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Georges Besnier (1879-1961) Un archiviste dans le siècle Nathalie Vidal p. 169-176 Plan détaillé Texte intégral Tout archiviste est l’homme d’une époque et d’un lieu. Et sans aucun doute, de tous les archivistes qui ont œuvré dans notre région, Georges Besnier est-il l’un de ceux qui méritent le...

Georges Besnier (1879-1961) Un archiviste dans le siècle Nathalie Vidal p. 169-176 Plan détaillé Texte intégral Tout archiviste est l’homme d’une époque et d’un lieu. Et sans aucun doute, de tous les archivistes qui ont œuvré dans notre région, Georges Besnier est-il l’un de ceux qui méritent le plus le titre d’« archiviste de l’Europe du Nord-Ouest ». Rien ne disposait pourtant ce Breton à devenir non seulement un Arrageois d’adoption, mais une personnalité locale, au point qu’aujourd’hui une avenue d’Arras porte son nom. Homme d’un lieu, Besnier est surtout l’homme d’un temps, de ce temps des deux guerres mondiales qui a marqué si tragiquement et si fortement notre région. Du fonctionnaire errant dans les ruines d’Arras dévastée, cherchant les archives perdues des villages détruits, au secrétaire général de la mairie d’Arras envahie et au Résistant arrêté par les Allemands, il aura incarné fortement les malheurs du temps, sans se départir cependant d’une profonde et inébranlable foi en l’homme. Pour autant, fit-il œuvre d’archiviste ? Peut-être pas, en tout cas moins qu’on ait pu le dire. Si sa notice nécrologique fait de lui, sans doute de manière abusive, l’inventeur du répertoire numérique1, elle n’évoque pas de travaux archivistiques majeurs après son arrivée dans le Pas- de-Calais. Là, il exerça de très nombreuses fonctions ; là, il eut de très grandes responsabilités, administratives, politiques et humaines – sans doute les plus importantes à ses yeux ; là, il mit sa science et son cœur au service des autres, érudits et archivistes des départements voisins. Il y contribua aussi, à sa manière, modeste et discrète, mais aussi profondément moderne, à la réflexion archivistique. Les origines Né le 6 septembre 1879 à Saint-Servan (Ille-et-Vilaine), Georges Besnier est issu de la bourgeoisie moyenne : son père deviendra, quelques années après sa naissance, directeur d’une succursale de la Banque de France. La famille est animée d’une foi profonde et, marqué par ses études au collège Stanislas, bastion parisien du Sillon, le jeune Georges est très tôt attiré par le catholicisme social, dont il ne cessera de professer les idées libérales et humanistes. De sa scolarité à l’École des chartes, on sait peu, sinon qu’il consacre sa thèse à « Lally- Tollendal et la perte de l’Inde ». Promu archiviste paléographe, il commence, selon l’usage de l’époque, par exercer l’intérim de la direction des archives de la Meuse, du 1er juin au 31 octobre 1900. Dès lors, et jusqu’au premier conflit mondial, il dirige des dépôts normands : d’abord, de 1902 à 1906, les archives de l’Eure, puis, à partir de 1906, les archives du Calvados. Dans ces deux postes, il réalise une œuvre archivistique importante, consacrée en particulier au traitement et à l’exploitation des fonds communaux et des archives révolutionnaires (série L) et, surtout, à la collecte des archives privées. Dans ce domaine aussi, il saura s’illustrer dans le Pas-de-Calais, présidant à l’entrée de fonds remarquables, qui font aujourd’hui encore la richesse du dépôt. C’est de sa période normande que daterait également l’invention du répertoire numérique. Il est bien sûr difficile d’évaluer ce que ce type d’inventaire doit réellement au futur archiviste du Pas-de-Calais. Peut-être ne s’agit-il là encore que d’un élément de la véritable « légende dorée » qui s’est peu à peu construite autour de sa personne. Mais il est vrai que cet instrument de recherche, très peu détaillé mais très efficace, convenait indiscutablement mieux à la personnalité de Georges Besnier que le très précis inventaire sommaire, alors en usage dans les archives françaises ! À Évreux, puis à Caen, Georges Besnier excelle dans l’animation des sociétés savantes. Comme plus tard à l’académie d’Arras et à la commission départementale d’histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, il joue un rôle de tout premier plan au comité départemental du Calvados pour l’histoire de la Révolution française. Dans le même temps, il crée un bulletin des sociétés savantes, qui ambitionne de coordonner l’activité des associations normandes. L’arrivée dans le Pas-de-Calais À la veille de la première guerre mondiale, Georges Besnier est un archiviste de renom. Et c’est semble-t-il à la surprise générale qu’en 1919, il sollicite son affectation dans le Pas-de- Calais. Au point que le directeur des Archives de France éprouve en 1920 le besoin de « signaler le dévouement au bien public de M. Besnier qui, archiviste du Calvados et considéré comme l’un des premiers de sa profession, s’est offert spontanément pour le poste le plus difficile qui fût à pourvoir, celui du Pas-de-Calais »2. Indiscutablement, la Grande Guerre marque un tournant dans la vie de Georges Besnier. Parce qu’il y sert, au front, du 24 mars 1915 au 11 novembre 19183 - des citations militaires attestent d’ailleurs la réalité de cet engagement. Parce que, surtout, il y perd un frère et un condisciple de l’École des chartes, Pierre Flament, archiviste du Pas-de-Calais justement, tué devant Verdun le 3 août 1916. Il y a incontestablement du dévouement dans ce choix du Pas-de-Calais. Car Georges Besnier le sait, « le département du Pas-de-Calais est, de tous les départements envahis, celui où les archives ont le plus souffert, le seul où le dépôt départemental ait été gravement éprouvé ; les travaux indispensables de réinstallation y seront plus laborieux et plus pénibles que partout ailleurs »4. Et c’est ce dévouement, sans aucun doute, qui explique que, loin de se contenter de son rôle d’archiviste, Georges Besnier deviendra, dans l’Arras dévastée où, dans les premiers temps du moins, il est l’un des rares fonctionnaires en poste5, une sorte d’homme à tout faire de l’administration, un chef de service indispensable au service de ses concitoyens. Tant de fonctions pour un seul homme… Des très nombreuses tâches qui mobilisèrent Georges Besnier, de son arrivée dans le Pas-de- Calais en 1919 à son départ à la retraite en 1949 (ou faut-il dire à sa mort en 1961 ?), beaucoup, il est vrai, sont liées aux circonstances particulières dans lesquelles le nouvel archiviste du Pas-de-Calais prit son poste. Comme tant d’autres en son temps, Georges Besnier dirigea la bibliothèque et les archives municipales d’Arras ; il fut aussi un actif, mais parfois controversé6, conservateur des antiquités et objets d’art, du Pas-de-Calais dès 1927, puis également, à partir de 1935, de la Somme. Mais il ne se contenta pas de ces habituelles fonctions satellites de l’archiviste du début du XXe siècle. Peu après son arrivée, on le nomme chef du service d’apurement des comptes de guerre des communes envahies. Ce service, l’un des nombreux créés dans les régions libérées pour solder les dommages de guerre, devait évaluer les dépenses engagées par les communes pendant l’Occupation, pour répondre aux exigences des Allemands ou suppléer l’État français et les autres collectivités, incapables de faire face à leurs obligations envers des communes dont elles étaient séparées par la ligne de front. Il s’agissait en outre de remplir les engagements pris pendant la guerre par ces communes, qui avaient souvent été contraintes d’emprunter, d’émettre des bons de monnaie ou de contracter des dettes auprès du Comité d’alimentation du nord de la France, chargé d’assurer la subsistance des populations envahies. Rien de commun donc entre ce travail, fait de rigoureuses et répétitives tâches comptables, et celui de l’archiviste - même si, pour remplir son rôle, le service d’apurement des comptes de guerre dut accumuler de nombreuses pièces justificatives, qui font aujourd’hui la richesse de ce fonds7. Dans ces fonctions d’ailleurs, Georges Besnier ne brilla pas8. Au grand dam de son supérieur hiérarchique, le receveur municipal de Lille, Paul Delporte, il oublie souvent les règles de la comptabilité publique pour tâcher de faire valoir les droits des créanciers privés avant ceux de l’État. Il se montre d’une grande négligence dans la tenue des rapports périodiques, utilise mal le registre d’ordre que Paul Delporte lui a imposé, rechigne à déléguer à plus compétent que lui des affaires techniques auxquelles il s’entend peu. Néanmoins, c’est à Georges Besnier que l’on pense quand, de 1929 à 1931, le poste de chef de la 4e division de la préfecture doit être pourvu par intérim. Les attributions de ce service, chargé des questions d’assistance et d’hygiène publiques, convinrent sans doute mieux à ce grand cœur, qui, si l’on en croit la série X des archives départementales du Pas-de-Calais, s’ingénia là encore surtout à soulager la misère humaine. « Il suffit d’être la complaisance personnifiée pour être importuné par tous », résume on ne peut mieux l’une de ses correspondantes9. Que faut-il penser du nombre de ces fonctions ? Les biographies d’archivistes de l’entre-deux- guerres manquent, qui permettraient de replacer le rôle de Georges Besnier dans son contexte. Il est indéniable que l’administration du Pas-de-Calais est alors en piteux état ; Georges Besnier se trouve au bon endroit au bon moment ; c’est un fonctionnaire de haut niveau et expérimenté. On peut sans doute avancer la même explication à sa nomination, en pleine débâcle, comme secrétaire général de la mairie d’Arras : « seul fonctionnaire français qui soit resté à Arras après le 22 mai 1940 », Georges Besnier s’est naturellement vu confier une fonction qu’il était seul à pouvoir assurer10. Plus étonnante sans doute est la place occupée par Georges Besnier dans la société arrageoise de son temps. Bien sûr, comme nombre d’archivistes, il joua un rôle majeur au sein des plus importantes sociétés savantes locales. Fidèle à ses principes, il n’y occupa cependant que des fonctions subalternes, échangeant même son poste de vice-président pour celui, plus discret, de bibliothécaire-archiviste ! Mais, surtout, il eut un rôle politique important, dans la droite ligne de ses profondes convictions personnelles. Dans les années trente, il est encore tenu au devoir de réserve par ses fonctions publiques et on ne peut qu’imaginer sa silhouette dans l’ombre, éminence grise du tout jeune Parti démocrate populaire emmené par son ami l’avocat Philippe Gerber11. Au lendemain de la Libération, alors que les épreuves vécues pendant l’Occupation ont encore ajouté à son prestige, il adhère à la Jeune République, puis au Mouvement républicain populaire. À partir de 1947, il prend une part importante dans les affaires municipales. On l’y trouve mêlé aux relations tumultueuses qui, à la mairie d’Arras, opposent le MRP et la SFIO. Sans ambiguïté, il penche pour un rapprochement avec les partis de gauche. Il n’a sans doute démissionné de son mandat de conseiller municipal en 1947 que par fidélité à Philippe Gerber12. Car, dès cette époque, il déplore que les électeurs du MRP se tournent vers « les partis de réaction sociale, avec la légèreté traditionnelle qui, depuis la Révolution de 1789, a jeté les catholiques français à la remorque des ambitions et des égoïsmes des anciennes classes possédantes et leur a fait payer les principales rançons des défaites successives de ces classes », rappelant que « le devoir des Français est d’apaiser leurs querelles fratricides, de relever le pays par leur effort commun et d’alléger au plus tôt les sacrifices et les épreuves de la population ouvrière de nos villes »13. Il demeurera fidèle à cette ligne de conduite - qui le conduira, en 1959, devant la commission de discipline du parti pour avoir rejoint Guy Mollet au deuxième tour de l’élection municipale. Malgré une ligne de défense assez agressive (« L’effort socialiste pour abandonner son vieil anticléricalisme doit nous amener à un effort correspondant pour nous rapprocher de son idéal de justice sociale, qui n’est assurément pas celui de ces messieurs de la bourgeoisie commerçante, actuellement UNR après toutes les appellations dont elle a si maladroitement masqué son invariable immobilisme depuis 1789 jusqu’à nos jours »14), il est acquitté et reste conseiller municipal jusqu’à sa mort accidentelle en 1961. Un archiviste ? Parmi ces Georges Besnier, où trouver l’archiviste ? La dispersion des sources n’aide pas, qui témoigne éloquemment des conditions et des méthodes de travail du chef de service. La série J, pourtant vouée à recevoir ses seules archives privées, contient également de très nombreuses archives publiques, documents arrachés aux autres séries (notamment la série L) au gré de ses travaux d’érudition, menés le plus souvent pour les autres. Dans les autres séries (T pour les archives, R pour le service d’apurement des comptes de guerre, X pour la 4e division de la préfecture), règne un prodigieux désordre : Georges Besnier travaille sur trois dossiers à la fois, jette fébrilement, sur le premier papier à en- tête qu’il rencontre, des notes au crayon, oublie finalement de reclasser les dossiers… Sans aucun doute pourtant, Georges Besnier a contribué à l’archivistique de son temps. Comme tant d’archivistes bien sûr, il a soutenu et aidé la recherche historique. Mais il a surtout eu un rôle majeur de conseil auprès des archivistes des régions libérées. Il n’a malheureusement pas été possible de trouver trace, hors des archives départementales du Pas- de-Calais15, de la conférence des archivistes des régions libérées, qui, à l’initiative du directeur des Archives de France, réunissait les chefs des services du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme, de l’Oise, de l’Aisne, des Ardennes, de la Marne, de la Meuse, de la Meurthe- et-Moselle et des Vosges. Georges Besnier y est manifestement écouté. S’opposant à ceux qui, autour de l’archiviste des Ardennes, Jean Massiet du Biest, plaident pour une reconstitution aussi large que possible des archives détruites, il propose une solution plus réaliste, limitant les travaux de copie aux documents utiles à l’administration : état civil postérieur à 1838 et cadastre. Il applique d’ailleurs ces principes dans ses fonctions de contrôleur du remploi des dommages de guerre accordés aux communes pour la destruction de leurs archives16. Il s’y montre très large, acceptant que les indemnités soient utilisées non seulement pour la « reconstitution des registres d’état civil, du cadastre, des plans des chemins et de toutes autres pièces manuscrites d’archives nécessaires à une bonne gestion », mais aussi pour de très nombreuses autres dépenses : « achat d’ouvrages administratifs et abonnements ; reliure ; confection d’armoires affectées à la conservation des archives ; achat de cartons, de chemises, de sangles, ficelle, étiquettes pour dossiers ; bibliothèque populaire et scolaire ; achat de registres, de papier pour la mairie, et, d’une manière générale, de fournitures ou d’imprimés utilisés pour l’établissement des dossiers qui seront ultérieurement déposés aux archives municipales »17. On peut certes voir là une vision moderne des archives : dans l’esprit de Georges Besnier, il est tout aussi pertinent de s’employer à améliorer la production et la conservation des archives courantes que de recopier à grands frais les originaux encore détenus par les archives départementales ou nationales. Pour lui, le rôle essentiel des archives est d’assurer le bon fonctionnement de l’administration. Il entend ainsi faire des archives départementales « une sorte de bureau d’information de la préfecture »18, renonçant même pour cela à installer le dépôt reconstruit dans le prestigieux Palais Saint-Vaast, où il se trouvait jusque-là : « Il est fort incommode pour la préfecture d’avoir ce service à plus de 800 mètres de ses bureaux », note- t-il dès 1920. Et l’aspect même du nouveau bâtiment témoigne d’une modernité que certains admettent difficilement. L’archiviste des Basses-Pyrénées a ainsi ce commentaire sévère : « Votre plan a un aspect très américain qui défriserait les gens d’ici ; d’aspect, cela pourrait être une minoterie aussi bien qu’un dépôt d’archives ; [...] votre architecte paraît s’être soucié de l’esthétique comme de colin-tampon »19. Il n’est pas possible de déterminer le rôle qu’a pu jouer Georges Besnier dans des choix esthétiques qui dépendaient essentiellement de l’architecte départemental Paul Decaux, mais c’est bien l’archiviste qui a défini le programme de construction, avec un véritable luxe de détails20 : surface des bureaux (volontairement petits) et de la « salle des employés et du public », largeur et hauteur des tablettes (« étages à hauteur d’homme pour éviter les échelles, [sources d’]incommodité [et de] perte de temps »), emplacement des passages, matériaux utilisés (« ciment, charpente métallique, menuiserie réduite au minimum ») Georges Besnier a tout prévu - et dessiné -, allant jusqu’à imaginer l’installation d’un système de « wagonnets [montés] sur [de] petits rails » et d’un monte- charge de grande capacité. Georges Besnier apparaît par la suite comme un infatigable négociateur, qui ne ménage pas sa peine pour parvenir à concilier les points de vue de Paul Decaux et de l’intransigeant inspecteur général des Archives, Alexandre Vidier. Et le bâtiment que découvre son éphémère successeur, René Bargeton21, est bien à l’image de son concepteur : « Bien que [le dépôt] soit occupé depuis plus de vingt ans, les boiseries n’ont reçu que la couche d’impression primitive, les murs et plafonds ne sont recouverts d’aucune peinture, les fers portent des traces de rouille. Les parquets des bureaux ont besoin d’être révisés. Des lamelles s’en détachent. Dans les dépôts, il y aurait lieu d’envisager la pose d’une couche de terrasolith en dessus du ciment afin d’éviter la poussière qui s’en dégage. L’installation électrique est absolument insuffisante ; la pose de lampes incandescentes et la suppression de toutes les petites ampoules s’imposent d’urgence. Enfin, le mobilier des bureaux (tables, chaises…) est rudimentaire et aurait grand besoin d’être remplacé par un autre plus moderne et plus propre. Je n’ai dans mon cabinet, comme bureau, qu’une vulgaire table de cuisine et pas le moindre meuble fermant à clef » ! ! !22. Ce dépôt dégradé, Georges Besnier l’a cependant rempli de documents. Il a été à l’origine, nous l’avons vu, de l’entrée de fonds privés de très grande importance : chartriers de Rosamel, du Carieul, de Labuissière, papiers et bibliothèque Rodière, archives diocésaines déposées par son ami Mgr Julien. Dans le domaine des archives publiques, la collecte est apparemment moins riche, à une époque pourtant où des instructions ministérielles auraient dû favoriser les versements des juridictions et des établissements scolaires. Cependant, dans ce secteur encore, la marque de Georges Besnier est évidente : il a su obtenir le versement, semble-t-il exhaustif, des archives des services de la Reconstitution, donnant ainsi aux archives départementales du Pas-de-Calais une orientation résolument contemporaine et les enrichissant de ce qui constitue aujourd’hui une source fondamentale pour l’histoire économique et sociale des années qui ont précédé et suivi la première guerre mondiale. En septembre 1940, agacé par le retard mis par Georges Besnier à lui répondre, Roger Rodière adresse à Georges Besnier cette lettre cruelle23 : « Les amis atrébates à qui je demande d’aller vous parler me disent que vous êtes inabordable et que vous les enverrez à tous les diables. [...] Pour vous livrer à vos bonnes œuvres de surérogation, vous négligez complètement, et de manière gravissime, vos obligations personnelles et vos devoirs d’État. [...] Jusqu’à nouvel ordre, vous n’êtes pas chargé de panser les plaies de l’humanité souffrante. Vous êtes archiviste et bibliothécaire et conservateur des antiquités et objets d’art ; vous ne devez pas vous désintéresser du dépôt précieux dont vous avez la garde et qui, à mes yeux, vaut plus que beaucoup de vies humaines. Votre métier ne vous intéresse pas ? Votre dépôt vous indiffère ? Alors démissionnez et faites envoyer à Arras un archiviste jeune, actif et dévoué, qui fasse la besogne urgente et nécessaire [...] que vous ne faites pas. Alors – mais alors seulement [...] – vous aurez le droit, si le cœur vous en dit, de vous consacrer au soulagement de tous les pauvres diables et des malheureux qui seuls vous intéressent et vous passionnent ». Nul doute qu’il n’y ait quelque fondement à ces critiques. Dans le Pas-de-Calais du moins, Georges Besnier ne fut pas l’archiviste irréprochable qu’on a trop complaisamment décrit. Il restera cependant comme l’exemple rare d’un archiviste dévoué à son temps - au-delà du raisonnable, dira-t-on peut-être à l’exemple de Roger Rodière. Mais c’est bien à cet engagement dans le siècle qu’on doit la modernité de sa pensée archivistique : c’est parce qu’il était d’abord un fonctionnaire polyvalent qu’il a su voir dans les archives ce que nombre d’archivistes n’imagineront que deux ou trois décennies plus tard ; grâce à cet engagement qu’il a pu comprendre, dès les années trente, l’intérêt historique des fonds des services de la Reconstruction ; grâce à cet engagement, sans doute, que son nom mérite de rester au-delà même du cercle restreint des archivistes. Notes de bas de page 1 Notice nécrologique par Marcel Baudot, Bibliothèque de l’École des chartes, t. CXIX, 1961, p. 363- 367. 2 « Rapport sur le service des archives du 1er mai 1919 au 1er mai 1920 », Journal officiel, 28 mai 1920, p. 7826-7828. 3 Il est mobilisé pendant toute la durée du conflit, du 2 août 1914 au 5 mars 1919. 4 « Rapport sur le service des archives... », op. cit. 5 Repliée à Boulogne-sur-Mer pendant la guerre, la préfecture n’a pas encore regagné Arras lorsque Georges Besnier y prend ses fonctions. 6 Roger Rodière, érudit montreuillois très actif dans l’entre-deux-guerres, s’oppose notamment à sa tolérance à l’égard des architectes chargés de la reconstruction, et en particulier de Cordonnier, auteur du projet de Reconstitution de la Grand-Place de Béthune : « Les architectes d’aujourd’hui sont de vrais malfaiteurs quand ils se permettent de faire œuvre personnelle en rétablissant un monument du passé. Je n’admettrai jamais que la restitution intégrale [...]. C’est votre droit de penser autrement » (lettre de R. Rodière à G. Besnier, 15 juillet 1927, Arch. dép. Pas-de-Calais, T 776). 7 Arch. dép. Pas-de-Calais, 10 R 3, ce fonds est pourvu d’un répertoire numérique détaillé. 8 Arch. dép. Pas-de-Calais, 10 R 3/300 et 301 : correspondance entre Paul Delporte et Georges Besnier, suite ininterrompue de reproches adressés au second par le premier. 9 Arch. dép. Pas-de-Calais, 61 J non coté : lettre de Mlle Delamaire, 6 août 1930. 10 C’est du moins l’explication qui est donnée par son ami Philippe Gerber dans une lettre au Kreikskommandant le 22 juillet 1943 (Arch. dép. Pas-de-Calais, 61 J 13). 11 Cette hypothèse, soutenue par Lionel Crutel, auteur en 1997 d’un mémoire de maîtrise intitulé : Le Parti démocrate populaire dans le Pas-de-Calais (1926-1940), est étayée par des documents conservés aux archives départementales du Pas-de-Calais, sous la cote M 7125 : on y trouve des rapports internes au PDP et des décomptes de voix rédigés de la main de Georges Besnier. 12 Il démissionne également pour protester contre l’alliance entre la SFIO et le MRP imposée par Jules Catoire. 13 Arch. dép. Pas-de-Calais, 61 J 17 : projet de tract de la main de Georges Besnier,. 14 Arch. dép. Pas-de-Calais, 61 J 17 : lettre de Besnier à ses amis du MRP, 7 mai 1959. 15 Où l’on trouve trace des seules réunions des 25 janvier et 7 juillet 1920. 16 En principe, l’octroi de dommages de guerre pour les immeubles et meubles reconstituables était subordonné à leur remplacement à l’identique, sous peine d’annulation de l’indemnité. 17 Arch. dép. Pas-de-Calais, T 768 : modèle de réponse à un maire. 18 Arch. dép. Pas-de-Calais, B 4996 : Rapport de l’archiviste départemental pour l’année 1919-1920, dactyl. 19 Arch. dép. Pas-de-Calais, N 920 : lettre à Georges Besnier, 25 mars 1923. 20 Arch. dép. Pas-de-Calais, N 919. 21 René Bargeton succède à Georges Besnier en 1943. Appelé à d’autres fonctions à la Libération, il cède alors à nouveau sa place à Besnier, qui ne prend sa retraite qu’en 1949. 22 Procès-verbaux de délibérations du conseil général du Pas-de-Calais, 2e session de 1943, p. 6-9. 23 Arch. dép. Pas-de-Calais, T 776.

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