Comment Résiste-t-on au Changement d’Attitude ? PDF

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2013

Senemeaud Cécile, Girandola Fabien, Georget Patrice, Sales-Wuillemin Edith

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psychology attitude change social psychology cognitive dissonance

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This study discusses the process of resisting attitude change in the context of cognitive dissonance and persuasion. The authors examine how social processes can influence attitude change and resilience based on existing literature.

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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/283350075 Comment résiste-t-on au changement d'attitude ? Processus psychosociaux à l'œuvre lors d'une mise en dissonance cognitive ou d'une attaque persuasive Chapter · September 2013 CITATION READS 1 315 4 authors: Cécile Sénémeaud Fabien Girandola Université de Caen Normandie Aix-Marseille Université 25 PUBLICATIONS 54 CITATIONS 120 PUBLICATIONS 479 CITATIONS SEE PROFILE SEE PROFILE Patrice Georget Edith Salès-Wuillemin Université de Caen Normandie University of Burgundy 21 PUBLICATIONS 34 CITATIONS 112 PUBLICATIONS 226 CITATIONS SEE PROFILE SEE PROFILE Some of the authors of this publication are also working on these related projects: ADUC Alcool et Drogues à l'Université de Caen Normandie View project Regard View project All content following this page was uploaded by Fabien Girandola on 28 November 2015. The user has requested enhancement of the downloaded file. 1 Comment Résiste-t-on au Changement d’Attitude ? Processus psycho-sociaux à l’œuvre lors d’une mise en dissonance cognitive ou d’une attaque persuasive Sénémeaud, C., Girandola, F., Georget, P., & Sales-Wuillemin, E. (2013).Comment résiste-t-on au changement d’attitude ? Processus psychosociaux à l’œuvre lors d’une mise en dissonance cognitive ou d’un attaque persuasive. In. V. Fointiat., F. Girandola, F., & P. Gosling (Eds.), La dissonance cognitive : Quand les actes changent les idées (pp. 165-190). Paris : Armand Colin. Sénémeaud Cécile1, Girandola Fabien2, Georget Patrice3, Salès-Wuillemin Edith4 1 Normandie Université Aix-Marseille Université 3 Normandie Université 4 Paris 8 Université 2 2 Traditionnellement, le problème de la formation et du changement d’attitude constitue un terrain d’élection pour la psychologie sociale. Il a une longue et solide histoire expérimentale, jalonnée par les expériences classiques d’Asch (1951) et de Sherif (1936) sur l’influence interpersonnelle et par les travaux de Hovland sur la persuasion pendant et au lendemain de la seconde guerre (Hovland, Janis & Kelley, 1953). Ces recherches consistent à exposer les individus à un message persuasif afin d’obtenir un changement d’attitude et par suite une modification du comportement. L’objectif est de faire varier un certain nombre de paramètres liés à la source du message (e.g., la crédibilité), au message lui-même (e.g., contenu, organisation) ou encore à la cible (e.g., son état d’esprit) et de mettre en évidence leur impact sur le changement d’attitude. Avec la théorie de la dissonance cognitive (Festinger, 1957), qui résulte d’un effort de systématisation des résultats obtenus dans l’étude de la communication et de l’influence sociale, l’approche du changement d’attitude est renversée : la question n’est plus de modifier la conduite par les attitudes mais au contraire, d’agir sur ces dernières par le biais comportemental. Les recherches conduites dans le paradigme de la soumission forcée (dite aussi soumission induite, cf. Chapitre 3, Festinger et Carlsmith, 1959) consistent à amener les individus à réaliser un comportement contraire à leur attitude. Elles mettent en avant ce qu’il est classique d’appeler l’effet de dissonance, à savoir le plus souvent un changement d’attitude dans le sens du comportement réalisé. On ne compte plus les recherches consacrées à l’étude des conditions permettant l’obtention de ce changement (e.g, Cooper, 2007). De rares études, toutefois, ont permis de se pencher non plus sur les conditions de reproduction du changement d’attitude mais sur celles qui l’affaiblissent ou l’annihilent, c’est-à-dire qui produisent ce que nous appellerons dans ce chapitre une résistance au changement. Cette résistance s’observe principalement lorsque l’attitude mise en cause en soumission forcée est personnellement importante ou lorsqu’elle définit l’individu du point de vue de son identité sociale comme c’est le cas lorsque l’objet attitudinal est un objet de représentation sociale (e.g., Moliner & Tafani, 1997). Dans cette situation, il est intéressant de montrer en quoi le groupe peut rendre 3 l’attitude importante pour le sujet et jouer un rôle de support social permettant ainsi au sujet de mieux résister au changement. Parallèlement, dans le cadre de la persuasion, on ne compte plus les expérimentations faisant état d’une conservation de l’attitude après une tentative de persuasion (e.g., Wegener, Petty, Smoak, & Fabrigar, 2004). C’est pourquoi certains chercheurs ont développé un champ spécifiquement dédié à la résistance à la persuasion (Knowless & Linn, 2004) dont le but particulièrement stimulant est d’identifier, de mieux comprendre mais aussi de contourner les processus à l’origine de la résistance. Ainsi, la résistance au changement semble-t-elle un thème transversal aux champs de la dissonance et de la persuasion. Dès lors, nous pouvons légitimement nous demander si les processus à l’origine de la résistance au changement observés dans le cadre de la dissonance n’empruntent pas à ceux identifiés dans le cadre de la persuasion. En d’autres termes, l’absence de changement d’attitude en situation de soumission forcée traduit-elle une résistance active de la part des participants ? Ce type d’interrogation est au cœur de ce chapitre dont l’objectif est d’apporter des premiers éléments de réflexion sur une articulation théorique et empirique entre le champ de la dissonance cognitive et celui de la persuasion par le biais d’études consacrées à la résistance au changement. Pour analyser la résistance au changement, nous proposons de présenter les travaux effectués dans le cadre d’une part de la dissonance et d’autre part de la persuasion. Dans le premier cas nous prendrons soin de faire une distinction entre les recherches qui montrent le rôle du contexte social sur la résistance au changement (e.g., appartenance groupale) et les recherches qui soulignent le rôle des aspects intra-individuels (e.g., importance de l’attitude). Nous terminerons cette partie par un encadré présentant une série de travaux situés dans le cadre de la théorie des représentations sociales qui permettent d’éclairer les liens existant entre attitude et représentations sociales et ainsi de mieux comprendre le rôle du groupe dans la résistance au changement. Dans le second cas, nous analyserons les processus de résistance mis en œuvre par les individus (e.g., génération de contre-arguments, décrédibilisation de la 4 source…). Nous finirons par une synthèse mettant en regard les processus de résistance en jeu dans les champs de recherche de la dissonance et de la persuasion. 7.1. Dissonance et résistance au changement : recherches sur le versant interindividuel ou groupal Certaines expériences, des plus anciennes, réalisées en psychologie sociale expérimentale et appliquée, se donnaient pour objectif d’élucider l’influence des opinions d’autrui ou du groupe sur nos propres opinions. Il en est ainsi, par exemple, des études portant sur les références normatives du groupe (Sherif, 1936), le conformisme (Asch, 1951), les groupes de référence (Kelley, 1952), la comparaison sociale (Festinger, 1954, 1955), l’influence informationnelle et normative (Deutsch & Gerard, 1955) ou encore l’identification et l’internalisation (Kelman, 1958). L’histoire de la psychologie sociale déroule, au fil du temps et jusqu’à nos jours, le rôle important de nos groupes d’appartenance (ou de non-appartenance) et de nos groupes de référence, sur l’attitude, le changement d’attitude et le comportement (e.g., Moscovici & Doise, 1992). L’impact du groupe, considéré comme un support social, sur le processus d’éveil et de réduction de la dissonance n’a donné lieu qu’à quelques recherches, comparativement à la quantité de celles entreprises dans le champ de la dissonance (Cooper & Stone, 2000). Pourtant, le support social permettrait au participant de résister au changement et, ce faisant, de conserver ou de renforcer son attitude initiale. Nous proposons une brève présentation des recherches sur cet aspect particulier. 7.1.1. Dissonance et appartenance groupale La question de l’impact du groupe sur les attitudes et comportements s’est posée dès 1956 par une belle étude de terrain réalisée par Festinger, Schachter et Riecken (« When prophecy fails »). Confrontés à une prophétie non-confirmée (cf. Chapitre 3) concernant la venue sur Terre d’extra-terrestres, les adeptes d’une secte eurent deux types de réactions différentes selon le soutien social dont ils bénéficiaient. Ceux qui affrontèrent ce non-événement dans la solitude, virent leurs croyances s’affaiblir 5 et la plupart d’entre eux abandonnèrent le mouvement. En revanche, chez les adeptes qui eurent à affronter le non-événement en groupe, les chercheurs furent témoins d’un maintien des croyances initiales, voire d’un renforcement de ces dernières, associé à la mise en place d’actions de prosélytisme (i.e., conférence de presse, recrutement de nouveaux membres). Au-delà de cette étude princeps réalisée en milieu naturel, l’étude de l’influence des groupes sur l’éveil et la réduction de la dissonance s’est principalement construite en situation de laboratoire. Cooper et Mackie (1983) sont parmi les premiers à explorer expérimentalement le rôle de l’appartenance groupale en situation de soumission forcée. Dans leur expérience, les membres d’un groupe supporters du candidat républicain Ronald Reagan sont conduits au moment de l’élection présidentielle américaine de 1980, à rédiger un essai contre-attitudinal soit en faveur du rival de leur candidat, le démocrate Jimmy Carter (i.e., attitude liée à l’identité sociale politique), soit en faveur d’une extension de la prise en charge publique des soins médicaux (i.e., attitude non directement liée à l’identité sociale politique des républicains, mais défendue par les démocrates). Les résultats montrent que dans le premier cas, les sujets renforcent leur attitude initiale pro-Reagan et dévalorisent le groupe pro-Carter. En revanche, dans le deuxième cas, ils ont recours au changement d’attitude classique en adoptant une attitude plus favorable à la prise en charge des soins médicaux. D’autres travaux (e.g. Clémence & Deschamps, 1989 ; Cooper & Stone, 2000 ; Glasford, Pratto & Dovido, 2008 ; Glasford, Dovidio & Pratto, 2009) chercheront à montrer qu’il est possible de renforcer la résistance au changement d’attitude grâce à une mobilisation de l’appartenance groupale ou catégorielle. Le groupe peut ainsi constituer un lieu de résistance parce qu’il constitue un lieu de consensus. Plus précisément, selon Clémence et Deschamps (1989), la résistance au changement d’une attitude est d’autant plus grande que celle-ci est largement partagée et soutenue par les groupes auxquels l’individu appartient se réfère. Ainsi, si l’on permet aux participants de disposer d’un support catégoriel (i.e., groupal) à leur attitude avant la réalisation de l’acte problématique, ils vont alors résister au conflit cognitif généré par la réalisation de cet acte et préserveront leur attitude initiale (i.e., processus 6 d’opposition). Si au contraire, les participants ne disposent pas d’un ancrage catégoriel fort ils vont alors réduire leur dissonance en changeant d’attitude dans le sens de l’acte. Partant de l’hypothèse d’une modulation du processus de réduction de la dissonance en fonction de l’appartenance catégorielle, Clémence et Deschamps (1989) réalisent une expérimentation. Dans cette recherche, après avoir réalisé un travail de notation de copies et évalué cette tâche de notation, des élèves instituteurs (appartenance catégorielle faible) et des instituteurs expérimentés (appartenance catégorielle forte) étaient amenés à défendre par écrit une notation contraire à la leur. On observe que les élèves instituteurs ont tendance à modifier leur notation ultérieure dans le sens de celle justifiée dans l’acte contre-attitudinal, alors que les instituteurs expérimentés ne modifient pas leur notation. À la place, ils dévalorisent la tâche en banalisant l’exercice de notation. L’appartenance groupale peut ainsi constituer un appui pour le sujet qui lui permet de s’opposer à l’expérimentateur et de contester la légitimité de l’exercice en maintenant son attitude initiale intacte. L’étude conduite par Brock (1962, in Cooper & Stone, 2000) montre des résultats allant dans le même sens. Afin d'induire un état de dissonance, l’expérimentateur demandait aux participants dont la moitié faisait partie d'un groupe de "chrétiens évangéliques très pratiquants", de lire, retenir et réciter devant un magnétophone un texte remettant en question la suprématie du Christ, et ce dans un contexte de libre-choix. Les résultats montrent que les individus pratiquants dont "l'identité sociale était menacée par le message contre-attitudinal" (p. 241) n'ont plus recours au changement d'attitude pour réduire leur dissonance mais font montre à la place, d’un oubli du contenu du message. Si le rôle de l’ancrage catégoriel (i.e., l’appartenance groupale) en situation de dissonance est étudié lorsque le participant transgresse une valeur définitionnelle de son groupe, il l’est aussi lorsque le groupe d’appartenance transgresse une valeur définitionnelle propre au participant. C’est le cas dans les études récentes conduites par Glasford, Pratto et Dovidio (2008 ; Glasford, Dovidio & Pratto, 2009). Ces chercheurs montrent que dans le cas d’une violation d’une croyance personnelle par le groupe (e.g., lorsqu’un étudiant américain, pour qui « tous les individus doivent avoir un accès équitable aux soins 7 médicaux », apprend que le gouvernement Américain laisse 41 millions de personnes sans assurance), la réduction de la dissonance s’exprime différemment selon le niveau d’identification à ce groupe d’appartenance. Les participants fortement identifiés réduisent leur dissonance en choisissant préférentiellement une stratégie de dévalorisation de l’exogroupe alors que ceux plus faiblement identifiés changent d’attitude ou s’engagent à mener des actions pour changer les comportements de leur propre groupe (activisme). En résumé, lorsque l'on prend en compte l'appartenance catégorielle du participant, la réduction de la dissonance par le biais du changement d'attitude n'est plus systématique. Ces premières études montrent bien que la résistance au changement peut trouver un point d’appui dans l’ancrage catégoriel et donc dans l’identité sociale du sujet en relation avec son groupe de référence. Ils montrent également que le renforcement de l’attitude peut s’accompagner d’une dévalorisation du groupe porteur d’attitudes contraires y compris lorsque ce groupe est celui du sujet. Tout se passe comme si cette appartenance groupale, une fois rendue saillante, permettait une résistance de l’attitude et amenait les participants à recourir à d'autres modes de réduction de leur dissonance. D’autres recherches font valoir les conséquences de différentes opérationnalisations du support social sur la réduction de la dissonance. 7.1.2. Dissonance et similarité interpersonnelle comme support social. La manipulation du support social consiste à faire connaître aux participants, après rédaction de l’essai contre-attitudinal, l’attitude (ou le comportement) d’autres personnes qui auraient participé à l’expérience. L’acceptation de rédiger l’essai ou l’attitude défendue dans le message est donc (selon les conditions) confortée ou au contraire remise en cause. Par exemple, dans l’expérience de Stroebe et Diehl (1981), des étudiants sont invités à rédiger dans un contexte de libre-choix un essai contre-attitudinal. Lorsque le premier (i.e., le participant naïf) accepte de 8 rédiger, il constate que le second (i.e., compère de l’expérimentateur) refuse ou accepte, selon les conditions, cette rédaction. Les résultats obtenus montrent que le changement d’attitude chez le participant naïf, après rédaction, est moindre lorsqu’un participant (ici le compère) a accepté plutôt que refusé de se soumettre. Les auteurs avancent une interprétation en termes de support social : une fois la dissonance éveillée, l’acceptation par le compère de rédiger lui aussi cet essai, agirait comme une cognition consonante par rapport à l’acceptation du participant naïf. Cette consonance réduirait la dissonance éprouvée par le participant naïf. En revanche, un compère refusant de se soumettre agirait comme une cognition inconsistance par rapport à l’acceptation du participant. Cette inconsistance augmenterait la dissonance et, par conséquent, le changement d’attitude. Dans ce droit fil, Stroebe et Diehl (1988) ont pu montrer, en manipulant la similarité entre participant naïf et compère, que le premier change moins d’attitude lorsqu’un compère similaire se soumet ou un compère dissimilaire ne se soumet pas que dans les deux autres cas. Ainsi, le comportement et a fortiori le point de vue de l’autre semblent particulièrement importants en situation de dissonance. Voir autrui accepter de réaliser un acte contre-attitudinal amoindrit la dissonance du participant, contribuant ainsi à augmenter la résistance de son attitude initiale. Dans l’étude de Matz et Wood (2005), les participants prenaient connaissance de l’avis d’autres personnes, membres du groupe, envers l’objet attitudinal. Soit ces derniers avaient une attitude similaire à la leur, soit une attitude opposée. Les résultats montrent que la dissonance est plus importante dans le second cas (i.e., absence de support social) que dans le premier (i.e., présence de support social). Notons que l’éveil émotionnel lié à la dissonance se réduit aussi bien lorsque le participant pense pouvoir persuader autrui de changer d’opinion que lorsqu’il anticipe le fait de pouvoir changer de groupe. Nous reviendrons sur ces stratégies dites de réduction de l’éveil (cf. McKimmie, Terry, Hogg, Manstead, Spears & Doosje, 2003). 7.2. Dissonance et résistance au changement : recherches sur le versant intra-individuel 9 Quelques recherches conduites dans le cadre de la dissonance relatent l’absence de changement d’attitude lorsque certains aspects du Soi ou certaines caractéristiques importantes de l’attitude sont en jeu et/ou rendus saillants. 7.2.1. Résistance au changement après une atteinte du Soi Sherman et Gorkin (1980) montrent que le soutien de l’attitude initiale (« attitude bolstering ») à l’origine de la résistance au changement est activé lorsque « des parties centrales de sa propre image seraient menacées ou remises en question par un comportement inconsistant avec cette image » (p. 389). Ces auteurs montrent que des femmes se considérant comme féministes mais ayant échoué à résoudre un problème relatif aux rôles sexués vont intensifier leur attitude et leur comportement féministe contrairement à d’autres moins impliquées dans les valeurs du féminisme. Dans ce sens, Scheier et Carver (1980) font une distinction entre le Soi privé qui bloque le changement d’attitude et le Soi public qui le favorise. Les participants sont conduits, avant la réalisation de l’acte contre-attitudinal, à se focaliser soit sur leurs état internes, leurs valeurs, leurs attitudes (conscience de soi privée) soit sur des aspects sociaux de leur Soi (conscience de soi publique). La focalisation sur le Soi privé est opérationnalisée à l’aide d’un miroir disposé face à eux tandis que la focalisation sur le Soi public l’est à l’aide d’une caméra. Les participants de la condition miroir ne changent pas d’attitude et dévalorisent leur comportement en jugeant faible l’argumentaire contre-attitudinal produit. On observe, en revanche, un changement d’attitude classique chez les participants placés dans la condition caméra. Sur le plan des résultats, tout se passe comme si aux deux pôles opposés du modèle de la conscience du Soi correspondaient deux modes alternatifs de réduction de la dissonance. Il est montré 1/ qu’un miroir focalise le participant sur ses attitudes privées (en tant qu’aspect privé du Soi) et de fait les rend résistantes. Le participant adopte alors un autre mode de réduction de la dissonance que le changement d’attitude : il dévalorise son comportement de soumission (ce que 10 d'autres ont appelé depuis la trivialisation, cf. Chapitre 5) 2/ à l’inverse, une caméra focalise le sujet sur son comportement (en tant qu’aspect public du Soi) et de fait le motive à changer d’attitude. Pour finir ce tour d’horizon nous présentons une étude récente relative à la résistance d’attitudes dites « importantes ». 7.2.2. Attitude importante : une attitude résistante ? Dans le cadre du paradigme de la soumission forcée, la majorité des recherches qui montrent que les individus réduisent la dissonance cognitive en changeant leurs attitudes dans le sens du comportement problématique (e.g., Eisenstadt & Leippe, 2005) s’intéressent finalement peu à l’importance de l’attitude mise en jeu, c’est-à-dire à l’intérêt que le sujet lui accorde, ce qui détermine en grande partie sa centralité. D’ailleurs, les objets d’attitude convoqués dans ces travaux sont d’une importance sociale relative et impliquent peu les participants sur le plan personnel. Or, Festinger (1957) précise que la quantité (i.e., la force) de dissonance ressentie est déterminée par l’importance des cognitions dissonantes aux yeux des participants : plus l’objet d’attitude relève d’un enjeu élevé chez le participant, plus l’état de dissonance mobilise d’éléments dissonants. Par voie de conséquence, l’inconfort ou la dissonance s’avère élevé, tout comme la motivation à le réduire. Dans ce cas, la réduction de la dissonance ne se manifeste plus systématiquement par la voie du changement d’attitude. Starzyk, Fabrigar, Soryal et Fanning (2009) identifient trois axes au sein desquels le concept d’importance de l’attitude s’avère régulateur des effets de dissonance cognitive : 1/ plus l’attitude mise en cause s’avère importante, plus la quantité de dissonance ressentie par le participant est forte ; 2/ l’importance de l’attitude est déterminante dans le choix du mode de réduction de la dissonance : les attitudes importantes sont plus résistances au changement que les autres ; 3/ dans le cas où le participant éprouve de la dissonance suite à la remise en cause d’une attitude importante, on constate le plus souvent qu’il privilégierait un autre mode de réduction de la dissonance, à savoir ici, la trivialisation (e.g., Simon, Greenberg & Brehm, 1995 ; Martinie & Joule, 2000a ; Martinie & Joule, 11 2000b). La trivialisation (cf. Chapitre 5) revient à n’accorder que peu d’importance à son propre comportement problématique ou à l’attitude qui lui est sous-jacente. Elle peut s’exprimer, par exemple, en évaluant son argumentation comme peu convaincante (Simon, Greenberg & Brehm, 1995). Globalement, les résultats obtenus par Starzyk et al. (2009) montrent que lorsqu’une attitude importante est rendue saillante, le changement d’attitude n’est effectivement plus obtenu. En résumé, lorsque l’attitude initiale est fortement liée à l’identité du groupe ou à la définition du Soi, lorsqu’elle a une forte importance subjective, lorsqu’elle bénéficie d’un soutien social, le changement de cette attitude - pourtant classique dans le champ de la dissonance - n’est plus observé. Les individus ont alors recours à d’autres modes de réduction. Par exemple, dans l'expérience de Clémence et Deschamps (1989), nous avons vu qu'ils "minimisent" leur comportement contreattitudinal. Dans celle de Cooper et Mackie (1983), il y a une dévalorisation du groupe concurrent. Les participants de Brock (1962, in Cooper et Stone, 2000), quant à eux, oublient le contenu du message contre-attitudinal récité à haute voix, etc. Ces différentes stratégies mises en place par les participants résultent-elles de la résistance de l’attitude ou participent-elles à cette résistance ? A-t-on à faire à des voies alternatives de réduction de la dissonance ou à des processus cognitifs permettant la résistance au changement ? Ces questions à propos du changement et de la résistance ont été abordées dans d’autres cadres de recherche que celui de la dissonance cognitive, l’un s’intéresse aux représentations sociales (cf. encadré) et l’autre à la persuasion (prochaine section). Nous les présentons ci-après. 12 Dissonance et représentation sociale : Quand la résistance s’opère sur les éléments les plus centraux. Les questions sur le rôle joué par le groupe dans la résistance au changement peuvent trouver un éclairage grâce aux travaux réalisés au sein du champ des représentations sociales. C’est en effet dans ce champ de recherche que la question de l’articulation entre l’individu et le groupe et plus précisément des cognitions individuelles ou sociales, s’est posée avec le plus d’acuité. Ainsi, pour caractériser une représentation sociale, les conditions de son évolution et donc de sa résistance au changement ainsi que les modalités de son appropriation par un individu, il est nécessaire de s’interroger sur des questions aussi variées que la définition du Soi et du groupe (donc sur l’identité individuelle/sociale), les connaissances, croyances et prises de position (individuelles/groupales), et leur impact sur les comportements. C’est à cette occasion que l’articulation entre attitude et représentation sociale a été analysée. Avant de rendre compte de ces questions, un bref rappel de ce que sont les représentations sociales est nécessaire. Les représentations sociales sont décrites comme des connaissances et croyances de sens commun, fortement partagées par une catégorie d’individus, un groupe social (Jodelet, 1989) à propos d’un objet saillant (important) dans la réalité sociale (Moliner, 2001). Elles ont un ancrage comportemental : elles résultent des habitudes comportementales du groupe et exercent une influence directe sur les comportements (Guimelli, 1994). Trois dimensions traversent la représentation : une dimension descriptive qui renferme les éléments renvoyant aux connaissances sur l’objet ; une dimension fonctionnelle relative aux actions ; enfin une dimension affective correspondant aux émotions (Rateau 1995; Salès-Wuillemin, Galand, Cabello et Folcher, 2011). Au niveau groupal, les représentations sociales mettent en jeu l’identité sociale des individus (Doise, 1990 ; Salès-Wuillemin, 2005). Elles permettent le partage d’une réalité commune et diminuent les risques de conflits intragroupe (Moscovici, 13 1961 ; Abric, 1989; Jodelet, 1989). Au niveau individuel, elles fonctionnent comme des grilles de lecture, permettant au sujet de filtrer (grâce à un mécanisme d’exposition sélective) et d’organiser (grâce à un mécanisme de catégorisation) les informations provenant de l’environnement (Moliner, 2001 ; Salès-Wuillemin, 2005). Les éléments de connaissance présents dans la représentation sont organisés en systèmes. Le système central comprend les éléments partagés, récurrents, organisateurs et stables ayant un caractère normatif, ils sont en relation avec l’histoire du groupe (Abric, 1994 ; Hass, 2006). Les éléments périphériques sont plus individuels et instables, ils ont un caractère concret. Le système central est au cœur de la représentation sociale, il l’organise et l’oriente. Il est à la fois le point de résistance au changement et le vecteur du changement (Abric, 1989). Le système périphérique joue un rôle adaptatif, il est un lieu de rationalisation, il préserve le système central en s’ajustant aux cognitions problématiques, de nature informative ou comportementale (Flament, 1989). Il est également un lieu d’ adaptation de la représentation sociales aux caractéristiques plus individuelles du sujet (Salès-Wuillemin, 2005). Les travaux qui portent sur les conditions de résistance d’une représentation sociale ont permis d’aborder la question des relations entre les attitudes et les représentations sociales. Attitudes et représentations sociales. Howarth (2006), s’appuyant sur Jaspar et Fraser (1984), amorce la réflexion en soulignant que les représentations sont par nature sociales, elles ont un ancrage dans le groupe, alors que les attitudes ont un ancrage individuel. L’attitude serait extérieure à la représentation sociale, une interface entre la réalité individuelle et la réalité sociale. Une autre avancée théorique est celle proposée par Rouquette (1998) dans « l’architecture de la pensée sociale » : les attitudes seraient englobées dans les représentations sociales. Les représentations sociales impliqueraient un niveau collectif alors que l'attitude correspondrait à une concrétisation ponctuelle d'une 14 représentation sociale ou d'une combinaison de représentations sociales (Rouquette, 1996; Rouquette et Rateau 1998). Dans la conception de Doise (1990), qui met l’accent sur les relations inter- et intragroupe, les représentations sociales seraient révélatrices de l’insertion du groupe dans un ensemble social. Les attitudes correspondraient à des modulations de nature plus particulière: elles seraient plus individuelles et traduiraient un rapport que l’individu entretient avec son groupe (Doise, 1990). Nous défendons une position plus radicale : l’attitude correspond à une prise de position et serait présente au sein même de la représentation, dans la dimension évaluative au niveau central et périphérique, elle trouverait un ancrage au niveau périphérique de la représentation sociale lorsqu’elle n’engage que le niveau identitaire individuel en relation avec les normes individuelles ; et au niveau central lorsqu’elle engage l’identité groupale et donc des normes sociales (Salès-Wuillemin, Stewart, Dautun, 2004 ; Salès-Wuillemin, 2005). Changement d’Attitude et modification de la Représentation sociale La question de la résistance au changement d’une représentation sociale a conduit les auteurs à tester l’hypothèse d’une relation directe entre attitude et représentation sociale. L’hypothèse générale testée est celle d’une prépondérance de l’attitude sur la représentation : un changement d’attitude pouvant impliquer à un niveau plus global une modification de la représentation sociale. Moliner et Tafani (1997) à la suite de Moliner, Joule et Flament (1995), invitent des étudiants à rédiger un essai contre-attitudinal en défaveur des études supérieures. Cependant, la mesure ne porte que sur la structure de la représentation sociale et non pas sur l’attitude. Les résultats ne montrent pas d’effets sur les items centraux de la représentation sociale, uniquement sur les items périphériques. Il est toutefois difficile de conclure sur les liens entre attitudes et représentations sociales. Tafani (2001), reproduit le paradigme de l’essai contre-attitudinal en défaveur des études supérieures, mais en faisant porter l’attitude soit sur les éléments centraux 15 soit sur les périphériques au sein de la représentation. La mesure porte sur l’attitude et la représentation sociale. Les résultats révèlent un changement d’attitude mais uniquement sur les prises de position portant sur des aspects périphériques de la représentation. Par ailleurs, le noyau central de la représentation reste stable donc résistant au changement. Tafani et Souchet (2002) poussent plus loin la réflexion en partant de l’idée que l’attitude est intégrée à la représentation, elle peut se situer au niveau central ou périphérique selon qu’elle porte sur des éléments centraux ou périphériques. Les auteurs manipulent la force de la dissonance au travers de la nature de l’élément sur lequel porte l’essai contre-attitudinal. La représentation est également celle des études universitaires. L’élément central visé est « les études supérieures permettent un enrichissement intellectuel » et l’élément périphérique « les études supérieures permettent l’accès à un emploi ». Cinq conditions sont testées : 1) essai libre ; 2) essai proattitudinal ; 3) essai libre contre-attitudinal ; 4) essai libre contre-attitudinal focalisé sur l’élément périphérique; 5) essai libre contre-attitudinal focalisé sur l’élément central. La mesure porte sur l’attitude et la structure de la représentation sociale. Les résultats montrent que dans la condition 5 apparaît un changement de l’attitude et de la représentation sociale au niveau central, il n’y a donc pas de renforcement. Dans la même ligne, Renard, Bonardi, Roussiau et Girandola (2007) réalisent une expérimentation à propos du même objet de représentation (les études universitaires) en situation de simple soumission (i.e., production d’un argumentaire contreattitudinal) et de double soumission forcée (i.e., production de deux argumentaires contreattitudinaux, cf. Chapitre 2). Sans entrer dans les détails des trois expérimentations réalisées, les résultats montrent un impact sur la représentation sociale y compris au niveau central, essentiellement en situation de double soumission. Ces résultats, confirmés par ailleurs par Aïssani (2009), sont contraires à ceux obtenus précédemment dans le champ des représentations sociales et des attitudes. En effet, on pouvait s’attendre à ce que les éléments centraux, puisqu'ils ont un caractère normatif et qu’ils sont liés à l’identité de groupe, résistent au changement. Deux 16 points essentiels sont néanmoins à relever au niveau méthodologique : l’essai contre-attitudinal doit être rédigé de manière libre, et le niveau identitaire social, donc l’ancrage catégoriel (groupal) des participants, doit être explicitement activé. Dans les recherches présentées, le caractère librement consenti de l’acte contre-attitudinal n’est pas toujours présent et l’ancrage catégoriel n’est jamais explicitement mobilisé (seul le lieu de recueil, l’université, permettait de le mobiliser de manière implicite). Partant de ce constat, nous avons répliqué l’étude de Tafani et Souchet (2002) en mettant les participants dans une situation de soumission librement consentie et en mobilisant explicitement l’appartenance catégorielle des participants (Salès-Wuillemin, Girandola & Gosling, 2011). Quatre conditions ont été testées : essai contre-attitudinal centré sur l’élément central en situation de choix versus non choix; essai contre-attitudinal centré sur l’élément périphérique en situation de choix versus non-choix. En situation de choix, les résultats font apparaître un renforcement de l’attitude et des éléments centraux de la représentation, et ceci que l’essai porte sur les éléments centraux ou périphériques. Ce résultat est à mettre en relation avec les travaux sur l’attitude. Ils confirment qu’en situation de dissonance forte, les individus cherchent à préserver leur attitude et leur représentation. Le groupe constitue donc un ancrage catégoriel fort permettant de soutenir le processus de résistance au changement à la condition que cet ancrage catégoriel soit explicitement mobilisé chez les sujets. 7.3. Persuasion et résistance au changement : une introduction aux principaux processus participant à la résistance à la persuasion Qu’est-ce que la résistance à la persuasion ? En tant qu’effet psychologique, c’est l’absence de changement d’attitude ou un changement d’attitude n’allant pas dans le sens attendu. Comme processus, 17 la résistance concerne les mécanismes mis en œuvre afin d’empêcher le changement d’attitude (par exemple : production de contre arguments, de pensées négatives, renforcement de l’attitude initiale, génération d’un affect négatif). Comme motivation, la résistance est le but que se fixent les individus pour protéger leur attitude (par exemple : réactance ou restauration de sa liberté, défendre son attitude si elle semble correcte, montrer à autrui que l’on n’est pas influençable, etc.). Comme qualité, la résistance dépend des caractéristiques dispositionnelles des individus. Par exemple, les individus fortement dogmatiques, autoritaires, optimistes ou ayant une forte estime d’eux-mêmes sont, généralement, les plus difficiles à persuader (Wood et Stagner, 1994), ou pour le moins ils s’estiment plus difficiles à persuader que les autres car leur forte estime d’eux-mêmes renforce leur illusion d’invulnérabilité…ce qui peut les rendre paradoxalement plus influençables (Douglas, Sutton & Stathi, 2010). Différents facteurs sont susceptibles d’expliquer la résistance. Nous n’aborderons pas l’ensemble des recherches sur la résistance, ces dernières sont trop nombreuses pour être abordées dans le cadre de ce chapitre. Le lecteur intéressé peut se reporter, par exemple, à l’ouvrage de Knowles et Linn (2004) sur la résistance à la persuasion. Nous avons choisi de présenter ici les grandes lignes de la résistance à la persuasion en nous focalisant sur : 1/ la force de l’attitude et plus spécifiquement sur deux dimensions la constituant : l’importance subjective de l’attitude et le degré de certitude du sujet ; 2/ certains processus mis en œuvre lors de la réception d’un message persuasif défendant une position plus ou moins contrastée par rapport aux attitudes ou aux opinions privées de l’individu. 7.3.1. Force de l’attitude et résistance : importance et certitude Dans le paradigme de la persuasion, l’importance de l’attitude a été étudiée comme un déterminant de la résistance, alors que la certitude est surtout appréhendée sous l’angle des effets de la résistance. Une attitude est qualifiée d’importante lorsqu’elle fait partie des préoccupations de l’individu lors de l’implication de ce dernier vis-à-vis de l’objet d’attitude (Krosnick, 1988). De ce fait, l’individu sera soucieux de l’exactitude de son jugement, plus motivé à traiter avec minutie les informations concernant l’objet d’attitude, plus soucieux de l’adéquation entre son 18 attitude et les comportements qui lui sont associés, enfin plus attentif à la stabilité de son attitude dans le temps. Par conséquent, ces attitudes dites importantes bénéficient d’une plus grande résistance face aux tentatives de persuasion ultérieures. Par exemple, Zuwerink et Devine (2000) montrent qu’une attitude importante est plus résistante à une tentative de persuasion même si on n’avertit pas les participants de l’intention de les persuader, ou encore même lorsqu’on ne leur accorde pas de délai pour réfléchir à l’objet attitudinal avant cette attaque persuasive. En revanche, les participants possédant une attitude peu importante augmentent leur résistance à la persuasion uniquement s’ils sont mis en garde au préalable et s’ils bénéficient d’un délai de réflexion avant la réception du message persuasif (cf. aussi Gopinath & Nyer, 2009). Par ailleurs, le processus de résistance produirait un impact sur une dimension connexe à celle de l’importance : la certitude de l’attitude (e.g., Tormala et Petty, 2002a), c’est-à-dire l’expression de la confiance envers une attitude, mais aussi et par extension la façon dont les individus estiment que l’attitude qu’ils expriment est correcte (Gross, Holtz & Miller, 1995). Petroceli, Tormala et Rucker (2007) montrent que les individus ayant une forte certitude dans une attitude donnée sont soucieux que leurs pairs aient la même attitude qu’eux. La certitude est le fruit de l’inférence que font les individus à propos de la validité de leur attitude face à un objet. Plus les individus seront certains de leur attitude, plus cette dernière sera forte et donc résistante au changement. La certitude n’est pas un élément immuable dans le temps : l’individu l’adapte en fonction de sa résistance ou non face à une attaque persuasive. Le degré de certitude sera fonction de son activité métacognitive. Par exemple, lorsqu’un individu estime qu’il résiste à un message persuasif, par conséquent au changement d’attitude, il devient plus certain de son attitude que ce qu’il ne l’était auparavant (Tormala & Petty, 2002b). Néanmoins, les recherches montrent que la résistance à une attaque persuasive ne suffit pas pour que l’activité métacognitive des individus produise une augmentation de la certitude de l’attitude. Pour ce faire, il faut également que : 1/ l’individu perçoive l’efficience de sa résistance (Tormala & 19 Petty, 2004) ; 2/ la source du message soit considérée comme crédible par l’individu (Tormala & Petty, 2004) ; 3/ l’individu traite le message de façon approfondie ; 4/ l’individu ait un fort besoin de cognition (Tormala & Petty, 2004) ; 5/ le message auquel l’individu résiste soit perçu de bonne qualité (Tormala & Petty 2004) ; 6/ l’individu ait la sensation d’avoir correctement contre-argumenté le message et, au-delà, correctement résisté à la persuasion (Tormala, Clarkson & Petty, 2006). 7.3.2. la résistance comme processus : identification des principaux processus permettant la résistance. Plusieurs processus participant à la résistance à la persuasion sont identifiés dans la littérature. Dans cette section, nous passons en revue les principaux -Générer une contre-argumentation. Ce processus, identifié dès les premiers travaux sur la persuasion (Hovland, Janis & Kelley, 1953) consiste à opposer à un message persuasif une contre-argumentation, c’est-à-dire des éléments contraires à ceux proposés dans le message. Jacks et Cameron (2003) montrent que ce processus est jugé socialement acceptable, perçu d’usage fréquent et efficace. Tout comme d’autre processus que nous aborderons, il est d’autant plus utilisé que l’attitude est jugée importante par les individus ou que la situation est perçue risquée pour leurs attitudes. Par exemple Hass (1972, in Petty, Ostrom & Brock, 1981) suggère qu’un individu fortement engagé peut considérer une source crédible comme potentiellement dangereuse en cela qu’elle peut présenter de bons arguments. Pour s’en défendre, le sujet produirait une contre-argumentation. Hass attendait donc à observer en situation de fort engagement plus de contre-argumentation envers une source de forte crédibilité que de faible crédibilité. Les sujets (des étudiants) produisaient un message pro-attitudinal sur le temps que devaient consacrer les enseignants à l’enseignement et à la recherche. Dans la condition de fort engagement, ils laissaient leur nom 20 sur l’enregistrement et signaient un formulaire autorisant l’utilisation de l’enregistrement pour des recherches ultérieures. Dans la condition de faible engagement, on ne leur demandait ni nom ni signature. Hass informait ensuite les participants qu’ils allaient écouter un message, contraire à leurs opinions, sur cette même question. Ce message était soit attribué à une source crédible et/ou experte, soit à une source de faible crédibilité (lycéens) n’ayant pas de connaissance particulière sur ce sujet. Les principaux résultats sont conformes aux attentes. Dans la situation de faible engagement, les sujets génèrent plus de contre-arguments envers la source de faible crédibilité qu’envers celle de forte crédibilité. En revanche, la situation de fort engagement accroît la production de contre-argumentation que la source soit crédible ou non. Dans une autre étude, Brock (1967) faisait écouter un message à ses participants (i.e., des étudiants) en faveur d’une augmentation des frais d’inscription à l’université. Le message était plus ou moins inconsistant avec l’attitude des sujets envers les frais d’inscription. Dans une condition de faible inconsistance, le message préconisait une augmentation de 135 $ (inconsistance faible), dans une seconde condition une augmentation de 250 $ (inconsistance moyenne) et dans une dernière condition une augmentation de 400$ (inconsistance forte). Les résultats obtenus montrent que le nombre de contre-arguments (i.e., défavorables à l’augmentation des frais d’inscription) produit par les participants est proportionnel au degré d’inconsistance : plus l’inconsistance est élevée, plus les participants contre-argumentent (e.g., Aronson et al., 1963 ; Zimbardo, 1960). Au-delà, les participants ayant le plus contre-argumenté (i.e., forte inconsistance) expriment un plus grand désaccord avec le message que ceux ayant faiblement contre-argumenté (i.e., faible inconsistance). Ainsi, outre son efficacité perçue, la contre-argumentation est une stratégie de résistance à la persuasion particulièrement efficace. Mais ce n’est pas la plus facile à mobiliser car elle requiert des ressources et des efforts cognitifs de la part des individus (cf. Wheeler, Briñol & Hermann, 2007). -Soutenir son attitude initiale 21 Cette stratégie consiste à générer des pensées conformes à l’attitude initiale pour la soutenir, sans réfuter directement les arguments du message persuasif. Il s’agit de réaffirmer son attitude grâce à un capital de pensées consistantes avec son attitude, susceptibles d’expliquer les raisons de cette dernière. Lydon, Zanna et Ross (1988) ont pu montrer que le rappel autobiographique renforce les attitudes nouvellement formées. Après s’être construit une nouvelle attitude suite à la lecture d’un message, on demandait aux participants de se souvenir de comportements passés conformes à cette attitude. Les résultats obtenus montrent que ces participants se souviennent mieux du message et de leur nouvelle attitude deux semaines après comparativement à d’autres n’ayant pas eu l’occasion de se souvenir de ces comportements. Pour Fazio, Herr et Olney (1984), le rappel comportemental renforce la nouvelle attitude et augmente sa persistance parce qu’elle devient plus accessible en mémoire. Ross, McFarland, Conway et Zanna (1983) ont mesuré la résistance d’une attitude nouvellement formée à une contreattaque persuasive. Tous les participants étaient exposés à un message contre-attitudinal contre le brossage des dents. On demandait ensuite à une moitié de rappeler le nombre de brossage de dents durant les deux semaines écoulées (« rappel pertinent »). Ils étaient soumis, juste après, à une contreattaque persuasive prenant position pour le brossage des dents. Ils remplissaient ensuite l’échelle d’attitude. On demandait à l’autre moitié des sujets de rappeler des comportements n’ayant rien à voir avec le brossage des dents (i.e., le port de la ceinture de sécurité, « rappel non pertinent ») avant de procéder aux mesures attitudinales. Les résultats obtenus montrent que les participants ayant rappelé leurs comportements passés pertinents après la tentative de persuasion réussie (i.e., contre le brossage des dents) sont moins influencés par la contre-attaque que ceux ayant rappelé des comportements non pertinents. Les premiers furent donc moins favorables au brossage des dents que les seconds. Le rappel comportemental semble augmenter la persistance de l’attitude nouvellement formée ou, à tout le moins, la rendre plus résistante au changement. Selon Ross et al. (1983), le rappel de comportements passés pertinents servirait finalement à augmenter la résistance de la nouvelle attitude. 22 En règle générale, l’efficacité relative des stratégies de soutien et de contre-argumentation va dépendre de la force ou de la qualité des messages persuasifs réceptionnés (Briñol & Petty, 2005). Si un message contient des arguments de faible ou moyenne qualité, alors la contre-argumentation s’avérera plus efficace que la stratégie de soutien de l’attitude initiale. Elle s’avérera plus efficace car d’une part sa probabilité de succès est plus élevée (du fait de la force relative des arguments persuasifs), d’autre part la contre-argumentation produit un effet classique d’inoculation5 (i.e., meilleure perception de sa vulnérabilité face à une attaque persuasive, motivation à défendre ses attitudes et entrainement à la réfutation). En revanche, si un message contient des arguments persuasifs de très bonne qualité, alors opposer une contre-argumentation peut s’avérer difficile. Ces arguments de très bonne qualité peuvent aller jusqu’à remettre en cause la certitude de l’individu dans son attitude. Dans ce cas, la stratégie de soutien s’avère la plus efficace notamment parce qu’elle renforce chez lui la perception de posséder une attitude correcte. -Décrédibiliser la source du message Cette stratégie consiste à attaquer la source, discréditer ou mettre en doute son expertise, diminuer la confiance que l’on peut lui accorder, et par voie de conséquence minimiser la valeur du message persuasif. Stratégie considérée comme socialement indésirable, elle figure néanmoins parmi les plus utilisées (Jacks & Cameron, 2003). Sa mobilisation et son efficacité vont pour partie dépendre de ce que l’on est prêt à concéder à la source du message, du fait de la position qu’elle défend et de sa crédibilité. Tannenbaum, Macaulay et Norris (1966) ont pu montrer que la dévalorisation de la source a pour effet d’atténuer la persuasion. Cette dévalorisation permettrait aux individus de réduire leur inconsistance, entre la position défendue dans le texte et leur attitude personnelle, en ne permettant pas le changement d’attitude après lecture du message. Dans une autre expérience, Aronson, Turner et Carlsmith (1963) ont montré que des participants n’hésitent pas à dévaloriser une source faiblement crédible lorsque cette 5 Le lecteur intéressé peut se référer ici à la théorie de l’inoculation de McGuire (1964 ; e.g., développée in Girandola, 2003, pp. 136-145). McGuire fait une application analogique de la théorie de l’immunisation contre les maladies à virus pour définir les conditions de résistance à la persuasion et trouver des procédures favorisant la défense des attitudes ou croyances contre les attaques d’une propagande. 23 dernière défend une position insoutenable à leurs yeux. Dans cette expérience, on demandait à des étudiantes de classer, par ordre de préférence, neuf strophes extraites de poèmes. On leur donnait ensuite un classement de ces strophes : la moitié des étudiantes recevait un classement faiblement divergent du leur, l’autre moitié un classement fortement divergent. Le classement était attribué à une source, soit fortement crédible (un poète critique), soit faiblement crédible (une étudiante en théâtre). Les étudiantes devaient ensuite indiquer leur degré d’accord envers le classement proposé. Les résultats montrent que la source fortement crédible exerce le plus d’influence lorsque le classement est fortement divergent. La source faiblement crédible produit un impact maximum lorsque le classement est faiblement divergent. Lorsque la divergence croît, les étudiantes dévalorisent la source faiblement crédible. La source fortement crédible, quant à elle, reste efficace même si la divergence est forte (cf. aussi Dechesne, Janssen & van Knippenberg, 2000)6. -Générer des affects négatifs envers la source et/ou les arguments contre-attitudinaux Cette stratégie consiste à produire des réponses affectives telles que la colère, l’irritation, l’énervement ou la tristesse en réponse à une attaque persuasive. Zuwerink et Devine (1996) ont montré que les attitudes personnellement fortes et importantes sont plus difficiles à changer que les attitudes moins importantes. Cette résistance procède à la fois de processus cognitifs comme la contre-argumentation mais aussi et surtout de réactions affectives comme la colère et l’irritation envers la source du message et son message. Ainsi, processus cognitifs et réactions affectives joueraient-ils un rôle médiateur dans la résistance à la persuasion. Éprouver de la colère ou de l’irritation informerait l’individu sur son état, lui permettant ainsi d’évaluer le message remettant en cause son attitude importante (cf. aussi Sherif, Sherif & Nebergall, 1965). Plus clairement, selon Zuwerink et Devine (1996), ce n’est pas « juste les pensées qui comptent »7 (p. 942). 6 Le lecteur intéressé peut prendre connaissance des expérimentations réalisées sur la résistance (e.g., déni) envers la source dans le cadre de l’influence minoritaire (e.g., Moscovici, Pérez et Mugny, 1984 ; Pérez, Moscovici et Buschini, 2000 ; Pérez, Moscovici et Mugny, 1991 ; Pérez, Mugny et Moscovici, 1986). 7 « It’s not just the thought that counts” 24 -L’exposition sélective Cette stratégie de « sourde oreille » consiste à résister à la persuasion en ignorant activement le message persuasif ou, plus radicalement, en évitant les situations dans lesquelles on est susceptible de s’exposer à ce message. L’individu se décentre du message contraire à ses opinions dans le but de ne plus y être exposé. Wellins et McGinnies (1977) ont encouragé une moitié de leurs participants à systématiquement contre-argumenter face à un message persuasif, l’autre moitié n’avait pas l’opportunité de le faire. Les résultats montrent que ceux ayant la possibilité de contre-argumenter s’exposent plus longtemps au message que les autres. Ces derniers vont vite mobiliser une stratégie d’évitement. -La validation sociale D’autres stratégies de résistance ont été identifiées (Jacks & Cameron, 2003). La validation sociale consiste à résister à un message persuasif en pensant que de nombreuses personnes partagent sa propre attitude, ou en prenant pour exemple des individus crédibles partageant la même attitude que soi. L’individu s’appuie donc sur un soutien social (i.e., autorité légitime, ensemble d’individus) : il s’agit d’une prise à témoin. -La confiance en ses dires Une dernière stratégie, la confiance en ses dires, consiste pour l’individu à se convaincre que rien ni personne ne pourra le faire changer d’avis sur l’objet d’attitude. Cette stratégie résulte d’une surconfiance que possède l’individu dans sa capacité à résister. Stratégies efficaces ponctuellement, la validation sociale et la confiance en ses dires s’avèrent peu coûteuses sur le plan cognitif (Brinõl, Rucker, Tormala et Petty, 2004). 7.3.3. Résistance et caractéristiques intra-individuelles 25 Le degré de résistance et les stratégies de résistance à la persuasion peuvent aussi s’exprimer selon certaines préférences individuelles. Les échelles créées (Bolster-Counterargue Scale ou BSC ; Resistance Persuasion Scale ou RPS, Briñol et al., 2004, cf. Shakarchi & Haugtvedt, 2004 pour les items complets de ces deux échelles ; Defensive Confidence Scale ou DCS, Albarracin & Mitchell, 2004) permettent de déterminer si l’individu est plutôt orienté vers le soutien de son attitude ou la contreargumentation (BSC), si l’individu éprouve une sentiment de vulnérabilité face à la persuasion (RPS), ou encore s’il a confiance dans sa capacité à se défendre (DCS). En effet, les croyances que les individus possèdent sur eux-mêmes peuvent influencer le type de résistance utilisé. Ainsi, le soutien de l’attitude serait-il plus efficace lorsque les individus ont peu de connaissance sur le point de vue opposé et sont, par conséquent, incapables de contre-argumenter. L’utilisation de contre-arguments serait plus efficace lorsque les individus possèdent des connaissances sur le point de vue opposé et sont capables de réfuter les arguments délivrés même s’ils sont de bonne qualité. 7.4. Dissonance et résistance à la persuasion : Un nouveau regard sur la résistance au changement en dissonance. Nous nous sommes efforcés de montrer qu'en situation de soumission forcée, la remise en cause d’une attitude importante ou liée à une identité sociale ne se traduit pas par un changement d’attitude classique. Les participants, bien que dissonants, résistent au changement d’attitude et/ou utilisent d’autres modes de réduction. Abelson (1959), Hardyk et Kardush (1968) puis Kelman et Baron (1968) avaient, en leur temps, déjà identifié plusieurs processus de résistance au changement d’attitude et corollairement fait valoir d’autres modes de réduction de la dissonance possibles (cf. Chapitre 5). Ce qui nous préoccupe ici est de mettre en lumière les différences et les similitudes entre ces modes de réduction alternatifs au changement d’attitude observés dans le cadre de la dissonance cognitive et les processus de résistance identifiés dans le cadre de la communication persuasive. 26 De notre point de vue, une différence essentielle serait liée à la question du pourquoi de la mise en œuvre des stratégies de résistance. Alors que dans le champ de la persuasion, les individus semblent utiliser ces stratégies pour permettre à leur attitude de résister, dans le champ de la dissonance, ils les utilisent car leur attitude est résistante. Mais au-delà de cette différence, les processus de résistance au changement d’attitude mis en évidence dans les travaux sur la dissonance et sur la persuasion présentent bon nombre de similitudes. Nous les résumons dans le tableau 1 suivant. 27 Tableau 1 : La résistance au changement d’attitude, un essai de classification PERSUASION DISSONANCE Les conditions de la résistance Attitude forte, c'est-à-dire importante pour le Soi ou le groupe Attitude définitionnelle du Soi ou du groupe Attitude importante et saillante La résistance comme processus de soutien de l’attitude initiale Contre argumentation : pensées négatives (Brock, 1967 ; Jacks & Cameron, 2003 Wheeler, Briñol & Herman, 2007) Contre-argumentation : pensées négatives (Eisenstadt et al., 2003) Décrédibilisation de la source (Aronson, Turner & Carlsmith, 1963) Trivialisation (Simon, Greenberg, & Brehm, 1995) Exposition sélective (Wellins & McGuiniss, 1977) Exposition sélective (Frey, 1986) Confiance en ses dires Mise en avant des valeurs du Soi (Steele, 1988) (Brinõl, Rucker, Tormala et Petty, 2004). Augmentation de la certitude dans l’attitude (e.g., Tormala & Petty, 2002a,b, 2004) Renforcement de l’attitude (Festinger et al., 1956) Validation sociale (e.g., Jacks et Cameron, 2003, Fleming & Petty, 2000) Support social (e.g., Cooper e

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