Droit civil - L1 S1 - Séance du 5 décembre 2024 - PDF
Document Details
Philippe Mouron
Tags
Summary
Ce document présente le cours de droit civil pour la Licence 1ère année S1, séance du 5 décembre 2024. Il explore la notion de personne, couvrant l'évolution de la notion de personne, la définition positive et négative de la personne juridique, le statut des animaux, les robots et l'intelligence artificielle avec des références au Parlement européen.
Full Transcript
Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 Droit civil – Les personnes RAPPEL DU PLAN Introduction - Présen...
Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 Droit civil – Les personnes RAPPEL DU PLAN Introduction - Présentation du cours de droit civil - La notion de personne § 1. La définition positive de la personne juridique A. L’évolution de la notion de personne 1) La conception abstraite : une dissociation originelle entre l’existence physique et l’existence juridique de la personne 2) Le développement d’une conception humaniste de la personne 3) L’évolution vers une conception subjectiviste de la personne B. La conception synthétique de la personne 1) Le maintien de la conception abstraite de la personne 2) La conception concrète de la personne § 2. La définition négative de la personne juridique A. Le statut des animaux - le statut des animaux avant 2015 - Le statut des animaux depuis 2015 B. Le robot / l’intelligence artificielle - Les robots, de la science-fiction à la réalité - La résolution du Parlement européen du 16 février 2017 1 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 C. L’enfant à naître - L’enfant à naître, une personne en devenir - L’enfant à naître, un « être » mais pas une personne D. Le cadavre - Les effets des droits du défunt après la mort - Le respect dû aux morts Ouverture – Les données personnelles, à la frontière entre les personnes et les choses Contenu et objectifs du cours / annonce de plan 1ère Partie – La personnalité juridique des personnes physiques Section 1 – L’acquisition et la perte de la personnalité juridique § 1. L’acquisition de la personnalité juridique par la naissance A. Le contenu de l’acte de naissance B. L’accouchement sous X § 2. La perte de la personnalité juridique par la mort A. Le constat de la mort B. Les difficultés propres au constat de la mort § 3. L’absence et la disparition A. Le régime de l’absence B. Le régime de la disparition 2 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 Section 2 – L’état des personnes physiques § 1. La notion et les caractéristiques de l’état des personnes A. L’état des personnes : un ensemble d’éléments d’identification B. Le régime juridique de l’état des personnes §2. Les différents éléments de l’état des personnes A. Le nom 1) Les éléments du nom 2) Les règles d’attribution et de modification du nom 3) La nature et le régime juridiques du nom B. Le sexe / genre de la personne 1) Le sexe biologique 2) Les conséquences attachées au changement de sexe de la personne C. Le domicile 1) Définition du domicile 2) La détermination du domicile 3) Les fonctions du domicile 2ème partie – Les droits de la personnalité reconnus à la personne physique §1. Les droits relatifs à l’intégrité morale de la personne physique A. Le droit au respect de la vie privée 3 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 1) Le contenu du droit au respect de la vie privée 2) La liberté d’expression, limite au droit au respect de la vie privée B. Le droit à l’image 1) Le contenu du droit à l’image 2) La patrimonialisation du droit à l’image § 2 – Les droits relatifs à l’intégrité physique de la personne A Le respect du corps humain, corollaire du droit à la vie 1. Les principes protecteurs du corps humain a) L’inviolabilité du corps humain b) L’extra-patrimonialité du corps humain et de ses éléments c) L’indisponibilité du corps humain et de ses éléments Le principe d’indisponibilité du corps est naturellement corrélé aux deux précédents ; le terme d’indisponibilité doit être entendu dans son sens exclusivement juridique Il fait référence au droit de « disposer » (abusus en latin), qui est l’un des pouvoirs reconnus au titre du droit de propriété au sens de l’article 544 du Code civil ; le droit de disposer est celui de se séparer définitivement du bien dont on est propriétaire, mais aussi de le détruire ou de le modifier de façon substantielle Si ce pouvoir est reconnu à tout propriétaire, il ne peut par définition s’appliquer qu’aux choses ; s’agissant du corps humain, le principe d’indisponibilité signifie qu’aucun acte de disposition ne saurait être pratiqué sur celui-ci Le principe vaut pour les tiers (on ne dispose pas du corps d’autrui) comme pour la personne elle-même (on ne dispose pas de son propre corps) Si ce principe est souvent rattaché à celui d’extra-patrimonialité du corps humain, il s’en distingue toutefois car un acte de disposition peut être consenti à titre gratuit ; le principe d’indisponibilité du corps humain signifierait donc qu’il est interdit de traiter celui-ci comme une chose, que son usage par un tiers soit rémunéré ou gratuit Par ailleurs, il est à noter qu’aucun article du Code civil ne le consacre explicitement ; on peut certes le lire en filigrane de l’article 16-1, mais le terme n’y est pas employé, et l’on vient de voir que l’extra-patrimonialité et l’indisponibilité sont deux choses distinctes sur le plan juridique 4 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 Un principe essentiellement jurisprudentiel C’est la jurisprudence qui l’a dégagé à plusieurs reprises comme un principe fondamental, rattaché à celui de respect de la dignité humaine et à celui d’indisponibilité de l’état des personnes L’une des expressions les plus remarquables de ce principe est relative aux conventions de gestation pour autrui, considérée par certains comme une sorte de location du corps humain aux fins de procréation La 1ère chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 31 mai 1991, avait ainsi affirmé que « Vu les articles 6 et 1128 du Code civil, ensemble l'article 353 du même Code ; Attendu que, la convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l'abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain qu'à celui de l'indisponibilité de l'état des personnes. » Le principe de dignité humaine n’étant alors pas encore inscrit dans le Code civil, la Cour avait rappelé que le corps humain est une chose « hors commerce », au sens de l’article 1128 En conséquence de quoi, les juridictions, avec la validation de la Cour de cassation, ont longtemps refusé d’établir les liens de filiation entre les enfants conçus à l’étranger par GPA avec les parents commanditaires français, quel que soit le fondement invoqué (adoption,…) ; là encore, le principe d’indisponibilité était rattaché à celui d’extra- patrimonialité, et à l’interdiction de ce type de convention, telle qu’elle figure à l’article 16-7 du Code civil GPA et filiation La position initiale des juridictions, validée par la Cour de cassation, a été de refuser l’établissement du lien de filiation entre l’enfant né à l’étranger d’une convention de mère porteuse et les parents commanditaires, quel que soit le moyen invoqué Voir not. les deux arrêts de la 1ère chambre civile de Cour de cassation du 9 décembre 2003 (adoption) et du 6 avril 2011 (possession d’état) ; selon la Cour, la nullité absolue de la convention de mère porteuse ne saurait produire des effets sur l’état de la personne, au nom même du principe d’indisponibilité Les choses ont finalement évolué ces dernières années ; bien que la GPA reste illégale en France, le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant a conduit à ce que le lien de filiation soit finalement reconnu à l’égard des parents commanditaires français C’est ainsi que la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France pour cette pratique, estimant qu’elle était contraire au droit au respect de la vie privée des enfants, qui inclut leur vie familiale, et à leur intérêt supérieur (CEDH, 5ème Sect., 26 juin 2014, Mennesson c./ France, n° 65192/11) 5 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 La Cour de cassation, dans deux arrêts d’Assemblée plénière du 3 juillet 2015, a finalement admis que l’acte de naissance soit établi à l’égard du père et de la mère porteuse, ce qui correspond à la réalité biologique Cependant, le fait d’indiquer sur l’acte de naissance le nom de la mère d’intention reste prohibé, celle-ci n’étant pas la personne ayant effectivement accouché de l’enfant (Cass., 1ère ch. Civ., 5 juillet 2017, n° 16-50.025, 16-16.901, 15-28.597 et 16-16.495), l’adoption simple pouvant malgré tout être demandé par le conjoint du parent biologique dont l’enfant est né à l’étranger d’une convention de GPA Loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique Malgré le maintien de l’interdiction des opérations de GPA posé à l’article 16-7 du Code civil, le législateur a entendu entériner la jurisprudence précédente, toujours dans le sens d’une harmonisation relative des conditions d’établissement des liens de filiation, sans aller plus loin L’article 47 du Code civil dispose que les actes d’état civil concernant des personnes françaises dressés à l’étranger font foi, sauf à ce que des éléments externes ou d’autres actes laissent à penser qu’ils ont été falsifiés ; la réalité des faits qui y sont déclarés reste appréciée par la loi française Cet article ne fait que reprendre la jurisprudence à laquelle est parvenue la cour de cassation dans les décisions précitées, ce qui équivaut à une reconnaissance « minimale » des liens de filiation entre l’enfant né d’une GPA à l’étranger et ses parents Dernières évolutions La Cour de cassation a récemment précisé quels sont les éléments à prendre en compte au niveau des actes d’état civil dressés à l’étranger pour accepter leur transcription en droit français, spécialement dans les cas où il y a eu recours à une GPA Dans deux arrêts du 2 octobre 2024, la 1ère Chambre civile a statué sur les conditions permettant d’obtenir en France l’exequatur d’une décision judiciaire étrangère reconnaissant un lien de filiation avec un enfant né d’une GPA Dans les deux cas, la Cour de cassation a rappelé dans quelles conditions l’exequatur peut être obtenu : s’assurer que la décision en cause n’ait pas été obtenue par fraude ; s’assurer qu’elle ne soit pas contraire à l’ordre public international reconnue par la France Or, l’une des deux affaires était problématique de ce point de vue, car le jugement (d’une juridiction canadienne) ne comportait pas certaines mentions, notamment la preuve que la mère porteuse et son conjoint avaient bien renoncé à leurs droits parentaux 6 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 Ce faisant, la Cour établit les critères à prendre en compte : - La décision doit être sans équivoque quant à la qualité des personnes concernées par la GPA - Leur consentement doit être établi clairement - L’identité et le consentement de la mère porteuse doivent aussi être établis, et notamment le fait qu’elle ait été informée des conséquences de la GPA sur la filiation La Cour souligne le sens de ces critères en évoquant les risques liés à la vulnérabilité des personnes concernées, à commencer par la mère porteuse, mais aussi la nécessité de respecter les droits des parents et de l’enfant tels qu’ils sont définis par la Convention européenne des droits de l’Homme et la Convention relative aux droits de l’enfant Aussi, la Cour rejette le pourvoi du couple ayant demandé la reconnaissance du lien de filiation établi au Canada Dans l’autre affaire, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel ayant reconnu la validité d’une décision prononcée par une juridiction californienne, mais seulement parce que les effets d’une adoption plénière avaient été reconnus à ce jugement, alors qu’il avait été rendu sur le fondement d’une autre procédure ; cela ne remet pas en cause la reconnaissance du lien de filiation Plus récemment encore, le 14 novembre 2024, la 1ère Chambre civile a précisé ces critères dans l’hypothèse où le parent d’intention n’a absolument aucun lien biologique avec l’enfant né d’une GPA pratiquée à l’étranger Cette considération est sans effet sur la reconnaissance du lien de filiation établi à l’étranger, dès lors que le droit français reconnaît aussi des procédures de filiation sans lien biologique ; tel est le cas avec la PMA avec tiers donner En revanche, elle a réitéré le refus d’assimiler cette reconnaissance à une adoption Un principe à la portée relative Le principe d’indisponibilité du corps humain est mu par une logique paradoxale, opposant la conception objective à la conception subjective de la personne D’une part, il rappelle que le respect de la personne humaine passe au-dessus de tout, y compris du consentement de celle-ci à faire l’objet d’actes dégradants ; on rappellera ainsi que l’interdiction des spectacles de lancer de nains a pu être justifiée par le respect de la dignité humaine, le consentement des intéressés n’ayant nullement été considéré comme une excuse valable D’autre part, ce principe est concurrencé par les droits qui sont reconnus à la personne au titre de son intégrité morale ; parmi ceux-ci figure principalement le droit au respect de la vie 7 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 privée, qui se transforme de plus en plus en un droit à « être soi-même »… y compris en disposant de son corps Selon cette seconde conception, une place doit être laissée au consentement de la personne, tant qu’il s’agit pour elle de consentir à des actes qui la concernent seule et ne mettent pas en cause d’autres personnes La reconnaissance de la transidentité, lorsqu’elle s’accompagne d’un changement physique de la personne qui a changé de sexe, constitue une première limite à ce principe d’indisponibilité du corps humain, qui étend corrélativement le champ d’application du droit au respect de la vie privée On notera d’ailleurs qu’une loi interdisant les thérapies de conversion a été promulguée le 31 janvier 2022 ; ces prétendues thérapies ont pour objectif de réorienter sexuellement une personne transgenre pour la conformer à son sexe biologique de naissance Cette loi s’inscrit dans le courant visant à protéger le droit de la personne de disposer de son identité et par extension de son corps si elle le souhaite ; inversement, le fait de « forcer » une personne transgenre à revenir vers son sexe biologique de naissance peut être perçu comme une atteinte à l’intégrité morale de la personne, à son droit à la vie privée, et limiter par là même son droit à disposer de son corps La loi relative à l’interdiction des thérapies de conversion La loi du 31 janvier 2022 crée un nouveau délit visant à sanctionner les « pratiques, les comportements ou les propos répétés visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée, d’une personne et ayant pour effet une altération de sa santé physique ou mentale » (2 ans de prison et 30000 € d’amende) Les peines sont portées à 3 ans de prison et 45000€ d’amende si les thérapies ont été pratiquées sur une personne mineure, ou si une personne mineure y a assisté Le retrait de l’autorité parentale peut également être prononcé si la thérapie a été demandée par une personne disposant de celle-ci à l’égard du mineur sur qui elle a été pratiquée Ne sont pas concernées les pratiques « visant au libre développement ou à l’affirmation de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre d’une personne » et celles qui ont pour objectif le changement de sexe et tout service qui s’y rapporte L’objectif de ces dispositions est de garantir le plein exercice du droit au respect de la vie privée, et le droit à l’épanouissement personnel, sans discrimination en fonction de l’identité de genre Dans un autre registre, les opérations de chirurgie esthétique, ou encore les pratiques visant à modifier l’apparence du corps humain, telles que les tatouages ou les piercings, peuvent aussi être considérées comme des expressions de ce droit à disposer du corps, qui commence avec l’apparence physique 8 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 La place du consentement quant à la disposition du corps humain a pu être formalisée par la Cour européenne des droits de l’Homme à plusieurs reprises Selon la Cour, l’article 8 de la Convention, qui est relatif au droit à la vie privée, inclut un droit à l’épanouissement et à l’autonomie personnelle, qui permet à toute personne de se déterminer seule quant à ses choix de vie, son identité, son intimité La Cour est allée jusqu’à affirmer que « la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps » (Pretty c. Royaume-Uni, arrêt du 29 avril 2002, Recueil 2002-III, § 66) Enfin, cette affirmation est allée très loin pour la Cour, qui l’a confirmée dans une affaire scabreuse, impliquant des pratiques sadomasochistes d’une extrême violence ; en effet, si elle a pu confirmer la décision des tribunaux belges qui ont condamné les auteurs d’actes de torture et de barbarie perpétrés sur une personne à l’occasion d’une soirée sadomasochiste, elle a néanmoins précisé que cette condamnation n’était justifiée qu’à partir du moment où la victime avait exprimé son refus de subir de tels sévices… ce qui signifiait a contrario que ceux-ci étaient permis tant qu’elle y consentait ! Il s’agit de l’arrêt K.A. et A.D. c./ Belgique, du 17 février 2005, n° 42758/98 et 45558/99 2. Le droit à la santé et à des soins Le principe du droit à la santé peut être recherché dans l’article 16-3 du Code civil, qui rappelle que l’atteinte à l’intégrité du corps humain ne peut être pratiquée qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou exceptionnellement pour autrui ; le consentement de la personne doit être recueilli avant toute intervention sauf dans l’hypothèse où son état ne lui permet pas de l’exprimer De là en découle le droit pour la personne de recevoir les soins appropriés pour son état de santé (a) ; mais le droit à la santé de la personne interroge sur la possibilité de recourir à des expérimentations médicales (b) a) Le droit de recevoir les soins appropriés à l’état de santé Le droit à la santé est consacré en France par l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ce qui lui confère donc une valeur constitutionnelle Il s’agit donc en tant que tel d’un « droit créance », dont les pouvoirs publics sont redevables ; à ce titre, ce droit est le support du système de santé français, tel qu’il est organisé par le Code de la santé publique ; l’article L 1110-1 du CSP consacre ainsi un droit à la protection de la santé, dont la mise en œuvre implique un certain nombre de politiques de prévention et des garanties d’égal accès aux soins pour tous ; son objectif est double : à la fois collectif, en visant 9 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 à préserver la santé de la population, et individuel, en garantissant la capacité de chacun à recevoir des soins Aussi, il s’agit bien d’un droit individuel participant du respect de la vie et de la dignité ; il peut se prolonger dans d’autres droits complémentaires, dont certains ont un objectif plus collectif L’acte médical nécessaire à la santé de la personne Conformément à l’article 16-3 du Code civil, toute personne peut bénéficier d’un acte médical nécessaire à sa propre santé, mais celui-ci ne peut être effectué sans son consentement ; inversement, la personne est en droit de refuser les soins qui lui sont proposés, sachant qu’il peut être passé outre dans certaines hypothèses ; enfin, le droit à la santé connaît un certain nombre de prolongements, qui viennent en conforter l’application pratique Le principe du consentement de la personne suppose préalablement le respect d’une obligation à la charge du personnel médical : celle d’informer dûment le patient Cette obligation d’information est organisée par le Code de la santé publique ; le patient doit recevoir les renseignements adéquats pour accepter ou refuser une opération, un traitement ou tout autre acte médical, et notamment être conscient de son éventuelle nécessité, de ses risques et conséquences, de son déroulement, de ses éventuelles alternatives,… Cette obligation d’information était à l’origine limitée aux risques graves et normalement prévisibles ; la Cour de cassation, dans un arrêt de la 1ère Chambre civile du 7 octobre 1998, a affirmé qu’elle devait s’étendre à tous les risques que présentent un acte médical, y compris ceux qui ne se réalisent que de manière exceptionnelle De même, la 1ère Chambre civile a également considéré, dans un arrêt du 25 janvier 2017, que le défaut d’information du professionnel de santé ouvrait droit à réparation au profit de la victime, non seulement en raison du préjudice corporel qu’elle a subi du fait de la réalisation d’un risque lié à l’acte médical, mais aussi pour le préjudice moral d’impréparation à la réalisation de ce risque, celui-ci résultant du défaut d’information Le personnel médical ne peut passer outre le consentement de la personne que dans l’hypothèse où elle n’est pas en mesure d’exprimer celui-ci et que son état rend nécessaire une intervention urgente destinée à la sauver ; ainsi le prévoit l’article 16-3 du Code civil En effet, toute personne dispose également d’un droit à refuser les soins, et les médecins ne peuvent l’ignorer hors le cas précité L’application de cette limite a pu donner lieu à un important contentieux, dès lors qu’il n’est pas toujours évident de déterminer à partir de quand un patient n’est plus en état de 10 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 s’exprimer, ou bien lorsqu’il a pu exprimer son refus de subir une intervention qui devient pourtant nécessaire pour sauvegarder sa vie et son intégrité physique Le Conseil d’État, dans une ordonnance du 16 août 2002 avait ainsi considéré que le refus de recevoir une transfusion sanguine par une personne témoin de Jéhovah ne pouvait être opposé à la décision prise par les médecins de procéder à celle-ci, dès lors que son état de santé présentait un risque vital à court terme La juridiction administrative a néanmoins précisé que les médecins étaient tenus de tout faire pour convaincre la patiente d’accepter cette transfusion, ce qui implique une sorte d’obligation d’information renforcée dans ce cas de figure, si la communication avec la personne est encore possible Par là même, il est attendu de la part du personnel médical une vigilance particulière, et l’obligation de ne passer outre le refus de la personne que dans les cas de nécessité les plus extrêmes Par conséquent, on ne saurait non plus reprocher à un médecin d’avoir tardivement procédé à une intervention, alors même qu’il était confronté au refus obstiné du patient en cause (CA Aix-en-Provence, 21 décembre 2006) Inversement, un médecin ne saurait pratiquer une intervention thérapeutique aux conséquences lourdes alors même que l’état de santé du patient ne nécessitait pas celle-ci Il appartient aux professionnels de santé d’apprécier toutes les solutions envisageables pour remédier aux pathologies du patient, en informant dûment celui-ci ; ils ne sauraient ni se faire imposer une quelconque opération, même si elle est demandée par le patient, dès lors qu’elle est manifestement disproportionnée, ni pratiquer une telle opération alors même qu’il existe des alternatives plus légères qui peuvent être administrées au patient Au-delà du domaine strictement hospitalier, le consentement de la personne peut être écarté dans d’autres circonstances spécifiques Tel est le cas en droit du travail, où l’employeur est en mesure de requérir des actes médicaux ou expertises sur ses salariés, mais seulement pour des raisons propres à leurs fonctions et dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de celles-ci dans l’entreprise Ainsi, par exemple, l’employeur peut demander à ses salariés de passer des tests de dépistage d’alcoolémie, dès lors que leur emploi de chauffeur implique une parfaite maîtrise du véhicule au titre de la sécurité des personnes et des biens, et que cette mesure peut faire l’objet d’une contestation en interne (Cour de cassation, Chambre sociale, 22 mai 2002) 11 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 De même, les personnes ayant commis des infractions après avoir consommé des drogues ou de l’alcool peuvent faire l’objet d’une injonction thérapeutique par le Procureur de la République, cette injonction ayant pour effet de les soumettre à une obligation de soins auprès d’un professionnel de santé Les droits prolongeant le droit à la santé D’autres droits, au contenu plus précis, viennent « se greffer » sur le droit à la santé afin d’en définir la portée pratique ; ceux-ci datent notamment de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, et ont été codifié dans le Code de la santé publique On trouve ainsi un droit dit « à la prévention », qui fut pendant un temps consacré par le CSP, mais dont la portée demeure toujours en pratique Ce droit a une portée essentiellement collective, mais il constitue un facteur décisif dans le droit à la santé de chacun ; en effet, ce droit a pour objectif de préserver la santé de la population en prévenant l’apparition ou le développement de maladies ou d’accidents, en encourageant les comportements individuels ou collectifs responsables, et en donnant un bon niveau d’information à la fois sur les risques pour la santé, les maladies, mais aussi les moyens mis en œuvre pour traiter efficacement ceux-ci, ainsi que leur prise en charge Ce volet interventionniste du droit à la santé peut parfois être critiqué, en ce qu’il conduirait à « trop assister » les personnes, voire les infantiliser Exemple : la Charte alimentaire La critique a pu être formulée à l’égard des politiques de communication mises en œuvre, telles que la Charte alimentaire dans l’audiovisuel, qui a pour objectif d’encadrer les publicités alimentaires Mais un esprit libéral peut quand même y voir un objectif plus souple ; en effet, ces politiques n’interdisent pas la consommation de certains aliments réputés pour leur pauvre qualité nutritive ; simplement, toute personne sera dûment informée des risques que présente une consommation excessive, ce qui contribue in fine à son libre arbitre Exemple : l’information sur les dangers liés au tabac Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 20 novembre 2003 La responsabilité d’un fabricant et d’un distributeur de tabac du fait du décès d’un patient fumeur à la suite d’un cancer causé par son tabagisme ne saurait être engagée, dès lors que l’intéressé était en mesure de « prendre les décisions qui s’imposaient face à l’information publique révélant depuis 1958 les dangers du tabac » 12 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 5 décembre 2024 Le droit à l’égal accès aux soins a également pu être affirmé comme l’un des piliers du droit à la protection de la santé Toute personne a droit aux soins indépendamment de sa situation ou de ses conditions de ressources financières ; c’est ce corollaire du principe d’égalité qui a justifié en France la création de la Couverture maladie universelle par la loi du 27 juillet 1999 Au-delà, l’interdiction des discriminations, qui sont sanctionnées par l’article 225-1 du Code pénal, garantit à toute personne les mêmes droits en matière de santé indépendamment de son origine, son sexe, sa situation de famille ou même son état de santé ; mais ce principe n’interdit pas de prendre des mesures ciblées concernant les populations à risque ; tel est le cas par exemple en matière de dépistage Nous pouvons encore citer le droit à la qualité des soins comme dernière expression du droit à la protection de la santé ; l’article L 1110-5 du CSP dispose ainsi que toute personne est censée recevoir des soins efficaces et présentant la meilleure sécurité sanitaire ; inversement, les praticiens médicaux ont l’obligation de ne pas faire courir des risques inutiles à leurs patients On ne saurait non plus négliger le droit au secret médical, qui est parfois apparenté au droit au respect de la vie privée, et qui implique que les informations relatives à l’état de santé d’une personne ne puissent être connues que des professionnels de santé dûment habilités à examiner celle-ci ; il ne porte de plus que sur les informations établies à l’occasion de diagnostics et examens Il existe bien entendu des dérogations, les médecins pouvant être obligés de communiquer certaines informations relatives aux épidémies et maladies contagieuses ; de même, le secret peut être « partagé » entre plusieurs professionnels de santé qui ont à suivre le traitement d’un même patient ; enfin, dans les cas les plus graves, le médecin est habilité à communiquer des informations aux proches du patient, dès lors que ceux-ci pourraient être amenés à prendre des décisions à son égard, concernant son traitement 13