Histoire du Genre - Cours - PDF
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Ce document est un cours d'histoire du genre, abordant les concepts de sexe, genre, identité de genre et sexualité, ainsi que des perspectives sociologiques et historiques. Il explore comment ces concepts sont construits socialement et comment ils évoluent.
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Histoire du genre Introduction I) Penser la différence de sexe A) Définitions - Sexe = Désigne les caractéristiques biologiques telles que les chromosomes, les hormones et les organes reproducteurs. - Genre = Système de représentation du féminin, du...
Histoire du genre Introduction I) Penser la différence de sexe A) Définitions - Sexe = Désigne les caractéristiques biologiques telles que les chromosomes, les hormones et les organes reproducteurs. - Genre = Système de représentation du féminin, du masculin et du neutre, c’est-à-dire un « sexe social ». Le genre inclut des rôles et des normes socialement construits. - Identité de genre = Manière dont une personne s’identifie en lien avec son sexe de naissance. On parle de cisgenre lorsque l'identité de genre est en adéquation avec le sexe de naissance, et de transgenre lorsqu’elle ne l'est pas. - Sexualité = Ensemble des pratiques et des orientations sexuelles, telles que l’hétérosexualité, l’homosexualité ou la bisexualité. Pendant longtemps, il y a eu une confusion entre ces termes, les considérant comme équivalents. Mais aujourd’hui, on sort de l’essentialisme et de la naturalisation, et ces notions sont pensées comme des constructions sociales. - Psychologues et médecins : Les premiers à utiliser le terme « genre », mais dans une perspective naturaliste et essentialiste. John Money, médecin qui a travaillé avec des enfants intersexués, pensait que l’identité de genre se formait après l'âge de 2 ans. Robert Stoller, dans Sex and Gender, fait une distinction claire entre sexe et genre, en étudiant notamment les personnes transgenres. - Sociologues : Ann Oakley, dans Sex, Gender and Society (1972), parle de « sexe social ». Christine Delphy (1977) définit le genre comme un système hiérarchique qui divise l’humanité en deux moitiés inégales, créant ainsi des inégalités. Elle parle du genre au singulier. - Historiens : Joan Scott, historienne, explique que le genre est un outil d’analyse des rapports sociaux basés sur des différences perçues entre les sexes. Selon elle, le genre est un moyen de signifier les rapports de pouvoir inscrits dans la culture. Le genre implique des rapports de pouvoir. Pierre Bourdieu, dans La domination masculine (1998), s’appuie sur les travaux de l’anthropologue Françoise Héritier. Héritier introduit la notion de valence différentielle des sexes (= construction sociale de la hiérarchie sexuelle, outil permettant d’asseoir cette domination) qui montre que, dans toutes les sociétés, il existe une hiérarchisation liée à la différence des sexes. Elle propose également le concept d’agency (ou agentivité), c'est-à-dire la capacité d’agir dans des conditions sociales spécifiques, et pose la question de comment cette capacité est confrontée aux contraintes liées au genre. Le terme intersectionnalité (= explique la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification, domination ou de discrimination dans une société) a été introduit par Kimberlé Crenshaw en 1991 pour expliquer comment différentes formes de domination (sexe, race, classe, etc.) s'entrelacent. Dans les mouvements féministes, les femmes blanches de classe moyenne étaient souvent celles qui prenaient la parole. Dans les mouvements des droits civiques, les hommes noirs ne laissaient pas toujours de place aux femmes noires. Les femmes noires n’avaient donc aucun porte parole. Cette théorie montre que même si une personne est dominée dans une situation, elle peut se retrouver en position de domination dans une autre. L'approche constructiviste rejette l'idée que les différences entre les sexes sont naturelles ou biologiquement déterminées. Par exemple : - John Gray, dans Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus, affirme que les femmes recherchent les sentiments et l'amour, tandis que les hommes recherchent le sexe. - Plutarque, dans son Dialogue sur l'amour, parle de deux types d'amour : certains hommes recherchent un amour pur et sublime, tandis que d’autres sont prisonniers de leurs désirs, idée qui est attribuée aux femmes. Ces visions, considérées comme « naturelles » à l’époque et totalement opposées, sont en fait des constructions sociales. Le genre est donc un concept en évolution, rejetant le déterminisme biologique et reconnaissant la multiplicité des identités de genre. Il traverse toutes les disciplines et continue d’être un sujet central dans les débats contemporains. B) Corps et genre Thomas Laqueur, dans La Fabrique du sexe (1990), montre que jusqu’à la période moderne, les sexes masculin et féminin étaient considérés comme deux variantes d'un même modèle. Le sexe féminin était vu comme une version inversée du sexe masculin (le vagin est vu comme un pénis), ce qui prouve que le sexe est une construction sociale. - Le modèle du sexe unique: Selon la théorie des humeurs, chaque individu possède des caractéristiques qui définissent son sexe : Féminin : froid, humide, intérieur, imparfait. Masculin : chaud, sec, extérieur, parfait. Les humeurs circulent dans le corps et influencent la formation des caractéristiques sexuelles. Par exemple, le lait est vu comme une transformation par le froid, tandis que le sperme est produit par la chaleur. La biologie du sexe dépend donc de cette circulation, et ce n’est pas le sexe biologique qui détermine notre genre, mais bien l’inverse : c'est le genre qui façonne la perception du sexe. - Le modèle des deux sexes: À partir du 18e siècle, grâce aux avancées de l’anatomie, on distingue le sexe masculin et le sexe féminin de façon plus nette, mais des variations existent toujours dans ces modèles. Il est nécessaire de dépasser la vision binaire du sexe, notamment grâce aux progrès médicaux récents, comme la réassignation sexuelle, qui existe depuis les années 1920 en Allemagne. Différentes cultures ont aussi des conceptions variées du genre : - En Inde, les Hijras sont des personnes nées hommes mais présentant des caractéristiques féminines, souvent reconnues comme un troisième genre. Ils subissent la castration entre autre et ont été longtemps persécutés notamment par les colons anglais qui les considéraient comme homosexuels. - Les peuples amérindiens reconnaissent aussi l’existence d'un troisième genre avec les Two- Spirits, des personnes présentant à la fois des caractéristiques masculines et féminines. Ils ont un rôle féminin et masculin au sein de leur communauté. Anne Fausto-Sterling, dans Sexing the Body (2000), examine la manière dont on attribue un sexe au corps en se basant sur différentes caractéristiques (chromosomes, organes, pilosité, etc.). Cette attribution pose des enjeux politiques importants, en particulier pour les personnes intersexuées. De plus en plus de pays reconnaissent un troisième sexe ou genre (Allemagne, Inde, Népal, Autriche, et États-Unis, avec l’option « X » sur les papiers d'identité). Ainsi, penser la différence des sexes implique aujourd'hui une réflexion sur la complexité des identités de genre et la remise en question des approches binaires et naturalistes, au profit d'une vision socialement construite du sexe et du genre. II) Les gender studies et leur réception en France A) La spécificité française Pour parler des études de genre, il est nécessaire d'évoquer l'histoire des femmes, dont l'objectif est de rendre leur présence plus visible dans l'histoire, afin de sortir d'une perspective masculine. Des mouvements féministes ont émergé dans les années 1970, avec le slogan « The personal is political » (Carol Hanish). Les premières femmes ont créé des chaires en études féministes dans les années 70-80. Il ne s'agit pas simplement d'« ajouter les femmes et remuer » ; il est impératif de repenser l'histoire en intégrant une vision plus globale. Olympe de Gouges, avec sa « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », illustre que la déclaration des droits de l'homme rend invisibles les femmes. Les études féministes ont du mal à trouver leur légitimité. L'histoire des femmes est souvent perçue comme une importation des États-Unis, ce qui conduit à penser qu'elle ne concerne pas la France. L'histoire des femmes est intimement liée au mouvement féministe, et cette dimension militante engendre de la méfiance. On considère parfois cette histoire comme non scientifique. De plus, le retard dans les traductions limite l'accès aux textes originaux. Les étapes marquantes: - 1973-74 : séminaire « Les femmes ont-elles une histoire ? », créé par des historiennes comme Michelle Perrot. - 1981 : premières chaires d'études féministes en France. - 1983 : colloque de Saint-Maximin « L’histoire des femmes est-elle possible ? » où l’on ne remet plus en question l'histoire des femmes, mais se demande comment l'écrire. - 1991-92 : parution de « L’histoire des femmes en Occident » par Georges Duby et Michelle Perrot. - 1995 : création de la revue Clio, équivalente américaine de la revue Signs, dédiée à l’histoire du genre et des femmes, fondée en 1975. - 1998 : colloque de Rouen « L’histoire sans les femmes est-elle possible ? », où il est reconnu qu’il est désormais impensable d’écrire l’histoire sans intégrer celle des femmes. L'histoire des femmes et du genre est tournée vers les femmes, mais elle inclut également l'histoire des masculinités, qui a commencé à émerger à partir des années 2000. Cette nouvelle approche traite de la vie privée des hommes, abordant des thématiques telles que la paternité, le sport, l'identité masculine, ainsi que la virilité, la guerre et le totalitarisme. Michel Foucault a exploré les sexualités dans son ouvrage de 1976, « Histoire des sexualités », tandis que Judith Butler, avec « Trouble dans le genre » (1990), n'a été publié en France qu'en 2005, bien qu'il soit un texte de référence essentiel. B) Les études féministes - Les essentialistes et différentialistes: Ils affirment que le sexe biologique n’est pas une construction sociale et qu’il existe une nature masculine et féminine distincte. Antoinette Fouque, avec le groupe Psychepo du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), enrichit la réflexion sur le féminin à travers la psychanalyse. D’autres figures comme Julia Kristeva (avec son concept d’« écriture féminine »), Luce Irigaray et Hélène Cixous (qui développe l’idée de « féminitude ») s’inscrivent également dans cette approche. - Les constructivistes: Inspirée par Simone de Beauvoir, qui déclare dans « Le Deuxième Sexe » (1949) que « on ne naît pas femme, on le devient », cette perspective influence le MLF. Les féministes matérialistes, influencées par le marxisme, se concentrent sur les rapports sociaux de sexe. Christine Delphy introduit la notion de « classe de sexe », tandis que d’autres comme Colette Guillemin et Nicole-Claude Mathieu examinent la division sexuelle du travail, en mettant en lumière le travail invisible des femmes. Paola Tabet discute des « échanges économico-sexuels », notamment à travers la prostitution, tout en observant ces dynamiques dans les relations entre hommes et femmes. Monique Wittig, avec sa réflexion sur la « pensée straight », fait également partie de ce courant. Des revues telles que Questions féministes et Cahiers du Genre contribuent à ces discussions. - Les féministes post-structuralistes et queer : Judith Butler, à travers sa « queer theory », remet en question les normes de genre. Teresa de Lauretis, théoricienne du cinéma, aborde les « technologies du genre ». Laura Mulvey, avec son concept de « male gaze », analyse le regard masculin dans le cinéma. - Les cyberféministes : Donna Haraway, primatologue, dans son « Cyborg Manifesto », tisse un lien entre science et nature. Elle cherche à déconstruire l’idée de nature, affirmant qu’il existe toujours une construction sociale en plus de la nature. Son travail contribue à la réflexion sur le post-humanisme et examine les individus qui ne rentrent pas dans les cases traditionnelles, tout en explorant comment la science peut aider à échapper aux contraintes de la nature. Haraway est à l’origine de l’expression « connaissances situées », qui remet en cause la vision objective et universelle du savoir. En résumé, malgré leurs différences, ces deux courants s’accordent sur l’idée que le genre est une construction sociale. Chapitre 1: Les femmes dans l’espace public L'exclusion des femmes de la vie publique est souvent justifiée par des arguments ancrés dans des conceptions de la nature et de la religion, qui sont fréquemment interconnectées. La notion selon laquelle la femme, par sa nature, est destinée à enfanter a longtemps servi à justifier son exclusion des sphères publiques et politiques. Cette vision essentialiste considère que les femmes ont un rôle spécifique, limité à la maternité et aux soins du foyer. Dans la Genèse, des interprétations variées des textes sacrés alimentent ces idées. Par exemple, une traduction du passage « Et Dieu créa l’homme à son image ; il le créa à l’image de Dieu, mâle et femelle, il les créa » peut suggérer que Dieu a créé hommes et femmes comme égaux. Cependant, d'autres interprétations, comme « Et Adam dit : os de mes os et chair de ma chair, celle-ci sera appelée virago puisqu’elle a été tirée de l’homme », renforcent l'idée de subordination de la femme à l'homme. Les conséquences des traductions de ces textes peuvent influencer les attitudes sociétales envers les femmes et leur place dans la société. Bien qu'il soit généralement affirmé que les femmes ne participaient pas au travail public, elles ont souvent exercé leur influence de manière détournée, un concept que l'on peut qualifier d’« agency ». Pendant la Révolution française ou de la Révolution de 1848, les femmes ne se sont pas toujours mises en avant, mais leur rôle était crucial. La marche des femmes sur Versailles est un moment emblématique où elles se sont rendues très visibles, bien que leur action ait été critiquée et qualifiée de « furies d’octobre », témoignant d'une perception négative de leur sortie des rôles traditionnels. Les salons, lieux privés où les femmes recevaient des invités, ont également joué un rôle politique. Bien que ces interactions se déroulent dans un cadre domestique, elles constituaient des espaces de discussion et de planification politiques. Un exemple concret est l'association masculine de lutte contre l'esclavage, où Lucy Townsend a organisé des tea parties abolitionnistes entre 1810 et 1820. En utilisant l'activité sociale acceptable du thé pour rassembler ses amies, elle a pu promouvoir des actions politiques comme le boycott du sucre et d'autres produits issus de l'esclavage. Cependant, ces mouvements ont souvent été invisibilisés dans l'histoire. Il est essentiel d'éviter une narration téléologique de l'histoire, qui présente les événements comme ayant une fin et un but préétabli. Raconter l'histoire de la participation des femmes dans ces mouvements doit se faire sans projeter une vision future ou un résultat final, mais plutôt en reconnaissant la complexité et la diversité de leurs rôles dans les contextes sociaux et historiques. I) Un accès limité à la citoyenneté A) Le cas français Dans son ouvrage « L'Émile », Jean-Jacques Rousseau présente la théorie des deux sphères, qui définit les rôles genrés de l'homme et de la femme. Il affirme : « L'homme fait les lois dans le gouvernement de la cité ; la femme fait les mœurs dans le gouvernement domestique ». Cette vision établit une séparation des rôles, où les contributions des deux sexes sont considérées comme égales mais distinctes et complémentaires. Geneviève Fraisse parle de « démocratie exclusive et non excluante », soulignant qu'il n'existe pas de texte en France qui exclue explicitement les femmes du droit de vote. Cela contraste avec la situation en Grande-Bretagne, où l'utilisation du terme « male » dans les textes juridiques a servi à écarter les femmes des droits civiques. Au cours de l'Ancien Régime, la loi salique, édictée entre le IVe et le Ve siècle et réaffirmée au XIVe siècle, interdit aux femmes de succéder au trône. Bien qu'il y ait eu des périodes de régence, celles-ci sont souvent perçues comme des périodes de tensions, et une femme au pouvoir est considérée comme un danger. Il convient de noter que les veuves pouvaient voter, mais elles devaient passer par un représentant masculin. Pendant la Révolution française, des figures comme Condorcet, un philosophe, plaident pour « l’admission des femmes au droit de cité », représentant un courant de pensée qui envisage l'inclusion des femmes dans le processus électoral. Olympe de Gouges, en tant que pionnière du féminisme, fait également entendre sa voix en faveur des droits des femmes. De plus, des femmes se regroupent en associations, telles que la Société des citoyennes républicaines et révolutionnaires, fondée par Pauline Léon et Claire Lacombe en 1793. Elles s'associent aux montagnards, aux enragés et aux sans-culottes pour revendiquer des droits, comme le port des armes et la possibilité de combattre dans les armées. Elles demandent également à porter la cocarde et le bonnet phrygien, symboles de leur engagement politique. Les tricoteuses font des tâches considérées comme « féminines » au balcon de l’Assemblée et n'hésitent pas à interrompre les députés, cherchant à imposer leur point de vue. Cependant, face à cette montée en puissance, les clubs de femmes sont interdits en 1793 et les femmes sont exclues de l'Assemblée en 1794, marquant un retour à l’exclusion des femmes de la vie politique. - Le 19ème siècle En 1804, le Code civil napoléonien est promulgué. Ce code renvoie explicitement les femmes à la sphère privée, les plaçant sous la tutelle de leur père ou de leur mari, faisant d’elles des « éternelles mineures ». Pauline Roland, en 1848, est une institutrice et saint-simonienne qui représente un courant politique socialiste utopique basé sur l’égalité des sexes. Lors de cette même année, elle tente de voter aux élections municipales, mais sans succès. Elle sera emprisonnée pour s’être opposée à Louis Napoléon Bonaparte. Jeanne Deroin, en 1849, est une saint-simonienne et ouvrière lingère. Elle est la première femme à se présenter aux élections législatives et fait campagne avant d’être recalée par le comité électoral. Julie Daubié, en 1870, est la première femme à obtenir le baccalauréat en France en 1861 en candidate libre. Elle obtient également une licence de lettres à la Sorbonne en 1872 sans avoir assisté aux cours. Elle, aussi saint-simonienne, tentera de s’inscrire sur les listes électorales. - À partir de la 3ème République Des mouvements féministes émergent, notamment : - Mouvements féministes réformistes Ces mouvements cherchent à obtenir le droit de vote pour les femmes de manière légale. Ils rassemblent souvent des femmes éduquées, dont une forte minorité de femmes protestantes ou juives. La plupart de ces mouvements sont proches du parti radical. Parmi ces mouvements, on trouve : La Ligue française du droit des femmes (LFDF), créée par Léon Richer et Marie Deraismes en 1882. Le Conseil national des femmes françaises (CNFF), fondé en 1901, qui est une branche d’une organisation féministe internationale créée aux États-Unis, et qui est le plus mixte socialement. L’Union française pour le suffrage des femmes (UFSF), créée par Cécile Brunschvicg, qui aura une influence politique durable, notamment après la Première Guerre mondiale. La Fronde, un journal féministe créé par Marguerite Durand en 1897, qui est socialiste et organise des syndicats féminins. - Mouvements modérés Des femmes catholiques s’engagent pour le droit de vote des femmes après la Première Guerre mondiale, influencées par le pape qui se déclare en faveur de cette cause en 1919. L’Union nationale pour le droit de vote des femmes (UNVF) est fondée en 1920. - Mouvements radicaux Ces femmes, souvent proches des socialistes, marxistes ou anarchistes, sont prêtes à utiliser des méthodes illégales. Elles militent non seulement pour le droit de vote, mais aussi pour d’autres droits, comme la contraception et l’avortement. Parmi ces figures, on trouve : Hubertine Auclert, socialiste qui fonde des associations telles que « Le Droit des femmes » en 1876 et « Le Suffrage des femmes » en 1883. Elle publie également le journal « La Citoyenne » en 1881. Elle organise une grève de l’impôt, se fait arrêter, et déchire le code civil devant l’Assemblée nationale en 1897. Madelaine Pelletier, première femme psychiatre en France, qui milite pour le droit de vote, la fin du code civil et l’abolition du mariage, tout en pratiquant des avortements clandestins. Louise Weiss, journaliste pacifiste, crée l’association « La Femme nouvelle » en 1936 et tente d’organiser le vote des femmes avec le soutien du Parti communiste. - La première moitié du 20ème siècle Avant 1914, deux projets de loi en faveur du droit de vote des femmes sont proposés, mais ne sont jamais votés. Entre 1919 et 1939, cinq projets de loi sont également proposés, mais le Sénat s’y oppose, craignant que le vote des femmes soit conservateur. Pour la première fois, trois femmes occupent le poste de secrétaires d’État : Cécile Brunschvicg : Éducation nationale. Irène Curie : Recherche. Suzanne Lacore : Protection de l’enfance. Enfin, l’ordonnance du 21 avril 1944 accorde le droit de vote aux femmes, contribuant à rééquilibrer le vote vers le centre. B) Le cas britannique Mary Wollstonecraft, dans son ouvrage A Vindication of the Rights of Women publié en 1792, répond aux idées de Rousseau. John Stuart Mill, quant à lui, est l’auteur de The Subjection of Women en 1869. Philosophe utilitariste et député à la chambre des communes, il représente la parole des femmes au sein de l’Assemblée. Il n’y a pas de grande réforme dans le combat pour le droit de vote, car au départ, le système est censitaire, et seuls certains hommes ont le droit de vote. Le droit de vote des femmes va se faire en même temps que le combat pour le droit de vote universel. Le suffrage censitaire va être réformé en un suffrage censitaire universel masculin, et cela va connaître trois réformes majeures: - Le Reform Act de 1832, permet aux hommes de la classe moyenne d’accéder au vote. On commence alors à utiliser le terme « male » au lieu de « man ». - Le Reform Act de 1867, accorde le droit de vote aux hommes de la classe ouvrière. - Le Reform Act de 1884, permet à la grande majorité des hommes d’accéder au vote, à l’exception des domestiques. Les suffragistes sont des réformistes français qui choisissent la voie légale pour obtenir le droit de vote. Il existe une multitude d’associations féministes réformistes qui vont toutes se regrouper au sein d’une grande fédération, la National Union of Women Suffrage Societies (NUWSS), créée en 1897. Leur représentante est Millicent Fawcett. L’action des suffragistes n’est pas inutile, car les femmes célibataires payant l’impôt obtiennent le droit de vote aux élections locales en 1869, et en 1894, les femmes mariées obtiendront également ce droit. Cette approche incarne le gradualisme, une stratégie fondée sur des petits pas. Les suffragettes sont comparables aux radicales françaises et sortent de la légalité. Le mouvement Women’s Social and Political Union (WSPU) est fondé en 1903, et ses leaders sont Emmeline et Christabel Pankhurst, mère et fille. Ce mouvement n’accepte pas les hommes et se fait connaître pour ses actions violentes, telles que les grèves de la faim, les incendies, et les actions dans des musées contre des œuvres jugées sexistes. Le 31 mai 1913, lors du Derby d’Epsom, Emily Davison se jette sur la piste de course avec une banderole réclamant le droit de vote pour les femmes, et elle est piétinée par les chevaux, ce qui entraîne sa mort. Avec l’éclatement de la Première Guerre mondiale, les féministes se rallient à l’Union sacrée. À la fin de la guerre, les questions liées au droit de vote reviennent à l’avant-scène. Le droit de vote est accordé en 1918, mais seulement aux femmes de plus de 30 ans et propriétaires, car on craint que le vote universel ne donne une majorité aux femmes. En 1928, le suffrage universel est finalement établi, tant pour les femmes que pour les hommes. II) La démocratisation progressive de l’espace public A) L’octroi précoce du droit de vote Les pays anglo-saxons ont été parmi les premiers à accorder le droit de vote aux femmes. - Nouvelle-Zélande: 1893 - Australie: 1902 Ces anciennes colonies britanniques, peuplées principalement par des hommes, cherchaient à attirer des femmes en leur offrant des avantages. - États-Unis: le droit de vote a été accordé état par état (Wyoming étant le premier à le faire en 1869). Au niveau fédéral, ce droit a été établi en 1920 grâce à la 19ème amendement de la Constitution américaine. - Grande-Bretagne: 1918-1920 - Canada: 1917 - Afrique du Sud: (colonie britannique) 1930 pour les femmes blanches. Dans les pays nordiques, où les mouvements féministes ont été puissants dès la fin du 19ème siècle, le droit de vote a été accordé plus rapidement. - Finlande: 1906 (après l’émergence du premier mouvement féministe en 1884). - Danemark: 1915 (après avoir connu son premier mouvement féministe en 1871). - Suède: 1919 - Islande: 1920 - Norvège: 1898 pour les hommes et en 1913 pour les femmes (après l’apparition de son premier mouvement féministe en 1884). Le rôle des guerres et des changements de régime a également été déterminant dans l’évolution des droits des femmes. - Russie: 1917. - Allemagne, Pologne et Autriche: 1918 - Ukraine: 1919 - Hongrie et Tchécoslovaquie: 1920 - Turquie: 1934. B) L’octroi tardif du droit de vote En Europe, le droit de vote a été accordé aux femmes à des moments différents selon les pays. - France et Italie: 1945 - Belgique: 1948 - Grèce: 1952 - Espagne: 1931 mais la guerre d’Espagne et le régime de Franco l’ont suspendu en 1938. Il a fallu attendre la mort de Franco en 1975 pour que les femmes récupèrent leur droit de vote. - Portugal: les femmes ont d’abord obtenu le droit de vote aux élections municipales en 1931, mais seulement pour celles qui étaient diplômées du secondaire et du supérieur. En 1946, ce droit a été élargi aux femmes mariées payant des impôts, et en 1968, toutes les femmes ont eu le droit de vote aux municipales. Le suffrage universel, tant masculin que féminin, a été instauré en 1976. - Suisse: 1971, mais cela nécessitait un référendum auquel seuls les hommes ont pu participer. En Amérique latine, quelques États ont été précurseurs dans l’octroi du droit de vote aux femmes. - Équateur: 1929 - Brésil: 1932 - Argentine: 1947 - Chili: 1949 - Mexique: 1953 En Afrique et en Asie, de nombreuses anciennes colonies ont donné le droit de vote aux femmes en même temps que leur indépendance. - Japon: 1946 - Chine: 1949 - Israël: 1948 (dès sa création) - Iran: 1963. - Afrique occidentale française (AOF): 1945 - Tunisie: 1957 - Maroc: 1963 - Algérie: 1962 - Afrique du Sud: les femmes blanches ont obtenu le droit de vote en 1930, suivi par les femmes métisses en 1984, et le suffrage universel en 1994. Au Moyen-Orient, - Émirats Arabes Unis: 1999-2006 - Qatar: 1999 - Koweït: 2005 - Arabie Saoudite: 2011, avec le premier vote ayant eu lieu en 2015. III) Les enjeux actuels A) L’égalité formelle et l’égalité réelle L’égalité formelle se manifeste à travers des textes qui affirment l’égalité des droits entre hommes et femmes - la Charte des Nations Unies de 1945 - la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 - la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 - les constitutions françaises de 1946 et de 1958. Cependant, l’égalité réelle ne signifie pas nécessairement que ces droits s’appliquent effectivement. Le concept d’activism gap fait référence à un décalage dans le militantisme. Par exemple, la présence des femmes dans les partis politiques en France représentait 15 à 17 % en 1950, et a atteint 40 % en 2020. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que des femmes ont accédé à des postes de direction au sein de partis politiques, comme Michèle Alliot-Marie au RPR entre 1999 et 2002, Martine Aubry au PS en 2008 et 2012, et Marine Le Pen au FN, puis RN, entre 2011 et 2021. Le gender gap désigne la différence de vote en fonction du genre. En France, il était observé que les femmes votaient plus à droite que les hommes, ce qui était vrai jusqu’en 1970. Par exemple, lors du second tour de l’élection présidentielle de 1965, Mitterrand a obtenu 51 % des voix chez les hommes et 39 % chez les femmes. En 2002, lors du duel entre Chirac et Jean-Marie Le Pen, si seules les femmes avaient voté, Le Pen ne serait pas passé au second tour. En revanche, si seuls les hommes avaient voté, il serait arrivé premier au premier tour. En 2024, dans le monde, il y a 29 pays sur 133 qui ont une cheffe d’État ou de gouvernement, tandis que 119 pays n’ont jamais eu de cheffe féminine. Les femmes représentent 23,3 % des ministres dans le monde, et on estime qu’il n’y a que 15 pays où la parité existe dans le gouvernement. En France, Germaine Poisso-Chapuis a été la première femme ministre (de la santé) entre 1947 et 1948. Au Sénat, entre 1945 et 1975, la représentation féminine était de seulement 1 %. B) Quotas et parité Les quotas peuvent être imposés par l’État ou être des mesures prises par les partis eux- mêmes. En Allemagne, le SPD a décidé de proposer 40 % de femmes sur ses listes, tandis que les Verts visent 50 %. En France, Giscard d’Estaing a nommé Simone Veil et a créé un sous-secrétariat d’État à la condition féminine en 1974. Françoise Giroud a alors proposé 100 mesures pour les femmes, incluant la mise en place de quotas, stipulant qu’il ne devait pas y avoir plus de 85 % d’hommes sur les listes des municipales, mais cette mesure n’a jamais été mise en œuvre au Sénat. En 1982, sous Mitterrand, Yvette Roudy a repris l’idée des quotas en proposant un maximum de 75 % d’hommes, mais cette mesure n’a pas été adoptée non plus. La parité a été davantage respectée à partir de 1995 avec la création d’un observatoire de la parité, qui a élaboré un projet de loi. Cette loi, votée le 6 juin 2000, prévoyait que la parité devait s’appliquer aux élections municipales, mais uniquement pour les communes de plus de 3 500 habitants ; cette limite a depuis été révisée à 1 000 habitants. Actuellement, les femmes représentent 36 % des sénatrices, 45 % des conseillers municipaux, 36 % des députés et 20 % des maires. Chapitre 2: Les femmes au travail Sylvie Schweizer a affirmé que « les femmes ont toujours travaillé ». Durant le Moyen Âge, le travail était organisé en corporations. Bien que la majorité de celles-ci soient masculines, il existait des corporations mixtes et uniquement féminines, comme celle des brodeuses. Dans ces corporations mixtes ou féminines, les femmes pouvaient accéder à tous les niveaux de la hiérarchie et obtenir leur maîtrise, ce qui leur permettait d’avoir des apprentis sous leur autorité. Toutefois, le poste de juré, c’est-à-dire le président de la corporation, élu par les membres, leur échappait le plus souvent. Le nombre de métiers accessibles aux femmes était important. Dans son ouvrage « Livre des métiers », Étienne Boileau répertorie 100 métiers à Paris en 1268, dont 26 ouverts aux femmes, sans compter ceux que les veuves pouvaient occuper après la mort de leur époux. Parmi ces métiers, on trouvait : Cordonnière Fonderesse Fermaillère (fabricante de ciseaux, couteaux, dés à coudre) Maçonneuse Boulangère Tavernière Il y avait également des femmes sages-femmes et chirurgiennes, que Boileau estimait représenter 5 % du corps médical. À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, la proto-industrialisation (forme d'artisanat rural saisonnier précédant la révolution industrielle) marqua le début de la mécanisation en milieu rural, avec notamment des femmes travaillant avec des machines à coudre. Un exemple notable est le « sweating system », un système d’exploitation où les ouvrières étaient payées à la pièce : plus elles produisaient, plus elles gagnaient, mais les sommes restaient faibles. Les « canuts » lyonnais travaillaient dans des ateliers familiaux de tissage, souvent situés dans leur appartement. Toute la famille se partageait les tâches, et la formation au tissage ou à la tapisserie pouvait jouer un rôle dans les mariages. Quelles que soient leurs activités, les femmes étaient généralement payées moitié moins que les hommes. Leur travail était souvent considéré comme un travail d’appoint, un complément au revenu du mari. I) Industrialisation et travail des femmes A) Les métiers féminins du 19ème Au XIXe siècle, le travail des femmes devient un sujet de débat. Le modèle de la femme au foyer est véritablement théorisé, et ce modèle sera à la fois combattu et valorisé. Jusqu’à cette époque, la plupart des femmes travaillaient à domicile, mais ce qui posait problème, c’était la distance croissante entre le lieu de travail et la maison. Ce modèle de la femme au foyer était tenable pour la bourgeoisie et les milieux aisés. Parvenir à maintenir une femme à la maison, sans qu’elle ait besoin de travailler, était un signe de réussite sociale, d’où l’expression « ma bourgeoise » pour désigner une femme au foyer. Dans le reste de la population, la situation variait en fonction de l’âge. Certaines périodes permettaient aux femmes de continuer à travailler, tandis que d’autres les contraignaient à arrêter. Dans les classes populaires, les jeunes filles travaillaient en dehors du foyer jusqu’au mariage ou à la naissance du premier enfant. Certaines femmes effectuaient des tâches rémunérées à domicile, comme la confection de robes sur commande ou des tâches de blanchissage. Si le mari perdait son emploi ou décédait, elles reprenaient le travail. Dans certains lieux de travail, on instaurait des entrées séparées pour les hommes et les jeunes filles afin d’éviter les fréquentations. Pour les jeunes filles sans protection, comme les orphelines, on créait des ouvroirs ou des ateliers tenus par des couvents. Sur le plan statistique, les recensements de l’époque présentent des limites. En 1891, on comptait 11,6 millions d’hommes actifs et 5,6 millions de femmes. Toutefois, selon Sylvie Schweizer, les femmes ne sont comptabilisées dans ces statistiques que si elles sont salariées. Celles qui travaillaient aux côtés de leur mari n’étaient pas incluses. La plupart du temps le recensement ne compte pas toutes les femmes : - les femmes salariées - les femmes travaillant avec leur mari ne sont pas comptés - les femmes ayant une pluriactivité - les femmes travaillant de manière intermittente En refaisant les calculs, Schweizer estime qu’il y avait en réalité 8,1 millions de femmes qui travaillaient. Cinq professions concentraient 90 % de l’emploi féminin à cette époque : L’agriculture Le travail des étoffes (vêtements) Le commerce La domesticité, où 81 % des domestiques étaient des femmes : - Elles ne touchaient pas de salaire fixe, mais des gages, souvent supérieurs aux salaires des usines. - Elles recevaient également des étrennes, un paiement supplémentaire, par exemple à Noël. - Elles bénéficiaient d’avantages en nature, comme des vêtements usagés offerts par leurs employeurs. L’industrie textile, avec une présence dans : - La petite métallurgie - L’industrie du papier - Le tabac En 1906, la France comptait 2 millions d’ouvrières, représentant 32 % des femmes actives. Par ailleurs, un tiers des domestiques épousaient un homme d’une catégorie sociale supérieure à la leur. B) Des avancées partielles Concernant les syndicats et les femmes, il y a eu des résistances à la fois de la part des syndicats et des femmes en ce qui concerne le travail féminin. En 1866, lors du congrès de la Première Internationale, le travail des femmes avait été condamné. Proudhon, leader syndicaliste et anarchiste, considérait que la femme ne pouvait être que « ménagère ou courtisane ». Il pensait que la féminisation du travail entraînerait une perte de prestige pour les professions et une baisse des salaires. En 1907, lors de la Deuxième Internationale, bien que l’égalité des sexes soit reconnue, on considérait que les revendications féministes étaient en réalité des préoccupations bourgeoises. Un exemple marquant de cette époque est celui de Louis et Emma Couriau, tous deux typographes en 1913. La fédération des typographes refusait l’accès des femmes à la profession mais avait cédé en 1901, laissant cependant le choix aux sections locales d’accepter ou non les femmes. Lorsque Louis et Emma arrivent à Lyon, Louis est accepté dans la section tandis qu’Emma est refusée. La fédération des typographes a radié Louis lorsqu’elle s’est aperçue qu’il avait accepté que sa femme soit typographe. En réponse, Emma a fondé un syndicat de femmes typographes, et plus tard, Louis a été réintégré. Des femmes ont ainsi fondé leurs propres syndicats. En 1900, 9 % des femmes étaient syndiquées, avec 31 syndicats féminins. Ce nombre est passé à 162 syndicats en 1911. Entre 1871 et 1890 : 6% des grèves sont des grèves féminines notamment dans le textile et le tabac. On retrouve des mouvements semblables dans d’autres pays. (Exemple : Annie Besant (1847-1933), journaliste, fait partie de la Fabian Society (parti des travaillistes. Elle milite contre le contrôle des naissances avec le droit de la contraception, elle se bat pour l’indépendance de l’Inde, elle s’engage dans des combats ouvriers. Elle soutient le comité de grève de la fabrique d’allumettes Bryant & May. Cette industrie comptait 5000 ouvriers dont 1400 vont se mettre en grève car les salaires sont très bas, à cause des horaires de travail (14h/jour), elles ont des amendes si elles ne remplissent pas les objectifs de production et les maladie dû aux allumettes comme le cancer. Au bout de 3 semaines de grèves elles obtiennent des avantages.) La question de la législation sociale en France: La réduction du temps de travail féminin a été marquée par l’adoption de plusieurs lois visant à encadrer le travail des femmes au fil des années : Loi de 1874 : cette loi interdit aux femmes de moins de 21 ans de travailler la nuit. Loi de 1892 : elle limite le travail des femmes à un maximum de 11 heures par jour. Loi de 1900 (mise en application en 1904) : elle réduit la durée du travail féminin à 10 heures par jour. Ces mesures ne visaient pas à défendre le travail des femmes, mais plutôt à les restreindre. Elles étaient le fruit de l’action de républicains, notamment Jules Simon, qui publie en 1891 « L’ouvrière ». L’idée sous-jacente était que limiter le travail des femmes permettrait de lutter contre la dénatalité en ramenant les femmes au foyer. Cette législation relevait davantage d’une volonté de contrôle social que d’une réelle protection des travailleuses. En conséquence, plusieurs leaders féministes s’y opposèrent, estimant que ces lois marginalisaient les femmes en tant que force de travail distincte et maintenaient une pression à la baisse sur les salaires. Au cours de cette période, certaines professions, auparavant réservées aux hommes, commencèrent à s’ouvrir aux femmes. Par exemple, les femmes pouvaient entreprendre des études de droit dès les années 1890, mais il leur était interdit de plaider. Jeanne Chauvin, docteure en droit depuis 1892, a mené un combat pour changer cette situation et fut finalement autorisée à plaider en 1907. Congés maternité : Loi de 1909 (loi Engerand) : première loi qui permet aux femmes enceintes de bénéficier d’un congé maternité de 8 semaines, bien que celui-ci ne soit pas indemnisé. Loi de 1913 : instaure un congé maternité indemnisé pour les femmes salariées. Loi de 1928 : met en place une assurance maternité accessible à toutes les femmes, offrant ainsi une couverture plus large. II) Tertiarisation et salarisation du travail des femmes A) 1914-1945 : le travail des femmes, un pis-aller ? Pis-aller signifie accepter faute de mieux, laisser faire même si on n’est pas d’accord. - Première Guerre Mondiale La Première Guerre mondiale est considérée comme un tournant : les femmes sont appelées à remplacer les hommes dans différents secteurs (industrie, agriculture…), mais cela reste ponctuel. Ce remplacement s’explique par un appel du président du conseil, René Viviani, le 6 août 1914, demandant principalement aux femmes de s’engager dans l’agriculture pour remplacer les hommes. L’appel aux femmes dans d’autres secteurs arrive plus tardivement : en 1915, les femmes sont appelées à travailler dans l’industrie, notamment comme “munitionnettes”. Au départ, les hommes non mobilisés sont les premiers sollicités. En France, on compte 850 000 femmes travaillant dans l’agriculture, 400 000 dans l’industrie, 120 000 infirmières, et 700 000 dans les services. La France n’intègre pas les femmes à l’armée, sauf dans des cas exceptionnels : les ambulancières portent l’uniforme pour aller chercher les blessés sur le front. - Entre deux guerres Les enfants reçoivent une éducation primaire avec, à la fin, la possibilité de passer le certificat d’études (à l’âge de 11-13 ans). C’est l’enseignant qui présente l’élève à l’examen. Si l’élève obtient le certificat, il peut continuer dans le secondaire. Le lycée, jusqu’en 1933, est payant, donc peu accessible, même s’il existe des bourses => aboutissant au baccalauréat. Le primaire supérieur est gratuit et mène à un CAP (enseignement technique), à des concours (dans l’administration) ou à l’École Normale (pour devenir instituteur). Beaucoup de filles, surtout issues des milieux populaires ou de la classe moyenne, quittent l’école primaire supérieur pour passer des concours de la fonction publique ou devenir institutrice. Quant à celles qui fréquentent le lycée (milieux plus aisés), le décret Bérard de 1924 leur permet d’accéder au même baccalauréat que les garçons, puis à l’université. Dès les années 1930, les filles représentent la moitié des étudiants en lettres, mais seulement un dixième en médecine et un septième en sciences. Ces filles travaillent après leurs études, mais la majorité abandonne après leur mariage. En effet, le taux d’activité des femmes mariées entre les deux guerres n’est encore que de 20 %. Les femmes accèdent à de nouveaux métiers, mais la part des domestiques diminue. Bien que la part des femmes dans l’industrie stagne, on observe une augmentation des effectifs féminins dans le tertiaire et les emplois administratifs (elles représentent 40 % des employés dans le commerce, la banque et les services publics). Elles se retrouvent cependant dans les postes les moins bien rémunérés et avec moins d’avantages. Dans l’enseignement, elles représentent 54 % des instituteurs et obtiennent l’égalité salariale avec les hommes en 1919. Malgré cette égalité salariale, des différences persistent : les femmes enseignent dans les classes les plus petites. Le métier de secrétaire est à cette époque très prisé, car il est perçu comme prestigieux : bien habillé, environnement de travail confortable, avec un imaginaire romantique d’une relation entre secrétaire et patron. Cependant, de nombreuses secrétaires sont chronométrées, payées en fonction de leur productivité, et travaillent dans des bureaux remplis d’autres secrétaires. Les diplômes d’État d’infirmière sont créés en 1922, et ceux d’assistance sociale en 1933. Malgré ces évolutions, les oppositions à la présence des femmes sur le marché du travail persistent. La crise des années 1930 entraîne une montée du chômage, et seuls les emplois dits “prioritaires” sont préservés, limitant ainsi le travail des femmes. Des mesures répressives sont adoptées, forçant les femmes à quitter leur emploi, par licenciement ou démission. Aux États-Unis, en Allemagne et en Autriche, les fonctionnaires mariées sont forcées de démissionner. En Grande- Bretagne, les femmes mariées perdent leurs droits au chômage. En France, on combine des mesures répressives avec des incitations : à la Poste, 80 % des licenciements concernent des emplois féminins. Les fonctionnaires mariées voient leur salaire réduit, et une allocation de mère au foyer est introduite en 1939. Les femmes qui quittent volontairement leur emploi reçoivent une prime de 10 % du salaire moyen de leur ancien poste. - Seconde Guerre mondiale Sous le régime de Vichy, il y a une forte incitation au retour des femmes au foyer. En octobre 1940, une loi interdit l’embauche de femmes mariées, mais cette mesure est suspendue en 1942 lorsque la nécessité de réembaucher des femmes devient évidente. La situation varie selon les pays : l’URSS, les États-Unis et le Royaume-Uni continuent de combattre, et les femmes sont mobilisées dans les usines et même dans l’armée. Aux États-Unis, la célèbre image de “Rosie the Riveter” incarne cette mobilisation féminine, combinant des stéréotypes féminins (maquillage et foulard sur la tête) avec des attributs de force (bleu de travail, biceps). C’est une propagande visant à inciter les femmes à travailler tout en conservant leur féminité. En Grande-Bretagne, 135 000 femmes portent l’uniforme, tandis qu’aux États-Unis, 350 000 sont engagées dans l’aviation et d’autres branches militaires. Toutefois, les femmes ne combattent pas directement. En URSS, cependant, 800 000 femmes rejoignent l’armée rouge, et 60 % d’entre elles participent aux combats, notamment comme tireuses d’élite. Le travail des femmes dans l’armée repose sur le volontariat, et celles qui s’engagent sont payées. B) De 1945 à nos jours : des inégalités persistantes 1) 1945-1975: le « retour à la normale » Entre 1945 et 1975, on observe un “retour à la normale” qui se traduit par le retour de la femme au foyer et l’idéal de la femme traditionnelle. L’idéal de la femme au foyer s’installe fortement dans la société. En 1954, 38 % des femmes travaillent en France, contre 48 % en 1921. Ce phénomène se retrouve dans la plupart des pays, soutenu par des politiques publiques conservatrices qui promeuvent des valeurs morales traditionnelles (même le Parti communiste adopte une vision très traditionnelle de la famille). Le rôle des politiques publiques est essentiel dans cette dynamique : le quotient familial, les allocations pour les mères au foyer et les allocations familiales sont mis en place, etc. Pour les familles ouvrières, il devient plus avantageux que la femme reste au foyer plutôt que de travailler. Par exemple, pour un couple avec deux enfants, les aides sociales peuvent être estimées à l’équivalent d’un salaire d’ouvrière. Cet idéal est si ancré que, pour un homme, le fait que sa femme n’ait pas besoin de travailler est perçu comme un signe de réussite matérielle, signifiant qu’il est capable de subvenir seul aux besoins de sa famille. Cependant, des améliorations apparaissent, notamment après les années 1960. Le niveau d’éducation des femmes progresse. En 1965, l’égalité au baccalauréat est atteinte : autant de filles que de garçons obtiennent ce diplôme, et en 1971, les filles sont plus nombreuses à le décrocher. De plus, très peu de femmes n’ont jamais travaillé. En 1970, on estime que seulement 12 % des femmes âgées de 30 à 50 ans n’ont jamais travaillé, et ce chiffre tombe à 5 % pour les femmes de 16 à 29 ans. Bien que de moins en moins de femmes restent inactives, leurs parcours professionnels restent souvent complexes, marqués par des interruptions. Leurs carrières suivent souvent une “courbe à deux bosses” : les jeunes femmes sortent de leurs études et commencent à travailler, puis s’arrêtent à l’occasion de leur mariage ou de la naissance de leurs enfants. Elles reprennent ensuite le travail lorsque leurs enfants sortent de la petite enfance. En 1975, le taux d’activité des femmes mariées atteint de nouveau 40 %. 2) De 1975 à nos jours La « double journée » des femmes se manifeste par l’évolution de leur rôle dans le monde du travail. En 2023, dans l’Union européenne, 65 % des femmes âgées de 15 à 64 ans occupent un emploi, et 80 % des femmes de 25 à 49 ans sont actives. Les inégalités persistent dans plusieurs domaines: - Dans les études et l’éducation, 56 % des étudiants sont des femmes, mais d’importantes disparités existent selon les disciplines. Les femmes représentent 74 % des étudiants en lettres, contre seulement 43 % en sciences, bien que ce chiffre soit en augmentation. - Le taux de chômage des femmes était plus élevé que celui des hommes, mais il tend à se rééquilibrer. En 2012, 52 % des chômeurs étaient des femmes, alors qu’en 2020, l’écart entre les sexes s’est réduit. - Une proportion plus élevée de femmes travaille à temps partiel (30 à 35 %), contre seulement 8 % des hommes. Le travail à temps partiel peut être un choix pour certaines femmes, mais il peut également être subi. - Les inégalités persistent aussi dans les professions. La répartition des femmes dans certaines carrières découle directement de leur orientation scolaire. Certaines professions restent faiblement féminisées, comme celles des ingénieurs et des cadres techniques (7 % de femmes), tandis que d’autres, comme les aides-soignantes et les aides à domicile, sont largement féminisées, avec une représentation des femmes allant de 90 à 97 %. Le plafond de verre désigne la limite invisible que les femmes rencontrent dans leur progression de carrière, les empêchant d’accéder à certains postes. La loi Copé-Zimmerman de 2011 a imposé un quota obligatoire de 40 % de femmes dans les postes de cadres des entreprises cotées en bourse comptant plus de 500 salariés. En 2011, 8,5 % des femmes occupaient ces postes, et aujourd’hui, ce chiffre atteint 46 %. Les inégalités salariales, bien que réduites progressivement, persistent à l’échelle nationale et internationale. En 1950, l’écart salarial entre les sexes était de 36 %, contre 14 % en 2000. Cette différence de salaire a également un impact sur les pensions de retraite : dans le secteur privé, la pension des femmes représente 50 % de celle des hommes, tandis que dans le secteur public, elle atteint 80 %. Des mesures étatiques (toute décision adoptée par une autorité publique) ont été mises en place pour soutenir les familles et réduire ces inégalités: - La garde des enfants, 56 % des parents s’en chargent eux-mêmes, ce qui peut poser des difficultés pour certaines familles. - Le congé maternité dure 16 semaines. - Le congé parental, mis en place en Suède en 1974, dure 16 mois, dont 3 mois sont réservés au père, avec un salaire maintenu à 80 % jusqu’aux 8 ans de l’enfant. En Suède, 40 % des pères prennent ce congé. En France, le congé parental peut durer jusqu’à trois ans, avec une indemnité de 448 euros par mois. Depuis la réforme de 2015, pour bénéficier de l’indemnité sur un an, le père doit prendre au moins 6 mois de congé, mais seulement 4 % des hommes le font. - Le congé paternité, instauré en 2002, il offre deux semaines rémunérées à prendre dans les quatre mois suivant la naissance de l’enfant. En 2020, ce congé a été prolongé à 28 jours, avec l’obligation pour les pères de prendre au moins 7 jours, rémunérés à 80 % du salaire. Actuellement, 60 % des pères prennent ce congé. Chapitre 3: Féminisme et émancipation des femmes Il existe des précurseurs importants dans l’affirmation des droits des femmes et de l’égalité entre les sexes. Parmi eux, on peut citer Christine de Pisan, qui publie La cité des dames en 1405, où elle plaide pour une véritable éducation des femmes et dénonce les idées erronées sur la nature féminine. Un autre précurseur est Poulain de la Barre, qui publie le traité De l’égalité des deux sexes en 1673, dans lequel il défend les droits des femmes. Durant la Révolution française, on parle de proto-féministes, bien avant que le terme “féminisme” ne soit utilisé pour la première fois par Alexandre Dumas fils en 1872 dans L’homme-femme, où il critique l’efféminement des hommes. En 1882, Hubertine Auclert se proclame féministe. I) Le féminisme de la première vague A) Les précurseurs En France, la plupart des femmes qui militent pour les droits des femmes sont souvent engagées dans d’autres luttes, comme celle de l’abolition de l’esclavage aux États-Unis. Parmi les mouvements influents, on trouve les socialistes utopistes, avec les saint-simoniennes. Prosper Enfantin, un disciple de Saint-Simon, fonde en 1832 une communauté à Ménilmontant où il applique les idées de vie commune et d’égalité entre les sexes, avec des hommes et des femmes vivant en union libre. Les idées de Charles Fourier, un autre socialiste utopiste, prônent une vie communautaire fondée sur le partage. Ces idées sont mises en œuvre dans le Familistère de Guise de Jean-Baptiste Godin, où l’égalité des femmes est respectée dans le gouvernement de la communauté. Du côté des socialistes révolutionnaires, à tendance marxiste et anarchiste, des figures comme - Flora Tristan apparaissent. Née au XIXe siècle, bâtarde et ouvrière, Flora se marie à 17 ans à son patron, qui la bat et tente même de lui tirer dessus. Elle milite activement pour les droits des femmes, notamment pour le droit au divorce. - André Léo, pseudonyme de Léodile Champeix, est une autre figure clé de ce mouvement. Romancière, elle appelle à la création d’une ligue des femmes et pose la question provocatrice : « Croit-on pouvoir faire la révolution pour les femmes ? », le 8 mai 1871. Aux États-Unis, le mouvement féministe connaît ses débuts avec les révolutionnaires, notamment lors de la Convention de Seneca Falls en juillet 1848, qui est considérée comme le point de départ du féminisme américain. À cette convention, des figures emblématiques telles qu’Elizabeth Stanton, une abolitionniste combattant pour l’abolition de l’esclavage, contribuent à la rédaction de la Déclaration des Sentiments, un texte inspiré de la Déclaration d’indépendance des États-Unis, texte fondateur du pays. Dans cette déclaration, les femmes revendiquent le droit de vote, le droit à l’éducation, ainsi que le droit à la garde des enfants. Victoria Woodhull, autre figure marquante, devient la première femme agent de change à Wall Street, à New York, et pose sa candidature à la présidence des États-Unis en 1872. Elle est marxiste et se distingue en traduisant le Manifeste du parti communiste aux États-Unis. Les mouvements abolitionnistes, dont le principal combat est l’abolition de l’esclavage, voient l’émergence de militantes comme les sœurs Sarah et Angelina Grimké, connues pour leur rôle d’oratrices contre l’esclavage. Laura Haviland se fait également un nom en organisant le départ d’esclaves vers le Canada. Sojourner Truth, ancienne esclave à New York, s’enfuit après l’abolition de l’esclavage en 1827, son ancien propriétaire refusant de la libérer. Elle laisse sur place son fils mais finit par intenter un procès contre le propriétaire de la plantation en 1851. Des expériences communautaires voient aussi le jour, reposant sur des principes d’égalité des sexes et de mise en commun des biens. Robert Owen crée la communauté de “New Harmony” où il prône l’égalité homme-femme. Fanny Wright, qui vit à New Harmony, fonde la Nashoba Commune, un lieu d’accueil pour les esclaves en fuite. Les sociétés de lutte pour la tempérance, formées par des femmes généralement protestantes ou proches de milieux religieux, s’attaquent à l’alcoolisme, qu’elles perçoivent comme un fléau familial. Selon elles, l’alcoolisme provoque des ravages financiers et mène souvent à la violence envers les enfants et les femmes. En ce qui concerne les organisations internationales, la Fédération abolitionniste internationale est créée en 1875 pour abolir la prostitution, et non l’esclavage. Joséphine Butler, en Angleterre, s’engage dans une campagne contre la réglementation autour de la prostitution, notamment les visites médicales humiliantes. Cette campagne aboutit en 1886 avec la fermeture des maisons closes et la suppression des lois encadrant la prostitution. On utilise alors l’expression “traite des blanches” pour évoquer le trafic d’enfants et de femmes. En 1886, l’âge de la majorité sexuelle en Angleterre est fixé à 16 ans, et en 1910, un premier texte international visant à réguler trafic des femmes et des enfants est adopté. Le Conseil international des femmes est fondé en 1888 dans le but d’obtenir le droit de vote pour les femmes. Il s’étend dans différents pays, notamment en France avec le CNFF, branche française du Conseil international des femmes. L’Internationale des femmes socialistes est créée en 1907 par Clara Zetkin et Rosa Luxemburg, avec pour revendication le droit de vote des femmes. C’est cette organisation qui, en 1910, propose la création d’une Journée internationale des droits des femmes, célébrée le 8 mars. Enfin, la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté est fondée en 1919, après la Première Guerre mondiale, par Jane Addams à Zurich. Peu de Françaises en font partie, mais celles qui y adhèrent montrent leur soutien à la résistance contre l’occupation de la Ruhr et aux femmes allemandes. B) Les premiers acquis Les premiers droits acquis concernent d’abord l’éducation, le premier droit revendiqué par toutes. En France, la loi Camille Sée de 1880 autorise la création de lycées pour jeunes filles, le premier lycée féminin ouvrant ses portes à Montpellier en 1882. Les facultés de lettres s’ouvrent aux femmes en 1871, suivies des facultés de droit en 1884 et des facultés de médecine entre 1881 et 1885. À l’étranger, l’université de Zurich permet aux femmes d’étudier la philosophie dès 1846. Aux États-Unis, la première femme obtient un diplôme de médecine en 1849 et devient la première femme à exercer en Grande-Bretagne en 1869. En Grande-Bretagne, Queen’s College devient la première institution à accueillir des femmes pour former des enseignantes et gouvernantes. Cambridge et Oxford commencent à admettre des femmes en 1871 et 1879, bien que l’égalité des diplômes ne soit atteinte qu’au XXe siècle. En matière de droits civils, les femmes obtiennent des avancées significatives en Angleterre en 1882, notamment le droit de conserver la propriété de leurs biens. En France, des acquis sont enregistrés entre 1897 et 1938 : - 1897: les femmes peuvent témoigner dans les actes juridiques - 1905: elles peuvent intenter un procès sans passer par leur mari - 1907: elles ont la possibilité de disposer de leur salaire, à condition de ne pas travailler avec leur époux - 1938: elles peuvent ouvrir un compte en banque, demander un passeport ou passer un examen sans l’autorisation de leur mari. - 1965: elles obtiennent enfin le droit de travailler sans cette autorisation. Les droits relatifs à la sexualité et à la procréation évoluent également. Avant la Première Guerre mondiale, le féminisme est souvent décrit comme maternaliste, les revendications se basant sur le statut de mère. Après la guerre, des mouvements pour le “birth control” émergent de manière plus affirmée. En 1920, la première clinique de “birth control” ouvre à Londres, ancêtre du planning familial. II) Le féminisme de la deuxième vague A) Le reflux Le féminisme de la deuxième vague se caractérise par un reflux, notamment avec le cas particulier de l’Espagne, qui est pionnière en matière de droits des femmes entre 1931 et 1939: - 1931: les femmes obtiennent le droit de vote, le droit au divorce, et l’assurance maternité - 1936: droit à l’avortement grâce aux Mujeres Libres. Toutefois, l’arrivée de Franco en 1939 entraîne la suppression de tous ces droits. Du côté franquiste, des associations féminines, telles que la “section féminine de la Phalange,” regroupent des femmes d’extrême droite. Sous les dictatures, les droits des femmes sont restreints, comme en Allemagne nazie où les femmes sont cantonnées aux “trois K” : Kinder (enfants), Küche (cuisine), et Kirche (église), domaines d’action principaux. Avant l’arrivée d’Hitler, le principal mouvement féministe en Allemagne est la Fédération des associations des femmes allemandes, fondée en 1884 et dissoute en 1933 avec l’accession au pouvoir d’Hitler. La Seconde Guerre mondiale a vu l’entrée dans la résistance de nombreuses femmes, certaines prenant les armes comme Georgette Gérard qui, en 1943, est à la tête d’un maquis et commande 5000 personnes, ou Madeleine Riffaud qui s’est engagée à 18 ans, tue un officier allemand, se fait torturer par la Gestapo mais réussit à s’enfuir et participe à la libération de Paris, bien que seulement 10 % des femmes aient été médaillées de la résistance. Dans les années 50, le maternalisme (idéologie qui valorise de manière excessive le rôle des femmes en tant que mères, les cantonnants à cette fonction dans la société), triomphant se manifeste avec une période de repli des organisations féministes qui mettent en avant le rôle des femmes en tant que mères, notamment avec la création de l’UFF (Union des Femmes Françaises) en 1944, qui dépend du PCF. Simone de Beauvoir, dans « Le Deuxième Sexe » publié en 1949, réfute tous les arguments essentialistes sur la nature féminine et déconstruit les arguments philosophiques et religieux, un livre qui sera interdit au Portugal sous un régime dictatorial de droite, en Union Soviétique et mis à l’index par le Vatican, interdisant sa lecture aux catholiques. B) Le mouvement de la libération des femmes Aux États-Unis, il existe deux courants parallèles : un mouvement réformiste et légaliste et des mouvements radicaux. Le mouvement légaliste bénéficie d’un contexte favorable avec l’élection de Kennedy en 1961, qui crée une commission pour les droits des femmes et fait adopter la loi Equal Pay Act en 1963, bien que son application sur le terrain soit freinée par son assassinat. D’autres revendications émergent, comme celles concernant la contraception et l’avortement, avec la création de la National Organization for Women (NOW) en 1966, qui reprend des combats pour l’éducation et l’avortement, mais des femmes ne se reconnaissant pas dans le NOW rejoignent le Women’s Lib, un ensemble d’associations et de mouvements plus radicaux qui étaient réticents sur les droits des lesbiennes. En France, également, deux mouvements existent, dont un légaliste : le Mouvement Démocratique Féminin créé en 1962, et le Mouvement de Libération des Femmes créé en 1970, avec la manifestation de l’Arc de Triomphe en août 1970 qui les a révélées au grand public. Les acquis de ces mouvements féministes se traduisent par une prise en compte politique, comme la création en 1974 d’un secrétariat à la condition féminine et la création, en 1981, d’un ministère des droits des femmes sous Mitterrand. D’importantes avancées législatives ont aussi eu lieu, comme la loi de 1965 qui permet aux femmes de travailler sans l’autorisation de leur mari, la loi de 1970 qui établit l’autorité parentale partagée, et la loi de 1975 qui institue le divorce par consentement mutuel. Parmi les combats menés, le droit à l’avortement se distingue avec des événements marquants comme le manifeste du 5 avril 1971, où 343 femmes affirment avoir avorté, et le procès de Bobigny en 1972, où une jeune fille de 16 ans, ayant avorté après un viol, est défendue par Gisèle Halimi et acquittée, tandis que la femme ayant pratiqué l’avortement écope d’une peine avec sursis. Un autre manifeste, le 3 février 1973, avec 330 médecins affirmant avoir pratiqué des avortements, risquait de se voir radier. La loi Veil de janvier 1975 légalisera l’avortement, autorisé jusqu’à 10 semaines. En ce qui concerne les violences faites aux femmes, le viol était déjà sanctionné dans le code pénal napoléonien de 1810, mais sa définition était limitée à la pénétration vaginale par un pénis, ce qui a conduit à requalifier les autres formes de violences sexuelles en attentat à la pudeur. À partir de 1972, de nombreuses manifestations dénoncent les crimes contre les femmes. Un exemple marquant est le procès d’Aix-en-Provence de 1974 à 1978, où deux jeunes femmes belges sont victimes de viols en réunion, mais au premier procès, seuls les coups et blessures sont retenus. L’avocate Gisèle Halimi va alors orienter le procès sur la question du viol et la culture du viol. À la fin, les trois hommes sont condamnés à des peines de prison, mais légères. En 1980, une nouvelle définition du viol est inscrite dans la loi, qui pénalise tout acte de pénétration sexuelle commis par violence, contrainte ou surprise. Le viol conjugal et le viol sur hommes sont enfin pris en compte. La loi de 1992 remplace le terme « attentat à la pudeur » par « agression sexuelle », et les lois sur le harcèlement sexuel, d’abord appliquées aux situations d’autorité en 1992, seront étendues aux relations entre collègues en 2002 et prévoient, en 2012, des peines de prison et des amendes. En 2018, le délit d’outrage sexiste ou sexuel est créé, puni par une amende, et s’applique spécifiquement au harcèlement de rue. Les mobilisations internationales commencent dès le milieu des années 1970, avec la première conférence internationale sur les droits des femmes à Mexico en 1975, réunissant 133 pays, suivie par une seconde conférence en 1996 à Pékin, où l’accent est mis sur la situation des femmes dans les pays en développement, notamment sur l’analphabétisme des femmes (70% des analphabètes dans le monde sont des femmes), la pauvreté, l’excision (encore 2 millions de fillettes excisées aujourd’hui), les féminicides (où ¾ des meurtres de femmes dans le monde sont des féminicides, selon l’OMS), et les viols de guerre. Le féminisme de la troisième et quatrième vague se distingue par l’intersectionnalité, la prise en compte des dimensions raciales, des questions de sexe et de genre, des orientations et identités, des travailleuses du sexe, la médiatisation et des techniques choquantes pour se faire connaître. La quatrième vague débute avec le mouvement « Me Too » en 2017, où la dénonciation des violences et du harcèlement sexuel devient un point central. Chapitre 4: Les masculinités La virilité renvoie aux attributs supposés du masculin. Elle se définit comme un idéal et une essence figée dans le temps, associée à des qualités telles que la force physique, l’agressivité, le goût du risque et l’autorité. En revanche, les masculinités désignent l’ensemble des identités masculines, qui évoluent dans le temps et varient selon les individus. Ces identités sont en constante redéfinition. Dans son ouvrage Masculinities (1995), Raewyn Connell introduit le concept de masculinité hégémonique. Cette forme dominante de masculinité, à un moment donné, garantit la supériorité des hommes qui s’y conforment, non seulement sur les femmes, mais également sur les hommes qui ne répondent pas à ce modèle. I) L’idéal viril dans les sociétés occidentales A) Les modèles de virilité Georges Mosse, dans L’image de l’homme : l’invention de la virilité moderne (1999), identifie quatre modèles principaux de virilité : 1. Le modèle grec : Ce modèle envisage l’homme comme un tout, valorisant l’harmonie entre le corps et l’esprit. Redécouvert au XIXe siècle par un historien de l’art, il exalte la puissance et la maîtrise de soi, comme l’incarne le David de Michel-Ange, symbole d’un idéal de beauté. 2. Le modèle chevaleresque : Il puise son inspiration dans l’époque médiévale, avec les chevaliers qui défendent la veuve et l’orphelin. Ce modèle met en avant le courage, l’honneur et la loyauté. Au XIXe siècle, il connaît un renouveau grâce à la vogue de la littérature romantique. On observe également une résurgence du duel en France : entre 1875 et 1900, environ 300 duels sont recensés chaque année, le dernier ayant eu lieu en 1967 à l’Assemblée nationale. 3. Le modèle bourgeois : Ce modèle s’incarne au XIXe siècle dans l’image du gentleman anglais, souvent associé à la notion de « chrétienté musclée ». Il représente l’entrepreneur britannique ou le colonisateur, porteur des valeurs de justice et de morale. Ce modèle s’exprime aussi à travers le sport, notamment la boxe, avec des figures comme Gentleman Jim. 4. Le modèle ouvrier : En réaction au modèle bourgeois, ce modèle valorise une image positive des ouvriers dans des environnements industriels extrêmes, tels que les mines. Les marqueurs de virilité incluent les muscles, la moustache, les tatouages et le fait de fumer. La masculinité ouvrière repose sur la résistance physique et le travail bien fait. B) Les marqueurs de la masculinité Ces marqueurs sont particulièrement significatifs au XIXe siècle. À cette époque, un homme pouvait être identifié dès le premier regard, grâce à des éléments physiques et sociaux. Les attributs physiques incluent : La grandeur et la musculature, associés à une position supérieure dans la hiérarchie. L’aptitude au commandement et la capacité à se battre. La pilosité, notamment la moustache, qui est soumise à des règles strictes. En France, dans l’armée, seuls les officiers avaient le droit de porter la moustache jusqu’en 1832, où son port devient obligatoire pour tous les militaires. La barbe, quant à elle, est associée à la sagesse, comme en témoigne la République des Jules (Jules Ferry et Jules Grévy arboraient un collier de barbe). Le fait de fumer, qui reste une activité virile. Les femmes qui fumaient étaient perçues comme des femmes de mauvaise vie, bien que dans les années 1920, elles adoptent le porte- cigarettes. Les attributs sociaux incluent : Le port du pantalon, qui devient un enjeu social et genré. Les femmes doivent lutter pour en porter. Symbolisant la révolution, le pantalon remplace la culotte avec les sans-culottes. Toutefois, l’ordonnance de 1800 interdit aux femmes de porter ce vêtement. Le costume masculin est marqué par ce que John Carl Flugel appelle « la grande renonciation masculine », c’est-à-dire l’abandon des couleurs vives, des bijoux et autres décorations ostentatoires. C) La construction de la masculinité Ces marqueurs et modèles de virilité sont intériorisés et inculqués dès l’enfance, période déterminante pour la construction de l’identité masculine. Cela passe notamment par des rites d’initiation (comme la circoncision) et des codes culturels. Les vêtements jouent un rôle clé dans cette construction. Jusqu’à l’âge de trois ans, il existe une relative indifférenciation vestimentaire entre filles et garçons, mais par la suite, des distinctions apparaissent. Par exemple, les garçons portent des culottes courtes (ou pantacourts), tandis que dans la bourgeoisie, on adopte le costume marin. Les couleurs sont également genrées : au départ, le bleu est associé aux filles, en raison de son lien avec la Vierge Marie, tandis que le rose est réservé aux garçons, dérivé du rouge, couleur de la passion et de l’agressivité. Cette tendance s’inverse plus tard, le bleu devenant la couleur des garçons, notamment des soldats « poilus ». La séparation d’avec la mère est jugée essentielle pour la construction de la masculinité. Les jouets genrés, bien que moins marqués qu’aujourd’hui, contribuent aussi à façonner les identités. Le seul jouet genré à l’époque est la poupée. À partir du XIXe siècle, avec l’émergence de l’industrie du jouet, les catalogues de Noël introduisent des distinctions genrées. Pour les garçons, on trouve des trains, des moyens de locomotion, des sabres et des armes. Pour les filles, des poupées comme la Barbie, apparue en 1959. II) Contestations et remises en cause A) Les contretypes virils et les masculinités subordonnées. Efféminement et ensauvagement 1. Le contre-type viril George Moss définit le contre-type viril comme une figure qui dévie du modèle masculin idéal. Cela peut être : Un homme jugé efféminé, trop proche de la féminité. À l’opposé, un homme animalisé, perçu comme sauvage. Dans les deux cas, il s’agit d’une transgression des normes viriles dominantes. 2. Exemples historiques de contre-types virils Le juif : au XIXe siècle, et encore davantage sous le nazisme, le juif est présenté comme un contre-type viril. Il est décrit comme ayant un corps mou, obèse, efféminé et pervers. Les peuples colonisés et racisés : En Inde, les Indiens sont stéréotypés comme faibles, féminins, soumis à la domination britannique. En Afrique, l’animalisation et la sauvagerie sont mises en avant. 3. L’homosexualité comme contre-type viril Sous les régimes totalitaires, on observe une radicalisation des répressions. 4. Eugénisme sous le nazisme Stérilisations forcées des personnes handicapées. Euthanasie : 80 000 morts entre 1939 et 1941. Déportation et extermination. B) Une crise de la masculinité ? 1. La remise en question du modèle masculin Pour les historiens, la notion de « crise de la masculinité » n’a pas de sens absolu. Il s’agit plutôt d’un processus où un modèle dominant est remis en question et remplacé par un autre. 2. Facteurs de fragilisation de la masculinité traditionnelle Montée du féminisme : dès la fin du XIXe siècle, avec les revendications féministes. Conflits mondiaux : Après les deux guerres mondiales, les hommes se heurtent à des défis : remplacement par les femmes au travail, mutilations corporelles, difficultés de réintégration civile (hausse des divorces et des suicides, notamment au Royaume-Uni dans les années 1930 avec une augmentation de 60 % des suicides chez les jeunes hommes). Fragilisation de la fonction paternelle : En 1970, l’autorité paternelle décline. À partir de 1985, le nom de famille peut provenir de la mère et non uniquement du père. 3. Transformation des rôles masculins Travail à la chaîne : la perte de fierté professionnelle remet en cause l’idéal viril. Disparition du service militaire : la montée des femmes dans les armées débute avec la loi Paul-Boncour (1938), bien que les effectifs restent majoritairement masculins (97 %). 4. Sexualité et performance virile Dès les années 1970, on met l’accent sur le plaisir féminin, remettant en cause le rôle initiateur masculin. L’influence de la pornographie introduit des exigences de performance (durée, fréquence, orgasme) et génère une angoisse de performance. Réponses médicales : apparition du Viagra en 1998. C) L’émergence de nouvelles images de l’homme 1. L’homme nouveau À partir des années 1980, plusieurs figures émergent : Les nouveaux pères : des hommes investis dans l’éducation, présents lors des accouchements et dans les tâches domestiques. Les métrosexuels : influencés par la culture homosexuelle et celle des jeunes, avec des icônes comme David Beckham dans les magazines masculins. 2. Les invariants de la virilité traditionnelle Les bandes de jeunes et les sociabilités masculines demeurent des invariants dans certaines pratiques. 3. Les masculinistes Mouvement réactionnaire en réponse au féminisme, divisé en trois groupes : Men’s Rights Activists (1970) : défense des droits des pères. Masculinistes virilistes et hoministes : exaltent la testostérone et l’idéal viril perdu. Incels : prônent la victimisation, accompagnés par les Pick-Up Artists (experts en séduction). Exemples de violences : attentat de Montréal en 1989 contre des femmes. 4. Les coûts du modèle masculin Notion de masculinité toxique : les hommes souffrent aussi de la pression pour se conformer à cet idéal. Espérance de vie plus courte chez les hommes. Comportements à risques : alcool, alimentation excessive, sports extrêmes, répression émotionnelle. Chapitre 5 : Troubles dans le genre I) Le temps du « troisième sexe » 1. L’inversion de genre 1879 : première utilisation du terme « homosexuel » par Kertbeny. Rôle du discours médical : Théories de la dégénérescence (innéité irréversible). Magnus Hirschfeld : l’homosexualité comme « troisième sexe ». Freud : bisexualité originelle de l’homme. Havelock Ellis : distingue lesbiennes « innées » des lesbiennes « acquises ». 2. Stéréotypes et nouveaux modèles identitaires Homosexuels efféminés et lesbiennes masculines. Affirmation des lesbiennes féminines et des pédérastes (homosexuels virils). II) Retour à l’ordre et libération homosexuelle 1. Répression et invisibilité Sous le nazisme : accentuation des répressions. Classement comme trouble psychiatrique (1952-1973). Développement de la « culture du placard ». 2. Mouvement de libération Événements de Stonewall (1969) : naissance du Gay Liberation Front et de la Gay Pride (1970). En France, fondation du FHAR (1971). Création des quartiers gays (ex. : le Marais à Paris). III) Transidentité et travestissement 1. Transidentité Reconnaissance médicale : premières opérations (1931), premières théories médicales (Cauldwell, 1949). Développement militant : création de Vanguard (1966) et STAR (1970). Transphobie persistante : meurtres, stigmatisation, déclassification progressive des maladies mentales. 2. Travestissement Longtemps réprimé mais toléré dans certains contextes (carnaval, théâtre). Affirmation culturelle : ouvrages, films (ex. The Rocky Horror Picture Show, 1975), émissions (ex. RuPaul’s Drag Race, 2009). Conclusion : des discriminations persistantes Violences croissantes : augmentation des agressions envers les personnes trans et racisées. Excuses officielles : exemple des Pays-Bas (2021) pour les stérilisations forcées. Appels au respect des droits intersexes : fin des mutilations génitales, dénonciation des tests de féminité.