ENM 2025 Droit Civil Tome 2 Procédure Civile PDF

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Ce document traite de la procédure civile, comprenant les thématiques de la preuve, des principes directeurs du procès, l'action en justice et plus encore. Il explore les fondements théoriques et les aspects pratiques de la procédure, illustrant notamment l'importance des preuves judiciaires.

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ENM 2025 Droit civil tome 2 Procédure civile Propos introductif La procédure civile est souvent présentée, à tort, comme une matière rebutante et complexe en raison des rouages de la justice, des différentes formalités o...

ENM 2025 Droit civil tome 2 Procédure civile Propos introductif La procédure civile est souvent présentée, à tort, comme une matière rebutante et complexe en raison des rouages de la justice, des différentes formalités ou des différents délais, faisant ainsi des praticiens les spécialistes de la matière. Cette présentation, illustrée par les gravures de Daumier, s’explique par le fait que l’on a souvent nié à la procédure civile qu’elle put être un droit théorisé, une science. Pourtant, l’existence des droits dont chaque sujet est où se prétend titulaire ne serait qu’illusion si le droit judiciaire n’était pas là pour en assurer la réalisation. La procédure civile a pour objet de déterminer les règles d’organisation judiciaire, de compétence, d’instruction des procès et d’exécution des décisions particulières aux tribunaux civils de l’ordre judiciaire. Par l’accomplissement de formalités successives, la procédure civile permet d’assurer la conduite d’un procès avec sérénité et sécurité juridique. En ce sens, elle est une technique d’organisation du procès. Également, elle permet de garantir les droits fondamentaux et constitue elle-même un droit fondamental, celui de pouvoir s’adresser à un juge, dans le respect des règles d’un procès équitable, c’est-à-dire équilibré entre toutes les parties. Comme toutes les branches du droit, elle connaît donc ses propres théories, de l’action en justice, de l’acte juridictionnel, de la notion d’instance, de voies de recours, etc. Lorsque l’on évoque la théorie de la procédure civile, il n’est pas possible de faire abstraction de Motulsky et de ses travaux relatifs à la procédure civile, au droit processuel et au droit international privé. C’est donc un droit formaliste et impératif. Les sources de la procédure civile sont d’abord internationales, tant mondiales (Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques) qu’européennes (Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, pour l’essentiel). Elles fixent des standards d’une démocratie moderne. Surtout, des organes de contrôle en assurent l’effectivité : Comité des droits de l’homme de l’ONU à Genève, Cour européenne des droits de l’homme qui siège à Strasbourg et Cour de justice de l’Union européenne qui siège à Luxembourg. Les règlements européens tendent à prendre de plus en plus d’importance pour les litiges transfrontaliers. Ses sources sont aussi nationales, constitutionnelles d’abord, législatives et réglementaires ensuite, avec, parfois, un appel de la jurisprudence à des principes généraux du droit. Le Code de procédure civile, entrée en vigueur le 1er janvier 1976, rassemble toutes les règles de procédure civile française. Ce code tranche avec celui de 1806, qui n’était qu’un code de 1 procéduriers. Les dispositions encore en vigueur de l’ancien code ont été progressivement remplacées ou abrogées, avec d’importantes modifications en 2006. L’article 26 de la loi no 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit a définitivement abrogé le code de 1806 et a donné au « nouveau » code le nom officiel de Code de procédure civile. La procédure civile a fait l’objet de nombreuses modifications profondes ces trois dernières années par touches ponctuelles. D’abord, la loi n° 2016-1547 de modernisation de la justice du 21e siècle du 18 novembre 2016 a eu pour objectif de recentrer l’intervention du juge sur sa mission essentielle : trancher des litiges. Ainsi, elle a transféré les compétences relatives aux PACS et au changement aux officiers d’état civil. Ensuite, un décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 portant diverses mesures de modernisation et de simplification de la procédure civile a été publié au Journal officiel du 10 mai 2017. Il a refondu le régime de la récusation et le renvoi pour cause de suspicion légitime. Huit ans après les décrets Magendie (Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 et n°2010-1647du 28 décembre 2010), le décret n° 2017- 891 du 6 mai 2017 a modifié les exceptions d’incompétence et a réformé la procédure d’appel en matière civile. Puis, deux lois en date du 23 mars 2019 (Loi n° 2019-222 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ; Loi org. n° 2019-221 relative au renforcement de l’organisation des juridictions) sont intervenues pour opérer une fusion des tribunaux d’instance et de grande instance au sein du tribunal judiciaire. Toutefois, au-delà de la simple fusion apparente des tribunaux, c’est une réforme en profondeur de la procédure civile qui a été prise par une série de décrets (décrets du 30 août 2019, n° 2019-921, n° 2019- 922, 30 août 2019, n° 2019-923, n° 2019-924 ; décrets du 18 septembre 2019, n° 2019-965, n° 2019-966). Annoncé dans le cadre des Chantiers de la Justice, le décret réformant la procédure civile a été publié au journal officiel le 12 décembre 2019 (décret n° 2019-1333, 11 décembre 2019). Les principales dispositions entreront en vigueur le 1er janvier et s’appliqueront aux instances en cours, sauf dérogations (art. 55 du décret n° 2019-1333, 11 décembre 2019). Enfin, dans le cadre de l’harmonisation, mais aussi pour corriger des coquilles, de nombreux décrets ont été pris (décret du 20 décembre 2019 ; décret du 27 novembre 2020 ; décret du 22 décembre 2020 et décret du 11 octobre 2021, décret du 25 février 2022, décret du 11 mai 2023). Le Code de procédure civile reste un modèle du genre, même si les modifications incessantes en ont altéré l’harmonie, notamment en raison des modes alternatifs de règlements des conflits. La procédure civile est aujourd’hui tiraillée entre deux tendances : une logique de pure gestion des flux et une logique de protection des droits fondamentaux des citoyens dans le procès et par le procès. En effet, traditionnellement, dans le cadre d’un système accusatoire, le juge s’occupe du droit et les parties du fait afin de rendre une décision de justice. Désormais, le rôle du juge et des parties a évolué vers une collaboration afin d’atteindre les objectifs modernes de la procédure civile. Le présent tome est à jour au 1er juin 2024 Bonne lecture ! 2 Sommaire Thème 1 : La preuve Thème 2 : Les principes directeurs du procès Thème 3 : L’action en justice Thème 4 : Les actes de procédure Thème 5 : Les délais Thème 6 : La compétence Thème 7 : La demande en justice Thème 8 : Les moyens de défense Thème 9 : La procédure contentieuse devant le tribunal judiciaire Thème 10 : Les procédures particulières Thème 11 : Les effets du jugement Thème 12 : Les voies de recours Thème 13 : Les modes alternatifs de règlement des conflits 3 4 Thème 1 : La preuve I – Connaissances de base Euclide, mathématicien grec, affirmait que « Ce qui est affirmé sans preuve, peut être nié sans preuve ». Cette citation conduit à réduire à néant la valeur d’un fait non étayé par une preuve. Dès lors, la personne qui affirme un fait doit en rapporter la preuve. La preuve en matière judiciaire est administrée au cours d’un procès destiné à régler un litige. Cela lui confère des traits particuliers. En effet, la preuve judiciaire diffère de la preuve scientifique en ce que celle- ci, qui recherche la certitude absolue, dispose de tout le temps nécessaire pour l’atteindre, tandis qu’un procès ne peut pas s’éterniser. Aussi, à défaut de la vérité indubitable, le juge est ainsi parfois amené à se contenter de probabilités pour décider dans un sens ou dans l’autre. Dans un sens large, la preuve est l’établissement de la réalité d’un fait ou de l’existence d’un acte juridique. Dans un sens plus restreint, il s’agit du procédé utilisé à cette fin (écrit, témoignage…). Lorsque les moyens de preuve sont préalablement déterminés et imposés par la loi, la preuve est dite légale. Dans le cas contraire, elle est dite libre ou morale. Le thème de la preuve est délicat à appréhender, car il se trouve au confluent du droit substantiel et du droit processuel, à l’image de la prescription. Or, si la prescription a bénéficié d’une réforme majeure par la loi du 17 juin 2008, le droit de la preuve n’a quant à lui pas fait l’objet d’une réforme d’ensemble. La dernière réforme en la matière a été réalisée par la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique. Toutefois, le droit de la preuve n’a pas été ignoré des différents projets de réforme (Projet Catala de 2005 ; Projet Terré de 2009 ; Projet de la Chancellerie de 2011). Mais l’on peut constater, et cela ressort nettement de l’ordonnance du 10 février 2016, que le droit de la preuve est traité de manière imparfaite. L’ordonnance du 10 février 2016 consacre un titre IV bis à la preuve. Comme le souligne le rapport remis au président de la République, « La création d’un titre dédié au droit de la preuve des obligations permet de le détacher du droit des contrats, dans lequel sont formellement enfermées les dispositions relatives à la preuve dans le Code civil actuel, alors que la doctrine et la jurisprudence, appelant de leurs vœux l’élaboration d’un droit général de la preuve, s’accordent pour faire application de ces règles à toute preuve civile, et pas seulement à la preuve des obligations nées d’un contrat ». Ce titre est composé de trois chapitres consacrés respectivement aux dispositions générales, à l’admissibilité des modes de preuve et aux différents modes de preuve. Les dispositions générales font office de théorie générale du droit de la preuve. De plus, l’article 1357 du Code civil fait le lien avec les textes du Code de procédure civile portant également sur la preuve. En effet, l’administration judiciaire de la preuve et les contestations qui s’y rapportent sont régies par le Code de procédure civile. Enfin, la loi de ratification no 2018-287 du 20 avril 2018 n’a apporté aucune modification aux textes relatifs au droit probatoire, tels qu’issus de l’ordonnance. Désormais, et comme c’est le cas en droit des contrats ou en droit de la responsabilité civile, les règles ne sont plus uniquement celles du Code civil. En effet, la jurisprudence a façonné les règles du Code civil pour les adapter aux évolutions. Il en est de même pour le droit de la preuve. Depuis 1804, la jurisprudence a considérablement fait évoluer les structures générales du droit de la preuve. Elle a dégagé des principes essentiels comme le droit à la preuve ou la loyauté de la preuve. Dès lors, comme en matière de responsabilité civile, la preuve est 5 largement dominée par les principes jurisprudentiels qui devraient trouver leur place dans le Code civil. Enfin, de nombreuses règles de preuve reposent sur des valeurs ancestrales et dépassées. Il en est ainsi de l’aveu (art. 1383 C. civ.) et du serment (art. 1384 et s. C. civ.), qui traduisent une conception historique et mystique de la vérité. La valeur de ces preuves doit être repensée dans le contexte de la justice rationnelle contemporaine. La théorie de la preuve est organisée en quatre grands thèmes : l’objet de la preuve (§1), la charge de la preuve (§2), l’administration de la preuve (§3) et l’appréciation de la preuve (§4). § 1) L’objet de la preuve L’objet de la preuve consiste à répondre à la question suivante : « que faut-il prouver ? ». La preuve porte sur les faits, non sur le droit. Ceci est clairement exprimé en liminaire du Code de procédure civile : « À l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder » (art. 6 C. pr. civ.) ; « Le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat » (art. 7 C. pr. civ.) et par conséquent « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » (art. 9 C. pr. civ.). Le droit quant à lui incombe au juge qui doit qualifier les faits (art. 12 C. pr. civ.) et chercher la règle de droit applicable. Les parties au litige peuvent fournir plusieurs types de preuves des preuves littérales (art 1363 à 1380 C. civ.) : elles consistent en des écrits sous seing privé ou authentiques qui peuvent tous donner lieu à une contestation. L’acte contresigné par avocat constitue une nouveauté de la réforme du droit des obligations (art 1374 C. civ.). Il est également à noter que « la copie fiable à la même force probante que l’original » (art. 1379 C. civ.) ; des preuves testimoniales (art 1381 C. civ.) qui consistent en des déclarations faites sur des faits dont leurs auteurs ont eu personnellement connaissance ; ainsi que l’aveu qui consiste à reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques (art. 1383 s. C. civ.) ; le serment décisoire ou déféré d’office (art. 1385 à 1386-1 C. civ.) Il existe, en droit français, une grande ambiguïté sur la règle du fait pertinent. Une partie ne doit rapporter la preuve d’un fait que si la démonstration de son existence est utile au règlement du litige. Il n’y a aucune raison de produire des preuves lorsqu’elles ne sont pas susceptibles d’exercer la moindre influence sur la décision. Bien plus, si de telles preuves sont produites, le juge n’a pas à les examiner et il doit rejeter « de plano » la demande (Civ. 2e, 24 mars 1971). On exprime cela en énonçant que la recevabilité de l’offre de preuve est subordonnée à sa pertinence. La règle selon laquelle la preuve des faits non pertinents doit être écartée des débats repose sur plusieurs fondements. Il s’agit d’abord d’éviter que le dossier probatoire gonfle artificiellement et que le travail du juge en soit alourdi. Il s’agit ensuite d’empêcher que le débat soit obscurci par un ensemble de faits périphériques au litige. Il s’agit enfin d’éviter qu’une partie tente de déplacer le débat vers des faits qui lui sont favorables, mais qui ne portent pas directement sur l’objet du litige. Au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, il faut distinguer deux aspects : l’offre et la demande de preuve. Pour la première, la Cour de cassation laisse la question de la pertinence à l’appréciation souveraine des juges du fond (Civ. 2e, 29 juin 1967). Pour la seconde, le plaideur ne dispose pas de la preuve et il demande au juge de l’aider à l’obtenir. Il doit donc démontrer que le fait à prouver est pertinent pour que le juge fasse droit à une demande d’enquête ou de mesure d’instruction. 6 La théorie du fait constant pose le principe qu’est considéré comme constant le fait affirmé par une partie et non contesté par l’autre. La doctrine relative à ce principe est très peu fournie, peut-être parce que le sujet se situe à la frontière du droit de la preuve et du droit judiciaire privé. La question se pose ainsi de savoir si le juge a le devoir ou simplement la faculté de tenir pour établi le fait affirmé par un plaideur et non contesté par la partie adverse. Si, au vu de la logique de cette théorie, il semble qu’il s’agisse d’une simple faculté, il ne faut pas que le principe de la contradiction soit sacrifié à la possibilité qu’a le juge de ne pas reconnaître un fait constant. Sur cette question, la jurisprudence est nuancée. La Cour de cassation a déjà jugé, à plusieurs reprises, que le silence opposé à l’affirmation d’un fait ne valait pas, à lui seul, reconnaissance de ce fait (Civ. 3e, 6 septembre 2011) et le juge ne semble pas tenu de considérer que des faits allégués sont constants au seul motif qu’ils n’ont pas été expressément contestés (Civ. 2e, 10 mai 1991). Le pouvoir laissé aux juges du fond d’apprécier la portée de la non-contestation d’une allégation permet de s’adapter à de nombreuses situations et de s’approcher au mieux de la vérité. § 2) La charge de la preuve Les articles 9, 10 et 11 du Code de procédure civile constituent, au sein du chapitre consacré aux principes directeurs du procès, la section IV relative aux preuves. C’est dans ce cadre général du système français des preuves que s’applique le principe de l’article 9 du Code de procédure civile : « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Ce principe n’est pas contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, laquelle exige que le procès soit équitable (art. 6§ 1 CEDH) et est conforme au droit communautaire (Civ. 1re, 17 octobre 2000). Au titre des conséquences de l’article 9 du Code de procédure civile, le juge n’a en principe aucune obligation de pallier la carence des parties dans l’administration de la preuve. Conséquence qui est expressément affirmée par l’alinéa 2 de l’article 146 du Code de procédure civile aux termes duquel en aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve. Toutefois, la jurisprudence fait exceptionnellement obligation au juge de procéder d’offices à certaines investigations. Il en est ainsi, lorsque l’existence d’une créance est considérée comme certaine ou établie par le juge, celui-ci ne peut débouter le créancier de sa demande au motif qu’il ne produit pas aux débats des éléments suffisants pour fixer le montant de la créance. La Cour de cassation estime que le juge doit alors non seulement vérifier, au vu des documents produits, le montant de la créance (Civ. 1 re, 17 mai 1983), mais encore, user des pouvoirs que lui confèrent les articles 8 et 10 du Code de procédure civile pour en déterminer le montant (Civ. 1re, 3 octobre 1995). De surcroît, la Cour de cassation a posé en principe que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties (Civ. 2e, 21 janvier 1993). Si le droit à un procès équitable commande que les parties à l’instance puissent produire les preuves qu’elles détiennent pour faire reconnaître leurs droits, il doit leur permettre également d’obtenir du juge les mesures d’instruction nécessaires pour recueillir celles qu’elles ne peuvent pas se procurer elles-mêmes. En d’autres termes, si la preuve indispensable ne peut être obtenue par la partie demanderesse par ses propres moyens, au nom de son droit à la preuve, elle doit pouvoir obtenir une mesure d’instruction du juge. Une 7 telle affirmation semblait néanmoins contredire la philosophie du droit probatoire tel qu’organisée dans le Code de procédure civile, qui a délégué au juge la recherche de la vérité, et lui a donc octroyé de nombreuses prérogatives, mais non des obligations que les parties à l’instance pourraient lui opposer. Mais en réalité, les textes concernés – articles 143, 144 et 145 du Code de procédure civile notamment – fondent bien une obligation pour le juge d’ordonner toute mesure d’instruction dès lors qu’il ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour statuer et que des faits débattus dépendent l’issue du litige. Et dans la mesure où l’article 146, alinéa 2, du même code précise qu’« En aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve », le fait que la partie demanderesse n’ait pas d’autre moyen, de prouver son droit est bien une condition de l’octroi d’une mesure d’instruction ; en d’autres termes, il faut que la preuve sollicitée soit indispensable. La Cour de cassation s’est sans doute rangée à cette analyse dans un arrêt du 22 juin 2017 concernant la conciliation entre le droit à la preuve et le secret des affaires (Civ. 1re, 22 juin 2017). Elle y affirme en effet, dans le cadre de l’article 145 du Code de procédure civile, que ces deux prérogatives doivent être combinées dans un rapport de proportionnalité. L’article 9 du Code de procédure civile doit être mis en relation avec l’article 1353 du Code civil, qui affirme que « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ». Classiquement, la doctrine a l’habitude d’affirmer que ces deux articles énoncent la même règle. En réalité, les deux textes, bien que similaires dans l’esprit, ne disent pas la même chose. L’article 1353 du Code civil fait reposer la charge de la preuve alternativement sur celui qui demande l’exécution d’une obligation et sur celui qui se prétend libéré. En revanche, l’article 9 du Code de procédure civile lie la charge de la preuve à l’allégation. Le critère de rattachement est donc différent. Ainsi, dans un litige sur la responsabilité contractuelle, l’article 1353 du Code de civil prévoit que la victime qui invoque l’inexécution de l’obligation contractuelle doit simplement démontrer l’existence du contrat. Il reviendra alors au débiteur de prouver qu’il a exécuté le contrat et donc, qu’il n’a pas commis de faute. Si l’on applique littéralement l’article 1353, la faute contractuelle est présumée dès que l’existence du contrat est prouvée. À l’inverse, l’article 9 du Code de procédure civile implique que la victime supporte la charge de la preuve de la faute qu’elle allègue. Dès lors, l’harmonie entre ces deux dispositions n’existe pas. § 3) L’administration de la preuve Le Code de procédure civile ne répond pas à la question « comment prouver ? », mais s’inquiète de déterminer « qui doit prouver ? » : il envisage ainsi l’administration judiciaire de la preuve. Tel est d’ailleurs l’intitulé du titre septième du livre premier du Code de procédure civile, qui développe plus particulièrement les règles afférentes à la communication des pièces, aux mesures d’instruction, aux contestations relatives à la preuve littérale et au serment judiciaire (art. 132 à 322 C. pr. civ.). Cet éclatement du droit de la preuve entre l’admission des moyens de preuve et l’administration de la preuve trouve une explication dans le lien que le droit français établit traditionnellement entre l’existence et la preuve du droit et que consacre l’adage de l’ancien droit idem est non esse et non probari (c’est la même chose que de ne pas être et de ne pas avoir été prouvé). 8 Les effets de cette tradition se sont trouvés renforcés par le système de la preuve légale qui régit principalement le droit civil de la preuve et selon lequel la preuve n’est recevable que si elle est apportée dans des conditions et selon des formes prévues par les textes, sa force probante dépendant également de la valeur que la loi lui confère. Par exemple, la preuve des actes dont la valeur dépasse 1 500 euros ne peut être apportée que par écrit (art. 1359 C. civ.). Le système de la preuve légale cohabite cependant en France avec celui de la preuve morale qui repose sur l’intime conviction du juge et sa libre appréciation de la portée et de la force probante des preuves produites par les parties. Ainsi la preuve est-elle libre en matière commerciale et, lorsqu’il s’agit de prouver des faits juridiques, en matière civile. De même, en matière prud’homale, la preuve est libre (Soc., 23 octobre 2013). Il appartient seulement au juge d’en apprécier souverainement la valeur et la portée. L’article 1358 du Code civil pose le principe de liberté de la preuve, sauf disposition contraire. Ce principe n’était pas affirmé de façon aussi claire dans le Code civil antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016. Néanmoins, il se déduisait de la confrontation des dispositions des anciens articles 1341 et 1348 du Code civil. Le principe est désormais posé, et concerne autant les faits juridiques que les actes juridiques, en dehors des exceptions légales. Enfin, les parties peuvent toujours prévoir de régler les questions de preuve par le biais d’une convention ou de dispositions contractuelles à cet effet (art. 1368 C. civ.), mais sur les droits dont elles ont la libre disposition (art. 1356 C. civ). Anciennement, le Code civil ne prévoyait pas de dispositions sur les contrats relatifs à la preuve, alors que la jurisprudence en admet la validité. L’ordonnance pose des conditions relatives aux contrats sur la preuve : ils ne peuvent porter que sur des droits dont les parties ont la libre disposition ; ils ne peuvent contredire les présomptions légales irréfragables ni établir des présomptions irréfragables au bénéfice d’une partie. La licéité de la preuve est exprimée à l’article 9 du Code de procédure civile : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». De cet article, la jurisprudence a dégagé le principe de loyauté de la preuve. Une preuve n’est conforme à la loi que si, selon la Cour de cassation, elle a été obtenue loyalement (Soc., 26 novembre 2002), c’est-à-dire sans ruses ni stratagèmes. De nombreux arrêts se sont prononcés sur la licéité de certains éléments de preuve présentés en justice. Il est ainsi classiquement admis que l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal qui rend irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue (Civ. 2e, 7 octobre 2004). Également, la Cour de cassation a affirmé que la production de messages électroniques provenant de la messagerie personnelle d’un salarié, distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité, porte atteinte au secret des correspondances et doit par conséquent être écartée (Soc., 26 janvier 2016). En revanche, il est possible de produire un SMS envoyé par la partie adverse dès lors que cette dernière est censée savoir que ledit SMS est susceptible d’être conservé en mémoire dans le téléphone du destinataire (Com., 10 février 2015). Toutefois, désormais, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production 9 soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648). Depuis le Code civil, la légalité de la preuve s’impose aux actes juridiques. Pour pouvoir être prise en considération par le juge, la preuve doit tout d’abord respecter les conditions de constitution et de recevabilité édictées, en matière civile, par les articles 1353 et suivants du Code civil. Ainsi, l’article 1359 du Code civil exige une preuve écrite de « toutes choses excédant une (certaine) somme », dont le montant est fixé par décret. Toutefois, la prééminence de la preuve écrite n’est pas applicable en matière commerciale, où le principe est celui de la liberté de la preuve. À ces règles s’ajoutent celles dégagées par la jurisprudence. Ainsi, le principe selon lequel « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même » est appliqué de manière constante par la Cour de cassation à la preuve des actes juridiques (Civ. 3e, 3 mars 2010). Le nouvel article 1363 du Code civil consacre un principe essentiel du droit de la preuve, consacré par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même. Toutefois, cette disposition se limite à la constitution unilatérale d’un titre juridique (Civ. 1re, 23 juin 1998) et devient sans effet lorsqu’il s’agit de prouver des faits juridiques (Civ. 3e, 3 mars 2010). L’article 1364 du Code civil introduit ensuite le principe selon lequel la preuve d’un acte juridique peut être préconstituée par un écrit en la forme authentique ou sous signature privée. Il convient de relever que la formule sous-seing privée est remplacée par « sous- signature privée ». Ce texte répond à un souci de sécurité juridique, en permettant aux parties de se préconstituer une preuve de leur accord, l’écrit valant alors à titre de preuve, mais non pour la validité de l’acte. Les articles 1365 et 1366 du Code civil reprennent les définitions de l’écrit et de l’écrit électronique des articles 1316 et 1316-1 du Code civil actuel, seule la référence aux modalités de transmission, qui est inutile, car étrangères à la substance de l’écrit ainsi défini, étant abandonnée pour le premier. L’article 1366 du Code civil reprend en outre l’affirmation du principe énoncé à l’article 1316-3 du Code civil selon lequel l’écrit sur support électronique, tel qu’il le définit, a la même force probante que l’écrit sur support papier. § 4) L’appréciation de la preuve La difficulté tient au fait que les règles définissant la force probante des modes de preuve sont d’application générale. Elles s’imposent à la preuve des actes, comme à celle des faits. Or, la preuve des faits étant libre, le juge devrait pouvoir apprécier librement la force probante de chaque mode de preuve. Ce n’est pas le cas, comme le révèle l’étude de la jurisprudence. Dans un exemple significatif, la Cour de cassation a eu à faire face à un conflit de preuves portant sur la date de délivrance d’un congé par un bailleur. Le congé avait été signifié en mairie par un huissier dans les délais imposés par la loi. Pourtant, l’employée de mairie attestait que le congé avait été délivré à une autre date. La preuve portait donc sur un fait juridique : la date de délivrance du congé. La Cour de cassation a considéré que la date de signification d’un acte par un commissaire de justice (anciennement huissier de justice) faisait foi jusqu’à inscription de faux et que cette preuve ne pouvait pas être contredite par un témoignage (Civ. 3e, 22 février 2006). Pourtant, dans cette affaire, la fiabilité du témoignage était corroborée par d’autres éléments qui rendaient les constatations de l’huissier hautement improbables. Ainsi, le constat d’huissier liait le juge, mais sa fiabilité était contestable. Dans un tel contexte, on 10 comprend mal l’intérêt de lier le juge par une preuve que l’on sait inexacte. La force probante contredit la vérité et remet en cause la fonction même des règles de preuve. Il est donc essentiel de libérer l’appréciation des preuves hors du domaine des actes juridiques ou des cas limitatifs prévus par la loi. Dans certains cas, la loi limite leur liberté en leur refusant de déterminer eux-mêmes si leur conviction est établie. Le chapitre III de l’ordonnance traite successivement des différents modes de preuve, dont il établit le régime juridique. Ce chapitre est divisé en cinq sections correspondant respectivement à l’écrit, au témoignage, à la présomption judiciaire, à l’aveu, et au serment. Pour l’essentiel, les dispositions antérieures sont reprises. Plusieurs textes du Code civil déterminent à l’avance la force probante de certains procédés de preuve. Ainsi en est-il pour l’acte authentique (art. 1371 C. civ.), pour l’acte sous signature privée (art. 1372 C. civ.), pour les livres de commerce (art. 1378 C. civ.), pour les registres et papiers domestiques (art. 1378-1 C. civ.), pour les titres portant certaines mentions libératoires inscrites par le créancier (art. 1378-2 C. civ.), etc. Relevons que l’article 1379 du Code civil issu de l’ordonnance, relatif aux copies, dispose que « la copie fiable a la même force probante que l’original ». C’est aller plus loin que le droit positif antérieur non seulement parce qu’il n’est plus exigé la production de l’original, sous réserve de l’article 1379, alinéa 3 du Code civil parce que cette copie n’ouvre pas seulement la possibilité d’une preuve par tous moyens, mais vaut preuve parfaite et, surtout, car il n’est pas exigé une copie fidèle et durable. L’alinéa 2 précise en ce sens qu’« est présumée fiable jusqu’à preuve du contraire toute copie résultant d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et dont l’intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des conditions fixées par décret en Conseil d’État ». Quand la loi ne détermine pas la force probante d’un mode de preuve, le juge se fie à son « intime conviction » afin de mesurer librement la valeur des preuves que lui présentent les parties. Ainsi, les juges évaluent souverainement la force probante des présomptions de propriété afin de retenir les plus convaincantes et les plus significatives en l’absence de titres produits par les parties (Civ. 3e, 15 février 1968). La signification de l’intime conviction en droit français est discutée et fait l’objet de deux courants de pensée. Selon le premier, l’intime conviction impose une certitude au juge. Cela signifie que la partie sur laquelle repose la charge de la preuve doit prouver le fait allégué jusqu’à le rendre certain ; et le juge ne peut fonder sa décision que sur des faits avérés. Cette conception de l’intime conviction repose notamment sur la règle selon laquelle le doute est préjudiciable à la partie à qui incombe la charge de la preuve, et sur l’interdiction pour le juge de se fonder sur des motifs dubitatifs ou hypothétiques. Certains arrêts retiennent d’ailleurs explicitement le critère de la certitude (Civ. 1re, 20 mai 1981). Un autre courant doctrinal affirme que l’intime conviction ne se confond pas avec la certitude et que le juge peut fonder sa décision sur une forte probabilité. Cette thèse repose sur une conception pragmatique du syllogisme juridictionnel, en adéquation avec la pratique. Elle est corroborée par un courant jurisprudentiel qui rejette l’exigence d’une « preuve scientifique » (Civ. 3e, 18 mai 2011) et qui admet qu’en situation d’incertitude, la preuve puisse reposer sur un faisceau d’indices constituant des présomptions du fait de l’homme. II – Actualité Ass. Plén. 22 décembre 2023, n°20-20.648 et 21-11.330, loyauté de la preuve : Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve 11 ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. Dans une première affaire, la Cour de cassation admet que des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable. Toutefois, la prise en compte de ces preuves ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée, égalité des armes etc.). Cette solution constitue un revirement de jurisprudence. Elle s’inspire de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle répond à la nécessité de ne pas priver un justiciable de la possibilité de faire la preuve de ses droits, lorsque la seule preuve disponible pour lui suppose, pour son obtention, une atteinte aux droits de la partie adverse. La décision de la cour d’appel, qui avait écarté les enregistrements clandestins au motif qu’ils avaient été obtenus de manière déloyale, est censurée. L’affaire est renvoyée devant une autre cour d’appel. Celle-ci devra vérifier, d’une part, que les enregistrements étaient indispensables pour prouver la faute grave du salarié, d’autre part, que l’utilisation de ces enregistrements réalisés à l’insu du salarié ne porte pas une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux. La loyauté de la preuve n’est pas expressément énoncée par le Code de procédure civile ou par le Code civil, mais elle s’infère des dispositions de l’article 9 du Code de procédure civile. Aussi, la Cour de cassation a considéré au visa de « l’article 9 du Code de procédure civile, ensemble l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve [...] que l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve » (Ass. plén., 7 janvier 2011). Dès lors, il n’est pas permis de produire des preuves frauduleusement obtenues, comme une filature organisée par un employeur au préjudice du salarié (Civ. 2e, 17 mars 2016). En revanche, il est possible de produire un SMS envoyé par la partie adverse dès lors que cette dernière est censée savoir que ledit SMS est susceptible d’être conservé en mémoire dans le téléphone du destinataire (Civ. 1re, 17 juin 2009), ou d’un message vocal (Soc., 26 février 2013). Dans le cadre de la première affaire (20-20.648), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation opère un revirement de sa jurisprudence sur ce point. La Cour met alors en balance la loyauté de la preuve avec le droit à la preuve. Désormais donc, la preuve illicite et la preuve déloyale sont admises à condition de satisfaire aux contrôles de nécessité et de proportionnalité. La chambre sociale de la Cour de cassation a pu en faire une première application par un arrêt en date du 17 janvier 2024 (Soc. 17 janvier 2024, n° 22-17.474). Dans ce dernier arrêt, elle retient que dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. Dans une seconde affaire, la Cour de cassation considère que les juges n’avaient pas à s’interroger sur la valeur de la preuve provenant de la messagerie Facebook. En effet, il n’est possible de licencier disciplinairement un salarié pour un motif en lien avec sa vie personnelle 12 que si celui-ci constitue un manquement à ses obligations professionnelles (par exemple, comme l’a retenu la jurisprudence, une conversation d’un salarié sur son compte Facebook peut justifier un licenciement disciplinaire s’il divulgue à cette occasion une information confidentielle sur son entreprise alors qu’il a signé dans son contrat de travail une clause de confidentialité.). Tel n’était pas le cas dans cette affaire. Les propos échangés par le salarié avec l’un de ses collègues sur la messagerie Facebook constituent une conversation privée qui n’avait pas vocation à être rendue publique et ne pouvait s’analyser, en l’absence d’autres éléments, en un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail. En conséquence, le pourvoi est rejeté, mais pour des raisons différentes de celles prévues par la cour d’appel. Cette solution consolide une jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation. Com. 22 novembre 2023, n° 22-16.514, la charge de la preuve en cas de contestation de la résolution unilatérale : Une société a confié la recherche d’investisseurs à une société. La première ayant mis fin au contrat de manière anticipée, la seconde société – débitrice – assigna la première – créancière – en justice, contestant la rupture anticipée. Les juges du fond avaient jugé fautive la rupture du contrat et rejetèrent la demande de résolution aux torts de la société débitrice, motif pris que les griefs à l’encontre du débiteur n’étaient pas étayés et qu’en présence d’une obligation de moyens, la preuve d’une faute devait être rapportée par le créancier. La Chambre commerciale rejette le pourvoi qui considérait qu’il appartenait au débiteur de rapporter la preuve de l’exécution de ses obligations. Elle considère que « la gravité du comportement d’une partie à un contrat non soumis aux dispositions issues de l’ordonnance du 10 février 2016 peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls. En cas de contestation, c’est à la partie qui a mis fin au contrat de rapporter la preuve d’un tel manquement ». Sous l’empire du droit antérieur, la charge de la preuve du manquement du débiteur incombe donc au créancier à l’initiative de la rupture unilatérale. Soc. 8 mars 2023, n° 21-17.802, 21-20.798 et 20-21.848 [3 arrêts], appréciation de la licéité de la preuve : Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation retient qu’en présence d’une preuve illicite, le juge doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi. Dans une espèce, une salariée avait été licenciée pour faute grave du fait de vols révélés par la vidéosurveillance du magasin. Dans une autre (n° 20-21.848), un collaborateur d’une société de transport avait été confondu par le système de vidéoprotection pour un vol de tickets, ainsi que pour avoir téléphoné et fumé au volant. Dans la dernière (n° 21-20.798), le salarié avait été confondu pour une fraude par déclarations erronées du temps de travail, mise en exergue via un système de badgeage n’ayant pas fait l’objet de la déclaration simplifiée nécessaire sous l’empire du droit en vigueur à l’époque (antérieur à l’entrée en vigueur de la réforme liée au Règlement général sur la protection des données à caractère personnel). Civ. 2e, 19 janvier 2023, n° 21-21.265, appréciation du motif légitime dans le cadre d’une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile : À la suite du décès de son conjoint dans l’attentat perpétré le 13 novembre 2015 au Stade de France, une personne avait reçu une somme à titre provisionnel du fonds de garantie des 13 victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions. La veuve conteste l’offre d’indemnisation du fonds de garantie. Un expert est désigné par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions. L’expert constate l’existence chez la veuve d’un état antérieur pour conclure qu’elle n’avait pas besoin de l’assistance d’une tierce personne. Elle invoque alors la perte d’assistance que lui apportait son mari en raison de pathologies antérieures dont elle souffrait. Aussi, elle sollicite, par la voie des référés, une mesure d’expertise afin d’apprécier son besoin d’assistance en aide humaine. Cette demande a été rejetée par la cour d’appel considérant qu’une éventuelle indemnisation par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions ne pourrait être en relation qu’avec un déficit fonctionnel subi du fait du caractère pathologique du deuil éprouvé, ce que ne pourrait établir l’expertise somatique sollicitée. Les juges considéraient en outre que la perte d’autonomie résultait d’un accident antérieur au décès de son époux et que la circonstance que celui-ci pouvait lui apporter une assistance pouvait s’analyser en un préjudice patrimonial personnel de la veuve. Les juges concluaient donc que la preuve que le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions pourrait être amené à indemniser ces besoins d’assistance n’était pas rapportée, excluant ainsi la désignation d’un expert. Néanmoins, l’arrêt est cassé au visa de l’article 145 du Code de procédure civile. La Haute cour précise qu’« il résulte de ce texte que, pour apprécier l’existence d’un motif légitime, pour une partie, de conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, il n’appartient pas à la juridiction des référés de trancher le débat de fond sur les conditions de mise en œuvre de l’action que cette partie pourrait ultérieurement engager ». Or, l’existence d’un litige potentiel entre la veuve, victime par ricochet, et le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, aurait dû emporter la désignation d’un expert par le juge des référés. En effet, en l’espèce, le préjudice en cause constituait un préjudice. Il existait donc un litige potentiel entre la veuve et le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions qui justifiait une mesure au titre de l’article 145 du Code de procédure civile. En résumé, la veuve d’une personne décédée dans un attentat, atteinte d’une pathologie et dont le conjoint l’assistait avant son décès peut obtenir la désignation d’un expert sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile dès lors que la perte de l’assistance apportée par son conjoint constitue un préjudice indemnisable et donc qu’un litige potentiel existait entre elle et le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions. Com. 18 janvier 2023, n° 22-19.539, mesure d’instruction in futurum et notion de procès manifestement voué à l’échec : À la suite de négociations, la société cessionnaire s’est engagée, par une promesse unilatérale d’achat du 6 novembre 2018, à acquérir l’intégralité des actions d’une autre société détenues par une troisième société, qui est la cédante. Le 21 mars 2019, un contrat de cession au prix a été conclu. Toutefois, la société cessionnaire soutient avoir découvert, après la cession, que le budget 2018 transmis lors des pourparlers avait été surestimé par rapport à celui en vigueur en mars 2018. Aussi, la société cessionnaire a déposé une requête aux fins d’obtenir des mesures d’investigation sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile. La requête a été accueillie et les mesures d’instruction ont été diligentées. Néanmoins, de son côté, la société cédante a assigné la société cessionnaire en rétractation. Le juge d’appel a rétracté l’ordonnance. La société cessionnaire a donc formé un pourvoi en cassation. La Haute cour a approuvé les juges du fond en considérant qu’il résulte de leurs appréciations et énonciations que les dirigeants particulièrement avertis de la société cessionnaire et leurs experts avaient eu accès à une information exhaustive portant sur l’ensemble des données sociales, fiscales, juridiques, 14 comptables et financières de la société acquise. Ainsi, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel, qui n’a pas fait peser sur la société cessionnaire l’obligation d’établir le bien-fondé de son action, a jugé que l’action que cette société pourrait engager à l’encontre de la cédante, au titre d’un prétendu dol, apparaissait manifestement vouée à l’échec, caractérisant, par ces seuls motifs, l’absence de motif légitime justifiant la mesure d’instruction demandée sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile. En substance, dès lors que l’action qu’une société entend engager à l’encontre d’une autre société est manifestement vouée à l’échec, la première ne justifie pas d’un motif légitime d’obtenir, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, la mesure d’instruction avant tout procès. En l’occurrence, la probabilité de succès d’une action tendant à faire constater le dol dans le cadre d’une cession d’actions est appréciée à l’aune de l’information transmise au cessionnaire. Civ. 2e, 8 décembre 2022, n° 21-17.446, aveu judiciaire : pour fixer le préjudice résultant pour le demandeur de l’accident dont il avait été victime, la cour d’appel avait retenu, par motifs propres et adoptés, qu’il avait admis à plusieurs reprises dans ses conclusions que son indemnisation devait correspondre au surcoût résultant des surfaces complémentaires et des aménagements spécifiques, ce qui constituait un aveu judiciaire et qu’il avait reconnu, pour définir quel était ce surcoût, que l’expert devait le comparer au coût qu’aurait représenté pour lui, hors handicap, la construction d’une maison ou l’acquisition d’un appartement, cette reconnaissance étant bien faite judiciairement. La décision est censurée par la Cour suprême qui relève que les conclusions de l’intéressé portaient sur une appréciation en droit du contenu du préjudice indemnisable et ne constituaient pas l’aveu d’un fait. La Haute cour énonce, que l’aveu, qu’il soit judiciaire ou extra-judiciaire, exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques. Civ. 2e, 14 avril 2022, n° 20-22.578, les devoirs du juge en cas d’insuffisance des preuves : Se prévalant de ses droits sur son interprétation de l’hymne corse intitulée Diu vi Salvi Regina, réalisée et enregistrée lors d’une audition en vue d’obtenir un rôle dans un film, et qui aurait été reprise à son insu dans l’une des scènes de ce film, coproduit notamment par la société Why Not Productions, un comédien-chanteur avait assigné cette dernière devant un tribunal de grande instance en contrefaçon de droits voisins d’artiste-interprète. Par la suite, il fit grief à l’arrêt attaqué de confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état ayant dit n’y avoir lieu d’ordonner une mesure d’instruction complémentaire. Selon la Cour de cassation, en confirmant cette ordonnance, la cour d’appel n’a fait qu’user du pouvoir discrétionnaire d’apprécier l’utilité de la mesure d’instruction ou de consultation qui peut être ordonnée en application des articles 143, 144 et 256 du Code de procédure civile. La Cour de cassation réaffirme qu’il relève du pouvoir discrétionnaire du juge d’apprécier l’utilité d’une mesure d’instruction ou d’une consultation et que celui-ci n’est en principe pas tenu d’ordonner une telle mesure en cas d’insuffisance des éléments fournis par les parties ou des résultats d’une précédente mesure confiée à un technicien. 15 16 Thème 2 : Les principes directeurs du procès I – Connaissances de base Tout système de procédure est commandé par un ensemble de principes essentiels qui inspire les dispositions légales et en assure la cohésion. Certains des principes directeurs du procès civil existaient déjà avant le nouveau Code de procédure civile, sous la forme d’adages ou de dispositions éparses ; comme le principe de publicité des débats, ou certains aspects du principe de la contradiction. Toutefois, l’ancien Code de procédure civile de 1806 ne contenait aucun principe exprimé de façon explicite et solennelle. Il s’agissait d’une compilation de règles, dépourvue de souffle et d’esprit. Ses rédacteurs, négligeant les principes fondamentaux, s’étaient bornés à décrire une technique. Ils s’étaient d’ailleurs fortement inspirés de l’ordonnance de Colbert de 1667. La doctrine leur emboîta le pas et la réputation de la procédure civile en souffrit. Elle était considérée par les juristes comme une discipline subalterne, en attente d’une théorie générale. Toutefois, cette théorie, Motulsky allait l’apporter dans un esprit qui devait bouleverser la tradition procédurale française. De la neutralité du juge, on passa à son interventionnisme actif. Les rédacteurs du nouveau Code de procédure civile ont choisi de commencer le Code par un chapitre intitulé « Les principes directeurs du procès » (§1). Néanmoins, d’autres principes ont émergé (§2). § 1) Les principes directeurs consacrés par le Code de procédure civile Les principes consacrés par le Code de procédure civile ont pour fonction de tracer les contours respectifs de l’office du juge et du rôle des parties dans la fixation de la matière litigieuse et dans le déroulement de l’instance (art. 1 à 24 C. pr. civ.). Ainsi ont été consacrés le principe accusatoire (A), le principe dispositif (B) et le principe de la contradiction (C). A) Le principe accusatoire Classiquement, on oppose deux systèmes s’agissant de la répartition des pouvoirs entre le juge et les parties quant à la direction du procès. D’un côté, un système inquisitoire, par lequel on peut envisager d’abandonner au magistrat lui-même le pouvoir de diriger le déroulement du procès et de rechercher les éléments de preuve (c’est principalement le cas en contentieux administratif et en procédure pénale). De l’autre, il est possible de confier aux seuls plaideurs le soin de diriger la procédure, de rechercher et de rassembler les éléments de preuve. Pour désigner ce schéma procédural où le procès est la « chose des parties », on recourt à l’expression de système accusatoire. Le Code de 1806 avait nettement opté pour le second de ces systèmes. Toutefois, vers la fin du XIXe siècle, la doctrine attira l’attention sur ses inconvénients en stigmatisant l’absence de pouvoir d’impulsion du juge. Pour remédier à cette lacune, le décret-loi du 30 octobre 1935 confia au juge chargé de suivre la procédure un pouvoir de surveillance. L’innovation sera insuffisante, mais elle conduira à l’instauration, en 1965, d’un nouveau « juge des mises en état des causes ». Cette évolution marquera l’avènement d’une nouvelle ère dans la répartition des pouvoirs entre le juge et les parties, et sera entérinée par le Code quelques années plus tard. Si le modèle qui prévaut demeure d’inspiration accusatoire (1), force est de constater la part grandissante des pouvoirs confiés au juge dans la marche de l’instance (2), souvent aux fins 17 de régulation, au point qu’il est sans doute plus juste et approprié de parler, comme cela est préconisé, de principe de « coopération » entre le juge et les parties, transcendant ainsi la portée du traditionnel clivage entre ces deux systèmes. 1) L’inspiration accusatoire Les prérogatives confiées aux parties dans la conduite de l’instance se manifestent tant lors de son introduction (a) que lorsqu’il s’agit d’y mettre un terme (b). a) L’introduction de l’instance Aux termes de l’article 1er du Code de procédure civile, « seules les parties introduisent l’instance… ». Par une lecture a contrario, l’on déduit que le juge civil ne peut prendre l’initiative de se saisir d’office. Il ne peut en être autrement que dans « … les cas où la loi en dispose autrement », ainsi que le précise ce même texte. Ce sont les parties qui, par la formulation de leurs prétentions respectives, déterminent l’objet du litige, tant lors de l’introduction de l’instance que lors de la prise de conclusions en défense. Dans certaines matières où l’ordre public est en jeu, le législateur a, exceptionnellement et expressément, accordé au juge le pouvoir de prendre l’initiative d’une instance. Il en est ainsi en matière d’assistance éducative (art. 375 C. civ. : «Le juge peut se saisir d’office à titre exceptionnel »), ou d’ouverture d’une tutelle à l’égard d’un mineur sous administration légale (art. 391 C. civ.). Relevons que l’ouverture d’office d’une procédure collective par le tribunal de commerce était également possible, mais cette possibilité a été censurée par le Conseil constitutionnel saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cons. Const. QPC, n° 2012-286, 7 décembre 2012), en ce qui concerne la procédure de redressement judiciaire. Le Conseil, pour déclarer inconstitutionnelles les dispositions de l’article L. 631-5 du Code de commerce, s’est fondé sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et sur le principe d’impartialité. Le législateur est attentif à ce que la saisine d’office ne méconnaisse pas les exigences du procès équitable (impartialité et égalité des armes). b) L’arrêt de l’instance Les parties sont libres d’arrêter l’instance « avant qu’elle ne s’éteigne par l’effet du jugement ou en vertu de la loi » (art. 1er C. pr. civ.). Si l’instance s’éteint en principe par l’effet du jugement (art. 481 C. pr. civ.), il existe d’autres causes d’extinction. Certaines tiennent à la force des choses (décès d’une partie). D’autres sont la traduction d’une sanction frappant le comportement peu diligent d’une ou plusieurs parties (caducité de la citation, art. 406 et 407 C. pr. civ. ; péremption d’instance, art. 386 et s. C. pr. civ.). L’instance peut aussi s’éteindre soit du fait d’une volonté commune des parties (transaction, art. 2044 et s. C. civ.), soit par l’effet d’une volonté unilatérale : désistement d’action (art. 394 et s. C. pr. civ.) ou acquiescement (art. 408 et s. C. pr. civ.). 2) Les pouvoirs du juge Dès la fin du XIXe siècle, la doctrine avait stigmatisé les lenteurs provoquées par les insuffisances du système judiciaire. Une des causes de ces récriminations tenait à la faiblesse des pouvoirs de contrainte reconnus au juge dans la direction de l’instance ; ce qui se concilie mal avec le fait que la Justice est un service public. Après que le législateur dota quelques juridictions de droit commun de juges des mises en état, le succès que rencontra cette initiative le conduisit à généraliser le procédé. L’émergence contemporaine du procès équitable conduit le législateur à doter le juge de prérogatives destinées à faire respecter ses 18 composantes, parmi lesquelles l’exigence de célérité. Le souhait de rationaliser la procédure participe aussi de cette fin. L’accroissement des pouvoirs du juge est inscrit au titre des principes directeurs du Code de procédure civile. L’article 3 de ce dernier indique que « le juge veille au bon déroulement de l’instance ; il a le pouvoir d’impartir des délais et d’ordonner les mesures nécessaires ». Ainsi, c’est le juge qui imprime le rythme au procès. D’autres dispositions, disséminées dans le Code, relaient ces idées directrices. Les pouvoirs attribués au juge de la mise en l’état devant le tribunal judiciaire en sont une illustration significative. Il est chargé de « veiller au déroulement loyal de la procédure » (art. 780 al. 2 C. pr. civ.). B) Le principe dispositif Le principe dispositif régit les rôles respectifs des parties et des juges au cours de l’instance. Ce principe place les parties au cœur de l’introduction et du déroulement : elles « disposent » de la matière litigieuse. Quant au juge, si son rôle est de trancher le litige en droit, il bénéficie de certaines prérogatives qui lui permettent d’intervenir dans le déroulement de l’instance. Selon la thèse soutenue par Motulsky, il appartient aux parties d’établir les faits propres à fonder leur prétention. La formule « principe dispositif » traduit le fait qu’il appartient aux parties de déterminer d’une part l’objet de la matière litigieuse et, d’autre part, d’alléguer et d’établir les faits leur servant de fondement (1). Motulsky a considéré que l’opération de qualification juridique des éléments de fait ne relevait pas des attributions des parties ; c’est une tâche procédurale qui ressort de l’office du juge (2). Pour l’essentiel, cette thèse est passée dans le Code de procédure civile, même si elle a, depuis, fait l’objet d’importants aménagements. 1) Le rôle des parties La maîtrise des parties sur les données de fait du litige revêt deux aspects. D’une part, les parties ont le monopole tant dans la fixation de la matière litigieuse, que dans l’allégation des faits pertinents qu’elles entendent porter à la connaissance du juge au soutien de leurs prétentions. Il leur appartient de sélectionner les faits qui vont délimiter les contours du procès et s’imposer au juge. La matière litigieuse est déterminée par les prétentions respectives des parties (art. 4 C. pr. civ.). Néanmoins, elle peut évoluer au cours du procès avec la formulation de demandes incidentes. D’autre part, il incombe aux parties de prouver, conformément à la loi et loyalement, les faits nécessaires au succès de leur prétention (art. 9 C. pr. civ.). Depuis un important arrêt d’assemblée plénière du 7 juillet 2006 (Arrêt Césaréo), la jurisprudence pose un principe de concentration des moyens. Il a été jugé que le demandeur ne pouvait être admis à contester l’identité de cause de ces deux demandes en invoquant un fondement juridique qu’il s’était abstenu de soulever en temps utile, si bien que la nouvelle demande se heurtait à la chose précédemment jugée s’agissant de la même contestation. En contraignant les parties à procéder à un examen minutieux de l’ensemble des moyens de droit susceptibles d’être invoqués dès l’instance relative à la première demande, la Cour de cassation tend à conférer sa pleine portée au principe dispositif tout en l’utilisant à des fins gestionnaires des règles de procédure, lesquelles sont susceptibles d’avoir d’importantes répercussions sur le fond du droit. 19 2) L’office du juge L’emprise des parties sur le fait n’est pas absolue. Le juge dispose dans le rapport avec les faits de prérogatives qui attestent un accroissement de son office (a). En revanche, s’agissant du droit, les rédacteurs du Code de procédure civile ont voulu mettre en exergue son office (b). a) Les faits Une fois les éléments de fait fixés par les parties, le cadre du procès est dès lors immuable (art. 4 C. pr. civ.). Traditionnellement, l’immutabilité de l’objet du litige désigne le principe selon lequel les parties ne peuvent librement modifier l’objet du litige tout au long du procès, réduire ou accroître son cadre. Il en résulte notamment que le juge ne peut ni modifier les termes du litige ni fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. En conséquence, il lui est interdit d’introduire dans le débat des faits non invoqués par les parties, et notamment des faits résultant d’investigations qu’il aurait pu mener hors la présence des parties et hors du cadre de l’audience (Com., 4 octobre 1994). Toutefois, le juge a un rôle actif s’agissant de l’appréhension des faits. Ainsi il peut, parmi les éléments du débat, « prendre en considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions » (art. 7, al. 2, C. pr. civ.), cela dans le respect du contradictoire. Le texte consacre ainsi une jurisprudence traditionnelle en vertu de laquelle « s’il n’est pas permis au juge de substituer une autre demande à celle qui est portée devant lui, il ne lui est pas interdit, quant à la demande qui lui est soumise, de puiser les motifs de sa décision dans les divers éléments du débat, alors même que les faits sur lesquels il s’appuie n’ont pas été spécialement invoqués par les parties dans leurs conclusions » (Civ. 16 juin 1929). Pour désigner cette possible exploitation d’éléments de faits contenus dans le dossier, mais aussi sans doute révélés par le débat, on utilise l’expression de « faits adventices ». De surcroît, le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties. b) Le droit La règle de l’immutabilité du litige imposée au juge est exprimée par l’article 5 du Code de procédure civile : « le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ». On transcrit cette double obligation en indiquant qu’il ne peut statuer ni infra petita, c’est-à-dire en deçà de ce qui lui est demandé ; ni en principe ultra petita, c’est- à-dire, accorder plus que ce qui lui est demandé. Ainsi, la Cour de cassation a pu reprocher au juge du fond d’avoir condamné le demandeur au paiement d’une somme de 800 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile alors que son adversaire sollicitait une condamnation à hauteur de 500 € (Civ. 2e, 23 mars 2017). Il ne peut non plus modifier l’objet du litige (art. 4 C. pr. civ.), en statuant extra petita. Alors que la preuve des faits est l’apanage des parties, la connaissance de la règle de droit relève du juge. L’article 12, alinéa 1er du Code de procédure civile, affirme que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ». En conséquence de cette affirmation, non seulement il ne peut se fonder sur l’équité, mais encore il doit statuer selon la règle de droit applicable aux faits dont il a été saisi. Dès lors, il lui appartient de se livrer au travail de la qualification juridique des faits. Si les parties, ce qui est de plus en plus rare, n’ont pas procédé à l’opération de qualification juridique, le juge est tenu de rechercher la règle de droit appropriée à la solution du litige en examinant à cette fin les faits conformément à la règle de droit qui leur est applicable. Si, en revanche, les parties ont 20 procédé à la qualification juridique des faits allégués, c’est-à-dire ont invoqué un fondement juridique déterminé, le juge peut estimer qu’elles ont commis une erreur dans l’accomplissement de cette opération et procéder dans cette situation à une requalification. Par exemple, si un plaideur invoque l’application de l’article 1240 du Code civil pour obtenir réparation de son préjudice à la place de l’article 1242 du Code civil, le juge saisi de l’action doit-il appliquer d’office cet article au risque que le demandeur, si le juge s’abstient et le déboute, puisse le lui reprocher ultérieurement dans le cadre de l’exercice d’une voie de recours ? La Cour de cassation répond par la négative en énonçant que « si (…) l’article 12 du Code de procédure civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes (…) » (Ass. plén., 21 décembre 2007, arrêt Dauvin). Il s’agissait d’un plaideur qui avait introduit son action sur le fondement de la garantie des vices cachés et qui, n’ayant pu obtenir gain de cause, reprochait aux juges du fond de ne pas avoir relevé d’office le moyen tiré de la violation de l’obligation de délivrance. Dans cet arrêt, la Cour de cassation semble distinguer selon que le juge procède à une requalification des actes et faits litigieux d’une part, ou à un changement de dénomination de la demande ou d’un changement de fondement juridique de la demande, d’autre part. Dans le premier cas, le juge a bien l’obligation de requalifier selon l’article 12, alinéa 2 du Code de procédure civile qui oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions ». Dans le second cas, la Cour constate que le même article 12 alinéa 2 du Code de procédure civile ne « fait pas obligation [au juge], sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes ». Cette décision se situe dans le sillage d’une évolution marquée par le décret du 28 décembre 1998 et un précédent arrêt rendu par l’assemblée plénière le 7 juillet 2006 (Césaréo), qui, redessinant les rôles respectifs des parties et du juge dans le procès civil, repose sur l’idée que si le juge doit jouer un rôle actif dans le déroulement du procès, il n’a pas à remplir tous les rôles, et qu’il revient aux parties elles-mêmes, représentées par des conseils professionnels, d’invoquer tous les moyens susceptibles de fonder leurs prétentions. L’arrêt Dauvin réserve l’hypothèse de « règles particulières » que le juge aurait l’obligation d’appliquer d’office à peine de voir sa décision cassée. Il en va ainsi lorsqu’il s’agit d’un moyen d’ordre public. À titre d’illustration, la jurisprudence a retenu que « si le juge n’a pas, sauf règles particulières, l’obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union européenne, telle la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées » (Ch. Mixte, 7 juillet 2017). Également, la Cour de cassation considère que les juges doivent, en outre, appliquer d’office la loi de 5 juillet 1985 afin de trancher directement le litige (Civ. 2e, 5 juillet 2018). C) Le principe de la contradiction Le principe de la contradiction peut être défini comme la liberté, pour chacune des parties, de faire connaître tout ce qui est nécessaire au succès de sa demande ou de sa défense. Il importe que toute démarche, toute communication d’une pièce ou d’une preuve par une partie soit portée à la connaissance de l’autre partie, et librement discutée à l’audience. Le respect du principe du contradictoire est une condition indispensable pour que soit respecté un autre principe important : le « droit à une défense équitable » (expression de Motulsky). Le principe du contradictoire est un principe général du procès inscrit aux articles 14 à 17 du Code de 21 procédure civile. Le principe joue indifféremment au profit de chacune des parties à l’instance. L’importance du principe explique également le régime auquel il est soumis. Non seulement il s’impose aux parties (1), mais encore il constitue une obligation pour le juge (2). Enfin, il faut s’attacher aux principes corollaires au contradictoire (3). 1) La contradiction et les parties La contradiction entre les parties se manifeste lors de l’introduction, ainsi que durant le déroulement de l’instance. En énonçant que « nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée », l’article 14 du Code de procédure civile paraît énoncer une vérité qui relève tant de l’intuition que de la règle de droit. La force du principe explique sans doute que la Cour de cassation ait jadis qualifié ce principe de droit naturel. Le respect du principe du contradictoire implique que la partie à l’encontre de laquelle une procédure est intentée soit, sinon entendue par un juge, du moins informée de l’existence de la procédure dirigée à son encontre. Des deux exigences prescrites par l’article 14 du Code de procédure civile, la seconde (l’information) revêt assurément une plus grande importance (d’où la nécessité de la signification régulière d’une assignation). En effet, la nécessité d’observer le principe de la contradiction ne débute pas avec l’audition des parties, mais apparaît avec la nécessité d’informer celui à l’encontre de qui un procès est intenté. Parfois le plaideur est d’ailleurs officiellement prévenu des conséquences de son défaut de comparution. L’exigence de loyauté qui doit présider aux débats tout au long de la procédure est contenue dans l’article 15 du Code de procédure civile, selon lequel « les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense ». À défaut, elles doivent être écartées. Cette appréciation relevant du pouvoir souverain des juges du fond (Ch. Mixte, 3 février 2006). Chaque fois qu’une partie allègue des éléments de fait, avance des preuves et soulève des moyens de droit destinés à justifier du bien-fondé de sa prétention, ces éléments doivent faire l’objet d’une communication à la partie adversaire. Ce point peut être source de difficultés lorsque la procédure est orale, car les prétentions étant formulées oralement, les parties peuvent très bien décider de faire état, lors de l’audience, de prétentions et moyens non évoqués ou développés dans leurs écritures précédentes. La difficulté étant susceptible d’être amplifiée par le fait que les prétentions, moyens et preuves formulés au cours de l’audience sont présumés avoir été régulièrement versés aux débats et soumis à la libre discussion. La preuve contraire est difficile à rapporter, surtout lorsque les parties ne sont pas assistées par un professionnel du droit. La jurisprudence est moins rigoureuse lorsque la procédure est écrite, car la présomption du respect de la régularité de la communication est soumise à la preuve d’un écrit (la preuve est cependant largement admise : pièce visée dans les conclusions ou, mieux, constatée dans la décision). L’obligation de communication réciproque doit intervenir « en temps utile », afin de conférer aux parties le temps suffisant pour organiser leur défense. À défaut, il conviendra d’écarter les conclusions ou pièces déposées et produites tardivement, c’est-à-dire de dernière heure. Cette appréciation est fonction des circonstances de l’espèce ; lesquelles sont souverainement appréciées par les juges du fond. Ceux-ci tiennent notamment compte, à cette fin, d’une série de paramètres : jour du dépôt des pièces et conclusions, connaissance de la date de l’ordonnance de clôture de l’instruction, circonstances ayant permis le respect du principe de la contradiction. 22 Parfois le législateur habilite, dans certaines circonstances, une partie à obtenir du juge qu’il l’autorise à prendre une mesure à l’encontre d’une autre partie, sans toutefois que cette dernière ne soit avertie (tel est notamment le cas des ordonnances sur requête). Ainsi, selon l’article 493 du Code de procédure civile, « l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ». Compte tenu de l’importance du principe de la contradiction en procédure civile, la Cour de cassation veille, dans le cadre de l’application de l’article 493 du Code de procédure civile, à ce que la nécessité de s’abstraire de ce principe soit caractérisée par la requête ou par la décision même, étant indiqué qu’elle n’exerce à ce sujet qu’un contrôle de la motivation (Civ. 2e, 26 juin 2014). Tantôt le souci d’efficacité, allié à la nécessité de ménager l’effet de surprise, justifie une entorse au principe de la contradiction. Cette exception n’est toutefois que temporaire, car l’article 17 du Code de procédure civile décide que la partie qui n’a pas été à même de faire valoir sa défense dispose d’un recours approprié contre la décision qui lui fait grief. Tantôt la limite tient à la nécessité de protéger une partie : cela est notoire s’agissant des personnes vulnérables, comme dans le cadre de l’audition (art. 338-4 C. pr. civ.). 2) Le contradictoire et le juge Le juge doit faire observer (a) et observer lui-même le principe du contradictoire (b). a) L’obligation pour le juge de faire observer le principe de la contradiction L’article 16 du Code de procédure civile institue le juge comme garant du respect du principe de la contradiction. Ainsi, il lui appartient de veiller au respect scrupuleux par les parties des diverses obligations qui leur incombent, voire d’introduire la contradiction lorsqu’elle est a priori écartée (ex en matière de tutelle : art. 1213 C. pr. civ.). La vigilance du juge doit s’exercer spécialement sur le terrain de la communication des conclusions et des pièces en temps utile. Il doit notamment s’assurer de ce que chaque partie ait la faculté de prendre connaissance et de discuter de toutes les pièces présentées au juge. Il doit veiller, lorsque les parties ont eu connaissance de la date de l’ordonnance de clôture, à ce qu’elles ne déposent pas les pièces et conclusions trop tardivement. À la limite, peu important que celles-ci soient déposées la veille, voire le jour de l’ordonnance, dès lors que ce dépôt n’a pas empêché le respect de la contradiction. Le contrôle du respect du principe de la contradiction trouve également à prospérer sur le terrain probatoire. Ainsi, lors de l’exécution d’une mesure d’instruction, le respect du principe de la contradiction suppose que les parties aient été régulièrement avisées du déroulement de cette mesure (art. 160 C. pr. civ.) ; un débat contradictoire ultérieur est insuffisant à pallier cette carence qui rend dès lors la mesure inopposable à la personne non représentée. Elles doivent également avoir eu communication régulière des documents et pièces utilisées par l’expert afin de formuler, le cas échéant, des dires avant le dépôt du rapport (art. 276 C. pr. civ.). Par ailleurs, si le juge ne peut se déterminer à la lumière d’une expertise établie non contradictoirement, il ne peut non plus refuser d’examiner une pièce dont la communication régulière et la discussion contradictoire n’étaient pas contestées, y compris si l’expertise n’a pas été ordonnée judiciairement. b) L’obligation pour le juge d’observer le principe du contradictoire L’article 16, alinéa 2 du Code de procédure civile, dicte la conduite procédurale que doit suivre le juge. Dans sa décision, il ne peut retenir « les moyens, les explications et les documents 23 invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement » (Civ. 2e, 9 juin 2005). Le juge devra notamment être attentif au fait que la communication de ces éléments est bien intervenue dans un délai utile et que les parties aient effectivement eu accès aux pièces de la procédure. Le cas échéant, il lui appartient d’inviter les parties à présenter leurs observations. Quant à l’alinéa 3 de l’article 16 du Code de procédure civile, il pose la règle selon laquelle le juge n’a pas la possibilité de fonder sa décision « sur les moyens de droit qu’il aurait relevé d’office, sans qu’il ait, au préalable, invité les parties à en débattre contradictoirement ». Ainsi, le juge ne peut pas fonder sa décision sur des faits dont il a eu connaissance par des investigations personnelles, sans les soumettre au débat des parties (Civ. 22 mai 1878). 3) Les principes corollaires au contradictoire Il existe plusieurs principes qui découlent du contradictoire. D’abord, les parties peuvent choisir de se défendre elles-mêmes, sous réserve des cas où la représentation est obligatoire (art. 18 C. pr. civ.). Le cas échéant, elles sont libres de choisir leur défenseur (art. 19 C. pr. civ.). Ensuite, les débats sont en principe publics, sauf les cas où la loi exige ou permet qu’ils aient lieu en chambre du conseil (art. 22 C. pr. civ.). Les enregistrements sont toutefois prohibés. Enfin, les parties sont tenues à une obligation de réserve (art. 24 C. pr. civ.). § 2) Les principes émergents Au titre des principes directeurs émergents, il convient de souligner les références contemporaines au principe de loyauté (A) et l’importance que revêt désormais le principe de célérité (B). A) La loyauté procédurale « La loyauté est le bien le plus sacré du cœur humain », disait Sénèque. Même si le procès civil constitue un substitut de la vengeance privée, la fin ne justifie pas tous les moyens. Parce que le procès n’est pas un combat comme les autres, tous les coups ne sont pas permis. Aussi se pose la question de la consécration du principe de loyauté en procédure civile. La loyauté est le principe selon lequel le juge et les parties doivent, dans leurs comportements procéduraux, faire preuve de bonne foi et de probité. En d’autres termes, elle vise la droiture dans le cadre de la procédure suivie, en matière civile, commerciale, prud’homale, rurale et sociale devant les juridictions de l’ordre judiciaire. H. Motulsky avait déjà noté que le principe de loyauté constituait à la fois, pour les parties, une composante importante du droit de la défense et, pour le juge, une obligation de stricte neutralité de motivation des jugements. Si le principe de loyauté procédurale n’est pas explicitement mentionné par le Code de procédure civile au titre des principes directeurs du procès, la jurisprudence contemporaine l’a consacré en plusieurs occurrences en tant qu’aspect des droits de la défense. Le principe de loyauté n’apparaît pas en tant que tel dans le Code de procédure civile. Toutefois, on le trouve indirectement exprimé dans le droit de la preuve aux articles 9 (« conformément à la loi ») et 10 du Code de procédure civile (« mesures légalement admissibles »), dispositions que l’on retrouve du reste dans les textes relatifs aux mesures d’instruction (art. 145 C. pr. civ. relatif aux mesures in futurum). Cependant, par-delà le droit de la preuve, Motulsky avait déjà noté que le principe de loyauté constituait à la fois, pour les parties, une composante importante du droit de la défense et, pour le juge, une obligation de stricte neutralité de motivation des jugements. 24 La jurisprudence laisse apparaître, depuis peu, l’émergence d’une attention particulière au respect de l’exigence procédurale. Elle sanctionne d’ailleurs les plaideurs qui contreviennent à ce comportement. Tel est le cas d’un plaideur qui communique ses pièces très peu de temps avant l’ordonnance de clôture et met matériellement son adversaire dans l’impossibilité d’en prendre connaissance et d’y répondre utilement (Civ. 2e, 11 janvier 2006), ou celui qui adopte, en droit, des postures contradictoires au détriment d’autrui, faussant ainsi sciemment le débat (Civ. 2e, 23 octobre 2003). Le manquement à l’exigence de loyauté trouve également à prospérer sur le terrain de l’administration judiciaire de la preuve où elle sanctionne les preuves obtenues déloyalement (Civ. 2e, 7 octobre 2004), tel l’enregistrement d’une communication téléphonique par une partie à l’insu de l’auteur des propos tenus (Civ. 1 re, 17 juin 2009). Toutefois, le juge ne peut rejeter comme mode de preuve les minimessages adressés par téléphone portable au motif que la lecture a été faite à l’insu de leur destinataire et que cela constitue une atteinte grave à l’intimité de la personne, sans constater qu’ils ont été obtenus pas violence ou par fraude (Civ. 1re, 17 juin 2009). La question de savoir si la loyauté procédurale constitue un nouveau principe directeur du procès civil se pose, car la jurisprudence fait parfois expressément référence au « principe de loyauté procédurale » (Civ. 1re, 4 octobre 2005) et une partie de la doctrine paraît l’appeler de ses vœux. Il est toutefois permis de formuler quelques réserves. D’une part, l’exigence de loyauté n’est pas inconnue du Code de procédure civile. Ainsi, l’article 780 du Code de procédure civile précise que le juge de la mise en l’état a pour mission de « veiller au déroulement loyal de la procédure ». Plus généralement, la droiture et l’honnêteté ne sont- elles pas un comportement naturellement escompté des parties, mais aussi du juge ? Au demeurant, cette exigence semble déjà sous-jacente à plusieurs textes du Code, lesquels figurent dans le chapitre consacré aux principes directeurs du procès. D’autre part, il est bien délicat de tracer objectivement les contours de cette notion qui revêt assurément une connotation morale majeure. Cette objection rend dès lors périlleuse son élévation au rang de principe directeur du procès en raison du risque d’insécurité que cet exercice porte en germe. Au surplus, on peut se demander si l’exigence de loyauté n’est pas une application du principe directeur de la contradiction. Le rapprochement entre les dispositions de l’article 16 du Code de procédure civile et l’arrêt de la Cour de cassation du 7 juin 2005 affirmant que « le juge est tenu de respecter et de faire respecter la loyauté des débats », suggère, au moins, une telle interrogation, sans que l’on soit toutefois en mesure de fournir une réponse certaine. Finalement, la loyauté n’a pas assez de fermeté pour devenir un nouveau principe directeur autonome. Tout au plus, ce principe de loyauté peut servir, le cas échéant, de principe d’interprétation permettant d’apprécier la mise en œuvre des autres principes directeurs et de surmonter d’éventuelles défaillances réglementaires. B) La célérité La lenteur a pu être considérée pendant longtemps comme une sagesse qui « donne le temps de déjouer les calculs d’un adversaire trop habile et rassure la conscience du juge ». (Garsonnet, 19e s.). Ce temps est révolu, car la justice, service public, doit trancher les litiges dans les délais les plus rapides afin de garantir l’effectivité des droits. Il convient de distinguer l’exigence moderne de respect du délai raisonnable (1) et les manifestations de la célérité (2). 1) L’exigence moderne du délai raisonnable Une bonne administration de la justice suppose que le juge puisse prendre son temps, pour examiner en profondeur le dossier et en apprécier sérieusement toutes les subtilités. 25 Néanmoins, la justice ne serait ni équitable, ni crédible, ni efficace, sur un plan humain comme sur un plan économique, si la décision mettant fin à la contestation était rendue à l’issue d’une procédure trop longue. En effet, le jugement perdrait tout intérêt pour le justiciable. Aussi, l’article 6§ 1 de la Convention européenne des droits de l’homme exige expressément que les jugements soient rendus dans un délai raisonnable, c’est-à-dire aussi rapidement qu’il est raisonnablement possible de le faire compte de tenu des particularités de l’affaire et des nécessités d’une bonne administration de la justice. En effet, l’efficacité de la justice et l’effectivité du respect de la loi supposent que les litiges soient réglés aussi rapidement que possible. La Cour européenne des droits de l’homme apprécie le procès dans sa globalité pour calculer la durée d’une procédure civile (CEDH 17 juillet 2001, Pogorzelec c/Pologne). Ainsi, en matière de droit du travail, la durée raisonnable doit prendre en compte la totalité des procédures administrative et judiciaire et le délai de départage devant le Conseil de prud’hommes (CEDH 16 avril 2002, Seguin c/ France). La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de fixer les deux moments qui doivent être pris en compte pour déterminer le délai permettant d’apprécier le caractère non raisonnable de la durée de la procédure. Cette dernière part du jour de la formation de la demande, pour expirer en principe le jour où le tribunal a tranché la contestation ou s’est déclaré incompétent (CEDH 13 novembre 2001, Francisco c/France). En matière civile, devant le tribunal de grande instance (désormais le tribunal judiciaire), le point de départ de la procédure civile a pu être fixé à la date de l’assignation (CEDH 20 février 1991, Vernillo c/France). Le terme du délai est, par principe, la date du prononcé de la décision qui « vide la contestation », d’une manière définitive et irrévocable (CEDH 10 juillet 1984, Guincho c/ Portugal). De surcroît, la durée de la procédure d’exécution doit être prise en compte pour déterminer le caractère raisonnable de la durée du procès civil (CEDH, 26 septembre 1996, Di Pedeet Zappia C/ Italie). Enfin, lorsqu’aucune décision au fond n’a été rendue dans une affaire depuis de nombreuses années, la Cour EDH a longtemps autorisé les requêtes pour motif de durée non raisonnable d’une procédure, sans attendre une décision définitive ; sans cet assouplissement des conditions de recevabilité de la requête, cela aurait permis aux autorités judiciaires de ne jamais rendre une décision, sans que la responsabilité de l’État puisse être engagée à Strasbourg. Mais, le revirement intervenu sur ce terrain rend sans intérêt cette jurisprudence. Le Code de procédure civile ne connaît pas expressément le principe directeur de célérité, mais il suffit de s’attacher aux articles 2, 3 et 4 du Code de procédure civile pour constater que la célérité n’était pas inconnue lors de l’adoption du Code. Également, l’article 15 du Code de procédure civile retient que « Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait ». Si la durée est inséparable de la notion de procès, une bonne administration de la justice repose sur l’absence de retard excessif dans l’obtention du jugement. Toutefois, l’application rigoureuse par la Cour européenne des droits de l’homme de l’exigence de respect du délai raisonnable a eu un effet radical sur le fonctionnement des juridictions françaises. Après de multiples condamnations de la France pour lenteur de ses juridictions, le droit interne s’est adapté à la nécessité d’accélérer le traitement des dossiers et à celle d’indemniser les manquements au délai raisonnable. Ainsi, l’article L. 111-3 du Code de l’organisation judiciaire dispose que « les décisions de justice sont rendues dans un délai raisonnable ». L’exigence de célérité impose aux juges, aussi bien qu’aux auxiliaires de justice, en ce compris les techniciens et les experts, de prendre soin de ne pas ralentir sans raison valable la procédure et de proscrire toute passivité injustifiée. Spécifiquement, l’article 3 du Code de procédure civile confère au juge « le pouvoir d’impartir les délais et d’ordonner les mesures nécessaires », ce qui lui permet de donner à l’instance son rythme adéquat. Au-delà, 26 le juge dispose d’un véritable pouvoir d’injonction à l’égard des parties ou de leurs auxiliaires de justice. Le juge peut également prendre d’autres mesures telles que la jonction ou la disjonction d’instance (art. 367 et 368 C. pr. civ.). Il peut aussi ordonner la production d’une preuve par une partie ou un tiers afin de rythmer la procédure. Chargé de veiller au bon déroulement de l’instance, le juge dispose également du pouvoir d’ordonner d’office un sursis à statuer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice (art. 378 et s. C. pr. civ.). Il peut ainsi à bon droit faire usage de ce pouvoir discrétionnaire, en raison de l’existence d’une instance pénale en cours (Civ. 2e, 12 avril 2018). La Cour européenne des droits de l’homme invite le juge à un exercice dynamique de ses pouvoirs dans la mesure où elle apprécie le caractère raisonnable de la durée des procédures à l’aune du comportement des autorités judiciaires nationales et, en particulier, de celui du juge de la mise en état, par le constat de ce qu’il a ou non utilisé « les pouvoirs que le Code de procédure civile lui donne dans la conduite de la procédure, notamment en donnant aux parties des injonctions de conclure » (CEDH 9 novembre 1999, Gozalvo c/ France). L’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire prévoit la mise en œuvre de la responsabilité de l’État pour faute lourde. Constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi (Ass. Plén., 23 février 2001). Aussi, le non-respect de l’exigence d’un délai raisonnable peut constituer une faute lourde du service de la Justice au sens de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire (TGI Paris, 6 juillet 1994). Également, Le Conseil d’État a admis, sur le fondement des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, que la méconnaissance du « droit à un délai raisonnable de jugement » est un « fonctionnement défectueux du service public de la justice » ouvrant droit à réparation (CE, ass., 28 juin 2002, Min. justice c/ Magiera). La jurisprudence a intégré la méconnaissance du délai raisonnable dans le domaine de cette responsabilité directe, en considérant que l’absence de prononcé d’un jugement dans un temps raisonnable caractérise le déni de justice. Le déni de justice, entendu comme tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu, vise non seulement le refus de répondre aux requêtes ou le fait de refuser de juger les affaires en l’état de l’être, mais aussi plus largement tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable (art. 4 C. civ.). Aussi, la jurisprudence interne a pu considérer qu’il faut entendre par déni de justice non seulement le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger de juger des affaires en l’état de l’être, mais aussi, plus largement, tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu. Il en va ainsi de la fixation des dates de plaidoiries par le conseiller de la mise en état près de trois ans après l’enregistrement de la déclaration d’appel (TGI Paris, 6 juillet 1994). Finalement, ce n’est pas tant la longueur de la procédure qui constitue le fait générateur de la responsabilité de l’État, mais la longueur injustifiée. C’est dans ce dernier cas qu’apparaît un véritable « dysfonctionnement ». Selon la jurisprudence, la sanction qui s’attache à la violation de l’obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n’est pas l’annulation de la procédure, mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi (Civ. 2e, 24 mars 2005). Même si la Cour européenne des droits de l’homme a constaté la violation par l’État français de son obligation de rendre la justice dans un délai raisonnable, la Cour de cassation considère que si l’arrêt « permet à celui qui s’en prévaut de demander réparation » il « est sans incidence sur la validité des procédures relevant du droit interne » (Crim. 3 février 1993). Enfin, la demande de réparation peut être formée devant les juridictions nationales ou, s’il y a lieu, devant la Cour européenne des droits 27 de l’homme. La réparation du préjudice prévue à l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire demeure la seule voie ouverte. Ce qui implique notamment que, dans le droit des entreprises en difficulté, lorsqu’il existe un actif réalisable de nature à désintéresser en tout ou en partie les créanciers, la violation du droit du débiteur à être jugé dans un délai raisonnable et celle qui en résulte d’administrer ses biens et d’en disposer, ne sont pas sanctionnées par la clôture de la procédure de liquidation des biens, mais lui ouvrent l’action en réparation prévue à l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judicia

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