Résumé des questions pour l'oral Droit du contentieux de l'Union européenne PDF
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Ce document résume les questions principales concernant le droit du contentieux de l'Union européenne. Il aborde les éléments constitutifs du manquement, la procédure en manquement et le rôle des droits fondamentaux. Il explore les différents types d'accords internationaux, le droit dérivé, et les actes obligatoires et non obligatoires.
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Droit du contentieux de l’Union européenne QUESTIONS PRINCIPALES Question 1 – Les éléments constitutifs du manquement Introduction générale : - - Définition et fondement : Le recours en manquement vise à constater qu'un État membre a manqué à une de ses obligations en vertu des traités de l'UE, sans...
Droit du contentieux de l’Union européenne QUESTIONS PRINCIPALES Question 1 – Les éléments constitutifs du manquement Introduction générale : - - Définition et fondement : Le recours en manquement vise à constater qu'un État membre a manqué à une de ses obligations en vertu des traités de l'UE, sans besoin de prouver une faute de l'État. Textes applicables : Articles 258, 259 et 260 du TFUE définissent le cadre du recours en manquement (mais pas le manquement à proprement parlé). Sources de la notion de manquement : Issues de l’avis motivé de la Commission et de la jurisprudence de la CJUE. I/ Les normes de référence du manquement : - Distinction des sources : o Sources écrites : ▪ Droit primaire ou originaire : Inclut les traités de base (TUE, TFUE, EURATOM), les traités modificatifs (Maastricht, Lisbonne), les traités d'adhésion, et la Charte des droits fondamentaux de l'UE (depuis Lisbonne 2007). Exemples d’arrêts : CJUE, 24 mai 2011, Commission contre Belgique et France →question de la compatibilité des règlementations nationales relatives à l’exercice de la profession de notaire au regard des dispositions du TFUE, et qui organisent la liberté d’établissement. ▪ Instruments connexes : Protocoles (même valeur que les traités), ex. protocole sur le rôle des parlements nationaux. Déclarations (valeur politique, non juridique) (=font partie de l’acte final des conférences des représentants des gouvernements des États membres qui clôturent les négociations et arrêtent définitivement le texte des traités). Exemple d’arrêt : CJCE, 1988, Commission c/Belgique : ici, la violation des protocole est constitutive de manquement. ▪ Accords internationaux : Inclut les accords externes et ceux entre l'UE et les États membres. La Charte des droits fondamentaux de l’UE : Déclaration des droits adoptée le 7 décembre 2000 par l’UE. Elle reprend pour la 1ère fois l’ensemble des droits civiques, politiques, économiques et sociaux des citoyens européens ainsi que de toute personne vivant sur le territoire de l’UE. o Sources non écrites : Principes généraux du droit (PGD), intégrés dans le terme de traités, controversés sur leur hiérarchie. II/ Comportements constitutifs du manquement : Non-transposition des directives : Exemple fréquent de manquement. Violation des traités et du droit dérivé : Constitue un manquement, comme dans les arrêts précités. III/ Imputabilité de l’infraction : Responsabilité de l'État : Manquement imputable à l'État membre en cause, quelle que soit l'autorité nationale responsable. Page 1 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne IV/ Moyens permettant l’exonération de l’État : Faibles moyens d’exonération : Les États peuvent invoquer la violation des droits fondamentaux, mais rarement retenue par la CJUE. Exemples : La Charte des droits fondamentaux comme norme de référence postLisbonne 2007, mais peu utilisée pour exonérer un État en pratique. Points clés pour l’oral - - Rôle des articles 258-260 TFUE : Définit le recours en manquement. Sources des normes de référence : Distinction entre droit primaire (traités, Charte) et droit dérivé (protocoles, accords). Jurisprudence importante : Commission contre Belgique et France (2011), Commission c/Belgique (1988). Charte des droits fondamentaux : A une valeur juridique égale aux traités depuis le Traité de Lisbonne en 2007. Elle constitue une norme de référence dans le cadre de la procédure du recours en manquement puisqu’elle a la même valeur que les traités. Exonération d’État : Rares cas de succès via la violation des droits fondamentaux. Cette structure permet de présenter les points essentiels et les exemples pertinents pour montrer une compréhension approfondie des éléments constitutifs du manquement dans le cadre de l’UE. Partie I : Une adéquation limitée de la procédure en manquement pour sanctionner les violations des droits fondamentaux Adéquation limitée pour sanctionner les violations des droits fondamentaux 1. Lenteur de la procédure en manquement : Phases multiples : La procédure en manquement comporte une phase précontentieuse suivie d'une phase contentieuse, pouvant durer plusieurs années. Effet sur l'effectivité : La lenteur de la procédure ne permet pas de résoudre rapidement les violations des droits fondamentaux, souvent rendant les jugements inopérants car les situations peuvent avoir évolué ou disparu. 2. Portée des arrêts de la Cour de justice : Portée déclaratoire : Les arrêts de la CJUE en manquement sont déclaratoires, c'est-àdire qu'ils se limitent à constater le manquement sans pouvoir contraindre directement l'État à se conformer. Responsabilité de l'État membre : Selon l'article 260 TFUE, il incombe aux autorités nationales de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l'arrêt. Non-exécution des arrêts : Beaucoup d'arrêts restent non exécutés par les États membres, limitant l'efficacité de la procédure. Sanctions pécuniaires : Depuis Maastricht, l'article 260 TFUE permet à la CJUE d'imposer des sanctions financières (somme forfaitaire ou astreinte) en cas de nonexécution des arrêts, renforçant l'exécution des décisions. 3. Caractéristiques propres aux droits fondamentaux : Page 2 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Champ d'application restreint : Selon l'article 51, paragraphe 1er, de la Charte, les droits fondamentaux s'appliquent aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'UE. Lien de rattachement nécessaire : Les dispositions de la Charte ne peuvent être invoquées seules, un lien avec une autre disposition des traités est nécessaire, ce qui complique l'argumentation juridique. Précision jurisprudentielle : La notion de « lien de rattachement suffisant » évolue lentement à travers la jurisprudence, rendant les cas de violations des droits fondamentaux difficiles à cerner. Préférences de la Commission : La Commission européenne préfère utiliser des bases juridiques plus claires et sûres comme les libertés de circulation plutôt que de risquer une argumentation complexe autour des droits fondamentaux. Conclusion La procédure en manquement d’État montre ses limites pour garantir et sanctionner efficacement les violations des droits fondamentaux. Sa lenteur et la portée limitée de ses arrêts, malgré les sanctions pécuniaires possibles, en font un instrument moins adapté à la protection rapide et efficace des droits inscrits dans la Charte des droits fondamentaux de l'UE. De plus, les contraintes liées à l'application des droits fondamentaux dans le cadre du droit de l'UE ajoutent des obstacles supplémentaires à l'utilisation de cette procédure. Partie II. Les droits fondamentaux comme moyens de défense des Etats membres Résumé Contexte et objectifs : Les droits fondamentaux jouent un rôle crucial dans l'Union européenne. Il est essentiel de mobiliser tous les instruments disponibles, y compris la procédure en manquement d’État, pour assurer leur effectivité. Cependant, cette effectivité dépend aussi de la manière dont les juges intègrent ces droits comme moyens de défense dans un recours en manquement. Droits procéduraux et substantiels : Les États membres peuvent invoquer leurs droits procéduraux pour contester la recevabilité du recours. Les droits fondamentaux substantiels peuvent servir de justification à un manquement constaté. Limites des justifications basées sur les droits fondamentaux : La procédure en manquement est objective et vise seulement à constater une infraction, sans engager la responsabilité de l’État ni nécessiter une faute. Cette objectivité limite l'efficacité des justifications basées sur l'absence de faute ou l'exonération de responsabilité. Les justifications liées aux droits et libertés fondamentaux sont souvent rejetées sommairement par la Cour de justice. Examen strict des justifications par la Cour de justice : La Cour de justice exerce un contrôle strict sur les justifications fondées sur les droits de l’Homme. Page 3 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Malgré leur place limitée, les droits fondamentaux inscrits dans la Charte ne sont pas totalement exclus des justifications. La jurisprudence ERT est utilisée par la Cour pour évaluer les justifications à la lumière des droits consacrés dans la Charte. Exemple concret : En juillet 2022, la Commission a saisi la CJUE d’un recours en manquement contre la Hongrie pour une loi discriminatoire à l’égard des personnes LGBTIQ. La loi en question violait plusieurs articles de la Charte des droits fondamentaux, notamment les droits à la dignité humaine, à la liberté d’expression et d’information, à la vie privée et familiale, et à la nondiscrimination. 2. Les Accords Internationaux a. Les traités conclus par l’UE seule Accords externes : Ces traités, appelés accords strictement européens, sont conclus uniquement par l’UE. Force normative : Selon l’article 218 § 11 TFUE et l’arrêt Haegeman de 1974, ces accords sont partie intégrante de l’ordre juridique communautaire et ont une valeur normative, ce qui signifie que les États membres peuvent être reconnus en manquement pour leur non-respect (ex. CJCE, 1988, Commission c. Grèce). b. Les traités conclus par les États membres Exclusion de l’ordre juridique de l’UE : Les accords internationaux conclus uniquement par les États membres ne font généralement pas partie de l’ordre juridique de l’Union. La CJUE s’est déclarée incompétente pour des conventions internationales conclues par un État membre même si elles touchent au droit de l’UE (ex. CJUE, 2010, Commission c. Belgique). c. Les accords mixtes (UE et États membres) Partage des compétences : Les accords mixtes résultent du partage des compétences entre l’UE et les États membres. Ces accords couvrent des domaines relevant à la fois de l’UE et des États membres. Intégration dans le droit de l’UE : Comme les accords externes, les accords mixtes font partie de l’ordre juridique de l’UE dès leur entrée en vigueur. Normes de référence : Ces accords peuvent être utilisés comme normes de référence dans le contentieux du manquement (CJCE, 2004, Commission c. France). 3. Le Droit Dérivé a. Les actes obligatoires 1. Règlements Portée générale : Les règlements ont une portée générale, sont obligatoires dans tous leurs éléments, et sont directement applicables dans tous les États membres (art. 288 TFUE). Ex : CJCE, 13 février 1979, Granaria. Effet direct : Ils créent des droits et obligations pour les particuliers sans nécessiter de transposition nationale. 2. Directives Page 4 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Portée : Les directives lient les États membres quant aux résultats à atteindre, laissant aux autorités nationales le choix des formes et des moyens (art. 288 TFUE). Elles ne s’adressent pas à des personnes envisagées abstraitement mais aux États membres. Effet direct conditionnel : La CJUE reconnaît l’effet direct des directives si elles sont claires, précises, et inconditionnelles (CJCE, 1974, Van Duyn). 3. Décisions Portée individuelle : Les décisions s’adressent à des États, des personnes morales ou physiques et sont obligatoires dans tous leurs éléments (art. 288 TFUE). Effet direct : Les décisions peuvent avoir un effet direct, permettant aux personnes concernées de les invoquer en justice (CJCE, 1992, Hansa Fleisch). b. Les actes obligatoires et le recours en manquement Les actes obligatoires, comme les règlements, directives et décisions, peuvent servir de normes de référence dans le cadre d’un recours en manquement, à condition qu’ils imposent des obligations aux États (ex. CJCE, 1970, Commission c. Italie). c. Les actes non obligatoires Recommandations et avis : Ces actes ne lient pas et ne peuvent donc pas servir de normes de référence pour le recours en manquement (art. 288 TFUE). Ils expriment simplement le point de vue des institutions sur des questions spécifiques. Résumé Conclusif Pour un recours en manquement, les accords internationaux (qu’ils soient conclus uniquement par l’UE, par les États membres, ou conjointement) et les actes de droit dérivé obligatoires (règlements, directives, décisions) sont essentiels. Ces instruments législatifs constituent des normes de référence, à condition qu’ils imposent des obligations aux États membres, permettant ainsi à l’Union européenne de veiller au respect des engagements et des obligations par les États membres. B. Les Sources Non Écrites du Droit de l’UE 1. Les Principes Généraux du Droit Les principes généraux du droit de l’UE sont des règles non écrites que le juge applique. Ces principes incluent notamment des droits fondamentaux garantis, comme ceux de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Par exemple, le principe de l'égalité entre hommes et femmes a été consacré par la CJCE dans l'arrêt Defrenne du 15 juin 1978. Peuvent-ils servir de norme de référence dans un recours en manquement ? Doctrine majoritaire : Oui, la majorité de la doctrine considère que les principes généraux du droit peuvent servir de normes de référence. Pratique de la Cour : La Cour de justice n’a jamais prononcé un manquement basé uniquement sur la violation d’un principe général. Ces principes sont souvent invoqués en synergie avec une violation du droit originaire ou du droit dérivé. Un exemple est l’arrêt Commission c. Italie du 21 juin 1988. Les principes généraux du droit incluent les droits et libertés de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Ces principes sont essentiels pour la protection des droits fondamentaux dans l’Union. 2. La Jurisprudence (JP) Page 5 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne La jurisprudence de l’UE comprend l’ensemble des décisions rendues par la Cour de justice, le Tribunal, et avant 2016, le Tribunal de la fonction publique. Utilisation de la JP dans les recours en manquement Cas rares : La jurisprudence peut être invoquée dans des cas spécifiques, principalement dans la procédure de manquement sur manquement. Qu'est-ce que la procédure de manquement sur manquement ? Double fondement : Lorsqu'un État membre n'exécute pas correctement un premier arrêt de manquement, la Commission peut introduire une nouvelle action fondée sur l’article 260 TFUE. Cet article impose aux États membres l’obligation d'exécuter les arrêts en manquement. Utilisation du premier arrêt : Le premier arrêt en manquement sert de norme de référence pour évaluer le nouveau manquement, créant ainsi un lien direct avec la jurisprudence de la Cour. Exemple : Si un État n’a pas transposé une directive et n’a pas appliqué un arrêt de la Cour, le premier arrêt peut être invoqué dans le cadre d’un recours en manquement sur manquement. Résumé Conclusif Les principes généraux du droit et la jurisprudence sont des sources non écrites du droit de l'UE. Les principes généraux, bien qu'invoqués souvent en conjonction avec d'autres violations, n'ont jamais été le seul fondement d'un manquement prononcé par la Cour. La jurisprudence peut être utilisée dans des cas spécifiques, notamment lors de recours en manquement sur manquement, où un premier arrêt de la Cour sert de référence pour juger la persistance du manquement d'un État membre. II. Les Comportements Constitutifs du Manquement La procédure prévue par l'article 258 TFUE repose sur la constatation objective du non-respect par un État membre des obligations imposées par les traités ou d'autres normes de référence. Ainsi, le recours est ouvert quelle que soit la forme que prend le manquement dans l'État membre. Le recours en manquement revêt un caractère objectif, ce qui signifie qu'il n'est pas nécessaire de démontrer que l'État membre en cause a eu l'intention de méconnaître ses obligations ou qu'il y a eu faute ou préjudice. Le manquement peut être constitué soit par une action positive (A), soit par une abstention (B). A. Une Action Positive Le manquement par action peut se manifester de plusieurs manières, recensées dans l'ouvrage "Contentieux de l’UE" (2020) dirigé par Denys Simon : 1. Adoption de nouvelles normes nationales contraires au droit de l’UE : Par exemple, l'arrêt "foie gras" (CJCE, 22 octobre 1998, Commission c/France) illustre ce type de manquement. 2. Application de normes nationales anciennes contraires au droit de l’UE : Par exemple, l'arrêt du 5 mai 1970 (CJCE, Commission c/Belgique). 3. Pratiques administratives ou agissements de l'État en violation des obligations souscrites : Un exemple est l'arrêt du 7 février 1973 (CJCE, Commission /Italie). B. Une Action Négative L'absence d'actes de transposition des directives à l'expiration du délai imparti est la forme la plus courante de ce type de manquement (ex. CJCE, 29 octobre 2009, Commission c/Belgique). D'autres formes incluent l'absence de mesures nationales d'exécution des règlements. Page 6 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne III. L’Imputabilité de l’Infraction Le recours en manquement vise l'État membre qui a manqué à ses obligations. Cela implique qu'un organe de l'État a agi ou s'est abstenu, causant ainsi le manquement. La notion d'organe de l'État est entendue de manière très large, incluant : Le gouvernement, l'administration, le législateur national. Les collectivités locales, même dotées d'un statut d'autonomie avancé (CJCE, 13 décembre 1991, Commission c/Italie). Les juridictions nationales (ex. CJCE, 4 octobre 2018, Commission c/France). Une entreprise privée sous contrôle suffisant de l'État. De manière exceptionnelle, des personnes privées dépourvues de tout lien avec la puissance publique, si l'État aurait dû intervenir (affaire de la Guerre des fraises, CJCE, 9 décembre 1997, Commission/France). IV. Les Moyens Permettant l’Exonération de l’État La CJUE a une interprétation particulièrement restrictive des moyens permettant l’exonération de l’État, car l'objectif du recours en manquement est de faire cesser une situation juridique contraire au droit de l’UE plutôt que de sanctionner l'État. A. Refus de l’Invocation de l’Exception d’Inexécution L'exception d'inexécution, un principe en droit international où une partie contractante peut ne pas exécuter ses obligations si une autre partie ne respecte pas les siennes, n'a pas sa place en droit de l’UE. Les États membres ne peuvent invoquer une violation du droit de l’UE par d'autres États ou par une institution de l’UE pour se justifier (CJCE, 1991, Commission c/Royaume-Uni; CJCE, 1971, Commission c/France). B. Conception Restrictive de la Force Majeure L'invocation de la force majeure est possible mais rarement acceptée par la CJUE. La force majeure doit être entendue comme des circonstances étrangères à l’État, anormales et imprévisibles. La CJUE refuse souvent de reconnaître la force majeure en arguant de l'inexistence des éléments constitutifs (imprévisibilité, irrésistibilité, extériorité) ou du principe de supériorité du droit de l’UE (ex. CJCE, 1998, Commission c/France). C. Position Ambiguë sur l’Exception d’Illégalité L’article 277 TFUE permet d'invoquer l’illégalité d’un acte de portée générale. Cependant, la CJUE n'a pas encore déclaré un règlement illégal dans le cadre d’un recours en manquement. Un État ne peut invoquer l’illégalité d’une décision ou d’une directive comme moyen de défense, car ce sont des actes de portée individuelle (CJCE, 25 juillet 1991, Commission c/Espagne; CJCE, 15 novembre 1983, Commission/France; CJCE, 29 avril 2004, Commission contre Autriche). D. Place Limitée des Droits Fondamentaux Substantiels Les États peuvent invoquer le respect des droits fondamentaux pour justifier un manquement. Cependant, ces justifications ont une place limitée. Depuis le traité de Lisbonne, la Charte des droits fondamentaux de l’UE a valeur de droit primaire, mais les violations des droits fondamentaux ne sont pas souvent constatées dans le cadre des recours en manquement, car la procédure vise principalement à faire cesser des manquements aux obligations de l’UE. Page 7 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 2 – La procédure de constatation de manquement Procédure de Constatation de Manquement I. Déclenchement de la Procédure La procédure de recours en manquement peut être initiée par deux acteurs : 1. La Commission (art. 258 TFUE) : La Commission peut engager la procédure si elle estime qu'un État membre a manqué à ses obligations en vertu des traités. Les faits qui conduisent la Commission à ouvrir une procédure sont souvent des plaintes de particuliers, des cas détectés par la Commission elle-même ou des défauts de notification des mesures de transposition des directives. 2. Les États membres (art. 259 TFUE) : Les États membres peuvent également engager la procédure. Cependant, cela est rarement fait en pratique en raison de la volonté d'éviter des conflits entre États membres, des dénonciations officieuses auprès de la Commission et la possibilité d'intervention des États membres en soutien d'un recours initié par la Commission. II. Déroulement de la Procédure de Droit Commun La procédure de recours en manquement comporte deux étapes principales : A. Phase Précontentieuse 1. Lettre de Mise en Demeure : La Commission adresse une lettre de mise en demeure à l'État membre présumé en infraction, l'invitant à présenter ses observations dans un délai généralement de trois mois. Cette lettre circonscrit le manquement et limite les griefs qui peuvent être soulevés ultérieurement. 2. Avis Motivé : Si les observations de l'État membre ne conduisent pas la Commission à changer d'avis, elle émet un avis motivé constatant le manquement, fixant un délai pour y remédier et précisant les mesures à prendre. Ce délai, généralement d'un à deux mois, est crucial pour la suite de la procédure. B. Phase Contentieuse Si l'État membre ne se conforme pas à l'avis motivé, la Commission a le pouvoir (mais pas l'obligation) de saisir la Cour de Justice d'un recours en manquement. Elle peut le faire à tout moment, sans délai préétabli. La preuve du manquement incombe à la Commission, qui doit démontrer les violations du droit de l'UE par l'État membre concerné. En pratique, la plupart des États membres régularisent leur situation avant que la Commission n'engage la phase finale de la procédure devant la Cour de Justice. Page 8 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 3 – L’arrêt en manquement Arrêt en Manquement I. Pouvoirs du Juge Les juridictions européennes ont le pouvoir de constater un manquement d'un État membre à ses obligations en vertu de l'article 260 TFUE. Cependant, cet arrêt a un caractère déclaratoire et ne peut annuler les actes internes contraires au droit de l’Union ni prononcer d’injonctions à l’encontre de l’État membre en question. II. Conséquences d'un Arrêt en Manquement Lorsqu'un État membre est déclaré en manquement, il est tenu de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE). Cette décision a force obligatoire et les autorités nationales, y compris les juridictions nationales, doivent veiller à son exécution dans des délais brefs. Les mesures prises par l'État peuvent inclure l'adoption d'actes internes, la modification des normes incompatibles ou des pratiques administratives. III. Pouvoirs des Institutions Européennes en Cas d'Inexécution En cas d'inexécution d'un arrêt en manquement, seule la Commission européenne peut agir en initiant une nouvelle procédure de manquement fondée sur l'article 260 TFUE. Cette procédure peut entraîner des sanctions pécuniaires, notamment une somme forfaitaire ou une astreinte. Deux traités successifs, celui de Maastricht et celui de Lisbonne, ont renforcé cette procédure en permettant la prononciation de sanctions financières plus sévères et en simplifiant la procédure précontentieuse. Il est intéressant de noter que l'actualité récente, telle que la question de la pollution de l'air à Bruxelles, illustre l'application pratique de ces procédures envers les États membres qui ne respectent pas leurs obligations en vertu du droit de l'Union européenne. Page 9 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 4 – Supprimée Question 5 – Les conditions de recevabilité du recours en annulation A. Le Délai d'Introduction du Recours Le recours en annulation doit être introduit dans un délai très bref, soit deux mois à compter de la publication de l'acte, de sa notification au requérant, ou du jour où celui-ci en a eu connaissance. Les règles relatives aux délais sont d'ordre public, et le juge de l'Union doit examiner d'office si le recours a été présenté dans le délai imparti. 1. Publication de l'Acte: Le délai de deux mois commence à courir à partir de la fin du 14e jour suivant la publication de l'acte au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE). 2. Notification de l'Acte: La notification par lettre recommandée avec avis de réception postal constitue un mode de notification approprié. Le délai commence à courir à la fin du jour de signature de l'avis de réception postal. 3. Prise de Connaissance de l'Acte: Lorsqu'il n'y a ni publication ni notification de l'acte, le critère de prise de connaissance par le requérant intervient. Cependant, le requérant doit demander le texte intégral de l'acte dans un délai raisonnable après avoir pris connaissance de son existence. Un délai de plus de quatre mois est considéré comme déraisonnable. B. Les Actes Susceptibles de Recours Les actes pouvant faire l'objet d'un recours en annulation sont définis à l'article 263, paragraphe 1, du TFUE. Deux critères cumulatifs sont nécessaires pour déterminer les actes attaquables : l'auteur de l'acte et les effets juridiques de l'acte. 1. L'Auteur de l'Acte: Le recours en annulation doit être dirigé contre un acte émanant d'une institution de l'Union européenne ou d'un organe ou organisme de l'Union. 2. Les Effets Juridiques de l'Acte: L'acte attaqué doit produire des effets juridiques obligatoires, affectant de manière caractérisée la situation juridique du requérant. C. La Qualité du Requérant Trois types de requérants sont distingués : les requérants institutionnels privilégiés, semi-privilégiés et non privilégiés. 1. Requérants Institutionnels Privilégiés: Ce sont les États membres, le Parlement européen, le Conseil et la Commission, qui peuvent introduire un recours en annulation sans restriction de qualité et sans avoir à démontrer un intérêt pour agir. 2. Requérants Institutionnels Semi-Privilégiés: La Banque centrale européenne, la Cour des comptes et le Comité des régions peuvent également introduire un recours en annulation sans démontrer un intérêt pour agir, mais leur qualité à agir est soumise à une condition moins restrictive que celle des requérants non privilégiés. 3. Requérants Non Privilégiés: Ce sont les personnes physiques et morales autres que les requérants institutionnels. Leur qualité à agir est limitée à certains types d'actes et ils doivent démontrer un intérêt pour agir pour former un recours en annulation. La recevabilité du recours en annulation est une question fondamentale examinée d'office par le juge de l'Union européenne pour assurer le respect des règles procédurales et garantir l'efficacité du contrôle juridictionnel. Page 10 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 6 – Les cas d’ouverture du recours en annulation les cas d'ouverture du recours en annulation selon l'article 263 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : 1. Les cas d'ouverture du recours en annulation : Les cas d'ouverture du recours en annulation sont énoncés à l'alinéa 2 de l'article 263 du TFUE. Ces cas comprennent : L'incompétence : Lorsque l'autorité qui a pris la décision n'a pas la compétence nécessaire pour le faire. Cette incompétence peut être relative à la matière, au lieu ou au temps. La violation des formes substantielles : Cela concerne le non-respect des procédures ou des règles prévues pour la prise de décision, mais ne concerne pas le contenu de la décision en tant que tel. La violation du traité ou de toute autre règle de droit relative à son application : Cela implique la non-conformité de la décision à une disposition du droit primaire ou dérivé de l'Union européenne. Le détournement de pouvoir : Lorsque l'autorité qui a pris la décision utilise ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui ont été confiés. 2. Regroupement des cas d'ouverture : Comme dans le contentieux administratif français, les cas d'ouverture du recours en annulation peuvent être regroupés en deux catégories : Les moyens d'illégalité externe : Qui concernent la manière dont la décision a été prise. Les moyens d'illégalité interne : Qui concernent le contenu même de la décision. 3. Les moyens d'illégalité externe : Incompétence : Critique la qualité de l'auteur de l'acte. Violation des formes substantielles : Porte sur le processus d'élaboration des actes, les droits de la défense, et la motivation des actes. 4. Les moyens d'illégalité interne : Violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application : Concerne la méconnaissance de normes hiérarchiquement supérieures. Détournement de pouvoir : Implique l'utilisation des pouvoirs dans un but autre que celui prévu. En résumé, les cas d'ouverture du recours en annulation selon l'article 263 du TFUE sont variés et couvrent à la fois des aspects externes et internes à la décision contestée. Les arrêts correspondants : 1. Arrêt CJCE, 10 mai 1960, Allemagne c. Haute Autorité : Cet arrêt établit que l'incompétence peut être invoquée à tout moment et soulevée d'office par le juge. 2. Arrêt CJCE, 29 mars 2012, Commission c/Pologne : Cet arrêt illustre un cas d'incompétence externe où une institution de l'UE a exercé une compétence attribuée aux États membres. 3. Arrêt CJCE, 9 août 1994, France/Commission : Dans cet arrêt, il est question d'une incompétence interne où une institution a exercé une compétence attribuée à une autre institution de l'UE. Page 11 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne 4. Arrêt CJCE, 25 novembre 1971, Béguelin Import : Cet arrêt porte sur l'incompétence ratione loci, où une institution est considérée comme incompétente parce qu'elle a pris une décision en dehors de son ressort géographique. 5. Arrêt CJCE, 10 mai 1960, Barbara c.a./Haute Autorité : Il traite de l'incompétence ratione temporis, qui concerne la date de prise de l'acte attaqué. 6. Arrêt CJCE, 21 décembre 1954, France : Cet arrêt établit que la violation des formes substantielles est un moyen d'ordre public, que le juge peut (doit ?) examiner d'office. 7. Arrêt CJCE, 23 février 1988, RU c/Conseil : Il illustre une violation des formes substantielles concernant le non-respect des dispositions du règlement intérieur du Conseil. 8. Arrêt CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La-Roche/Commission : Cet arrêt affirme que le respect des droits de la défense est imposé par un principe général du droit. 9. Arrêt CJCE, 28 juin 2005, Dansk Rorindustri e.a./Commission : Il met en lumière le défaut de motivation comme violation des formes substantielles. 10. Arrêt CJCE, 13 juin 1958, Hauts fourneaux de Chasse : Cet arrêt énonce le concept de détournement de pouvoir lorsque l'institution poursuit des fins autres que celles pour lesquelles les pouvoirs lui ont été confiés. 11. Arrêt CJCE, 11 novembre 2004, Ramondin e.a./Commission : Il introduit la notion de "mobile déterminant" dans le contexte du détournement de pouvoir. Ces arrêts sont des références importantes pour comprendre les principes et les limites des différents moyens d'illégalité dans le recours en annulation devant la Cour de justice de l'Union européenne. Page 12 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 7 – Les caractéristiques des arrêts des recours en annulation Concernant les notions : A. L'objet de l'annulation : Les actes illégaux peuvent être annulés totalement ou partiellement. Une annulation partielle est prononcée lorsque la partie de l'acte entachée d'illégalité est "détachable" des autres dispositions, tandis qu'une annulation totale est prononcée lorsque seule une annulation totale garantit la cohérence de l'acte. B. Les effets de l'arrêt d'annulation dans le temps : L'alinéa 1 de l'art. 264 TFUE déclare nul et non avenu l'acte contesté en cas de recours fondé, avec un effet rétroactif (ex-tunc). L'alinéa 2 permet à la Cour de moduler dans le temps les effets de l'annulation pour des raisons de sécurité juridique, préservant ainsi le principe de sécurité juridique. C. L'autorité des arrêts en annulation : Un arrêt prononçant l'annulation a une autorité absolue de la chose jugée, produisant des effets erga omnes. En revanche, un arrêt rejetant le recours a une autorité relative de la chose jugée, n'empêchant pas la formation d'un nouveau recours fondé sur des moyens nouveaux. D. Les obligations pesant sur l'auteur de l'acte annulé : Conformément à l'art. 266 TFUE, l'auteur de l'acte annulé doit prendre les mesures nécessaires pour exécuter l'arrêt de la Cour. Cela implique d'adopter un nouvel acte respectant le dispositif et les motifs de l'arrêt d'annulation dans un délai raisonnable. Ces caractéristiques démontrent l'importance des recours en annulation dans le système juridique de l'Union européenne pour assurer le respect du droit et la bonne gouvernance. Concernant la JP : 1. Arrêt Transocean Marine Paint c/Commission (23 octobre 1974) : La Cour a établi qu'une annulation partielle d'un acte est possible lorsque la partie entachée d'illégalité est "détachable" des autres dispositions, garantissant ainsi la cohérence de l'acte. 2. Arrêt France/Parlement et Conseil (24 mai 2005) : La Cour a affirmé qu'une annulation totale est prononcée lorsque seule une annulation totale garantit la cohérence de l'acte. 3. Arrêt Associazione Industrie Siderurgiche Italiane c/Haute Autorité (11 février 1955) : Cet arrêt a établi que l'autorité absolue de chose jugée recouvre non seulement le dispositif de l'arrêt d'annulation, mais aussi les motifs qui en constituent le soutien nécessaire. 4. Arrêt ThyssenKrupp Stainless/Commission (1er juillet 2009) : Confirmant l'autorité absolue de chose jugée, la Cour a souligné que cette autorité s'étend également aux motifs de l'arrêt d'annulation. 5. Arrêt Hoogovens Groep/Commission (19 septembre 1985) : La Cour a établi que l'arrêt prononçant le rejet du recours n'a qu'une autorité relative de la chose jugée, permettant ainsi la formation d'un nouveau recours fondé sur des moyens nouveaux. 6. Arrêt Turner/Commission (12 janvier 1984) : La Cour a affirmé que l'auteur de l'acte annulé doit adopter un nouvel acte respectant le dispositif et les motifs de l'arrêt d'annulation dans un délai raisonnable. Ces arrêts ont joué un rôle important dans le développement du droit de l'Union européenne en matière de recours en annulation et ont contribué à clarifier les obligations des institutions de l'UE suite à un arrêt d'annulation. Page 13 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 8 – Les requérants dans le cadre du recours en carence En vertu de l’art. 265 TFUE les requérants possibles sont « les États membres et les autres institutions » (Alinéa 1), et « Toute personne physique ou morale » (Alinéa 3). Les « autres institutions » sous entend les institutions autres que celle qui a omis de statuer. Les requérants institutionnels et les Etats membres En vertu de l’art. 265 al. 1 TFUE, les États membres et les autres institutions de l’UE peuvent saisir la CJUE en vue de faire constater la carence. Ex. (pas la peine d’apprendre) : Le Parlement a pu constater la carence du Conseil de l’UE en matière de transports (CJCE, 22 mai 1985, Parlement c/Conseil). Toute institution, y compris la Cour des comptes ou la Banque centrale européenne, a la qualité de requérant (à part la CJUE, évidemment). Les requérants institutionnels et les E. membres ont un droit « inconditionnel » de recours en ce qu’ils ne sont soumis à aucune autre condition que celles relatives à la saisine du juge. Ainsi, ils n’ont pas à établir qu’ils ont un intérêt à agir. Et leur qualité pour agir n’est pas limitée. Ce sont les requérants privilégiés. Les particuliers : requérants ordinaires Ce sont les requérants non privilégiés, car leur qualité pour agir est limitée par certaines conditions. Le recours en carence est ouvert aux particuliers lorsqu’une institution a manqué de leur adresser un acte « autre qu’une recommandation ou un avis ». Comment interprétez-vous l’art. 232, 3 TFUE ? A quels types d’actes fait-on référence ici ? L’Art. 232 al. 3 du TFUE est restrictive, elle semble limiter le recours en carence des particuliers aux seules décisions dont ils sont les destinataires potentiels. Au départ, la CJ interprétait strictement cet article, car il avait pour objet la sanction du défaut d’actes adressés aux particuliers, ce qui excluait les règlements (CJCE, 28 mars 1979, Granaria c/Conseil et Commission). La CJ a assoupli les conditions relatives à la qualité pour agir des requérants ordinaires : elle doit s’entendre de manière identique à celle d’acte susceptible d’annulation au sens de l’art. 263, 4 TFUE (CJCE, T. Port du 26 novembre 1996). Conditions relatives à la qualité pour agir des requérants non privilégiés dans le cadre du recours en annulation : o Exposé des dispositions du traité CE : 1. Toute personne physique ou morale peut former un recours contre les décisions dont elle est le destinataire. 2. Toute personne physique ou morale peut former un recours contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement. 3. Toute personne physique ou morale peut former un recours contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement, la concernent directement et individuellement. o Exposé des dispositions issues du traité de Lisbonne : 1. Toute personne physique ou morale peut former un recours contre les actes dont elle est le destinataire. 2. Toute personne physique ou morale peut former un recours contre les actes qui la concernent directement et individuellement. 3. Toute personne physique ou morale peut former un recours contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution. ⇒ Ces deux cas-là (2 et 3) ne sont presque jamais retenus. Page 14 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Un particulier peut attaquer l’absence d’adoption d’un règlement (CJCE, 26 novembre 1996, T. Port) ou d’une décision adressée à un EM (TPICE, 1999, TF1/Commission) ou à une autre personne (CJCE, 16 février 1993, ENU/Commission) dès lors que ces actes le concernent directement et individuellement (2ème cas prévu). Le 3ème cas prévu par le Traité de Lisbonne pour le recours en annulation devrait également être transposé au recours en carence (pas encore de JP à ce sujet). Page 15 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 9 – Les actes dont l’omission peut être constitutive d’une carence L’auteur de l’omission En vertu de l’art. 265, al. 1 TFUE, un recours en carence peut être dirigé, en cas d’abstention de statuer, contre le Parlement européen, le Conseil européen, le Conseil, la Commission, la Banque centrale européenne et les organes et organismes de l’Union. Le Traité de Lisbonne ajoute aux auteurs de l’omission toutes les institutions dans le Traité à part la Cour des comptes et la CJUE. Le Conseil européen : Le Traité de Lisbonne a fait du Conseil européen une institution. « les organes et organismes de l’U ». ⇒ il est possible de faire un recours en carence contre le médiateur européen (TPICE, ord., 22 mai 2000, Associazione delle Cantine Sociali Venete). On reprend la JP Les Verts/Parlement européen du 23 avril 1986 (à propos d’un acte du Parlement européen). La règle est la suivante : tout acte émanant d’une entité communautaire destiné à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers devait être susceptible d’un contrôle juridictionnel (simple règle pas encore PGD). L’art. 265, al. 1 TFUE ne mentionne pas la Cour des comptes et la CJUE. L’omission de la Cour des comptes et de la CJUE d’adopter des actes qu’elles sont tenues d’adopter pourrait-elle faire l’objet d’un recours en carence ? Arguments pour et contre : Arguments en sens inverse : Les actes de ces institutions ne sont toujours pas cités par l’art. 265 TFUE, alors que le traité de Lisbonne a intégré les actes du Conseil européen : par un raisonnement a contrario, on peut en déduire que les actes de ces institutions ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en carence. Arguments pour : La CJ peut toujours réitérer sa JP sur les entités communautaires et l’appliquer aux actes de la Cour des comptes et de la CJUE. A l’origine, le traité CEE ne prévoyait pas la possibilité de former un recours en annulation contre les actes du Parlement. La JP de 1986 (Verts c/Parlement européen) s’est donc située en porte-à-faux avec la lettre du traité. Le traité de Maastricht a consacré cette JP. Il est donc possible que la CJ ait recours à sa JP de 1986 pour admettre la recevabilité des recours en annulation dirigés contre les actes de la Cour des comptes et contre ses actes propres (ou, plus généralement, contre les actes de la CJUE). On peut appliquer le même raisonnement au recours en carence. Par ailleurs, la CJ pourrait très bien prendre appui sur la disposition relative aux « actes des organes ou organismes de l’U » et la transposer aux institutions. De manière générale, que sont les institutions et organes ? Les institutions sont l’ensemble des mécanismes et structures juridiques encadrant les conduites au sein de la collectivité. Les organes sont les éléments qui, liés à la structure d’une institution, en assurent le fonctionnement. La distinction entre institutions et organes est cependant difficile à établir et peut évoluer avec le temps. + un argument supplémentaire : On se rappelle que la recevabilité de recours en annulation dirigés contre certains actes de la Cour des comptes a été admis (CJCE, 11 mai 1989, Maurissen et Union syndicale/Cour des comptes). Étant donné les liens qui unissent le recours en annulation et le recours en carence, la logique voudrait que la JP Maurissen soit transposée au recours en carence ⇒ Pas encore d’arrêt à ce sujet. Page 16 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Le type d’actes Le traité semble faire une distinction, suivant que le recours en carence a été introduit par un requérant institutionnel/E. membre ou un requérant ordinaire. Introduit par un requérant institutionnel/EM : le traité ne donne aucune indication particulière. Il s’agit donc a priori de tout type d’acte. o L'abstention d'agir de l'institution de l’UE paraît pouvoir concerner tout acte, décisoire ou non. Introduit par un requérant ordinaire : le traité indique qu’il s’agit d’un acte autre qu’une recommandation ou un avis. o L’abstention d’agir de l’institution de l’UE ne paraît pouvoir concerner qu’un acte décisoire (ou plutôt son absence), c’est-à-dire uniquement un acte qui a des effets juridiques. Cependant, en pratique, la CJ n’opère pas de réelle différence selon le type de requérants. En effet, jusqu’à présent, la CJ n’a admis la recevabilité d’un recours en carence intenté par un requérant institutionnel ou un État membre contre l’absence d’adoption d’un acte non décisoire que dans des situations où l’acte concerné constituait un préalable indispensable dans le cadre d’une procédure devant aboutir à un acte lui-même décisoire (CJCE, 1988, Parlement c/Conseil). Or, la CJ a également admis que les particuliers puissent, comme les requérants privilégiés, introduire un recours contre l’absence d’adoption d’un acte préparatoire, si la mesure en cause constitue le préalable nécessaire au déroulement d’une procédure devant déboucher sur un acte définitif et juridiquement contraignant (CJCE, 1988, Parlement/Conseil) Dans tous les cas toutefois (= absence d’un acte décisoire ou non décisoire), il faut, pour que le recours en carence soit recevable, qu’il y ait, en vertu des traités, une obligation de prendre l’acte. Ainsi, s’il s’agit d’une recommandation ou d’un avis qu’une institution a simplement la possibilité d’émettre, le recours en carence n’est pas recevable (CJCE, 29 octobre 1980, SA Roquette frères). Page 17 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 10 – L’exigence d’une procédure préalable dans le cadre du recours en carence En vertu de l’art. 265, 2 TFUE, le recours en carence n’est recevable que si une procédure précontentieuse ou administrative s’est déroulée dans des conditions particulières. Une invitation à agir/mise en demeure d’agir adressée à l’institution concernée L’article 265 al. 2 TFUE prévoit que le recours en carence « n'est recevable que si l'institution, l'organe ou l'organisme en cause a été préalablement invité à agir ». Cette mise en demeure constitue une formalité substantielle puisqu’elle a pour effet de faire courir le délai de deux mois dans lequel l’institution est tenue de prendre position. Le déclenchement de la procédure précontentieuse (le moment où l’institution est invitée à agir) n’est pas enfermé dans un délai précis. Toutefois, la CJ estime que l’invitation à agir doit être formulée dans un délai raisonnable, apprécié au cas par cas par le juge de l’UE (CJCE, 1971, Pays-Bas c/Commission). Par délai raisonnable, on entend le fait que l’invitation à agir ne doit être adressée, ni de façon trop prématurée, ni de façon exagérément tardive. La question de savoir si l’invitation à agir a été adressée de façon trop prématurée s’analyse en fonction des circonstances propres de chaque affaire (notamment du contexte), des différentes étapes procédurales que l’institution doit suivre, de la complexité de l’affaire ainsi que de son enjeu pour les différentes parties intéressées (TPICE, 22 oct. 1997, aff. jointes). Ex. l’invitation à agir a été adressée de façon exagérément tardive : 6 juillet 1971, Royaume des Pays-Bas contre Commission des Communautés européennes. Quelles exigences impliquent que l’invitation à agir ne doive pas être adressée de façon exagérément tardive ? Sécurité juridique et continuité de l’action communautaire. o ⇒ Rappel du principe de sécurité juridique : PGD et ++ important dans la JP (arrêt CJCE, 13 décembre 1967, Neumann, 17/67, p. 572). Définit par la CJ de la manière suivante : « La législation communautaire (et, plus largement, le droit de l’UE) doit être claire et son application prévisible pour tous ceux qui sont concernés » (CJCE, 16 juin 1993, France c/Commission, Aff. C-325/91, Rec., pp. I. 3283). En l’espèce, quel est le délai d’attente entre l’abstention prétendument illégale de la Commission et l’invitation à agir que lui a adressée un E. ? Ce délai est de 18 mois. Il s’agit ici d’une abstention prétendument illégale de la Commission en matière de contrôle des aides d’E. prévu par le traité CECA. La commission a-t-elle considéré que ce délai était raisonnable ? Non, la CJCE a considéré que ce délai n’était pas raisonnable et le recours a été déclaré irrecevable. Par quelle personne l’invitation à agir doit être présentée ? Ici, rien n’est indiqué. Logiquement, cependant, l’invitation à agir doit être présentée par la même personne que celle qui introduira le recours (TPICE, ord. 6 février 1997, de Jorio/Conseil). La mise en demeure est-elle soumise à une condition de forme particulière ? Cf. JP TPICE du 3 juin 1999 TF1 SA contre commission des Communautés européennes : o Le TPICE indique que la mise en demeure n’est soumise à aucune condition de forme particulière. Cependant, il est nécessaire que cette mise en demeure soit suffisamment explicite et précise pour permettre à l’institution en cause de connaître de manière concrète le contenu de la décision qu’il lui est demandé de prendre et faire ressortir qu’elle a pour objet de contraindre celle-ci à prendre parti. Un défaut de prise de position de l’institution concernée L’article 265 al. 2 TFUE prévoit que si, à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de cette invitation (de la mise en demeure préalablement analysée), l'institution, l'organe ou l'organisme n'a pas pris position, le recours peut être formé dans un nouveau délai de deux mois. Page 18 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Le juge de l’UE interprète de manière large l’absence de prise de position. Constituent un défaut de prise de position : le silence de l’institution saisie En DA français : La loi du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens (qui s’applique depuis le 12 novembre 2014 aux demandes adressées aux administrations de l’État et de ses établissements publics et, depuis le 12 novembre 2015 aux demandes adressées aux collectivités territoriales, aux organismes de sécurité sociale et aux autres organismes chargés d’un service public administratif) prévoit qu’en principe le silence gardé, pendant plus de deux mois, par l’administration sur une demande vaut décision implicite d’accord. Auparavant, le silence gardé pendant plus de deux mois par l’administration valait refus (en effet, l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 prévoyait que « le silence gardé pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet »). Une réponse évasive Une réponse d’attente. Ex. Une lettre par laquelle la Commission s’est contentée d’indiquer que l’invitation à agir de la requérante faisait l’objet d’une étude appropriée constitue une réponse d’attente et non une prise de position (CJCE, 16 février 1993, ENU/Commission). En principe, le refus de prendre une décision relève du seul recours en annulation (CJCE, 18 octobre 1979, Gema c/Commission). Mais il est arrivé au juge de l’UE, dans des cas très rares, de considérer qu’un refus d’agir, même explicite, pouvait faire l’objet d’un recours en carence, dès lors qu’il ne mettait pas fin à la carence (CJCE, 27 septembre 1988, Parlement c/Conseil). Cette dernière JP a été abondamment critiquée par la doctrine car elle ne correspond ni à la lettre, ni à l’esprit du traité, ni même à la logique juridique qui devrait prévaloir en la matière. En effet, le refus de prendre une décision est, à n’en pas douter, une prise de position juridique. Une prise de position ne portant que sur une partie de l’invitation à agir. La procédure de carence peut être utilisée pour faire constater l’abstention illégale d’une institution de prendre les mesures d’exécution que comporte l’exécution d’un arrêt d’annulation d’un acte pris par ladite institution. Mais il s’agit ici uniquement d’un exemple. Résumé sur la procédure : L’institution invitée à agir pour prendre position a donc deux mois pour le faire. La CJ ou le Tribunal doivent ensuite être saisis dans le délai de deux mois suivant l’expiration de ce délai. Page 19 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 11 – Les conséquences de l’arrêt constatant la carence Elles figurent à l’art. 266 TFUE : « L'institution, l'organe ou l'organisme dont émane l'acte annulé, ou dont l'abstention a été déclarée contraire aux traités, est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne. Cette obligation ne préjuge pas celle qui peut résulter de l'application de l'article 340, deuxième alinéa ». Comme l’indique cet article, le contentieux de la carence est un contentieux de la déclaration. Le juge de l’UE se borne à déclarer contraire au traité l’abstention d’agir de l’institution. Ainsi, le juge de l’UE ne peut se substituer à l’institution coupable de carence et prendre par arrêt les dispositions qu’elle aurait dû adopter pour accomplir son obligation d’agir (TPICE, 8 juin 2000, Camar srl et Tico srl). De même, la CJ ne peut adresser d’injonction tendant à ce que l’institution adopte dans un certain délai les mesures nécessaires à l’exécution du jugement (CJCE, 1er avril 1993, Pesqueras Echebastar/Commission). Le défaut persistant de toute action peut donner lieu à un nouveau recours en carence (recours en carence sur carence) comme pour le cadre du recours en manquement. A cet égard, la CJ estime que l’institution dispose: « d’un délai raisonnable » pour prendre les mesures d’exécution de l’arrêt constatant la carence (CJCE, 22 mai 1985, Parlement c/Conseil). La CJ ne peut pas prononcer des sanctions pécuniaires dans le cadre du recours en carence sur carence (contrairement au cas du recours en double manquement). Article 266 al. 2 TFUE : « Cette obligation (d’exécution de l’arrêt constatant la carence) ne préjuge pas celle qui peut résulter de l'application de l'article 340, deuxième alinéa ». Article 340 al.2 TFUE « En matière de responsabilité non contractuelle, l'Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions. » Cela signifie que la responsabilité de l’UE peut être engagée pour réparation du dommage résultant de l’absence d’exécution de l’arrêt ayant déclaré la carence (CJCE, 1988, Parlement c/Conseil). L’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’UE obéit aux conditions habituelles (illégalité du comportement reproché, réalité du dommage et existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué). En conclusion : Le juge de l’UE est très peu saisi de recours en carence. Fin 2015, il y a eu un arrêt rendu par le Tribunal suite à un recours important en carence contre la commission. Quelle affaire ? Suède contre commission, à propos du bisphénol A. (question annexe) Page 20 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 12 – Présentation générale de l’exception d’illégalité Selon la définition la plus restrictive, et la plus communément utilisée, l’exception d’illégalité permet à un requérant de se prévaloir, à l’appui de son recours contre un acte le concernant (décision), de l’illégalité de l’acte de portée générale dont l’acte attaqué fait application. Il s’agit donc, comme son nom l’indique, d’un contrôle de la légalité d’un acte s’effectuant par voie d’exception. Autrement dit, il s’agit là d’une voie incidente de contrôle de la légalité des actes de l’UE. L’exception d’illégalité s’inscrit donc en priorité dans le cadre du recours en annulation. Mais l’article 277 TFUE utilise des termes plus généraux. Il stipule : « toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale (…) invoquer l’inapplicabilité de cet acte Il faut distinguer l’exception d’illégalité dans le cas du recours en manquement, du recours en annulation. recours en manquement : on reproche à l’Etat d’avoir violé un acte de portée générale. L’Etat se défend en invoquant l’exception d’illégalité, c’est-à-dire que l’acte de portée générale qu’on lui reproche de ne pas avoir appliqué est illégal. recours en annulation : l'État forme un recours contre un acte de portée individuelle. L’Etat invoque l’exception d’illégalité : à l’encontre d’un acte de portée générale. Il n’y a pas de délai. Les particuliers font un recours de l’acte de portée générale contre la décision qui le concerne en invoquant l'exception d’illégalité, en établissant le lien de causalité entre la décision prise et l’acte. Quel moyen peut-il invoquer : incompétence ; violation des traités ou de toute règle de droit relative à son application. Pourquoi l’exception d’illégalité existe-t-elle ? Relatif à l’Etat de droit. cf décision Les Verts 1986. Les particuliers ne sont pas recevables contre les actes de portée générale. Il doit toujours y avoir un lien de causalité entre une décision, directive, pour qu’un particulier puisse l’invoquer. L’exception d’illégalité est ouverte pour les particuliers. Exception d’illégalité, expression d’un principe général du droit de l’Union CJCE 1958 Cie des hauts fourneaux de chasse c/Haute Autorité : Pour la CJ, c’est l’expression d’un PGD qui s’appliquera toujours même dans le silence / dans l’absence de traités. Par la suite, la CJ adopte le même point de vue en ce qui concerne l’exception d’illégalité de l’art. 241 TCE, devenu art. 277 TFUE. Ainsi, selon le juge de l’UE, cet art. « est l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision qui la concerne directement et individuellement, la validité des actes institutionnels antérieurs, constituant la base juridique de la décision attaquée » (TPICE, 20 avril 1999, LVM e.a. c/Commission). La valeur juridique d’un PGD en droit de l’UE : cf la pyramide de la hiérarchie des normes recours en manquement, même valeur que la Convention Européenne des DH. Définition But L’exception d’illégalité a pour but premier de protéger le requérant contre l’application d’un acte de portée général illégal, sans que soit pour autant mis en cause cet acte de portée générale lui-même, devenu inattaquable par l’expiration des délais de l’art. 263 TFUE. Le principe général du droit à une protection juridictionnelle effective, qui découle des articles 6 et 13 de la CEDH (c’est, plus généralement, c’est l’État de droit qui est ici protégé). L’absence, en principe, de possibilité de recours direct en annulation des particuliers contre les actes de portée générale. Page 21 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne (Rappel : Les personnes physiques et morales sont dites non privilégiées car leur qualité à agir est limitée à trois catégories d’actes. En effet, l’art. 263, 4 TFUE limite les recours en annulation qu’une personne physique ou morale peut former aux actes suivants : a. les actes dont elle est le destinataire b. les actes qui la concernent directement et individuellement c. les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution) Il est très difficile pour un particulier d’obtenir la recevabilité d’un recours en annulation dirigé contre un acte de portée générale, car il est très rare qu’il soit concerné directement et individuellement par les règlements). Page 22 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 13 – Les conditions du contrôle incident de la légalité A. Conditions tenant aux actes dont l’illégalité peut être invoquée L’acte doit être de portée générale (1). L’acte doit être adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’UE (2). L’acte doit présenter un lien avec l’acte faisant l’objet du litige principal (3). 1. L’acte doit être de portée générale On sait que le règlement est l’acte ayant une portée générale par excellence. Cependant, certains actes n’ont pas la forme d’un règlement mais produisent des effets analogues au règlement (CJCE, 6 mars 1979, Simmenthal/Commission). Ils sont donc considérés comme des actes de portée générale Ex. d’acte produisant des effets analogues à un règlement, selon la JP : le règlement intérieur d’une institution (TPICE, 20 avril 1999, LVM e. a/Commission) ; les lignes directrices de la Commission pour le calcul des amendes infligées pour infraction aux règles de concurrence (TPICE, 29 novembre 2005, Heubach/Commission). Non. Exemple : Un Etat membre ne peut soulever, dans le cadre d’un recours en manquement, une exception d’illégalité contre une décision dont il est le destinataire (CJCE, 12 octobre 1978, Commission c/Belgique). En principe, la directive n’est pas un acte de portée générale puisqu’elle s’adresse aux États. En principe, pas possible pour cette raison. Mais la CJCE n’a pas hésité à qualifier la directive d’« acte ayant une portée générale » lorsqu’elle fait l’objet d’une mise en œuvre simultanée dans l’ensemble de la Communauté (aujourd’hui de l’UE) (CJCE, 22 février 1984, Kloppenburg, aff. 70/83, Rec., p. 1075). -) Dans ce cas, théoriquement possible (l’exception d’illégalité à l’encontre d’une directive est théoriquement possible). le renvoi préjudiciel (comme, d’ailleurs, pour tous les actes de l’UE donnant lieu à des mesures nationales d’exécution : ex. pour un règlement : CJCE, 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia. Cependant, la CJCE a eu l’occasion de se prononcer une fois sur une exception d’illégalité soulevée par un E. membre contre une directive dans le cadre d’un recours en annulation. Elle a indiqué que cette exception n’était pas recevable, au motif qu’il s’agissait d’un acte adressé à un E. membre (donc qu’il ne s’agissait pas d’un acte de portée générale) (CJCE, 27 octobre 1992, Commission/ Allemagne). 2. L’acte doit être adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’UE Comme nous l’avons indiqué, l’ancien art. 241 TCE ne visait que les règlements adoptés conjointement par le Parlement européen et le Conseil ou les règlements du Conseil, de la Commission ou de la BCE. Cependant, la JP avait également étendu, comme dans le cas du recours en annulation et en carence, le champ d’application des auteurs de l’acte. Ainsi, dans l’arrêt du 14 février 2007, Simoes Dos Santos/OHMI, le TPICE avait déclaré recevable une illégalité dirigée contre un acte de l’Office pour l’harmonisation dans le marché intérieur, qui est une agence de l’Union (JP intégrée par le Traité de Lisbonne). 3. L’acte à l’encontre duquel l’exception est soulevée doit présenter un lien suffisamment étroit avec l’acte faisant l’objet du litige principal B. Conditions tenant aux personnes habilitées à soulever une exception d’illégalité Il se réfère à « toute partie ». Le terme « partie » n’opère aucune distinction selon la qualité de la partie au litige. On peut en déduire deux choses : Page 23 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne l’exception peut être soulevée aussi bien par le demandeur que par la partie défenderesse. Ce sont aussi bien les personnes physiques ou morales, les institutions, organes ou organismes de l’UE ou les E. membres qui sont habilités à soulever une exception d’illégalité. Au départ, l’ouverture de l’exception d’illégalité aux E. membres et aux institutions a été contestée par le Conseil et la Commission et une partie de la doctrine : L’exception d’illégalité a pour objet de compenser l’encadrement très strict des recours en annulation des particuliers contre les actes de portée générale. A l’inverse, les requérants privilégiés peuvent facilement exercer ce recours. Cependant, la CJ a estimé que l’expression « toute partie » s’étendait aux Etats membres (CJCE, 13 juillet 1966, Italie c/Commission), ainsi qu’aux institutions, organes et organismes de l’UE (CJCE, 10 juillet 2003, Commission/BCE). C. Conditions tenant aux recours susceptibles d’accueillir une exception d’illégalité 1- L’exception d’illégalité ne peut être exercée que de manière incidente Selon une JP constante, l’exception d’illégalité n’est pas une « voie de recours », « ne constitue pas un droit d’action autonome », mais une procédure permettant d’inviter le juge de l’UE à exercer incidemment, à l’occasion d’un recours direct principal, son contrôle de la légalité des actes de portée générale (CJCE, 16 juillet 1981, Albini c/Conseil et Commission). L’irrecevabilité de e.a.c/Commission). l’exception d’illégalité l’accompagnant (TPICE, 1996, Altmann 2- L’exception d’illégalité et les différents types de contentieux Cependant, le juge de l’UE a apporté quelques restrictions à cette formule. La Cour a admis la possibilité pour le requérant d’exciper l’illégalité de l’acte de portée générale invoqué par une institution pour justifier une décision implicite de rejet dans le cadre du traité CECA (CJCE, 17 juillet 1959, SAFE c/ Haute Autorité). Mais, comme nous l’avons vu, la décision implicite de rejet est très proche d’une prise de position de l’institution. Nous sommes donc ici à la frontière du recours en annulation. Notons par ailleurs que la Cour n’a statué sur cette question que dans le cadre du traité CECA. Elle n’a pour le moment pas statué sur cette question dans le cadre du traité CE devenu TFUE. Certes, elle a déjà examiné, à l’occasion d’un recours en manquement, une argumentation contestant la légalité d’un règlement (CJCE, 25 juillet 1991, Commission c/Espagne). Mais elle n’a pas encore, dans le cadre d’un tel recours, déclaré un règlement inexistant (CJCE, 25 juillet 1991, Commission c/Espagne). ! Une exception d’illégalité ne peut être accueillie dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, car le renvoi préjudiciel ne constitue pas une action principale (CJCE, 15 février 2001, Nachi Europe). L’action principale s’effectue en effet dans ce cas devant le juge national. Ce sont les cas d’ouverture ou moyens d’illégalité du recours en annulation. Il s’agit donc de l’incompétence (ex. d’arrêt : CJCE, 29 juin 1994, Fiskano c/commission), de la violation des formes substantielles (ex. d’arrêt, à propos d’un défaut de motivation : CJCE, 6 mars 1979, Simmenthal c/Commission), de la violation du traité ou de toute autre règle de droit relative à son application (ex. d’arrêt, à propos d’un défaut de base légale : CJCE, 20 octobre 2005, Belgique c/Commission, recours irrecevable), du détournement de pouvoir. Page 24 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 14 – Le renvoi préjudiciel : les juridictions concernées I. Les juridictions procédant au renvoi A. L’auteur du renvoi ne peut être qu’une juridiction nationale 1. L'imprécision des traités : En vertu de l'art. 267 TFUE, seule une institution qualifiée de juridiction et liée à un État membre peut saisir la CJUE. La CJCE a défini progressivement les critères de juridiction en droit de l'UE. 2. La définition des critères jurisprudentiels : a. Les critères de Vaassen-Göbbels (1966) : La Cour a établi cinq critères pour qualifier une juridiction : création par une loi, caractère permanent, respect des règles de procédure contradictoire, caractère obligatoire et pouvoir de se prononcer en droit. b. L'arrêt Corbiau (1993) : La Cour a ajouté le critère d'indépendance à ceux de Vaassen-Göbbels, soulignant l'importance de l'indépendance des juridictions. 3. Le renvoi préjudiciel par le Conseil constitutionnel : La décision "M. Jeremy F." (2013) a marqué la première fois où le Conseil constitutionnel a posé une question préjudicielle à la CJUE, implicitement reconnu comme une juridiction. B. La distinction entre les juridictions ayant l’obligation de saisir la CJUE et celles qui en ont la faculté 1. La faculté de renvoi par les juridictions ne statuant pas en dernier recours : Ces juridictions ont la possibilité mais pas l'obligation de saisir la CJUE en cas de doute sur une question de droit de l'UE. 2. Les juridictions soumises à l’obligation de renvoi : a. Principe : Les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours interne doivent saisir la CJUE en cas de question relative à l'UE. b. Exceptions : Théorie de "l'acte clair" : Pas de renvoi si aucune difficulté réelle ou doute sérieux n'existe sur un acte de l'UE. Question identique ou déjà résolue : Pas de renvoi si la question est identique à une décision préjudicielle antérieure ou déjà résolue par la jurisprudence de la Cour. Liberté de saisir la CJUE : Les juridictions nationales restent libres de saisir la CJUE si elles estiment nécessaire une réponse pour résoudre le litige. II. La compétence de la CJUE pour l’examen du renvoi La CJUE a initialement une compétence exclusive pour les questions préjudicielles, mais depuis le traité de Nice, le Tribunal peut également connaître de telles questions dans certaines matières spécifiques, bien qu'aucune modification du Statut de la CJUE n'ait été apportée à ce jour. Page 25 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 15 – L’objet du renvoi préjudiciel Dans le cadre de l'objet du renvoi préjudiciel, deux points essentiels sont à considérer : les attributions du juge de l'UE (I) et les normes susceptibles de renvoi (II). I. Les attributions du juge de l'UE : A. Le renvoi en appréciation de validité : Ce type de renvoi présente des similitudes avec le recours en annulation. La CJUE évalue la validité des actes en se basant sur les critères de légalité externe et interne. Elle ne peut annuler un acte, mais elle peut indiquer au juge national les mesures temporaires à prendre. B. Le renvoi en interprétation : C'est le plus courant et assure l'unité d'interprétation des normes européennes. La CJUE interprète les normes, mais ne décide pas du litige. II. Les normes susceptibles de renvoi : Les traités, protocoles, traités d'adhésion, charte des droits fondamentaux peuvent être soumis au renvoi. Le droit dérivé, tel que les actes des institutions de l'UE, est également sujet au renvoi. Les principes généraux du droit et les accords internationaux peuvent faire l'objet de renvoi, bien que ce dernier cas soit moins fréquent. En résumé, le renvoi préjudiciel permet à la CJUE d'interpréter ou d'apprécier la validité des normes de l'UE, assurant ainsi une application uniforme du droit dans tous les États membres. Concernant la JP : 1. Arrêt Van Landshoot (CJCE, 29 juin 1988, aff. 300/86, R. 3443) : La Cour de justice de l'UE ne peut pas annuler un acte invalidé, mais peut donner des instructions au juge national sur les mesures temporaires à prendre. 2. Arrêt Haegeman (CJCE, 30 avril 1974) : La Cour considère compétents les accords internationaux entre l'UE, les États tiers ou les OI comme des actes pris par les institutions de l'UE. Ces arrêts fournissent des orientations importantes sur la portée et les limites du renvoi préjudiciel, ainsi que sur le traitement des accords internationaux dans ce contexte. Page 26 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 16 – La portée des arrêts de renvoi préjudiciel Dans cette partie, la question centrale est de savoir si les arrêts déclarant un acte "non valide" ou les arrêts interprétant une norme ont une autorité absolue de la chose jugée, s'appliquant à toutes les juridictions, ou seulement une autorité relative, s'appliquant uniquement à la juridiction de renvoi. La doctrine est partagée sur ce point, mais la Cour adopte une solution intermédiaire, parlant d'une "autorité spécifique des arrêts préjudiciels". I. Les effets des arrêts d'interprétation : A. Pour la juridiction de renvoi : L'interprétation donnée par la CJUE lie le juge national, comme le précise l'arrêt Luigi Benedetti c/Munari (CJCE, 1977). Le non-respect de cette interprétation peut constituer un manquement, mais le recours en manquement n'est possible qu'a posteriori. B. Pour les autres juridictions : L'interprétation donnée par la CJUE s'impose à toutes les juridictions, qui doivent l'appliquer lorsque le même texte est invoqué. La CJUE se réserve le droit de revoir son interprétation si nécessaire. II. Les effets des arrêts de validité : La doctrine est divisée sur la question de savoir si les arrêts de validité ont un effet erga omnes. Les arrêts d'invalidité ne conduisent pas automatiquement à la fin des litiges relatifs à l'acte concerné. Les institutions à l'origine de l'acte invalidé ne sont pas tenues d'annuler l'acte, mais sont obligées de prendre des mesures pour se conformer à la déclaration d'invalidité, en vertu de l'article 266 TFUE. Concernant la JP : Résumé des principaux arrêts mentionnés dans la partie sur les effets des arrêts d'interprétation et de validité : 1. Arrêt Luigi Benedetti c/Munari (CJCE, 1977) : Cet arrêt établit que l'interprétation donnée par la CJUE lie le juge national. 2. Arrêt Da Costa (CJCE, 27 mars 1963) : Cet arrêt clarifie que l'interprétation donnée par la CJUE constitue une "autorité de la chose interprétée", distincte de l'autorité de la chose jugée. 3. Arrêt International Chemical Corporation c/Administration des finances de l'Etat (CJCE, 13 mai 1981) : Cet arrêt aborde la portée des arrêts d'invalidité de la CJUE. Il énonce que la constatation d'invalidité s'adresse directement à la juridiction ayant posé la question préjudicielle, mais constitue néanmoins une raison suffisante pour que toute autre juridiction ne s'applique pas l'acte invalidé. Page 27 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne QUESTIONS ANNEXES Question 1 – Le système des voies de droit de l’Union européenne Définition : Terme générique pour désigner tous les moyens qu'offre la loi aux citoyens pour faire reconnaître et respecter leurs droits ou pour défendre leurs intérêts. Les voies de droit comprennent tant les recours contentieux c’est-à-dire les actions en justice (au sens étroit ou requêtes formées par le justiciable pour que le tribunal statue sur ses droits) que les voies d'exécution des jugements (moyens de forcer l'exécution d'un jugement) et les voies de recours (moyens de contester une décision administrative ou juridictionnelle). Il y’a plusieurs voies de recours possibles en droit de l’Union européenne : 1° : Recours en manquement : lorsqu’un état membre ne respecte pas les traités, la commission peut introduire en manquement contre (Ex. Plusieurs recours en manquement contre des EM pour non-respect de la qualité de l’air, la France condamné en 2019). Dans le cadre d’un premier recours en manquement, on ne peut pas introduire une astreinte. Si ce n’est toujours pas respecté, on peut. 2° : Recours en annulation : recours contre un règlement d’une institution (organe ou organisme) de l’UE. Délai de 2 mois à compter de la notification ou la prise de connaissance de l’acte. On va devant le tribunal ou la Cour pour attaquer la décision (qui a été prise sur le fondement d’un acte de portée générale qui est illégal). 3° : Recours en carence : recours contre l’inaction d’une institution, organe ou organisme européen. 4° : Renvoie préjudiciel : interprétation (d’une norme du droit de l’UE) ou l’appréciation de la validité d’une norme de droit de l’UE, dans le cadre d’un litige national (juridiction nationale) mettant en jeu une norme du droit de l’UE. La question préalable vs. la question préjudiciel : la question préjudiciel, on demande à un autre juge avant de statuer. Mécanisme de dialogue avec le renvoie préjudiciel : les juridictions nationales sont les juridictions de droit commun (statue uniquement sur des actes de droit national) et les juridictions de l’UE sont les juridictions d’exception. 5°: Exception d’illégalité : dans le cadre du recours en annulation, on attaque une décision qui est prise sur le fondement d’un acte illégal et donc on explique que cet acte (de base) est illégal, on demande donc l’annulation de la décision en invoquant l’exception d’illégalité. Alors qu’il ne peut plus être annulé, le délai de 2 mois est déjà dépassé. Question 2 – Définition du manquement Le manquement n’a pas de définition précise présente aux articles 258, 259 et 260 TFUE. Le manquement est apprécié largement par la CJUE. Il peut être intentionnel ou être le fruit de négligences. Il peut procéder de comportements positifs (actions) ou négatifs (abstentions ou omissions). Le manquement doit être imputable à l'État. Cette notion est également interprétée largement par la Cour de justice puisqu'elle englobe l'ensemble des organes de l'État, ainsi que ses entités infra-étatiques. L'exception de force majeure peut être invoquée par l'État défendeur pour justifier un manquement. Cependant, cette cause d'exonération est interprétée strictement. PS : Notons que le recours en manquement est une procédure originale en DI permettant de pallier au déficit démocratique dans l’Union européenne. Page 28 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Question 3 – Les normes de référence du manquement - - Sources écrites : o Droit primaire (traités, instruments connexes - protocoles, déclarations -, Charte des droits fondamentaux) o Accords internationaux (accords mixtes, accords conclus par E. membre, accords conclus par l’UE) o Droit dérivé (actes obligatoires, actes non-obligatoires) Sources non écrites : o PDG o Jurisprudence Question 4 – Les comportements constitutifs du manquement Action positive : ex. L’État adopte de nouvelles normes nationales contraires au droit de l’UE, c’est-à-dire postérieurement à l’entrée en vigueur des O. qu’il a souscrites (ex. CJCE, 22 octobre 1998, Commission c/France, “Foie gras”). ex. L’État applique d’anciennes normes nationales contraires, c’est-à-dire préexistantes à l’entrée en vigueur des O. qu’il a souscrites (CJCE, 5 mai 1970, Commission c/ Belgique). ex. Les pratiques administratives ou les agissements de l’État sont effectués en violation avec les O. qu’il a souscrites (CJCE, 7 février 1973, Commission /Italie). Action négative : ex. L’absence d’actes de transposition des directives à l’expiration du délai imparti est la forme la plus répandue de ce type d’abstention (ex. CJCE, 29 octobre 2009, Commission c/Belgique). Mais il y en a d’autres formes : par exemple, l’absence de mesures nationales d’exécution des règlements. Question 5 – L’imputabilité du manquement → Notion très large. En effet, il s’agit ici de toute autorité nationale peut être à l’origine du manquement : Le gouvernement L’administration, Le législateur national, Une collectivité locale (même si elle est dotée d’un statut d’autonomie avancé) (CJCE, 1991, Commission c./Italie), Une juridiction nationale (CJUE, 2018, Commission c/ France) Une entreprise privée si cette entreprise est placée sous le contrôle suffisant de l’État De manière tout à fait exceptionnelle, la CJUE a considéré qu’un État pouvait commettre un manquement du fait de personnes privées dépourvues de tout lien avec la puissance publique, lorsque l’État aurait dû mettre fin au manquement et rétablir l’ordre. > Cette solution a été établie dans l’affaire de la Guerre des fraises (CJCE, 1997, Commission c. France). Page 29 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne [FACULTATIF : Louis Dubouis : la Cour a condamné la France pour s’être abstenue, de manière manifeste et persistante, de prendre des mesures suffisantes et appropriées pour faire cesser les actes de vandalisme qui mettent en cause sur son territoire la libre circulation de certains produits agricoles originaires d’autres États membres et empêcher le renouvellement de tels actes (RFDA, 1998)] Question 6 – Les moyens permettant l’exonération de l’Etat dans le cadre du recours en manquement Sur la notion : La CJUE adopte une interprétation restrictive des moyens d'exonération des États membres en cas de manquement à leurs obligations. Cette position découle de la fonction du recours en manquement, qui vise à faire cesser les situations juridiques contraires au droit de l'UE plutôt qu'à sanctionner l'État membre. A. Le refus de l'invocation de l'exception d'inexécution : La CJUE refuse aux États membres de se prévaloir de l'exception d'inexécution en cas de violation par d'autres États membres ou par une institution de l'UE. B. La conception extrêmement restrictive de la force majeure : Bien que l'invocation de la force majeure soit possible, la CJUE l'interprète de manière restrictive, n'admettant la force majeure que dans des circonstances exceptionnelles et imprévisibles. C. Une position ambiguë quant à l'exception d'illégalité : La CJUE n'a pas clairement défini si un État membre peut invoquer l'illégalité d'un règlement violé comme moyen de défense. Elle refuse également d'admettre l'exception d'illégalité contre une directive dont l'État est destinataire. D. Une place limitée des droits fondamentaux substantiels comme justifications à un manquement constaté : La CJUE exerce un contrôle strict sur les justifications fondées sur les droits fondamentaux, les considérant généralement comme peu pertinentes dans le cadre d'un recours en manquement. Les droits et principes de la Charte des droits fondamentaux sont pris en compte dans l'examen des justifications, mais leur importance reste limitée dans le contentieux des manquements étatiques. Concernant l’apport JP : 1. Commission c/ Royaume-Uni (1991) : La CJUE refuse aux États membres de se prévaloir de l'exception d'inexécution en cas de violation par d'autres États membres ou par une institution de l'UE. 2. Mc Nicholl e.a. (1988) : La CJUE adopte une interprétation restrictive de la force majeure, n'admettant celle-ci que dans des circonstances exceptionnelles et imprévisibles. 3. Commission c/ Espagne (1991) : Bien que la CJUE ait examiné une argumentation contestant la légalité d'un règlement dans le cadre d'un recours en manquement, elle n'a pas encore déclaré un règlement illégal dans ce contexte. 4. Commission c/ France (1983) : La CJUE considère qu'un État membre ne peut pas présenter comme moyen de défense le caractère illégal d'une décision prétendument violée dans un recours en manquement. Page 30 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne 5. Commission c/ Autriche (2004) : La CJUE estime qu'un État membre ne peut pas invoquer l'exception d'illégalité contre une directive dont il est le destinataire. Ces arrêts illustrent la position restrictive de la CJUE concernant les moyens d'exonération des États membres en cas de manquement à leurs obligations dans le cadre du droit de l'UE. Question 7 – L’exception d’inexécution et le recours en manquement → Refus de l’invocation de l’exception d'inexécution En DI, il existe un principe traditionnel selon lequel une partie contractante peut légalement se dispenser d’exécuter ses obligations à l’égard de toute autre partie contractante qui n’a pas respecté ses propres obligations. Un tel raisonnement n’a évidemment pas sa place en droit de l’UE. Les États membres ne peuvent en effet se prévaloir d’une violation du droit de l’UE par d’autres États membres pour demander à être exonérés du respect de leurs obligations (CJCE, 1991, Commission c/Royaume-Uni). Il en est de même lorsque la violation invoquée par l’État membre est le fait d’une institution de l’UE (CJCE, 1971, Commission c/France). Question 8 – La force majeure et le recours en manquement L’invocation de la force majeure est possible (CJCE, 1985, Commission c/Italie). Les défendeurs utilisent d’ailleurs très souvent cet argument pour tenter de justifier leurs manquements. Pour la CJUE, « la notion de force majeure n’est pas limitée à celle d’impossibilité absolue, mais doit être entendue dans le sens de circonstances étrangères à l’institution ou l’opérateur concerné (État), anormales et imprévisibles (CJCE, 8 mars 1988, Mc Nicholl e.a.) Toutefois, dans la pratique, selon Jean-Luc Sauron, la CJUE refuse quasi-systématiquement de reconnaître qu’il y a force majeure. Pour ce faire, la CJUE argue soit de l’inexistence de l’un ou l’autre élément constitutif de la force majeure (imprévisibilité, irrésistibilité (ou anormalité), extériorité), soit de l’application du principe de supériorité du droit de l’UE sur le droit national et ainsi de l’obligation incombant aux États membres de tirer dans leur ordre juridique interne les conséquences de leur appartenance à l’UE. ex. la dissolution d’une assemblée parlementaire n’est pas de nature à justifier le défaut de transposition d’une directive (CJCE, 1998, Commission c/France). En effet, la dissolution d’une chambre basse tout comme le refus du Parlement de voter une loi ne sont pas des éléments extérieurs à l’État. Comme l’indique Claude Blumann, “la destruction complète par un attentat terroriste de la banque de données dans laquelle figuraient les renseignements à communiquer à la Commission est un très rare exemple d’admission “(CJCE, 11 juillet 1985, Commission contre Italie). Question 9 – L’exception d’illégalité et le recours en manquement Article 277 TFUE permet, à l’expiration du délai de recours en annulation à toute partie, y compris à un État membre, d’invoquer devant la CJUE l’illégalité et l’inapplicabilité d’un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme. Page 31 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Sur ce fondement, les États ont présenté comme moyen de défense le caractère illégal du règlement prétendument violé. La position de la CJUE n’est pas clairement définie : Examen, à l’occasion d’un recours en manquement, une argumentation contestant la légalité d’un règlement (CJCE, 25 juillet 1991, Commission c/Espagne). Pas de déclaration de règlement illégale : CJCE, 25 juillet 1991, Commission c/Espagne). Est-il possible d’invoquer l’exception d’illégalité contre une décision ? Non : La CJ a, logiquement, estimé qu’un État ne pouvait pas présenter comme moyen de défense le caractère illégal d’une décision prétendument violée. Permettre ce moyen de défense serait inconciliable avec les principes régissant les voies de recours instituées par le traité et porterait atteinte à la stabilité de ce système ainsi qu’au principe de la sécurité juridique dont celui-ci s’inspire (arrêt du 15 novembre 1983, Commission/France). Est-il possible d’invoquer l’exception d’illégalité contre une directive ? Non : La CJ a également considéré que l’exception d’illégalité ne pouvait être invoquée à l’encontre d’une directive dont l’État est destinataire (CJCE, 29 avril 2004, Commission contre Autriche). ⇒ Ce n'est pas possible d'invoquer comme moyen de défense le caractère illégal d’une décision car c’est un acte de portée individuelle + ce n’est pas non plus possible de soulever l’exception d'illégalité contre une directe car il s’agit également d’un acte de portée individuelle (l’état en est le destinataire). Question 10 – Le déclenchement de la procédure de constatation de manquement Deux acteurs pour le déclenchement possibles : La commission (en vertu de l’art. 258 TFUE); ou chacun des États membres (art. 259 TFUE) → Principalement c'est la Commission qui déclenche la procédure par la commission en tant que gardienne des traités. 3. La Commission En vertu de l’art. 258 TFUE, il suffit pour cela qu’elle estime qu’un E. mb a manqué aux olig. qui lui incombent en vertu des traités. Dans la pratique, les types de faits qui conduisent la Commission à ouvrir une procédure en manquement sont de 3 ordres, selon Jean-Luc Sauron (conseiller d'État) : 1° : les plaintes des particuliers, associations ou entreprises alléguant que tel ou tel E. membre méconnaît le droit de l’Union (51%); 2° : les cas décelés d’office par la Commission (par exemple, la lecture de la presse nationale ou locale) (30%); 3° les défauts de notification des mesures de transposition : 19% en 2006. Même si la Commission reçoit des plaintes des particuliers, elle dispose d’un pouvoir totalement discrétionnaire pour déclencher les poursuites. Elle n’y est jamais tenue et il n’est donc pas possible de l’y contraindre. Page 32 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne Ainsi, n’est pas recevable le recours en annulation intenté par un particulier à l’encontre du refus de la commission d’engager une procédure en manquement contre un État membre (CJCE, ord., 1999, Smanor SA et autres/Commission). L’initiative des États membres 4. → Article 259 TFUE Dans la pratique toutefois, les recours en manquement introduits par un E. mb sont très rares : entre de 5 à une dizaine (réf. Eléonore von Bardeleben, Francis Donnat et David Siritzky, La CJUE et le droit du contentieux européen) → Pour quelles raisons les E. n’initient pratiquement jamais la procédure de recours en manquement ? Jean-Luc Sauron donne 3 explications : la volonté d’éviter de conflictualiser les relations entre les États membres les dénonciations officieuses des E. membres effectuées auprès de la Commission la possibilité d’intervention des E. au soutien d’un recours en manquement initié par la Commission Certes, l’action en manquement est directement initiée par un E. à l’encontre d’un autre E. membre, mais elle exige malgré tout que l’E. requérant saisisse préalablement la commission (al. 2). La commission a alors pour tâche d’établir les faits reprochés à l’E. mb mis en cause, et de nouer un dialogue de nature à aboutir éventuellement à une résorption amiable du différend et à l’élimination du manquement allégué. → Question de l’utilité (Laurent Coutron) : le recours en manquement initié par un État “permet néanmoins de solutionner un conflit majeur entre deux États membres”. Question 11 – Le déroulement de la procédure de droit commun de constatation de manquement Le recours en manquement est divisé en 2 étapes : la phase d'infraction est la phase précontentieuse. Cette dernière est divisée en 3 étapes : lettre de mise en demeure, l’avis et la faculté de saisir la Cour. En vertu de l’art. 258 TFUE, la procédure à l’encontre des E. comporte plusieurs phases principales : D. 1ère phase : la lettre de mise demeure La Commission présume tout d’abord évidemment qu’il y a infraction d’un État membre. Par le biais d’une lettre de mise en demeure, elle invite alors cet État membre à lui présenter ses observations dans un délai fixé généralement à trois mois. Il s’agit d’une étape importante de la procédure puisque la lettre de mise en demeure a pour objet de circonscrire le manquement, c’est-à-dire d’en délimiter la portée exacte et d’en préciser les limites. La Commission ne peut, à un stade ultérieur de la procédure et notamment devant la Cour, soulever de nouveaux griefs qui n’auraient pas été identifiés dans la lettre de mise en demeure. E. 2ème phase : l’avis motivé Si les observations de l’État membre ne conduisent pas la Commission à modifier son point de vue, la Commission émet un avis motivé. Cet avis constate le manquement, invite l’État membre à y mettre fin dans un délai raisonnable et précise, le cas échéant, les mesures que la Commission Page 33 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne estime devoir être adoptées par l’État pour régulariser sa situation. Le délai fixé par la Commission est en général d’un à deux mois, ce qui est très court). Le délai prescrit par la commission est important pour la suite de la procédure. En effet, c’est à la date d’échéance de ce délai que la CJ se place pour juger du manquement. Par exemple, si la Commission a demandé à l’État membre de mettre son droit national en conformité avec le droit de l’Union avant le 1er juillet, c’est au regard de l’état du droit national à cette date que la Cour apprécie le bien-fondé du recours, sans pouvoir tenir compte de ce qui a pu intervenir après (arrêt CJCE, 11 octobre 2001, Commission/Autriche) (État peut être condamné pour un manquement fini). F. 3ème phase : la saisine de la Cour → Si l’État n’obtempère toujours pas, que se passe-t-il ? La Commission a le pouvoir, et non l’obligation de saisir la Cour de Justice d’un recours en manquement. → La Commission peut-elle choisir totalement librement le moment de la saisine de la Cour ? La Commission peut choisir totalement librement le moment de la saisine de la Cour, puisqu’il n’y a, à cet égard, pas de délai préétabli. La CJCE a ainsi estimé qu’un E. membre ne saurait soutenir qu’un recours tardif de la commission serait irrecevable (CJCE, 14 décembre 1971, Commission c/France). Le recours en manquement vise à faire condamner l’État en raison de ses violations du droit de l’UE. C’est à la Commission (ou à l’E. membre à l’origine du recours en cas d’application de l’art. 259 TFUE) qu’il incombe d’apporter la preuve du manquement (CJUE, 20 mai 2010, Commission c/Espagne). En pratique, on peut remarquer que, dans la plupart des cas, les États membres régularisent leur situation au regard du droit de l’UE avant que la Commission n’engage la phase finale de la procédure auprès de la Cour de Justice. Question 12 – Les pouvoirs des institutions européennes en cas d’inexécution d’un arrêt en manquement La seule possibilité qui existe est que la Commission (la seule institution qui peut agir dans ce cas-là) initie un recours en manquement sur manquement ou double manquement. La seule solution possible pour faire face à une inexécution ou à une exécution incorrecte d’un arrêt en manquement est, pour la Commission, d'engager une nouvelle procédure de manquement fondée sur l’art. 260 TFUE. → Conséquence : La commission indique à cette occasion à la CJUE « le montant de la somme forfaitaire (= une seule fois) ou de l’astreinte (= jusqu’à ce que le manquement cesse) à payer par l’E. membre concerné qu’elle estime adapté aux circonstances ». C’est ce que l’on appelle la procédure de « double manquement » ou de « manquement sur manquement ». A travers le temps, il y a eu 2 améliorations successives de cette procédure, afin de lui donner plus de force : Le traité de Maastricht (signé en 1992 et entré en vigueur en 1993) a introduit un paragraphe permettant de prononcer, à l’occasion d’un arrêt en « manquement sur manquement » une somme forfaitaire ou une astreinte, c’est-à-dire des sanctions pécuniaires très lourdes, de nature à dissuader et à sanctionner les États, même les plus récalcitrants. ex. arrêt Merluchon → sur la politique européenne de la pêche, et plus particulièrement, sur la taille minimale des poissons capturés dans les filets. Pour n'avoir pas respecté ses obligations communautaires Page 34 sur 61 Droit du contentieux de l’Union européenne depuis plus de quatorze ans, la France a été condamnée à verser une somme forfaitaire de 20 millions d'euros et une astreinte semestrielle de plus de 57,7 millions d'euros. → Inédit : Première fois qu’il y a un cumul de la somme forfaitaire et de l’astreinte. → Doctrine : Fabienne Kauff-Gazin : « Pêcher des merluchons est un péché… » En novembre 2006, la Commission a considéré que la France s’était pliée au droit de l’UE et qu’elle ne serait finalement pas soumise au paiement de l’astreinte semestrielle. Le Traité de Lisbonne (signé en 2007 et entré en vigueur en 2009) : la procédure « précontentieuse » impliquant normalement l’émission par la Commission d’une lettre de mise en demeure, suivie d’un avis motivé fixant à l’État membre un délai pour se mettre en règle comme préalable à la saisine de la Cour de justice en vue d’une sanction financière a été simplifiée. En quoi ? V. l’art. 260, 2 TFUE et le comparer avec la procédure de manquement (art. 258, 1 TFUE). La procédure « pré-contentieuse » a été simplifiée par la suppression pure et simple de l’étape de l’avis motivé. Ainsi, en vertu du nouvel art. 260 TFUE, 2. « Si la Commission estime que l’État membre concerné n’a pas pris les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour, elle peut saisir la CJUE, après avoir mis cet E. en mesure de présenter ses observations. Question 13 – Air pollué et recours en manquement Actualité sur le double manquement : doc introuvable Question 14 – Définition du recours en annulation Le recours en annulation peut se définir comme un recours dirigé contre un acte d’une institution de l’UE et visant à en obtenir l’annulation pour illégalité. Il s’agit donc pour le juge de l’UE d’assurer le contrôle de la validité des actes de droit dérivé de l’UE. Question 15 – Le délai d’introduction du recours en annulation Le délai d’introduction du recours est très bref, puisqu’il est de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l'acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance (art. 263 TFUE). Les règles de procédure relatives aux délais sont d’ordre public, comme toutes celles ayant trait à la recevabilité. Il appartient donc au juge de l’Union d’examiner d’office si le recours a été présenté dans le délai (par exemple, TPICE, 18 septembre 1997, Mutual Aid Administration Services/Commission). Dans le cas où l’acte a été publié : l s’agit, soit de la publication intégrale de l’acte au JOUE (Journal officiel de l’Union européenne), soit de l’accès intégral des tiers au texte d´un acte placé sur le site internet de l’institution qui en