Le développement de l'enfant de 6 ans. PDF
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Université Privée de Fès
Gabriela Martorell Diane E. Papalia Annick Bève
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Ce document décrit le développement physique et cognitif des enfants de trois à six ans. Il aborde des sujets comme la latéralité manuelle, le stade préopératoire de Piaget et le développement des habiletés motrices. Le document présente des informations importantes sur la façon dont les enfants apprennent et grandissent durant cette période critique.
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Le développement physique et cognitif de l’enfant de trois à six ans 171 La dominance de la main dépend-elle de la génétique ou de l’apprentissage ? Certains chercheurs expliquent la dominance de la main droite par l’existence d’un gène par- ticulier. Selon leur théorie, les personnes qui hériten...
Le développement physique et cognitif de l’enfant de trois à six ans 171 La dominance de la main dépend-elle de la génétique ou de l’apprentissage ? Certains chercheurs expliquent la dominance de la main droite par l’existence d’un gène par- ticulier. Selon leur théorie, les personnes qui héritent de ce gène – soit environ 82 % de la population – sont droitières. Toutefois, les individus qui ne le reçoivent pas ont quand même 50 % des chances d’être droitiers ; autrement, ils seront gauchers ou ambidextres. Le fait que la dominance de la main relève alors du hasard chez ceux qui ne reçoivent pas ce gène pourrait expliquer pourquoi des jumeaux homozygotes peuvent avoir des mains dominantes différentes et pourquoi 8 % des enfants de deux parents droitiers sont gauchers (Klar, 1996). L’éducatrice doit observer l’enfant pour déterminer s’il est gaucher et, le cas échéant, s’assurer qu’il a à sa disposition le maté- La latéralité manuelle riel adapté an d’être en mesure de participer aux activités proposées (notamment le La préférence pour l’utilisation d’une bricolage) et de développer sa motricité ne comme les autres enfants. main plutôt que l’autre devient évidente vers l’âge de trois ans. MYTHE OU RÉALITÉ Si vous êtes gaucher, vous aurez un avantage dans certains sports. Des sports comme le tennis, le badminton ou l’escrime avantagent en effet les gauchers, puisque ceux-ci ont l’habitude d’affronter des droitiers, alors que les droitiers affrontent plus rarement des gauchers. FAITES LE POINT 6. Pourquoi dit-on que la période allant de deux ou trois ans à sept ou huit ans est une période critique pour l’intégration du stade nal des habiletés motrices ? 7. Vers quel âge les enfants arrivent-ils généralement à dessiner un personnage avec une bonne structure, et comment les dessins d’un bonhomme évoluent-ils avec l’âge ? 8. Vers quel âge peut-on considérer que la latéralité est déterminée ? 9. Comment Marianna peut-elle adapter son activité de peinture pour favoriser le développement de la motricité ne des enfants de son groupe ? Stade préopératoire Selon Piaget, deuxième stade du 5.3 Le développement cognitif développement cognitif, qui se situe de deux à six ou sept ans et au cours duquel l’enfant peut se représenter À partir de trois à six ans, l’enfant fait preuve d’une maîtrise accrue des notions d’âge, mentalement des objets qui ne sont de temps et d’espace. Il développe aussi ses capacités d’attention et d’utilisation des pas physiquement présents. Ces symboles et devient de plus en plus efcace pour traiter de nouvelles informations. représentations sont toutefois limitées par le fait que l’enfant ne peut encore penser logiquement. 5.3.1 Le stade préopératoire de Piaget L’étape que traverse l’enfant de deux à six ans a été appelée par Piaget le stade Opération mentale préopératoire. Selon lui, les enfants de cet âge ne sont pas encore prêts à effectuer des Réexion mentale qui permet de opérations mentales qui font appel à une pensée logique, ce qu’ils seront capables de faire comparer, de mesurer, de transfor- mer et de combiner des ensembles au stade suivant, celui des opérations concrètes, dont nous parlerons dans le chapitre 7. d’objets. Piaget a déni deux sous-stades dans le stade préopératoire : Pensée préconceptuelle 1. Celui de la pensée préconceptuelle (environ de deux à quatre ans), caractérisé par la Sous-stade du stade préopératoire fonction symbolique. L’enfant peut utiliser un signiant (mot, action, symbole, etc.) caractérisé par la fonction symbolique pour désigner un signié (objet, situation, etc.). Il peut se représenter un objet absent et la capacité de se représenter et imiter une situation dont il se souvient. Il peut donc se référer à des situations pas- mentalement des situations. sées et en imaginer d’autres à venir ou ctives. La fonction symbolique se manifeste Pensée intuitive principalement dans le langage, le jeu symbolique et l’imitation différée. Sous-stade du stade préopératoire 2. Celui de la pensée intuitive (environ de quatre à six ou sept ans), où l’enfant com- caractérisé par une pensée à sens prend le monde qui l’entoure en se basant sur ses perceptions et son intuition plu- unique qui ne tient pas compte des tôt que sur un raisonnement logique, l’enfant n’étant pas encore prêt à effectuer liens entre les situations et qui conduit à des conclusions souvent illogiques. des opérations mentales. C’est une forme de pensée à sens unique qui ne tient 172 CHAPITRE 5 pas compte des liens entre les situations et qui conduit à des conclusions souvent illogiques. Toutefois, cette pensée plus souple prépare déjà les changements qui viendront au stade suivant. Nous verrons plus en détail certains des progrès et des limites caractérisés par Piaget au stade préopératoire, ainsi que les nuances apportées par des recherches récentes sur ces aspects du développement. Les progrès cognitifs au stade préopératoire La fonction symbolique La première caractéristique du stade préopératoire est l’utilisation croissante des capacités de représentation apparues à la n du stade sen- Fonction symbolique sorimoteur et de la fonction symbolique. Lorsque, dans la mise en situation de ce Selon Piaget, capacité de l’enfant chapitre, Tristan se recroqueville sous une chaise après avoir dit avec une grosse à utiliser certains symboles (mots, voix : « Je veux aller me coucher », il démontre qu’il peut s’imaginer un ours qui va nombres ou images) qui ont pour lui se coucher. La possibilité de se représenter mentalement un objet, une personne ou une signication. une situation sans qu’ils soient physiquement présents caractérise la fonction symbo- lique. Le fait de disposer de symboles (mots, chiffres, images) pour évoquer diverses Mise en situation, p. 162 réalités constitue par conséquent un progrès considérable dans le développement cognitif. Tel que l’illustre la gure 5.1, l’enfant n’est plus limité au moment présent, mais peut maintenant évoquer des situations passées ou futures. Sans la fonction sym- bolique, les gens seraient en effet incapables de converser, de lire une carte ou de chérir la photo d’une personne aimée qui se trouve loin d’eux. FIGURE 5.1 L’évocation des situations passées et futures a) b) Cet enfant au stade préopératoire (a) peut non seulement proter de la présence de son chien lorsqu’il le promène, mais la fonction symbolique lui permet également de s’imaginer passer un agréable moment futur ou passé avec son chien et son père (b). Le mot constitue le symbole le plus usuel et probablement le plus important pour la pensée, qu’il soit verbalisé ou écrit. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 3 en La fonction symbolique évoquant les bases du langage, un enfant qui utilise le mot « pomme » pour désigner Par l’entremise d’objets ressemblants un objet absent attribue à ce son un caractère symbolique. C’est donc dans l’utilisa- ou non, la fonction symbolique permet tion du langage que la fonction symbolique prend tout son sens. Cette fonction se à un enfant du stade préopératoire de manifeste aussi par l’imitation différée, qui consiste à reproduire une action observée, représenter la réalité. mais en l’absence du modèle, comme les enfants qui, dans la mise en situation, jouent à sauter comme des lièvres ou à marcher comme des ours, après leur visite au zoo. Mise en situation, p. 162 Enn, la fonction symbolique peut aussi s’exprimer dans le jeu symbolique – ou jeu de faire semblant –, dont nous parlerons plus loin. La compréhension de l’identité Pour l’enfant de deux à six ans, le monde devient plus ordonné et plus prévisible au fur et à mesure qu’il développe une meilleure com- préhension de l’identité, c’est-à-dire du fait que les personnes et la plupart des objets demeurent essentiellement les mêmes, que leur forme ou leur apparence change ou pas. Par exemple, mettre une perruque ne fait pas d’une personne quelqu’un d’autre ; c’est seulement un changement dans son apparence. Cette compréhension est à la base de l’émergence du concept de soi que nous verrons dans le chapitre 6. Le développement physique et cognitif de l’enfant de trois à six ans 173 La compréhension des liens de causalité Au début du stade préopératoire, l’enfant saisit de façon générale les relations fonctionnelles élémentaires qui existent entre les objets et les événements. Par exemple, un enfant de trois ans sait déjà qu’en tirant sur un cordon, le rideau s’ouvre, et qu’en appuyant sur un interrupteur, la lumière jaillit. Bien qu’il ne comprenne pas encore pourquoi telle action en entraîne telle autre, il perçoit tout de même le rapport qui existe entre les deux actions. Si Piaget admet que les jeunes enfants ont une certaine compréhension des relations de cause à effet, il considère toutefois que le raisonnement de l’enfant du stade préopératoire n’est pas logique, mais plutôt transductif. La transduction est le fait d’établir un lien de causa- Transduction lité, logique ou non, entre deux événements sur la seule base de leur proximité dans Selon Piaget, tendance de l’enfant du le temps. Dans ce type de raisonnement, l’enfant n’utilise donc ni la logique inductive stade préopératoire à établir un lien de causalité, logique ou non, entre deux (le fait de tirer une conclusion générale à partir de données particulières) ni la logique événements, sur la seule base de leur déductive (le fait de partir de données générales pour en tirer une conclusion par- occurrence commune. ticulière). Si deux événements surviennent en même temps ou sont perçus dans le même contexte, l’enfant croit alors que l’un est la cause de l’autre. C’est ce raisonne- ment transductif qui pourrait amener un enfant à croire, par exemple, que ses parents divorcent parce qu’il s’est disputé avec sa sœur. Toutefois, lorsqu’on teste les jeunes enfants sur des situations compréhensibles pour eux, on constate qu’ils sont capables de relier correctement les causes aux effets. Il suft de les écouter parler pour remarquer que, dans les faits, leur discours révèle souvent une meilleure compréhension des relations causales que ne l’a cru Piaget. Même s’ils éprouvent parfois des difcultés à répondre aux « pourquoi » des adultes, ils utilisent spontanément des phrases contenant des « parce que » ou des « alors » : « Maman a mis un pansement parce que j’avais un bobo » ou encore : « La fée a pris sa baguette magique, alors la petite souris est devenue grande. » Par contre, il est vrai que ces enfants tendent à croire que tous les événements ont des relations causales prévi- sibles. Ainsi, un enfant de quatre ans peut croire qu’on sera automatiquement malade si l’on ne se lave pas les mains avant de manger : pour lui, ce lien de cause à effet est aussi prévisible que celui de voir retomber un ballon lancé dans les airs. DANS LA TÊTE DE L’ENFANT Parce qu’il utilise le raisonnement transductif, un enfant peut facilement créer de nouvelles asso- ciations lorsque survient un changement de routine. Si, par exemple, un enfant reçoit sa collation préférée le jour où il va dans un nouveau local, il voudra ensuite aller dans ce local parce qu’il croit qu’il y recevra sa collation préférée. À l’inverse, s’il s’est fait mal le jour où il se trouvait dans ce local, il pourrait ne pas vouloir y retourner de peur que l’événement se reproduise. BOÎTE À OUTILS Dans le milieu de garde, le coin rangement devrait être accessible et ce qui favorisera l’exercice de leur capacité de classication tout en ren- adapté aux enfants. Des bacs bien identiés avec des illustrations leur forçant un comportement prosocial. permettront de participer au rangement des jouets dès le plus jeune âge, La classication La classication requiert la capacité de discerner les similitudes et les différences. Tout d’abord, les enfants vont faire des regroupements d’objets, mais sans utiliser des critères stables. Ils peuvent mettre ensemble des objets qui vont bien ensemble, mais pour aller bien ensemble, les critères peuvent varier au fur et à mesure qu’ils construisent leur regroupement ; par exemple, ils placent deux balles ensemble, une rouge et une verte, après ils ajoutent un bloc vert, puis une voiture verte et ensuite un camion bleu. Vers quatre ans, les enfants sont capables de classer les objets 174 CHAPITRE 5 selon deux critères, mais sans nuances. Ils vont utiliser cette habileté pour catégoriser des éléments de leur entourage ; par exemple, tout personnage peut être déni comme « gentil » ou « méchant ». La compréhension des nombres Vers cinq ans, la plupart des enfants sont capables (si on le leur a appris, la plupart du temps en jouant) de réciter dans l’ordre les chiffres jusqu’à 20 et plus, ainsi que de résoudre des problèmes simples sur des groupes de moins de 10 objets. (Laurie a pris sept pommes, et Bianca en a pris cinq. Qui en a le plus ?) Pour additionner, les enfants vont intuitivement inventer des stratégies, par exemple en comptant sur leurs doigts. Toutefois, pour pouvoir dire qu’un enfant maî- trise les nombres, les principes de la numération suivants doivent être acquis : principe d’ordre stable : dire les noms des nombres dans un ordre précis (« un, deux, trois… » et non « trois, un, deux… ») ; principe de correspondance biunivoque : utiliser un nom de nombre, et seulement un, pour chaque élément compté (« un pour le premier élément, deux pour le deuxième, trois pour… ») ; principe de cardinalité : le dernier nombre énoncé représente le total des éléments Mise en situation, p. 162 comptés. Si le dernier nombre énoncé est « cinq », cela signie qu’il y a cinq éléments ; principe de non-pertinence de l’ordre de départ : si l’on compte cinq éléments, que Quels sont les principes de la numéra- tion que possèdent les enfants de la l’on commence à compter par le premier ou le troisième, le total restera le même ; mise en situation ? principe d’abstraction : les principes précédents s’appliquent à tous les objets comptés. On croyait auparavant que c’était la compréhension de ces principes qui permet- tait aux enfants d’apprendre à compter. Des recherches afrment que c’est l’in- verse ; c’est en comptant qu’ils parviennent à dégager les principes de numération Cardinalité (Siegler, 1998). Principe selon lequel le dernier nombre énoncé représente le total Le principe de cardinalité, selon lequel le dernier nombre énoncé représente le total des éléments. des éléments, n’est pas appliqué systématiquement par les enfants avant trois ans et demi. Vers quatre ou cinq ans, l’ordinalité, c’est-à-dire la capacité de comparer Ordinalité des quantités numériques, permet ensuite à l’enfant de comprendre les notions de Capacité de comparer des quantités « plus » et de « moins ». L’ordinalité apparaît autour de 12 à 18 mois, mais à cet âge, elle numériques. demeure limitée à la comparaison d’un nombre restreint d’objets. Lorsqu’ils entrent en première année du primaire, la plupart des enfants ont déjà développé le sens de la numération. Le niveau de base des habiletés de numération comprend la capacité de compter, l’ordinalité (la comparaison de quantités), les trans- formations numériques (les additions et les soustractions simples), l’estimation (ce groupe de points est inférieur ou supérieur à 5) et la reconnaissance d’un modèle d’équation (2 plus 2 font 4, 3 plus 1 aussi) (Jordan et al., 2006). Bien sûr, même si l’acquisition des connaissances se rapportant à la numération est uni- verselle, elle se développe à des rythmes différents selon l’importance qui lui est accor- dée par la famille ou la culture à laquelle l’enfant appartient. À quatre ans, les enfants de la classe moyenne ont généralement des habiletés numériques nettement meilleures que les enfants de milieux défavorisés, et leur avantage initial a tendance à se maintenir. Les principes de la numération La maîtrise des nombres à cet âge est un bon indicateur des performances scolaires en L’utilisation du boulier aidera cette mathématiques en troisième année (Jordan et al., 2009). llette à maîtriser les principes Le tableau 5.4 résume les principaux progrès cognitifs qui, selon Piaget, caractérisent de la numération. les enfants du stade préopératoire. Centration Les limites de la pensée préopératoire Selon Piaget, limite de la pensée La pensée préopératoire est encore rudimentaire comparativement à ce que l’enfant préopératoire qui amène l’enfant à pourra accomplir une fois parvenu au stade des opérations concrètes. Selon Piaget, ne percevoir qu’un seul aspect d’une la principale limite du stade préopératoire est la centration, c’est-à-dire la tendance situation au détriment des autres. à se concentrer sur un seul aspect d’une situation en négligeant tous les autres. La Le développement physique et cognitif de l’enfant de trois à six ans 175 TABLEAU 5.4 Les progrès cognitifs au stade préopératoire (selon Piaget) Progrès Description Exemple Capacité de représentation Les enfants peuvent penser à une personne, à un Jérémie se souvient d’avoir mangé un cornet de objet absent ou à un événement qui ne se déroule crème glacée chez sa grand-mère la veille, et il en pas dans le présent. réclame un autre aujourd’hui. Fonction symbolique Les enfants peuvent utiliser des symboles pour Mathieu utilise le rouleau de carton provenant d’un représenter des objets ou des situations. papier d’emballage pour jouer à l’épée. Pensée intuitive L’enfant commence à pouvoir exercer un certain Lorsque son frère aîné doit partager ses framboises raisonnement — basé sur l’intuition et non sur avec Kenzo, ce dernier se rend bien compte qu’il lui l’analyse — sur le monde qui l’entoure. en laisse beaucoup moins. Compréhension de l’identité Les enfants savent que des modications super- Alexis sait que, même si son grand frère est déguisé cielles ne changent pas la nature des choses. en pirate, il demeure toujours son grand frère. Compréhension des liens de causalité Les enfants réalisent que les événements ont des Jade voit un ballon surgir de derrière un mur et va re- (causes et effets) causes. garder derrière celui-ci pour voir qui a lancé le ballon. Capacité de classier Les enfants classent les objets, les personnes et les Norma trie les pommes de pin qu’elle a ramassées événements en catégories signicatives. dans la forêt. Elle les répartit en deux séries selon leur taille : les « petites » et les « grandes ». Compréhension des nombres Les enfants peuvent compter et gérer les petites Laurence partage quelques bonbons avec ses amies quantités. en les comptant un à un, de façon que chacune d’elles en ait le même nombre. centration a des répercussions à la fois sur la compréhension du monde physique et sur celle des relations sociales. Ainsi, dans la mise en situation, Tristan évalue la quan- tité de jus qu’il boit en se basant sur le fait qu’un verre soit plein ou non. Le sien est Mise en situation, p. 162 plein, il en contient donc plus que le verre de son éducatrice à moitié plein. L’égocentrisme L’égocentrisme représente une forme de centration et n’a rien à Égocentrisme voir avec l’égoïsme. Selon Piaget, les enfants de trois ans croient encore que l’univers Selon Piaget, caractéristique de la pen- tourne autour d’eux et demeurent tellement centrés sur leur propre point de vue qu’ils sée préopératoire qui rend impossible sont incapables d’en considérer un autre. la prise en compte du point de vue d’une autre personne. Fascinée par le vacarme incessant des vagues, une llette de quatre ans se tourne vers son père en lui disant : « Mais quand est-ce que ça arrête ? » « Jamais », lui répond son père. Sur quoi la llette demande, incrédule : « Même pas quand on dort ? » L’égocen- trisme pourrait expliquer pourquoi les jeunes enfants ont parfois du mal à séparer la réalité de ce qu’ils imaginent et pourquoi ils sont parfois perplexes en ce qui concerne les liens de causalité. On entend aussi parfois un enfant dire que le soleil se couche parce qu’il est fatigué. C’est un exemple de ce que Piaget appelle l’animisme, une forme d’égocentrisme qui consiste Animisme à attribuer des caractéristiques humaines à des objets inanimés, comme Tristan, qui Tendance à concevoir les objets inani- croit qu’un autobus peut se mettre en colère. més comme possédant des caractéris- tiques humaines. En interrogeant des enfants à propos du soleil, du vent et des nuages, Piaget a obtenu des réponses qui l’ont amené à conclure que les enfants éprouvent de la difculté à distinguer ce qui est vivant de ce qui ne l’est pas, surtout lorsque les éléments non Mise en situation, p. 162 vivants sont en mouvement. Il a alors attribué cela à l’animisme. Toutefois, d’autres recherches ont depuis démontré que des enfants de trois à quatre ans comprennent que les gens sont vivants et que les cailloux ne le sont pas. Ainsi, au cours d’une expé- rience, des enfants n’ont attribué ni pensées ni émotions aux cailloux, et ils ont men- tionné que si les poupées ne peuvent pas se déplacer par elles-mêmes, c’est qu’elles ne sont pas vivantes (Gelman, Spelke et Meck, 1983). La différence entre les réponses obtenues par Piaget et celles recueillies par d’autres chercheurs s’explique peut-être 176 CHAPITRE 5 FIGURE 5.2 La tâche des trois montagnes de Piaget par le fait que les objets présentés aux enfants par Piaget se dépla- çaient d’eux-mêmes et n’offraient aucune possibilité de manipula- tion concrète. Une expérience classique de Piaget, la tâche des trois montagnes, illustre bien cet égocentrisme. L’expérimentateur assoit un enfant devant trois monticules (voir la gure 5.2) et place une poupée sur une chaise, de l’autre côté de la table. Il demande alors à l’en- fant de lui dire comment la poupée voit les montagnes. Le jeune enfant ne peut répondre à cette question. En effet, il décrit chaque fois les montagnes selon sa propre perspective. Pour Piaget, cela met en évidence l’incapacité de l’enfant à imaginer un point de vue Au stade préopératoire, un enfant est incapable de décrire différent du sien (Piaget et Inhelder, 1967). les montagnes selon le point de vue de la poupée. D’après Toutefois, dans une autre expérience, en présentant le problème Piaget, c’est là une manifestation de l’égocentrisme. d’une manière différente, on a obtenu des résultats divergents. On a placé un enfant en face d’un panneau divisé en quatre sec- tions par des « murs ». Un personnage représentant un policier se tenait d’un côté du panneau, tandis qu’une poupée était déplacée d’une section à l’autre. Après chaque déplacement, on demandait à l’enfant : « Est-ce que le policier peut voir la poupée ? » Puis, un autre personnage policier entrait en action, et l’on demandait à l’enfant de cacher la poupée de manière à ce qu’aucun policier ne la voie. Des enfants âgés de 3 ans et demi à 5 ans ont donné la bonne réponse 9 fois sur 10 (Hughes, 1975). Pourquoi ces enfants étaient-ils capables de considérer le point de vue d’une autre personne (le policier), alors que ceux à qui l’on présentait la tâche des montagnes en étaient incapables ? Il est possible que ce soit parce que le problème du policier les amène à penser d’une façon plus usuelle et moins abstraite. En effet, les jeunes enfants ne regardent généralement pas les montagnes de cette façon et ne se ques- tionnent pas sur ce que les poupées voient en les regardant. Toutefois, la plupart des enfants de trois ans connaissent les poupées, les policiers et le jeu de la cachette. Ainsi, les jeunes enfants peuvent effectivement faire preuve d’égocentrisme, mais principalement dans des situations qui dépassent leur expérience immédiate. La non-conservation Une autre expérience classique de Piaget illustre bien comment la centration vient limiter la pensée enfantine. Piaget a conçu cette expérience pour éva- Conservation luer la notion de conservation, un principe selon lequel deux quantités égales (liquide, Selon Piaget, capacité de comprendre poids, nombre, surface, etc.) restent égales malgré une transformation apparente, tant que deux quantités égales (liquide, et aussi longtemps qu’on ne leur ajoute ou qu’on ne leur enlève rien. Il a ainsi décou- poids, nombre, surface, etc.) restent vert que les jeunes enfants ne comprennent pas pleinement ce principe avant le stade égales malgré leur transformation des opérations concrètes. Dans cette expérience, on présente à un enfant deux verres apparente si rien ne leur est enlevé ou ajouté. identiques, bas et évasés, qui contiennent la même quantité d’eau. On verse ensuite l’eau d’un des verres dans un troisième verre, haut et étroit, puis on demande à l’enfant s’il y a un verre qui contient plus d’eau ou si les deux verres contiennent la même quan- tité d’eau. Que l’enfant ait vu l’expérimentateur verser l’eau du verre bas et évasé dans le verre haut et étroit ou qu’il ait versé l’eau lui-même, il répond toujours que l’un des deux verres contient plus d’eau. Lorsqu’on lui demande pourquoi, il répond : « Celui-ci est plus grand ici. » Il montre alors la hauteur (ou la largeur) du verre. Au stade préopé- ratoire, l’enfant est donc incapable de considérer la hauteur et la largeur en même La conservation du liquide temps. Il centre sa pensée sur l’un ou l’autre de ces aspects, et sa réponse découle par conséquent de l’évaluation d’une seule dimension du verre. Comme l’enfant est au stade de la pensée intuitive, il ne peut effectuer les opérations Irréversibilité mentales nécessaires pour répondre à cette question et comprendre l’égalité des Limite de la pensée préopératoire quantités malgré la transformation. Si l’un des verres semble contenir plus de liquide, qui empêche l’enfant de comprendre qu’une opération sur un objet peut être c’est qu’il y en a plus, selon lui. faite en sens inverse pour revenir à Cette compréhension de la conservation est également limitée par l’irréversibilité de l’état initial de l’objet. la pensée, c’est-à-dire l’incapacité de comprendre qu’une opération peut se faire dans Le développement physique et cognitif de l’enfant de trois à six ans 177 les deux sens. L’enfant ne parvient pas à imaginer qu’il sufrait de reverser l’eau dans le premier verre pour démontrer que la quantité est toujours la même. Au stade préopé- ratoire, selon Piaget, l’enfant pense comme s’il observait les images statiques d’une pellicule : il se concentre sur les états successifs, mais ne reconnaît pas les transforma- tions d’un état à un autre. Ainsi, l’enfant prend séparément en considération l’eau qui se trouve dans chacun des verres, au lieu de la considérer comme une même substance pouvant être transvasée d’un verre à l’autre. Il existe différents tests permettant d’évaluer la notion de conservation. Les principaux sont présentés dans le tableau 5.5. TABLEAU 5.5 Les principaux tests de conservation 4. Réponse habituelle Type de 1. Présenter à l’enfant… 2. Opérer une transformation 3. Demander à l’enfant d’un enfant du stade conservation préopératoire Nombre deux rangées parallèles de bonbons. On augmente l’espace entre les bonbons Est-ce qu’il y a le même La rangée plus espacée de l’une des rangées. nombre de bonbons dans a plus de bonbons. chaque rangée ou est-ce que l’une des deux rangées en a plus que l’autre ? Longueur deux trains parallèles de même longueur. On déplace l’un des trains vers la droite. Est-ce que les deux trains sont Le train qui est le plus de la même longueur ou est-ce avancé à droite est le que l’un des deux trains est plus long. plus long ? Liquide deux verres identiques, transparents, On verse le liquide de l’un des verres Est-ce que les deux verres Le verre où le jus monte avec la même quantité de jus. dans un autre, plus étroit. contiennent la même quantité plus haut contient plus de jus ou est-ce que l’un des de jus que l’autre. deux verres en contient plus ? Substance deux boules identiques de pâte à On roule une des boules pour en faire un Est-ce qu’il y a la même quantité Le serpent contient plus modeler. serpent. de pâte à modeler dans la boule de pâte à modeler. et le serpent ou est-ce que l’un des deux en contient plus ? Poids deux boules identiques de pâte à modeler. On roule une des boules pour en faire Est-ce que la boule et la La boule est plus lourde une saucisse. saucisse ont le même poids ou que la saucisse (ou est-ce que l’une des deux est parfois l’inverse). plus lourde que l’autre ? Surface de petits blocs (représentant des mai- On déplace les maisons de l’une des Est-ce que les deux vaches ont La vache sur la feuille où sons) placés sur deux feuilles de papier feuilles an de les coller les unes la même quantité d’herbe à les maisons sont collées vert (représentant de l’herbe), et déposer aux autres. manger ou est-ce que l’une des a plus d’herbe à manger. sur chaque feuille une vache qui doit deux en a plus que l’autre ? manger l’herbe. Masse deux contenants avec une quantité égale On met une des boules de pâte à Si l’on met tous les morceaux L’eau va monter plus d’eau et deux boules de pâte à modeler modeler dans l’un des contenants et l’on de pâte à modeler dans l’autre haut dans le contenant identiques. défait l’autre en petits morceaux. contenant, est-ce que le niveau avec les petits morceaux. de l’eau sera égal dans les deux contenants ou est-ce que l’un des deux sera plus haut ? 178 CHAPITRE 5 Le tableau 5.6 résume les principales limites cognitives qui, selon Piaget, caractérisent les enfants du stade préopératoire. TABLEAU 5.6 Les limites de la pensée préopératoire (selon Piaget) Limite Description Exemple Centration L’enfant ne perçoit qu’un seul aspect d’une situation au détriment Maxime croit que Juliette a plus de blocs que lui parce que ceux-ci des autres ; il ne peut pas opérer de décentration. sont répandus sur le plancher et occupent plus d’espace que les siens, qui sont bien rangés dans leur boîte. Il se centre uniquement sur l’espace occupé. Égocentrisme L’enfant ne peut pas prendre en considération le point de vue d’une Clémence parle au téléphone avec sa grand-mère et montre en même autre personne. temps du doigt les dessins dont elle parle. Animisme L’enfant tend à donner vie à des objets inanimés. Paolo dit que le soleil se couche parce qu’il est fatigué. Non-conservation L’enfant ne peut pas comprendre que deux quantités égales restent égales Isham croit que la quantité de liquide n’est plus la même si on la malgré leur transformation apparente, si rien ne leur est enlevé ou ajouté. transvide d’un verre large à un verre plus étroit. Irréversibilité L’enfant ne comprend pas que certaines actions ou opérations sur Sylvia considère son biscuit brisé en morceaux, croyant en avoir plu- un objet peuvent être faites en sens inverse pour revenir à l’état sieurs. Elle ne comprend pas que si l’on remettait tous les morceaux initial de l’objet. ensemble, elle retrouverait son biscuit entier. Transduction L’enfant établit un lien de causalité, logique ou non, entre deux événe- Sarah a été méchante avec son frère juste avant que celui-ci tombe ments, sur la seule base de leur occurrence commune. malade. Sarah en conclut qu’elle a rendu son frère malade. 5.3.2 Les jeunes enfants et la théorie de l’esprit Piaget (1929) a été le premier à étudier la théorie de l’esprit chez les enfants, c’est- Théorie de l’esprit à-dire la capacité de l’enfant à saisir les caractéristiques de la pensée. Elle comporte Prise de conscience des processus mentaux et capacité de comprendre et deux niveaux : 1) la prise de conscience de leurs propres processus mentaux (désirs, de prévoir que les autres peuvent avoir intentions, croyances, etc.), sur laquelle repose la capacité d’introspection ; et 2) la des pensées, des intentions et des capacité de comprendre que les autres ont les leurs également, sur laquelle repose croyances qui leur sont propres. l’adaptation sociale. La théorie de l’esprit est donc une compétence cognitive qui agit directement sur les dimensions affectives et sociales du développement. C’est en effet lorsque l’enfant comprend ses propres états mentaux et qu’il les distingue des autres qu’il peut comprendre et prévoir le comportement d’autrui, ce qui est essentiel pour développer et maintenir des relations signicatives. Par exemple, si Théo mange le biscuit de son ami Yan et que celui-ci commence à pleurer, Théo peut remettre en question son comportement (introspection) et s’excuser (adaptation sociale). Piaget a posé à des enfants des questions du type « D’où viennent les rêves ? » ou « Avec quoi penses-tu ? » Les réponses reçues l’ont amené à conclure que les enfants de moins de six ans sont incapables de faire la différence entre les pensées ou les rêves et la réa- lité physique, et qu’ils n’ont donc pas de théorie de l’esprit. Cependant, des recherches plus récentes, où l’on observe les enfants dans leurs activités quotidiennes, indiquent qu’entre l’âge de deux et cinq ans, la connaissance qu’ils démontrent en matière de processus mentaux – les leurs et ceux des autres – augmente de façon spectaculaire (Cross et Watson, 2001). La prise de conscience de la pensée De trois à cinq ans, les enfants commencent à comprendre que les pensées se passent dans la tête, que nous pouvons penser à des choses réelles ou imaginaires, qu’une personne peut penser à des objets même en ayant les yeux fermés et les oreilles bou- chées, et que penser constitue une action différente de celles de voir, parler ou toucher (Flavell, Green et Flavell, 1995). Toutefois, à cet âge, les enfants croient généralement que l’activité mentale a un début et une n. Ce n’est pas avant le milieu de l’enfance qu’ils se rendent compte nale- ment que la pensée est continuellement active. Les jeunes enfants n’ont donc pas (ou Le développement physique et cognitif de l’enfant de trois à six ans 179 très peu) conscience que les gens « se parlent dans leur tête, avec des mots » ou qu’ils pensent en même temps qu’ils regardent, écoutent, lisent ou parlent (Flavell et al., 1997). Les fausses croyances et la tromperie Un chercheur montre une boîte de bonbons à Sarah, une petite lle de trois ans, et lui demande ce qu’il y a dedans. « Des bonbons », lui répond-elle. Or, lorsqu’elle ouvre la boîte, Sarah y trouve des crayons et non des bonbons. « D’après toi, qu’est-ce qu’un autre enfant qui n’a pas ouvert la boîte croira trouver dedans ? » lui demande le cher- cheur. « Des crayons », dit Sarah, ne comprenant pas qu’un autre enfant serait lui aussi trompé par l’apparence de la boîte. Pour comprendre qu’une personne peut avoir de fausses croyances, il faut que l’enfant ait d’abord pris conscience qu’on peut se faire une représentation mentale de la réalité et que celle-ci peut parfois être erronée. Or, les enfants de trois ans, comme Sarah, n’ont pas cette compréhension (Flavell, Green et Flavell, 1995). L’incapacité des enfants de trois ans à reconnaître les fausses croyances peut découler de leur pensée égocentrique. À cet âge, l’enfant a effectivement tendance à croire que toutes les autres personnes savent ce qu’il sait et croient ce qu’il croit. Il a donc du mal à comprendre que ses propres pensées peuvent être fausses. Vers quatre ans, avec le passage à la pensée intuitive, les enfants parviennent enn à comprendre que des personnes qui entendent ou qui voient des versions différentes d’un même événement peuvent développer des croyances différentes. Toutefois, ce n’est pas avant six ans que les enfants réalisent que deux personnes qui voient ou entendent la même chose peuvent l’interpréter différemment (Pillow et Henrichon, 1996). La tromperie est une tentative destinée à créer une fausse croyance dans la pensée de quelqu’un. Or, pour pouvoir mentir, l’enfant doit auparavant contrôler son impul- sion d’être franc. En d’autres termes, on peut dire que, chez l’enfant, le mensonge est un signe de développement cognitif ; cela signie que, volontairement, il cherche à implanter chez l’autre une idée différente de la réalité. Des recherches ont montré que certains enfants sont capables de mentir dès l’âge de deux ou trois ans, et d’autres vers quatre ou cinq ans seulement. MYTHE OU RÉALITÉ Mentir est un signe de progrès dans le développement de l’enfant. C’est vrai, pour les jeunes enfants d’environ trois à quatre ans. Cela démontre qu’ils comprennent que la réalité pourrait être différente et qu’ils essaient de le faire croire à autrui. Un peu plus tard, l’enfant prendra conscience de l’aspect moral du mensonge. La distinction entre l’imaginaire et la réalité De 18 mois à 3 ans, les enfants apprennent à faire la distinction entre des événements réels et des événements imaginaires. À trois ans, les enfants peuvent faire semblant et sont capables de reconnaître que quelqu’un d’autre fait semblant. Ils savent aussi que faire semblant est intentionnel : ils font bien la différence entre l’action de faire quelque chose et le fait de prétendre faire cette chose (Rakoczy, Tomasello et Striano, 2004). Ils peuvent aussi faire la distinction entre quelque chose d’invisible (comme l’air) et quelque chose d’imaginaire. Toutefois, la ligne qu’ils tracent entre la fantaisie et la réalité n’est pas toujours très nette. Par exemple, si l’on mettait à des enfants des lunettes spéciales pour voir en vert, ils disaient que le lait était vert, même s’ils venaient juste de le voir blanc. Par ailleurs, même si seulement 3 enfants sur 10 sont capables de dire à quoi sert une bougie ayant l’apparence d’un crayon, 9 sur 10 vont choisir cet objet plutôt qu’un autre pour mettre sur leur gâteau d’anni- Réalité ou imagination versaire (Sapp, Lee et Muir, 2000). Peut-il me mordre pour vrai ? 180 CHAPITRE 5 Sammy est persuadé qu’il court beaucoup plus vite lorsqu’il porte ses souliers avec de petites lumières, Jasmine n’a plus mal lorsque maman donne un bisou sur son bobo, et William croit que les monstres ne peuvent pas venir l’attaquer la nuit s’il a son ourson à côté de lui. Ce genre de raisonnement, chez les enfants de trois ans et un peu plus, Pensée magique relève de la pensée magique qui les amène à croire que tout est possible. Certains cher- Façon d’interpréter la réalité selon cheurs suggèrent que cette forme de pensée ne proviendrait pas de la confusion entre laquelle tout est possible. l’imaginaire et la réalité, mais qu’elle servirait surtout à expliquer des événements qui ne semblent pas avoir une explication réaliste évidente (souvent parce que les enfants manquent de connaissances sur le sujet) ou encore à céder aux plaisirs de l’invention. Tout comme les adultes, les enfants sont en effet généralement très conscients de la nature magique de personnages imaginaires tels que les sorcières et les dragons, mais ils se plaisent tout simplement à entretenir l’éventualité de leur existence. La pensée magique a tendance à décliner vers la n de l’âge préscolaire (Woolley, 1997). Les diverses inuences sur la théorie de l’esprit Certains enfants développent la théorie de l’esprit plus tôt que d’autres. Ce développe- ment résulte en partie de la maturation du cerveau et de progrès cognitifs. Mais quelles sont les autres inuences qui pourraient expliquer ces différences individuelles ? L’attention sociale, chez les jeunes enfants, est étroitement liée au développement de la théorie de l’esprit. Des bébés qui sont capables de porter attention à leur entourage démontrent, à quatre ans, une plus grande facilité dans les différentes tâches de la théorie de l’esprit (Wellman et al., 2008). La sorte de discours qu’un enfant entend à la maison peut avoir un effet sur sa compré- hension des états mentaux. Par ailleurs, l’empathie survient plus tôt chez les enfants provenant de familles où l’on parle beaucoup de ses sentiments (Dunn, 2006). Les familles qui encouragent le jeu du faire semblant stimulent l’acquisition des habi- letés liées à la théorie de l’esprit. En effet, quand les enfants jouent entre eux à faire semblant, ils sont obligés de tenir compte de leurs mondes imaginaires respectifs. De plus, lorsqu’ils se mettent à jouer des rôles, ils doivent alors adopter une perspective autre que la leur (Lillard et Curenton, 1999). Les enfants bilingues, qui savent qu’une idée ou un objet peut être représenté de plus d’une façon et qui doivent adapter leur langage à celui de leur interlocuteur, sont plus aptes à comprendre que des personnes différentes peuvent avoir des points de vue divergents (Bialystok et Senman, 2004). Une certaine maturation du cerveau est nécessaire pour le développement de la théo- rie de l’esprit, et l’activité neurologique du cortex préfrontal s’avère particulièrement importante. Lors d’une recherche, des enfants qui étaient capables de raisonner cor- rectement au sujet de l’état émotionnel de personnages de lms d’animation présen- taient une activation cérébrale dans le cortex préfrontal gauche, ce qui n’était pas le cas pour les enfants qui ne pouvaient réussir la tâche (Liu et al., 2009). Des lacunes dans le développement de la théorie de l’esprit peuvent indiquer des déciences sur le plan cognitif et développemental. Les individus qui présentent ces lacunes voient difcilement les choses d’un autre point de vue que le leur. Ils ont ainsi de la difculté à comprendre les intentions des autres et à reconnaître que leur comportement peut affecter autrui. 5.3.3 La théorie du traitement de l’information : le développement de la mémoire Durant la petite enfance, la capacité d’attention des enfants s’améliore, de même que la vitesse et l’efcacité avec lesquelles ils traitent l’information. Ils commencent aussi à former des souvenirs à long terme. Malgré tout, leur mémoire n’est pas aussi ef- cace que celle des enfants plus âgés, parce que les jeunes enfants ont tendance à se Le développement physique et cognitif de l’enfant de trois à six ans 181 concentrer sur les détails d’un événement, qui sont facilement oubliés, tandis que les enfants plus âgés et les adultes se concentrent généralement sur l’essentiel de ce qui se produit. Par ailleurs, les jeunes enfants, à cause de leurs connaissances réduites sur le monde, ne prêtent pas nécessairement attention à des aspects importants d’une situation, comme le lieu et le moment où elle s’est produite, ce qui pourrait les aider à mieux s’en souvenir. BOÎTE À OUTILS L’efcacité des fonctions exécutives repose sur les capacités attention- mémoire de travail. Il peut ainsi être intéressant de mettre de la musique nelles et sur la mémoire de travail. Si vous planiez avec les enfants une pendant une activité de chant et de danse, mais il sera préférable de activité qui représente un plus grand niveau de difculté, mieux vaut lim- l’éviter à l’heure du dîner en présence d’enfants en âge d’apprendre à se iter les stimulations qui pourraient dissiper leur attention ou occuper leur servir d’une cuillère. Le fonctionnement de la mémoire FIGURE 5.3 Les paliers Comme le montre la gure 5.3, les modèles du traitement de l’information représentent de la mémoire le cerveau comme le réservoir de stockage de trois types de mémoire : la mémoire sensorielle, la mémoire de travail et la mémoire à long terme. La mémoire sensorielle est un réservoir temporaire pour toutes les informations sen- sorielles qui arrivent : si on ne leur prête pas attention, elles s’estompent très rapide- ment. Ce type de mémoire change peu à partir de l’enfance. Les informations qui sont traitées ou récupérées se trouvent, elles, dans la mémoire de travail. C’est le réservoir à court terme des informations avec lesquelles la per- sonne travaille activement : ce à quoi elle pense, ce dont elle se souvient ou ce qu’elle tente de comprendre. Ses capacités de stockage sont limitées à plus ou moins sept éléments. La croissance de la mémoire de travail permet le développement des fonctions exécutives, c’est-à-dire la planication et la réalisation d’activités mentales orientées vers un objectif précis. Selon le modèle de Baddeley (1996, 1998), un système exécu- tif central contrôle en effet les processus d’encodage de la mémoire de travail. C’est ce système qui permet de transférer l’information encodée dans la mémoire à long terme, un dernier réservoir qui jouit d’une capacité illimitée, qui conserve l’informa- tion pour de longues périodes et qui permet aussi de la récupérer. Mémoire sensorielle Stockage initial, bref et temporaire La capacité d’attention est primordiale dans le développement du système exécutif des informations sensorielles. central. À mesure que les enfants se développent, leur habileté à diriger leur attention vers des stimuli précis en ignorant les informations non pertinentes et à modier leur Fonctions exécutives attention lorsque c’est nécessaire augmente considérablement. Il y a des liens entre Planication et réalisation d’activités mentales orientées vers un objectif la mémoire de travail et les fonctions exécutives parce que la rétention du matériel précis. dans la mémoire de travail est contrôlée par l’attention qu’on lui prête. Si l’attention se déplace, le matériel est perdu. Système exécutif central Selon Baddeley, élément de la mé- Les fonctions exécutives impliquent aussi la capacité de se retenir, comme attendre moire de travail qui contrôle l’attention son tour pour une activité excitante. Pour atteindre un but souhaité, l’enfant doit et le traitement de l’information dans souvent faire preuve de patience et maîtriser ses impulsions ; avec l’âge, ce contrôle la mémoire de travail. augmente de plus en plus. Enn, pour passer d’une tâche à l’autre, l’enfant doit être Encodage capable de modier volontairement son attention : c’est une habileté essentielle – et la Processus par lequel l’information est plus difcile – qui sous-tend les fonctions exécutives (Garon, Bryson et Smith, 2008). traitée pour être stockée en vue d’un rappel à long terme. La formation des souvenirs d’enfance Mémoire à long terme En général, les jeunes enfants se souviennent seulement des événements qui ont pro- Stockage pratiquement permanent des informations qui sont conservées en duit chez eux une forte impression, la plupart de ces souvenirs ne semblant pas durer mémoire. très longtemps. Un chercheur a néanmoins distingué trois types de mémoire à long 182 CHAPITRE 5 terme présents pendant l’enfance et qui fonctionnent différemment : la mémoire géné- rique, la mémoire épisodique et la mémoire autobiographique. La mémoire générique, qui débute autour de l’âge de deux ans, produit des scéna- Mémoire générique rios ou des lignes générales d’événements familiers qui se sont répétés, mais sans Mémoire qui produit des scénarios de routines familières ser vant à orien- détails concernant le temps ou le lieu. Chaque scénario contient des routines pour ter le comportement. les situations qui reviennent souvent : il permet à l’enfant de savoir à quoi s’attendre et comment se comporter. Les éducatrices en garderie comptent beaucoup sur la mémoire générique an d’établir des routines pour les différents moments de la jour- née, comme celle du dîner, qui comprend le lavage de mains, une chanson en atten- dant d’être servi, le rangement de son assiette après avoir mangé, le brossage des dents et la toilette. La mémoire épisodique renvoie à la conscience d’avoir vécu une expérience particu- Mémoire épisodique lière dans un lieu et un temps déterminés. Les jeunes enfants se souviennent mieux Mémoire qui renvoie à la conscience d’avoir vécu une expérience parti- des événements qui sont nouveaux pour eux. Ainsi, Tristan et ses amis pourront se culière dans un lieu et un temps rappeler assez longtemps leur visite au zoo, tandis que les détails des souvenirs géné- déterminés. riques de situations fréquentes (par exemple, une sortie au parc) seront plutôt ous. Étant donné la capacité limitée de la mémoire chez les jeunes enfants, ces souvenirs épisodiques sont temporaires, à moins qu’ils ne se répètent souvent. Ils sont conser- Mise en situation, p. 162 vés pendant quelques semaines ou quelques mois, puis ils s’estompent. L’amnésie infantile est l’incapacité, pour l’adulte, de se souvenir d’événements qui se Amnésie infantile sont produits avant l’âge de deux à quatre ans (Robinson-Riegler et Robinson-Riegler, Incapacité, pour des adultes, de retracer des souvenirs de la mémoire 2012). L’âge des premiers souvenirs varie en fonction de la méthode utilisée pour le épisodique qui se sont produits dans rappel et selon l’âge de la personne. Ainsi, les enfants peuvent se souvenir de plus les premières années de la vie. d’événements s’étant produits à un jeune âge que les adultes. Vers l’âge de deux ans, des enfants peuvent se rappeler des faits qui se sont produits il y a plusieurs semaines, même s’ils n’ont pas le vocabulaire pour les décrire. Toutefois, l’acquisition du lan- gage est essentielle pour que les souvenirs persistent. Des chercheurs ont trouvé que l’apparition du vocabulaire relatif à certains événements précédait de quelques mois les souvenirs de ces événements. Ils en concluent qu’il faut pouvoir transformer une connaissance conceptuelle (un événement vécu) en mots, qui serviront d’indices de rappel, pour que les souvenirs épisodiques perdurent (Morrison et Conway, 2010). Les recherches démontrent que les enfants peuvent avoir des souvenirs d’événements qui se sont produits lorsqu’ils avaient autour de un an, mais ces souvenirs s’estompent lorsqu’ils grandissent et nissent par disparaître, puisqu’ils ne sont pas encodés ver- balement (Tustin et Hayne, 2010). Comme les souvenirs des premières années tendent à disparaître, la mémoire épiso- dique liée à ces âges est perméable aux suggestions et aux faux souvenirs. Ainsi, la abilité de la mémoire épisodique chez les enfants est devenue une préoccupation importante pour les poursuites judiciaires dans les cas de sévices sexuels, comme on peut le voir dans la rubrique « Approfondissement ». La mémoire autobiographique est une forme de mémoire épisodique ; elle renvoie aux Mémoire autobiographique souvenirs qui forment l’histoire de la vie d’une personne. Néanmoins, tous les souve- Mémoire qui renvoie aux événements vécus par une personne. nirs épisodiques n’en font pas partie, mais seulement ceux qui présentent une signi- cation personnelle et spéciale pour l’enfant. La mémoire autobiographique apparaît généralement entre trois et quatre ans (Nelson, 2005). Pour expliquer cette apparition relativement tardive de la mémoire autobiographique, certains avancent l’idée que l’enfant ne peut mettre en mémoire des événements qui concernent sa propre vie tant qu’il n’a pas développé le concept de soi. Par ailleurs, la rétention des souvenirs autobiographiques est certainement liée à l’acquisition du langage : tant que l’enfant est incapable de transposer ses souvenirs en mots, il ne peut les maintenir dans ses pensées, y rééchir et les comparer aux souvenirs des autres (Nelson, 2005). Le développement physique et cognitif de l’enfant de trois à six ans 183 APPROFONDISSEMENT Les témoignages des enfants sont-ils ables ? Les jeunes enfants sont plus inuençables que les enfants plus âgés. Cette différence pourrait s’expliquer par leur faible capacité de mé- moriser des événements particuliers, par leur grande vulnérabilité aux suggestions, menaces et attentes des adultes, et par leur désir d’être approuvés par eux. Par ailleurs, les jeunes enfants peuvent se tromper dans le rappel de certains détails précis concernant un événement qui se produit fréquemment. Ils ont effectivement tendance à confondre ce qui est arrivé au cours d’un épisode particulier avec ce qui s’est produit lors d’un épisode semblable. Ainsi, un enfant peut avoir de la difculté à répondre à des questions à propos d’un aspect particulier de l’abus, même s’il se rappelle le « modèle » général de celui-ci. Des chercheurs de l’Université de Montréal ont testé une version fran- çaise d’un protocole du National Institute of Child Health and Human Development (NICHD), un outil utilisé dans différents pays, qui permet de recueillir les témoignages d’enfants victimes d’agression sexuelle. Ce protocole est divisé en cinq parties (Lamb et al., 2007) : Les sévices et les abus sexuels dont sont victimes les jeunes enfants soulèvent généralement l’indignation du public, qui désire que les 1. Phase d’introduction : après s’être présenté, l’intervieweur précise à prédateurs soient mis hors d’état de nuire. Or, dans la plupart des cas, l’enfant ce qu’on attend de lui et lui rappelle qu’il peut toujours dire les sévices sexuels ne peuvent être prouvés que par le témoignage qu’il ne sait pas, ne se souvient pas, ne comprend pas, et qu’il peut de l’enfant. Par conséquent, si ce témoignage est erroné, un adulte aussi corriger ce que dit l’intervieweur. innocent peut être condamné. A contrario, si l’on ne tient pas compte 2. Phase de contact : on s’assure que le climat est détendu et positif, et du témoignage de l’enfant, un adulte dangereux peut demeurer en l’on demande à l’enfant de parler d’un événement neutre en donnant liberté. quelques détails. Compte tenu du niveau de leur développement cognitif, il est possible 3. Phase de transition : on utilise des incitations, non suggestives, pour que les jeunes enfants ne sachent pas toujours s’ils ont vraiment vécu amener l’enfant à parler de l’agression. une expérience, s’ils l’ont imaginée ou s’ils en ont seulement entendu 4. Phase de rappel libre : quand l’enfant fait une allusion à l’agression, on parler. Ainsi, des enfants de trois à six ans qui participaient à une re- commence à poser des questions ouvertes comme « Que s’est-il passé cherche se sont « souvenus » d’événements qui ne s’étaient jamais produits. ensuite ? », « Tu m’as parlé de… Dis-moi tout ce que tu sais à ce sujet ». Dans cette expérience, un homme appelé Sam Stone visitait une gar- derie pendant quelques minutes. Il se promenait dans la pièce, émettait 5. Phase de questionnement directif : c’est seulement à cette étape un commentaire sur l’histoire que les enfants étaient en train de lire, leur qu’on peut poser des questions directives portant sur ce que l’enfant disait au revoir de la main, puis s’en allait. Cependant, avant la visite, a dit : « Quand cela s’est-il passé ? Quelle était la couleur de… ? » On on avait décrit Sam Stone à certains enfants comme étant un gentil limite les questions qui demandent une réponse par oui ou non. Il est bouffon ayant déjà déchiré un livre et sali un ours en peluche. Or, après déconseillé d’utiliser des phrases suggestives portant sur une infor- quatre entrevues réalisées à raison de une par semaine, près de 50 % mation qu’on croit véridique, mais dont l’enfant n’a jamais parlé. des enfants de trois à quatre ans et 30 % des enfants de cinq à six ans Les entretiens ont été menés par des policiers et des travailleurs sociaux à qui l’on avait parlé du bouffon Sam Stone et de ses faux agissements québécois auprès de 83 enfants âgés de 3 à 13 ans. Les résultats dé- disaient spontanément à un nouvel intervieweur que Sam Stone avait montrent que, peu importe l’âge, les détails sont plus nombreux et plus déchiré un livre et sali un ourson lors de sa visite. De plus, dès qu’on leur précis à l’aide de ce protocole (Cyr et Lamb, 2009). posait des questions plus précises, près de 75 % des enfants disaient alors que le visiteur avait fait l’un ou l’autre geste. Par contre, aucun des Dans les cas de témoignages d’enfants, il est important de respecter un enfants du groupe contrôle (soit le groupe d’enfants à qui l’on n’avait protocole. D’une part, le protocole permet d’éviter que la personne qui donné aucune information erronée au préalable) n’a rapporté de fausse mène l’interrogatoire oriente les réponses de l’enfant dans le sens qu’elle information (Leichtman et Ceci, 1995). Cette expérience prouve donc désire an d’obtenir rapidement des résultats, et, d’autre part, il diminue que le témoignage des enfants peut être exact s’il est mené de les risques qu’un enfant donne des réponses qu’il croit être attendues manière neutre. d’une personne à qui il fait conance. 184 CHAPITRE 5 Les interactions sociales et la mémoire Pourquoi certains souvenirs durent-ils plus longtemps que d’autres ? La rareté d’un événement et sa charge émotionnelle ainsi que la participation active de l’enfant sont des facteurs importants ; les jeunes enfants se souviennent davantage des choses qu’ils ont faites que de celles qu’ils ont vues. Mais la façon dont les parents parlent de cet événement avec lui représente un facteur encore plus déterminant. Ainsi, une étude menée auprès d’enfants de trois à cinq ans qui avaient participé à une sortie au zoo a montré qu’une conversation détaillée avec l’enfant quelques jours après cette sortie avait eu une plus grande inuence sur sa mémorisation de l’événe- ment que la même conversation qui s’était tenue avant ou pendant l’événement. En effet, un tel échange peut aider l’enfant à encoder l’information sur cette expérience récente en lui fournissant à la fois des étiquettes verbales pour les différents aspects de l’événement ainsi qu’une structure ordonnée et compréhensible. La conversation dé- taillée permet aussi d’établir des « frontières » autour des représentations mentales de l’événement et de prévenir ainsi l’intrusion d’informations erronées ou non perti- nentes (McGuigan et Salmon, 2004). En s’inspirant de la théorie socioculturelle de Vygotsky, des chercheurs ont proposé Mise en situation, p. 162 un modèle d’interactions sociales où les enfants construisent conjointement avec Comment l’éducatrice de la leurs parents ou d’autres adultes leurs souvenirs autobiographiques en parlant des mise en situation pourrait-elle événements qu’ils ont vécus. Ainsi, selon ce modèle, les parents amorcent et guident aider les enfants à se souve- les conversations. Ils aident leur enfant à placer les informations dans un cadre signi- nir de tout ce qu’ils ont appris catif et lui montrent alors comment les souvenirs sont organisés dans une forme lors de la visite au zoo ? narrative. Prenons l’exemple d’une éducatrice qui montre un album photo à un groupe d’enfants. À mesure qu’ils parcourent les pages de l’album, il est probable que l’édu- catrice oriente le rappel de ces événements : « Regardez, c’est quand nous sommes allés en sortie aux pommes. Vous vous souvenez, nous avions fait une montagne de feuilles ? Et le gros sac de pommes, c’est Julien qui m’avait aidée à le porter. Vous vous souvenez du plaisir que nous avons eu ? » Lorsque l’éducatrice pose à l’enfant de deux ou trois ans des questions portant sur le contexte de l’événement (« Quand as-tu trouvé la chenille ? Où l’as-tu trouvée ? Qui était avec toi ? »), celui-ci apprend vite à inclure ces informations dans sa mémoire. De même, quand l’adulte émet des commentaires sur les émotions relatives à l’événement (« Tu voulais vraiment aller sur cette balançoire » ou encore « La petite lle était triste »), les enfants de cinq ans et demi sont ensuite plus susceptibles d’inclure de telles précisions dans leurs souvenirs (Fivush et Haden, 2006). Les enfants auront tendance à se souvenir davantage des événements qui sont fréquemment évoqués par leurs parents au l des conversations de tous les jours. En se rappelant les situations vécues, les enfants apprennent à inter- préter les événements et les émotions qui s’y rattachent. Ils construisent ainsi leur concept de soi, stable dans le temps, et ils comprennent que leur propre point de vue peut être différent de celui d’une autre personne pour une même situation. 5.3.4 L’inuence des parents et du milieu sur le développement cognitif Le développement cognitif d’un enfant est inuencé par de nombreux facteurs tels que son tempérament, le degré de correspondance entre son mode cognitif et les situa- tions dans lesquelles il se trouve, sa maturité sociale et affective, son milieu socio- économique et ses origines ethniques. Toutefois, l’une des plus grandes inuences provient des parents et de leur façon de stimuler leur enfant. L’attitude des parents Les parents d’enfants brillants sont souvent des parents sensibles, chaleureux et aimants. Ils se montrent généralement très ouverts en regard du comportement de leurs enfants, en leur laissant la liberté d’explorer et de s’exprimer. Pour modier certains Le développement physique et cognitif de l’enfant de trois à six ans 185 aspects de ce comportement, ils font aussi appel au raisonnement ou aux sentiments plutôt qu’à des règles strictes. Ils utilisent également un langage et des techniques qui encouragent l’autonomie et la créativité des enfants, et recourent à la lecture, à l’ensei- gnement et au jeu pour favoriser leur développement. Les enfants réagissent alors à cette attention en faisant preuve de plus de curiosité, de créativité et d’intérêt. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1 avec l’approche socioculturelle de Vygotsky, il est important que les parents identient la zone proximale de développement et guident l’enfant en l’amenant à prendre conscience de ses propres processus cognitifs et de ce qu’il est capable de faire seul, et à reconnaître le moment où il a besoin d’aide. En agissant ainsi, les parents incitent leur enfant à devenir responsable de son appren- tissage. Les enfants d’âge préscolaire qui reçoivent ce genre de soutien sont ensuite plus en mesure d’ajuster leurs techniques d’apprentissage lorsqu’ils entrent à l’école (Neitzel et Stright, 2003). Les ressources du milieu Dans le chapitre 1, nous avons vu, avec le modèle bioécologique de Bronfenbrenner, que les parents ne représentent cependant qu’un seul des facteurs qui inuent sur le développement de l’enfant. En effet, la famille fait partie d’un environnement plus La zone proximale de développement large qui comporte d’autres ressources pouvant, elles aussi, participer à son sain Les parents peuvent diriger développement. Ainsi, les enfants qui vivent dans un quartier possédant de nom- l’apprentissage d’un enfant en breuses ressources communautaires (parcs, aires de loisirs, organismes sportifs et l’amenant au point où il peut réussir culturels, bibliothèques, etc.) obtiennent de meilleurs résultats aux tests de déve- une tâche avec juste un peu d’aide, loppement physique, affectif, social et intellectuel que ceux vivant dans un environ - de façon à lui faire franchir cette zone appelée par Vygotsky « zone proximale nement qui offre moins de ressources civiques (Conseil canadien de développement de développement ». social, 2002). De plus, le microsystème d’une majorité d’enfants s’élargit, puisqu’ils passent aujourd’hui plus de temps qu’auparavant dans un milieu de garde. L’éduca- trice devient donc un adulte qui peut, au même titre que les parents, interagir avec l’enfant de façon à favoriser son développement cognitif en se montrant sensible, chaleureuse et aimante ainsi qu’en utilisant une approche éducative qui repose sur les principes de la zone proximale de développement. FAITES LE POINT 10. Quels sont les progrès réalisés par l’enfant qui est parvenu au stade préopératoire ? 11. Piaget a utilisé une expérience classique pour évaluer la notion de conservation chez les enfants. Décrivez cette expérience et expliquez les réponses typiques d’un enfant du stade préopératoire. 12. Quels sont les principaux facteurs qui font qu’un enfant se rappellera davantage un événe- ment particulier plutôt qu’un autre ? 5.4 La maîtrise du langage Nous avons vu dans le chapitre 3 comment se développait le langage, en passant du babillage aux premières phrases. Nous allons maintenant examiner de quelle façon l’enfant parvient de mieux en mieux à maîtriser cette habileté qui lui permet de com- muniquer avec les autres. 5.4.1 L’augmentation du vocabulaire et les progrès en syntaxe À 3 ans, un enfant moyen peut utiliser près de 1 000 mots, alors qu’à 6 ans, son voca- bulaire expressif compte environ 2 600 mots, et il en comprend plus de 20 000. Avec la scolarisation, le vocabulaire réceptif passera à environ 80 000 mots à la n du primaire Le langage expressif chez (Owens, 1996). les 5 ans 186 CHAPITRE 5 Comment les enfants étendent-ils leur vocabulaire aussi rapidement ? Apparemment, Catégorisation rapide cela est rendu possible grâce à la catégorisation rapide, un processus leur permettant Processus de traitement de l’informa- d’intégrer le sens d’un nouveau mot après l’avoir entendu seulement une ou deux fois tion qui consiste à poser rapidement dans une conversation. Selon le contexte, les enfants semblent se faire une hypothèse une hypothèse. Par extension, proces- rapide sur le sens du mot, qu’ils stockent alors dans leur mémoire. sus selon lequel un enfant absorbe le sens d’un nouveau mot après l’avoir Des recherches portant sur des enfants anglophones rapportent que les mots désignant entendu seulement une ou deux fois. des objets (les noms communs) sont plus faciles et rapides à catégoriser que ceux qui désignent des actions (les verbes), ces derniers étant moins concrets (Golinkoff et al., 1996). Par ailleurs, le vocabulaire des enfants français comporte davantage de verbes que de noms (Abdelilah-Bauer, 2015). Les linguistes ne savent pas exactement comment fonctionne cette catégorisation rapide, mais il semblerait que les enfants se basent sur ce qu’ils connaissent des règles de formation des mots, des mots similaires, du contexte immédiat et du sujet abordé dans la discussion. Prenons l’exemple de Louis, à qui l’on raconte une histoire. On lui dit : « Le petit garçon a perdu ses chaus- settes et il se promène pieds nus. » Louis ne connaît pas encore le mot « chaussette », mais il connaît le mot « chaussures ». La catégorisation rapide lui permet de reconnaître que le mot « chaussette » ressemble à « chaussure », qu’il existe probablement un lien avec les pieds, que c’est sans doute quelque chose qui les recouvre. Louis pourra même utiliser ce nouveau mot lorsque viendra le temps de se déshabiller. Ce proces- sus de catégorisation rapide se fait souvent sans que les parents en soient conscients. Ils notent des progrès fulgurants, mais ils ne savent pas toujours si le nouveau mot est utilisé ou non pour la première fois par leur enfant. Ils ne le remarquent souvent que lorsque leur enfant fait des erreurs de surgénéralisation, comme nous l’avons vu dans le chapitre 3. MYTHE OU RÉALITÉ L’exposition à plus d’une langue en même temps nuit à l’apprentissage du langage. Faux. Un enfant exposé à plus d’une langue peut parfois donner l’impression que son vocabulaire ne progresse pas aussi rapidement qu’il le devrait, mais tout compte fait, le bilinguisme constitue un atout dans le développement linguistique et cognitif de l’enfant. Par ailleurs, l’augmentation rapide du vocabulaire vient du fait qu’un enfant de deux à trois ans commence à comprendre qu’un même objet peut faire partie de plusieurs catégories. Cette exibilité dans l’utilisation des mots lui permet d’étiqueter son envi- ronnement ainsi que les situations qu’il vit. À cet âge, le dé consiste donc à com- prendre qu’un objet peut appartenir à différentes catégories conceptuelles et que, parmi celles-ci, il existe divers niveaux hiérarchiques : Gareld est un chat, un chat est un animal, et un animal peut aussi être un chien ou un poisson. Cette capacité de com- prendre l’inclusion des classes pourrait être liée à l’apprentissage simultané de plus d’une langue, comme le montre la rubrique « Approfondissement », qui porte sur les avantages du bilinguisme. Les façons de combiner les syllabes en mots et les mots en phrases deviennent, elles aussi, plus rafnées. Vers l’âge de trois ans, les enfants commencent généralement à utiliser le pluriel, le possessif et la conjugaison au passé ; ils connaissent aussi la différence entre les pronoms « je », « tu » et « nous » ; ils utilisent des adjectifs et des pré- positions, mais ils oublient souvent les déterminants, comme « un », « le » et « la ». Leurs phrases sont habituellement courtes et simples, environ quatre ou cinq mots, et elles peuvent prendre la forme afrmative (« Je veux du jus »), interrogative (« Pourquoi tu fais ça ? ») ou impérative (« Donne-moi le ballon ! »). Autour de quatre ou cinq ans, ils sont en mesure d’utiliser des phrases plus complexes comprenant des propositions subordonnées (« Il est parti se coucher parce qu’il était fatigué ») si les personnes qui s’occupent d’eux utilisent elles-mêmes fréquemment de telles phrases (Huttenlocher et al., 2002). Le développement physique et cognitif de l’enfant de trois à six ans 187 APPROFONDISSEMENT Deux langues valent mieux qu’une ! Le bilinguisme est de plus en plus répandu ; on estime que plus de Cela expliquerait pourquoi les enfants bilingues réussissent mieux dans la moitié de la population mondiale est bilingue (Grosjean, 2010). Au certaines tâches portant sur la théorie de l’esprit ; ils sont en effet plus Canada, en 2011, un nombre croissant d’enfants ont grandi dans un aptes à se concentrer sur ce qui est vrai plutôt que sur les apparences environnement où ils apprenaient plus d’une langue, puisque 17,5 % et ils comprennent mieux les fausses croyances. Les études ont aussi des Canadiens déclaraient utiliser au moins deux langues à la maison, montré que les enfants bilingues étaient avantagés sur le plan de la exi alors que ce nombre n’était que de 14 % en 2006 (Statistique Canada, bilité mentale et de la résolution de problèmes non verbaux (Nicoladis, 2015). Charbonnier et Popes