NORMAL ET DU PATHOLOGIQUE 32 4. LES DIFFERENTES APPROCHES DES TROUBLES MENTAUX 36 a) L’approche psychanalytique 36 b) L’approche comportementale 41 c) L’approche cognitive 42 d) L’approche humaniste 46 e) L’approche systémique 47 III. METHODES ET PRATIQUES 48 1. LA PRATIQUE CLINIQUE DU BILAN PSYCHOLOGIQUE 48 a) L’entretien 48 c) Les tests, questionnaires et échelles 56 d) Le bilan psychologique 63 2. LES PSYCHOTHERAPIES 64 a) La thérapie de soutien 65 b) Les thérapies analytiques 65 c) Les thérapies comportementales et cognitives 67 Page 1 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 3. LA RECHERCHE EN PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET EN PSYCHOPATHOLOGIE 67 a) Spécificités de la recherche en psychologie clinique 69 b) Spécificités de la recherche en psychopathologie 71 IV. BIBLIOGRAPHIE CONSEILLEE 74 V. CORRECTIONS DES EXERCICES 75 1. EXERCICE 1. 75 2. EXERCICE 2. 76 3. EXERCICE 3. 76 4. EXERCICE 4. 77 5. EXERCICE 6. 77 Page 2 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 I. HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET DE LA PSYCHOPATHOLOGIE 1. LES PRECURSEURS DE LA PSYCHOPATHOLOGIE ET DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE a) Philippe PINEL et les aliénistes Philippe PINEL (1745-1826) était un célèbre médecin aliéniste français ayant exercé à l’hôpital Bicêtre puis en tant que médecin-chef à la Salpêtrière à Paris. Il consacra une grande partie de sa carrière à étudier l’aliénation mentale, dont il élabora une des premières nosographies, qui n’est plus utilisée aujourd’hui, en quatre regroupements cliniques distincts : la manie, le délire mélancolique, la démence, et l’idiotisme. Il est particulièrement célèbre pour avoir lutté contre le « grand enfermement », élevant ainsi le « fou » au rang de sujet malade à qui le médecin peut d’adresser et donner des soins. Pinel s’est notamment illustré, avec l’aide majeure de Jean-Baptiste Pussin (surveillant de l’hôpital Bicêtre), en ayant désentravé les aliénés de leurs chaînes et mis en place un traitement moral basé sur l’idée de dialogue avec le malade. Définitions :  Aliénation mentale : Terminologie ancienne correspondant à un trouble grave et prolongé de l’activité psychique, proche des notions de folie et de maladie mentale, signifiant à la fois une perte du contact normal à la réalité et avec autrui, et une profonde atteinte de la liberté morale.  Manie : Pour Pinel, la manie prend le sens de délire général avec « perversion dans les fonctions affectives, impulsions aveugles à des actes de violence ». Aujourd’hui, la manie renvoie plutôt à un état d’excitation intellectuelle et psychomotrice, et d’exaltation de l’humeur, avec euphorie morbide.  Délire mélancolique : Pour Pinel, il s’agit d’un « délire exclusif sur un objet, ou sur une série particulière d’objets […] certaines fois égalité constante d’humeur, ou même état habituel de satisfaction ; dans d’autres cas, habitude d’abattement et de consternation, ou bien aigreur de caractère qui peut être portée jusqu’au dernier degré de misanthropie, quelquefois dégoût extrême de la vie ».  Démence / Idiotisme: Pour Pinel, il s’agit d’une « oblitération des facultés intellectuelles et affectives ». la démence peut être définie aujourd’hui par un affaiblissement mental global frappant l’ensemble des facultés psychiques et altérant progressivement, avec l’affectivité et l’activité volontaire du patient, ses conduites sociales. Page 3 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Encadré 1.1. : D’après Fauvel, A.(2012). In J.-F. Marmion.(Ed.). Histoire de la psychologie. Auxerre : Sciences Humaines Editions. Pour aller plus loin…  Lire l’extrait de l’ouvrage suivant disponible dans les documents en ligne : Pinel, P. (1801). Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie. Paris : L’Harmattan. b) Jean-Martin CHARCOT et les hystériques Jean-Martin CHARCOT (1825-1893) était un célèbre médecin neurologue français ayant exercé à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris. Ses travaux sur l’hystérie et l’utilisation de l’hypnose ont eu une portée internationale. Il a notamment défendu l’idée selon laquelle les symptômes hystériques ne sont pas liés à un trouble de l’utérus, comme cela était communément admis à l’époque, mais plutôt à une lésion du système nerveux. Page 4 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 La renommée de Charcot a largement été favorisée par le succès des conférences publiques, lors desquelles il présentait, dans l’amphithéâtre de son service, certaines de ses patientes hystériques traitées par suggestion hypnotique. Définitions :  Hystérie : Névrose caractérisée par l’hyper-expressivité des idées, des images et des émotions inconscientes. L’hystérie se manifeste notamment par une suggestibilité, un théâtralisme et des phénomènes de conversion.  Conversion : Transposition d’un conflit psychique et tentative de résolution de celui-ci dans des symptômes somatiques (paralysie par exemple) ou sensitifs (anesthésies par exemple).  Hypnose : Etat modifié de conscience transitoire et artificiel provoqué par la suggestion d’une autre personne et caractérisé par une susceptibilité accrue à l’influence de cette dernière. Le tableau clinique de la grande attaque hystérique Charcot décrit le tableau clinique de la grande attaque hystérique en quatre phases distinctes : 1) L’aura, phase caractérisée par une douleur ovarienne annonçant le début de la crise. 2) L’attaque, phase dite épileptique ou épileptoïde caractérisée par des cris, une pâleur, une perte de connaissance, une chute suivie d’une rigidité musculaire. 3) La phase clownique, phase des grands mouvements, des contorsions à caractère intentionnel, des gesticulations théâtrales et suggestives mimant les passions, l’effroi, la peur, la haine, etc… 4) La phase résolutive, phase finale marquée par des pleurs et des rires. Encadré 1.2. : Hystériques sous hypnose par Bourneville et Régnard (1876-1880). Pour aller plus loin…  Lire l’extrait de l’ouvrage suivant disponible dans les documents en ligne : Richer, P. (1885). Etudes cliniques sur la grande hystérie ou hystéro-épilepsie. Paris : Delahaye & Lecrosnier, éditeurs. Page 5 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 c) Théodule RIBOT et la « méthode pathologique » Théodule RIBOT (1839-1916) était philosophe et psychologue. Il plaida pour une psychopathologie rigoureusement scientifique basée sur les méthodes de l’expérimentation et de l’observation. Selon Ribot, il est possible d’appréhender le fonctionnement et la structure normale des fonctions psychiques (mémoire, volonté, automatismes, etc…), en étudiant la pathologie de ces fonctions. Encadré 1.3. : D’après Nicolas, S. (2012). In J.-F. Marmion.(Ed.). Histoire de la psychologie. Auxerre : Sciences Humaines Editions. Pour aller plus loin…  Lire l’extrait de l’ouvrage suivant disponible dans les documents en ligne : Ribot, T. (1896). La psychologie des sentiments. Paris : Félix Alcan, éditeurs. d) Emil KRAEPELIN et les thèses organicistes Emil KRAEPELIN (1856-1926) était un psychiatre allemand, fer de lance de la psychiatrie organiciste, soutenant que les troubles mentaux ont un substratum organique. Page 6 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Kraepelin est célèbre pour avoir créé une classification des troubles mentaux basée sur des critères étiologiques et/ou cliniques objectifs qu’il a tâché de standardiser. Cette nosographie est détaillée dans son Traité de psychiatrie (1883- 1909). Son travail se fonde sur l’articulation entre diagnostic et pronostic, permettant d’envisager l’évolution de la maladie. Les principaux troubles définis par Kraepelin sont la psychose maniaco-dépressive et la démence précoce. Encadré 1.4. : Evolution de la thèse organiciste des troubles mentaux au XIXème siècle. In Ionescu, S. (2005). 14 approches de la psychopathologie. Paris : Armand Colin. Pour aller plus loin…  Lire l’extrait de l’ouvrage suivant disponible dans les documents en ligne : Kraepelin, E. (1907). Introduction à la psychiatrie clinique. Paris : Vigot frères, éditeurs. Page 7 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Encadré 1.5. : Patient célèbre ayant fait avancer les thèses organicistes. D’après J.-F. Marmion. (Ed.). Histoire de la psychologie. Auxerre : Sciences Humaines Editions. Définitions :  Substratum organique : signifie que l’organe sert de base à quelque chose, ici au trouble mental.  Psychose maniaco-dépressive : Maladie mentale caractérisée par des dérèglements de l’humeur qui évolue par accès, se traduisant par la répétition, l’alternance, la juxtaposition ou la coexistence d’états d’excitation et de dépression.  Démence précoce : Chez KRAEPELIN, le terme de démence précoce renvoie au champ de la psychose chronique, c’est-à-dire à un état psychique caractérisé par une altération profonde de la conscience du sujet et de son rapport à la réalité. Page 8 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 e) Pierre JANET et le traitement des névroses Pierre JANET (1859-1947) était un philosophe et médecin français. Il a travaillé au côté de Jean-Martin Charcot à La Salpêtrière et a succédé à Théodule Ribot au Collège de France. A la suite de Ribot, il proposa notamment de promulguer la méthode expérimentale plutôt que l’introspection dans l’étude des pathologies mentales, telles que l’hystérie et la psychasthénie. Pour Janet, il est nécessaire de tenir compte de la personnalité du sujet malade dans son ensemble, plutôt que de ne rechercher que les symptômes des troubles. Encadré 1.6. : D’après Carroy, J., & Plas, R. (2012). In J.-F. Marmion.(Ed.). Histoire de la psychologie. Auxerre : Sciences Humaines Editions. Pour aller plus loin...  Lire l’extrait de l’ouvrage disponible dans le cours en ligne: Janet, P. (1909). Les névroses. Paris : Flammarion. Définitions :  Introspection : Activité du sujet qui recherche à connaître ses états de conscience et ses activités intérieures.  Psychasthénie : Selon Janet, il s’agit d’une névrose qui se manifeste par un état anxio-dépressif chronique avec inhibition, aboulie, sentiments d’incomplétude et d’auto-dévalorisation, doute permanent, idées fixes et obsessions. Page 9 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 f) Sigmund FREUD et la psychanalyse Sigmund FREUD (1856-1939) était un médecin neurologue très célèbre pour avoir élaboré la psychanalyse à partir de sa propre introspection (notamment l’auto-analyse de ses rêves) ; ses observations tirées de l’analyse du discours de ses patients (comme les cas de Dora, du petit Hans, etc…) ; et diverses influences théoriques (telles que Jean- Martin Charcot, Pierre Janet, Theodor Lipps, ou encore Gustav Fechner). Les travaux de FREUD ont permis de conceptualiser les théories phares de la psychanalyse comme l’appareil psychique, le complexe d’Œdipe, les mécanismes de défense, ou encore le transfert. Définitions :  Psychanalyse : Il s’agit à la fois d’un corpus de connaissances théoriques relatif au fonctionnement psychique normal et pathologique de l’humain ; d’un procédé d’investigation psychologique de la dynamique psychique d’un individu ; et d’une méthode thérapeutique fondée sur la verbalisation des pensées et associations d’idées qui se présentent au sujet dans un contexte transférentiel où ce qui a été refoulé dans l’inconscient peut transparaître.  Appareil psychique : Figuration de la structure élémentaire et fondamentale qui formalise le lieu du déroulement des processus psychiques inconscients.  Complexe d’Œdipe : Ensemble des investissements amoureux et hostiles que l’enfant fait sur les parents lors de la phase phallique. La résolution de ce complexe conduit au remplacement de ces investissements par des identifications.  Mécanismes de défense : Différents types d’opérations psychiques inconscientes utilisées par le Moi pour réduire ou éviter des états négatifs tels que le conflit, la frustration, l’anxiété, ou encore le stress.  Transfert : Processus par lequel les désirs inconscients s’actualisent sur certains objets dans le cadre d’un certain type de relation établi avec eux et éminemment dans le cadre de la relation analytique. Il s’agit là d’une répétition de prototypes infantiles vécue avec un sentiment d’actualité marqué. Page 10 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Le cas d’Anna O par Joseph Breuer ou les origines de la « talking cure » Encadré 1.7. : Source Bloch, H., et al. (1999). Grand dictionnaire de la psychologie. Paris : Larousse. Page 11 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 g) John Broadus WATSON et le conditionnement de la peur John Broadus WATSON (1878-1958) était un psychologue américain, considéré comme le fondateur du behaviorisme (ou comportementalisme) s’appuyant sur le modèle du conditionnement. Selon Watson, seuls les comportements observables sont susceptibles d’être étudiés en psychologie. Il écarta les méthodes introspectives de son champ d’étude. Définitions :  Conditionnement classique (ou conditionnement répondant) : Acquisition de comportements rendue possible par l’association systématique de stimulations du milieu.  Behaviorisme : Courant de la psychologie scientifique fondé sur l’approche comportementale des activités psychologiques, qui se concentre sur l’étude des relations existant entre le stimulus (variation de l’environnement) et la réponse (réaction de l’organisme), symbolisée par le schéma suivant : Pour aller plus loin...  Lire le chapitre d’ouvrage suivant disponible dans les cours en ligne: Cover Jones, M. (1962). Une étude expérimentale de la peur : Le cas de Peter. In : H.J. Eysenck (Ed.). Conditionnement et névroses. Nouvelle méthode thérapeutique. Paris : Gauthier-Villars. Page 12 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 2. L’ESSOR DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET DES PSYCHOTHERAPIES a) Lightner WITMER et la « clinical psychology » Lightner WITMER (1867-1956) était un psychologue américain connu pour avoir introduit le premier, lors d’une conférence de l’American Psychological Association, le terme de psychologie clinique qu’il conçoit comme une « psychologie pour personnes perturbées ». En 1908, il est l’auteur d’un ouvrage et de plusieurs articles expliquant les fondements de la psychologie clinique et la méthode clinique en psychologie. Witmer a fondé en 1896 la première clinique psychologique (Psychological Clinic) aux Etats-Unis, dans laquelle il soignait des enfants handicapés mentaux et physiques. La méthode clinique utilisée consistait à proposer aux enfants des petites expériences afin de mieux comprendre la nature de leurs difficultés. Suite aux travaux de Witmer, il faut attendre 1947 pour que l’American Psychological Association (APA, association psychologique américaine) accorde un statut à part entière à la psychologie clinique en tant que discipline scientifique issue de la psychologie, avec ses propres objets d’études et méthodes. Encadré 2.1. : Page Internet de la section « Clinical Psychology » de l’American Psychological Association. Source www.apa.org Page 13 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 b) Daniel LAGACHE et l’unité de la psychologie Daniel LAGACHE (1903-1972) était médecin, psychanalyste, et professeur de psychologie pathologique à la Sorbonne. Il est l’un des premiers à avoir introduit la psychologie clinique en France, notamment lors d’une conférence présentée devant le groupe de l’Evolution Psychiatrique en 1949. Selon Lagache, l’objet de la psychologie clinique est : « l’étude de la conduite humaine individuelle et de ses conditions (hérédité, maturation, conditions physiologiques et pathologiques, histoire de la vie), en un mot, l’étude de la personne totale en situation ». Il a milité pour la création d’une profession correspondant à cette discipline avec ses objectifs (essentiellement conseil, guérison et éducation) et ses méthodes propres (observation, entretien, etc…), et ce malgré les critiques des psychiatres et des psychanalystes qui voyaient dans la psychologie clinique naissante une concurrence à leurs disciplines respectives. Lagache est aussi connu pour avoir défendu l’idée de l’unité de la psychologie en tant que discipline dont l’objet général serait la conduite humaine et qui recouvrirait différentes approches dont la psychologie expérimentale, la psychologie clinique, la psychologie sociale, ou encore la psychanalyse. Encadré 2.2.: D’après Ohayon, A. (2012). In J.-F. Marmion.(Ed.). Histoire de la psychologie. Auxerre : Sciences Humaines Editions. Pour aller plus loin...  Lire l’extrait d’ouvrage suivant disponible dans les cours en ligne: Lagache, D. (1949). L’unité de la psychologie. Paris : PUF. Page 14 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 c) Juliette FAVEZ-BOUTONNIER et la clinique « aux mains nues » Juliette FAVEZ-BOUTONNIER (1903-1994) était philosophe, médecin et psychanalyste française. Elle créa le premier laboratoire de psychologie clinique en France et le premier certificat de maîtrise de psychologie clinique à la Sorbonne en 1968. Selon elle, l’objet de la psychologie clinique est « l’étude de la personnalité singulière dans la totalité de sa situation et de son évolution ». A l’inverse de Lagache, Favez-Boutonnier défendit l’idée que la psychologie clinique et la psychologie expérimentale seraient indépendantes. Elle plaida pour une psychologie clinique humaniste « aux mains nues », basée uniquement sur l’observation et l’entretien. Pour aller plus loin...  Lire l’extrait du cours de FAVEZ-BOUTONNIER suivant disponible dans les cours en ligne: FAVEZ-BOUTONNIER, J. (1966). L’homme et son milieu. Cours présenté à La Sorbonne. Le débat reste ouvert mais, aujourd’hui, nous nous orientons plutôt vers une psychologie clinique qui inclue différentes méthodes1 et pratiques, complémentaires et conciliables, s’appuyant sur les domaines de la recherche expérimentale et appliquée ainsi que sur des modèles théoriques diversifiés. En parallèle à l’institutionnalisation de la psychologie clinique, se sont développées de nouvelles approches psychothérapiques issues des grands modèles de la psychopathologie. Nous présentons ci-après quelques précurseurs de ces approches, de manière non exhaustive car la question est très vaste. d) Sándor FERENCZI et les psychothérapies d’inspiration analytique Sándor FERENCZI (1873-1933) était un médecin et psychanalyste hongrois. Il s’interrogea notamment sur les limites de la cure psychanalytique classique, qui ne serait pas adaptée selon lui à la prise en charge de tous les patients, et en particulier aux patients psychotiques. Ferenczi a introduit des changements dans la pratique de la thérapie psychanalytique. Il a notamment préconisé une technique active, « procédé qui ne signifie pas tant une intervention active de la part du médecin que de la part du patient, 1 Se référer au chapitre III, p.43. Page 15 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 auquel on impose à présent, outre l’observance de la règle fondamentale [associations libres et interprétations du transfert], une tâche particulière [injonctions ou interdictions qui incitent le patient à adopter une attitude active]» ; puis une élasticité technique, avec laquelle l’analyste tient compte des attentes de son patient en adoptant une approche technique plus souple, une attitude empathique et bienveillante, et en ayant recours aux pratiques psycho-corporelles telles que la relaxation par exemple. Michael BALINT (1896-1970) était un psychiatre et psychanalyste hongrois. Il se forma auprès de Ferenczi. Il créa les groupes Balint, outils importants de supervision et de réflexion sur la relation médecin-malade. Ces groupes ont été à l'origine du courant des groupes d'analyse des pratiques que l'on trouve aujourd'hui dans le monde de la santé, de l'éducation, du travail social et de la formation des adultes. Encadré par 1 à 2 animateurs de formation psychanalytique, le groupe Balint est un groupe de 8 à 12 soignants qui se retrouvent régulièrement pour réfléchir autour de la présentation d’une situation ou d'un cas clinique dans lequel la relation soignant-soigné pose problème et questionne. Les règles de fonctionnement sont basées sur la spontanéité du discours, les associations libres des idées et des ressentis, le respect de la parole des autres sans évaluation ni jugement, la confidentialité et l’absence de notes. Pour aller plus loin...  Lire l’article suivant disponible dans les cours en ligne: Bokanowski, T. (2006). L’acte dans la pratique analytique de Sándor Ferenczi. Revue française de psychanalyse, 70, 55-71. e) Gregory BATESON et l’école de Palo Alto Gregory BATESON (1904-1980) était un psychologue et anthropologue anglais. Ses travaux ont essentiellement portés sur l’effet des paradoxes dans la communication humaine. Il élabora notamment la théorie de la double contrainte2, selon laquelle il peut exister, dans un système relationnel, des injonctions paradoxales qui s'opposent et 2 Double bind. Page 16 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 empêchent l'individu de se dégager d’une situation problème. Dire à quelqu’un: « Soyez naturel ! » est un exemple de double contrainte car il s’agit d’un comportement impossible à mettre en place sur commande. Les travaux de Bateson ont influencé l’équipe du Mental Research Institute dans l’élaboration de la thérapie brève et de la thérapie familiale systémique. Les pionniers de l’école de Palo Alto (Don Jackson, John Weakland, Richard Fisch et Paul Watzlawick) considèrent que « les symptômes, les défenses, la structure de caractère et la personnalité décrivent les interactions typiques de l’individu, qui ont lieu en réponse à un contexte interpersonnel particulier, bien plus que comme des entités intrapsychiques », Jackson (1967). Page 17 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Encadré 2.3. : Evolution des thérapies brèves et des thérapies familiales. D’après Ray, W.A. et al. (2010). « Une chose en amène une autre », contributions à la thérapie brève. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 45, 213-231. Pour aller plus loin...  Lire l’extrait de l’ouvrage suivant disponible dans les cours en ligne: WATZLAWICK, P. (1980). Le langage du changement. Eléments de communication thérapeutique. Paris : Seuil. Page 18 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 f) Carl ROGERS et les psychothérapies centrées sur la personne Carl ROGERS (1902-1987) était un psychologue américain. Il fut l’un des pionniers de l’approche humaniste. Rogers a élaboré une forme de psychothérapie centrée sur la personne, dans laquelle le psychothérapeute adopte un style non directif en faisant preuve d’empathie, de neutralité bienveillante et d’authenticité. Le psychothérapeute doit tenir compte des attentes, des valeurs et des ressources de son patient3 pour l’accompagner au mieux dans son processus de changement vers ses choix de vie. Cette forme de psychothérapie a notamment influencé Miller et Rollnick dans l’élaboration de l’entretien motivationnel défini comme une « méthode directive, centrée sur le client, pour augmenter la motivation intrinsèque au changement par l’exploration et la résolution de l’ambivalence ». Il s’agit autrement dit d’une pratique de la relation d’aide basée sur un style relationnel qui diminue les résistances au changement et permet d’établir une alliance thérapeutique de qualité. Ce type d’entretien permet d’optimiser l’efficacité des prises en charge psychologiques, quel que soit leur type, en favorisant notamment l’émergence d’une demande d’aide, en responsabilisant les personnes et en respectant profondément leur autonomie. Jacob Levy MORENO (1889-1974) était psychiatre et psychologue américain d’origine roumaine. Il fut l’un des pionniers de la psychothérapie de groupe avec notamment l’élaboration de la technique du psychodrame. Le psychodrame humaniste est une « méthode d’investigation des processus psychiques utilisant la mise en œuvre d’une dramatisation au moyen de scénarios improvisés mis en scène et joués par un groupe de participants » (de Mijolla & Calmann-Lévy, 2002), selon un cadre précis. Pour aller plus loin...  Lire l’article suivant disponible dans les cours en ligne: Rogers, C.R. (1957). Les conditions nécessaires et suffisantes au changement thérapeutique. Journal of Consulting Psychology, 21, 95-103. 3 Aussi appelé client dans les psychothérapies centrées sur la personne. Page 19 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 g) Aaron BECK et la thérapie cognitive Aaron BECK (1921-) est un psychiatre et psychothérapeute américain. Il décrit la notion de schémas cognitifs, filtres à travers lesquels l’expérience est perçue et évaluée. Ces schémas seraient à l’origine de pensées automatiques. Chez ses patients déprimés, Beck remarque que les schémas sont irrationnels et que le traitement de l’information est biaisé par des erreurs cognitives qui génèrent plutôt des pensées automatiques négatives. Beck a inventé une nouvelle forme de psychothérapie permettant de mettre au jour les pensées automatiques des patients déprimés ainsi que leurs schémas dysfonctionnels responsables de leurs affects négatifs. Pour cela, Beck propose des techniques cognitives visant la modification ou l’assouplissement des pensées négatives. Beck préconise que le thérapeute adopte un style humaniste, empathique et soit capable de créer une alliance thérapeutique. Cette thérapie consiste en une coopération patient/thérapeute (empirisme collaboratif) et se centre sur l’ « Ici et maintenant ». Encadré 2.4. : Le fonctionnement cognitif selon Beck. Pour aller plus loin...  Lire le chapitre d’ouvrage suivant disponible dans les cours en ligne: Beck, A. (2005). La thérapie cognitive de la dépression : histoire d’une découverte. In : C. Meyer (Ed.). Le livre noir de la psychanalyse. Paris : Les Arènes. Page 20 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 h) Martin SELIGMAN et les interventions positives en psychologie Martin SELIGMAN (1942-) est un psychologue américain. Il est à l’origine d’une nouvelle approche, la psychologie positive, définie comme « l’étude des conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des individus, des groupes et des institutions » (Gable et Haidt, 2005). Les interventions positives en psychologie (la psychothérapie positive4, la thérapie basée sur la pleine conscience5, la thérapie d’acceptation et d’engagement6, par exemple) émanent plus ou moins directement de cette approche. Il s’agit de méthodes thérapeutiques qui visent à se focaliser sur les aspects positifs du fonctionnement humain et à cultiver des sentiments, des cognitions ou des comportements positifs, en favorisant le bien-être des personnes plutôt que la seule disparition des symptômes. Encadré 2.5. : D’après Monestès, J.-L., & Villatte, M.(2008). Le Magazine ACT numéro 9. Pour aller plus loin...  Lire l’article suivant disponible dans les cours en ligne: Cottraux, J.(2008). La psychologie positive. Un nouveau modèle pour la psychothérapie et la prévention ? Psychiatrie Sciences Humaines Neurosciences, 6, 175-180. 4 Seligman et al. (2006). 5 Approche mindfulness, élaborée par Segal et al. (2002). 6 Hayes et Smith (2005). Page 21 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 3. LE METIER DE PSYCHOLOGUE CLINICIEN DE NOS JOURS La psychologie est une discipline scientifique récente dont l’institutionnalisation a débuté au début du XXème siècle en France. Sont présentées ci-après les principales étapes ayant conduit à la reconnaissance de la profession de psychologue : la création de sociétés savantes, d’associations, de revues scientifiques et professionnelles ; le développement de formations et de diplômes universitaires de hauts niveaux ; la protection du titre de psychologue et l’élaboration de statuts ; l’élaboration d’un code de déontologie des psychologues. D’autres réflexions sur l’évolution de la profession de psychologue restent toutefois à mener. Page 22 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Page 23 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 LA REFONTE DU CODE DE DEONTOLOGIE DES PSYCHOLOGUES : UN IMPERATIF SOCIAL En matière de déontologie des psychologues, le seul texte de référence commune est le texte adopté en 1961 par la S.F.P. Considérant les changements intervenus en 35 ans au sein de la société dans l’exercice professionnel des psychologues, il apparaît qu’un écart s’est creusé entre les dispositions générales de ce texte et la réalité concrète des situations professionnelles. A l’éclairage des propositions faites par l’A.N.O.P. en 1987, une simple révision visant à combler cet écart n’est pas suffisante puisqu’une autre carence existe : faute de préciser les finalités de l’action des psychologues et de définir la spécificité de leur champ professionnel, le texte de 1961 ne permettait pas de fonder les obligations qui découlent de cet exercice, leur pertinence et leur force d’usage. Or la loi sur la protection de l’usage du titre est une étape décisive qui marque la reconnaissance, par la société, d’une réelle inscription sociale de la profession et du champ de la psychologie. A partir de l’expérience et des connaissances acquises il devient donc nécessaire de procéder à une refonte de ce Code. Cette refonte est d’autant plus urgente que l’exercice professionnel de la psychologie s’est largement diversifié. Plus l’inscription sociale de la discipline se confirme, plus grandes sont les responsabilités, rendant plus difficile le maintien d’une réflexion éthique, qui fonde pourtant l’essence même de la compétence. Par ailleurs, la loi de 1985 a concrétisé l’existence d’une communauté professionnelle aux contours flous du fait des spécialisations et de leur cloisonnement. Si chacun, au sein d’une profession, demeure responsable de ses actions, celles-ci peuvent avoir des conséquences sur l’ensemble de cette profession quant à la crédibilité et la reconnaissance des compétences professionnelles. Cette solidarité de fait crée de nouvelles responsabilités réciproques : collectives envers chacun, individuelles envers la collectivité. En outre, cette loi, prise " au titre des mesures de protection sociale " vise à sauvegarder les usagers et la société des abus et mésusages de la psychologie. Les professionnels sont donc, de fait, chargés de définir les règles qui caractérisent ces abus et mésusages, et de les prévenir. Il ressort de tous ces points que la nécessité d’un Code n’est plus seulement issue de l’aspiration morale des psychologues eux-mêmes, mais qu’elle est appelée par les exigences nouvelles émanant du législateur, donc de la cité. LA REFONTE DE LEUR CODE DE DEONTOLOGIE : UN ENJEU POUR L’AVENIR DES PSYCHOLOGUES. Si la communauté professionnelle n’assumait pas ses responsabilités, la protection du titre ne saurait se justifier durablement. Or ces responsabilités ne concernent pas seulement le respect des valeurs partagées quant à la mise en œuvre des pratiques, mais, plus centralement, les buts que servent ces moyens. C’est, à ce point, la question de la fonction sociale des psychologues qui est posée, la question aussi de leur utilité au regard de l’intérêt collectif. Si l’enracinement social de la psychologie a placé la profession devant de nouveaux problèmes, les changements sociaux mettent à l’épreuve les repères collectifs traditionnels et font apparaître des demandes de plus en plus complexes et contradictoires. Aussi la psychologie et ses applications peuvent-elles être l’objet d’exigences paradoxales fortes, entre la demande de résolution magique des problèmes personnels et la volonté de maîtrise technologique des êtres humains. Dans ce contexte, les psychologues ont non seulement à mettre en évidence les règles qui guident leur action professionnelle et à clarifier les valeurs qui s’en dégagent, mais aussi à définir leurs limites face aux demandes sociales - qu’elles viennent des personnes ou des institutions -, et à affirmer leurs engagements éthiques. L’existence d’un Code reconnu et porté par tous est donc, de tous ces points de vue, un enjeu quant à l’affirmation de la fonction sociale des psychologues et quant à leur avenir individuel et collectif. Nombreux d’ailleurs sont les psychologues qui aspirent à refonder ce qui, par-delà les singularités, inspire et légitime leur spécificité. Des professionnels de la psychologie se sont mis au travail, avec l’objectif d’associer le plus grand nombre de psychologues à cette tâche, afin que le nouveau Code puisse être validé et adopté par la profession. La présente proposition émane de cette réflexion commune sur les nécessités et l’urgence d’une refonte du Code de Déontologie des Psychologues. Ces derniers ainsi que leurs organisations, ont donc été appelés à apporter leur contribution, en connaissance de cause, et en conscience de leurs responsabilités. Encadré 3.1.: Argumentaire à la refonte du code de déontologie des psychologues de 2012, d’après www.lecodededeontologiedespsychologues.fr Pour aller plus loin...  Lire le code de déontologie des psychologues disponible dans les cours en ligne. Page 24 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 II. OBJETS ET SPECIFICITES DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET DE LA PSYCHOPATHOLOGIE 1. DEFINITIONS ET OBJETS a) La psychologie clinique La psychologie clinique est « une branche de la psychologie visant l’étude la plus exhaustive possible des processus psychiques d’un individu dans la totalité de sa situation et de son évolution, et des conduites humaines individuelles, normales et pathologiques, en tant que phénomènes déterminés par lesdits processus psychiques » (Bioy et Fouques, 2012). Plus globalement, selon Schmidt (1978) : « La psychologie clinique est l’application et le développement autonomes de théories, de méthodes et de techniques de la psychologie et de ses disciplines voisines, à des personnes ou groupes d’individus de tous âges qui souffrent de troubles ou de maladies (qu’elle qu’en soit la cause primaire) qui se manifestent au niveau psychique (comportement et expérience vécue) et/ou au niveau somatique, ou qui semblent menacés par des pareils troubles et maladies. Ce faisant on utilise dans la pratique des méthodes de prévention, de diagnostic, de conseil, de réhabilitation et de thérapie. Les activités pratiques de psychologie clinique s’exercent surtout dans des centres de consultation de toutes sortes, des homes, des institutions médicales hospitalières et ambulatoires, dans la « communauté » et la pratique privée. La recherche et l’enseignement doivent être explicitement considérés comme des parties essentielles de la psychologie clinique parce que sans elles une discipline peut rapidement dégénérer en praxéologie ». Encadré 1.1.: D’après Bioy, A., & Fouques, D.(2012). Psychologie clinique et psychopathologie. Paris : Dunod. Page 25 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 b) La psychopathologie Selon Minkowski (1966) la psychopathologie désigne 1) l’étude et la compréhension des mécanismes responsables de dysfonctionnements psychologiques que ceux-ci soient liés à une maladie mentale ou non ; et 2) la description et l’étude des aspects psychologiques d’une pathologie mentale. La psychopathologie emprunte ses méthodes d’investigation à la psychologie clinique (entretiens cliniques), à la psychométrie (tests, questionnaires, etc…), à la psychiatrie (sémiologies), et aux neurosciences (méthode expérimentale fondamentale). Sur le plan théorique, la psychopathologie se réfère à différentes approches et modèles différents7, comme le souligne Ionescu (2005). c) Liens entre psychologie clinique et psychopathologie La psychologie clinique et la psychopathologie sont deux disciplines distinctes mais intrinsèquement liées. Selon Pédinielli (1994), « les rapports entre psychologie clinique et psychopathologie sont certes complexes mais il existe un recouvrement partiel entre domaines clinique et psychopathologique ; la clinique est la situation dans laquelle on rencontre les objets psychopathologiques, mais la psychologie clinique peut se fixer les mêmes objets que la psychopathologie ». Plus récemment, Bioy et Fouques (2012) estiment qu’ « est psychologie clinique ce qui suit une méthode clinique dans le champ du psychisme, ce qui inclut une certaine pratique de la psychopathologie, mais ne peut se réduire à ce dernier champ ». 2. FRONTIERES AVEC LA PSYCHIATRIE ET LA PSYCHANALYSE a) La psychiatrie La psychiatrie est une spécialité médicale centrée sur la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies mentales. La psychiatrie s’attache à développer des nosographies des troubles mentaux, basées sur une description la plus objective possible des signes et symptômes les caractérisant. L’objectif est de développer des traitements spécifiques pour prendre en charge chaque trouble caractérisé (traitements médicamenteux, psychothérapies, etc…). Une des nosographies les plus utilisées actuellement sur le plan international est le Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical 7 Cf paragraphe 4. Les différentes approches des troubles mentaux. Page 26 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Manual of Mental Disorders ; DSM), issu d’une approche athéorique dont le but est d’établir un socle commun de connaissances intelligibles par tous chercheurs et praticiens quelles que soient leurs orientations théoriques. Ce manuel propose une classification catégorielle des troubles mentaux. Il est édité par l’American Psychiatric Association (APA). Nous passons en revue ci-après les différentes éditions de ce manuel qui se sont succédé au cours du temps. La première édition du DSM a été publiée en 1952, principalement sous l’égide de la perspective psychobiologique d’Adolf Meyer qui concevait les troubles mentaux comme les réactions de la personnalité face à des facteurs biopsychosociaux. Elle différencie 60 pathologies distinctes. En 1968, paraît la première révision de ce manuel permettant de distinguer 145 pathologies différentes. Dans le DSM-II, les dénominations et terminologies employées s’éloignent résolument de la perspective psychobiologique palpable dans la première édition pour se concentrer sur la compréhension et la catégorisation de syndromes, faisant référence à une structure sous-jacente (névrose ou psychose). Le DSM-II a fait l'objet de plusieurs controverses. Par exemple, l’homosexualité était considérée dans ce manuel comme une entité pathologique. Suite au combat mené par des associations représentant les homosexuels, l’homosexualité a été retirée du DSM en 1973 au cours d'un vote des membres de l'APA. Datant de 1980, le DSM-III est issu d’un processus d’élaboration ayant débuté en 1974 avec la mise en place d’un groupe de travail sur la nomenclature et les statistiques visant à élaborer une nosographie acceptable par les cliniciens et chercheurs d’orientations théoriques différentes. La différenciation entre la structure névrotique et la structure psychotique disparaît dans cette nouvelle mouture, tandis que de nouvelles catégories comme l'état de stress post-traumatique ou le trouble de la personnalité multiple y font leur entrée. Les catégories sont dès lors définies par des critères diagnostiques quantitatifs dans le but d'augmenter la fiabilité du diagnostic et sa reproductibilité. La révision du DSM-III (DSM III-Revised) est publiée en 1986 pour pallier le manque de clarté et le caractère obsolète de certains critères diagnostiques au vu de données empiriques plus récentes. Les catégories sont renommées, réorganisées, et Page 27 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 des changements significatifs dans les critères ont été effectués, permettant de différencier 292 pathologies. Six catégories ont été supprimées et les autres ont été mises à jour. La quatrième édition du DSM est publiée en 1994 et distingue 410 troubles mentaux. Elle se base sur l’étude minutieuse des données issues des publications scientifiques. Huit troubles disparaissent dans cette nouvelle édition, tels que le trouble de l’identité ou le transsexualisme, tandis que treize nouveaux troubles apparaissent. Une révision mineure du DSM-IV, connue sous le nom de DSM IV-TR, est publiée en 2000. Les catégories de diagnostics et la majorité des critères restent inchangées. Les catégories de troubles se voient attribuer un code numérique, à l’image de ceux de la 10ème édition de la Classification Internationale des Maladies (CIM-10), nosographie de référence éditée par l’Organisation Mondiale de la Santé. Une section est consacrée aux troubles habituellement diagnostiqués pour la première fois pendant la petite enfance, l'enfance ou l'adolescence. Le nombre minimum de symptômes par diagnostic, la fréquence et la durée des symptômes sont des données quantitatives. La version anglo-saxonne originale du DSM-V a été publiée en mai 2013 et est disponible en français depuis 2015. Exercice 1.  Lire l’article Widakowich, C., Van Wettere, L., Jurysta, F., Linkowski, P., & Hubain, P. (2013). L’approche dimensionnelle versus l’approche catégorielle dans le diagnostic psychiatrique: aspects historiques et épistémologiques. Annales Médico-Psychologiques, 171, 300-305.  Expliciter les principales différences entre les approches catégorielle et dimensionnelle et leurs implications pour la compréhension des troubles mentaux. Page 28 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Encadré 2.1. : Les critères du DSM IV pour l’Episode dépressif majeur classé dans la catégorie des troubles de l’humeur (American Psychiatric Association, 1994). Définitions :  Nosographie : Description et classification des maladies.  Symptôme : Manifestation fonctionnelle ou clinique d’une maladie, telle qu’exprimée et ressentie par un patient.  Signe clinique : Traduction des symptômes du patient dans un ensemble sémiologique.  Sémiologie : Nomenclature de signes permettant d’identifier, de nommer, de décrire et classer un état normal ou pathologique.  Syndrome : Entité sémiologique à part entière mais transversale, c’est-à-dire pouvant exister dans des pathologies différentes. Page 29 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Il est aussi important de noter actuellement le développement considérable, parallèlement à la psychiatrie classique, des neurosciences qui s’intéressent à « l’influence des modifications morphologiques ou fonctionnelles du système nerveux sur la genèse des troubles mentaux » (Ionescu, 2005). Cet essor est très largement lié à l’avènement ces dernières décennies des techniques d’imagerie cérébrale, permettant l’exploration métabolique, morphologique et fonctionnelle du cerveau par des méthodes non invasives. Définitions :  Psychobiologie : Discipline qui lie l’étude des faits psychiques et des structures mentales à celle du système nerveux et cherche à établir les corrélats anatomiques, physiologiques et biochimiques des comportements.  Neurosciences : Ensemble des disciplines biologiques et cliniques qui étudient le système nerveux.  Distinction entre psychiatrie et psychopathologie Comme nous l’avons vu précédemment, la psychiatrie cherche à décrire précisément la nature des troubles mentaux. La psychopathologie renvoie littéralement à l’origine des troubles mentaux se situant dans le psychisme. En cela, elle se rapproche de l’objet de la psychiatrie. Cependant, la psychopathologie se distingue de la psychiatrie dans la mesure où elle désigne également l’étude du fonctionnement psychique, c’est-à-dire l’élaboration de connaissances et théories permettant de comprendre les troubles mentaux. Selon Pedinielli (1994), la psychopathologie « spécifie un domaine qu’on pourrait confondre avec la pathologie mentale, telle que la découpe la psychiatrie. Mais, dans les faits, cette conception se double d’une activité de discours (logos) qui utilise une théorie générale psychologique pour rendre compte des faits décrits par la psychiatrie clinique. Dans ce contexte, « psychopathologie » désigne aussi le savoir qui permet de comprendre la pathologie. Le chapitre « Psychopathologie » des manuels de psychiatrie reprend les différentes théories explicatives de la maladie considérée ». b) La psychanalyse La psychanalyse est à la fois : 1) « une méthode d’investigation consistant essentiellement dans la mise en évidence de la signification inconsciente des paroles, des actions, des productions imaginaires (rêves, fantasmes, délires) d’un sujet. Cette méthode se fonde principalement sur les libres associations du sujet qui sont le garant Page 30 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 de la validité de l’interprétation. L’interprétation psychanalytique peut s’étendre à des productions humaines pour lesquelles on ne dispose pas de libres associations ; 2) une méthode psychothérapique donnée sur cette investigation et spécifiée par l’interprétation contrôlée de la résistance, du transfert et du désir. A ce sens se rattache l’emploi de la psychanalyse comme synonyme de cure psychanalytique ; et 3) un ensemble de théories psychologiques et psychopathologiques où sont systématisées les données apportées par la méthode psychanalytique d’investigation et de traitement », (Laplanche et Pontalis, 1967).  Distinction entre psychanalyse et psychopathologie La psychopathologie et la psychanalyse partagent un objet d’études (fonctionnement du psychisme) et une méthode d’investigation. Cependant, selon Combaluzier, « il apparaît que la psychanalyse est un des courants (certes essentiel sur le plan historique) de la psychopathologie mais que cette discipline universitaire ne saurait être confondue avec la psychanalyse. Les modèles théoriques et méthodologiques de la psychopathologie faisant en effet appel à des conceptions et des outils plus larges que la seule psychanalyse ».  Distinction entre psychanalyse et psychologie clinique Selon Pédinielli (1994), la psychologie clinique se distingue bel et bien de la psychanalyse même si ces disciplines partagent en partie un corpus théorique et méthodologique. Selon Lagache (1951), « l’approche psychanalytique peut être considérée comme une variété de psychologie clinique, si l’on définit celle-ci plus largement par l’étude approfondie des cas individuels ; une étude psychanalytique porte en effet sur une personnalité individuelle, son histoire, son entourage, sa conduite, certains ont même assimilé psychanalyse et psychologie clinique. Mais cette assimilation méconnaît des différences importantes […]. Le but de la psychanalyse est plus spécifique. La psychologie clinique a quatre buts principaux : le diagnostic, le conseil, le traitement, l’éducation. Une psychanalyse est toujours une psychothérapie, c’est-à-dire un traitement reposant sur la relation personnelle du médecin et du patient. Le matériel psychanalytique est aussi plus spécifique. L’observation clinique en médecine et surtout en psychologie est « manœuvrière »… Le rôle du psychanalyste, au contraire, est de se maintenir dans une attitude de neutralité et de passivité bienveillantes et de garder un silence interrompu par des interprétations choisies… Page 31 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Finalement, c’est surtout le « laissez-faire » qui caractérise l’analyse… L’expérimentation est isolante et tend à mettre en lumière que des relations psychologiques partielles. D’où la difficulté de l’appliquer aux conduites humaines complètes et concrètes ». Pour aller plus loin...  Lire les extraits de l’ouvrage suivant disponible dans les cours en ligne: Lagache, D. (1977-1984). Œuvres complètes. Paris : PUF. 3. PLACE DU NORMAL ET DU PATHOLOGIQUE La question du normal et du pathologique est centrale tant en psychopathologie qu’en psychologie clinique, dans la mesure où ces disciplines cherchent à définir et distinguer ce qui relève de fonctionnements psychologiques normaux et pathologiques. Cependant, cette question est complexe et ne peut être tranchée définitivement. Il est donc primordial, lorsque l’on considère le travail d’un psychologue, de repérer ses références théoriques et les méthodologies utilisées qui reflètent en partie sa conception du normal et du pathologique et permettent de comprendre au mieux ses observations, évaluations et diagnostics psychologiques. Nous présentons ci-après un extrait d’article qui résume la perspective de Georges Canguilhem (1904-1995) sur la question du normal et du pathologique. Page 32 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Cette question du normal ne cessera de hanter l’œuvre de G. Canguilhem qui insiste sur le fait que si elle se pose, c’est d’abord parce qu’il y a de l’anormal qui résiste. S’il n’y avait pas d’anormal, il n’y aurait pas de normes, il n’y aurait que des lois. Par conséquent, « l’anormal logiquement second est existentiellement premier ». En réfléchissant sur les concepts de normal et de pathologique, G. Canguilhem est alors amené à faire un renversement majeur qui remet en question une conception positiviste et désincarnée de la médecine : « La qualité de pathologique est un import d’origine technique et par là d’origine subjective. Il n’y a pas de pathologie objective. » C’est ce renversement qui fait dire au psychanalyste René Major que le tenant de ces propos avait en 1943 cinquante ans d’avance. La santé, un concept vulgaire Une des thèses centrales de G. Canguilhem, c’est que le pathologique n’est pas le contraire de la norme mais le contraire de la santé. Or, qu’est-ce que la santé ? La santé exprime un certain rapport de l’être humain à sa vie, c’est un rapport vécu. G. Canguilhem cite à plusieurs reprises la définition qu’en donne le chirurgien René Leriche : « La santé, c’est la vie dans le silence des organes ». La maladie brise précisément cette évidence, ce rapport au corps non questionné parce que non problématique. C’est pourquoi la maladie doit d’abord être appréhendée à partir de la subjectivité du malade et de sa singularité. G. Canguilhem, plus tard, écrira ainsi : « Il n’y a pas de science de la santé... Santé n’est pas un concept scientifique, c’est un concept vulgaire. » Mais pour asseoir cette thèse centrale, le penseur doit au préalable en critiquer une autre qui est devenue au XIXe siècle un véritable dogme, non interrogé : celle qui pose une identité qualitative du normal et du pathologique en ne voyant dans les phénomènes pathologiques que des variations quantitatives de certains phénomènes normaux. Ainsi en va-t-il, pour Claude Bernard, du diabète. Le sang contient normalement du glucose. Chez le diabétique, la glycémie n’est donc pas un phénomène pathologique en soi mais par sa quantité. Il y a diabète lorsque la glycémie est trop élevée. Le dogme positiviste éradique en fait complètement la dimension vécue de la maladie, et en ce sens il se méprend sur le sens du pathologique : « La maladie n’est plus objet d’angoisse pour l’homme sain, elle est devenue objet d’étude pour le théoricien de la santé. » Le dogme de l’identité du normal et du pathologique L’histoire de ce dogme fait apparaître deux figures majeures : Auguste Comte et Claude Bernard, même si leurs visées sont différentes. Chez A. Comte, l’intérêt se porte du pathologique vers le normal pour déterminer spéculativement les lois du normal. Loin d’apparaître comme une expérience vécue, la maladie est en effet perçue par lui comme une expérimentation spontanée qui met en évidence en les grossissant les lois du normal. La perspective est différente chez C. Bernard, dont l’intérêt se porte du normal vers le pathologique, pour agir sur le pathologique et fonder ainsi une thérapeutique. C. Bernard va plus loin en mettant sur pied des protocoles expérimentaux et des méthodes pour quantifier le normal et le pathologique. Mais en fait, comme le montre G. Canguilhem, il ne parvient pas à éliminer réellement la différence qualitative. Le comportement du rein n’est pas le même chez un diabétique et chez une personne saine. Il y a plus là qu’un simple changement de degré, d’où l’étonnante formule du philosophe : « Devenir diabétique, c’est changer de rein ». Pour G. Canguilhem, la maladie n’affecte pas qu’une partie mais transforme l’ensemble de l’organisme qui constitue une totalité. Pour reprendre l’exemple du diabète, il apparaît qu’il touche en fait toutes les fonctions de l’organisme et pas seulement le rein, le pancréas ou l’hypophyse puisque le diabétique risque la tuberculose, la gangrène en cas d’infection, le coma, souvent la stérilité ou l’impuissance. Il y a plus qu’un changement de degré ici : « être malade c’est vraiment pour l’homme vivre une autre vie. » En réalité, ce dogme renvoie à certains présupposés qu’on peut qualifier d’idéologiques. Tout d’abord, il marque un refus de la réalité de la maladie, qui exprime en fait un certain rapport au mal : « Se fait jour, tout d’abord, la conviction d’optimisme rationaliste qu’il n’y a pas de réalité du mal ». C’est également affirmer avec force que le vivant se plie à un déterminisme strict, sans imprévisibilité. Enfin, Page 33 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 dans cette conception, la technique thérapeutique est soumise au primat de la science physiologique ; là encore, il y a une raison sous-jacente : si le savoir dépendait de la technique, ce serait reconnaître un certain désordre et en tout cas un progrès scientifique irrégulier. Le primat du malade G. Canguilhem sait gré au chirurgien R. Leriche de remettre en cause ce primat de la science sur la technique, en l’occurrence de la physiologie sur la thérapeutique. Pour G. Canguilhem, la maladie est une réalité individuelle qui se rapporte à un individu singulier. Il faut donc réévaluer le rapport qui existe entre la médecine et le patient : « C’est donc bien toujours en droit, sinon actuellement en fait, parce qu’il y a des hommes qui se sentent malades qu’il y a une médecine, et non pas parce qu’il y a des médecins que les hommes apprennent d’eux leurs maladies ». On ne peut donc penser de maladie sans malade. Plus encore, sans hommes malades, il n’y aurait peut-être pas de science des fonctions vitales, de physiologie c’est « la maladie [qui] nous révèle des fonctions normales au moment précis où elle en interdit l’exercice ». Le vivant ne doit pas être appréhendé comme un simple mécanisme qui réagirait mécaniquement aux contraintes. Le vivant pour G. Canguilhem se définit précisément par sa normativité, c’est-à-dire par sa capacité à créer des normes qui l’individualise. C’est à partir de la normativité qu’on peut saisir ce qui distingue le normal et le pathologique. La normalité est étroitement liée à la normativité, à la capacité de poser des normes. Le pathologique au contraire se définit par une réduction de cette normativité : il n’est pas absence de norme (et c’est pourquoi il n’est pas le contraire du normal) mais il réduit à une norme unique de vie. Or, être en bonne santé, c’est pouvoir se confronter à des situations nouvelles et même se permettre de tomber malade. Par contre, être malade, c’est avoir un milieu de vie rétréci, c’est devoir se ménager. On peut avec un seul rein rester normal mais on ne peut plus se permettre de perdre l’autre. être malade, ce peut être ne pas pouvoir se permettre de rentrer à pied si on rate le bus, ne pas pouvoir se rendre dans une autre boulangerie trop éloignée si celle à laquelle on va habituellement est exceptionnellement fermée, c’est avoir des difficultés à monter un escalier raide. C’est pourquoi « le propre de la maladie, c’est d’être une réduction de la marge de tolérance des infidélités du milieu ». être en bonne santé, c’est donc plus qu’être normal, c’est pouvoir s’adapter à des changements de son milieu. L’hémophilie tant qu’il n’y a pas de traumatisme ne pose pas de problème. Mais qui peut se prémunir de tout choc ? L’hémophile doit donc sans cesse faire attention : il doit éviter de pratiquer des sports de combat, de manipuler des objets tranchants... Bref, c’est son existence complète qui est différente. On ne peut donc pas comprendre le normal et le pathologique indépendamment du milieu dans lequel l’être vivant évolue. C’est par rapport à un milieu qu’un vivant peut être dit normal si ses normes de vie lui permettent de se maintenir et de se reproduire. La moyenne ne définit donc pas la norme contrairement à ce que pouvait par exemple penser le scientifique Adolphe Quêtelet. Ce dernier, ayant remarqué que la représentation graphique de la taille de l’homme d’une population homogène donnait une courbe de Gauss (en forme de cloche), en concluait qu’on pouvait identifier norme et moyenne. La moyenne n’est pas la norme Le sociologue Maurice Halbwachs avait déjà critiqué cette conception en faisant remarquer que la taille de l’homme est un phénomène inextricablement biologique et social. La critique de G. Canguilhem est différente de celle de M. Halbwachs puisqu’elle retourne la proposition : ce n’est pas la moyenne qui est la norme, par contre la moyenne peut être considérée comme le signe de la norme. La comparaison avec d’autres groupes humains prouve également qu’il ne faut pas confondre norme et moyenne. Ce qui pour des Européens constituerait de graves hypoglycémies presque mortelles est supporté sans trop de troubles par des Africains, le débit urinaire des Chinois est bien plus faible que celui des Européens... Ces phénomènes s’expliquent par certains modes de vie et l’adaptation au milieu. Bref, il n’y a pas de mesure objective de la normalité ou du pathologique. G. Canguilhem dans sa thèse de médecine n’a pas, loin s’en faut, mis de côté la dimension sociale dans l’appréhension du pathologique. L’homme se débat avec un milieu qui n’est pas un pur donné mais qu’il construit. Le normal et le pathologique doivent être appréhendés de ce fait de manière Page 34 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 globale sur le fond de la société. Un myope dans une société pastorale n’est pas anormal ; par contre il l’est dans la marine ou dans l’aviation. Les pathologies doivent donc être réinscrites dans les sociétés. Mais même si G. Canguilhem ne minore pas l’aspect social dans son appréhension du biologique, il reste que cette première partie ne portait que sur un seul type de normes : les normes biologiques, les normes de la vie elle-même. Pourtant on parle également de normes sociales. Mais y a-t-il continuité entre les normes sociales et les normes biologiques ? C’est cette question qu’est amené à explorer G. Canguilhem dans la seconde partie, intitulée « Nouvelles réflexions concernant le normal et le pathologique », rédigée vingt après la première partie. Alors que la première partie du Normal et du Pathologique considérait l’individu du point de vue biologique, la seconde partie va également le considérer du point de vue social. Pourquoi ? Nombreux sont ceux qui voient dans cette partie, rédigée entre 1963 et 1966, une réponse de G. Canguilhem à Michel Foucault. Les deux hommes se connaissaient déjà bien : le premier avait été le rapporteur de la thèse du second, « Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique » et, en tant que directeur de collection aux Puf, venait de faire publier son deuxième texte, La Naissance de la clinique (1963). Or, alors que G. Canguilhem avait exploré la question des normes vitales, M. Foucault, lui, insistait sur la construction des normes par l’ordre social et au processus de normalisation. Des normes vitales aux normes sociales Mais G. Canguilhem ne s’attaque pas à la question de l’imposition de normes sociales pour elle-même mais pour éclairer la nature des normes biologiques. La normalisation procède selon lui d’une exigence de rationalisation qui apparaît clairement à partir de la Révolution française, aussi bien dans le domaine scolaire que dans le domaine de la santé par des réformes pédagogiques ou hospitalières. Contrairement à la norme biologique qui est interne à l’organisme, la norme sociale procède d’une décision extérieure à l’objet auquel elle s’impose. Ainsi la voie normale de chemin de fer est définie par un écartement de 1,44 mètre entre les bords intérieurs des rails. Cette décision a été prise pour des raisons tout à la fois mécaniques, commerciales, militaires, politiques ou même énergétiques. Une école normale est une école où l’on apprend à enseigner en instituant certaines méthodes pédagogiques qui seront la norme. L’objet est dit normal par rapport à une norme externe qui unifie le divers et réduit la multiplicité. On comprend mieux alors tout ce qui sépare les normes sociales des normes biologiques : les normes sociales sont extérieures tandis que les normes vitales sont immanentes à l’organisme. Du coup, parce qu’elle s’impose de l’extérieur, la norme sociale est problématique puisqu’il y a un écart entre le réel et la norme qu’un travail de normalisation doit s’appliquer à réduire. La régulation vitale au contraire, parce qu’elle est immanente, va de soi. Mais aux normes sociales, l’individu peut toujours opposer d’autres normes. G. Canguilhem en vient donc à dégager à côté de la normativité biologique, une normativité sociale, autrement dit une capacité à poser d’autres normes sociales. Encadré 3.1. : Extrait de l’article de Bedin, V., & Fournier, M. (2009). Georges Canguilhem. La Bibliothèque idéale des sciences humaines, Editions Sciences humaines. Pour aller plus loin...  Lire l’extrait de l’ouvrage suivant disponible dans les cours en ligne: Canguilhem, G. (1966). Le normal et le pathologique. Paris : PUF. Page 35 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 4. LES DIFFERENTES APPROCHES DES TROUBLES MENTAUX La psychopathologie et la psychologie clinique se réfèrent à différentes approches théoriques, dont les plus répandues sont présentées succinctement ci- après. a) L’approche psychanalytique Le modèle psychanalytique8 est très largement encore empreint des conceptions et théories freudiennes. Cette approche met l’accent sur :  le passé des individus, les expériences individuelles (événements, traumatismes, etc…), et les expériences infantiles inconscientes.  les conflits intra-psychiques, et les processus et déterminants inconscients de la conduite humaine.  la nature des mécanismes de défense déployés par les individus. Dans le modèle psychanalytique, « la maladie mentale est conçue dans une perspective fonctionnelle dans la mesure où elle constitue une tentative d’ajustement, de résolution des problèmes qui n’ont pu être résolus d’une autre manière plus satisfaisante » (Ionescu, 1995). 8 Modèle également appelé psychodynamique. Page 36 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Encadré 1.8. : Source Ionescu, S. (2005). 14 approches de la psychopathologie. Paris : Armand Colin. La psychanalyse est à la fois un procédé d’investigation des processus psychiques (via la méthode des associations libres, l’étude des rêves, etc…), une méthode thérapeutique (via la méthode cathartique, par exemple), un ensemble de savoirs sur la dynamique psychique (la métapsychologie). Un des principaux apports de l’approche psychanalytique est l’élaboration d’une théorie du fonctionnement psychique ou métapsychologie.  Le point de vue topique : Il s’agit d’une théorie qui suppose une différenciation de l’appareil psychique en un certain nombre de systèmes doués de caractères ou de fonctions différentes et disposés dans un certain ordre les uns par rapport aux autres, ce qui permet de les considérer métaphoriquement comme des lieux psychiques. On parle couramment de deux topiques freudiennes, la première dans laquelle la distinction majeure se fait entre Inconscient, Préconscient et Conscient. Quant à la seconde topique, elle différencie trois instances : le ça, le moi, et le surmoi. Page 37 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 1ère topique (1900) 2nde topique (1923) Instances Nature Instances Nature Il est séparé du reste du psychisme par Il est le siège des pulsions et des désirs une censure très forte. Il est formé de refoulés. Il a un rôle inconscient et donc sentiments, désirs ou actes dont l’accès à involontaire. la conscience est bloqué. Ces éléments Le Ça n’a pas été théorisé par Freud mais cherchent à revenir à la conscience mais par Groddeck qui le définit comme ce Inconscient Ça ils sont refoulés par la censure. qui se passe en nous et qui nous Les désirs (ou pulsions) inconscients, échappe. cherchent leur satisfaction immédiate : Il est dominé par le principe de plaisir et on dit donc que le système inconscient va rentrer en conflit avec le Moi et le est régit par le principe de plaisir. Surmoi. Il regroupe tous les éléments qui ne sont Il possède un rôle de censeur ou de juge. pas présents à la conscience de l’individu Il correspond à notre conscience morale, à un moment précis mais restent notre autocensure. Cette censure peut accessibles. Il stocke sans émettre de être consciente ou inconsciente. censure, il n’y a donc pas d’altération du Il se forme par l’intériorisation des contenu. Préconscient Surmoi interdits parentaux et des exigences Il nous permet de nous adapter à la sociales. réalité du monde extérieur, on dit qu’il Les exigences du Surmoi peuvent être est régit par le principe de réalité. Il nous très grandes ce qui peut provoquer des permet de supporter l’insatisfaction et de conflits avec le Moi et le Ça, et aussi des remettre à plus tard des actions ou des troubles de personnalité. désirs. Il est le médiateur entre le Ça, le Surmoi C’est l’élément périphérique de l’appareil et la réalité. Il se constitue psychique : il reçoit toutes les progressivement au contact de la réalité. informations extérieures et les envoie Conscient Moi Il doit composer avec les exigences des dans l’appareil psychique. Il reçoit aussi autres instances et le monde extérieur : des informations venant de l’intérieur du Le Moi est donc dominé par le principe psychisme (comme des souvenirs). de réalité. Encadré 1.9. : Les topiques freudiennes. Page 38 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017  Le point de vue dynamique Il s’agit de la théorie selon laquelle les phénomènes psychiques résultent du conflit de forces (désirs et défenses) exerçant une certaine poussée d’origine pulsionnelle et inconsciente. Les pulsions d’auto-conservation désignent La pulsion de vie (Eros) recouvre, dans la dernière l’ensemble des besoins liés aux fonctions corporelles théorie des pulsions de Freud, les pulsions sexuelles nécessaires à la conservation de la vie de l’individu. et les pulsions d’auto-conservation. Ces pulsions sont opposées aux pulsions sexuelles, Cette pulsion est opposée à la pulsion de mort dans dans la première théorie des pulsions. la dernière théorie des pulsions de Freud. Les pulsions sexuelles désignent une poussée interne La pulsion de mort (Thanatos) tend à la réduction recouvrant un champ plus vaste que celui des complète des pulsions, c’est-à-dire à ramener l’être activités sexuelles au sens courant du terme. vivant à l’état inorganique. Encadré 1.10. : Les théories des pulsions freudiennes. Le conflit psychique va entraîner un refoulement (mécanisme de défense) des éléments du conflit, voués à devenir inconscients. Certains aspects de ces éléments tendent à revenir à la conscience (retour du refoulé) sous formes de symptômes de nature diverse mais ayant du sens pour le psychisme. Définitions :  Conflit psychique : On parle de conflit psychique lorsque, dans le sujet, s’opposent des exigences internes contraires. Le conflit psychique peut être manifeste (entre un désir et une exigence morale par exemple, ou entre deux sentiments contradictoires) ou latent, ce dernier pouvant s’exprimer de façon déformée dans le conflit manifeste et se traduire notamment par la formation de symptômes, des désordres de la conduite, des troubles du caractère, etc…  Méthode cathartique : Méthode de psychothérapie analytique où l’effet thérapeutique cherché est une décharge adéquate des affects pathogènes. La cure analytique permet au sujet d’évoquer et même de revivre les événements traumatiques auxquels ces affects sont liés et d’abréagir ceux-ci.  Métapsychologie : La métapsychologie élabore un ensemble de modèles conceptuels tels que la fiction d’un appareil psychique divisé en instances, la théorie des pulsions, le processus du refoulement, etc… La métapsychologie prend en considération les points de vus topique, dynamique et économique.  Pulsion : Poussée qui fait tendre l’organisme vers un but. Elle se définit selon quatre caractéristiques : 1) sa source : excitation corporelle ; 2) son but : satisfaction par suppression de l’état de tension ; 3) sa direction : activité ; et 4) son objet : ce avec quoi ou dans quoi la pulsion cherche à se satisfaire.  Mécanisme de défense : Processus psychiques protégeant le Moi des conflits psychiques. Page 39 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Encadré 1.11. : Les principaux mécanismes de défense dans l’approche psychanalytique. In : Bioy, A., & Fouques, D.(2012). Psychologie clinique et psychopathologie. Paris : Dunod.  Le point de vue économique Il s’agit de la théorie selon laquelle il existerait une énergie circulant au sein de l’appareil psychique, permettant des investissements et désinvestissements de différents objets psychiques. Cette énergie est nommée libido. Définitions :  Libido : Energie postulée par Freud comme étant le substrat des transformations de la pulsion sexuelle. Pour aller plus loin...  Lire l’ouvrage suivant disponible dans les documents en ligne: Freud, S. (1904). Cinq leçons de psychanalyse. Paris : Editions Payot. Page 40 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 b) L’approche comportementale Ivan PAVLOV (1849-1936) était un médecin et physiologiste russe. Il a mis en évidence la théorie du conditionnement classique ou conditionnement répondant. Au cours des années 1890, Pavlov réalisa une expérience sur la fonction gastrique du chien en recueillant les sécrétions d'une glande salivaire pour mesurer et analyser la salive produite dans différentes conditions en réponse aux aliments. Ayant remarqué que les chiens avaient tendance à saliver avant d'entrer réellement en contact avec les aliments, il décida d'investiguer plus en détail ce phénomène. C'est ainsi qu'il découvrit les lois fondamentales du conditionnement classique ou répondant. Encadré 1.12. : Les étapes du conditionnement pavlovien. Page 41 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Watson est célèbre pour avoir réalisé une expérience sur le conditionnement de la peur (le cas du petit Albert) qui expliquerait le développement des phobies. Dans un premier temps, Watson présente à Albert (11 mois) une souris blanche (stimulus neutre, SN) sans déclencher chez lui d’émotion de peur (réponse neutre, RN). Dans un second temps, il représente la souris (SN) en provoquant un bruit violent (stimulus inconditionnel, SI) qui suscite une forte réaction de peur chez Albert (réponse inconditionnelle, RI). Après plusieurs essais, Albert associe la souris au bruit violent. La souris devient alors un stimulus conditionnel (SC) qui entraîne systématiquement une réponse conditionnelle de peur (RC). Le comportement de peur généré par cette expérience s’est ensuite généralisé à d’autres stimuli (lapin blanc, barbe du père Noël, etc…), ce qui a permis de mettre en évidence une des lois fondamentales du conditionnement : la généralisation. Watson souhaitait continuer l’expérience car il avait l’intuition que, s’il était possible d’apprendre un comportement phobique, il était également possible de le faire disparaître par une méthode de désensibilisation. Les parents du petit Albert, inquiets par les résultats de la première expérience, ont refusé de la poursuivre l’expérience pour ne pas perturber leur fils davantage… C’est donc Mary Cover Jones, une étudiante de Watson, qui réalisa cette expérience quelques années plus tard avec un enfant du même âge qui souffrait initialement d’une phobie similaire à celle du petit Albert (le cas de Peter). c) L’approche cognitive Le cheminement de Beck visant à élaborer une théorie cognitive de la dépression a permis d’initier le développement de l’approche cognitive des troubles mentaux.  Une phase d’observation et de théorie : Beck élabore avec ses patients, suivis en psychanalyse, les prémisses et les principes qui vont lui permettre de développer par la suite sa théorie. Beck s’est Page 42 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 intéressé à l’approche psychodynamique et à la psychanalyse au début des années 50. Il utilisait la méthode des associations libres avec les patients qu’il suivait et se référait aux théories psychanalytiques de l’époque pour comprendre ces cas. Ainsi, il pensait que la colère ressentie par le patient envers son thérapeute pendant la séance le menait directement à éprouver un sentiment de culpabilité. Colère/Agressivité Culpabilité. Lien causal direct Cependant, Beck s’interroge sur la validité de ce principe car un de ses patients lui révèle un jour avoir eu des pensées autocritiques parallèles et non exposées au thérapeute avant son sentiment de culpabilité. Colère Pensées autocritiques Culpabilité. Variables intermédiaires (= lien causal indirect) A partir de ce constat, deux questions se posent pour Beck : La méthode des associations libres garantit-elle d’avoir accès à tout ce qui vient à l’esprit des patients ? Comment 2 courants de pensée peuvent-ils co-exister simultanément ? Pour répondre à ces questions, Beck part du principe suivant : Il existe plusieurs courants de pensées qui s’écoulent parallèlement dans le flux de conscience des patients et qui appartiennent à des composantes ayant des propriétés différentes. Composante Consciente : Pensées qui s’expriment au thérapeute par les associations libres (=Mode conversationnel). Composante Pré-Consciente : Pensées généralement non rapportées au thérapeute. Ce sont des pensées automatiques particulièrement fugaces et habituellement non verbalisées à autrui (=Mode autosignalant). Afin de tester ce principe, Beck fait une petite expérience dans laquelle il propose à ces patients de noter systématiquement les pensées qu’ils ont avant d’éprouver un sentiment ou une émotion. Il remarque que si les patients s’entraînent et se concentrent suffisamment, ils sont capables d’identifier et de rapporter ces pensées automatiques. Page 43 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 Chez ses patients dépressifs, Beck remarque la prédominance de pensées négatives et pense que ces pensées sont à l’origine de leurs symptômes dépressifs. Il décrit ce qu’il va appeler la triade cognitive de la dépression dans le discours des patients déprimés. Vision de soi : self-concept négatif (« Je suis nul » ; « Je n’arrive à rien »). Vision du monde : source d’obstacles permanents (« la vie est difficile »). Vision de l’avenir : continuation de la souffrance (« ça ne s’arrangera jamais »). Pour Beck, les patients déprimés traitent l’information de manière erronée (erreurs cognitives). Beck a identifié plusieurs de ces erreurs parmi lesquelles : Abstraction sélective : il s’agit de se fixer sur un détail négatif qui masque tous les autres aspects d’une situation. (« La soirée s’est très mal passée, j’ai cassé mon verre » alors qu’il y avait une bonne ambiance). Surgénéralisation : on construit des règles pour son comportement futur à partir de quelques événements négatifs passés. (« tout le monde m’en veut »). Pensée dichotomique : Principe du tout ou rien (perte des nuances). (« Je n’ai pas réussi cet examen donc je suis nul »). Inférence arbitraire : il s’agit d’arriver à une conclusion en l’absence de preuves. (« Il ne m’a pas appelé aujourd’hui, c’est qu’il ne m’aime pas »). Catastrophisme : il s’agit de donner une proportion importante au moindre événement négatif. (« j’ai cassé un verre, c’est épouvantable »). Beck souligne la notion de schémas cognitifs= filtres à travers lesquels l’expérience est perçue et évaluée. Ces schémas sont à l’origine des pensées automatiques. Pour Beck, ces schémas sont mal conçus et irrationnels chez les déprimés. Beck tente de mettre à l’épreuve cette théorie par plusieurs expériences. Dans une première expérience, Beck remarque que les patients déprimés font davantage de rêves dans lesquels ils sont victimes d’événements désagréables (=rêves masochistes). Grâce à la méthode expérimentale et à l’élaboration d’outils standardisés (BDI), Beck va mesurer, chez un échantillon de patient, leur niveau de dépression et va prendre en compte leurs rêves. Il s’aperçoit que le groupe des patients les plus déprimés (ceux ayant un score élevé à la BDI) ont davantage de rêves Page 44 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 masochistes que le groupe de patients non déprimés. Ce résultat est en accord avec sa théorie des schémas cognitifs. Dans une seconde expérience, Beck utilise le paradigme récompense-punition. Les patients remplissent un questionnaire et l’expérimentateur fait des renforcements positifs ou négatifs en fonction des réponses. Il pose l’hypothèse que l’apprentissage des réponses punies sera plus rapide chez les déprimés par rapport aux non déprimés. Les résultats montrent que les patients déprimés sont très sensibles au feed-back mais ils reconnaissent plus rapidement les récompenses que les punitions. Ces résultats viennent infirmer l’hypothèse du « masochisme » chez les patients déprimés  Une phase d’évaluation : Beck et de nombreux chercheurs/cliniciens vont tester les principes du modèle cognitif de la dépression. Aujourd’hui, cette démarche s’est généralisée à de nombreux troubles (TAG, troubles paniques, boulimie, dépendances…). Beck a commencé à tester le modèle cognitif de la dépression. Il a ainsi testé l’hypothèse du suicide « par désespoir » (les résultats ont mis en évidence que le désespoir est le facteur déterminant des tentatives de suicide) et l’hypothèse de la négativité (l’universalité du phénomène cognitif des pensées négatives a été trouvé parmi tous les types et sous-types de dépression). Beck prend position pour le primat des symptômes cognitifs sur les symptômes affectifs, physiologiques et comportementaux chez les patients déprimés. Or, même si l’existence d’un lien entre cognition et émotion ne fait aucun doute, le sens de ce lien fait encore débat. Par ailleurs, le modèle de Beck n’appuie pas suffisamment sur le fait que les différences entre les déprimés et les non déprimés ne sont pas des différences dans la manière de traiter l’information. Beck postulait que « Les personnes ayant des troubles ont une pensée erronée différente de la nôtre ». Nous avons tous des pensées automatiques auxquelles nous adhérons, nous faisons tous des erreurs cognitives et les thèmes des pensées entre les déprimés et les non déprimés sont sensiblement les mêmes. La différence serait plutôt dans la façon de coller de manière rigide à ces pensées et dans les ruminations des patients déprimés. La différence est sans doute davantage quantitative que qualitative. Page 45 Cours de Morgiane BRIDOU Licence 1 - Année universitaire 2016-2017 d) L’approche humaniste L’approche hum

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