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Avant-propos Le terrorisme de masse constitue depuis 2001 une menace essentielle pour les États occidentaux. Le temps des guerres interétatiques semble révolu depuis la chute du mur de Berlin. Il est aujourd’hui à la « guerre asymétrique » contre le terrorisme. Cette guerre-là ne ressemble pas à ce...

Avant-propos Le terrorisme de masse constitue depuis 2001 une menace essentielle pour les États occidentaux. Le temps des guerres interétatiques semble révolu depuis la chute du mur de Berlin. Il est aujourd’hui à la « guerre asymétrique » contre le terrorisme. Cette guerre-là ne ressemble pas à celles, classiques, qui opposaient naguère des nations et des empires. Elle renvoie, non à l’ennemi que l’on combat, mais à une façon singulière de combattre, un type de violence perpétré par des groupes extrémistes, une violence que nous réduisons un peu rapidement à la lâcheté et à la perdie d’hommes mus par la force du « Mal ». En ramenant l’ennemi à cette gure ténébreuse, on retient en eet un critère essentiellement moral. Comme si, brusquement, un esprit médiéval souait à nouveau. En ce temps lointain, la justication du recours aux armes reposait sur l’idée qu’il fallait éradiquer par la force le mal et le péché. Or c’est l’abandon de la doctrine de la « guerre juste », formalisée au sortir de l’époque féodale, qui devait conduire à concevoir e le monde en termes politiques (ou « modernes ») à la n du XVI siècle. Aranchies de ces injonctions religieuses et morales, les armes n’ont pas cessé d’être brandies. Mais les monarques renonçaient à l’ambition de chasser l’injustice, la perversion ou l’hérésie par la force ; ils se contentèrent d’assurer la sécurité et la prospérité de leurs sujets par la protection du territoire qu’ils gouvernaient. Le terrorisme bouscule-t-il le monde issu de notre modernité au point de contraindre les États qui en sont victimes à renoncer aux frontières qui séparent l’étatique de l’éthique, la politique de la morale, le bien-être du bien ? En le faisant, car certains le font, ils versent dans le même funeste amalgame que réalisent les terroristes djihadistes eux-mêmes. L’idée de riposter au terrorisme par une nouvelle « croisade », comme l’a prôné un ancien président américain, n’a pas totalement épargné les Européens. Après les attentats qui ensanglantèrent Paris, le 13 novembre 2015, nous avons entendu la même antienne : la France a été présentée comme un pays auquel on faisait la guerre et qui, dès lors, était un pays « en guerre ». Que peut l’État de droit contre ceux qui ne respectent aucun droit ? Comment combattre, légalement, le terrorisme qui balaie toute forme de légalité ? Sommé de n’abandonner ni le respect des droits fondamentaux ni l’impératif de sécurité des citoyens, nos dirigeants doivent pourtant faire des choix. C’est aux diérentes voies envisagées pour se défendre du terrorisme qu’est consacré cet ouvrage. Mais avant d’y arriver, il est indispensable de nous intéresser d’abord aux belligérants. Pour faire la guerre, il faut savoir non seulement ce que l’on combat, mais encore qui est l’ennemi, ce qu’il pense, ce qu’il croit, ce qu’il veut. Il faut savoir également ce que l’on entend soi-même défendre : des vies humaines, des droits fondamentaux, des valeurs, une culture politique, une certaine conception de l’État... Qu’importent les mobiles ou les modalités, une guerre ne peut être gagnée sans une connaissance approfondie de ses diérents protagonistes. Dès le VIe siècle avant notre ère, le stratège chinois Sun Tse, dans son célèbre Art de la guerre, avait armé que celui qui connaît l’autre et se connaît lui-même peut livrer cent batailles sans jamais se trouver en péril ; que celui qui ne connaît pas l’autre mais se connaît lui-même, pour chaque victoire, connaîtra une défaite ; enn, que celui qui ne connaît aucun des deux perdra inéluctablement toutes les batailles. Une juste idée de l’autre — en l’occurrence le djihadisme — exige de dépasser la réaction d’eroi que provoque le terrorisme pour pénétrer l’univers mental dans lequel il opère. L’intelligence de soi suppose, elle, que l’on examine le rapport que nous entretenons aujourd’hui avec la sécurité, la liberté et l’usage légitime de la violence, à la lumière de l’expérience passée. C’est pourquoi je consacrerai les premiers développements de ce livre à l’interrogation de ces « belligérants » — « eux » et « nous » — que tout semble opposer. L’opposition idéologique des deux camps ne se traduit pas par le cantonnement physique ou géographique des ennemis, comme au temps des guerres interétatiques où chacun stationnait de part et d’autre d’une frontière. Diuse, éparse, insaisissable, la menace terroriste angoisse, tant elle paraît proche, voisine, intime : elle révèle une réelle vulnérabilité de nos pays. Les États, dotés d’armées puissantes, d’institutions solides et de sociétés habitées par des valeurs séculaires, se trouvent néanmoins gravement déstabilisés par une poignée de djihadistes déterminés. En dépit de postures martiales, commentateurs, experts, écrivains et responsables politiques donnent parfois libre cours à des discours qui exhalent un parfum de « n de quelque chose ». Dans cette rhétorique, l’État moderne, né à l’issue des guerres de Religion du XVIe siècle, fait gure de colosse aux pieds d’argile à l’heure même où réapparaissent, un peu partout, des gens prêts à lui porter atteinte en se sacriant au nom de leur foi. Notre mondialisation, paradoxalement, ore la possibilité à un mouvement archaïque d’en tirer bénéce en agissant, pour ainsi dire, à l’échelle mondiale. Comme si la postmodernité fournissait à la prémodernité un terrain favorable où celle-ci pourrait s’épanouir. Si les djihadistes cherchent à s’emparer des âmes avant de conquérir des territoires, c’est aussi peut-être que la mondialisation et les nouvelles technologies, qui ont aboli les frontières et les distances, le permettent et même le favorisent. Pour contrer la menace terroriste, faut-il comme certains le voudraient en entonnant une partition un peu nostalgique, que les pays occidentaux retrouvent ce qui a fait leur force d’antan — leur souveraineté, leurs frontières, leur erté nationale ? Faut-il, au contraire, en achevant la marche de la mondialisation, entrer dans une ère quasi post-étatique susceptible de forger les nouvelles armes conceptuelles et les outils juridiques inédits qui permettront de défendre dignement, contre les djihadistes, les valeurs universelles de la démocratie et de la liberté ? On devra évaluer les termes de cette alternative à l’aune de leur ecacité — le déclin eectif du terrorisme — et des sacrices — le recul de certains droits fondamentaux — qu’il faudra sans doute consentir pour y parvenir. Ce livre pose, in ne, la question des choix, cruciaux et angoissants, que nous aurons à faire entre une voie sécuritaire, au prix de certaines libertés, et une orientation plus libérale qui expose au risque de nouvelles attaques. Les djihadistes « mondialisés » ont ceci d’original qu’ils sont prêts à mourir et à tuer, non pour des idées ou un territoire, mais au nom de leur foi. Le phénomène est d’autant plus frappant qu’on le croyait disparu de nos parages. Il me faut donc essayer de pénétrer le ressort de ce type de terrorisme où la religion, la quête d’éternité, la volonté inébranlable de tuer et de mourir se nouent intimement. L’exploration de notre propre passé, que je propose ici, peut aider à comprendre, je l’espère, un tel phénomène. La peur de la mort que nous éprouvons aujourd’hui n’a pas toujours existé, en tout cas pas dans les mêmes termes. En d’autres temps, la grande question était non la mort elle-même, mais la manière de mourir. On peut retrouver, dans l’idéologie antique de la « belle mort », la source d’un héroïsme occidental, païen, qui permet de se familiariser avec l’aspiration à la gloire éternelle ; notion centrale si l’on veut percer ce que nous regardons comme un mystère, le fait que des jeunes, dans la force de l’âge, préfèrent la mort à la vie. On peut également tourner des pages de l’histoire médiévale, tant dans la chrétienté qu’en terres d’islam, pour saisir l’étrange certitude de ceux qui meurent en martyrs d’obtenir la vie éternelle. Une telle conviction avait non seulement persuadé la chrétienté du bien-fondé des croisades, mais encore déterminé des milliers de dèles, de tous les horizons, à aller délivrer les lieux saints au péril de leur vie. Il fallut que des théologiens construisent une doctrine permettant ensuite aux prédicateurs d’assurer l’accès au paradis à ceux qui risqueraient leur vie comme à ceux qui tueraient au nom de Dieu. Le souvenir des croisades est un repère fondamental pour les djihadistes d’aujourd’hui, eux qui ne cessent de se référer aux oulémas de cette époque : ils y puisent leur doctrine du djihad et les justications des attentats qu’ils commettent en Occident. La logique de « guerre sainte » ou de « guerre eschatologique », nous-mêmes l’avons encore connue au XVIe siècle : elle opposait cette fois des chrétiens entre eux. Il faut se remémorer les guerres de Religion pour en pénétrer les ressorts, en pleine Renaissance, époque, pourtant, au cours de laquelle on entendait se détourner d’un certain obscurantisme médiéval. Cette interminable hécatombe, qui se prolongera en Europe jusqu’au milieu du XVIIe siècle, doit nous intéresser surtout par la manière dont nous en sommes sortis : la prévalence de l’idée, chez les catholiques comme chez les protestants, que tuer pour Dieu n’en était pas moins un homicide et que mourir pour Dieu ne garantissait pas nécessairement la vie éternelle. Ce chaos religieux eut des conséquences institutionnelles : il permit l’émergence de l’État moderne, de ses institutions, de ses lois, d’un pouvoir légitime chargé de garantir à chacun la sécurité qui le préserve de la mort violente et lui laisse le choix de sa foi, pourvu qu’elle soit vécue paciquement. Un retour sur la genèse de l’État dans sa conguration moderne est indispensable si l’on mesure que c’est cette forme politique qui est attaquée par les djihadistes : s’en prennent-ils à un malade qui peut guérir ou à un vieillard promis à une n prochaine ? Le diagnostic dépendra de ce que l’on regardera comme ses organes vitaux : ses institutions, sa capacité à préserver la vie des citoyens, son aptitude à garantir leurs libertés... Il est vrai que l’État a bien changé entre l’époque du pouvoir absolu, de la raison d’État, de l’arbitraire du prince et celle, issue du XVIIIe siècle, de la démocratie représentative, de la sécurité juridique, des droits de l’homme. Cette évolution l’a-t-il aaibli au point qu’il faille, pour faire face à ses nouveaux ennemis djihadistes, renoncer à certaines libertés garanties aux citoyens pour lui rendre la vigueur de sa prime jeunesse ? Il nous faudra y répondre également. Explorer aussi les diérentes manières de faire la guerre, qui ont beaucoup évolué. Avant l’irruption du terrorisme de masse, les États modernes n’avaient pas été sans ennemis. Jusqu’à la n du XXe siècle en Europe, ils s’arontaient entre eux. Ils se reconnaissaient les uns les autres comme de « justes ennemis », dont le recours à la force se justiait quand la diplomatie avait échoué. Entre alter ego toutefois, la guerre devait être réglée, loyale, « civilisée », conforme au « droit des gens » moderne (jus gentium), une nouvelle branche du droit, aranchie de la théologie et de la morale, aujourd’hui appelée droit des conits armés ou droit international humanitaire. Ces lois de la guerre reposent sur la distinction cardinale entre le combattant et le non-combattant, de même que sur l’impératif de loyauté entre belligérants. Or elles se trouvent soudain balayées par la manière de « lutter » adoptée par les terroristes. Ces derniers sont-ils des délinquants relevant du droit pénal propre à chaque État, ou des combattants ressortissant au droit international des conits armés ? D’aucuns sont tentés de les considérer comme des ennemis absolus ne méritant ni les ménagements que l’on doit à tout criminel ni les égards accordés aux « justes ennemis » des armées conventionnelles. Les sécurisantes catégories juridiques modernes — qui reposent depuis la Seconde Guerre mondiale sur le socle robuste des droits fondamentaux — sont aujourd’hui mises à mal de deux façons : par la prolifération de volontaires qui « font le djihad » de par le monde, mais encore — mutatis mutandis — par le puissant mouvement de la mondialisation, qui contribue à l’aaiblissement des États depuis la n du XXe siècle. Il me faudra donc dépeindre ce monde global qui ignore les territoires, les frontières, les distances et, à certains égards, la notion de souveraineté nationale, et qui se répand par les réseaux sociaux, les entreprises multinationales, les organisations non gouvernementales. On touchera de plus près les raisons pour lesquelles le terrorisme djihadiste commet ses forfaits tout à son aise dans ce monde mondialisé, lui qui ne connaît pas non plus de territoire propre, de distance, de frontières — pas même entre l’ici- bas et l’Au-delà. S’impose alors cette curieuse évidence : alors que l’on n’entend plus de bruits de bottes aux conns des États, nul ne se sent véritablement en sécurité : « Pas de menaces aux frontières, pas de frontières aux menaces », assènent de nombreux spécialistes de la défense. Les djihadistes ont réussi à faire douter de la capacité des États à « protéger ». Il se trouve qu’ils livrent une guerre sans merci à la France, plus qu’à tout autre pays européen. Nous sommes en première ligne pour des raisons historiques qui nous désignent comme une cible privilégiée. Cette guerre voit s’aronter deux ennemis que tout oppose, non seulement quant à la capacité militaire, mais surtout sur le plan politique et culturel. La France est parvenue, non sans mal, depuis 1905, à isoler la politique de la religion ; le djihadisme réduit la politique à l’impératif religieux. L’une réunit des citoyens, l’autre des dèles. L’une se déploie sur un territoire, l’autre se veut mondial. L’une a inventé l’idée des frontières « naturelles » entre États, l’autre les ignore. L’une ne connaît que l’ici-bas, l’autre se prévaut de l’Au-delà. Je me concentrerai le plus souvent sur la France, où l’histoire de l’État se confond avec celle de l’unité nationale ; car notre pays représente un ennemi de premier choix pour les djihadistes, qui exècrent « sa » laïcité. Le peuple français serait exposé, à lire certaines voix pessimistes, à une nouvelle guerre de religion parce que son unité profonde serait inséparable de la supériorité du lien politique sur l’attachement religieux. On comprendra pourquoi un détour par l’histoire de l’État en France ore un moyen privilégié pour pénétrer les spécicités de la lutte policière et militaire contre le terrorisme ; et dresser le rempart culturel contre le djihadisme. Cette guerre place en eet les États modernes à la croisée des chemins, entre retour aux sources de la modernité et poursuite de la mondialisation. L’heure de vérité a sonné : elle nous oblige à interroger ce que sont devenus, et ce que peuvent, les pouvoirs de l’État.

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