La mise en œuvre du droit - Partie V - PDF
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Université de Neuchâtel
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Cette partie de l'ouvrage détaille la mise en œuvre du droit, en expliquant les fonctions, l'organisation et le fonctionnement des autorités étatiques. Le chapitre 1 introduit les notions de juridiction et de compétence. Elle distingue la mise en œuvre du droit de son application, la première partie expliquant la méthode pour identifier les conséquences d'une règle de droit, alors que la seconde expose comment les autorités veillent à son application concrète.
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La mise en œuvre du droit 141 Partie V La mise en œuvre du droit 753. La première partie de cet ouvrage a permis d’établir que le droit se distinguait par le fait que son respect était ass...
La mise en œuvre du droit 141 Partie V La mise en œuvre du droit 753. La première partie de cet ouvrage a permis d’établir que le droit se distinguait par le fait que son respect était assuré par des moyens de contrainte organisés (N 28 ss). 754. Dans cette cinquième partie, nous explicitons la fonction, l’organisation et le fonctionnement des autorités étatiques chargées de veiller à la mise en œuvre du droit. Le chapitre 1 définit les notions de juridiction et de compétence (N 756 ss). Le chapitre 2 expose les principes généraux de procédure (N 823 ss). L’autorité ne peut mettre en œuvre une règle de droit que si elle a connaissance des faits pertinents ; le chapitre 3 explicite la constatation des faits (N 840 ss). L’organisation et le fonctionnement des autorités varient en fonction des domaines du droit, ce qui justifie une présentation séparée de la mise en œuvre du droit privé (chapitre 4 ; N 899 ss), du droit pénal (chapitre 5 ; N 963 ss) et du droit public (chapitre 6 ; N 1028 ss). 755. Il faut délimiter la mise en œuvre du droit de l’application du droit, présentée dans la partie précédente (N 551 ss). Celle-ci présente la méthode à suivre pour identifier la conséquence qui découle d’une règle de droit alors que celle-là expose comment les autorités veillent à ce que les conséquences découlant des règles de droit soient appliquées dans un cas concret. Chapitre 1 La juridiction, la compétence et les tribunaux de la Confédération 756. Ce chapitre aborde successivement les notions de juridiction (1.1 ; N 757 ss) et de compétence (1.2 ; N 768 ss). Il présente enfin les autorités fédérales ayant une activité juridictionnelle : les tribunaux de la Confédération (1.3 ; N 788 ss). 1.1 La juridiction A. La définition 757. Par juridiction (Gerichtsbarkeit ; giurisdizione), on entend l’activité de l’État consistant à « dire le droit », c’est-à-dire à l’appliquer à un litige concret. Le terme a été par la suite étendu à l’organe exerçant cette activité, qui est en principe le pouvoir judiciaire538. 758. L'activité des tribunaux peut être résumée dans ces trois propositions539 : 759. 1° Le tribunal dit le droit. Il applique les règles de droit à la solution du cas qui lui est soumis et ne peut pas créer le droit, sous réserve du droit prétorien (art. 1 al. 2 CC ; N 270 ss). 760. 2° Le tribunal dit tout le droit. Une fois saisi d’un litige, le tribunal doit appliquer d’office toutes les règles de droit applicables à sa solution, selon l’adage jura novit curia (cf. art. 57 CPC). 761. 3° Le tribunal doit dire le droit. Sous peine de commettre un déni de justice, le tribunal a l’obligation de se prononcer sur le cas qui lui est soumis (art. 29 Cst. ; N 825). 762. Le résultat de l’activité juridictionnelle est le jugement, dont le résultat lie les parties au procès. Il faut distinguer le jugement portant sur la recevabilité de celui au fond : 763. 1° Le tribunal n’entre en matière sur une demande, une requête ou un recours (au sens large) que si les conditions de recevabilité (Prozessvoraussetzungen ; presupposti processuali) sont réalisées ; à défaut, il rend une décision d’irrecevabilité et ne traite pas le litige au fond. Exemples : 538 PESCATORE, N 249. 539 PESCATORE, N 250. Cf. HOHL, TOME I, N 5. Si une demande en justice est introduite devant un tribunal incompétent (N 775 ss) ou si elle ne respecte pas les règles de forme, elle sera déclarée irrecevable, à moins que le vice ne soit réparable. Il n’est en principe pas admissible de faire valoir des droits appartenant à des tiers ; le cas échéant, la qualité pour agir fait défaut et la demande doit être déclarée irrecevable. La loi peut prévoir des exceptions. Par exemple, les organisations de protection des consommateurs ont le droit d’agir en interdiction, cessation ou constatation d’un acte de concurrence déloyale (art. 9 et 10 al. 1 LCD). Il s’agit d’une action « représentative », où l’organisation fait valoir les droits des personnes dont elle défend les intérêts. 764. 2° Si les conditions de recevabilité sont réunies, le tribunal rend un jugement au fond et tranche la question juridique qui lui est soumise. 765. Une fois rendu, le jugement au fond ne peut en principe plus être modifié par l’autorité qui en est l’auteure. S’il ne peut plus être attaqué par une voie de recours ordinaire – soit parce qu’elles ont été épuisées, soit parce que le délai pour recourir est échu –, le jugement acquiert force de chose jugée (formelle Rechtskraft ; forza di cosa giudicata formale)540. 766. L’entrée en force d’un jugement au fond empêche la tenue d’un nouveau procès sur la même question (autorité de chose jugée ; materielle Rechtskraft ; forza di cosa giudicata materiale)541. 767. Le jugement devient en principe exécutoire (vollstreckbar ; carattere esecutivo) au moment de son entrée en force ; cela signifie qu’il peut faire l’objet d’une exécution forcée (droit privé : N 959 ss ; droit pénal : N 1026 s. ; droit administratif : N 1070 ss). B. Les délimitations 768. La juridiction est la principale méthode permettant de résoudre les conflits juridiques. Elle n’est toutefois pas la seule. Il existe notamment les méthodes alternatives de règlement des litiges suivantes : 769. – La conciliation (Schlichtung ; conciliazione) consiste à tenter de trouver un accord entre les parties542. Le conciliateur ne tranche pas le litige mais incite les parties à s’entendre. Aussi bien une autorité étatique qu’une personne privée peuvent jouer le rôle de conciliateur. Exemples : En procédure civile, la tentative de conciliation (Schlichtungsversuch ; tentativo di conciliazione) est en principe un préalable obligatoire à la juridiction (art. 197 CPC). Autrement dit, un litige de nature civile ne peut être porté devant un tribunal qu’après une tentative de conciliation devant l’autorité de conciliation, sous réserve des exceptions prévues par la loi (art. 198 CPC). En procédure pénale, lorsque seules des infractions poursuivies sur plainte sont en jeu, le Ministère public (art. 316 CPP) et le tribunal de première instance (art. 332 al. 2 CPP) peuvent citer les parties à une audience de conciliation. 770. – L’arbitrage (Schiedsgerichtsbarkeit ; arbitrato). Il s’agit de la procédure par laquelle les parties soumettent leur litige à une ou plusieurs personnes désignées selon leur volonté543. L’arbitrage remplace la juridiction, principalement en matière civile. À la différence de la juridiction, il repose sur une base volontaire, c’est-à-dire qu’il ne peut intervenir que si les parties conviennent de se remettre à ce mode de résolution. La convention prend la forme d’une clause compromissoire ou d’un compromis arbitral selon qu’elle est passée avant ou après la survenance du litige544. Comme la juridiction, l’arbitrage aboutit à une décision – appelée sentence arbitrale – obligatoire pour les parties ayant force et autorité de chose jugée et exécutoire (cf. art. 387 CPC). L’arbitrage joue un rôle pratique toujours plus important, notamment dans les relations 540 HOHL, TOME I, N 2280 ; JEANNERET/KUHN, N 20001. 541 BOHNET, N 1121 ; JEANNERET/KUHN, N 20002. 542 HALDY, N 421. 543 BOHNET, N 714. 544 BOHNET, N 717. La mise en œuvre du droit 143 internationales. L’arbitrage interne est traité aux art. 353 ss CPC et l’arbitrage international fait l’objet des art. 176 ss LDIP. 771. – La médiation (Mediation ; mediazione). Il s’agit d’un processus de gestion des conflits dans lequel les parties chargent un tiers impartial et neutre, le médiateur ou la médiatrice, de favoriser le rétablissement du dialogue ou l’émergence d’une solution commune545. La personne chargée de la médiation garantit la confidentialité et est indépendante de l’autorité de conciliation et du tribunal. Exemples : En procédure civile, si les parties en font la demande, la médiation peut remplacer la procédure de conciliation (art. 213 CPC) et précède ainsi la juridiction. En droit pénal des mineurs, la procédure peut, à certaines conditions, être suspendue afin d’engager une procédure de médiation devant une organisation ou une personne compétente (art. 17 al. 1 PPMin546). Par ailleurs, le Parlement fédéral discute actuellement d’un projet visant à instaurer un processus de médiation de justice restaurative dans le Code de procédure pénale (art. 316a P-CPP)547. C. Les distinctions 772. En fonction de la compétence des autorités saisies, on peut distinguer entre la juridiction ordinaire et la juridiction spéciale. Par juridictions ordinaires, on entend les tribunaux de droit commun institués par l’État selon la nature de l’affaire (civile, pénale ou administrative ; cf. les aperçus d’organisation judiciaire aux N 947 ss, 1012 ss, 1060 ss). 773. Par juridictions spéciales, on entend les tribunaux prévus pour la solution de problèmes particuliers et recourant en principe également à des personnes spécialisées. Ces tribunaux sont parfois paritaires, c’est-à-dire qu’ils réunissent, en proportion égale et autour d’une présidence neutre, des personnes représentant les divers intérêts concernés. Exemples : En matière civile, les juridictions spéciales sont notamment les tribunaux de commerce, les tribunaux de baux et loyers et les tribunaux de prud’hommes (N 785 et 952). En matière pénale, les tribunaux des mineurs sont des juridictions spéciales. 774. Il ne faut pas confondre juridictions spéciales et juridictions d’exception, ces dernières étant interdites (art. 30 al. 1 Cst. féd.). Les juridictions spéciales sont prévues à l’avance et de manière générale dans une loi qui institue justement cette juridiction. En revanche, une juridiction d’exception est instituée après coup, pour juger d’une affaire déterminée. 1.2 La compétence A. La définition 775. Par compétence (Zuständigkeit ; competenza), on entend l’aptitude d’une autorité à connaître d’un litige548. 776. Les tribunaux et les autres autorités examinent d’office leur compétence (p.ex. art. 59 CPC en procédure civile). Une partie peut cependant toujours contester la compétence de l’autorité saisie en soulevant une exception d’incompétence. 777. On peut imaginer les conflits de compétence suivants549 : 778. 1° Il y a conflit positif lorsque plusieurs autorités revendiquent la compétence dans une affaire. Lorsque plusieurs autorités sont effectivement compétentes, seule la première autorité 545 BOHNET, N 738. 546 Loi fédérale du 20 mars 2009 sur la procédure pénale applicable aux mineurs, RS 312.1. 547 BO CN 2021 631. 548 HOHL, TOME II, N 122. 549 PESCATORE, N 251. saisie doit trancher l’affaire ; les autorités saisies ultérieurement ne peuvent pas entrer en matière (exception de litispendance, cf. art. 64 al. 1 let. a CPC)550. 779. 2° Un conflit négatif surgit lorsqu’aucune autorité saisie ne se déclare compétente. S’il n’est pas résolu, ce type de conflit aboutit à un déni de justice (N 825). ATF 138 III 471 : Une partie avait déposé une demande en justice fondée sur un contrat d’entreprise devant le tribunal de district (Bezirksgericht) de Zurich, for prévu dans le contrat. Celui-ci a déclaré la demande irrecevable, s’estimant incompétent, et renvoyant les parties à agir devant le tribunal de commerce (Handelsgericht). Le tribunal de commerce n’est pas non plus entré en matière, considérant que l’action relevait de la compétence du tribunal de district. Les parties ont recouru contre cette deuxième décision au Tribunal fédéral, qui a tranché le conflit de compétence négatif et retenu que la demande devait être traitée par le tribunal de district. Exemple : En matière administrative, les conflits de compétence entre la Confédération et les cantons sont résolus par le Tribunal fédéral (art. 120 al. 1 let. a LTF ; N 822). 780. Il est d'abord nécessaire qu'au moins une autorité soit compétente, afin d'éviter un déni de justice. Il est ensuite suffisant (et souhaitable) qu'une seule autorité soit compétente, pour prévenir des conflits positifs. B. Les distinctions 781. Les compétences judiciaires font l’objet de réglementations séparées par domaine du droit (droit privé, public et pénal). Pour des motifs pédagogiques, nous les présenterons d’abord de façon synthétique. De manière générale, on peut distinguer les trois types de compétence suivantes : 782. 1° La compétence territoriale – dite aussi compétence locale, compétence à raison du lieu ou compétence ratione loci (örtliche Zuständigkeit ; competenza per territorio) – désigne l’aptitude d’une autorité à connaître d’une affaire en fonction de la localisation du litige551. 783. Pour désigner le tribunal compétent à raison du lieu, on parle également de for (Gerichtsstand ; foro). En procédure civile, le for se détermine conformément aux art. 9 à 46 CPC. Le droit suisse consacre de manière générale le for du domicile ou du siège de la partie défenderesse (art. 30 al. 2 Cst. féd. ; cf. art. 10 CPC) : la personne qui veut agir contre une autre personne doit le faire au for du domicile ou du siège de celle-ci. En procédure pénale, l’autorité territorialement compétente est en principe celle du lieu de commission de l’acte (art. 31 al. 1 CPP). En procédure administrative, le rattachement ratione loci découle en principe de l’ancrage géographique de l’autorité qui a rendu la décision ou effectué l’acte remis en cause. Exemple : Si une personne en blesse une autre, la personne lésée peut, sauf motif justificatif, réclamer des dommages-intérêts en raison d’un acte illicite (art. 41 CO). Selon l’art. 36 CPC, la demande peut être introduite devant le tribunal du domicile ou du siège de la partie lésée ou de la partie défenderesse ou le tribunal du lieu de l’acte ou du résultat de celui-ci. Il y a donc quatre fors alternatifs. Si la demanderesse choisit le for du domicile de la défenderesse et que celle-ci est domiciliée au Locle, le tribunal compétent en première instance sera le Tribunal régional des Montagnes et du Val-de-Ruz, situé à La Chaux-de-Fonds (art. 98a OJN-NE). 784. 2° La compétence matérielle ou ratione materiae (sachliche Zuständigkeit ; competenza per materia) désigne l’aptitude d’une autorité à connaître d’une affaire en fonction de l’objet du litige et de l’importance de l’affaire552. 785. En procédure civile, la compétence à raison de la matière est en principe du ressort des cantons (art. 4 CPC), qui la règlent dans leur loi d’organisation judiciaire (à Neuchâtel : OJN-NE ; cf. N 947 ss). En relation avec l’objet du litige, certains cantons ont prévu des juridictions spéciales (N 773) connaissant d’une matière particulière. 550 Cf. en matière administrative : MOOR/POLTIER, p. 290 s. 551 JEANDIN/PEYROT, N 54. 552 BOHNET, N 338. La mise en œuvre du droit 145 Exemples : À Genève, en matière civile, il existe un tribunal des baux et loyers qui tranche les litiges en matière de bail (art. 89 LOJ-GE553) et un tribunal des prud’hommes qui connaît des contestations en droit du travail (art. 1 LJP-GE554). À Berne, le tribunal de commerce connaît, en instance cantonale unique, des affaires de nature commerciale (art. 7 LiCPM-BE555 ; cf. ég. art. 6 CPC). 786. Pour fixer la compétence des tribunaux civils en raison de l’importance de l’affaire, la loi distingue généralement les affaires pécuniaires des affaires non pécuniaires et tient compte, pour celles-là, de la valeur litigieuse (Streitwert ; valore litigioso), calculée selon l’art. 91 CPC. Dans notre exemple (cf. N 783), si la personne lésée décide d’ouvrir action dans le canton de Vaud (parce que la compétence territoriale est donnée), elle devra calculer la valeur litigieuse avant de déterminer si elle ouvre action devant la justice de paix (valeur litigieuse inférieure à CHF 10'000.-, art. 113 al. 1bis LOJV-VD), si elle s’adresse au tribunal d’arrondissement (valeur litigieuse comprise entre CHF 10'000.- et CHF 100'000.-, art. 96b al. 3 LOJV-VD) ou à la Chambre patrimoniale cantonale (valeur litigieuse supérieure à CHF 100'000.-, art. 96g LOJV- VD). En matière pénale, il existe aussi une répartition de la compétence fonctionnelle d’après la gravité de l’affaire, qui est déterminée en fonction de la peine encourue ; les affaires moins importantes sont tranchées par un ou une juge unique alors que les affaires plus graves nécessitent une composition du tribunal à trois juges ou plus (N 1014 ss). 787. 3° La compétence fonctionnelle (funktionale Zuständigkeit ; competenza funzionale) désigne l’aptitude d’une autorité à connaître d’une affaire selon le rôle qu’elle joue dans le procès, plus précisément selon le degré d’instance concerné. En matière civile, l’autorité de conciliation tente de concilier les parties avant la première instance, le tribunal de 1ère instance tranche en premier, la cour civile du tribunal cantonal (2ème instance) juge les appels ou les recours dirigés contre les jugements de première instance et le Tribunal fédéral tranche en dernière instance les recours en matière civile dirigés contre les décisions de dernière instance cantonale. Il est important de noter que la compétence fonctionnelle est déterminée de manière impérative par le droit de procédure. Dans notre exemple (cf. N 783), si l’action fondée sur l’art. 41 CO est ouverte à La Chaux-de- Fonds, la Chambre de conciliation (situé à la Chaux-de-Fonds) est fonctionnellement compétente pour la conciliation, le Tribunal civil d’instance (situé à la Chaux-de-Fonds) a la compétence fonctionnelle pour juger l’affaire en première instance, la Cour civile du Tribunal cantonal (situé à Neuchâtel) est fonctionnellement compétente pour trancher en deuxième instance et le Tribunal fédéral (situé à Lausanne) décide en dernier ressort. 1.3 Les tribunaux de la Confédération 788. Dans un État fédéral comme la Suisse, l’activité juridictionnelle a lieu aux niveaux tant cantonal que fédéral. Il serait trop ambitieux de présenter l’organisation des autorités et des tribunaux cantonaux dans cet ouvrage, car chaque canton présente des particularités propres. Il en va de même des autorités administratives fédérales. En revanche, les tribunaux de la Confédération méritent que l’on s’y attarde. 789. Après quelques généralités (A ; N 790 ss), on présentera les tribunaux fédéraux de première instance (B ; N 793 ss) et le Tribunal fédéral (C ; N 812 ss). A. Généralités 790. Ce sont en principe les juridictions cantonales qui mettent en œuvre le droit fédéral et tranchent les contentieux en découlant en première et en deuxième instances. Elles appliquent par exemple le CO et le CC (droit privé), le CP (droit pénal) ou encore la LAT ou la LPE (droit public). 553 Loi du 22 novembre 1941 sur l’organisation judiciaire, RSG E 2 05. 554 Loi du 25 février 1999 sur la juridiction des prud’hommes, RSG E 3 10. 555 Loi du 11 juin 2009 portant introduction du code de procédure civile, du code de procédure pénale et de la loi sur la procédure pénale applicable aux mineurs, RSB 271.1. 791. Toutefois, trois tribunaux fédéraux de première instance créés au début du XXIe siècle traitent d’abord certaines catégories d’affaires pénales, ensuite les contentieux que génère l’activité administrative de la Confédération (art. 191a Cst. féd.) et, enfin, des litiges relatifs au droit des brevets. Il s’agit du Tribunal pénal fédéral (N 793 ss), du Tribunal administratif fédéral (N 802 ss), ainsi que du Tribunal fédéral des brevets (N 807 ss). 792. Ces tribunaux ont permis de décharger le Tribunal fédéral, qui reste en principe le tribunal de dernière instance, quelle que soit la juridiction (cantonale ou fédérale) chargée d’appliquer le droit dans les instances précédentes. Selon la procédure applicable, le Tribunal fédéral peut être soit la troisième instance (p.ex. lors d’un recours en matière pénale précédé d’abord d’un jugement de première instance par un tribunal local puis d’une décision sur appel en deuxième instance rendue par un tribunal cantonal), soit la deuxième instance (p.ex. lors d’un recours en matière de droit public intenté contre un jugement de première instance rendu par le Tribunal administratif fédéral). B. Les Tribunaux fédéraux de première instance i) Le Tribunal pénal fédéral 793. Le Tribunal pénal fédéral (TPF) a son siège à Bellinzone. Il est en fonction depuis le 1er avril 2004. 794. L’organisation du TPF est réglée dans la LOAP556 et le ROTPF557. Le TPF comprend une Cour des affaires pénales, une Cour des plaintes et une Cour d’appel (art. 12 ROTPF). 795. Le TPF est compétent pour les infractions que le législateur a considéré plus efficacement poursuivies par une juridiction fédérale que par des autorités cantonales (cf. art. 22 ss CPP pour la délimitation des compétences entre la Confédération et les cantons) : il s’agit principalement d’infractions commises par ou contre les employés fédéraux, contre les institutions de la Confédération ou contre les personnes bénéficiant d'une protection spéciale en vertu du droit international, des infractions relatives à la corruption et à l'emploi illicite d'explosifs (art. 23 al. 1 CPP). Il en va de même de la criminalité économique, du crime organisé ou du blanchiment d'argent dans des causes qui dépassent les frontières cantonales ou fédérales (art. 24 CPP). La Cour des affaires pénales du TPF connaît aussi des infractions contre diverses législations fédérales, telle que la loi fédérale sur l’aviation558 ou la loi sur l’énergie nucléaire559. 796. L’organisation du Tribunal pénal fédéral est la suivante : 797. 1° La Cour des affaires pénales statue en première instance sur les affaires pénales relevant de la juridiction fédérale (art. 35 al. 1 LOAP560). Elle statue à trois juges (art. 36 al. 1 LOAP). 798. 2° La Cour des plaintes surveille le bon déroulement des procédures engagées devant le Tribunal pénal fédéral (et non la qualité des jugements rendus). Elle statue à ce titre sur les recours déposés contre les décisions et les actes de la police, du Ministère public de la Confédération (MPC) et des autorités pénales compétentes en matière de contraventions, de même que contre les décisions du tribunal des mesures de contrainte (art. 37 al. 1 LOAP ; art. 393 CPP). Elle statue également sur les recours qui lui sont soumis en vertu de la loi du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif (DPA), ainsi que sur les conflits de compétence survenant entre les cantons eux- mêmes et entre les cantons et la Confédération. La Cour des plaintes se prononce en outre sur les recours en matière d’entraide pénale internationale. 556 Loi fédérale du 19 mars 2010 sur l’organisation des autorités pénales de la Confédération, RS 173.71. 557 Règlement du 31 août 2010 sur l’organisation du Tribunal pénal fédéral, RS 173.713.161. 558 Loi fédérale du 21 décembre 1948 sur l’aviation, RS 748.0. 559 Loi fédérale du 21 mars 2003 sur l’énergie nucléaire, RS 732.1. 560 Loi fédérale du 19 mars 2010 sur l’organisation des autorités pénales de la Confédération, RS 173.71. La mise en œuvre du droit 147 799. 3° La Cour d’appel statue en 2ème instance sur les appels formés contre les jugements rendus par la Cour des affaires pénales, qui ont clos tout ou partie de la procédure, ainsi que sur les demandes de révision (art. 38a LOAP). Elle statue en principe à trois juges (art. 38b LOAP). 800. La procédure applicable devant le TPF trouve ses fondements légaux dans le Code de procédure pénale suisse (CPP) et dans la LOAP (art. 39 LOAP). 801. Les arrêts de la Cour d’appel du Tribunal pénal fédéral peuvent faire l’objet d’un recours en matière pénale au Tribunal fédéral (art. 78 ss LTF). ii) Le Tribunal administratif fédéral 802. Le Tribunal administratif fédéral (TAF) est en fonction depuis le 1er janvier 2007 et, après avoir été établi à Berne pendant quelques années, il a son siège à Saint-Gall depuis 2012. 803. L’organisation du TAF est réglée dans la LTAF561 et le RTAF562. Le TAF comprend six cours spécialisées (art. 18 RTAF) dans des domaines différents (1ère Cour : infrastructures, environnement, redevances, LPP et personnel de la Confédération ; 2e Cour : économie, formation, concurrence ; 3e Cour : assurances sociales, santé publique ; 4e et 5e Cours : droit d’asile ; 6e Cour : droit des étrangers et droit de cité). 804. Le TAF est compétent pour le traitement du contentieux généré par l’activité administrative des organes de la Confédération (art. 33 LTAF), exceptionnellement pour des recours contre des décisions cantonales si une loi fédérale le prévoit (art. 33 let. i LTAF et art. 53 al. 1 LAMal). Le TAF a remplacé une trentaine de commissions fédérales de recours et d’arbitrage. Suivant les cas, il fonctionne comme autorité de recours contre les décisions au sens de l’art. 5 PA (art. 31 ss LTAF) ou comme tribunal de 1ère instance de la Confédération (p.ex. art. 35 LTAF). Le TAF soulage le Tribunal fédéral des cas dans lesquels il était autrefois saisi comme première et unique instance judiciaire. 805. La procédure applicable est en principe régie par la PA. 806. Les décisions du TAF peuvent en principe faire l’objet d’un recours en matière de droit public devant le Tribunal fédéral (art, 82 ss LTF), sauf si le TAF statue en dernière instance (p.ex. en matière d’asile ou d’entraide administrative internationale ; cf. art. 83 let. d, p, r et v LTF). iii) Le Tribunal fédéral des brevets 807. Le Tribunal fédéral des brevets (TFB) se trouve au siège du TAF à Saint-Gall. Il fonctionne depuis le 1er janvier 2012. 808. L’organisation du TFB est réglée dans la LTFB563. Le tribunal comprend aussi bien des juges avec formation juridique qu’avec une formation technique. 809. Le TFB a une compétence exclusive pour les actions en validité d’un brevet et en contrefaçon d’un brevet ainsi qu’une action en octroi de licence (art. 26 LTFB). Le TFB a une compétence partagée avec les tribunaux cantonaux pour les actions en titularité ou en cession de brevets. 810. La procédure applicable est en principe régie par le CPC fédéral, sauf si la Loi fédérale sur les brevets d’invention (LBI) ou la LTFB contiennent des règles spéciales. 811. Les décisions du TFB peuvent faire l’objet d’un recours en matière civile devant le Tribunal fédéral (art. 72 ss LTF). 561 Loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral, RS 173.32. 562 Règlement du Tribunal administratif fédéral du 17 avril 2008, RS 173.320.1. 563 Loi fédérale du 20 mars 2009 sur le Tribunal fédéral des brevets, RS 173.41. C. Le Tribunal fédéral i) Généralités 812. Le Tribunal fédéral (TF) a son siège à Lausanne, à l’exception de la troisième et la quatrième cour de droit public siégeant à Lucerne (et constituant l’équivalent de l’ancien Tribunal fédéral des assurances). Il est l’autorité judiciaire suprême de la Confédération (art. 188 al. 1 Cst. féd.). 813. L’organisation du Tribunal fédéral est réglée dans la LTF et le RTF. Le Tribunal fédéral comprend les divisions suivantes : quatre cours de droit public, deux cours civiles et deux cours de droit pénal (art. 26 RTF). 814. Quant à sa compétence, le Tribunal fédéral est ordinairement saisi par la voie d’un recours (en matière civile, en matière pénale ou en matière de droit public), mais peut aussi l’être exceptionnellement par recours constitutionnel subsidiaire et par voie d’action unique (N 817 ss). Le Tribunal fédéral connaît notamment des recours contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance, ainsi que contre les décisions des tribunaux de première instance de la Confédération (TAF, TPF, et TFB ; N 793 ss). 815. Plusieurs lois de procédure sont applicables devant le TF, au nombre desquelles la LTF, la PA, le CPC et la PCF. 816. Aucun recours suisse n’est ouvert contre les arrêts du TF. En revanche, si un arrêt du Tribunal fédéral viole la CEDH, il peut être déféré à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. ii) Les saisines du Tribunal fédéral 817. Les saisines du Tribunal fédéral comprennent principalement trois recours construits autour d’idées directrices communes dans les grands domaines du droit : un recours en matière civile, un recours en matière pénale et un recours en matière de droit public. En outre, le Tribunal fédéral connaît du recours constitutionnel subsidiaire et de l’action en instance unique. 818. Le recours en matière civile (art. 72 ss LTF) a pour domaine toutes les questions de droit civil entendu au sens large de droit privé, ainsi que les questions de droit public ayant un lien de connexité étroit avec le droit privé (p.ex. le registre foncier, le registre de l’état civil ou le registre du commerce). Ce recours est en principe dirigé contre un jugement d’une autorité cantonale civile de dernière instance. 819. Le recours en matière pénale (art. 78 ss LTF) concerne un triple domaine : premièrement, les jugements fondés sur le droit pénal ou la procédure pénale (à l’exception du droit pénal militaire suisse) ; deuxièmement, les décisions sur les prétentions civiles devant être jugées en même temps que la cause pénale ; troisièmement, les décisions sur l’exécution de peines et de mesures. Ce recours est dirigé contre les jugements et décisions prononcés par les autorités cantonales pénales de dernière instance et par la Cour d’appel du Tribunal pénal fédéral. 820. Le recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) concerne un triple domaine : premièrement, les décisions rendues dans des causes de droit public fédéral ou cantonal ; deuxièmement, les actes normatifs cantonaux et les décisions d’application des actes normatifs cantonaux ; troisièmement, les actes qui concernent les droits politiques. Ce recours est en principe dirigé contre les jugements des tribunaux administratifs cantonaux, des tribunaux cantonaux des assurances sociales et (à quelques exceptions près) du Tribunal administratif fédéral. 821. Le recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 ss LTF) est ouvert pour violation des droits constitutionnels, à titre subsidiaire lorsqu’un des trois recours (unifiés) précédents n’est pas recevable (p.ex. si la valeur litigieuse d’une affaire civile est trop faible). 822. L’action en instance unique (art. 120 LTF) concerne deux types de cas : premièrement, les différends entre la Confédération et les cantons ou les cantons entre eux ; secondement, l’action de droit administratif pour certains cas particuliers (p.ex. en matière de dommages-intérêts résultant de l’activité officielle d’agents de la Confédération). La mise en œuvre du droit 149 Chapitre 2 Les principes généraux de procédure 823. Ce chapitre traite quelques principes transversaux valables pour les différentes formes de procédures. Il présente d’abord les droits de procédure garantis par la Constitution (2.1 ; N 824 ss), puis les différentes maximes de procédure (2.2 ; N 833 ss). 2.1 Les garanties constitutionnelles 824. Les articles 29 à 30 Cst. féd. garantissent un certain nombre de droits fondamentaux aux justiciables en lien avec la procédure ; ces garanties de procédure sont également prévues dans des instruments internationaux (art. 6 par. 1 CEDH et art. 14 part. 1 Pacte ONU II). A. Les garanties générales de procédure 825. L’art. 29 al. 1 Cst. féd., applicable dans les procédures judiciaires et administratives, garantit aux justiciables que leur cause sera traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable. Les principaux éléments de cette garantie sont l’interdiction du déni de justice, l’interdiction du retard excessif et l’interdiction du formalisme excessif564. 826. Le droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst. féd.) est une composante essentielle des garanties de procédure. Il en découle notamment le droit des parties de prendre connaissance du dossier, de faire administrer des preuves, de faire valoir leurs arguments, de se faire représenter et assister en justice et le droit de se déterminer sur tout nouvel élément versé à la procédure (« droit de réplique inconditionnel »)565. 827. Le droit à l’assistance judiciaire gratuite (art. 29 al. 3 Cst. féd.) vise à empêcher qu’une personne soit privée de l’accès à la justice en raison de sa situation financière. B. L’accès au tribunal 828. Selon l’art. 29a Cst. féd., toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire, sauf exception prévue dans la législation fédérale ou cantonale. L’« accès au juge » est important en particulier en ce qui concerne le contrôle de l’activité de l’État : une contestation juridique ne peut pas être traitée exclusivement par des autorités administratives566. C. Les garanties de procédure judiciaire 829. L’art. 30 Cst. féd. prévoit une série de garanties de procédure judiciaire. 830. Le droit à un tribunal indépendant et impartial (art. 30 al. 1 Cst. féd.) fonde notamment les règles sur la récusation, la composition régulière du tribunal et l’interdiction du cumul de fonctions567. 831. L’art. 30 al. 2 Cst. féd. garantit le for du domicile de la partie défenderesse ; la législation fédérale ou cantonale peut toutefois prévoir des dérogations à cette garantie. 832. La publicité des procédures (art. 30 al. 3 Cst. féd.) vise à permettre au public de vérifier et de s’assurer que la justice est rendue correctement568. Cette garantie inclut en principe la publicité des débats et celle du jugement. Les débats peuvent exceptionnellement se tenir à huis clos en présence d’un intérêt prépondérant des parties ou du public569. 564Cf. MAHON, N 173. 565 BOHNET, N 770. 566 MAHON, N 171. 567 MAHON, N 182. 568 MAHON, N 184. 569 BOHNET, N 795. 2.2 Les maximes de procédure 833. Les droits de procédure présentent des caractéristiques différentes quant à la faculté des parties de disposer de l’objet du litige et quant à l’apport des faits au procès. On parle de maximes de procédure pour désigner les principes qui régissent ces deux domaines. A. Le principe de disposition et la maxime d’office 834. S’agissant de la détermination de l’objet du litige, deux principes s’opposent : 835. 1° Le principe (maxime) de disposition (Dispositionsgrundsatz ; massima dispositiva ; cf. art. 58 al. 1 CPC) signifie que les parties disposent librement de l’objet du litige. Elles fixent le cadre du débat judiciaire par le biais des conclusions qu’elles prennent et le tribunal ne peut pas accorder plus ou autre chose que ce qui est demandé570. Ce sont également les parties qui décident librement de recourir contre une décision de première instance. Le tribunal est réduit au rôle de simple arbitre, en principe sans initiative propre sur l’objet du litige ; cette maxime caractérise, de manière générale, le procès civil, où l’enjeu porte sur des droits privés dont les parties disposent librement. 836. 2° La maxime d’office (Offizialgrundsatz ; massima ufficiale ; cf. art. 43 LPJA-NE ; 58 al. 2 CPC) signifie que les parties n’ont pas la libre disposition de l’objet du litige. C’est l’autorité qui décide d’ouvrir la procédure, qui définit son objet et y met fin571 ; l’autorité qui rend la décision ou le jugement n’est pas liée par les conclusions des parties. Cette maxime caractérise, de manière générale, la procédure administrative, mais peut exceptionnellement s’appliquer en droit civil. En procédure pénale, la maxime d’office connaît une limitation : le tribunal ne dispose pas librement de l’objet du litige mais doit respecter l’acte d’accusation (maxime d’accusation ; N 982). B. La maxime des débats et la maxime inquisitoire 837. En ce qui concerne l’apport des faits et des preuves à l’appui des prétentions des parties, les lois de procédure distinguent deux maximes, rappelées à l’art. 55 CPC. 838. 1° La maxime des débats (Verhandlungsmaxime ; principio attitatorio ; cf. art. 55 al. 1 CPC) prévoit que les parties allèguent les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et produisent les preuves qui s’y rapportent572. Le fardeau de l’allégation des faits repose sur les seules épaules des parties. Sous l’empire de cette maxime, tout fait qui n’est pas expressément allégué est considéré comme inexistant pour le procès en cours, à moins qu’il ne soit notoire. La maxime des débats caractérise, de manière générale, le procès civil. 839. 2° La maxime inquisitoire (Untersuchungsmaxime ; principio inquisitorio) signifie que l’autorité ou le tribunal doit établir les faits de manière complète et exacte ; elle peut ordonner toutes les preuves utiles à l’établissement des faits et retenir des faits pertinents non allégués par les parties573. Elle caractérise les procédures administrative (p.ex. art. 14 LPJA-NE) et pénale où l’on parle plus volontiers de maxime de l’instruction (art. 6 al. 1 CPP ; N 977) ; en procédure civile, elle intervient exceptionnellement (art. 55 al. 2 CPC), avec parfois quelques tempéraments : on parle alors de maxime inquisitoire sociale. Chapitre 3 La constatation des faits 840. L’autorité saisie d’un litige n’a pas une connaissance directe des faits à l’origine du problème juridique qui lui est soumis. Il faut donc déterminer comment l’autorité constate les faits qui serviront de base à son raisonnement juridique. Ce chapitre délimitera d’abord les faits du droit (3.1 ; N 841 ss), puis exposera les règles qui régissent la preuve des faits (3.2 ; N 847 ss). 570 BOHNET, N 826. 571 BOVAY. Manque la réf. À la page 572 BOHNET, N 836. 573 BOVAY, p. 221. La mise en œuvre du droit 151 3.1 Les faits et le droit A. L’intérêt de la distinction 841. Les juristes opèrent une distinction entre le fait (Tatfrage ; questione di fatto) et le droit (Rechtsfrage ; questione di diritto). Cette distinction présente au moins un double intérêt pratique : 842. 1° En relation avec la preuve. Les parties ne doivent prouver en principe que les faits qu’elles allèguent, alors que le tribunal applique d’office le droit (jura novit curia, cf. art. 57 CPC), à moins qu’il ne s’agisse de droit étranger (art. 16 LDIP). 843. 2° En relation avec les voies de droit. Certaines voies de droit (p.ex. art. 310 CPC : l’appel) autorisent l’autorité supérieure à revoir aussi bien le droit que les faits. D’autres voies de droit (p.ex. art. 320 CPC : le recours) interdisent au tribunal de revoir les faits constatés par l’autorité inférieure et ne permettent une intervention concernant les faits qu’en cas d’arbitraire (constatation manifestement inexacte des faits ; art. 320 let. b CPC). B. La distinction 844. La distinction correspond en outre aux deux étapes de l’activité du tribunal dans la mineure du syllogisme juridique (N 562) : 845. 1° La constatation des faits ressortit au fait. Le tribunal doit reconstituer tous les éléments de la situation réelle à laquelle il doit appliquer une conséquence juridique. Exemple : Dans une affaire pénale de circulation routière, on cherchera à déterminer à quelle vitesse roulait le véhicule de la personne prévenue, quelle était la limitation de vitesse à l’endroit où elle a été mesurée ou encore si la personne était en état d’ébriété ou sous l’emprise de stupéfiants. 846. 2° La qualification juridique des faits ressortit au droit. Le tribunal doit décider si les faits constatés réalisent les conditions légales de la règle de droit (N 629 ss). Exemple : Dans une affaire de circulation routière, le tribunal déterminera si l’excès de vitesse constaté relève d’une infraction simple, grave ou qualifiée des règles de la LCR (art. 90 al. 1, 2 et 3 LCR). 3.2 La preuve des faits A. La notion 847. Par preuve, on entend l’activité qui tend à convaincre le tribunal de l’existence ou de l’inexistence d’un fait574. La présentation du concept de preuve peut s’articuler autour des six thèmes suivants : 848. 1° Quoi ? Que faut-il prouver ? C’est le domaine de l’objet de la preuve (Beweisgegenstand ; oggetto della prova) (N 854 ss). 849. 2° Comment doit-on prouver ? C’est la question du thème de la preuve (Beweisthema ; tema della prova) (N 859 ss). 850. 3° Par quels moyens peut-on prouver ? C’est le thème des moyens de preuve (Beweismittel ; mezzi di prova) (N 863 ss). 851. 4° Qui doit apporter la preuve ? C’est le domaine de la charge de la preuve (Beweisführungslast ; onere della deduzione delle prove) (N 870 ss). 852. 5° Combien ou quel est le degré de certitude exigé pour qu’un fait allégué soit considéré comme prouvé ? C’est la question du degré de la preuve (Beweisgrad ; grado della prova) (N 871 ss). 574 DESCHENAUX, p. 222 et la réf. à GULDENER, § 38 p. 337. 853. 6° Qui perd le procès si certains faits ne sont pas prouvés ? C’est le thème du fardeau de la preuve (Beweislast ; onere della prova) (N 880 ss). B. L’objet de la preuve 854. De manière générale, la preuve porte sur des faits pertinents et non notoires. Si la maxime des débats est applicable, les faits doivent en plus être contestés. On distingue donc les quatre éléments suivants : 855. 1° Des faits. On entend par là tout ce qui se passe dans la réalité. Il peut s’agir de faits externes (p.ex. la date d’un événement) ou de faits internes (p.ex. la volonté d’une partie). Il peut s’agir de faits passés, contemporains ou futurs. 856. 2° Des faits pertinents (art. 150 al. 1 CPC ; art. 139 al. 2 CPP ; cf. ég. art. 49 let. b PA). On entend par là des faits dont l’existence ou l’inexistence est (directement ou indirectement) déterminante pour le sort du litige575. Ce sont les faits qui permettent de vérifier si l’hypothèse exprimée dans la règle de droit (N 559) est réalisée ou non. Le droit matériel détermine donc quels faits sont pertinents. Exemple : Pour apprécier si une violation des règles de la circulation est grave ou qualifiée (art. 90 al. 2, 3 et 4 LCR), la vitesse du véhicule est un fait pertinent. La marque du véhicule et la nationalité du conducteur ne sont pas des faits pertinents. 857. 3° Des faits non notoires (art. 151 CPC ; art. 139 al. 2 CPP). Par fait notoire, on entend un fait connu du public ou, au moins, du tribunal. Ces faits n’ont pas besoin d’être prouvés. Exemple : Le taux de change CHF-EUR à une date donnée est un fait notoire576. 858. 4° Des faits contestés (art. 150 al. 1 CPC), lorsque la maxime des débats (N 838) s’applique. Il n’y a pas besoin de prouver les faits non contestés ; ils sont considérés comme avérés. C. Le thème de la preuve 859. Les faits pertinents peuvent porter sur deux thèmes distincts577 : 860. 1° La preuve directe (direkter Beweis ; prova diretta). Il s’agit d’une preuve permettant d’établir directement la véracité ou la fausseté d’un élément constitutif de l’état de fait légal. Exemple : Une personne a été filmée ou observée par un témoin en train de commettre un homicide. 861. 2° La preuve indirecte ou par indices (indirekter ou mittelbarer Beweis ou Indizienbeweis ; prova indiretta). En l’absence de preuve directe, la preuve des faits pertinents peut résulter de moyens constituant un indice ou un faisceau d’indices. Ces indices sont des faits de nature à permettre au tribunal, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, de conclure à l’existence des éléments constitutifs de l’état de fait légal. On parle d’une présomption de fait ou présomption de l’homme. Exemple : On trouve une personne à son domicile, tuée à coups de couteau. La police retrouve dans la voiture d’une voisine des gants tachés de sang et un couteau dont la lame correspond aux lésions observées chez la victime ; un témoin a vu les deux personnes ensemble peu avant le crime. Ces indices permettent d’inférer que la voisine a commis l’homicide. D. Les moyens de preuve 862. Il existe divers moyens de preuve admissibles, ce qui justifie d’en proposer une typologie (i). La loi précise ensuite comment le tribunal doit apprécier ces moyens de preuve (ii). 575 CR CPC-SCHWEIZER, art. 150 N 9. 576 ATF 135 III 88 consid. 4. 577 BK-WALTER, art. 8 CC N 85 ; DESCHENAUX, p. 223. La mise en œuvre du droit 153 i) Une typologie des moyens de preuve 863. Les règles sur les moyens de preuve (Beweismittel ; mezzi di prova) renseignent sur les moyens admissibles avec lesquels on peut prouver les faits pertinents. Les lois de procédure énumèrent les moyens permettant à une partie de prouver un fait. 864. En procédure civile, il existe un numerus clausus des moyens de preuve admissibles (art. 168 CPC), qui incluent le témoignage, le titre, l’inspection, l’expertise judiciaire, les renseignements écrits, l’interrogatoire et la déposition des parties. Sont notamment exclus les témoignages par ouï-dire578 et les expertises privées579. 865. En procédure pénale, le principe du libre établissement de la preuve prévaut : les autorités pénales mettent en œuvre tous les moyens de preuve licites qui, selon l’état des connaissances scientifiques et l’expérience, sont propres à établir la vérité (art. 139 al. 1 CPP). 866. Lorsqu’un moyen de preuve a été obtenu de manière illicite, le tribunal doit déterminer s’il peut le prendre en compte. Il procède alors à une pesée entre, d’une part, l’intérêt public à la manifestation de la vérité et, d’autre part, l’intérêt privé à ce que la preuve ne soit pas exploitée (cf. art. 141 CPP ; art. 152 al. 2 CPC)580. ii) L’appréciation des moyens de preuve 867. Historiquement, les tribunaux étaient plus ou moins liés dans leur appréciation des moyens présentés, en vertu de règles précisant leur force probante. Exemple : Dans les procès religieux, on considérait les ordalies, c’est-à-dire des épreuves auxquelles on soumettait les personnes accusées, comme des preuves divines581. 868. Les procédures modernes consacrent le principe de la libre appréciation des preuves (Grundsatz der freien Beweiswürdigung ; principio del libero apprezzamento delle prove). On entend par là la liberté du tribunal d’apprécier la force probante de chaque preuve offerte (art. 157 CPC ; art. 10 al. 2 CPP ; art. 40 PCF en relation avec l’art. 19 PA). Le tribunal doit donc former son intime conviction sur la base de toutes les preuves produites et il n’y a pas de hiérarchie de principe entre les moyens de preuve582. 869. Par exception au principe de la libre appréciation des preuves, il arrive que la loi ou la jurisprudence accorde à certains moyens une force probante accrue (erhöhte Beweiskraft ; valore probatorio accresciuto). Exemple : En procédure civile, les registres publics et les titres authentiques apportent la preuve entière (N 872) des faits qu’ils constatent (art. 9 al. 1 CC ; cf. ég. art. 179 CPC)583. Il reste cependant possible de prouver que l’inscription est inexacte (art. 9 al. 2 CC). ATF 125 V 351 consid. 3b/aa et bb : En matière d’assurances sociales, le tribunal ne s’écarte pas sans motif impérieux des conclusions d’une expertise judiciaire confiée à un médecin indépendant. Lorsque des spécialistes reconnus établissent des expertises, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et qu’ils aboutissent à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé. E. La charge de la preuve 870. La charge de la preuve (subjektive Beweislast ou Beweisführungslast ; onere della deduzione delle prove) – également appelée fardeau de l’administration des preuves ou fardeau subjectif de la preuve – désigne quelle partie doit proposer les moyens de preuve si elle ne veut pas risquer la 578 BOHNET, N 1402, avec quelques précisions. 579 ATF 141 III 433 consid. 2.6, SJ 2016 I 162. 580 Cf. ég. en matière d’assurances sociales : ATF 143 I 377 consid. 5.1. 581 PESCATORE, N 262. 582 CR CPC-SCHWEIZER, art. 157 N 19 ; HOHL, TOME I, N 2008. 583 STEINAUER, N 747. perte du procès584. Il faut distinguer ce concept de celui du fardeau (objectif) de la preuve décrit ci-dessous (N 880 ss). Le premier est un principe régi par le droit de procédure, alors que le second découle du droit matériel. Exemples : En procédure civile, lorsque la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC ; cf. N 838) s’applique, il incombe à chaque partie de proposer les moyens de preuve à l’appui des faits qu’elle allègue en sa faveur. Lorsque la maxime inquisitoire (N 839) est applicable, le tribunal détermine d’office les moyens de preuve administrés ; la charge de la preuve ne repose plus sur les parties (cf. art. 55 al. 2 et 277 al. 3 CPC pour le droit de la famille ; en matière administrative, cf. art. 14 al. 1 LPJA- NE ; en matière pénale, cf. art. 139 al. 1 CPP). F. Le degré de la preuve 871. Le degré de la preuve (Beweismass ; grado della prova) désigne le degré de certitude requis pour que l’autorité puisse considérer qu’un fait existe réellement. 872. Dans toutes les procédures, le principe est la preuve stricte ou entière (strikter ou voller Beweis ; prova rigorosa)585. Un fait n’est considéré comme établi que s’il en a été donné une preuve entière, c’est-à-dire s’il est prouvé avec certitude (Überzeugung ; certezza). Pour que ce degré soit atteint, il n’est pas nécessaire que la certitude soit absolue, mais il faut que le tribunal n’ait pas de doutes sérieux586. 873. Divers allégements du degré de la preuve s’imposent, soit parce que la preuve stricte est impossible ou excessivement difficile à apporter, soit parce que l’intérêt à une décision rapide prend le pas sur celui à l’établissement complet des faits. Voici quelques exemples : 874. 1° En cas d’infraction commise par omission, on ne peut pas prouver avec certitude que le résultat illicite ne se serait pas produit si la personne prévenue avait agi conformément à ses devoirs ; la causalité doit alors être établie au degré de la haute vraisemblance ou de la vraisemblance prépondérante (hohe ou überwiegende Wahrscheinlichkeit ; alta verosimiglianza ou verosimiglianza preponderante)587. Un fait est hautement vraisemblable lorsque d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération588. 875. 2° En matière de responsabilité civile, le lien de causalité entre l’acte illicite et le dommage s’établit aussi au degré de la vraisemblance prépondérante589. 876. 3° En droit des assurances sociales, le degré de preuve exigé est généralement la vraisemblance prépondérante590. 877. 4° Le droit de procédure civile exige, pour les mesures provisionnelles, la vraisemblance (Glaubhaftmachung ; verosimiglianza ; art. 261 al. 1 CPC). Un fait est vraisemblable lorsqu’il est rendu probable, sans pour autant que la possibilité que les faits aient pu se dérouler autrement soit exclue. Par conséquent, la vraisemblance se contente d’un degré de certitude fortement réduit (conviction supérieure à 50 %) par rapport à la preuve stricte (absence de doute raisonnable). 878. 5° Le Code de procédure pénale exige l’existence de soupçons suffisants (hinreichender Verdacht ; sufficienti indizi) pour justifier les mesures de contrainte (art. 197 al. 1 let. b CPP) ; le tribunal des mesures de contrainte procède à un examen moins approfondi que le tribunal de la 584 BOHNET, N 1383. 585 Procédure civile : BOHNET, N 1481 ; procédure administrative : KÖLZ/HÄNER/BERTSCHI, N 482 ; procédure pénale : CR CPP-VERNIORY, art. 10 N 17. 586 ATF 130 III 321 consid. 3.2, JdT 2005 I 618. 587 ATF 116 IV 182 consid. 4a, JdT 1992 IV 106. 588 Parmi d’autres : ATF 133 III 81 consid. 4.2.2. 589 ATF 132 III 715 consid. 3.2, JdT 2009 I 183. 590 ATF 142 V 435 consid. 1. La mise en œuvre du droit 155 condamnation et ordonne les mesures lorsque des indices sérieux et concrets laissent présumer qu’une infraction a été commise591. 879. 6° En procédure pénale toujours, les autorités de poursuite pénale peuvent ordonner la détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté lorsque la personne prévenue est fortement soupçonnée (dringend verdächtig ; minacci seriamente) d’avoir commis un crime ou un délit et qu’il y a sérieusement lieu de craindre qu’elle prenne la fuite, qu’elle compromette la recherche de la vérité ou encore qu’elle compromette la sécurité d’autrui (art. 221 al. 1 CPP). G. Le fardeau de la preuve 880. Après avoir défini la notion de fardeau de la preuve (i), nous présenterons le principe contenu à l’art. 8 CC (ii) ainsi que les exceptions à ce principe (iii). i) La notion 881. Par fardeau (objectif) de la preuve (Beweislast ou objektive Beweislast ; onere della prova), on entend la règle précisant qui supporte les risques de l’échec de la preuve. Dans une procédure, si un fait ne peut pas être prouvé, une partie doit nécessairement assumer les conséquences de cette absence, soit la perte du procès : on dit alors qu’elle supporte le fardeau de la preuve. ii) Le principe 882. L’art. 8 CC prévoit que « [c]haque partie doit, si la loi ne prévoit pas le contraire, prouver les faits qu’elle allègue pour en déduire son droit ». 883. Bien que cette disposition appartienne au droit privé, le principe exprimé vaut pour tous les domaines du droit, avec quelques nuances : 884. – En droit administratif, il incombe à la personne administrée d’établir les faits de nature à lui procurer un avantage et à l’administration de démontrer l’existence des faits dont il résulte une obligation en sa faveur592. 885. – En droit pénal, le fardeau de la preuve découle de la présomption d’innocence (art. 10 al. 1 et 3 CPP) : c’est le Ministère public (N 971) et la ou les parties plaignantes (N 972), s’il y en a, qui supportent le fardeau de la preuve des éléments constitutifs de l’infraction reprochée à la personne prévenue. 886. L’art. 8 CC consacre deux principes : 887. 1° Le droit à la preuve. On entend par là le droit pour une partie de tenter de convaincre le tribunal de la réalité des faits qu’elle invoque (cf. art. 152 CPC). 888. 2° Le principe « actori incumbit probatio ». On entend par là l’obligation pour la partie qui invoque un droit de prouver tous les faits qui en sont la condition. Le principe ne signifie pas qu’il appartient à la partie demanderesse au procès de prouver tous les faits en rapport avec le droit invoqué. Il faut en effet le comprendre en ce sens que chaque partie, sans égard à son rôle dans le procès, a le fardeau de la preuve des faits qui sont la condition de la règle de droit qu’elle invoque en sa faveur. 889. En relation avec l’art. 8 CC, on distingue les catégories de faits suivantes, qui permettent de déterminer qui supporte le fardeau de la preuve : 890. 1° Les faits générateurs (rechtserzeugende Tatsachen ; fatti costitutivi) sont ceux dont dépend la naissance du droit invoqué593. Ils sont positifs ou négatifs et doivent être établis par la partie qui invoque le droit en sa faveur. 591 CR CPP-VIREDAZ/JOHNER, art. 197 N 5 s. 592 BOVAY, p. 229. 593 DESCHENAUX, p. 239. Exemple : En lien avec l’art. 41 CO, les faits permettant d’établir le dommage, l’illicéité de l’acte, la faute et le rapport de causalité naturelle sont des faits générateurs. En lien avec l’art. 28 CC, les faits permettant d’établir l’atteinte à la personnalité sont générateurs. 891. 2° Les faits extinctifs (rechtsvernichtende Tatsachen ; fatti estintivi) sont ceux dont il résulte que le droit invoqué est éteint ou modifié. Ils se produisent postérieurement aux faits générateurs. Ils doivent être établis par la partie qui prétend être libérée. Exemple : En lien avec l’art. 41 CO, les faits permettant d’établir qu’il y a eu paiement de la créance en réparation du dommage ou qu’il y a eu remise de dette sont des faits extinctifs. En lien avec l’art. 28 CC, les faits permettant d’établir que l’atteinte a cessé sont extinctifs. 892. 3° Les faits dirimants (rechtshindernde Tatsachen ; fatti dirimenti) sont ceux qui empêchent une règle, dont les conditions paraissent pourtant remplies, de produire ses effets. Ils doivent être prouvés par la partie qui prétend qu’un tel fait, qui s’écarte de l’ordre ordinaire des choses594, s’est produit. Exemple : En lien avec l’art. 41 CO, les faits permettant d’établir que la créance est prescrite sont des faits dirimants. En lien avec l’art. 28 CC, les faits permettant d’établir que la victime a consenti à l’atteinte ou que le créancier commet un abus de droit en invoquant son droit d’agir en justice en raison d’une atteinte à sa personnalité sont dirimants. iii) Les exceptions 893. Il existe deux types de dispositions dérogeant à l’art. 8 CC, qui réserve d’ailleurs explicitement le cas où la loi prescrit le contraire : 894. Premièrement, il y a celles qui assouplissent le fardeau de la preuve (Beweislasterleichterung ; alleggerimento dell’onere della prova) : ce sont les présomptions légales. On entend par là les règles de droit qui prescrivent de conclure d’un fait (la « prémisse » de la présomption) à l’existence d’un autre fait (le « fait à prouver ») tant que la preuve du contraire ne sera pas apportée595. La partie qui se prévaut d’un droit supporte le fardeau de la preuve en ce qui concerne le fait-prémisse, qui sera généralement plus simple à apporter. Si la prémisse est prouvée, le fardeau objectif de la preuve du fait à prouver repose sur la partie adverse. Exemple : La personne prétendant que tel homme est le père d’un enfant devrait en principe prouver la filiation naturelle. L’art. 255 al. 1 CC contient toutefois une présomption légale selon laquelle l’enfant né durant le mariage a pour père le mari. Il suffit donc de prouver le mariage avec la mère de l’enfant (la prémisse) pour établir la paternité du mari (la conséquence). Il appartient alors au défendeur (le mari) de prouver qu’il n’est pas le père (apporter la preuve du contraire), par exemple au moyen d’un test ADN. 895. La présomption légale doit être distinguée de deux autres concepts : 896. 1° La présomption de fait ou présomption de l’homme (praesumptio hominis ; N 861). On entend par là le fait pour le tribunal d’admettre certains faits sur la base de son expérience de la vie et des hommes, sans être lié par une règle de droit prévoyant une présomption. On est dans le domaine de la preuve par indices, qui relève du « thème de la preuve » (N 859 ss)596. 897. 2° La fiction (praesumptio iuris et de jure). On entend par là une règle de droit prescrivant de conclure d’un fait à l’existence d’un autre, sans que l’on puisse apporter la preuve du contraire. Les expressions « est réputé », « est censé » désignent souvent une fiction. La terminologie légale n’étant pas toujours exacte, c’est affaire d’interprétation que de déterminer si une règle contient une fiction ou une présomption597. 594 BOHNET, N 1218 ; STEINAUER, N 708. 595 DESCHENAUX, p. 249. 596 STEINAUER, N 657. 597 STEINAUER, N 659. La mise en œuvre du droit 157 Exemple : L’art. 156 CO prévoit qu’une condition à l’existence d’une créance « est réputée accomplie quand l’une des parties en a empêché l’avènement au mépris des règles de la bonne foi ». Il s’agit d’une fiction. ATF 146 IV 114 consid. 2.3.1 : L’art. 116 CP prévoit une peine atténuée pour la mère qui tue son enfant « pendant l’accouchement ou alors qu’elle se trouvait encore sous l’influence de l’état puerpéral ». Pour que cette disposition s’applique à un infanticide commis après l’accouchement, il suffit de démontrer que la mère se trouve encore dans l’état puerpéral. Si tel est le cas, la loi instaure une fiction selon laquelle la mère se trouvait bien psychiquement influencée par cet état physiologique. 898. Deuxièmement, il y a des règles renversant purement et simplement le fardeau de la preuve (Beweislastumkehr ; rovesciamento dell’onere della prova). Elles prévoient que certains faits sont légalement considérés comme établis jusqu’à preuve du contraire. À l’inverse d’une présomption légale, la partie devant en principe supporter le fardeau de la preuve n’a même pas à prouver de fait-prémisse. Exemple : L’art. 17 CO dispense le créancier d’établir la cause de l’obligation s’il possède une reconnaissance de dette. Le fardeau de la preuve est renversé : il incombe à la partie débitrice d’établir quelle est la cause de l’obligation et de démontrer que cette cause n’est pas valable598. Chapitre 4 La mise en œuvre du droit privé 899. Ce chapitre traite de quelques questions fondamentales de la procédure civile. Il en présente les caractéristiques principales (4.1 ; N 900 ss), donne un aperçu du déroulement d’un procès (4.2 ; N 920 ss) et de l’organisation judiciaire en matière civile (4.3 ; N 947 ss), puis traite de l’issue du procès (4.4 ; N 957 ss). 4.1 Les caractéristiques du procès civil 900. Le procès civil s’ouvre en principe par l’introduction d’une action (A. ; N 901 ss) et met en scène des actrices et acteurs bien définis (B. ; N 908 ss). L’établissement des faits (C. ; N 914 ss) répond à certaines règles et il convient de préciser si et comment les parties disposent de l’objet du litige (D. ; N 917 ss). A. L’ouverture du procès civil : l’action civile 901. L’instrument permettant de demander aux tribunaux de prononcer la sanction prévue par les normes de droit civil est l’action (Klage ; azione)599. L’action est l’affirmation d’un droit jugé digne de protection ; si elle est donnée et que les autres conditions de recevabilité (N 763 ss) sont réalisées, le tribunal doit entrer en matière sur la demande et déterminer si la prétention invoquée est bien fondée ou non600. L’action n’est pas équivalente au droit subjectif : d’une part, il existe des droits subjectifs qui sont privés d’action ; d’autre part, l’action appartient à celui qui se prétend titulaire d’un droit, même si en réalité celui-ci n’existe pas. Exemples : Une personne peut agir en justice contre une autre en affirmant que celle-ci lui a causé un dommage et réclamer sur cette base des dommages-intérêts (art. 41 CO). L’action, qui est l’affirmation du droit à la réparation, existe même si les conditions de la responsabilité (acte illicite, dommage, lien de causalité, faute) ne sont pas toutes réalisées et que la demanderesse n’a en définitive pas droit à une réparation. Une propriétaire d’immeuble peut agir en justice contre son voisin et affirmer que celui-ci émet des nuisances sonores excessives. Si les autres conditions de recevabilité (N 763 ss) sont réalisées, le tribunal devra traiter ce litige et examiner si le voisin doit être condamné en vertu des art. 679 et 684 CC. L’action découlant de ces dispositions peut être introduite même 598ATF 131 III 268 consid. 3.2. 599 AUBERT/SAVAUX, N 149 ; PESCATORE, N 253. 600 BOHNET, N 111. si, en fin de compte, le tribunal rejette la prétention invoquée par la propriétaire parce qu’elle n’existe pas, par exemple parce que les nuisances sonores ne sont pas excessives. 902. Le concept d’« action » provient du latin actio, terme désignant l’ensemble des formalités à accomplir pour montrer la légitimité de son droit. À Rome, les actiones ont précédé le droit matériel, dont les règles n’avaient pas encore été fixées : l’augmentation de leur nombre par le préteur (magistrat chargé d’administrer la justice à Rome) a constitué le principal facteur d’évolution juridique à cette époque. 903. Le procès civil étant en principe soumis à la maxime de disposition (N 835), le procès n’a lieu que si une partie intente l’action pour faire valoir son droit ; les tribunaux n’interviennent pas d’office dans les rapports de droit privé601. 904. On distingue traditionnellement trois sortes d’actions : 905. 1° L’action condamnatoire (art. 84 CPC ; Leistungsklage ; azione condannatoria) ou action en prestation. Il s’agit de l’action qui tend à imposer à la partie défenderesse une prestation (positive ou négative). Elle n’est pas nécessairement de nature pécuniaire. Exemples : L’action en responsabilité civile, qui tend au paiement d’une somme d’argent à titre d’indemnité, est une action condamnatoire. L’action en cessation d’une atteinte à la personnalité (art. 28a al. 1 ch. 2 CC) est une action condamnatoire. 906. 2° L’action formatrice (art. 87 CPC ; Gestaltungsklage ; azione costitutiva). Il s’agit de l’action qui tend à la création, à la modification ou à la suppression d’un droit ou d’un rapport de droit. Exemples : L’action en paternité vise à établir un lien de filiation paternelle entre un homme et un enfant (art. 261 CC). L’action en diminution du loyer (art. 270 s. CO) tend à modifier la relation contractuelle entre la propriétaire et le locataire602. L’action en divorce (art. 111 ss CC ; art. 274 ss CPC) tend à mettre fin au mariage. 907. 3° L’action en constatation de droit (art. 88 CPC ; Feststellungsklage ; azione d’accertamento). Il s’agit de l’action qui tend à faire constater par le tribunal l’existence ou l’inexistence d’un droit ou d’un rapport de droit. Exemple : L’action tendant à faire constater la nullité d’un congé donné à un employé, typiquement parce qu’il a été donné en temps inopportun (art. 336c CO) est une action en constatation de droit. B. Les actrices et les acteurs du procès civil 908. Le procès civil oppose toujours deux parties : 909. 1° La partie demanderesse (Klägerin ; parte attrice). Il s’agit de celle qui demande au tribunal la reconnaissance de son droit. 910. 2° La partie défenderesse (Beklagte ; parte convenuta). Il s’agit de celle qui s’oppose à la reconnaissance de ce droit. Cette partie peut à son tour prendre des conclusions reconventionnelles (art. 224 CPC). La partie défenderesse (principale) sera alors également demanderesse reconventionnelle et la partie demanderesse (principale) sera défenderesse reconventionnelle. 911. Une partie peut se faire représenter (vertreten ; rappresentare) dans le procès civil, généralement par un avocat ou une avocate (art. 68 CPC). 912. Dans les affaires relevant de la juridiction gracieuse (freiwillige Gerichtsbarkeit ; volontaria giurisdizione), il n’y a en principe pas de partie défenderesse, mais uniquement une partie requérante. Par juridiction gracieuse, on entend l’activité que doit déployer le tribunal pour 601 HOHL, TOME I, N 1184. 602 Cf. TF 4A_484/2019 du 29 avril 2020 consid. 3. La mise en œuvre du droit 159 permettre à une personne de réaliser un droit privé sans qu’il n’y ait de litige603. Lorsque le tribunal doit statuer dans un litige opposant deux ou plusieurs parties, on parle de juridiction contentieuse604. Exemple : La requête en changement de nom (art. 30 CC) relève de la juridiction gracieuse. Elle n’implique pas d’autre partie que la personne qui souhaite changer de nom. En revanche, le tribunal qui traite une demande en paiement d’un créancier contre son débiteur exerce une juridiction contentieuse. 913. Les autorités compétentes pour trancher les affaires civiles sont les tribunaux (cf. l’aperçu d’organisation judiciaire sous N 947 ss). C. L’établissement des faits 914. Le procès civil est en principe soumis à la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC ; cf. N 838). 915. La maxime inquisitoire (N 839) n’intervient que lorsque la loi le prévoit (art. 55 al. 2 CPC). Tel est le cas dans les procédures de droit de la famille pour les questions relatives aux enfants (art. 296 al. 1 CPC). 916. Dans les domaines où il est nécessaire de protéger une partie considérée comme faible, le CPC prévoit une maxime inquisitoire sociale ou atténuée (eingeschränkte Untersuchungsmaxime ; principio inquisitorio sociale). Dans ce cadre, les parties demeurent responsables d’introduire les faits pertinents dans le procès, mais le tribunal doit s’assurer, par des questions adéquates, que les allégués des parties et leurs offres de preuve sont complets605. Exemple : Si un locataire reproche à sa bailleresse d’avoir imposé un loyer abusif (art. 269 CO), le litige sera soumis à la maxime inquisitoire sociale (art. 247 al. 2 let. a en relation avec l’art. 243 al. 2 let. c CPC). D. La disposition sur l’objet du litige 917. Le procès civil est en principe soumis à la maxime de disposition (art. 58 al. 1 CPC ; cf. N 835). Le tribunal ne peut en principe pas accorder plus ou autre chose que ce que les parties demandent dans leurs conclusions. Par ailleurs, les parties peuvent mettre fin au procès par transaction, acquiescement ou désistement (art. 241 CPC). 918. La maxime d’office (N 836) n’intervient que lorsque la loi le prévoit (art. 58 al. 2 CPC), notamment dans les procédures applicables aux enfants dans les affaires de droit de la famille (art. 296 al. 3 CPC) et en matière de carences dans l’organisation d’une société anonyme (art. 731b CO). 4.2 Le procès civil (aperçu) 919. Un procès civil peut comprendre jusqu’à quatre phases distinctes : le préalable de conciliation (A. ; N 920 ss), la procédure de première instance (B. ; N 924 ss), celle de deuxième instance (C. ; N 929 ss) ainsi que celle devant le Tribunal fédéral (D. ; N 943 ss). A. Le préalable de conciliation 920. Une tentative de conciliation précède en principe obligatoirement toute procédure civile ordinaire (art. 197 CPC). Il existe toutefois des exceptions, prévues par la loi (art. 198 CPC) ou découlant du renoncement des parties (art. 199 CPC). À certaines conditions, les parties peuvent également lui préférer la médiation (art. 213 CPC). 921. Si la conciliation n’aboutit pas, l’autorité de conciliation délivre une autorisation de procéder (Klagebewilligung ; autorizzazione ad agire ; art. 209 al. 1 CC). La délivrance d’une telle autorisation est une condition de recevabilité de la demande au fond (art. 209 al. 3 CPC). 603 BOHNET, N 67. 604 BOHNET, N 64. 605 ATF 141 III 569 consid. 2.3. 922. Dans certains domaines, l’autorité de conciliation peut rendre une proposition de jugement (Urteilsvorschlag ; proposta di giudizio ; art. 210 CPC) ; celle-ci entre en force si aucune des parties au procès ne s’y oppose (art. 211 CPC). 923. Dans les affaires patrimoniales dont la valeur litigieuse ne dépasse pas 2000 francs, l’autorité de conciliation peut statuer elle-même et rendre une décision (Entscheid ; decisione ; art. 212 al. 1 CPC). B. La procédure de première instance 924. Dans une procédure civile ordinaire (art. 219 ss CPC), on distingue les phases principales suivantes : 925. 1° L’échange d‘écritures (Schriftenwechsel ; scambio di scritti). Les parties vont produire tour à tour un mémoire de demande, un mémoire de réponse et, lorsque le tribunal ordonne un second échange d’écritures, une réplique et une duplique (art. 220 ss CPC). Dans le procès civil, les parties ont au maximum deux occasions d’alléguer des faits et d’offrir des preuves de manière illimitée606. Par la suite, elles ne peuvent invoquer des faits et des moyens de preuve nouveaux qu’à des conditions strictes (art. 229 CPC). 926. 2° Les débats principaux (Hauptverhandlung ; dibattimento principale), au cours desquels le tribunal va notamment administrer les preuves (art. 231 CPC). Au terme de l’administration des preuves, les plaidoiries finales ont lieu, lors desquelles les parties se prononcent sur les résultats de l’administration des preuves et sur la cause (art. 232 CPC). 927. 3° La décision (Entscheid ; decisione ; art. 236 ss CPC) qui inclut aussi la répartition des frais de justice entre les parties. La décision peut être finale ou incidente (cf. art. 237 al. 1 CPC). Si la décision est finale, il s’agit soit d’une décision d’irrecevabilité, soit d’une décision au fond, dans laquelle le tribunal peut admettre totalement ou partiellement les conclusions formulées par la partie demanderesse, ou encore les rejeter. 928. Le CPC prévoit d’autres formes de procédure : la procédure simplifiée (art. 243 ss CPC) et la procédure sommaire (art. 248 ss CPC), qui sont moins formalistes et visent un règlement plus rapide des litiges, ainsi que les procédures spéciales en droit matrimonial (art. 271 ss CPC) et en droit de la famille (art. 295 ss CPC). C. La procédure de deuxième instance 929. L’État a prévu diverses voies de droit pour permettre un contrôle pyramidal des décisions (principe du double degré de juridiction). Tous les jugements peuvent en principe faire l’objet d’une voie de droit, à l’exception des cas dans lesquels une autorité statue en dernier ressort. 930. Il y a trois voies de droit au niveau cantonal : 931. 1° L’appel (Berufung ; appello ; art. 308 ss CPC). Il s’agit de la voie de droit ordinaire par laquelle une partie défère à la juridiction supérieure cantonale une décision rendue en première instance afin d’en obtenir en principe la réformation (effet réformatoire), exceptionnellement un renvoi de la cause à la première instance (art. 318 CPC). 932. L’appel a un effet dévolutif complet, à savoir que la cour d’appel va réexaminer la cause dans son ensemble, en fait et en droit (art. 310 CPC), en la forme et au fond, avec un plein pouvoir d’examen avant de se prononcer. 933. L’appel a en principe un effet suspensif, c’est-à-dire que la décision attaquée n’entre pas en force et ne devient pas exécutoire (art. 315 al. 1 CPC ; cf. art. 315 al. 4 CPC pour les exceptions). L’autorité d’appel peut toutefois autoriser l’exécution anticipée (art. 315 al. 2 CPC). 934. L’appel est la voie de droit prioritaire ; cependant, toutes les décisions ne peuvent pas faire l’objet d’un appel, notamment lorsque leur valeur litigieuse est faible (art. 308 al. 2 CPC). Les décisions ne pouvant pas faire l’objet d’un appel sont uniquement sujettes à recours (art. 319 CPC N 935). 606 ATF 140 III 312 consid. 6.3.2.3, JdT 2016 II 257. La mise en œuvre du droit 161 935. 2° Le recours (Beschwerde ; ricorso ; art. 319 ss CPC). Il s’agit de la voie de droit ordinaire ou hybride, par laquelle une partie demande en principe à la juridiction supérieure d’annuler une décision en cas de violation du droit et de renvoyer la cause à l’instance précédente (effet cassatoire ; art. 327 al. 3 let. a CPC). Elle peut toutefois réformer le jugement de première instance si l’affaire est en état d’être jugée. 936. La loi énumère limitativement les moyens que le recourant peut invoquer en recours : il s’agit des violations du droit et de la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L’effet dévolutif n’est donc pas complet. 937. Le recours est subsidiaire par rapport à l’appel. 938. Le recours n’a en principe pas d’effet suspensif (art. 325 al. 1 CPC), sauf décision contraire de l’autorité de recours (art. 325 al. 1 CPC). 939. 3° La révision (Revision ; revisione ; art. 328 ss CPC). Il s’agit de la voie de droit extraordinaire par laquelle une partie demande la reprise complète d’un procès ayant déjà fait l’objet d’une décision passée en force de chose jugée (N 765 ss). La révision intervient lorsqu’il se justifie de rouvrir la procédure alors que les voies de droit ordinaires ont déjà été épuisées, par exemple lorsqu’une partie découvre des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants nouveaux qu’elle n’avait pu invoquer dans la procédure précédente, à l’exclusion des faits et moyens de preuve postérieurs à la décision. 940. La procédure de révision intervient non pas devant une autorité de recours mais devant le tribunal ayant prononcé le jugement (art. 328 al. 1 CPC). 941. La révision n’a pas d’effet suspensif (art. 331 al. 1 CPC), sauf décision contraire du tribunal (art. 331 al. 1 CPC). Exemple : Après la fin de la procédure, une partie découvre que le témoin principal d’un procès était totalement ivre lors de son audition et qu’il n’a aucun souvenir des déclarations qu’il y a faites. 942. Le CPC mentionne également la rectification (Berichtigung ; rettifica) et l’interprétation (Erläuterung ; interpretazione) (art. 334 CPC). Il ne s’agit pas de voies de droit à proprement parler ; elles permettent au tribunal de corriger son dispositif si celui-ci est peu clair, contradictoire, incomplet ou s’il ne correspond pas à la motivation du jugement. D. La procédure devant le Tribunal fédéral 943. Devant le Tribunal fédéral, un jugement civil peut faire l’objet d’un recours en matière civile (Beschwerde in Zivilsachen ; ricorso in materia civile), une fois les voies de droit cantonales épuisées (art. 72 LTF). Le recours au Tribunal fédéral est donc ouvert contre les décisions rendues sur appel ou sur recours et celles rendues par une autorité d’instance cantonale unique (art. 5, 6 et 7 CPC) ou le Tribunal fédéral des brevets. 944. Dans les affaires pécuniaires, le recours en matière civile n’est en principe recevable que si une valeur litigieuse minimale est atteinte (art. 74 al. 1 LTF ; 15'000 ou 30'000 francs selon les cas). La loi prévoit des exceptions pour les affaires soulevant une question juridique de principe et certains types de décision (art. 74 al. 2 LTF). 945. Le Tribunal fédéral n’examine en principe le jugement de l’instance précédente que sous l’angle de la conformité au droit (art. 95 s. LTF). Sous réserve d’une constatation manifestement inexacte des faits (art. 97 al. 1 LTF), il s’en tient à l’état de fait établi par les autorités précédentes. 946. Si le recours en matière civile n’est pas ouvert, les jugements peuvent faire l’objet d’un recours constitutionnel subsidiaire (subsidiäre Verfassungsbeschwerde ; ricorso sussidiario in materia costituzionale ; art. 113 ss LTF), où le Tribunal fédéral examine uniquement le respect des droits constitutionnels (art. 116 LTF). 4.3 L’organisation judiciaire civile (aperçu) 947. Sauf disposition contraire de la loi, l’organisation judiciaire et l’administration de la justice en matière de droit civil sont du ressort des cantons (art. 122 Cst. féd.). Chaque canton organise donc ses juridictions ; il détermine également leur compétence en l’absence de règle de droit fédéral. Ainsi, chaque canton peut choisir d’avoir un seul ou plusieurs arrondissements judiciaires, d’avoir des juridictions spécialisées (p.ex. en matière de bail et de travail), ou encore d’instituer un tribunal de commerce. Les cantons peuvent aussi déterminer la dénomination des tribunaux (p.ex. justice ou juge de paix, tribunal de district, d’instance, d’arrondissement), leur composition (p.ex. juge unique, tribunal collégial de trois ou cinq membres) et leur mode d’élection (p.ex. par le peuple, par le parlement cantonal ou par une commission du parlement). 948. La juridiction civile se compose de plusieurs degrés de juridiction, en principe deux à l’échelon cantonal et un à l’échelon fédéral. 949. Le CPC présuppose l’institution d’une autorité de conciliation ainsi que d’autorités judiciaires de première et de deuxième instance au niveau cantonal, voire de certaines juridictions spéciales d’instance cantonale unique. La composition et les dénominations de ces autorités varient en fonction des cantons607 : 950. 1° L’autorité de conciliation (Schlichtungsbehörde ; autorità di conciliazione) est compétente pour la conciliation préalable (art. 197 ss CPC ; cf. ég. N 920 ss). Exemples : À Neuchâtel, l’autorité de conciliation est intégrée aux tribunaux de première instance (art. 11 OJN-NE). À Berne, il s’agit de l’autorité régionale de conciliation (art. 2 al. 4 let. c LOJM-BE608). Le Valais confie la tentative de conciliation aux juges de commune (art. 3 al. 1 LACPC-VS609). En matière de droit du bail et d’égalité entre femmes et hommes, ainsi que parfois en droit du travail, les autorités de conciliation ont une composition paritaire (N 772 ; art. 200 CPC ; cf. art. 11 et 12 OJN-NE) : en plus d’un magistrat ou d’une magistrate, elle comprend un nombre égal de personnes représentant chacune les intérêts de l’une des catégories de personnes concernées par le litige (p.ex. pour le droit du bail : locataires et bailleresses). 951. 2° Le tribunal de première instance tranche en première instance toutes les contestations civiles qui ne relèvent pas d’une juridiction spéciale. Il est notamment compétent en matière de droit des personnes, de droit de la famille, de droit des successions, de droits réels et de droit des obligations. Exemples : Dans les cantons du Jura et de Genève, l’autorité judiciaire de première instance s’appelle le Tribunal de première instance (art. 85 ss LOJ-GE et art. 29 s. LOJ-JU). En Valais, c’est le Tribunal de district (art. 4 LACPC-VS). À Neuchâtel, il y a actuellement deux tribunaux régionaux, appelés à terme à être remplacés par un tribunal d’instance, compétent pour tout le canton (art. 15 ss et 98b OJN-NE). Dans le canton de Vaud, les affaires patrimoniales sont soumises à la Justice de paix, au Tribunal d’arrondissement ou à la Chambre patrimoniale cantonale en fonction de leur valeur litigieuse (art. 96b al. 3, 96d al. 2, 96g al. 1, 113 al. 1bis LOJV-VD). Dans le canton de Fribourg, les compétences sont partagées entre le Tribunal civil, qui est la juridiction ordinaire (art. 50 al. 2 LJ-FR610) et le ou la Juge unique, qui connaît notamment des causes soumises à la procédure simplifiée et à la procédure sommaire (art. 51 al. 1 LJ-FR). 952. Les tribunaux des baux (cf. art. 56 LJ-FR) ou des baux à loyer (cf. art. 88 LOJ-GE) et des prud’hommes (cf. art. 54 LJ-FR ; art. 110 LOJ-GE) sont des autorités judiciaires spécialisées de première instance, qui n’existent pas dans le canton de Neuchâtel, où le tribunal civil ordinaire est réputé être juridiction spéciale en matière de contrat de bail et de contrat de travail (art. 17a OJN- NE). 953. 3° Le tribunal de deuxième instance réunit souvent les juridictions de recours et d’appel en matière civile, pénale et administrative. Il est souvent appelé Tribunal cantonal, c’est notamment le cas à Neuchâtel (art. 33 ss OJN-NE) ; à Berne, il s’agit de la Cour suprême (Obergericht ; art. 35 al. 1 LOJM-BE) et, à Genève, de la Cour de justice (art. 120 LOJ-GE). Le tribunal cantonal fonctionne également comme instance unique dans les procédures où le CPC 607 Pour une présentation générale, cf. www.tribunauxcivils.ch. 608 Loi sur l'organisation des autorités judiciaires et du Ministère public du 11 juin 2009, RSB 161.1. 609 Loi d’application du code de procédure civile suisse du 11 février 2009, RS/VS 270.1. 610 Loi sur la justice du 31 mai 2010, RSF 130.1. La mise en œuvre du droit 163 (art. 5 CPC) ou d’autres lois prévoient une juridiction cantonale unique ou pour des litiges dépassant une certaine valeur litigieuse si les deux parties sont d’accord (art. 8 CPC). Exemple : L’art. 5 CPC prévoit une instance cantonale unique pour les litiges relevant notamment du droit de la propriété intellectuelle (let. a), du droit des cartels (let. b) ou de la concurrence déloyale (let. d). À Neuchâtel, la compétence pour connaître de ces litiges est attribuée à la Cour civile du Tribunal cantonal (art. 41 al. 1 OJN-NE). 954. 4° Trois cantons alémaniques (AG, ZH, SG) ainsi qu’un canton bilingue (BE) ont institué un tribunal de commerce (Handelsgericht ; tribunale commerciale), qui connaît en instance cantonale unique des litiges commerciaux (art. 6 al. 1 CPC). Il s’agit en principe d’une des chambres du tribunal cantonal (cf. art. 35 al. 3 LOJM-BE). Les cantons peuvent également instituer un tribunal qui statue en tant qu’instance cantonale unique sur les litiges portant sur les assurances complémentaires à l’assurance-maladie obligatoire (art. 7 CPC) ; cette disposition permet de centraliser auprès du même tribunal toutes les questions liées à l’assurance-maladie de base, soumise au droit public (art. 87 LAMal et art. 57 LPGA) et celles relatives à l’assurance complémentaire, relevant du droit privé611. 955. Il existe également un Tribunal fédéral de première instance en matière civile : le Tribunal fédéral des brevets (Bundespatentgericht ; Tribunale federale dei brevetti) qui officie comme juridiction unique sur le plan fédéral pour les actions en validité d’un brevet et en contrefaçon d’un brevet, les actions en octroi de licence (art. 26 LTFB612) et les actions en titularité ou en cession de brevets. 956. Enfin, les arrêts civils des tribunaux cantonaux de dernière instance sont susceptibles d’un recours en matière civile au Tribunal fédéral (art. 72 ss LTF ; N 943 ss). 4.4 L’issue du procès civil A. Le jugement 957. L’issue du procès civil trouve sa concrétisation dans un jugement. Si le tribunal est d’avis que la demande est recevable et qu’il est convaincu du bien-fondé des conclusions formulées, il rend un jugement au fond (N 764) dans lequel il admet – pleinement ou partiellement – la demande ; sa décision sera, selon les cas, condamnatoire, formatrice ou constatatoire (N 904 ss). Si, en revanche, le tribunal n’est pas convaincu du bien-fondé de l’action intentée, il la rejette. 958. Si le tribunal estime que les conditions de recevabilité de la demande ne sont pas réalisées, il rend un jugement d’irrecevabilité (N 763). B. L’exécution forcée 959. Lorsqu’une partie refuse de se soumettre à la sanction du tribunal, l’exécution forcée (Zwangsvollstreckung ; esecuzione forzata) de la décision est nécessaire. La partie ayant obtenu gain de cause ne peut imposer directement une contrainte, celle-ci étant exercée par l’État. Toutefois, elle peut formuler une requête en ce sens. 960. En Suisse, la procédure d’exécution forcée diffère selon l’objet de la sanction : 961. 1° Les jugements condamnant au paiement d’une somme d’argent ou à la prestation d’une sûreté sont sujets à l’exécution selon la LP (art. 335 al. 2 CPC). Les principaux moyens existants dans ce domaine sont la saisie et la faillite. 962. 2° Les autres jugements sont soumis à la procédure civile fédérale (art. 335 ss CPC). Le tribunal peut notamment assortir sa décision de la menace de la sanction pénale prévue à l’art. 292 CP qui prévoit une amende pour quiconque refuse de se soumettre à une décision officielle (art. 343 al. 1 let. a CPC). L’art. 343 CPC prévoit également d’autres moyens (amende d’ordre, mesure de contrainte directe, exécution par substitution). 611 CR CPC-HALDY, art. 7 N 2. 612 Loi fédérale du 20 mars 2009 sur le Tribunal fédéral des brevets, RS 173.41. Chapitre 5 La mise en œuvre du droit pénal 963. Ce chapitre traite de quelques questions fondamentales de la procédure pénale. Il en présente les caractéristiques principales (5.1 ; N 964 ss), donne un aperçu du déroulement d’un procès pénal (5.2 ; N 983 ss) et de l’organisation judiciaire en matière pénale (5.3 ; N 1012 ss) et traite de l’issue du procès (5.4 ; N 1024 ss). 5.1 Les caractéristiques du procès pénal 964. Le procès pénal s’ouvre par l’engagement d’une action pénale (A. ; N 965 ss). Il met en scène des actrices et acteurs défini·e·s (B. ; N 969 ss). Les règles du CPP déterminent l’établissement des faits (C. ; N 977 ss) et limitent de façon importante la manière dont l