Cours - Chapitre 1 - Histoire de la Guerre PDF
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Ce document traite de la dimension politique de la guerre, en se concentrant sur les conflits interétatiques et en explorant l'évolution de la guerre de la période des guerres aristocratiques à l'ère moderne, tout en abordant l'influence des guerres révolutionnaires et napoléoniennes sur le concept de guerre absolue. L'analyse met en évidence la transition du concept de guerre et de politique et l'influence de facteurs technologiques et idéologiques sur le déroulement et la nature des conflits.
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CHAPITRE 1 : LA DIMENSION POLITIQUE DE LA GUERRE : DES CONFLITS INTERÉTATIQUES AUX ENJEUX TRANSNATIONAUX Jalons : La guerre, « continuation de la politique par d'autres moyens » (Clausewitz) : de la guerre de 7 ans aux guerres napoléoniennes. Le modèle de Clausewitz à l'épreuve des...
CHAPITRE 1 : LA DIMENSION POLITIQUE DE LA GUERRE : DES CONFLITS INTERÉTATIQUES AUX ENJEUX TRANSNATIONAUX Jalons : La guerre, « continuation de la politique par d'autres moyens » (Clausewitz) : de la guerre de 7 ans aux guerres napoléoniennes. Le modèle de Clausewitz à l'épreuve des « guerres irrégulières » : d'al-Qaïda à Daech. INTRODUCTION L’adage romain « qui veut la paix, prépare la guerre » rappelle l'importance stratégique de cette dernière. Théorisée par le prussien Clausewitz, la guerre ne se limite pas à de simples affrontements violents. Elle correspond à des opérations militaires aspirant à un but précis. La dimension politique de la guerre est donc fondamentale et les États qui se la livrent au XVIIIe siècle en limitent l'ampleur pour atteindre leur objectif sans trop de pertes. Toutefois, l'évolution technologique et le poids croissant des idéologies et des identités changent la manière de faire la guerre. À partir de la Révolution, elle oppose des nations et tend à devenir « absolue » ou totale. Au XXIe siècle, elle est le plus souvent irrégulière, asymétrique et implique des acteurs non étatiques. En quoi les enjeux politiques de la guerre ont-ils basculé d'une opposition entre États à des conflits transnationaux ? Dans un premier temps, nous verrons que les guerres interétatiques demeurent limitées aux XVIIIe-XIXe siècles, puis nous étudierons l'explosion de la violence dans les guerres du XXe siècle. Enfin, nous aborderons la remise en cause du modèle de guerres entre États à la fin du XXe siècle. I] La guerre aux XVIIIe et XIXe siècles : de la guerre limitée à la guerre de masse A) Des conflits entre États limités par des objectifs politiques 1) D'une guerre aristocratique limitée à une guerre moderne Au Moyen-Âge, en Europe, la guerre est aristocratique. Elle est aux mains d’un groupe de combattants, la noblesse, qui forme aussi l’élite politique du royaume. ◦ En effet, les royaumes sont morcelés et ne sont pas totalement contrôlés par leur roi, qui partage le pouvoir militaire avec les différents seigneurs et princes, qui défendent aussi leurs intérêts. Autrement dit, les rois n’ont pas le monopole de la guerre. A partir de la fin du Moyen-Âge et au cours de l'époque moderne, la construction des États modernes amène à une transformation majeure de la place des armées. La guerre devient un monopole des États et de leurs souverains. ◦ Les armées deviennent permanentes et sont composées de professionnels : les mercenaires. ◦ Elles obéissent directement aux rois, qui affirment ainsi leur supériorité sur la noblesse et peuvent utiliser la force pour mettre en place leur politique. 2) Le poids de la politique dans la guerre moderne : les écrits de Clausewitz Avec la modernisation des armées, la guerre devient un outil politique et la dimension stratégique se développe. Les réflexions théoriques sur la guerre et la stratégie se multiplient. Ainsi, l'officier prussien Carl von Clausewitz (1780-1831) rédige un traité intitulé De la guerre publié après sa mort dans les années 1830. ◦ Il a longue expérience militaire et s'inspire des conflits auxquels il a participé pour théoriser la guerre. Il est ainsi présent à la bataille de Valmy à l'âge de 12 ans, puis rejoint l'armée russe en 1812 pour lutter contre les Français et participe à la bataille de Waterloo. Son père a également participé à la guerre de Sept Ans dans les rangs de la Prusse. ◦ Son ouvrage inachevé devient un classique de la théorie stratégique moderne. Ses idées qui inspirent les pratiques militaires jusqu'au début du XXe siècle et demeurent célèbres aujourd'hui. 1 Activité - Le modèle clausewitzien de la guerre – Méthode de l’étude do document 3) La guerre de Sept Ans (1756-1763), une illustration du modèle clausewitzien de la guerre Activité - La guerre de Sept Ans correspond-elle au modèle clausewitzien de la guerre ? Bilan : La guerre de Sept ans est la première guerre mondiale au lourd bilan humain et ayant des conséquences stratégiques catastrophiques pour la France. Pour cette raison, certains historiens comme Pierre Serna, la considèrent déjà comme une guerre absolue. Toutefois, elle reste avant tout selon Clausewitz une illustration de la guerre réelle limitée : le but des puissances en guerre n'est pas l'anéantissement total de l'adversaire, mais de défendre au mieux ses intérêts politiques. B] Le tournant des guerres révolutionnaires et napoléoniennes : vers la guerre absolue Pour Clausewitz, les guerres révolutionnaires et napoléoniennes entre 1792 et 1815 constituent un tournant. Elles incarnent le passage d'une guerre aristocratique à une guerre de masse ; d'une guerre réelle à une guerre absolue. La mobilisation est massive et les armées ne sont plus composées uniquement de soldats professionnels. ◦ En 1792, lorsque la France révolutionnaire est envahie par les monarchies voisines, 200 000 volontaires prennent les armes pour sauver « la patrie en danger ». Puis en 1793, la « levée en masse » permet de faire passer l’armée française passe de 200 000 à 800 000 homes en moins d’une année. ◦ Napoléon, au pouvoir entre 1799 et 1815 a recours à la conscription, c’est-à-dire au service militaire obligatoire et parvient à enrôler plus de 650 000 hommes dans sa « Grande armée ». L'objectif n'est pas de servir les intérêts politiques d'un souverain : les armées révolutionnaires, puis napoléoniennes combattent pour défendre des idéaux et souhaitent donc anéantir leurs ennemis. Il s’agit de faire triompher les principes de 1789 comme la liberté et de les exporter dans toute l'Europe. C’est par exemple le cas du Code civil français imposé aux États vassaux sous Napoléon. Le sentiment national est fort dans ces armées : c'est la Nation qui combat pour défendre ses propres intérêts et non plus des soldats professionnels au service d'un souverain. Par exemple, lors de la période révolutionnaire, la « Nation en armes » lutte pour la défense de la République. Bilan : La guerre de Sept ans est la première guerre mondiale au lourd bilan humain et ayant des conséquences stratégiques catastrophiques pour la France. Pour cette raison, certains historiens comme Pierre Serna, la considèrent déjà comme une guerre absolue. Toutefois, elle reste avant tout selon Clausewitz une illustration de la guerre réelle limitée : le but des puissances en guerre n'est pas l'anéantissement total de l'adversaire, mais de défendre au mieux ses intérêts politiques. C’est une « guerre classique », c’est-à-dire une guerre entre États s’appuyant sur des armées permanentes, de dimensions réduites, constituées de professionnels de la guerre (mercenaires) et soumises à l’autorité du souverain B] Le tournant des guerres révolutionnaires et napoléoniennes : vers la guerre absolue Pour Clausewitz, les guerres révolutionnaires et napoléoniennes entre 1792 et 1815 constituent un tournant. Elles incarnent le passage d'une guerre aristocratique à une guerre de masse ; d'une « guerre réelle et limitée » à une « guerre absolue ». - La mobilisation est massive et les armées ne sont plus composées uniquement de soldats professionnels. Ainsi, en 1792, lorsque la France révolutionnaire est envahie par les monarchies voisines, 200 000 volontaires prennent les armes pour sauver « la patrie en danger ». Puis en 1793, la « levée en masse » permet de faire passer l’armée française passe de 200 000 à 800 000 homes en moins d’une année. De plus, Napoléon, au pouvoir entre 1799 et 1815 a recours à la conscription, c’est-à-dire au service militaire 2 obligatoire et parvient à enrôler plus de 650 000 hommes dans sa « Grande armée ». - L'objectif n'est pas de servir les intérêts politiques d'un souverain : les armées révolutionnaires, puis napoléoniennes combattent pour défendre des idéaux et souhaitent donc anéantir leurs ennemis. Il s’agit de faire triompher les principes de 1789 comme la liberté et de les exporter dans toute l'Europe. C’est par exemple le cas du Code civil français imposé aux États vassaux sous Napoléon. - Le sentiment national est fort dans ces armées : c'est la Nation qui combat pour défendre ses propres intérêts et non plus des soldats professionnels au service d'un souverain. Par exemple, lors de la période révolutionnaire, la « Nation en armes » lutte pour la défense de la République. Toutefois, ces mutations ne doivent pas être surévaluées. D’abord, la guerre poursuit des buts politiques, et reste un instrument : à la survie d’abord (guerres défensives), puis à la volonté d’étendre un modèle politique (constitutions et lois imposées aux pays vaincus). Ensuite, si les soldats sont plus nombreux, les moyens employés demeurent similaires : les stratèges suivent des théories militaires d'Ancien régime et les évolutions dans l'armement restent limitées. Enfin, la guerre est soumise au « brouillard de guerre » : l’hiver russe en 1812, la guérilla qui s’oppose à l’armée française en Espagne (ce que Clausewitz appelle la « petite guerre »). L'ardeur au combat des citoyens-soldats, enfin, s’émousse au fil des campagnes. C] Un équilibre des forces perturbé par l'essor du nationalisme (1815-1914) Après la chute de Napoléon et l'effondrement de l'empire, le Congrès de Vienne instaure en 1815 un équilibre des forces en Europe : la cohabitation de plusieurs États avec une puissance militaire plus ou moins comparables limitent les conflits et favorisent la stabilité du continent1, épicentre de la guerre au XVIIIe. Cette approche diplomatique permet une paix relative jusqu'en 1914 : peu de conflits interétatiques. Toutefois, l'essor du nationalisme perturbe cet équilibre. Ainsi, la naissance du sentiment national favorise l'émergence des guerres intraétatiques : les jeunes nations, peu à peu conscientes de former une communauté, souhaitent se doter d'un État qui leur est propre, un Etat-nation, et se soulèvent contre les empires qu'elles composent. Par exemple, dans les Balkans, des affrontements sanglants éclatent contre l'Empire ottoman, marquant la résistance des groupes nationaux de la région face à la domination ottomane. À la suite de ces conflits, ces jeunes nations s'affrontent pour établir des États indépendants. L'objectif est de créer des frontières qui coïncident avec les régions de peuplement, donnant naissance à l'idée d'un État par nation. Cela conduit à l'émergence d'États-nations tels que la Grèce, la Roumanie, la Serbie, ou la Bulgarie. Ainsi, les guerres balkaniques font plus de 120 000 morts à la veille de la 1ère GM (1912-1913). Par ailleurs, le nationalisme place l'intérêt national au-dessus des intérêts des autres nations et encourage les États européens à affirmer leur puissance et agrandir leur territoire aux dépens des autres peuples, ce qui est source de conflit. Ainsi, les États-nations européens mènent des guerres coloniales en Asie et en Afrique : ils placent ainsi leurs intérêts au-dessus de ceux des peuples qu'ils colonisent. Par exemple, sous le règne de la reine Victoria (1837-1871), la Grande-Bretagne mène près de 63 guerres coloniales. Entre 1880 et 1914 l’Allemagne lance près de 30 campagnes militaires afin de se constituer un empire colonial. Par ailleurs, la guerre franco-prussienne de 1870-1871 résulte de tensions nationalistes entre la Prusse, souhaitant unifier les États allemands et la France s’y opposant. La défaite militaire française entraine la perte de l'Alsace-Lorraine pour la France. Même si le XIXe siècle connait une relative stabilité en Europe, le continent est touché par plusieurs conflits qui marquent l'entrée progressive dans l'ère de la guerre industrielle, caractérisée par une hausse des effectifs, un perfectionnement incessant des armes et l'utilisation du chemin de fer pour transporter les troupes. II] L'industrialisation de la guerre au XXe siècle, vers une violence sans limite ? A) Les deux conflits mondiaux : des guerres totales qui poussent la violence à son paroxysme 1 Henry Kissinger, « le nouvel ordre mondial », Diplomatie, 1994, pp.11-13 3 L’entrée dans le XXe siècle marquée par deux conflits sans précédents ; la première et la deuxième guerre mondiales qui partagent caractéristiques communes : - des guerres interétatiques : des coalitions d’États s’affrontent : l’Entente (France, Angleterre, Russie puis Etats-Unis) contre les Empires centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie et Empire ottoman) pour la PGM, les Alliés contre l’Axe pour la SGM. - des guerres de masse. Par exemple : 1,2M de combattants présents lors de la bataille de Verdun en 1916 contre seulement 75 000 lors de la bataille de Rossbach durant la guerre de Sept Ans. - des guerres mondiales : conflit au départ européen, puis internationalisation : champs de bataille sur tous les continents ; entrée en guerre des EU décisive lors de la 1ère comme de la 2nde guerre mondiale. - des guerres totales : toutes les ressources disponibles sont utilisées (économiques, humaines, financières, morales) pour la victoire Le caractère total de ces guerres s'explique, selon modèle clausewitzien, par les objectifs recherchés, qui transcendent de simples intérêts politiques. D’une part, la Première Guerre mondiale oppose des États- nations, qui placent la défense de la nation comme objectif suprême de la guerre. D’autre part, la Seconde Guerre mondiale est une guerre idéologique dans laquelle deux modèles s'affrontent : - les forces de l'Axe (Allemagne, Italie, Japon) défendent une vision impérialiste, nationaliste et raciste du monde. Les nazis veulent ainsi assurer la domination durable de « la race aryenne » sur les peuples considérés comme inférieurs et sur les bolcheviks et rassembler les peuples germanophones sur « un espace vital ». De leur côté, les Japonais cherchent à dominer l'Asie. - les Alliés justifient leur combat au nom des valeurs de la démocratie et défendent la liberté et l'égalité entre les peuples. La guerre prend ainsi une dimension culturelle : une culture de guerre, construite sur la propagande et la censure, diabolise l'ennemi et se charge de créer une opinion publique favorable à la guerre. Dans les deux cas, les belligérants sont prêts à tout pour l'emporter et détruire l'adversaire. C'est pourquoi ils n'hésitent pas à enclencher une guerre totale qui mobilise toutes leurs ressources. Cette guerre totale est facilitée et rendue possible par les avancées technologiques et industrielles. - L’industrialisation améliore les capacités de production des États dont les gouvernements réquisitionnent des entreprises pour produire des armes. Par exemple, les entreprises automobiles Ford et Chrysler aux Etats-Unis et Renault en France commencent à produire des chars d'assaut, des avions ou des obus. - L'armement est de plus en plus puissant et les États investissent massivement dans la recherche pour se doter d'armes de destruction massive comme le gaz, les avions ou les chars de combat. Ainsi, les premières armes chimiques sont développées pendant la Première GM. Par exemple, la bombe atomique est mise au point lors de la Seconde GM, en juillet 1945 par les Américains avec budget de recherche de plus de deux milliards de dollars. Les conséquences de ces guerres mondiales sont catastrophiques sur le plan humain et transforment le rapport à la guerre. à La mort est industrialisée et la guerre change d'échelle : environ 10 millions de morts pour la Première Guerre mondiale, 50 millions de morts durant la Deuxième Guerre mondiale contre 3 millions durant les guerres napoléoniennes. à La distinction entre combattants et non-combattants s'estompe. à La conscription conjuguée à un fort sentiment national conduit à une mobilisation massive des civils lors de la Première GM. En France, par ex, tous les hommes ayant entre 17 et 48 ans sont envoyés au Front soit près de 8 millions d'hommes. Lors de la SGM, la mobilisation des combattants est encore plus massive. Près de 87 millions d’hommes sont mobilisés (URSS : 34,5 contre 17 M; EU: 16,3 contre 4,2 ; Allemagne: 17,9 contre 13,2). En manque de soldats, les Allemands font combattre les enfants des Jeunesses hitlériennes en 1945 à Berlin. à La Seconde guerre mondiale est une guerre d'anéantissement, dans laquelle les civils sont les principales victimes. Ils représentent plus de 60% des pertes humaines de la 2e GM, contre seulement 5% de la Première GM). Les civils deviennent des cibles à frapper pour briser le moral de l'ennemi. Les Japonais 4 réduisent en esclavage les populations des territoires colonisés et massacrent les civils comme lors du massacre de Nankin en Chine en 1937 lors duquel dizaines de milliers de personnes sont tuées. L’Allemagne nazie organise génocide des juifs et des Tsiganes qui fait plus de 6 millions de morts. Pour vaincre Axe, les Alliés mènent des bombardements stratégiques sur les villes allemandes et japonaises. Le bombardement de la ville de Dresde en Allemagne en 1945 entraine la destruction massive de la ville et la mort de plus de 70 000 personnes. Les bombes atomiques lâchées sur Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945 cause la mort de plus de 100 000 personnes. En résumé, d'après le modèle clausewitzien, les deux conflits mondiaux du XXe siècle sont des guerres absolues au cours desquelles l'industrialisation a conduit à une violence sans précédent. B) La dissuasion nucléaire limite les guerres interétatiques durant la guerre froide (1947-1991) 1- La dissuasion nucléaire change le rapport à la guerre Les avancées technologiques n'induisent pas forcément plus de violences. L'arme atomique, par exemple, transforme le rapport à la guerre : il ne s'agit plus de détruire l'ennemi, mais de le menacer de cette destruction. Tout conflit armé direct entre puissances détenant la bombe nucléaire est rendu impossible : si l'une d'elle l'utilise, l'autre ripostera et le monde entier risque d'être détruit. Cette menace crée donc un équilibre de la terreur et empêche des Etats en conflit de s'affronter directement. Ce principe de dissuasion nucléaire est résumé dans cette formule du philosophe Raymond Aron à propos de la guerre froide : « paix impossible, guerre improbable » La dissuasion nucléaire explique la baisse des conflits interétatiques durant la deuxième moitié du XXe siècle, à l'exception du Moyen-Orient : guerres israélo-arabes et guerre Iran-Irak (1980-1988), première guerre du Golfe (voir chapitre conclusif). 2 - La guerre froide est une guerre idéologique et de puissance limitée. Ainsi, la possession de l'arme atomique par les deux grands vainqueurs de la 2nde GM (1945 pour EU, 1949 pour URSS) empêche un affrontement direct malgré de fortes oppositions. Dès 1947, EU et URSS s'opposent. Ils affirment leur puissance et cherchent à imposer leur modèle idéologique au reste du monde. La confrontation directe étant impossible, Etats-Unis et URSS s'affrontent par d'autres moyens pour imposer leur modèle idéologique : - ils se lancent dans une compétition technologique et industrielle : les deux superpuissances mènent une course à l'Espace et une course à l'armement rythmées par un jeu de surenchère. - ils mènent également une guerre de l'information, basée sur une propagande active qui utilise notamment le cinéma et les séries. Par exemple, la série de films américains James Bond met ainsi en scène un espion britannique qui se confronte à plusieurs reprises à des ennemis soviétiques. Ex : du côté soviétique, la série « Dix-sept Moments de Printemps » devient culte en URSS et diabolise les espions américains en imaginant un rapprochement entre l'Allemagne nazie et la CIA. Les deux camps se diabolisent mutuellement et chacun défend son modèle politique et économique : démocratie et capitalisme à l'Ouest, communisme à l'Est. C) Une augmentation significative des guerres civiles liée à la logique bipolaire durant la guerre froide L'absence d'affrontements directs entre les deux Grands n'empêche toutefois pas les conflits armés au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Dans un contexte de décolonisation, des guerres civiles déchirent les jeunes États divisés entre partisans du communisme et ceux du bloc de l'Ouest. ◦ La guerre de Corée oppose communistes et libéraux entre 1950 et 1953. ◦ Dans le Vietnam nouvellement indépendant, les partisans d'Hô Chi Minh au Nord combattent les Vietnamiens alliés aux Américains au Sud, entre 1954 et 1975. Etats-Unis et URSS profitent de ces conflits périphériques pour s'affronter indirectement : ◦ La Corée du Nord est soutenue par l'URSS et la Chine, tandis que la Corée du Sud est soutenue par les Américains. ◦ Au Vietnam, Les Etats-Unis déploient leur armée (+ de 500 000 hommes) pour soutenir le Vietnam 5 du Sud et éviter la propagation du communisme, tandis que l'URSS et la Chine soutiennent le Nord communiste. ◦ L'URSS occupe l'Afghanistan (1979-1989) pour soutenir le régime communiste en place ; tandis que les Etats-Unis arment et forment les rebelles moudjahidin, ennemis des soviétiques. La fracture idéologique qui divise le monde en deux camps se répercute donc sur les guerres d'indépendance et les guerres civiles Cette conjoncture, combinant guerres civiles et conflits périphériques entre les deux Grands transforme la manière de s'affronter. Les guerres non conventionnelles, ou irrégulières favorisent les guérillas : ce ne sont pas 2 armées qui se font face mais des groupes armés mobiles qui mènent des opérations d'embuscade et d'harcèlement. Les armées régulières doivent donc faire face à des ennemis invisibles. ◦ Des conflits locaux intraétatiques prennent des dimensions globales : ils s'internationalisent avec l'intervention indirecte des Etats-Unis et de l'URSS. Ces conflits ont de lourdes conséquences : ◦ Certains États sont divisés en deux en fonction de leur idéologie. Ex : Allemagne de l'Ouest - Allemagne de l'Est (1949-1990) ; Vietnam du Nord et Vietnam du Sud entre 1954 et 1975 ; Corée du Nord / Corée du Sud jusqu'à nos jours. ◦ L'utilisation de nouvelles armes pour combattre un ennemi invisible a des répercussions sur civils et le bilan humain de ces conflits est parfois très lourd. Par exemple, La guerre du Vietnam est considérée plus grande guerre chimique de l'histoire. Elle est marquée par des bombardements au napalm, substance incendiaire, et le déversement d'herbicides toxiques tels que l'agent orange sur les forêts et les récoltes pour dégarnir les forêts, détruire les récoltes et ainsi repérer l'ennemi et le priver de ressources. Elle cause la mort de plus de 2 millions de personnes et engendre de graves conséquences sanitaires pour des millions de Vietnamiens sur plusieurs générations, notamment des maladies sévères, des fausses couches, des handicaps et des malformations. Cette guerre est souvent désignée comme la « sale guerre » des Américains, ternissant durablement leur image. III] De 1991 à nos jours, une complexification des logiques de guerre Le grand bouleversement de l’après-guerre froide est le recul des guerres interétatiques. Le modèle de Clausewitz est alors grandement fragilisé, puisqu’il n’a pas pensé les formes nouvelles de conflits irréguliers ; il avait pensé la « petite guerre », mais l’estimait efficace seulement si encadrée par une armée régulière. Ces nouveaux conflits, échappant en partie à la pensée de Clausewitz, s’expliquent différents facteurs. A) De nouveaux facteurs de conflits Avec la fin de la guerre froide, l’espoir d’une paix durable renaît. L'effondrement de l'URSS marque la victoire des Etats-Unis, désormais seule hyperpuissance. En 1989, le politiste américain Francis Fukuyama y voit « la fin de l’Histoire » : puisqu’il n’y a plus qu’une idéologie, le libéralisme, les conflits vont s’arrêter. Mais la fin de la guerre froide est marquée par l'essor de nouvelles conflictualités, basées sur le réveil des identités. Les conflits idéologiques laissent place à conflits de davantage identitaires. 1) Le facteur religieux : l'émergence de l'islamisme dans le monde musulman Ce réveil des identités se manifeste dans le monde musulman par l'essor de l'islamisme. Né à la fin du XIXe siècle, l'islamisme est une doctrine qui souhaite que toute la vie politique et sociale d'un pays soit fondée sur la loi islamique (la charia). Autrement dit, il s’agit d’un mouvement politique qui considère que la religion musulmane doit organiser l'Etat et la société. Au cours des années 1980-2000, l'islamisme se développe et se radicalise. En Iran, la révolution populaire de 1979 porte au pouvoir l'ayatollah Khomeiny, 6 qui instaure une république islamiste, farouchement opposée aux Etats-Unis et à Israël. Par ailleurs, de multiples groupes et partis islamistes sont créés au Moyen-Orient. C’est le cas des Frères musulmans en Egypte depuis 1928, Ennahda en Tunisie en 1981, le Hezbollah au Liban en 1982, le Hamas dans les territoires occupés palestiniens depuis 1987, Al-Qaïda en 1987, l'AKP en Turquie depuis 2001, Boko Haram au Nigeria en 2002 (exposé), Daesh 2006 en Irak...). Les plus extrémistes se rattachent à la branche du djihadisme : ils prônent l'utilisation de la violence pour instaurer un État islamique et engager une guerre sainte contre l'Occident et contre les musulmans qui ne partagent pas leurs convictions. C'est le cas d'Al-Qaïda ou de Daesh. 2) La résurgence des nationalismes en Europe En Europe, les nationalismes resurgissent et entraînent la dislocation de l'URSS et de la Yougoslavie. Dans les États issus de l'ex-Yougoslavie, les communautés se déchirent : c’est le retour de la guerre en Europe. Par exemple, en Bosnie, entre 1992 et 1995, une guerre civile oppose les Croates (catholiques), les Serbes (orthodoxes) et les Bosniaques (musulmans) et prend la forme d'une épuration ethnique. Des crimes de guerre (massacres, viols, pillages) et des déplacements de populations sont réalisés contre un groupe ethnique pour les chasser d'un territoire. 3) Les conflits identitaires en Afrique Le continent africain est touché par des conflits identitaires particulièrement sanglants. Au Rwanda, en 1994, l’ultranationalisme hutu conduit au génocide des Tutsis : un million de Tutsis sont massacrés en seulement 3 mois. (voir exposé) 4) Les facteurs socio-économiques La piraterie se développe depuis les années 1980. Elle s’explique à la fois par l’aggravation de la pauvreté dans certaines régions d’Asie et d’Afrique et par l’accroissement du trafic maritime mondiale. Elle vise les passage étroits et fréquentés comme le détroit de Malacca ou le golfe d’Aden. En réponse à une forte demande internationale de drogues couplée à des inégalités socio- économiques, des cartels de la drogue se sont constituées en Amérique latine. Par exemple, au Mexique « la guerre contre la drogue » débute officiellement en 2006 sous le président Felipe Calderón. Elle oppose l'État mexicain à divers cartels de la drogue. Cette lutte a entraîné une augmentation significative des violences, des milliers de morts et de disparus, tout en mettant en lumière la corruption profonde au sein des institutions publiques et des forces de l'ordre. Des « guerre climatique », guerre de l'eau ? Expressions à nuancer parce qu'elles peuvent sous- entendre que l'eau ou le climat sont les seules causes directes de conflits armés, alors que la réalité est souvent plus complexe. Si les ressources en eau ou les changements climatiques peuvent aggraver les tensions existantes, les conflits ont généralement des racines multifactorielles, incluant des enjeux politiques, économiques, ethniques ou territoriaux. VOCABULAIRE : - Épuration ethnique : pratique visant à éliminer délibérément, par la violence ou l'expulsion un groupe ethnique, religieux ou racial d'un territoire dans le but d'y établir une homogénéité ethnique. Elle peut prendre la forme de massacres, déplacements forcés, persécutions, viols. B) Des guerres de plus en plus irrégulières et transnationales Le réveil des identités et volonté d'instaurer ordre mondial bâti sur la sécurité collective, c’est-à-dire un mécanisme par lequel chaque État s'engage à collaborer pour assurer la sécurité de tous, considérant qu'une menace contre un État constitue une menace contre l'ensemble de la communauté internationale, conduisent 7 à de nouvelles conflictualités. Les guerres sont de plus en plus irrégulières et intraétatiques. Ainsi, sur 73 conflits ayant eu lieu entre 2002 et 2011, seuls 4 étaient interétatiques (Inde/Pakistan ; Irak/EU ; Djibouti/Érythrée ; Cambodge / Thaïlande). Elles impliquent des acteurs non étatiques : rebelles, pirates, groupes terroristes qui n’appartiennent pas à une armée régulière d’un Etat. Ces nouveaux acteurs remettent en cause la puissance traditionnelle des Etats. Le caractère irrégulier de ces conflits a plusieurs conséquences. - Les guerres sont asymétriques. Le rapport de force est inégalitaire, notamment du fait d'un accès à la technologie différencié. Ainsi, les grandes puissances militaires misent sur la cyberguerre, le renseignement satellitaire, la militarisation de l'espace, les robots-combattants, les drones, les exosquelettes pour préserver les soldats. Elles déploient des forces importantes, mais les combattants ne représentent qu'une petite partie des effectifs, puisque l'essentiel s'occupe désormais de la logistique. Elles défendent une nouvelle manière de s'affronter, basée sur une technologie poussée, qui permettrait de mener des guerres « zéro mort ». La stratégie des groupes « irréguliers », fondée sur l’asymétrie des acteurs et l’évitement de l’affrontement frontal avec l’armée régulière, modifie la géographie des conflits. Elle les oblige à trouver des zones refuges à l’abri des représailles et pour leur servir de base arrière, et elle les conduit souvent à s’affranchir des frontières nationales, pouvant se déployer sur les territoires de plusieurs États. Autrement dit, ces guerres asymétriques sont désormais « sans front » et « sans frontière ». L’existence de ces acteurs « irréguliers » entraîne ainsi l’apparition de « zones grises », c’est-à-dire des territoires qui échappent au contrôle de leur État puisqu’ils passent au contraire sous le contrôle de ces acteurs ; c’est une forme de privatisation illégale d’un territoire. Ces « zones grises » permettent aux groupes qui en ont pris le contrôle de mettre la main sur des ressources, ce qui est essentiel pour être en capacité de se financer. Les « zones grises » sont de plusieurs types : – De type guérilla, par exemple en Colombie (exposé) avec les territoires contrôlés à l’intérieur du pays par les FARC (« Forces armées révolutionnaires de Colombie », une guérilla marxiste créée en 1966). Malgré un accord de paix signé avec le gouvernement en 2016 après de longues et laborieuses négociations, les affrontements ont repris en 2019. Pour financer leurs combats, les FARC se sont lancés très tôt dans les enlèvements d’hommes politiques et de personnalités (parfois aussi des assassinats) mais aussi, à partir des années 1980, dans le narcotrafic (cultures de la coca). – De type terroriste, par exemple dans le Sahel parcouru depuis les années 2000 par diverses mouvances islamistes, la plupart liées à « Al-Qaïda » et la plus active aujourd’hui étant « AQMI » (« Al-Qaïda au Maghreb islamique », née en 2007). Les États sahéliens les plus touchés sont la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad. C’est une conséquence indirecte de la guerre civile algérienne dans les années 1990. Au début des années 2000, les rebelles islamistes algériens, à la recherche de bases arrière, se sont repliés dans le Sahel et ont commencé à y diffuser un islamisme radical et à recourir au terrorisme (prises d’otages, assassinats, attaques armées, trafics…). Ils ont par ailleurs donné naissance à une multitude d’organisations terroristes, dont certaines ont fusionné et ont rapidement fait allégeance à « Al-Qaïda ». Le Mali (exposé) fait partie des États particulièrement touchés : les islamistes avaient réussi à s’emparer de la moitié du pays, notamment Tombouctou et Gao, avant d’en être chassés par la France. – De type mafieux, lorsque la « zone grise » fonctionne essentiellement comme un territoire exploitant une ressource pour s’enrichir illégalement. C’est le cas aujourd’hui du « triangle d’or » en Asie orientale, territoire situé aux confins du Laos, de la Birmanie et de la Thaïlande, deuxième zone mondiale de production d’opium. – De type maritime dans le cas de la piraterie maritime (voir chapitre 1). Les « zones grises » participent ainsi à l’affaiblissement des États, dont certains deviennent des « Etats faillis » quand une importante partie de leur territoire n’est plus sous contrôle. Plus de 80 % de ces États se situent aujourd’hui en Afrique, comme la Somalie, le Soudan ou la République Démocratique du Congo. VOCABULAIRE : - Cyberguerre : attaque électronique contre des systèmes informatiques pour les utiliser comme moyen de propagande et de désinformation, ou pour paralyser les activités vitales d'un pays ou d’un acteur non-étatique. 8 C) L'essor du terrorisme Dans le cadre de ces guerres irrégulières, le terrorisme se développe. Il s’agit d’un mode d'action violent utilisé par des groupes armés afin d'exercer une pression sur leurs adversaires. Dans les années 1960-1990, le terrorisme est surtout utilisé à des fins politiques par différents groupes émanant de partis politiques. Ex : le PKK en Turquie (exposé), l'IRA en Irlande du Nord, l'ETA dans le pays basque, les groupes palestiniens contre Israël, l'ANC contre le régime d'apartheid en Afrique du Sud etc. Si le cadre traditionnel de la guerre est dépassé, le modèle clausewitzien s'y applique toutefois. En effet, la violence est utilisée, de manière raisonnée, afin d'atteindre un but politique. Cet objectif atteint, le terrorisme cesse. 1) Le terrorisme islamiste : d’Al-Qaïda à Daesh Activité – Le terrorisme islamiste : d’Al-Qaïda à Daesh (Daech) Le terrorisme islamiste, qui connaît un essor important ces dernières années, est de nature différente. ◦ Al-Qaïda et Daesh, et les groupes qui y sont affiliés, fonctionnent en réseau. Ce sont des acteurs transnationaux : ils recrutent leur membre dans le monde entier et de nombreux groupes leur prêtent allégeance (ex : Boko Haram a prêté allégeance à Daech). ◦ Les actions menées par ces organisations relèvent des guerres irrégulières. Elles n’opèrent pas de distinction entre les populations civils et militaires, tant dans le recrutement des combattants que dans les cibles choisies. ◦ Les guerres menées par ces organisations dépassent les enjeux politiques : ils veulent instaurer des régimes islamistes et imposer leur vision du monde. L'objectif est donc d'anéantir l'adversaire et aucune négociation n'est possible. VOCABULAIRE : - Charia : loi islamique codifiant l’ensemble des droits et des devoirs tant individuels que collectifs des musulmans. Elle est basée sur un ensemble de principes et de lois tirés du Coran, des Hadiths (dits et faits du prophète Mahomet) et des jurisprudences islamiques. Elle est appliquée de façon plus ou moins strictes dans les pays musulmans. 2) La riposte au terrorisme islamiste : une nouvelle forme de guerre ? De nombreux acteurs, au premier rang desquels les États, sont confrontés aux guerres irrégulières des groupes terroristes. Ils y répondent de manières diverses : a) La lutte contre Al-Qaïda Après les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par Al-Qaida, les États-Unis forment une coalition internationale pour éliminer Al-Qaida et renverser le régime taliban en Afghanistan, accusé de protéger l’organisation terroriste. Invoquant le droit à la légitime défense, les Etats-Unis reçoivent le soutien du Conseil de sécurité de l'ONU. Les interventions de la coalition ont pu sembler relever de la guerre classique : interventions d'armées régulières, coalitions, objectif militaire précis. Cependant, il ne s’agit pas d’une guerre État contre État. Le pouvoir Afghan a été accusé de protéger Al-Qaïda, mais n’est pas Al-Qaïda. Les combattants du groupe terroriste se sont réfugiés dans des pays voisins, notamment le Pakistan où il était impossible d’intervenir militairement classiquement. Ils ont employé des techniques de guérilla pour faire face : il s’agit donc d’une guerre asymétrique. Par ailleurs, les Etats-Unis ont également employé des techniques irrégulières et non conventionnelles : absence de déclaration de guerre (Al-Qaïda n’étant pas un État), recours à drones ou à des unités spéciales pour neutraliser des responsables de l’organisation (ex : assassinat de Ben Laden en 2011), traitement 9 particulier des prisonniers terroristes différents des prisonniers de guerre (enfermés par les États-Unis à Guantanamo, torturés, etc.), recours à des sociétés militaires privées (Blackwater). En résumé, la qualification de guerre est donc ici très discutable. Toutefois, plusieurs concepts de Clausewitz restent cohérents, comme le « brouillard de guerre ». b) La lutte contre Daesh La lutte contre Daesh interroge elle aussi la validité du modèle de Clausewitz. Plus qu’une guerre asymétrique, la lutte des Occidentaux contre Daesh fait d’abord figure de guerre hybride, c’est-à-dire un conflit qui allie des opérations de guerre conventionnelle, de guerre asymétrique et de cyberguerre. En effet les combattants de Daesh sont davantage organisés que ceux d’Al Qaïda : en 2014 Daesh s’estimant à la tête d’un véritable État, est à la tête d’une armée de 18.000 hommes difficile à qualifier. Selon l'historien Stéphane Mantoux : « militairement, Daesh est un objet inclassable, hybride pour les spécialistes : ni guérilla ou insurrection, ni armée régulière, mais une tactique qui se situe quelque part entre les deux ». Dans cette guerre, il y a donc bien un « front » identifiable, même si la pluralité des acteurs engagés le brouille : occidentaux, Russie, Turquie, pouvoir syrien, combattants kurdes, etc. Toutefois dès 2015, en réponse à ces attaques, la riposte de Daesh s’internationalise par les recours au terrorisme. Cette guerre hybride devient de plus en plus irrégulière, à mesure que Daesh perd du territoire. La disparition du Califat en 2019 a achevé de faire de ce conflit une « guerre asymétrique ». D’autant que les occidentaux eux-mêmes ont employés de nouveaux moyens irréguliers : aux drones s’est rajoutée la cyberguerre, c’est-à-dire l’attaque électronique contre des systèmes informatiques pour les utiliser comme moyen de propagande et de désinformation, ou pour paralyser les activités vitales d'un pays ou d’un acteur non-étatique. Cette forme de « combat » échappe totalement à l’analyse de Clausewitz. Ce conflit fragilise enfin l’affirmation de Clausewitz quant à la finalité politique de la guerre : la victoire militaire (réelle) des coalitions occidentales ne se transforme pas en succès politique. Daech, même sans califat, continue de terroriser une partie du monde (notamment l'Europe) en revendiquant les attentats de cellules indépendantes. La victoire militaire n’a pas totalement abouti aux objectifs espérés. Toutefois, des éléments du modèle de Clausewitz restent valables : objectif politique (des Occidentaux : imposer la démocratie libérale, détruire Daech, etc.), montée aux extrêmes (les Occidentaux visent l'éradication de l'ennemi : bombardements, assassinats de Ben Laden en 2011 puis de al-Baghdadi en 2019 VS cruauté et attentats des terroristes contre les « infidèles »). VOCABULAIRE : - Talibans : membres d’un mouvement islamiste qui dirige l’Afghanistan à partir de 1996, jusqu’à l’arrivée des Etats-Unis en 2001. Ils ont caché Ben Laden et abrité des camps d’entrainement d’Al-Qaida. - Drone : engin mobile, sans équipage embarqué, programmé ou télécommandé, et qui peut être réutilisé. - Guerre hybride : conflit qui allie des opérations de guerre conventionnelle, de guerre asymétrique et de cyberguerre. - Cyberguerre : attaque électronique contre des systèmes informatiques pour les utiliser comme moyen de propagande et de désinformation, ou pour paralyser les activités vitales d'un pays ou d’un acteur non-étatique. D) La guerre en Ukraine depuis 2022, le retour du modèle clausewitzien ? « Historiquement, l’invasion russe semble si classique dans sa forme qu’en dépit des nombreuses sources de renseignements depuis novembre (2021), l’incrédulité s’est muée en sidération, une fois la surprise subie. La masse et le feu déployés dans cette opération sont les plus importants en Europe depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Dans cette « grande guerre » par son format, la symétrie entre l’Ukraine et la Russie est structurelle : deux dirigeants, qui personnifient leurs États respectifs, se confrontent par la violence organisée au moyen d’armées interposées, avec l’un comme l’autre la nécessité de conserver le soutien de leur peuple. 10 Pour Poutine, l’attaque est préventive : devancer l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN qui placerait la Russie sous la menace des américains et de leurs alliés. Et « dénazifier » l’Ukraine, pour protéger les russophones selon lui menacés. L’Ukraine veut, elle, préserver son intégrité territoriale. Ces buts présentent un caractère absolu, conduisant à rechercher une victoire totale. Ce retour de la guerre entre États illustre une loi fondamentale établie par Clausewitz, à savoir que « la conduite de la guerre sous sa forme défensive est en soi plus forte que l’offensive » (Vom Kriege, VI, 1). Les principaux facteurs de succès de la conduite de la guerre défensive sont la surprise, la connaissance du terrain, les assauts séquencés, l’utilisation de places fortifiées, le support populaire et l’exploitation des forces morales (Vom Kriege, VI, 3). Ce que l’Ukraine met en œuvre, tout en cherchant le support de l’opinion par une communication publique maîtrisée, qui tend à démontrer l’illégitimité de l’attaque subie, criminalisée comme agression. » D’après Édouard Jolly, chercheur en théorie des conflits armés et philosophie de la guerre à l’IRSEM (2022) 11