Âges de la vie, générations, trajectoires PDF
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Université Rennes 2
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This document is a presentation on the sociologies of ages of life, generations, and trajectories. It explores the concept of social trajectory, discusses its methodologies, types of approaches, and examines the concept of social mobility within different contexts, including education and work. The presentation uses the works of various sociologists to support and enhance the analysis.
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Âges de la vie, générations, trajectoires Séance 3 : Rendre compte des existences contemporaines par le prisme des trajectoires Introduction Pour ce quatrième volet du cours, il s’agit...
Âges de la vie, générations, trajectoires Séance 3 : Rendre compte des existences contemporaines par le prisme des trajectoires Introduction Pour ce quatrième volet du cours, il s’agit d’entrer dans l’approche sociologique des existences contemporaines à partir de la perspective des trajectoires sociales. Cette perspective apparaît dans les années 70 dans les pays anglo-saxons et etasuniens pour répondre à un constat : les vies contemporaines sont moins standardisées, moins linéaires qu’on le pensait et donc moins prévisibles. Une perspective précieuse pour les démographes parce qu’elle permet des approches longitudinales par cohortes. Une perspective qui appréhende les vies individuelles dans leur complexité. La trajectoire sociale est un concept de la sociologie de la mobilité sociale. Définition de la mobilité sociale : ensemble des mécanismes statistiquement significatifs qui décrivent soit les mouvements des individus à l’intérieur du système professionnel au cours de leur existence, soit les mouvements qui caractérisent une génération au regard de la suivante ou des suivantes. Seront donc différencier la mobilité intragénérationnelle (au sein d’une même génération) de la mobilité intergénérationnelle (entre des générations différentes). L’étude des trajectoires sociales vise donc à dégager des grandes tendances en termes de mobilité sociale, laquelle s’appréhende d’un point de vue macro sociologique s’appuyant donc sur le raisonnement statistique. Plan Cette quatrième partie du cours s’organise autour de quatre points. 1. La trajectoire sociale dans la sociologie de Pierre Bourdieu 2. Deux façons d’envisager la trajectoire sociale 3. Changement d’époque, changement de perspective 4. Une lecture des âges sous le prisme des parcours de vie 1. La trajectoire sociale dans la sociologie de Pierre Bourdieu 1. 1. La sociologie de Pierre Bourdieu, une sociologie de la domination sociale Un postulat : l’organisation sociale se présente sous la forme d'un rapport de force entre des dominants et des dominés. L’espace social désigne « le lieu de la coexistence de positions sociales, de points mutuellement exclusifs, qui, pour leurs occupants, sont au principe de points de vue » et, se définit « par l'exclusion mutuelle, ou la distinction, des positions qui le constituent ». Définition de concepts fondamentaux à articuler : champ social et habitus. Par ces concepts et leur articulation P. Bourdieu ne reconduit pas l’opposition entre individu et société permettant une autre lecture de la vie en société : les structures internes de la subjectivité (l'habitus) et les structures sociales externes (l’état du champ social) sont deux états d'une même réalité et participent à construire le goût des agents. 1. 2. Exemple d’analyse sociologique de mobilité sociale à partir de la trajectoire P. Bourdieu, J. - C., Passeron, 1964, Les héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, PUF : le système d'enseignement est un instrument de reproduction et de légitimation de la structure de classe. Quels sont les mécanismes de cette reproduction au niveau individuel ? Réponse : « l'intériorisation des probabilités objectives de réussite scolaire en chances subjectives qui guide les choix individuels », car l’habitus inclut non seulement les dispositions acquises dans le passé, mais aussi les perspectives d'avenir les plus probables issues de ces dispositions. La trajectoire sociale résulte donc d'un mécanisme d'intériorisation du probable, qui produit des décisions vécues comme libres. Prenant ensuite en compte les trajectoires sociales sur plusieurs générations, les auteurs complexifient leur énoncé en faisant dépendre ces habitus de la « pente de la trajectoire de la lignée ». Définition de la trajectoire sociale : la courbe reliant les positions sociales successives de plusieurs personnes de la même lignée ou de moments d'un cours individuel de vie. 1. 3. Illustration : la trajectoire d’un autodidacte Claude Fosse-Poliak, 1990, « Ascension sociale, promotion culturelle et militantisme. Une étude de cas », Sociétés contemporaines, 3, pp. 117- 129. Il s’agit de rendre compte des « conditions de possibilité » d'une trajectoire d'exception : celle d'un militant ouvrier, « agent issu des classes dominées, précocement éliminé du système scolaire », qui tente un rattrapage culturel par l'université ouverte aux non-bacheliers. L'article présente tout d'abord les dispositions à l'ascension qui sont liées à l'histoire familiale de l'enquêté, puis décompose la trajectoire en un ensemble de parcours sociaux inscrits dans différents champs de l'espace social (champ scolaire, professionnel et politique). L'analyse du cumul des positions permet ensuite à la sociologue de rendre compte des modalités de cette promotion culturelle et professionnelle d'exception à travers la pente de la trajectoire. 2. Deux façons d’envisager la trajectoire sociale 2. 1. L’approche objective : les cadres sociaux de l’identification La trajectoire « objective » vise à rendre compte objectivement des trajectoires individuelles considérées comme une suite de positions sociales occupées dans un ou plusieurs domaines (scolaire, professionnelle, militant, etc.). Les catégories sociales sont intériorisées tout au long de la vie (niveaux scolaires, catégories professionnelles, positions culturelles…). Elles sont les matériaux à partir desquels les individus s’inventent des identités singulières pour unifier leur existence. Mais, c’est bien la trajectoire sociale « objective », catégorisée par les institutions, qui détermine les identifications subjectives. De ce fait, la personne n’est pas réellement existante en dehors de ces cadres sociaux. Deux étapes dans la démarche selon Claude Dubar : inductive : regrouper la multiplicité des itinéraires en un petit nombre de « classes de trajectoires » regroupant les itinéraires jugés similaires ; hypothético-déductive : confronter les classes empiriques obtenues par la typologie statistique avec des trajectoires théoriques résultant d’un modèle a priori. Articuler les deux étapes : la mise en rapport de ces deux étapes permet d’aboutir à des « classes de trajectoires typiques » qui possèdent à la fois une signification théorique et une représentativité empirique. 2. 2. L’approche subjective : la narration biographique La « trajectoire subjective » s’exprime dans des récits biographiques. Il s’agit ici de rendre compte subjectivement des trajectoires individuelles comme une « histoire personnelle » dont le récit actualise des visions du monde et de soi. Ces biographies font l’objet d’une analyse sémantique. La « trajectoire subjective » désigne l'intrigue mise en mots par l’entretien biographique et reconstruite par le chercheur grâce à l’analyse sémantique. Ainsi, il est possible de dégager, de manière inductive, des types d’argumentation, des agencements typiques, des configurations significatives de catégories que Claude Dubar appelle des « formes identitaires » (types-idéaux construits par le chercheur pour rendre compte de la configuration et de la distributions des discours dégagés par l’analyse précédente). Une technique largement utilisée chez les sociologues rattachés à la première génération de l’École de Chicago. 2. 3. Différences entre ces deux approches L’approche « objective » s’intéresse à de l’« identification sociale » à partir de catégorie nominative collective comme celle de « jeunes », « employés », etc. (comment on me définit/ ce qu’on dit que je suis). L’approche « sujective » s’intéresse à de l’« identité personnelle » (ce que je dis que je suis/ce que je voudrais être). Des postulats différents : l’approche objective postule que le Soi, et donc l’identité biographique, est une « illusion » à la suite de la publication de Pierre Bourdieu sur le sujet. l’approche subjective postule, à l’inverse, la réalité d’un Soi comme réalité « substantialiste », permanente et autonome, construisant son unité. Deux perspectives qui définissent différemment le social : dans la perspective objective, l’identité biographique se rapporte à une « illusion » ; dans la perspective subjective, le « social » est une sorte de superstructure, un extérieur ou un environnement du Sujet. 3. Changement d’époque, changement de perspective 3. 1. Des âges aux biographies Avec les années 90, les sociologues se rendent compte que les âges ne jouent plus leur rôle de marqueur de passage d’un âge à un autre. Qu’il s’agisse des seuils d’entrée dans la vie adulte ou d’entrée dans la vieillesse, ces seuils apparaissent à la fois plus longs, plus nombreux et plus réversibles. Désormais, s’observent des allers-retours croissants concernant à la fois la décohabitation (quitter le domicile parental) et l’entrée dans la vie professionnelle ; de même, le seuil des 60 ans ne marque plus l’entrée dans la vieillesse. Il faut donc repenser la signification même des âges. Comment ? En ayant le recours à la biographie. Pourquoi ? Pour deux raisons d’ordre différent : le contexte socio-historique « produit » des trajectoires sociales plus individualisées que par le passé ; l’outil méthodologique qu’est la biographie rend compte de la singularité des itinéraires de vie. Deux méthodes : démarche rétrospective (approche qualitative) ; démarche longitudinale (approche quantitative). 3. 2. Du cycle aux parcours de vie Le parcours de vie ne cherche pas à rendre compte de la singularité des itinéraires de vie, mais met délibérément l’accent sur leur mobilité. Il s’agit de rendre compte des discontinuité dans les existences contemporaines que ce soit au niveau géographique, familial, ou professionnel. Une orientation adoptée par ceux qui font l’hypothèse que depuis les années 70, les existences sociales subissent un double processus de « déstandardisation » et de « désinstitutionnalisation » du cycle de vie. Un véritable cadre de raisonnement aux US nommé « Life Course » qui suppose la jonction entre dynamiques identitaires et institutionnelles. 4 principes au fondement du « Life Course » : le « principe du développement tout au long de la vie » ; le « principe de l’agencement » ; le « principe du temps et du lieu » ; le « principe des vies interreliées ». 3. 3. Crise et bifurcation dans les parcours de vie Les parcours de vie sont saisis dans leur subjectivité et leur déroulement temporel, avec une attention particulière aux ruptures et les multiples transitions familiales et professionnelles qui émaillent les trajectoires sociales. La sociologie réactualise alors le concept de « crise ». Celles, qui s’observent, sont désormais considérées comme des processus qui se déploient tout au long de la vie (C. Dubar). Explication de ces « crises » : production, dès le début des années 90, d’un nouveau modèle culturel qui enjoint tout un chacun d’un « devoir d’être soi » et par soi-même. Conséquence : Alain Ehrenberg « La fatigue d’être soi » (1998). Les travaux sur les parcours de vie vont de pair avec des travaux théoriques visant à améliorer l’appréhension sociologique de l’expérience du temps : place est ainsi faite aux ruptures, aux « accidents biographiques », aux « tournants biographiques » initialement conceptualisés par une sociologie américaine qui permettra, plus tard en France, d’élaborer le concept de « bifurcations ». 3. 4. Carrière, « turning-point » et bifurcation Les sociologues américains, d’inspiration interactionniste, se sont beaucoup intéressés aux carrières, conçues comme des enchaînements de séquences : H. S. Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, édition A. M Metailé, 1985 (1963). Les transitions entre ces séquences ont fait l’objet d’un texte fondateur d’Everett Hughes (Hughes, 1950, 1996) sur les « tournants de l’existence » (turning-point). Andrew Abbott (1948 - sociologue américain à Chicago) renouvelle la réflexion sur les « turning-point » qu’il définit comme « des changements courts, ayant des conséquences, qui réorientent un processus (…). Tous les changements soudains ne sont pas des tournants, seulement ceux qui débouchent sur une période caractérisée par un nouveau régime ». Cette définition est presque synonyme, selon Michel Grossetti (1957 - sociologue français), de bifurcation : dans une existence tout peut changer tout le temps, mais à des coûts plus ou moins élevés. Il faut donc différencier temps court et temps long parce qu’il n’y a pas de bifurcation sans l’hypothèse que le temps « court » peut influer sur le temps « long », et que ce qui se passe dans ce temps « court » est, au moins partiellement, imprévisible. 3. 4. Carrière, « turning-point » et bifurcation (suite) Ainsi, Michel Grossetti plaide pour une sociologie des bifurcations parce que depuis le XXIème siècle, nous sommes entrés dans un contexte socio- historique où domine la question de l’incertitude et de sa maîtrise à tous les niveaux d’action : au niveau individuel ; au niveau de l’organisation sociale ; au niveau des groupes et des réseaux ; au niveau de l’action et des interactions. Donc, méthodologiquement, puisque les méthodes biographiques ont prouvé leur efficacité pour saisir des moments de bifurcation, des irréversibilités, travailler sur des parcours est une bonne façon de procéder selon M. Grossetti, mais, il faudrait systématiser la recherche sur les moments de bifurcation. 4. Une lecture des âges sous le prisme des parcours de vie 4. 1. L’enfance, l’adolescence et la jeunesse comme construction de soi Cette perspective ne conçoit plus le déroulement des existences comme une succession d’étapes à traverser avec des seuils, mais plutôt comme une identité à construire. De ce fait, la définition même de la jeunesse évolue : elle est de plus en plus appréhendée et investie sous l’angle d’un processus de construction de soi. La sociologie de la jeunesse s’applique alors à rendre compte de l’expérience subjective du « devenir adulte » au sens large du terme, c’est-à-dire de l’enfance à la maturité. Ainsi, de nouvelles recherches sur les enfants, les adolescents et les jeunes adultes explorent les modalités de cette construction d’un « soi » autonome. Exemples : une sociologie de l’enfance qui concoit l’enfant comme sujet en cours d’autonomisation ; des travaux américains et français sur l’âge adulte (de l’indépendance à la responsabilité). 4. 2. Les nouvelles vies de l’adulte ou la « maturescence » L’âge adulte est redéfini comme l’âge d’un possible changement. Donc, le postulat de stabilité de l’adulte sur lequel se fondait jusqu’ici la sociologie des âges est remis en cause, parce que le changement et l’incertitude ne s’arrêtent pas avec la fin de la jeunesse. Ainsi, certains défendent l’idée que c’est désormais l’apprentissage d’un « avenir indéfini » qui caractérise le mieux l’âge adulte. Face à ces transformations, Claudine Attias-Donfut propose de redéfinir « l’âge adulte » sous le terme de « maturescence ». La « maturescence » désigne une phase significative qui aurait émergé au cours du XX ème siècle, et qui comprend désormais la perspective de nouvelles étapes, de nouveaux changements, voire d’une nouvelle vie. Il y a donc, dans cette perspective, une rupture avec une vision linéaire des existences, au profit d’une recherche des processus de changement individuel tout au long des trajectoires familiales et professionnelles. Exemples : études sur les discontinuités, telles que la parentalité tardive, les recompositions familiales, les secondes carrières ou les reconversions professionnelles volontaires. 4. 3. La vieillesse, une déprise Le « vieillissement » n’est plus envisagé comme un statut, mais comme un processus de changement du rapport à soi et au monde, d’où le recours à la notion de « déprise ». Il s’agit d’explorer les métamorphoses subjectives du « devenir vieux » (Vincent Caradec, sociologue français, professeur à l’Université de Lille 3). Définition de la « déprise » : non un déclin irréversible, mais une « reconversion » et un « réaménagement de l’existence » face aux difficultés physiques croissantes et à la baisse des activités quotidiennes. Il s’agit alors détudier les multiples « stratégies » de déprise, qui vont, selon Caradec, de l’« adaptation », à l’« abandon », entendue comme forme accentuée de perte de prise sur le monde. Ces travaux soulèvent l’enjeu majeur du maintien d’un soi autonome face au regard des autres et à la dépendance physique. Références bibliographiques BECKER Howard Saul, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, 1985 (1963), Paris, A. M. Metailé. BERTAUX Daniel, 1997, Les récits de vie. Perspective ethnosociologique, Paris, Nathan. BESSIN Marc, NEGRONI Catherine, 2022, Parcours de vie. Logiques individuelles, collectives et institutionnelles, Paris, Presses Universitaires du Septentrion. BOURDIEU Pierre, PASSERON Jean-Claude, 1964, Les héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, PUF. BOURDIEU Pierre, 1986, « L’illusion biographique », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 62/63, pp. 69-72. CARADEC Vincent, DE SINGLY François, 2005, Sociologie de la vieillesse et du vieillissement, Paris, Armand Colin. DUBAR Claude, 1998,« Trajectoires sociales et formes identitaires. Clarifications conceptuelles et méthodologiques », Sociétés contemporaines, 29, pp. 73-85. DUBAR Claude, NICOURD Sandrine, 2017, Les biographies en sociologie, Paris, la Découverte. EHRENBERG Alain, 1998, La fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob. FOSSE-POLIAK Claude, 1990, « Ascension sociale, promotion culturelle et militantisme. Une étude de cas », Sociétés contemporaines, 3, pp. 117-129. GROSSETTI Michel, 2006, « L’imprévisibilité dans les parcours sociaux », Cahiers internationaux de sociologie, 1, n° 120, pp. 5-28. HUGHES Everett C., 1996, Le regard sociologique, textes rassemblés et présentés par Jean-Michel Chapoulie, Paris, Éd. de l’EHESS. PASSERON Jean-Claude, 1990,« Biographies, flux, itinéraires, trajectoires », Revue française de sociologie, XXXI- 1, pp. 3-22.