Synthèse du Collège de France : Mobilité Sociale PDF
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Ce document présente une synthèse sur la mobilité sociale, analysant les caractéristiques contemporaines et les facteurs déterminants. L'étude explore la mobilité sociale intergénérationnelle et d'autres types de mobilité. Il aborde des aspects tels que l'égalité des droits et les inégalités de chances dans les sociétés modernes.
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Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? Dans les sociétés démocratiques, qui apparaissent progressivement à partir du 18ièm...
Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? Dans les sociétés démocratiques, qui apparaissent progressivement à partir du 18ième siècle, l’égalité des droits 1 a pour conséquence que toutes les positions sociales sont désormais accessibles à tous. Est-ce que cette promesse des sociétés démocratiques modernes est tenue ? A partir du moment où les sociétés sont hiérarchisées, les inégalités de positions sociales n’impliquent-elles pas aussi des chances inégales d’accéder aux positions les plus élevées ? L’étude de la mobilité sociale permet de mettre à jour les trajectoires des individus, de comparer leur position sociale à leur origine sociale. Elle permet d’observer l’évolution des flux de mobilité depuis plusieurs décennies, de s’interroger sur le poids de l’origine sociale dans le devenir des individus et d’expliquer pourquoi des hommes, ou des femmes, ont une position sociale différente de celle de leurs parents ou, au contraire, conservent la même position. Objectif d’apprentissage 1 : Savoir distinguer la mobilité sociale intergénérationnelle des autres forms de mobilité (géographique, professionnelle). La mobilité sociale intergénérationnelle L’INSEE utilise depuis les années 1970 les enquêtes Formation et qualification professionnelle (FQP) pour obtenir des informations sur la mobilité. Ces enquêtes classent les individus (de 35 à 59 ans2) à partir de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS)3. Les enquêtes FQP recensent également la PCS des parents, au moment de la fin des études de leurs enfants. Cela permet ainsi de connaître l’origine sociale des personnes enquêtées. Il y a mobilité sociale intergénérationnelle lorsque la personne enquêtée et le parent, auquel elle est comparée, appartiennent à des catégories socio-professionnelles différentes. A titre d’exemple, citons le cas d’un individu devenu cadre alors que son père était ouvrier. Il existe d’autres formes de mobilité. 1 Actée par la fin des privilèges en France (4 août 1879) 2 Pour justifier cet intervalle, l’INSEE avance l’argument suivant : à partir de 35 ans, la position professionnelle des individus est très majoritairement stabilisée. La probabilité qu’ils connaissent une mobilité professionnelle ascendante (ou même descendante) est faible. Il est donc possible de considérer qu’ils ne changeront pas de PCS d’ici la fin de leur vie active. 3 La nomenclature des PCS classe la population selon la profession, le statut (salarié ou non), le nombre de personnes travaillant dans l’entreprise pour les indépendants, la nature de l’employeur (public/privé) pour les salariés et le niveau de qualification. Cette nomenclature des PCS comporte 4 niveaux qui sont emboîtés : 6 groupes socio-professionnels (niveau 1), 29 catégories socioprofessionnelles (niveau 2), 121 professions regroupées (niveau 3) et 311 professions (niveau 4). 1 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? Elles ne consistent pas à comparer la position sociale des enfants par rapport aux parents mais plutôt à observer l’évolution de la situation d’un individu au cours de sa vie. La mobilité observée ici n’est donc pas intergénérationnelle. La mobilité géographique se définit comme un changement du lieu de résidence. Cette mobilité peut être intra-nationale ou internationale (ce qui implique une migration). La mobilité professionnelle se définit comme un changement de situation professionnelle consécutif à un changement de qualification, de métier, de poste ou d’entreprise. Ces deux formes de mobilité peuvent se recouper, ou non : par exemple, suite à une promotion, une personne peut occuper un emploi plus qualifié dans un autre établissement ce qui peut entraîner un changement de résidence ; un ouvrier non qualifié qui devient qualifié dans le même établissement connaît, quant à lui, une mobilité professionnelle sans mobilité géographique. Objectif d’apprentissage 2 : Comprendre les principes de construction, les intérêts et les limites des tables de mobilité comme instrument de mesure de la mobilité sociale. Principes de construction des tables de mobilité Les tables de mobilité permettent de mesurer la mobilité intergénérationnelle. Elles mettent en correspondance la catégorie socio-professionnelle d’un individu et celle du parent qui sert de référence lors de l’enquête. On distingue les tables de destinée des tables de recrutement. La table de destinée Elle permet de savoir ce que deviennent les fils originaires d’une catégorie socio- professionnelle donnée. Elle répond à la question : « que deviennent les fils de… ? ». Document 1: table de destinée (enquête FQP 2014-2015) CSP du fils En % Agriculteur Artisans, Cadres et Professions Employ Employés Ensemble s commerç prof. intermédia és et et exploitants ants et Intellectuelle ires ouvriers ouvriers chefs s supérieures qualifiés non d’entrep qualifiés rises Agriculteurs 27 8 9 20 27 9 100 exploitants Artisans, commerçant 1 21 23 24 24 8 100 s et chefs 2 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? CSP du d’entreprise père s Cadres et prof. Intellectuell 0 8 49 25 14 4 100 es supérieures Professions intermédiair 1 8 27 31 26 8 100 es Employés et ouvriers 1 7 13 27 41 10 100 qualifiés Employés et ouvriers non 1 7 8 19 44 22 100 qualifiés Ensemble 3 9 20 25 32 10 100 Champ : France métropolitaine, hommes de 35 à 59 ans ayant déjà occupé un emploi et dont le père a déjà occupé un emploi. Source : INSEE, enquête Formation et qualification professionnelle 2014-2015 Dans la table de destinée fournie par l’enquête FQP (2014-2015), nous constatons par exemple que 27 % des fils d’agriculteurs deviennent agriculteurs et que 27 % des fils d’agriculteurs deviennent ouvriers-employés qualifiés. Pour savoir ce que deviennent l’ensemble des fils d’agriculteurs, il faut se reporter à la ligne « CSP du père : agriculteurs exploitants ». Chaque donnée de la ligne exprime le % de fils d’agriculteurs exploitants appartenant à telle ou telle catégorie socio-professionnelle. La somme de ces données est bien sûr égale à 100 %. Les chiffres de la diagonale expriment le % de fils qui appartiennent à la même catégorie socio- professionnelle que leur père. Il est alors possible de calculer le % de fils qui sont en mobilité sociale, c’est-à-dire qui ne sont pas restés dans leur catégorie socio-professionnelle d’origine4 : environ 73 % des fils d’agriculteurs, 79 % des fils d’artisans et chefs d’entreprise, 51 % des fils de cadres et professions intellectuelles supérieures, 69 % des fils de professions intermédiaires, 59 % des fils d’ouvriers-employés qualifiés et 78 % des fils d’ouvriers-employés non qualifiés. Plus le % est proche de 100, plus la catégorie socio-professionnelle des fils est différente de celle des pères. Plus le % est proche de 0, plus la catégorie socio-professionnelle des fils est identique à celle des pères, illustrant en cela une forme d’hérédité sociale. La table de destinée indique également la répartition des fils dans les différentes catégorie socio-professionnelle (dernière ligne « ensemble » en bas du tableau), c’est-à-dire la structure de la population active en catégories socio-professionnelles de la génération des fils. 4 100 – le % de fils appartenant à la même catégorie socio-professionnelle que leur père 3 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? La table de recrutement Elle permet de savoir ce que faisaient les parents des fils appartenant à une catégorie socio- professionnelle donnée. Elle répond à la question : « d’où proviennent les fils … ? ». Document 2 : table de recrutement (enquête FQP 2014-2015) CSP du fils En % Agriculteurs Artisans, Cadres et Professions Employé Employé Ensemble exploitants commerçan prof. intermédiair s et s et ts et chefs Intellectu es ouvriers ouvriers d’entreprise elles qualifiés non s supérieur qualifiés es Agriculteur s 81 7 4 7 7 8 8 exploitants Artisans, CSP du commerçan père ts et chefs 4 30 15 12 10 10 13 d’entrepris es Cadres et prof. Intellectuell 1 12 34 14 8 5 14 es supérieures Professions intermédiai 4 14 21 20 13 12 16 res Employés et ouvriers 7 28 22 38 47 36 36 qualifiés Employés et ouvriers 3 9 5 10 18 29 13 non qualifiés Ensemble 100 100 100 100 100 100 100 Champ : France métropolitaine, hommes de 35 à 59 ans ayant déjà occupé un emploi et dont le père a déjà occupé un emploi. Source : INSEE, enquête Formation et qualification professionnelle 2014-2015 4 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? Dans la table de recrutement fournie par l’enquête FQP (2014-2015), on constate par exemple que 81 % des agriculteurs sont fils d’agriculteurs et que 47 % des ouvriers-employés qualifiés sont fils d’ouvriers-employés qualifiés. Pour savoir d’où viennent les fils agriculteurs, il faut se reporter à la colonne « CSP du fils Agriculteurs exploitants ». Chaque donnée de la colonne exprime le % de fils agriculteurs originaires de telle ou telle catégorie socio-professionnelle. Leur somme est bien sûr égale à 100 %. Les chiffres de la diagonale expriment le % de fils qui ont été recrutés dans la même catégorie socio-professionnelle que leur père. Il est alors possible de calculer le % d’actifs qui ne sont pas originaires de la catégorie socio-professionnelle 5 : 19 % des agriculteurs, 70 % des artisans et chefs d’entreprise, 66 % des cadres et professions intellectuelles supérieures, 80 % des fils de professions intermédiaires, 53 % des fils d’ouvriers-employés qualifiés et 71 % des fils d’ouvriers-employés non qualifiés. Plus le % est proche de 0, plus la catégorie socio-professionnelle est dans une situation d’autorecrutement. Plus le % est proche de 100, plus la catégorie socio-professionnelle recrute des fils originaires de catégorie socio-professionnelles différentes. Près des deux tiers des fils « cadres et professions intellectuelles supérieures » ne sont pas issus de cette catégorie socio- professionnelle alors que cela ne concerne que 19 % des agriculteurs. L’autorecrutement est donc plus élevé dans la catégorie socio-professionnelle agriculteurs que dans celle des cadres. La table de recrutement indique également la répartition des pères dans les différentes catégories socio-professionnelles (dernière colonne « ensemble » à droite du tableau), c’est-à-dire la structure de la population active en catégories socio-professionnelles de la génération des pères. Limites des tables de mobilité Les tables de mobilité associent la structure sociale à la structure socio-professionnelle. Or, il existe d’autres éléments constitutifs de la structure sociale, comme le revenu par exemple. En classant les individus selon leurs revenus6, il est alors possible de se demander que deviennent les enfants issus de tel ou tel décile de revenus ? Par exemple, d’où viennent les individus appartenant aujourd’hui au décile de revenus le plus élevé ? Une autre limite des tables de mobilité est inhérente à tout effort de classification. Plus une classification des PCS est fine, c’est-à-dire décompose chaque catégorie en sous-catégories, plus elle met à jour des trajectoires de mobilité sociale à l’intérieure de chaque catégorie. Par exemple, si on décompose la catégorie « ouvriers » en « ouvriers qualifiés » (OQ) et « ouvriers non qualifiés » (ONQ)7, il est possible d’observer une mobilité entre les OQ et les ONQ qui ne serait 5 100 – le % de fils appartenant à la même catégorie socio-professionnelle que leur père 6 Cf les publications de France Stratégie qui classent les individus enquêtés selon leur revenu et leur origine sociale par la catégorie socio-professionnelle de leurs parents (Note d’analyse n°120, Avril 2023, « Inégalité des chances : ce qui compte le plus »), ou les publications de l’Institut des politiques publiques qui classent enfants et parents selon leurs revenus (Note d’analyse n°95, octobre 2023 « La mobilité intergénérationnelle de revenus en France : une analyse comparative et géographique ») 7 Comme le fait l’enquête FQP 2014-2015 5 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? observable sans cette décomposition. En d’autres termes, moins la nomenclature des PCS est décomposée, moins on y observera des flux de mobilité sociale. Les tables de mobilité proposent une mesure « objective » de la mobilité sociale. Or, il peut aussi être intéressant de connaître la mobilité dans sa dimension « subjective », c’est-à-dire le sentiment de mobilité qu’ont les individus. La mobilité subjective s’étudie à partir d’entretiens pour comprendre le vécu des enquêtés. Ainsi, l’enquête FQP 2014-2015 permet de croiser la trajectoire intergénérationnelle avec le fait de se sentir déclassé : 9 % des personnes en ascension sociale objective se sentent déclassées et un quart des personnes en reproduction sociale objective se déclare déclassées. À l’inverse, une petite moitié (47 %) de ceux qui ont connu un déclassement social objectif ne se considèrent pas comme déclassés. Objectif d’apprentissage 3 : Comprendre que la mobilité observée comporte une composante structurelle (mobilité structurelle); comprendre que la mobilité peut aussi se mesurer de manière relative indépendamment des differences de structure entre origine et position sociales (fluidité sociale) et qu’une société plus mobile n’est pas nécessairement une société plus fluide. La mobilité observée comporte une composante structurelle : la mobilité structurelle La colonne « ensemble » de la table de destinée indique la répartition de la population active chez les fils. Tandis que la ligne « ensemble » de la table de recrutement permet de connaître celle des pères. Or, comme la structure de la population active évolue avec le temps, la répartition en catégories socio-professionnelles des fils n’est plus identique à celle des pères. Depuis plus la seconde guerre mondiale, la part relative : - des cadres et professions intellectuelles supérieures a augmenté ; - des professions intermédiaires a augmenté ; - des employés a augmenté ; - des ouvriers a baissé ; - des agriculteurs exploitants a baissé ; - des artisans, commerçants et chefs d’entreprise a baissé En résumé, les catégories socio-professionnelles d’indépendants et les catégories socio- professionnelles de salariés peu qualifiés ont vu leurs parts baisser dans la population active en faveur des catégories socio-professionnelles de salariés davantage qualifiés. Ces évolutions de la population active entre les deux générations ont des conséquences sur le devenir des fils et leur mobilité sociale : les enfants issus de catégories socio-professionnelles en déclin vont être « recrutés » par des catégories socio-professionnelles en essor. On appelle mobilité sociale structurelle cette mobilité sociale qui découle des transformations de la population active. 6 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? Comme la part des catégories d’actifs diplômés et qualifiés augmente progressivement dans la population active, cela provoque de la mobilité sociale structurelle et les chances d’appartenir à ces catégories en essor augmente. Cela transforme-t-il pour autant le rapport des chances relatives d’atteindre ces positions ? Une autre mesure de la mobilité sociale : la fluidité sociale La lecture des tables de mobilité permet de savoir quelle est la destinée des individus issus de telle ou telle origine sociale (que deviennent les enfants de cadres ? que deviennent les enfants d’ouvriers ?) ou de connaître l’origine sociale des individus qui occupent telle ou telle position sociale (d’où viennent les cadres ? d’où viennent les ouvriers ?). Les tables de mobilité sont donc utiles pour faire apparaître les trajets de mobilité sociale. La notion de fluidité sociale permet de mesurer la mobilité sociale autrement : elle exprime la force du lien entre l’origine sociale et la position sociale. Pour évaluer la fluidité sociale, il faut comparer la probabilité que des enfants d’origines sociales différentes ont d’occuper une même position sociale. Par exemple, la probabilité d’un enfant de cadre de devenir cadre plutôt qu’ouvrier non qualifié comparée à celle d’un enfant d’ouvrier non qualifié de devenir cadre plutôt qu’ouvrier non qualifié. Si les deux probabilités sont identiques, cela signifie que l’origine sociale n’a pas d’influence sur l’accés à la position sociale « cadre ». Plus le rapport entre ces deux probabilités8 est proche de 1, plus la fluidité sociale est importante, et donc plus le lien entre l’origine sociale et la position sociale est faible. Dans une société totalement fluide, les probabilités d’atteindre n’importe quelle catégorie socio-professionnelle sont les mêmes pour les enfants issus de n’importe quelle catégorie socio- professionnelle. Dit autrement, la société est caractérisée par une égalité des chances totale. Inversement, plus la fluidité sociale est faible, plus l’inégalité des chances augmente. La destinée des individus dépend alors fortement de leur origine sociale. Dans le cas français, en 1977, un fils de cadre avait 28 fois plus de chances de devenir cadre qu’un fils d’employé-ouvrier qualifié, tandis qu’en 2015, ce rapport s’élevait à 12. La fluidité sociale a donc augmenté sur l’ensemble de la période, c’est-à-dire que le lien entre l’origine sociale et la position sociale s’est distendu. L’égalité des chances a donc progressé. Document 3 : rapport des chances relatives d’être cadre pour un fils de cadre plutôt que pour un fils de profession intermédiaires, d’employés-ouvriers qualifiés et d’employé-ouvrier non qualifié 8 On parle aussi de rapport des chances relatives 7 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? Source : Enquêtes FQP Une société avec un taux de mobilité élevé n’est pas nécessairement une société fluide. Lorsque le taux de mobilité augmente dans une société, cela signifie-t-il nécessairement que la fluidité sociale a aussi augmenté, c’est-à-dire que l’inégalité des chances entre des enfants issus de catégories socio-professionnelles différentes a diminué ? Il est possible de présenter deux cas où la hausse de la mobilité sociale ne se traduit pas par une hausse de la fluidité sociale. L’augmentation de la mobilité sociale peut concerner des trajectoires sociales sans changement de niveau de qualification ou de niveau de hiérarchie dans l’emploi : par exemple, un fils d’agriculteur devenu artisan ou un fils d’ouvrier devenu employé. Dans ce cas, la société est plus mobile9 mais elle ne fait pas progresser la probabilité des enfants issus des catégories socio- professionnelles les moins qualifiées d’atteindre les catégories socio-professionnelles les plus qualifiées. L’augmentation de la mobilité sociale concerne l’accès aux catégories socio-professionnelles les plus qualifiées. La probabilité des enfants d’ouvriers de devenir cadres plutôt qu’ouvriers augmente. Mais dans le même temps, la probabilité des enfants de cadres de devenir cadres plutôt qu’ouvriers peut augmenter plus que proportionnellement à celle des ouvriers. Le rapport entre ces deux probabilités augmente alors et la fluidité sociale baisse. Objectif d’apprentissage 4 : A partir de la lecture des tables de mobilité, être capable de mettre en evidence des situations de mobilité ascendante, de reproduction sociale et de déclassement, et de retrouver les spécificités de la mobilité sociale des hommes et de celles des femmes. A partir des tables de mobilité, il est possible d’observer plusieurs types de trajectoires sociales : - On parle de mobilité sociale ascendante lorsque la catégorie socioprofessionnelle du fils est considérée comme supérieure à celle du père. - On parle de déclassement, ou mobilité sociale descendante, lorsque la catégorie socioprofessionnelle du fils est considérée comme inférieure à celle du père. 9 Cette mobilité est qualifiée de mobilité « horizontale » 8 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? - On parle de reproduction sociale, lorsque la catégorie socioprofessionnelle du fils est identique à celle de son père. Cela correspond à une situation d’immobilité sociale. La mobilité sociale observée est supérieure aux situations de reproduction sociale Les situations de mobilité sociale, qui incluent mobilité ascendante et déclassement, sont plus importantes que les situations de reproduction sociale. En moyenne depuis la fin des années 1970, deux hommes sur trois n’appartiennent pas à la même catégorie socio-professionnelle que leur père. Document 4 : évolution des taux d’immobilité et de mobilité Le taux de mobilité est relativement stable depuis 40 ans. Mais de quoi est composée cette mobilité ? Quelles sont ses caractéristiques ? S’agit-il plutôt de mobilité ascendante ou de déclassement ? La mobilité sociale est avant tout caractérisée par des trajets courts Lorsque l’on mesure la mobilité des hommes, on observe qu’au sein des catégories socio- professionnelles de salariés les trajets « courts » sont plus fréquents que les trajets « longs ». Il est plus fréquent de passer d’ouvrier à profession intermédiaire que d’ouvrier à cadre. Par exemple 10 , les fils d’ouvriers et employés qualifiés sont 27 % à devenir professions intermédiaires mais seulement 13 % à devenir cadres. Du côté de cadres, qui peuvent connaître des trajectoires de déclassement, ils sont 25 % à devenir professions intermédiaires mais seulement 10 % à devenir ouvriers et employés non qualifiés. La mobilité ascendante est prédominante mais elle baisse tandis que les flux de déclassement augmentent 10 Document 1 (enquête FQP 2014-2015) 9 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? Les trajectoires intergénérationnelles ascendantes sont plus fréquentes que les trajectoires de déclassement (trajectoires descendantes)11. On constate néanmoins que les flux ascendants baissent et les flux descendants augmentent12.. Document 5 : évolution de la fréquence des trajectoires intergénérationnelles13 Il est possible d’appréhender cette évolution divergente de la mobilité ascendante et du déclassement en calculant un coefficient multiplicateur mobilité ascendante/mobilité descendante. En 1977, les individus en mobilité ascendante sont 3,4 fois plus nombreux que ceux qui connaissent un déclassement, tandis qu’en 2015, ce coefficient multiplicateur ne s’élève plus qu’à 1,8. Cette baisse est un des facteurs explicatifs de l’impression de la panne de l’ascenseur social. Les situations de reproduction sociale sont importantes chez les fils de cadres et d’ouvriers- employés qualifiés Les situations de reproduction sociale concernent 49 % des enfants de cadres, 31 % des enfants de professions intermédiaires, 51 % des enfants d’ouvriers-employés qualifiés et 22 % des enfants d’ouvriers-employés non qualifiés14. Elle concerne donc près d’un fils sur deux des catégories socio-professionnelles cadres et ouvriers-employés qualifiés. Cette régularité empirique peut se résumer par l’adage populaire « Tel père, tel fils » 15. 11 Si le thème de la « panne de l’ascenseur social » s’est imposé dans le débat public, il n’est donc pas confirmé par les travaux empiriques. 12 Cf les travaux de C.Peugny 13 La mobilité de statut correspond à un passage entre les statuts salariés et d’indépendants mais également au sein des catégories d’indépendants 14 Document 1 (enquête FQP 2014-2015). Ces situations apparaîtraient plus clairement en utilisant une table qui ne décompose pas les PCS ouvriers et employés entre qualifiés et non qualifiés mais les regroupe. 15 Claude Thélot Tel père, tel fils. Position sociale et origine familiale (1982) 10 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? La caractéristique de la mobilité sociale des femmes A partir des années 1960, le taux d’activité des femmes augmente significativement. Les enquêtes FQP nous renseignent sur la mobilité sociale intergénérationnelle féminine. On observe chez les femmes des éléments identiques à la mobilité masculine notamment une mobilité sociale plus importante que les situations de reproduction sociale, des trajets de mobilité courts. La spécificité de la mobilité sociale des femmes porte essentiellement sur la mobilité ascendante et le déclassement. Lorsque l’on observe ces flux verticaux de mobilité en comparant les filles à leurs mères, on constate que les filles sont en mobilité ascendante croissante et que les flux de mobilité ascendante sont nettement supérieurs à ceux des déclassements. Dans le document 6, la mobilité ascendante est passée de 17 % des flux de mobilité mère/fille en 1977 à 40 % en 2015. Les filles occupent des emplois plus qualifiés que leurs mères. Dans le même temps, les flux de mobilité descendante augmentent à partir de la décennie 1990 pour atteindre 12 % en 2015. Par contre, lorsque l’on compare la situation des filles à celles de leurs pères, on observe plutôt une prédominance des situations de déclassement. Dans le document 7, les flux de mobilité ascendante passe de 13 % à 22 % entre 1977 et 2015 mais les situations de déclassement augmentent dans le même temps de 18 % à 25 %. Cela s’explique par le fait que l’emploi féminin reste encore davantage concentré sur les catégories socio-professionnelles employées et ouvrières que l’emploi masculin. D’après les chiffres de l’enquête FQP de 2014-2015, 15 % des filles sont cadres et professions intellectuelles supérieures contre 20 % des fils, et 52 % des filles sont employées ou ouvrières contre 42 % des fils. Document 6 : Evolution de la fréquence des trajectoires intergenerationelles mère/fille16 En % 1977 1985 1993 2003 2015 Mobilité 17 25 31 35 40 ascendante Mobilité 6 6 8 11 12 descendante Champ : France métropolitaine, femmes de 35 à 59 ans ayant déjà occupé un emploi et dont la mère a déjà occupé un emploi. Source : INSEE, enquêtes Formation et qualification professionnelle (FQP) Document 7: Evolution de la fréquence des trajectoires intergenerationelles père/fille En % 1977 1985 1993 2003 2015 16 La somme de chaque colonne ne fait pas 100 % car nous avons retiré la mobilité de statut qui n’est pas au programme, ainsi que le % d’immobilité sociale 11 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? Mobilité 13 16 19 21 22 ascendante Mobilité 18 20 21 23 25 descendante Champ : France métropolitaine, femmes de 35 à 59 ans ayant déjà occupé un emploi et dont le père a déjà occupé un emploi. Source : INSEE, enquêtes Formation et qualification professionnelle (FQP) 12 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? Objectif d’apprentissage 5 : Comprendre comment l’évolution de la structure socioprofessionnelle, les niveaux de formation et les ressources et configurations familiales contribuent à expliquer la mobilité sociale. Le rôle de l’évolution de la structure socioprofessionnelle dans la mobilité sociale : la mobilité structurelle La mobilité sociale peut être la conséquence des modifications de la structure des emplois entre les deux générations. Cette mobilité est dite structurelle. Plusieurs facteurs à l’origine des transformations de l’économie, et donc de la population active, ont eu des effets sur cette mobilité structurelle : la salarisation, la tertiarisation et la hausse du niveau de qualification des emplois. La salarisation signifie le recul du poids relatif des catégories socio-professionnelles agriculteurs exploitants et artisans et chefs d’entreprise : Dans l’enquête FQP de 197717, 41,4 % des pères appartenaient à ces deux catégories socio-professionnelles, contre seulement 11,9 % des fils en 2015. La part de ces deux catégories socio-professionnelles dans la population active a été quasiment divisée par quatre en 70 ans. La tertiarisation signifie, quant à elle, le recul, au sein des catégories de salariés, des emplois liés à l’industrie, et en premier lieu, des emplois d’ouvriers. En 1977, 44 % des pères étaient ouvriers contre 32,5 % des fils en 2015. Elle signifie également une hausse de la part des emplois d’employés qui représente 30 % de la population active en 2007. Elle diminue légèrement depuis pour atteindre 26 % en 2023. La hausse du niveau de qualification des emplois s’est accompagnée d’un poids croissant des catégories socio-professionnelles cadres et professions intellectuelles supérieures et professions intermédiaires. En 1977, 12,5 % des pères appartenaient à ces catégories socio-professionnelles contre 45,8 % des fils en 2015. Leur poids relatif a donc été multiplié par 4 environ. En conséquence, la mobilité structurelle a été affectée par deux types de flux de mobilité : les enfants des catégories socio-professionnelles agriculteurs exploitants et artisans, commerçants et chefs d’entreprises qui ont progressivement basculé dans des catégories socio-professionnelles de salariés ; les enfants des salariés les moins qualifiés (ouvriers et employés) qui ont davantage été « recrutés » dans des emplois plus qualifiés (cadres, professions intellectuelles supérieures et professions intermédiaires). Le rôle du niveau de formation dans la mobilité sociale Le niveau de formation d’un individu dépend de sa formation initiale et de sa formation continue. C’est pourquoi l’école joue un rôle important dans la mobilité sociale et la destinée des individus. 17 Insee, La mobilité sociale des hommes et des femmes, 1977-2015, M.Collet et E.Pénicaud, 19/11/2019 13 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? Le diplôme facilite une insertion professionnelle de qualité et donc l’accès à des positions sociales élevées18. Avoir un diplôme inférieur à bac +5 divise les chances d’accéder à un emploi de cadre par 10 par rapport à la détention d’un bac+5 19. La démocratisation du système scolaire20 aussi bien dans le secondaire que dans le supérieur depuis les années 1960 a permis l’élévation du niveau général de diplôme de la population, il s’agit d’un facteur favorable à la promotion sociale pour les personnes d’origine populaire. Pour autant, le fait d’avoir un niveau de diplôme supérieur à celui de ses parents ne se traduit pas automatiquement par une position sociale supérieure. Constaté empiriquement aux Etats-Unis dès les années 1960, cette situation paradoxale21 s’explique par la perte de valeurs de certains diplômes, et c’est notamment le cas en France des licences universitaires (L3). Pour les détenteurs de ce type de diplôme, la hausse du niveau de formation d’une génération à l’autre n’a pas été forcément synonyme d’ascension sociale. A niveau de diplôme équivalent ou supérieur à celui de ses parents, un diplômé bac+3 peut alors connaître un déclassement social. Le rôle des ressources et configurations familiales dans la mobilité sociale Les ressources familiales se définissent comme les différents types de capitaux détenus par les familles : le capital économique, le capital culturel et le capital social. Ces capitaux sont des ressources qui ont des effets sur les parcours scolaires des enfants, leur accès aux diplômes et leur mobilité sociale. Le capital économique détenu par les parents (les revenus et le patrimoine) joue sur le niveau de bien-être des enfants. Par exemple, la possibilité de vivre dans un logement avec une chambre à soi augmente la probabilité de réussite à l’école. La détention d’un capital économique permet également de réduire le coût d’opportunité des études. En d’autres termes, le coût d’une poursuite d’études peut sembler comparativement moins élevé dans une famille à revenus élevés que dans une famille à revenus fables. Les familles faiblement dotées en capital économique sont donc incitées à rechercher pour leurs enfants des études les plus courtes et professionnalisantes possible. Le capital culturel des parents est également un facteur explicatif de la réussite scolaire. A revenus des parents équivalents, les enfants qui réussissent le mieux sont ceux dont les parents sont les plus diplômés, en particulier la mère. La détention d’un diplôme permet aux parents de mieux connaître les attentes pédagogiques de l’école et d’adopter les stratégies les plus rentables en termes de choix scolaires (choix des options, des spécialités, des établissements, des diplômes par exemple). Le capital social des parents contribue à l’insertion professionnelle, en particulier des enfants qui viennent d’être diplômés. L’origine sociale a donc aussi des effets sur le rendement des 18 Ce point reprend des éléments abordés dans le programme de seconde, chapitre « Quelles relations entre le diplôme, l’emploi et le salaire ? » 19 France Stratégie, Rapport Mobilité sociale des jeunes, 11 octobre 2023 20 Cf le chapitre du programme de terminale « Quelle est l’action de l’École sur les destins individuels et sur l’évolution de la société ? » 21 Paradoxe d’Anderson 14 Sociologie : Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ? diplômes obtenus. Ainsi, à diplôme équivalent, un jeune issu d’une famille de deux parents cadres a 1,3 fois plus de chances d’être cadre dès son premier emploi qu’un jeune issu d’une famille à dominante employée22. Il est par ailleurs nécessaire d’observer les ressources familiales sous l’angle des configurations des familles. Une famille est définie par l’Insee comme l’ensemble des personnes qui sont unies par des liens familiaux et qui partagent un même logement. Il existe plusieurs types de configurations familiales : les familles dites traditionnelles (les enfants du logement sont ceux du couple), les familles recomposées (au moins un enfant né d’une union précédente de l’un des conjoints), les familles monoparentales (un parent vit avec ses, ou son, enfant(s) mais ne réside pas en couple), les familles nombreuses (au moins 3 enfants). Une famille sur quatre est monoparentale. La part de familles monoparentales est passée de 9,4 à 24,9 % de l’ensemble des familles entre 1975 et 201923. Or, les familles monoparentales24 sont celles qui vivent le plus dans des logements surpeuplés et en situation de pauvreté. Le passage à une structure monoparentale s’accompagne d’une baisse du niveau de vie du ménage pouvant avoir un impact sur les arbitrages réalisés sur les parcours scolaires des enfants. À caractéristiques équivalentes, les jeunes sortis du système scolaire dont les parents sont séparés ont une probabilité d'avoir un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat qui est de 6,8 points supérieure à celle des jeunes sortis du système scolaire dont les parents forment un couple. A l’inverse, la présence de parents vivant en couple renforce les ressources détenues par la famille et ce particulièrement si les deux conjoints appartiennent à la même catégorie socio-professionnelle en particulier chez les couples cadres et professions intellectuelles supérieures25. Le nombre d’enfants par famille est également une variable importante de la réussite scolaire. En effet, quelle que soit l’origine sociale, chez les familles nombreuses les trajectoires ascendantes sont plus rares que dans les autres familles. Il est notamment plus aisé de mobiliser des ressources économiques pour une fratrie plus réduite (frais d’inscriptions, interactions familiales, bureau, équipement numérique, chambre individuelle, cours particuliers, aide aux devoirs). Les ressources ne sont donc pas les mêmes suivant les configurations de la famille. Les familles monoparentales et les familles nombreuses sont celles qui ont le moins de ressources économiques. Cela influence le devenir scolaire des enfants et leurs trajectoires possibles de mobilité sociale. 22 France stratégie, Rapport Mobilité sociale des jeunes, 11 octobre 2023 23 Ces chiffres sont encore plus élevés dans les Dom-Tom 24 Insee Les familles en 2020 : 25% de familles monoparentales, 21% de familles nombreuses, E.Algava, K.Bloch et I.Robert- Bobée, 13/09/2021 15