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Syllabus Introduction à l'Orthopédagogie Clinique 2023-2024 PDF

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Summary

This syllabus provides an introduction to clinical orthopedagogy in Belgium, focusing on the history of disability, integrative approaches, legal frameworks, and the roles of clinical orthopedagogues. It covers various topics like the evolution of disability models, different types of disorders, legal considerations, and interventions.

Full Transcript

Auteur : Romina Rinaldi Liste des contributeurs par ordre alphabétique Elise Batselé Mathilde Boutiflat Caroline Kahwaji Manon Legierski Laurie Lucassen Valentine Malou Emma Mazza Adèle Naessens Eric Willaye Table des matières Introduction...................................................

Auteur : Romina Rinaldi Liste des contributeurs par ordre alphabétique Elise Batselé Mathilde Boutiflat Caroline Kahwaji Manon Legierski Laurie Lucassen Valentine Malou Emma Mazza Adèle Naessens Eric Willaye Table des matières Introduction................................................................................................................. 1 Chapitre 1- Histoire du handicap et évolution des paradigmes................................... 4 1. Histoire de la notion de handicap.................................................................. 4 2. Modèles du handicap.................................................................................... 8 Chapitre 2 – Approche intégrative et socioécologique des troubles du neurodéveloppement................................................................................................ 17 1. Déficience intellectuelle............................................................................... 18 1.1. Evolution de la définition de déficience intellectuelle............................ 19 1.2. Modèle du fonctionnement humain de l’AAIDD..................................... 20 1.3. Composantes intégratives pour la définition, l'évaluation et l'intervention 22 2. Les troubles du comportement et le double diagnostic................................ 33 2.1. Prévalence ponctuelle et variables influençant la prévalence des troubles du comportement............................................................................................... 34 2.2. Principes généraux d’analyse du comportement.................................. 35 2.3. Le double diagnostic............................................................................. 39 3. Troubles du spectre de l’autisme................................................................. 42 3.1. Introduction........................................................................................... 42 3.2. La notion de spectre............................................................................. 45 3.3. Critères diagnostiques du DSM-V......................................................... 47 3.4. Troubles du spectre de l’autisme et besoins de soutien....................... 52 Chapitre 3 : Cadre légal de l’orthopédagogie clinique.............................................. 55 1. Cadre légal transversal................................................................................ 55 2. Cadre légal spécifique................................................................................. 60 2.1. Principes généraux............................................................................... 60 1.1. Le profil de compétences de l’orthopédagogue clinicien....................... 61 2.2. Le public cible et les contextes d’exercice............................................ 65 Chapitre 4 – Paradigme de l’orthopédagogie clinique.............................................. 67 1. Approche centrée sur la personne............................................................... 67 2. Qualité de vie.............................................................................................. 70 2.1. Principes généraux............................................................................... 70 2.2. Modélisation et mesure auprès des personnes en situation de handicap 73 3. Santé globale.............................................................................................. 76 4. Inclusion sociale.......................................................................................... 79 5. Autodétermination....................................................................................... 84 5.1. Bases conceptuelles de l’autodétermination......................................... 85 5.2. Théorie fonctionnelle de l’autodétermination......................................... 86 5.3. Théorie motivationnelle de l’autodétermination..................................... 89 5.4. Quelques balises opérationnelles de l’autodétermination..................... 92 6. Psychofortologie.......................................................................................... 94 6.1. Le paradigme pathogénique................................................................. 94 6.2. Le paradigme salutogénique................................................................. 95 6.3. Le paradigme fortigénique.................................................................... 95 7. Le projet (individuel).................................................................................... 98 Chapitre 5 – Les missions des orthopédagogues cliniciens................................... 102 1. Le diagnostic orthopédagogique............................................................... 102 2. L’intervention orthopédagogique dont la prévention.................................. 105 1. La collaboration......................................................................................... 109 2. L’organisation............................................................................................ 111 3. La formation.............................................................................................. 113 Bibliographie........................................................................................................... 114 Introduction En Belgique, depuis la loi du 10 juillet 2016 réformant les professions de soins de santé mentale, le titre d’orthopédagogue clinicien est reconnu à un niveau national et relève désormais d’un organe fédéral indépendant qui délivre, en fonction de la formation académique suivie et/ou de l’expérience professionnelle justifiée dans des milieux d’exercice compatibles1, un visa attestant de la formation initiale utile. La reconnaissance de la formation initiale est donc gérée par une entité fédérale (le SPF Santé) et la protection des titres de psychologues cliniciens et d’orthopédagogues cliniciens s’opère alors au sein d’un cadre légal unique. En parallèle, les régions restent compétentes pour l’obtention de l’agrément (en psychologie clinique et en orthopédagogie clinique) nécessaire à la pratique dite autonome de la profession (non supervisée ou en contexte libéral). Au niveau national, l’orthopédagogie en tant que discipline scientifique existe déjà sous l’appellation néerlandaise orthopedagogiek depuis 1949. Le terme remplace alors en partie des terminologies antérieures telles que heilpädagogik (pédagogie de la santé) où l’accent est mis sur la visée curative ou sonderpädagogik qui concerne davantage un mode spécifique d’éducation (plus proche de special education). Par la suite, ces terminologies seront progressivement abandonnées, notamment en raison de leurs approches presque exclusivement médicales des situations de handicap et de leurs restrictions à un contexte de pratiques et/ou des interventions centrées sur l’apprentissage. Par rapport à ces terminologies, le terme d’orthopédagogie concerne de façon plus globale une intervention adéquate dans les situations d’éducation et de vie difficiles. Tout au long de ce syllabus, les termes d’« orthopédagogie clinique » ou d’« orthopédagogue clinicien » seront utilisés. Ces termes, relatifs à une profession et à la formation/aux formations qui la concernent, sont donc issus de la loi du 10 juillet 2016. Cette loi propose de définir l’orthopédagogie clinique comme suit : « […] On entend par exercice de l’orthopédagogie clinique, l’accomplissement habituel, dans un cadre de référence scientifique, de l’orthopédagogie clinique, d’actes autonomes qui ont 1 En fonction de l’année académique durant laquelle le diplôme a été obtenu, les demandes entrent ou non dans le champ des mesures transitoires, visant à reconnaître aux détenteurs d’un master en sciences psychologiques (et éventuellement, en sciences de l’éducation), la formation initiale et l’expérience professionnelle utile à l’obtention du visa et éventuellement, de l’agrément. pour but la prévention, le dépistage et l’établissement d’un diagnostic pédagogique, avec une attention particulière pour les facteurs contextuels, et le dépistage de problèmes éducatifs, comportementaux, de développement ou d’apprentissage chez les personnes, ainsi que la prise en charge et l’accompagnement de ces personnes. » L’orthopédagogie clinique est donc la discipline scientifique permettant de penser, dans une perspective de pratique fondée sur les preuves scientifiques, l’accompagnement des situations de handicap. Une attention particulière est portée aux facteurs contextuels et environnementaux qui agissent comme des obstacles ou des leviers, et qui sont donc considérés comme d’égale importance aux facteurs individuels pour comprendre et agir auprès du public cible. En ce sens, les actes professionnels de l’orthopédagogue clinicien cibleront parfois les individus eux-mêmes (à tous les âges de la vie), mais viseront également plus directement les environnements dans leurs caractéristiques proximales ou distales, et ce, jusqu’aux politiques qui encadrent les parcours d’accompagnement des personnes en situation de handicap. Cette dynamique constante entre l’individu et son environnement est un paramètre central dans la conduite des missions orthopédagogiques. A ce titre, l’orthopédagogue clinicien devrait avoir la possibilité d’agir au maximum en contexte, là où s’actualisent les comportements et les apprentissages. Par ailleurs, l’orthopédagogue clinicien doit tenir compte des caractéristiques des publics cibles et de leurs environnements. Il intervient ainsi tout au long de la vie, pour des situations au sein desquelles ces dynamiques réciproques entre les aspects individuels, contextuels et leurs interactions sont susceptibles de faire émerger des difficultés émotionnelles et/ou comportementales et/ou d’apprentissage ; pouvant entraîner à leur tour des situations de handicap. Cette terminologie appuie l’importance de définir les publics cibles non pas dans une perspective catégorielle (c’est-à-dire principalement fondée et orientée sur la présence d’un diagnostic donné et communément admis), mais toujours à l’interface de vulnérabilités biologiques, psychologiques et/ou sociales interagissant avec des facteurs de risque et des facteurs de protection de l’environnement. Dans cette perspective, l’accompagnement de ces publics est régulièrement déployé de façon pluridisciplinaire et de façon privilégiée avec d’autres professionnels comme les psychologues et neuropsychologues cliniciens, les logopèdes (orthophonistes), les médecins généralistes et spécialistes, les éducateurs ou encore les enseignants. En effet, la coordination et la mutualisation des interventions ainsi que leur intégration autour des besoins de l’individu représentent dès lors un enjeu majeur et doivent être au centre des pratiques professionnelles. Enfin, quel que soit leur âge, leur contexte de vie ou leur diagnostic, ces publics peuvent être particulièrement touchés par des éléments transversaux. Ces derniers peuvent alors entraîner des fragilités au niveau (1) de leurs opportunités d’apprentissage (entre autres dans une perspective d’autonomie et de développement des compétences fonctionnelles), (2) de l’exercice de leurs rôles sociaux (par exemple, être un parent, un travailleur, un conjoint, etc.), (3) de leur inclusion sociale, (4) de la place laissée à leur parole et à leurs choix de vie, (5) de leur accès à l’information et leur littératie, et par extension de l’exercice de leurs droits fondamentaux. Dès lors, si la pratique de l’orthopédagogue clinicien est structurée autour d’une démarche fondée sur les preuves, elle est également empreinte de valeurs fondamentales comme la non-discrimination, l’équité et le respect des droits fondamentaux. Ces valeurs permettent aux professionnels d’adopter des orientations fortes et communes qui seront déclinées à travers leurs pratiques et leurs interventions. Ce support, élaboré dans le cadre du cours « Introduction à l’orthopédagogie clinique » (Université de Mons), propose de revenir de façon systématique et appuyée par un cadre scientifique sur les dimensions, la philosophie et le paradigme soutenant la pratique de l’orthopédagogie clinique. Les missions des orthopédagogues cliniciens dans le cadre légal qui les soutient seront également finement décrites et illustrées afin de permettre une première approche conceptuelle, et opérationnelle de cette discipline. À cette fin, nous approcherons tout d’abord l’évolution sociale et conceptuelle de la notion de handicap et illustrerons la façon dont cette évolution se déploie pour des catégories diagnostiques comme la déficience intellectuelle et le trouble du spectre de l’autisme. Nous décrirons ensuite le cadre légal et le paradigme des pratiques et des missions de l’orthopédagogie clinique. En marge de ce support, les étudiants devront obligatoirement lire l’avis émis par le Conseil Supérieur de la Santé (avis 9380) concernant le cadre de l’orthopédagogie clinique en Belgique. Enfin, ce syllabus constitue un support utile mais non exclusif dont les fondements seront complétés, nuancés et illustrés au sein du cours. Chapitre 1- Histoire du handicap et évolution des paradigmes 1. Histoire de la notion de handicap L’orthopédagogie clinique, en tant que discipline scientifique, est intrinsèquement liée à la compréhension, l’intégration et l’évolution des paradigmes portant sur la notion de handicap2. Celle-ci devrait alors être approchée non pas comme une réalité tangible et objective, mais bien comme une construction à la fois conceptuelle- donc soumise aux théories qui proposent de la modéliser et de l’expliquer-, mais aussi culturelle. Le handicap représente alors avant tout une notion partagée au sein d’une culture sociale qui fixe les normes et l’écart à ces normes. La perspective actuelle du handicap est le fruit d’une évolution dont les contours continuent à se définir et se préciser de nos jours. De façon schématique, nous pouvons toutefois considérer que trois grandes « périodes » constituent cette histoire : la période du rejet, de la protection, puis de l’inclusion. Ces périodes seront évoquées ici comme étant consécutives et dans une perspective principalement occidentale. Toutefois, les recoupements entre elles ont été fréquents au cours de l’histoire, notamment avec des avancées majeures et des retours en arrière au sein d’une même période et d’une même société, et les variations culturelles ont de tout temps coloré la considération portée au handicap (voir pour exemple : Reynolds, 2017 ; Yang et al., 2014). Par ailleurs, même au sein de la période actuelle -celle de l’inclusion- les phénomènes de rejet ou de protection peuvent rester à l’œuvre dans certaines pratiques et représentations du handicap, même s’ils ne sont plus représentatifs de l’intention collective et politique des sociétés. En effet, si le terme de période est choisi ici, c’est avant tout parce qu’il est possible, par le positionnement collectif des sociétés et à travers un découpage global, de voir évoluer les représentations et pratiques liées au handicap à travers les trois prismes : le rejet, la protection, l’inclusion. Le rejet est ici défini comme une forme de marginalisation consentie (mise à l’écart, exclusion) à l’égard des personnes porteuses de handicaps par les sociétés au sein desquelles elles naissent et grandissent. Par exemple, à travers l’Antiquité et le Moyen Âge, la représentation 2Au sein de ce chapitre, nous parlerons en premier lieu de handicap et de personnes/individus porteurs de handicaps avant de faire la transition vers le terme de personnes en situation de handicap, une fois que celui-ci aura été défini et mis en lien avec le cadre conceptuel auquel il réfère. du handicap est intimement liée à la thèse démonomaniaque, ou l’idée selon laquelle l’arrivée d’un enfant « mal formé » (handicap d’origine congénitale) ou le décours d’un destin traumatique (handicap acquis) étaient le fruit d’un avertissement divin envoyé aux mortels. En lien direct avec cette perspective, le rejet pouvait alors prendre des formes radicales comme le sacrifice des infortunés ou leur mise à l’écart de la société. Ainsi, si l’infanticide reste commun, particulièrement dans le contexte de handicap « de naissance », l’abandon des individus porteurs de handicaps (enfants et adultes) dans des lieux isolés hypothéquant leurs chances de survie était également pratiqué (Céleste, 2005 ; Delattre, 2021 ; Rinaldi, 2021). Le handicap développemental et le handicap acquis sont traités de manière indifférenciée, en lien avec deux idées importantes qui imprègnent alors la conception du handicap. Premièrement, celle de la perte de fonction sociale ou le fait qu’un individu n’existe dans une société que par la fonction qu’il peut y occuper (ex. une personne infirme ne peut participer aux guerres, à la production de biens, etc.). Dès lors, quelle que soit l’origine du handicap, les individus concernés n’ont de facto pas de rôle à jouer dans les sociétés, car ils ne pouvent y remplir de fonction productive. Deuxièmement, celle de la perfection divine, mettant à l’écart les personnes dont le corps est jugé incompatible avec l’esthétique voulue par les Dieux. Notons au passage que ces notions d’esthétisme et d’utilitarisme, libérées de leur connotation religieuse, restent très prégnantes dans les phénomènes de capacitisme - terminologie qui réfère à un système de croyances, de processus et de pratiques qui définit un certain type de corps et de standards liés au corps comme étant typiques à l’espèce, attendus et donc essentiels pour définir ce qui est entièrement humain. À cet égard, les individus porteurs de handicaps sont considérés comme moins qu’humains, en relation étroite à l’impossibilité de rencontrer les standards esthétiques et fonctionnels du corps typique (Campbell, 2001 ; Chicoine et al., 2022). Malgré la persistance de la thèse démonomaniaque, l’avènement du christianisme durant le Moyen-Age modifie la posture des sociétés envers les individus porteurs de handicaps. En lien avec l’injonction d’une sollicitude envers ses semblables apparaissent alors des pratiques d’accueil et de charité chrétienne envers ces individus ; amorçant la période de protection. Cette période est caractérisée par un accompagnement de la personne porteuse de handicaps impliquant des privations de libertés et des restrictions majeures supposées protéger la société de ces personnes et ces personnes d’elles-mêmes. D’une part, ces changements de pratiques liés à la religion chrétienne engendrent des représentations ambivalentes à l’égard des individus porteurs de handicaps, entre « manifestation démonomaniaque » et « signe d’une bénédiction divine » (car la religion prône alors « la simplicité d’esprit »).D’autre part, ces changements amènent également des pratiques se situant vraisemblablement dans le registre de l’accueil et de la charité, bien que le rôle social des personnes handicapées reste précaire dans les sociétés de l’époque. Sous l’impulsion concurrente de l’Église et des législateurs, une différenciation des handicaps s’opère à travers cette philosophie de protection qui institue par exemple des distinctions entre les « fous de naissance » et les « fous lunatiques ». Cette vision provoque alors des conséquences directes sur le traitement social des individus concernés, qui sont assujettis à un tuteur ou curateur de façon définitive dans le premier cas, et provisoirement confiés au Roi dans le second. Au 16e siècle, les premières classifications scientifiques apparaissent, en parallèle à une extinction progressive de la théorie démonomaniaque, pour l’idée d’une étiologie organique et l’émergence de thèse de la dégénérescence. Celle-ci postule que le handicap se transmet de génération en génération, consécutivement à des atteintes à la morale ou à l’hygiène, et dans une perspective de responsabilité individuelle (non plus divine). Indépendamment de ces changements, les pratiques à l’égard des individus porteurs de handicaps restent relativement indifférenciées, et l’enfermement reste d’usage (Céleste, 2005 ; Rinaldi, 2021). Comme tout changement social majeur, la transition vers la période de l’inclusion s’est opérée très progressivement. Celle-ci est définie (provisoirement3) comme l’intention collective d’une société de considérer chaque individu, dont les individus en situation de handicap, comme des citoyens ayant des droits fondamentaux et des devoirs. Les premières étapes ont sans doute émergé de théories portant sur l’importance de traitements bienveillants pour les résidents des asiles, avec Phillipe Pinel au 19e siècle, et celles de l’éducabilité, une notion introduite notamment par Edouard Seguin dans son traité du « Traitement moral, hygiène et éducation des idiots et des enfants arriérés ». Celui-ci postulait en effet que tout individu est en mesure d’apprendre et d’évoluer. L’après-guerre constitue également un moment important pour l’évolution des théories et conceptions du handicap, car cette période est caractérisée par l’émergence d’une série de situations personnelles mettant les individus en situation d’incapacités souvent chroniques (liées aux blessures de guerre et traumatismes). C’est précisément à ce moment qu’émergeront les classifications internationales des maladies ; en lien direct avec le besoin d’évaluer l’état de santé des populations afin d’élaborer des politiques nationales de santé. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont les recherches et prérogatives se limitent alors aux causes de décès (la mortalité), est amenée à étendre son répertoire à la morbidité c’est-à-dire aux causes et effets des maladies et traumatismes à long terme. Dès lors, les accidents, ainsi que les maladies professionnelles et les guerres feront 3 Nous reviendrons de façon plus précise sur le concept d’inclusion au sein du chapitre 4. émerger le besoin de développer des modèles qui puissent tenir compte de la chronicité des affections, de l’accroissement de l’espérance de vie et du fait que certaines personnes vivent, dès leur naissance et jusqu’à un âge très avancé avec des limitations fonctionnelles parfois sévères. L’idée de la chronicité des affections sera retrouvée au sein de la Classification internationale des Maladies (CIM), nosographie élaborée par l’OMS, dans sa version initiale. La caractérisation et la compréhension du handicap y restent relativement « sommaires », puisque cristallisées par une approche exclusivement biomédicale. En 1980, la Classification internationale des Déficiences, Incapacités et Handicaps (CIDIH), complètera cette approche en décrivant non plus uniquement les déficiences (atteintes d’organes ou de fonctions physiologiques, psychologiques ou anatomiques), mais aussi les incapacités qui en résultent (réductions partielles ou totales de la capacité à accomplir des gestes et activités de la vie quotidienne) et les désavantages sociaux dont les personnes peuvent alors faire l’expérience et qui les empêchent d’accomplir « un rôle normal » par rapport à leur âge, sexe et aux facteurs socioculturels. La CIDIH participe alors à faire émerger une forme de reconnaissance des conséquences désavantageuses des incapacités des maladies et handicaps sur le plan social (Céleste, 2005 ; Fougeyrollas, 1990, 2002). Ce sont toutefois d’autres évènements qui ont réellement permis d’acter la transition vers la période d’inclusion. En 1960, les théories de la déviance mettent l’emphase sur le fait que l’écart à la norme (la déviance) influence les attitudes envers le handicap non pas exclusivement en raison de ce qui caractérise la personne, mais des valeurs liées aux attentes sociales et aux définitions culturelles de ce qui constitue une performance ou un comportement normal et acceptable pour autrui. Ces idées ont permis de considérer progressivement le rôle des facteurs environnementaux comme producteurs d’obstacles à la participation de personnes ayant une différence esthétique, comportementale ou fonctionnelle à la vie sociale. Cela a permis d’amorcer un changement de paradigme dans la conception même du handicap. En effet, le handicap n’est désormais plus considéré comme une caractéristique exclusivement inhérente à la personne, mais le résultat d’une dynamique entre des facteurs personnels et environnementaux (qui peuvent créer une situation de handicap et impacter la participation sociale (Fougeyrollas, 2002). Cette théorie aborde donc pour la première fois explicitement la notion de handicap comme étant une construction sociale à part entière. À la même période, dans le nord de l’Amérique et l’Angleterre principalement, se déploient des mouvements destinés à faire évoluer les politiques relatives aux personnes handicapées. Ils se mobilisent alors en faveur de l’inclusion et de la non-discrimination des personnes en situation de handicaps, mais aussi des militants de la cause féministe ou des minorités ethniques. Le slogan « rien sur nous sans nous » (nothing about us without us) traduit cet empowerment et cette volonté de démanteler la vision paternaliste du handicap. Empreints d’une volonté de changer les pratiques et les politiques relatives au handicap, les revendications portent notamment sur le droit à la vie autonome, par la mise en place de services et de centres de ressources ambulatoires autogérés ; mais aussi la participation sociale et le fait de prendre ses propres décisions, plutôt que de les déléguer aux experts médicaux et paramédicaux. Cette philosophie est notamment soutenue par une nouvelle discipline scientifique, les disability studies (l’étude des handicaps) qui permettent de développer une connaissance théorique et conceptuelle du handicap ainsi que de proposer des modèles afin de formaliser l’idée du handicap comme étant au carrefour de caractéristiques individuelles, environnementales et socioculturelles (Fougeyrollas, 2002). Pour aller plus loin – Fillion, E. et Ravaud, J. F. (2018). La mobilisation internationale du droit des personnes en situation de handicap- un activisme scientifique et social. In B. Eyraud, J. Minoc, C. Hanon (Eds.), Choisir et agir pour autrui ? Controverse autour de la convention de l'ONU sur les droits des personnes handicapées (pp. 232-236). Londres : John Libbey Eurotext. Répertoire des associations pour personnes handicapées (Service public fédéral - Sécurité sociale) : https://handicap.belgium.be/fr/nos-services/autre-aide.htm Le programme mondial d’action pour les personnes handicapées des Nations Unies, amorcé en 1982 s’inscrira directement dans cette ligne sociale avec la décennie des personnes handicapées (1983-1992) et la publication en 2006 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). Ainsi s’ancrent alors conjointement une démarche collective (à l’échelle internationale) et structurelle dont l’attention porte sur l’individu en situation de handicap en tant que citoyen de droit, et le rôle des politiques et sociétés à s’engager activement pour leur pleine inclusion et participation sociale. 2. Modèles du handicap Ces évolutions ont permis de proposer de nouvelles perspectives et modèles permettant d’approcher et de conceptualiser le handicap. Deux grandes « catégories » de modèles peuvent être mises en évidence, selon le focus déployé pour comprendre une situation de handicap, mais aussi pour intervenir auprès des individus concernés. Les modèles individuels approchent le handicap comme résultant des caractéristiques personnelles d’un individu ; c’est-à-dire ses dysfonctions, ses incapacités, ses symptômes, ses limitations. Ces modèles se déclinent classiquement en une variante biomédicale et une variante fonctionnelle. La variante biomédicale décrit le handicap en se basant sur des catégories diagnostiques admises et/ou des symptômes (par ex. : une personne présente une paralysie des membres inférieurs suite à un traumatisme crânien avec atteinte de la moelle épinière). Cette variante envisage l’intervention comme la recherche de traitement (visée curative) ou de réhabilitation/réadaptation. La variante fonctionnelle décrit quant à elle les limitations d’activités ou d’incapacités que rencontre la personne dans son quotidien en raison de son handicap (par ex. : cette même personne ne peut plus marcher, se laver, etc.). Les modèles individuels du handicap, et particulièrement la variante biomédicale, restent prédominants, notamment en termes de formation des professionnels de la santé, mais aussi d’organisation des politiques publiques destinées aux personnes handicapées (par ex. : une personne n’a accès à un certain type de service uniquement si un diagnostic spécifique est posé. Ce sont généralement les différents diagnostics et comorbidités qui permettent l’orientation vers les structures et services, ainsi que l’allocation financière permettant de les recevoir). Toutefois, le décours des handicaps et des maladies chroniques est substantiellement influencé par des facteurs environnementaux et sociaux, que ces modèles n’appréhendent que très peu. C’est pourquoi les modèles sociaux du handicap tendent à s’imposer de façon croissante depuis plus de 30 ans pour approcher de façon holistique la question du handicap et les réponses sociales à envisager. Ceux-ci permettent de considérer le handicap comme l’interaction de caractéristiques individuelles et l’existence de barrières physiques ou socioculturelles qui font obstacle à la participation sociale et à la citoyenneté d’une personne en situation de handicap. Ils se déclinent en une variante environnementale et une variante centrée sur les droits. La variante environnementale met l’emphase sur les obstacles matériels, logistiques, humains, sociaux… qui peuvent créer une situation de handicap, ainsi que les aménagements nécessaires pour limiter celle-ci. Dans l’exemple de la personne avec un traumatisme crânien n’étant plus en mesure de marcher, il s’agira non seulement de la chaise roulante qui lui permet la mobilité, mais aussi la façon dont les transports, les bâtiments, les services sont rendus accessibles aux personnes à mobilité réduite. En parallèle, la variante centrée sur les droits considère le handicap comme résultant de discriminations et d’atteintes aux droits fondamentaux. Par exemple, si les réponses sociales données à la personne victime d’un traumatisme crânien ne lui permettent pas d’avoir accès à un emploi ou de voter, le handicap peut être la source de discriminations systémiques en lien avec une approche politique inégalitaire aux droits de l’Homme et du citoyen. Dans ces modèles sociaux, deux cadres conceptuels font consensus et seront exposés ci- après. 2.1. Processus Production du Handicap (PPH) L’un des modèles de référence est le Modèle de Développement Humain – Processus de Production du Handicap (MDH-PPH), développé par Patrick Fougeyrollas (2010). Celui-ci part du postulat que le développement humain est un phénomène universel qui se déploie de la naissance jusqu’à la mort. Ce processus ne peut être arrêté ou ralenti, et le fait qu’une personne présente des déficiences ou des incapacités, à n’importe quel moment de sa vie, n’empêche pas la poursuite de son développement en tant qu’humain. Le MDH-PPH s’appuie donc sur une perspective anthropologique du développement humain, qui reconnaît l’existence de facteurs pouvant influencer ce phénomène : les facteurs personnels (intrinsèques), les facteurs environnementaux (extrinsèques), et leurs interactions. Modèle MDH-PPH (Fougeyrollas, 2010) Le premier postulat de ce modèle considère que le handicap s’inscrit dans une perspective de développement humain en tant que processus. Le second postulat envisage que le handicap n’est pas une attribution personnelle, mais le résultat d’une interaction entre les caractéristiques d’un individu, de son environnement et de son mode de vie. Le troisième postulat implique de tenir compte de la perception de l’individu et de l’entourage par rapport aux rôles socialement valorisés en fonction des caractéristiques individuelles. En tant que modèle de développement humain, le modèle MDH-PPH vise à documenter et expliquer les causes et les conséquences des maladies, traumatismes, et autres atteintes à l’intégrité du développement de la personne, peu importe la cause, la nature et la sévérité des déficiences et des incapacités. Le modèle reconnaît donc le fait que les vulnérabilités biologiques et psychologiques de l’individu interagissent, tant avec les facteurs de risque, qu’avec les facteurs de protection, dans l’environnement quotidien, et ce, dans un contexte socioculturel donné. Il introduit également la notion d’habitude de vie. Cette notion est considérée comme un indicateur de la qualité de la participation sociale de la personne. Cet indicateur est estimé/évalué sur un continuum allant de la participation sociale optimale, jusqu’à la situation de handicap complète. Au sein du MDH-PPH, le handicap n’est donc pas défini par ce qu’est la personne, ses caractéristiques individuelles, mais par la mesure dans laquelle elle peut être incluse socialement, indépendamment des particularités individuelles et les limitations fonctionnelles qui en découlent. Les habitudes de vie peuvent être influencées par : Le renforcement des capacités ou la compensation des incapacités par la réadaptation et/ou des aides techniques, La réduction des obstacles dans l’environnement. Ces obstacles peuvent être variés et recouvrent par exemple les préjugés, le manque d’aides ou de ressources, le manque d’accessibilité (du domicile, de l’école, des transports…), la difficulté d’accéder à l’information adaptée, etc. Mesurer la réalisation des habitudes de vie équivaut donc à identifier un indicateur de la qualité de la participation sociale et permet de déterminer si une personne se trouve ou non en situation de handicap (Fougeyrollas, 2010). Les trois composantes du modèle sont les facteurs personnels/individuels, les facteurs environnementaux et les habitudes de vie. Celles-ci sont considérées comme étant en interaction dynamique et permanente. (1) Les facteurs personnels constituent les caractéristiques inhérentes à la personne et sont composés de trois sous-systèmes en interaction. (a) Les facteurs identitaires sont des caractéristiques sociodémographiques, économiques et culturelles propres à un individu et à son histoire de vie. Ceux-ci incluent également des informations concernant les valeurs et les préférences de ce même individu (par ex. : l’âge, le sexe, les objectifs de vie, le statut familial, le degré de scolarité, etc.) (b) Les facteurs organiques représentent un système organique constitué de différentes composantes corporelles visant une fonction commune. Les systèmes organiques s’apprécient sur une échelle allant de l’intégrité, qui correspond à un système organique n’ayant pas subi d’altération, à la déficience, qui correspond à un système organique ayant subi des altérations légères, modérées ou considérables (par ex. : les systèmes endocriniens, reproducteurs, cutanés, musculaires, squelettiques, nerveux, etc.) (c) Les aptitudes : une aptitude est la possibilité pour une personne d’accomplir une activité physique ou mentale. Les aptitudes s’apprécient sur une échelle allant de la capacité sans limites à l’incapacité complète - la capacité correspondant à une aptitude qui permet d’accomplir partiellement ou entièrement l’activité physique ou mentale même si une aide technique ou humaine est nécessaire (par ex. : les aptitudes reliées aux activités intellectuelles, au langage, aux comportements, aux activités motrices, aux sens et à la perception, à la reproduction, à la digestion, à l’excrétion, à la protection et à la résistance, etc.). (2) Les facteurs environnementaux recouvrent les dimensions sociales ou physiques qui déterminent l’organisation et le contexte d’une société. Ils sont envisagés en trois niveaux : macro (sociétal), méso (communautaire) et micro (personnel). Chacun de ces niveaux peut comprendre des facilitateurs et des obstacles. Un facilitateur correspond à un facteur environnemental qui favorise la réalisation des habitudes de vie lorsqu’il entre en interaction avec les facteurs personnels (les déficiences, les incapacités et les autres caractéristiques personnelles). Un obstacle correspond à un facteur environnemental qui entrave la réalisation des habitudes de vie lorsqu’il entre en interaction avec les facteurs personnels (les déficiences, les incapacités et les autres caractéristiques personnelles). Selon le MDH – PPH, les facteurs environnementaux se regroupent en « facteurs sociaux » (par ex. : le système éducatif, le système économique, le réseau social, etc.) et en « facteurs physiques » (par ex. : l’architecture, les bruits, la luminosité, les technologies, etc.). (3) Les habitudes de vie assurent la survie et l’épanouissement de la personne dans la société tout au long de son existence. Elles sont constituées des activités courantes (par ex. : la communication, les déplacements, la nutrition, la condition corporelle, les soins personnels, l’habitation) et des rôles sociaux (par ex. : les responsabilités, les relations interpersonnelles, la vie communautaire, l’éducation, le travail, les loisirs) lors desquels un individu peut se retrouver en situation de participation sociale ou en situation de handicap. La situation de participation sociale correspond à la pleine réalisation des habitudes de vie, résultant de l’interaction entre les facteurs personnels (les déficiences, les incapacités et les autres caractéristiques personnelles) et les facteurs environnementaux (les facilitateurs et les obstacles). La situation de handicap correspond à la réduction de la réalisation ou à l’incapacité à réaliser des habitudes de vie, résultant de l’interaction entre les facteurs personnels), et les facteurs environnementaux. Dans le modèle MDH-PPH, le handicap est donc défini par la façon dont la dynamique entre des facteurs individuels et environnementaux impacte la participation sociale et les habitudes de vie d’un individu (activités courantes et rôles sociaux). C’est en ce sens que le terme situation de handicap est choisi et désormais utilisé consensuellement. Puisque l’ensemble de ces facteurs sont dans des dynamiques réciproques, le handicap ne peut pas être conçu comme une notion figée, mais bien dépendante de ces influences. Ainsi, une personne présentant des incapacités et déficiences n’est pas nécessairement en situation de handicap, tout comme elle ne l’est pas forcément dans tous les environnements, dans toutes les activités ou dans tous les moments de sa vie. Le handicap n’est par ailleurs pas ce qui définit cette personne, mais un point de repère pour intervenir en vue de promouvoir sa pleine participation sociale. Pour aller plus loin – Site du Réseau International sur le Processus Production du Handicap- https://ripph.qc.ca/ 2.3. Classification Internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) Sous l’impulsion des mouvements sociaux de la seconde moitié du 20e siècle, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) développe un cadre conceptuel conjoint entre les modèles individuels et sociaux du handicap. L’OMS recommande alors une approche d’universalité promouvant une attention universelle à tous et non plus à l’un ou l’autre groupe de minorité. C’est dans cet ancrage que la Classification Internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) paraît en 2001. Contrairement aux classifications antérieures de l’OMS, la CIF (OMS, 2001) ne liste plus l’ensemble des potentiels déficits. Celle-ci vise une approche intégrative du fonctionnement humain et de ses variations identifiables (handicap), abordées de façon volontairement neutre. Ces variations correspondent donc à la rencontre, ou non, d’états de santé attendus qui relèvent de la participation dans tous les domaines de la vie, avec la description de facteurs environnementaux appréciés en tant que facilitateurs ou obstacles. La CIF envisage donc le fonctionnement d’une personne du point de vue du corps, de la personne en tant qu’individu, et de la personne en tant qu’être social à travers une perspective biopsychosociale. Dans ce cadre, chaque personne est supposée se trouver dans une position dynamique et évolutive dans laquelle ses besoins peuvent ou ne peuvent être rencontrés. Modèle de la CIF (OMS, 2001) Le modèle reprend trois dimensions importantes (OMS, 2001) : (1) Les fonctions organiques désignent les fonctions physiologiques des systèmes organiques (par ex. : les fonctions visuelles), y compris les fonctions psychologiques, et les structures anatomiques désignent les parties du corps (par ex. : les organes). Ces fonctions et structures peuvent être soumises à des déficiences, c’est-à-dire des problèmes, sous forme d’écart ou de perte importante, temporaires ou permanents, qui peuvent régresser, progresser ou se stabiliser. Les déficiences sont considérées indépendamment de leur étiologie et dans un champ plus vaste que celui des troubles et maladies. (2) Les activités et la participation concernent le champ des activités c’est-à-dire l’exécution d’une tâche ou le fait de réaliser quelque chose, et de la participation, c’est-à-dire l’implication dans des situations de la vie réelle. Celles-ci peuvent faire l’objet de limitations -difficultés de réaliser une activité- ou de restrictions - problèmes qu’une personne peut avoir à s’impliquer dans une situation de la vie réelle. Ces dimensions sont approchées selon les qualificatifs de performance et de capacité. La performance renvoie à ce qu’un individu fait dans son environnement ordinaire, dans la vie réelle, l’expérience vécue, comprenant les interactions entre l’individu et l’environnement, c’est-à-dire les aspects du monde physique, le contexte social, les attitudes, etc. La capacité concerne l’aptitude d’un individu à effectuer une tâche, le niveau de fonctionnement le plus élevé possible qu’une personne est susceptible d’atteindre à un moment donné, dans un environnement standardisé, normalisé, qui neutralise l’influence des variables environnementales. Les limitations et restrictions sont estimées par rapport à la norme généralement acceptée dans une population donnée. Il est par ailleurs entendu qu’un problème de performance peut directement provenir de l’environnement social dans lequel évolue la personne (par ex. : une personne peut être capable de travailler, mais se voir refuser l’accès au travail dans une forme de discrimination). Les domaines dans cette dimension concernent les apprentissages et application des connaissances, la mobilité, la communication, l’entretien personnel, la vie communautaire, etc. (3) Les facteurs contextuels concernent le cadre de vie d’une personne et incluent les facteurs personnels et environnementaux qui peuvent influencer les autres dimensions. Les facteurs environnementaux constituent l’environnement physique, social et attitudinal dans lequel les individus mènent leur vie. Ils sont externes à la personne et peuvent influencer positivement ou négativement sa performance, sa capacité ou une structure anatomique. Ils se répartissent à deux niveaux : (1) le niveau dit individuel qui concerne l’environnement personnel direct (par ex. : le domicile, le travail, l’école…) dans ses caractéristiques physiques, matérielles et sociales, et (2) le niveau dit sociétal qui renvoie aux structures sociales, aux services et règles de conduites ou aux systèmes formels et informels qui ont cours dans la culture d’une personne et qui peuvent avoir un impact sur elle. Les facteurs environnementaux sont considérés comme interagissant avec les composantes et fonctions organiques ainsi que les activités. Le handicap est ainsi considéré comme le résultat de la relation complexe entre (1) les problèmes de santé et facteurs personnels d’une personne, et (2) des facteurs externes qui représentent les circonstances vécues par cette personne. La CIF entend fournir une approche multidimensionnelle du fonctionnement du handicap en tant que processus interactif et évolutif. La CIF est utilisée au moyen d’un code qualificatif générique (pas de problème, problème léger, problème modéré/passager, problème grave ou total, ou non précisé ou sans objet). Cela permet une estimation de la sévérité du handicap sur une échelle en cinq degrés. 2.4. Individu – société – psyché En parallèle de ces deux modèles importants émergent les théories sur l’expérience émotionnelle du handicap (Marks, 1997,1999). Ces théories postulent qu’une « image complète » du concept de handicap doit inclure les expériences émotionnelles de la personne. Ces théories évitent la dichotomie individu-environnement et définissent le handicap comme « la relation complexe entre l’environnement, le corps et la psyché, qui va empêcher certaines personnes de devenir des acteurs de la vie interpersonnelle, sociale, culturelle, économique et politique (traduit) ». Au sein de ces modèles apparaît l’idée de remettre l’expérience psychologique du handicap dans une relation intégrative (embodied) avec une attention portée à différents mécanismes psychologiques tels que le sens de soi, l’estime de soi, l’image de soi, l’image du corps ou encore l’identité. Ces théories mettent l’emphase sur l’expérience consciente du handicap (narratif), mais également sur les « défenses inconscientes » que les situations d’oppression peuvent susciter, comme les émotions que tout un chacun peut ressentir en cas d’exclusion. Chapitre 2 – Approche intégrative et socioécologique des troubles du neurodéveloppement Le chapitre précédent met en avant les principaux modèles permettant de conceptualiser et d’intervenir dans le champ du handicap. Ceux-ci ont évolué ces dernières décennies et ont ainsi permis de redéfinir les perspectives de l’accompagnement et des politiques sociales en faveur des personnes en situation de handicap. Les orthopédagogues cliniciens se basent directement et préférentiellement sur les modèles sociaux du handicap ; dont le modèle de développement humain – Processus de production du handicap (Fougeyrollas, 2010). En parallèle, d’autres évolutions orientent également leurs pratiques. Il s’agit de l’évolution des conceptions concernant les publics cibles En effet, les orthopédagogues cliniciens interviennent prioritairement auprès d’un public dit en situation de handicap tout au long de la vie et à travers différents contextes et transitions de vie. Ces situations de handicap résultent de l’interaction de facteurs individuels (dont la présence d’un trouble) et de facteurs environnementaux qui compromettent la réalisation des habitudes de vie, la pleine inclusion ainsi que la participation sociale des individus. Lorsqu’une personne présente un trouble apparaissant dès l’enfance et amené à se maintenir dans le temps, il est probable qu’elle fasse l’expérience d’une ou plusieurs situations de handicap dans le décours de sa vie. C’est pourquoi les orthopédagogues cliniciens interviennent régulièrement auprès des enfants, adolescents et adultes présentant des troubles du neurodéveloppement (TND). Ces termes recouvrent les troubles apparaissant durant la période développementale (classiquement : 0-18 ans), typiquement au début de la période développementale, avant la scolarisation de l’enfant. Les TND sont caractérisés par des déficits développementaux qui créent des difficultés sur le plan scolaire/académique, social, cognitif, émotionnel personnel ou occupationnel. L’étendue de ces troubles varient de limitations spécifiques à certains domaines à des troubles généraux du fonctionnement intellectuel et/ou social (APA, 2013). Nous proposons ici de revenir sur l’évolution de la conceptualisation de deux troubles neurodéveloppementaux : la déficience intellectuelle- avec un point d’attention sur les troubles du comportement et la notion de double diagnostic- mais aussi les troubles du spectre de l’autisme, avec une attention sur l’évolution de leurs définitions. Comme nous le verrons, ces évolutions s’appuient sur les concepts comme le comportement adaptatif ou les besoins de soutien, qui font partie intégrante de la démarche d’évaluation, de prévention et d’intervention en orthopédagogie clinique (voir chapitres 4 et 5). 1. Déficience intellectuelle Les personnes présentant une déficience intellectuelle représentent un public privilégié en orthopédagogie clinique et la déficience intellectuelle constitue un champ d’étude intéressant à plusieurs égards. En effet, contrairement aux troubles sensoriels (par exemple, les déficiences visuelles et auditives) et organiques, l’atteinte de la « fonction intellectuelle » n’est « objectivable » que dans un cadre (culturel) donné. En effet, l’intelligence « n’existe pas en soi ». Il s’agit d’un phénomène « non palpable » qui a d’ailleurs suscité d’intenses controverses quant à sa définition. En effet, l’intelligence évolue en fonction des théories qui s’y intéressent et à cet égard, le concept d’intelligence ne renvoie pas à une définition consensuelle et définitive mais plutôt à un ensemble d’attributs qui apparaissent de manière récurrente dans les différents modèles, par exemple, la capacité à s’adapter à l’environnement, la capacité à résoudre de nouveaux problèmes, la capacité à apprendre ou la capacité d’abstraction. De ce fait, la mesure de l’intelligence est ancrée dans un contexte socioculturel et dans un modèle donné. Prenons en comparaison la fonction auditive : même chez un nouveau-né, la mesure de potentiels évoqués auditifs peut permettre de mesurer la façon dont le cerveau perçoit les sons environnants et y répond adéquatement, à travers l’analyse de son activité électrique. La mesure de la fonction auditive est universelle qu’importe la société et la culture. En comparaison, qu’est-ce que l’intelligence ? Nous pouvons aussi mesurer l’activité électrique du cerveau en lien avec certaines tâches impliquant certaines fonctions cognitives, mais nous n’évaluons pas l’intelligence pour autant. Nous savons qu’évaluer l’audition dans une culture préindustrielle et dans une société occidentale ne requiert pas d’utiliser des mesures différentes, car la fonction auditive est universelle, mais est-ce le cas pour l’intelligence ? En ce sens, la déficience intellectuelle, c’est-à-dire l’atteinte développementale de la fonction intellectuelle, est, elle aussi, le fruit d’une conception mouvante et en évolution régulière. Ainsi, les théories récentes ne considèrent plus particulièrement l’intelligence comme un ensemble de traits évaluables d’un point de vue psychométrique, mais comme une capacité d’adaptation globale et contextualisée. En ce sens, les définition actuelles et actualisées de la déficience intellectuelle s’alignent, sur ces théories et évolutions scientifiques et conceptuelles. 1.1. Evolution de la définition de déficience intellectuelle Différents systèmes de classification permettent d’appréhender la notion de déficience intellectuelle. Parmi ceux-ci, nous retrouvons les nosographies suivantes : (1) le DSM - Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (en français : le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) élaboré par l’American Psychiatric Association (APA) et (2) la CIM (la Classification Internationale des Maladies) élaborée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Ces deux nosographies sont classiquement utilisées pour comprendre et décrire les maladies et les troubles. De ce fait, leur usage est systématique dans le champ de la santé. Toutefois, la classification de l’AAIDD est davantage spécifique et la référence dans le domaine de la déficience intellectuelle (American Association on Intellectual and Developmental Disabilities ; en français : l’Association Américaine des Déficiences Intellectuelles et Développementales). L’histoire de l’AAIDD est intrinsèquement liée à celle de l’évolution dans la conception, le diagnostic, l’intervention et la recherche en lien avec la déficience intellectuelle. Depuis sa création en 1876, cette organisation s’est inscrite comme pionnière dans le travail scientifique et social, et a permis de poser les nouveaux jalons pour une approche compréhensive et qualitative de la déficience intellectuelle. À l’instar de l’évolution du terme de déficience intellectuelle (p. ex. : arriération, débilité, retard mental), l’organisation a été tour à tour renommée “l’association pour les faibles d’esprit” puis “l’association américaine pour le retard mental (AAMR)” pour porter son nom actuel : l’Association Américaine des Déficiences Intellectuelles et Développementales (AAIDD). Cette évolution terminologique, impulsée par la recherche et l’ancrage de l’AAIDD avec les pratiques et les milieux professionnels, reflète notamment les changements d’attitudes et les représentations envers les personnes avec déficience intellectuelle. La première parution de son manuel en 1910 a permis de rassembler chercheurs et praticiens, de faire émerger et utiliser les preuves scientifiques les plus actualisées, et par extension, de faire évoluer la définition de la déficience intellectuelle depuis plus de 100 ans. Actuellement, la dernière et douzième version du manuel est parue en français en 2021. Le schéma ci-dessous retrace l’évolution de la définition de la déficience intellectuelle de l’AAIDD en lien avec les autres systèmes de classification, le DSM et la CIM. L’aboutissement de ce schéma est l’alignement, depuis le DSM-5 et la CIM-11, des systèmes autour de trois critères diagnostiques : (1) un déficit significatif des fonctions intellectuelles, (2) un déficit significatif du comportement adaptatif, (3) l’apparition des déficits durant la période développementale. Ligne du temps de l’évolution des critère diagnostiques de la déficience intellectuelle L’AAIDD introduit en 1959 la notion de comportement adaptatif en tant que dimension intégrante du diagnostic de la déficience intellectuelle. Dans les années 1990, l’AAIDD abandonne la catégorisation du niveau de sévérité de la déficience intellectuelle sur la base du quotient intellectuel (contre 2013 pour le DSM-5). 1.2. Modèle du fonctionnement humain de l’AAIDD A partir de sa 10ème édition, la classification de l’AAIDD va approcher la définition et les bonnes pratiques autour de la déficience intellectuelle sous l’angle d’un modèle du fonctionnement humain qui permet de correspondre à la fois au PPH et à la CIF (notamment parce ce que ce système reste fondamental dans la sphère médicale). Modèle de fonctionnement humain de l’AAIDD (AAIDD, 2021) Les relations entre les dimensions y sont décrites comme un processus au cours duquel les dimensions du fonctionnement humain conduisent à différents types de soutien. Celles-ci influencent alors le fonctionnement humain et, de manière rétroactive, le fonctionnement humain influence les besoins de soutien. L’AAIDD conçoit le fonctionnement humain en cinq dimensions. Pour le comprendre, il faut considérer que ce fonctionnement n’est pas statique mais est influencé par le soutien. (1) Les capacités intellectuelles comprennent le raisonnement, la planification, la résolution de problèmes, la pensée abstraite, la compréhension d’idées complexes, la facilité à apprendre et les apprentissages à partir d’expériences. Malgré leurs limites, les mesures du quotient intellectuel constituent toujours la façon la plus consensuelle d’évaluer les capacités intellectuelles d’une personne ; à condition que ces mesures soient administrées individuellement et à l’aide d’instruments appropriés (standardisés et adaptés à l’âge et à la culture de la personne). (2) Le comportement adaptatif regroupe l’ensemble des habiletés conceptuelles, sociales et pratiques apprises par la personne qui lui permettent de fonctionner au quotidien (3) La santé est définie par l’OMS comme « un état de bien-être physique, social et mental ». La santé regroupe donc l’état de santé général, les facteurs de risque et de comorbidités, la qualité de l’environnement du point de vue de la santé, l’accès aux services de santé, l’étiologie (approche multifactorielle de l’étiologie qui comprend des facteurs biomédicaux, sociaux, comportementaux et éducationnels) ainsi que la prévention. (4) La participation, les interactions, les rôles sociaux représentent la performance d’une personne au quotidien dans son milieu social : sa participation à la vie communautaire (activités, événements et organisations), ses interactions avec des amis, la famille, les voisins, ses rôles sociaux par rapport à la famille (à la maison), à l’école (classe), au travail, aux activités de loisir (culture, sports), au domaine spirituel (activités religieuses). (5) Le contexte concerne l’environnement tel que décrit dans les modèles sociaux du handicap. L’AAIDD fait référence des strates micro, méso et macro. Enfin, le soutien est défini comme l’ensemble des ressources et des stratégies visant à promouvoir le développement, l’éducation, les intérêts et le bien-être d’une personne et qui améliorent le fonctionnement individuel (AAIDD, 2021). 1.3. Composantes intégratives pour la définition, l'évaluation et l'intervention Au sein de ce point, nous proposons de revenir sur les composantes intégrées à la définition, l’évaluation, mais aussi l’intervention auprès des personnes avec déficience intellectuelle, notamment dans la perspective du fonctionnement humain de l’AAIDD, soit (1) le comportement adaptatif, et (2) les besoins de soutien. 1.3.1. Comportement adaptatif Selon l’évolution de la définition et de la conception de la déficience intellectuelle, le concept de comportement adaptatif est peu à peu intégré dans les pratiques d’évaluation et d’intervention auprès des personnes avec déficience intellectuelle. Le comportement adaptatif est le reflet du développement cognitif, social et moteur de la personne, dans sa quête d’autonomie vis-à-vis de son environnement et dans le quotidien. Le comportement adaptatif regroupe ainsi un ensemble d’habiletés fonctionnelles qu’une personne apprend et mobilise tout au long de sa vie afin de lui permettre de s’accorder aux exigences de l’environnement (Harrison & Oakland, 2017). Ces compétences sont ainsi des composantes essentielles pour le fonctionnement humain et quotidien (Tassé, 2017). Le fonctionnement adaptatif constitue donc un ensemble de comportements qui, aux yeux d’autrui, permet de considérer que la personne réagit de façon « satisfaisante », qu’elle est « reliée » à son environnement. Il reflète le fonctionnement habituel de la personne et se compose d’un ensemble de compétences, applicables dans divers contextes (par exemple : à l’école, au travail, à la maison) (Balboni et al., 2014 ; Schalock et al., 2018 ; Tassé et al., 2016). En conséquence, les troubles neurodéveloppementaux s’accompagnent communément de limitations du fonctionnement dans la vie quotidienne faisant référence aux comportements adaptatifs (Desquenne & Cappe, 2020). Le comportement adaptatif est une composante centrale du diagnostic de la déficience intellectuelle. Désormais, dans l’ensemble des classifications diagnostiques (DSM-5, CIM-11 et AAIDD-12), le diagnostic de la déficience intellectuelle repose sur trois critères : (1) un déficit des fonctions intellectuelles (caractérisé par un écart à la norme, et évalué au moyen d’un test de quotient intellectuel validé et adapté à l’âge et la culture de la personne évaluée), (2) un déficit dans le fonctionnement adaptatif/comportement adaptatif, ainsi que (3) l’apparition de ces caractéristiques au cours de la période développementale (jusqu’à 22 ans pour l’AAIDD et 18 ans pour les autres classifications). Il est donc indispensable pour poser un diagnostic de déficience intellectuelle, de mener une évaluation du comportement adaptatif individuelle, standardisée et appropriée à l’âge et à la culture. Depuis leur dernière version, le DSM comme la CIM ont également abandonné l’identification des degrés de sévérité basés sur le score du quotient intellectuel. C’est désormais l’évaluation du comportement adaptatif, dans ses trois domaines (conceptuel, social et pratique), qui permet de déterminer si la déficience intellectuelle est considérée comme légère, modérée, sévère ou profonde. Les outils d’évaluation du comportement adaptatif (ex. DABS, EQCA/EBCA, VABS) se structurent en effet habituellement autour de trois à quatre domaines de comportement adaptatif : 1) Compétences conceptuelles : langage (expression et compréhension, oral ou écrit), mathématiques appliquées/numératie, mémoire, orientation dans l’espace, résolution de problèmes, … 2) Compétences sociales : relation aux autres, interactions sociales, participation sociale, raisonnement social, … 3) Compétences « pratiques » (fonctionnelles) : tâches ménagères, habillement, cuisine, … 4) Compétences motrices ou physiques : motricité globale et fine, mobilité, alimentation et hygiène de base, … En ce sens, le tableau ci-dessous recense les limitations dans chacun des domaines en lien avec les degrés de sévérité (Frassati et al., 2017). Exemples de difficultés adaptatives selon le degré de sévérité de la DI (issu de Frassati et al., 2017) L’évaluation du comportement adaptatif suppose d’observer la performance typique de l’individu dans l’environnement naturel : l’évaluation est donc souvent rétrospective, c’est-à- dire que les praticiens cherchent à obtenir des informations hétéro-rapportées - c’est-à-dire complétées à travers la discussion avec une ou plusieurs personnes comme des professionnels, aidants proches, etc. qui connaissent bien la personne évaluée - sur ce que la personne est en mesure de réaliser dans son quotidien et dans divers contextes. La mesure du comportement adaptatif sera donc tributaire de la capacité de l’individu à réaliser le comportement, mais elle dépend également de facteurs intrinsèques (motivation, humeur par exemple) et de facteurs extrinsèques (attentes ou opportunités du milieu par exemple), mais aussi de la capacité de la personne qui remplit l’évaluation à se souvenir de certaines informations. Néanmoins, une « mesure pure » du comportement adaptatif n’existe pas et le recueil de ces données et informations est nécessairement croisé. La mesure permet de rencontrer quatre aspects importants dans le champ de la déficience intellectuelle : 1) Pris conjointement avec des limitations en termes de fonctionnement intellectuel, il permet une définition opérationnelle de la déficience intellectuelle. 2) La mesure du comportement adaptatif donne un point de repère sur la situation de la personne en termes de compétences sociales, conceptuelles, et fonctionnelles. Elle fournit donc une indication quant à la conquête de l’autonomie de la personne évaluée, et donne des pistes en termes d’intervention et d’accompagnement dans les domaines importants pour la personne. 3) Elle facilite le développement d’un projet à développer en concertation avec la personne. En effet, c’est un concept qui permet une approche socio-éducative unique centrée sur la personne. 4) Finalement, le comportement adaptatif s’apparente davantage à une vision multidimensionnelle du fonctionnement humain que le quotient intellectuel pris isolément. Bien que des liens complexes existent entre les mesures du quotient intellectuel et celles du comportement adaptatif, celles-ci ne sont pas nécessairement corrélées et/ou significatives. Les différentes théories mettent cependant en évidence l’importance de considérer les deux dimensions pour comprendre et diagnostiquer la déficience intellectuelle. En effet, le comportement adaptatif suivrait une trajectoire développementale indépendante, du moins partiellement, par rapport à celle du fonctionnement intellectuel, avec des périodes de recoupement et d’autres périodes moins synchrones. Par ailleurs, alors que le fonctionnement intellectuel a tendance à se stabiliser entre l’adolescence et l’âge adulte, le comportement adaptatif suit une trajectoire nettement plus variable (Fisher et al., 2016), notamment parce que celui-ci est en lien avec les facteurs environnementaux qui peuvent avoir une grande influence sur le développement et le maintien des compétences. Par exemple, le comportement adaptatif peut évoluer en fonction des opportunités d’apprentissage fournies à la personne, des stimulations de l’environnement, de l’engagement de la personne dans son quotidien. A l’inverse, le fonctionnement adaptif peut aussi bien régresser dans des environnements peu stimulants voire restrictifs, ou lorsque la personne n’a pas de projet individuel adapté. Enfin, un niveau de comportement adaptatif satisfaisant est associé à une plus grande indépendance et à l’expression de comportements sociaux « adaptés », ainsi qu’à une meilleure insertion sociale et professionnelle chez les personnes avec déficience intellectuelle (Jacola et al., 2014 ; Woolf et al., 2010). 1.3.2. Besoins de soutien La notion de besoins de soutien s’inscrit de façon complémentaire à celle de comportement adaptatif. Elle définit celui-ci en termes de limites—ce que la personne présentant une déficience intellectuelle ne peut pas faire, les comportements qui lui sont inaccessibles—qui seront par la suite mises en correspondance avec des besoins de soutien visant à dépasser cette situation d’incapacité. Ces besoins seront alors traduits en supports, aides et ressources humaines ou logistiques. Il s’agit d’une logique généralement adoptée au sein des systèmes d’allocation ou de mise en place de services à la personne et qui appuie l’idée que des soutiens adéquats peuvent améliorer l’autonomie, l’intégration et la qualité de vie des personnes avec déficience intellectuelle (Arnold et al., 2015). Cette évaluation s’opère sur base d’échelles directement développées par les instances de gestion des allocations et offres de service, ou via des mesures standardisées telles que la Support Intensity Scale (SIS-A) développée par l’AAIDD (Thompson et al., 2002) ou l’Instrument for Classification and Assessment of support Needs (I-CAN) (Riches et al., 2009). Il s’agit alors de mesurer avec précision à la fois la nature, mais aussi l’intensité des besoins de soutien pour un individu par rapport à un autre qui aurait éventuellement les mêmes déficits sensoriels, physiques et/ou intellectuels, mais se trouverait dans une situation potentiellement différente par rapport à la nécessité d’une aide adaptée. Les besoins y sont généralement évalués en termes de : Type, qui varie de l’absence de support à une assistance physique complète nécessaire, en passant par, graduellement, un monitoring (ex. des rappels), une assistance verbale ou gestuelle (coaching) ou une assistance physique partielle. Fréquence peut être mensuelle, hebdomadaire, quotidienne ou délivrée en continu durant la journée. Temporalité du soutien, elle peut représenter de 0 à plus de 4 heures par jour pour permettre la réalisation d’un comportement donné. Comme mentionné précédemment, l’AAIDD accorde une place centrale à la notion de besoins de soutien. Cette notion est au centre du modèle du fonctionnement humain (9ième à 11ième édition). Modèle de fonctionnement humain de l’AAIDD (AAIDD, 2021) Ainsi, le modèle propose de considérer les soutiens à l’interface des dimensions influençant le fonctionnement humain et l’actualisation de celui-ci. La double flèche permet de comprendre le sens donné aux soutiens par la mise en place spontanée ou organisée de ceux-ci (matériels, humains, logistiques…) qui peuvent influencer le fonctionnement humain d’une personne (étant lui-même influencé par les dimensions I à V). Et réciproquement, l’évolution du fonctionnement humain reconfigure de façon dynamique les soutiens nécessaires à un individu. La notion de besoins de soutien permet ainsi de comprendre la meilleure façon d’agir à partir des difficultés et des ressources de la personne et de son environnement, en proposant une vision holistique bénéfique pour l’accompagnement. En effet, la planification de l’accompagnement s'élabore alors plus directement en fonction de ce que la personne avec déficience intellectuelle aurait besoin “pour pouvoir faire” et non plus sur base d’une évaluation de ses incapacités. Elle opérationnalise une vision centrée sur le fait que des soutiens adéquats peuvent améliorer l’autonomie, l’intégration et la qualité de vie de la personne (Arnold et al., 2015 ; Riches et al., 2009). Elle s’inscrit aussi directement dans l’évolution de la conception du handicap vers des modèles sociaux et des changements de pratiques qui en découlent. Thompson et al. (2014, 2018) traduisent cette correspondance en proposant cinq tendances- soit des évolutions conceptuelles et pratiques en lien avec la déficience intellectuelle- permettant de mieux comprendre l’importance l’intégration de la notion et de la mesure des besoins de soutien. Celles-ci sont reprises schématiquement dans la figure ci-dessous. Evolution des attentes à Descriptions fonctionnelles des Activités adaptées à l'âge l'égard des personnes en chronologique situation de handiap handicaps Avant : expériences de vie Avant : attention portée Avant : prise en compte inaccessibles pour les sur les limitations de l'âge chronologique personnes présentant un uniquement uniquement menant à handicap Aujourd'hui : attention "l'infantilisation" des Aujourd'hui : promotion de portées aux limitations et personnes présentant un l'inclusion et de la aux ressources, et regard handicap participation sociale critique sur les attentes Aujourd'hui : prise en de l'environnement compte du statut social et des rôles sociaux valorisés de la personne afin de favoriser la participation sociale et l'autodétermination Réseaux de soutien fournissant des Services et aides axés sur le bénéficiaire soutiens individualisés Avant : les personnes en situation de Avant : les professionnels étaient handicap étaient considérées comme considérés comme des "soignants". Ils bénéficaires passifs faisaient à la place des personnes en Aujourd'hui: approche centrée sur la situation de handicap. personne proposant un soutien plus Aujourd'hui : les professionnels personnalisé et valorisant l'engagement accompagnent les personnes. Ils et elles de la personne. occupent un rôle de facilitateur dans la vie des personnes en situation de handicap. 1.3.3. Intégration des composantes dans l’application de la définition de déficience intellectuelle Dans sa 12ième édition, l’AAIDD définit donc la déficience intellectuelle comme : « caractérisée par des limitations significatives du fonctionnement intellectuel et du comportement adaptatif, lequel se manifeste dans les habiletés conceptuelles, sociales et pratiques. Cette incapacité survient pendant la période du développement qui est définie opérationnellement comme celle précédant le moment où la personne atteint l’âge de 22 ans. » De plus, depuis sa 9ième édition, l’AAIDD propose une classification de la déficience intellectuelle en sous-groupes en fonction des degrés dans le niveau de soutien nécessaire (intermittent, limité, important ou intense). De ce fait, cinq postulats sont essentiels à la mise en application de cette définition (AAIDD, 2021) : 1) Les limitations du fonctionnement intellectuel doivent tenir compte des environnements communautaires typiques des pairs appartenant au même groupe d’âge et à la même culture que la personne. 2) Une évaluation valide tient compte de la diversité culturelle et linguistique ainsi que des différences sur le plan de la communication et sur les plans sensoriels, moteurs et comportementaux. 3) Chez une personne, les limitations coexistent avec les forces. 4) Un objectif important de la description des limitations est d’établir un profil des besoins de soutien. 5) Généralement, le fonctionnement de la personne présentant une déficience intellectuelle devrait s’améliorer si un soutien personnalisé et approprié lui est offert sur une période prolongée. Grâce à ce manuel et les recherches qu’elle mène, l’AAIDD vise à définir, classifier et diagnostiquer, mais également à donner des indications quant à des pratiques professionnelles. Les notions de diagnostic et de classification devraient cependant être clairement différenciées. La classification est un système d’organisation utilisé de manière opérationnelle une fois le diagnostic établi. Elle fournit une structure permettant de catégoriser les différents types d’observations et de mesures de sorte à organiser et mieux comprendre les besoins d’une personne. C’est donc une étape postdiagnostique qui doit être utilisée pour une raison bien établie, présenter un avantage pour la personne, être fondée sur des informations pertinentes et permettre de mieux comprendre les besoins de la personne. Sur cette base, l’AAIDD propose une classification en sous-groupes issue des changements conceptuels, scientifiques et cliniques de la déficience intellectuelle avec un appui sur les principes suivants : La mise en application intensifiée du paradigme de soutien. Une plus grande importance accordée aux capacités de la personne et aux résultats qu’elle valorise. Le développement d’instruments de mesures standardisés pour le comportement adaptatif et les besoins de soutien. Une compréhension scientifique et sociale de la déficience intellectuelle qui tient compte non seulement de la complexité du fonctionnement humain, mais aussi de la nécessité de considérer des nombreux objectifs d’une classification. L’intégration du modèle socioécologique de l’incapacité en tant que bonne pratique. Dans ce système de classification, deux perspectives sont envisagées : 1) Une classification basée sur un cadre méthodologique prédéterminé : par exemple, sur la base des rangs percentiles obtenus aux mesures standardisées des besoins de soutien. 2) Une classification basée sur les analyses des profils de besoins de soutien/grappes en fonction des objectifs stratégiques poursuivis par cette « stratification ». Pour rappel, d’autres systèmes diagnostiques continuent cependant d’opérer les classifications en fonction des limitations du comportement adaptatif (comme le DSM ou la CIM). Ces trois composantes (les besoins de soutien, le comportement adaptatif et le fonctionnement intellectuel) restent donc pertinentes dans l’appréciation psychométrique et clinique de la déficience intellectuelle et la planification des interventions. 1.4. Caractéristiques cognitives générales et enjeux psychoéducatifs dans la déficience intellectuelle Comme mentionné, indépendamment du diagnostic et des classifications, chaque individu avec déficience intellectuelle doit être considéré en regard de ses ressources et ses limites, objectivées par des mesures standardisées et par une appréciation clinique individualisée et considérée en interaction avec les caractéristiques des environnements au sein desquels la personne évolue. Ces aspects permettent alors d’élaborer un projet d’accompagnement et de soutien qui tienne compte des dimensions pertinentes et améliore adéquatement le fonctionnement humain. Chaque situation est donc individuelle. Toutefois, certaines caractéristiques cognitives peuvent être rencontrées de façon transversale chez les personnes avec une déficience intellectuelle et utiles au niveau de l’accompagnement de ces personnes. Ces caractéristiques peuvent être illustrées comme suit : Une lenteur ou un retard du développement intellectuel. De manière générale, les personnes avec déficience intellectuelle passent par des stades de développement identiques à tout un chacun mais dans des temporalités différentes. En effet, les personnes avec déficience intellectuelle restent « plus longtemps » dans chacun de ces stades, ce qui accentue sensiblement certains retards. Cette trajectoire développementale semble néanmoins influencée par le type de fonction cognitive considéré. Un ralentissement et/ou un arrêt prématuré du développement. Pour certaines personnes, un ou plusieurs stades de la pensée et du raisonnement ne seront effectivement pas atteints. Une moindre efficience du fonctionnement intellectuel. Les personnes avec une déficience intellectuelle peuvent présenter une difficulté à traiter de l’information, notamment à porter leur attention sur les éléments abstraits ou symboliques, ainsi que présenter des difficultés de mémoire de travail, ce qui freine la compréhension et la résolution de problèmes. De faibles connaissance de base ou mal organisées, ce qui est en lien avec la mémoire sémantique. Des difficultés de transfert et de généralisation. Les personnes avec déficience intellectuelle peuvent effectivement rencontrer une « dépendance au contexte », en ce compris des implications très concrètes sur la façon dont seront organisés les apprentissages fonctionnels. Par exemple, apprendre à une personne à payer « hors contexte » (ailleurs que là où le paiement a normalement lieu) nécessitera d’apporter un soutien supplémentaire pour déployer cet apprentissage en contexte (transfert des connaissances). Dans cette situation, la personne pourra présenter des difficultés à généraliser cet apprentissage à tous les commerces (généralisation). La déficience intellectuelle s’organise sous la forme d’un spectre d’atteintes des fonctions intellectuelles et de répercussions fonctionnelles associées. Les caractéristiques sur le plan cognitif décrites impliquent dès lors certains principes généraux relatifs à l’accompagnement des personnes avec déficience intellectuelle. Encore une fois, il ne s’agit pas ici de décrire ce qui vaudrait pour tous et serait identique pour chacune des personnes avec déficience intellectuelle, mais bien des points d’attention qui peuvent être transversaux. Ces points se situent au croisement des limitations du fonctionnement intellectuel et adaptatif de la personne avec DI et des opportunités fournies par l’environnement pour améliorer et/ou soutenir le fonctionnement de la personne. En raison des caractéristiques mentionnées sur le plan cognitif, les personnes avec déficience intellectuelle peuvent faire l’expérience d’une grande dépendance à l’environnement dans lequel elles évoluent. De ce fait, l’environnement de la personne avec déficience intellectuelle doit tenir compte de ses besoins, ses valeurs et de son fonctionnement général/humain pour permettre la mise en place d'un soutien personnalisé et adapté. À cette fin, voici quelques principes psychoéducatifs généraux4 pouvant être mobilisés : Aider la personne à reconnaître ses émotions et à les exprimer adéquatement. Porter une attention spécifique aux imprévus et changements de routine qui peuvent générer un stress plus important et soutenir la personne. Permettre à la personne de s’orienter dans le temps et dans l’espace. Développer l’estime de soi, proposer des expériences valorisées et valorisantes, susciter l’engagement dans des activités porteuses de sens. Développer un « sens du risque », développer une gestion du risque et une capacité à envisager les conséquences des décisions et comportements. Apporter le soutien nécessaire pour répondre aux besoins de la personne mais aussi aux besoins des familles et aidant proches. Développer des relations significatives et les ressources pour les maintenir. Développer et soutenir un projet de vie épanouissant pour la personne, ainsi qu’une vie autodéterminée. Etc. Il est essentiel de garder à l’esprit que la déficience intellectuelle constitue un état stable et permanent. Il n’est donc pas question de guérison, mais bien de permettre l’évolution de la personne grâce aux expériences de vie et d’apprentissage. En ce sens, l’accompagnement des personnes avec déficience intellectuelle porte alors sur le développement de la personne grâce aux expériences et opportunités de vie et d’apprentissage à travers les différents domaines de la vie, davantage les domaines jugés importants par la personne. Ainsi, un environnement familial et social favorisant un soutien personnalisé permet d’optimiser le fonctionnement, le potentiel et le développement de la personne. L’éducabilité est le principe de base, et ce indépendamment du degré de sévérité. Comme tout un chacun, la personne présentant une déficience intellectuelle est d’abord et avant tout un individu ayant des besoins et des émotions, disposant de forces et de limitations, ayant des désirs et un besoin d’intimité, souhaitant être inclus, avec une personnalité, des goûts et des préférences, des idées et des opinions, des intérêts et des passions, souhaitant être aimé, reconnu, et vivre des relations significatives et réciproques. 4 Ces principes seront déployés et concrétisés différemment en fonction de la personne (besoins, intérêts, modes de communication, profils sensoriels…) mais aussi de son environnement. 2. Les troubles du comportement et le double diagnostic Les troubles du comportement, parfois appelés comportements-défis ou même, comportements qui défient, réfèrent à des conduites culturellement anormales survenant dans une proportion, en intensité comme en fréquence, qui hypothèque sérieusement la sécurité de l’individu et/ou de son entourage (Emerson & Bromley, 1995). Les troubles du comportement sont décrits en termes de fréquence, de nature et d’intensité, mais ils sont avant tout définis par leur impact délétère sur la personne elle-même ainsi que sur son entourage (Hastings et al., 2013). En fonction de cet impact, les troubles du comportement seront définis comme graves ou non graves. On parlera donc de trouble du comportement uniquement si un ou plusieurs comportements donnés représentent une menace pour la sécurité physique et/ou psychologique de la personne et/ou de son environnement (y compris relationnel : famille, professionnels, pairs…). Les troubles du comportement sont évalués à travers une observation clinique circonstanciée et l’utilisation de procédures d’analyses fonctionnelles qui permettent à la fois de les recenser, mais aussi de les comprendre et d’envisager les pistes possibles d’intervention. En complément de cette observation clinique systématique, ils peuvent être objectivés au moyen de l’utilisation d’échelles standardisées. Les exemples non-exhaustifs ci-dessous illustrent des manifestations qui peuvent s’apparenter aux troubles du comportement : Les comportements et postures stéréotypés (p. ex. : taper du pied, se bercer, se balancer de manière répétitive, tenir sa tête penchée constamment, …). Les comportements d’évitement et de retrait (p. ex. : dormir le jour, éviter le contact visuel, se tenir à l’écart du groupe, …). Les habitudes et comportements socialement inadéquats (p. ex. : répéter en écho les paroles, manger des choses non comestibles, pleurer ou rire sans raison apparente, lancer des objets, …). Les manières interpersonnelles inappropriées et comportements antisociaux (p.ex. : utiliser la propriété des autres sans permission, toucher les autres de façon inappropriée, « résister » aux consignes, …). Les comportements violents et hétéroagressifs (p. ex. : frapper, mordre, …). Les automutilations. Les comportements sexuels problématiques (p. ex. : se masturber dans des lieux publics, essayer d’avoir des relations sexuelles avec des partenaires non consentants, …). 2.1. Prévalence ponctuelle et variables influençant la prévalence des troubles du comportement Les troubles du comportement sont fréquents chez les personnes présentant un trouble du neurodéveloppement. Chez les personnes présentant une déficience intellectuelle notamment, environ une personne sur cinq serait concernée (Bowring et al., 2019 ; Lunsky & Balogh, 2010 ; Totsika et al., 2010). Plusieurs variables peuvent expliquer cette prévalence importante des troubles du comportement chez les personnes présentant une déficience intellectuelle. Ces variables devraient être considérées comme à l’interface des caractéristiques individuelles, sociales et environnementales (voir modèles sociaux du handicap). Un exemple de caractéristique « individuelle » pouvant influencer la survenue de troubles du comportement, est la présence d’un syndrome génétique dont le phénotype comportemental implique certaines particularités comportementales. En effet, dans le contexte de syndromes génétiques associés à une déficience intellectuelle, il peut exister des manifestations comportementales communes, liées à l’expression du génotype qui agit comme une base biologique du comportement et peuvent évoquer ou provoquer des troubles du comportement (et/ou symptômes de troubles de santé mentale). Le terme de phénotype renvoie ici aux marqueurs non directement visibles comme des éléments biochimiques propres. Le concept de phénotype comportemental concerne alors les personnes présentant un syndrome neurodéveloppemental d’origine génétique qui va amener, suite à une masse substantielle de preuves scientifiques, à pouvoir définir des schémas comportementaux communs qui peuvent concerner des dimensions cognitives, motrices, linguistiques et/ou sociales plus fréquents que chez des personnes ne présentant pas le syndrome génétique concerné. Dans le contexte de la déficience intellectuelle, il est dès lors utile d’avoir des indications, sur ces différents syndromes et leurs caractéristiques les plus saillantes afin de s’assurer de mener une évaluation clinique pertinente. Toutefois, l’identification d’une cause organique (génétique) sous-jacente à des problématiques psychologiques et/ou du comportement n’empêche pas les hypothèses alternatives. En outre, la présence d’un facteur étiologique organique ne devrait pas engager les professionnels à mettre de côté un examen clinique approfondi en vue de comprendre et d’accompagner les difficultés psychologiques et/ou comportementales. En effet, l’expression du génotype est soumise à des influences externes, avec certains éléments innés et d’autres acquis. Par conséquent, le fait de prendre connaissance du phénotype comportemental lié à un syndrome génétique ne constitue pas un substitut à l’évaluation individualisée et approfondie de la personne concernée (Holland, 2020). A titre d’exemple, alors que les troubles du comportement se retrouvent dans une proportion plus faible dans le syndrome de Down, d’autres syndromes génétiques ont des répercussions directes sur la prévalence de troubles du comportement ; ex. les compulsions (dont les compulsions alimentaires) dans le syndrome de Prader-Willi, l’irritabilité dans le syndrome du cri du chat, l’automutilation dans le syndrome de Lesch-Nyhan, etc. Le degré de sévérité de la déficience intellectuelle ne devrait pas être considéré comme une variable individuelle, mais plutôt comme une variable « mixte », à l’interface de l’individu et de l’environnement. En effet, les personnes ayant une déficience intellectuelle plus « sévère » rencontrent des défis quotidiens plus importants tout en ayant « moins de ressources » pour y faire face ; ce qui peut précipiter, faute de mesures appropriées, la survenue ou le maintien des troubles du comportement. Par exemple, ces personnes rencontrent plus de difficultés d’expression verbale et non verbale, sont davantage dépendantes de leur environnement en raison des problèmes adaptatifs majeurs, vivent dans des milieux collectifs qui peuvent, dans une certaine mesure, avoir également une influence sur les troubles du comportement, etc. Ainsi, le milieu de vie d’une personne peut également avoir un impact direct sur la prévalence des troubles du comportement (p. ex. : degré de stimulation, adaptation de l’environnement, opportunités de faire des choix, etc.). 2.2. Principes généraux d’analyse du comportement Face à une personne présentant des troubles du comportement, il est essentiel de se questionner sur la topographie, et la fonction de ces comportements. La topographie interroge la forme du ou des comportements problématiques, s’il y en a qu’un seul ou plusieurs, leur fréquence, leur intensité, leur description détaillée en termes de séquence. La fonction vise à interroger la fonction/l’objectif poursuivi du ou des comportements problématiques. En effet, un comportement, même « problématique », est toujours « fonctionnel ». En effet, il « sert toujours » à quelque chose pour la personne qui le met en place et il a le plus souvent été « appris » (par observation ou par expérience propre), de sorte que son caractère fonctionnel a pu être éprouvé. De façon consensuelle, on considère que les comportements mis en place par un individu peuvent avoir différentes fonctions générales qui sont résumées par les catégories suivantes : Concrètes : obtenir des choses, des situations ou des activités désirées, De fuite : échapper à des choses, des émotions, des situations ou à des activités non désirées, Sociales : obtenir de l’attention, de l’interaction, du contact ou communiquer, Sensorielles : obtenir une forme de stimulation, qu’elle soit auditive, visuelle, tactile, … par la personne elle-même ou via quelqu’un d’autre. Pour procéder à l’analyse du ou des comportements problématiques5, le professionnel peut exploiter l’analyse fonctionnelle, notamment en s’appuyant sur un schéma dit ABC : Antecedent / Behavior / Consequences / Antécédent Comportement Conséquences Les antécédents Le comportement doit être Les conséquences reprennent toutes les défini de façon précise et représentent l’ensemble caractéristiques de opérationnelle, en utilisant des évènements l’environnement physique des termes explicites et (logistiques, physiques, et/ou social qui précèdent concrets qui permettent de matériels, émotionnels, le comportement et l’identifier, de l’évaluer, etc.) qui succèdent au constituent le contexte au mais aussi de suivre son comportement ciblé de sein duquel le évolution dans le temps, et façon régulière. comportement se déploie, ce, en termes de forme, de mais aussi le niveau de fréquence ou encore compétence de la d’intensité. personne (sa capacité à mettre en place « le comportement désiré » dans une situation). La congruence des antécédents est également à prendre en compte. Dans une logique d’évaluation, le professionnel est amené à recueillir des informations concernant chacune des parties de cette triade, alors que dans une logique d’intervention, ce sont avant tout les antécédents et les conséquences qui seront ciblés afin de modifier le comportement. Les interventions visent à obtenir le même type de conséquences en mettant en place des comportements appropriés –alternative comportementale. Cet apprentissage de comportements plus adaptés, permettant de remplir la même fonction que les 5Notons que l’analyse fonctionnelle est un schéma qui s’applique aux situations cliniques en un sens plus large que celui exclusif des troubles du comportement. comportements problématiques, peuvent s’opérer notamment en renforçant les comportements adaptés spontanément mis en place. Afin de collecter les informations utiles à la triade ABC (mais aussi d’évaluer l’effet des interventions grâce à une ligne de base et à un suivi), il est essentiel d’observer directement la personne au sein de différents environnements/contextes. Cette observation peut être opérée sur des échantillons temporels choisis ou durant une période plus longue/continue, ce qui a l’avantage de permettre une analyse en contexte, y compris au niveau de la dynamique des évènements et interactions dans le quotidien de la personne. En marge de cette observation, les proches (professionnels et/ou membre de l’e

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