Module 1: Approche Sociologique Des Transformations Des Mondes Agricoles Et Ruraux PDF

**MODULE 1 : APPROCHE SOCIOLOGIQUE DES TRANSFORMATIONS DES MONDES AGRICOLES ET RURAUX** **LA POPULATION AGRICOLE, UN GROUPE SOCIAL HÉTÉROGÈNE** Depuis quelques années, l'agriculture est présente dans l'univers culturel. Lorsque le monde agricole est mis en scène, la représentation est celle d'un a...

**MODULE 1 : APPROCHE SOCIOLOGIQUE DES TRANSFORMATIONS DES MONDES AGRICOLES ET RURAUX** **LA POPULATION AGRICOLE, UN GROUPE SOCIAL HÉTÉROGÈNE** Depuis quelques années, l'agriculture est présente dans l'univers culturel. Lorsque le monde agricole est mis en scène, la représentation est celle d'un agriculteur seul ou en couple, souvent un homme, faisant face à des difficultés importantes. Aujourd'hui, dans l'imaginaire collectif français, l'agriculteur est associé à l'image du petit paysan traditionnel, isolé dans son exploitation, maintenu à l'écart des évolutions affectant le reste de la société et qui fait face à des difficultés financières, économiques... Le monde agricole est perçu comme homogène et difficile. En réalité, c'est un monde éclaté, très hétérogène. Le travail sociologique vise à dépasser l'imaginaire collectif de l'agriculture et à comprendre la réalité du terrain. Il s'agit de rendre compte des fragmentations internes et de distinguer les différents groupes sociaux agricoles. *Exemple de représentation de l'agriculture par la société :* - *Minorité des travailleurs* - *Diversité* - *Secteur vieillissant* - *Reconversion professionnelle* - *Entreprise agricole familiale* - *Difficulté de travail mais modernisation* *Exemple de représentation de l'agriculture par les agriculteurs :* - *Indépendance* - *Technicité* - *Force* - *Passion* - *Diversité* - *Parité* - *Transmission familiale* - *Modernisation* **Données sur les exploitations agricoles** Aujourd'hui, en France métropolitaine, il y a un peu moins de **390 000 exploitations agricoles**, 100 000 fois moins qu'en 2010. Il y a environ 500 000 exploitants agricoles. La diminution du nombre d'exploitants et d'exploitations agricoles s'accompagnent d'une augmentation de la surface moyenne des exploitations agricoles en France en 2020 : **69 ha** en moyenne, soit une augmentation de 14 ha par rapport à 2010. Derrière ces données se cachent des hétérogénéités : - La SAU occupe **49% de la superficie du territoire français** (elle ne recule que de 1% depuis 2010). - L'emprise agricole (occupation d'une surface agricole par un agriculteur dans une commune donnée) varie énormément suivant le territoire. - La SAU moyenne est **plus élevée dans le Nord/Nord-Est** et beaucoup plus faible dans les départements du Sud/Sud-Est (notamment en lien avec la présence d'une activité viticole dans ces régions où les parcelles ont des SAU plus faibles). - La diminution du nombre d'exploitations varie selon la spécialisation. Le phénomène ne touche pas toutes les activités agricoles de la même façon : la plus touchée est l'élevage bovin. Un seul secteur voit son nombre d'exploitations augmenter : l'horticulture et le maraichage. Les grandes cultures se maintiennent.  En France, une exploitation agricole est une unité économique et de production qui répond à plusieurs critères : - Une **activité agricole** soit de production, soit de maintien des terres dans de bonnes conditions agricoles et environnementales - Une certaine **dimension** **de terrain** : soit 1 ha de SAU, soit 20ares de cultures spécialisées, soit une production supérieure à un seuil (1 vache, 6 brebis mères...) - Une **gestion courante et indépendante** de toute autre unité. Le classement des exploitations agricoles peut se faire en fonction de données de surface mais aussi de données économiques (PBS = Production Brute Standard qui correspond au potentiel de production) : - Micro : exploitation avec PBS \< 25 000€ - Petite : PBS comprise entre 25 000 et 100 000€ - Moyenne : PBS comprise entre 100 000 et 250 000€ - Grande : PBS \> 250 000€ Le nombre de grandes exploitations augmente depuis 2010 tandis que les micro, petites et moyennes exploitations diminuent mais restent encore majoritaires aujourd'hui en France. Il y a différentes façons de pratiquer l'agriculture : individuellement, en société. La majorité des exploitations en France sont des exploitations individuelles mais leur nombre diminue. Les exploitations en statut de société (GAEC, EARL...) exploitent 64% de la SAU et mobilisent 61% de la force de travail. L'emploi et la SAU sont donc portés par les exploitations sous forme sociétaire.  **Données démographiques sur les chefs d'exploitation** 1. **Âge moyen** La population agricole est vieillissante : la moyenne d'âge est de **52 ans**. En comparaison avec la moyenne d'âge des actifs en France, cela représente +11ans. Ce vieillissement ne touche pas toutes les exploitations de la même façon, les agriculteurs sont plus âgés dans les petites exploitations et 10 ans plus jeunes en moyenne dans les moyennes et grandes exploitations. Le nombre de petites exploitations diminuent notamment parce que les exploitants sont plus âgés et ne trouvent pas de repreneurs. Dans les exploitations sociétaires, les chefs sont plus jeunes ce qui explique que leur nombre augmente. On observe une disparité de vieillissement également en fonction des régions et des productions : - Population plus vieillissante dans le Sud-Ouest et Sud-Est et dans le Nord-Ouest, beaucoup plus jeune Nord-Est, Centre et Est - Agriculteurs plus âgés en cultures fruitières et grandes cultures (qu'en maraichage/horticulture et porcins/volailles par exemple)  2. **Sexe** On assiste à une féminisation de l'agriculture (27% en 2016 contre 8% en 1970) : les femmes représentent **30%** **des actifs permanents agricoles** et totalisent ¼ des chefs d'exploitation, coexploitants ou associés. 3. **Origine sociale** Aujourd'hui, l'agriculture n'est plus nécessairement une affaire de naissance (pas toujours héritage des parents). En 2018, **30%** des installations se sont faites hors cadre familial (HCF). Une **installation HCF** correspond à une installation sur une exploitation familiale indépendante d'un parent jusqu'au 3^ème^ degrés, collatéraux inclus*. (Attention ne veut pas dire que l'on n'est pas issu du monde agricole)* 4. **Niveau de formation** ¾ des chefs d'exploitation de moins de 40 ans possèdent au moins le bac et 1/3 sont issus de l'enseignement supérieur. Le niveau de formation agricole augmente, particulièrement dans les exploitations sous forme sociétaire. Les femmes s'installent avec plus de diplômes que les hommes. 5. **Trajectoires d'installation** Aujourd'hui, on ne s'installe plus directement après la sortie des études. La moyenne d'âge d'installation est de 27 ans pour les hommes, 29 ans pour les femmes. Il y a une tendance à une installation plus tardive : - Expérience professionnelle autre avant installation (acquisition de nouvelles compétences et visions qui peuvent apporter du changement dans le monde agricole) - Choix d'installation plus réfléchis - Conservation d'une activité parallèle chez 1/3 des nouveaux installés - 30% des installés sont des femmes Le célibat est une réalité du monde agricole mais il y a une hétérogénéité des situations : - Les femmes sont moins touchées par le célibat que les hommes. - Le célibat touche de façon plus importante les agriculteurs des petites et moyennes exploitations. **Focus sur le collectif de travail** Le travail familial est toujours majoritaire. En France en 2020, on compte **650 000 actifs agricoles** (ETP = équivalent temps plein). La majorité du travail est réalisé par les exploitants et coexploitants puis par les salariés permanents non familiaux. La part de la main d'œuvre familiale permanente diminue par rapport à 2010 alors que celle de la main d'œuvre permanente salariée augmente. La part de la main d'œuvre temporaire (saisonnière, occasionnelle) se maintient. On assiste à un désengagement du collectif familial : - Plus marqué dans certains OTEX : viticulture, maraichage/horticulture, cultures fruitières (pénibilités des travaux, besoin de beaucoup de main d'œuvre, possibilité de dissociation travail/vie de famille) - Encore très présent en élevage (plus d'astreinte, peu de compatibilité avec les horaires de salariés agricoles...) - Variable selon les régions : main d'œuvre occasionnelle surreprésentée sur les littoraux (Sud-Est et Sud-Ouest)  **Stratégies différentes et résultats économiques contrastés** Une exploitation sur 3 est impliquée dans les démarches de qualité, avec une progression portée par l'agriculture biologique. 35% des exploitations agricoles possèdent au moins un SIQO (SIQO = Signe de l'origine et de la qualité, certification de l'exigence et du savoir-faire des producteurs) contre 25% en 2010. Il y a une augmentation des exploitations avec labellisation (AOP, bio, IGP...), cela se voit surtout dans les grandes exploitations « économiques » (micro-exploitations moins adeptes). La commercialisation en circuits courts est également en augmentation (23% des exploitations).  **Classer/caractériser la population agricole** *La population agricole constitue-elle un groupe social à part entière ?* « Les agriculteurs ne sont pas ou plus un groupe mystérieux, uni dans ses différences aux confins de la société salariale et de la société des diplômes. » *Laferté* Mesurer le revenu d'un agriculteur est un exercice difficile car il y a de grandes hétérogénéités dans le monde agricole et que le revenu est indissociable du patrimoine professionnel : le patrimoine professionnel est un revenu différé du travail accumulé. Les sociologues établissent un classement des agriculteurs par la mobilisation du **concept de position sociale**, avec une prise en compte du statut professionnel, du mode de vie, des interactions sociales... L'**espace social** est un lieu dans lequel se situent les interactions sociales et où existent différentes positions sociales en relation les unes avec les autres. C'est un lieu stratifié : les positions sociales en présence n'ont pas toutes les mêmes ressources. Il y a un accès et une utilisation des différents capitaux (ressources) ou capacités d'action (pouvoir) différenciés. *Exemple de classification des agriculteurs :* +-----------------+-----------------+-----------------+-----------------+ | | **LA « | **LES | **PETITS | | | BOURGEOISIE » | AGRICULTEURS | EXPLOITANTS | | | AGRICOLE** | « ALTERNATIFS » | AGRICOLES** | | | | ** | | +=================+=================+=================+=================+ | **Niveau de | Revenus élevés | Hétérogénéité | Faibles | | revenus** | | (haut du groupe | revenus, | | | | = revenu élevé | fragilité | | | | mais les néo = | économique (RSA | | | | revenus plus | pour certains). | | | | faibles) | | | | | | Pauvreté, | | | | Moins de | précarité des | | | | capitaux que le | revenus avec un | | | | groupe 1 | patrimoine | | | | | parfois | | | | | important | +-----------------+-----------------+-----------------+-----------------+ | **Type | Grandes | Diversification | Petites et | | d'exploitations | exploitations, | dans les gîtes, | moyennes | | , | grandes | la vente | exploitation | | d'agriculture | cultures, | directe et les | | | et de | souvent en | activités | Petite | | sociétés** | conventionnel | culturelles. | agriculture | | | | | conventionnelle | | | Plusieurs | Exploitations | et | | | sociétés | innovantes, | productiviste | | | | alternatives | | | | | (peu de | En difficultés | | | | conventionnels) | face aux normes | | | |. | et aux marchés | | | | | | | | | Facilités pour | | | | | vendre et | | | | | s'adapter | | +-----------------+-----------------+-----------------+-----------------+ | **Situation | Ile-de-France, | | Ouest et Sud et | | géographique** | Champagne, | | régions de | | | Picardie et | | moyennes | | | Normandie, | | montagnes | | | Grand-Est, | | | | | Bordelais, | | | | | Bourgogne, | | | | | Cognac, | | | | | Bretagne, Nord, | | | | | Massif central | | | +-----------------+-----------------+-----------------+-----------------+ | **Vie | Peu de loisirs | Très impliqués | Famille souvent | | familiale, | mais pratiques | dans la vie | employée ou | | loisirs, | proches de la | associative | ouvrière | | ancrage local** | bourgeoisie | | | | | (golf, ski) | Enfants non | Habitent dans | | | Habitent de | obligés à | des pavillons | | | beaux pavillons | reprendre les | modestes | | | | exploitations | | | | | | Capital | | | | | d'autochtonie | | | | | fort | +-----------------+-----------------+-----------------+-----------------+ **Capital d'autochtonie **: ensemble des ressources que procure l'appartenance à des réseaux de relations localisés **Conclusion** Le monde agricole connait de grandes transformations et fait face à de nombreux enjeux qui requièrent une attention particulière, notamment par un travail sociologique : - Besoins différents des agricultrices par rapport aux agriculteurs - Population agricole vieillissante - Nouveaux actifs agricoles non issus du monde agricole - Nouvelles pratiques, trajectoires, modalités d'accompagnement - Modèle « métier couple » plus dominant : dissociation familiale et conjugale