French Past Paper on Administrative Police PDF

Summary

This document is on the topic of administrative police. It provides definitions and historical cases pertaining to the legal application of administrative law in France. The summary discusses concepts such as the distinction between administrative and judicial policing, and the different objectives and contexts in which administrative police measures are used in France.

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THÈME III : LA P OLI CE ADMINISTRATIVE Les jurisprudences incontournables : CE, 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary : impossibilité légale de déléguer la police administrative à une personne privée. - CE, 27 octobre 1995, commune de Morsang-sur-Orge : le respect de la dignité de la personne humain...

THÈME III : LA P OLI CE ADMINISTRATIVE Les jurisprudences incontournables : CE, 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary : impossibilité légale de déléguer la police administrative à une personne privée. - CE, 27 octobre 1995, commune de Morsang-sur-Orge : le respect de la dignité de la personne humaine est une composante de l’ordre public. - CE, ord., 13 juin 2020, M. B.A. et Ligue des droits de l’homme : une mesure de police doit être nécessaire, adaptée et proportionnée. - CE, 19 mai 1933, Benjamin et syndicat d’initiative de Nevers : nature du contrôle effectué par le juge sur l’exercice des pouvoirs de police (contrôle de proportionnalité). - CE, 11 mai 1951, Consorts Baud : critères de la distinction police administrative – police judiciaire. - TC, 7 juin 1951, Dame Noualek : critères de la distinction police administrative – police judiciaire. - CE, 18 avril 1902, commune de Néris-les-Bains : principes applicables en cas de concours des pouvoirs de police administrative générale. - CE, 8 août 1919, Labonne : pouvoirs de police de l’autorité titulaire du pouvoir réglementaire général et principes applicables en cas de concours des pouvoirs de police administrative générale. Définition : La police administrative est une activité qui vise le maintien de l’ordre public, sans tendre à la recherche ou à l’arrestation des auteurs d’une infraction déterminée. La police administrative constitue aussi une activité de service public. Mais il s’agit d’un service public à part. Tout d’abord, il ne peut faire l’objet d’une délégation à une personne privée (CE, 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary ; 1er avril 1994, Commune de Menton ; 29 décembre 1997, Commune d’Ostricourt ; ce principe relevant de l’identité constitutionnelle de la France, CC, QPC 15 octobre 2021, Sté Air France). Ensuite, l’application des mesures de police doit être assurée par des actes administratifs unilatéraux, les accords contractuels étant exclus (CE, 8 mars 1985, Association « Les amis de la terre »). Une personne privée peut simplement être contractuellement associée à la mise en œuvre matérielle d’une opération décidée et contrôlée par l’État dans le cadre de ses pouvoirs de police (CE, 10 octobre 2011, ministre de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche). Enfin, l’Administration ne peut exiger des bénéficiaires de ce service public, le paiement d’une redevance (CE, 5 décembre 1984, Ville de Versailles ; CE, 30 octobre 1996, Mme Wajs et M. Monnier). L’intervention de la police administrative pour protéger, sur le plan interne, l’ordre public (ce qui implique, dans un Chapitre I, de définir la notion de police administrative), en réglementant la conduite des membres de la collectivité est donc, dans l’État libéral, indispensable de ce point de vue pour permettre l’exercice des libertés fondamentales. L’équilibre entre la protection de l’ordre public et les libertés est assuré par le régime de la police administrative (Chapitre II). Objectif Barreau — Droit administratif 56 CHAPITRE I – LA NOTION DE POLICE ADMINISTRATIVE L’essentiel : • La police administrative est une activité qui vise le maintien de l’ordre public, sans tendre à la recherche ou à l’arrestation des auteurs d’une infraction déterminée. • L’ordre public est composé de plusieurs éléments (buts de police administrative) : - La sécurité publique - La tranquillité publique - La salubrité publique - La moralité publique - La dignité de la personne humaine Selon sa conception traditionnelle, la police administrative intervient pour éviter les troubles à l’ordre public. Afin de savoir ce que doit protéger la police administrative, il faut pouvoir déterminer ce qu’est l’ordre public. L’ordre public est composé, traditionnellement, d’éléments matériels et extérieurs tels que la sécurité, la tranquillité, la salubrité (Section 1). Ces composantes traditionnelles assurent un cantonnement de l’ordre public, qui a cependant tendance à se gonfler de composantes immatérielles, telles que la moralité publique et, plus récemment, la dignité de la personne humaine (Section 2). SECTION 1 — LES COMPOSANTES MATÉRIELLES DE L ’ORDRE PUBLIC : LA TRILOGIE TRADITIONNELLE Aux termes de l’article L. 2212-2 du CGCT : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l’éclairage, l’enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices et monuments funéraires menaçant ruine, l’interdiction de ne rien exposer aux fenêtres ou autres parties des édifices qui puisse nuire par sa chute ou celle de ne rien jeter qui puisse endommager les passants ou causer des exhalaisons nuisibles ainsi que le soin de réprimer les dépôts, déversements, déjections, projections de toute matière ou objet de nature à nuire, en quelque manière que ce soit, à la sûreté ou à la commodité du passage ou à la propreté des voies susmentionnées ; 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ; 4° L’inspection sur la fidélité du débit des denrées qui se vendent au poids ou à la mesure et sur la salubrité des comestibles exposés en vue de la vente ; 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’Administration supérieure ; 6° Le soin de prendre provisoirement les mesures nécessaires contre les personnes atteintes de troubles mentaux dont l’état pourrait compromettre la morale publique, la sécurité des personnes ou la conservation des propriétés ; Objectif Barreau — Droit administratif 57 7° Le soin d’obvier ou de remédier aux évènements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces ; 8° Le soin de réglementer la fermeture annuelle des boulangeries, lorsque cette fermeture est rendue nécessaire pour l’application de la législation sur les congés payés, après consultation des organisations patronales et ouvrières, de manière à assurer le ravitaillement de la population. » Point cas pratique : N’essayez pas d’apprendre par cœur les dispositions textuelles. Vous pourrez consulter vos codes au moment de l’examen si nécessaire. L’essentiel est de retenir le numéro de la disposition (ou du moins, savoir le chercher dans le code) et surtout son idée générale. On déduit de cette disposition trois composantes « traditionnelles » de l’ordre public ou ses buts principaux : la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques. À ces buts principaux, sont venus s’ajouter des buts secondaires. On parle alors de composantes immatérielles de l’ordre public. SECTION 2 – LES COMPOSANTES IMMATÉRIELLES DE L ’ORDRE PUBLIC : LA MORALITÉ PUBLIQUE ET LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE Les deux composantes immatérielles de l’ordre public sont la moralité publique (I) et la dignité de la personne humaine (II). I. La moralité publique La préservation de la moralité publique est un but de police administrative spéciale. Cette préservation est un pouvoir de police propre au ministre de la Culture. Ce dernier est une autorité de police administrative spéciale, puisqu’en principe, il n’a pas de pouvoir de police. Mais la question qui se pose ici est celle de savoir si les autorités de police administrative générale peuvent agir en vue de la moralité publique. Les autorités de police générale ne sauraient imposer un ordre moral ; cependant, elles peuvent, dans certaines hypothèses, interdire certains évènements, comme la projection d’un film. La jurisprudence a porté principalement à partir des années 1950 sur la possibilité pour le maire (autorité de police administrative générale) d’interdire la projection d’un film « immoral » dans sa commune (CE, 18 décembre 1959, Société « Les films du Lutétia »). Cette possibilité a été reconnue dans deux cas : - Si la projection est susceptible de créer des troubles sérieux (mesure prise sur le fondement de la tranquillité ou de la sécurité publiques). - Si le film est immoral et que les circonstances locales le justifient : « qu’un maire, responsable du maintien de l’ordre dans sa commune, peut donc interdire sur le territoire de celle-ci la représentation d’un film auquel le visa ministériel d’exploitation a été accordé (police administrative spéciale), mais dont la projection est susceptible d’entraîner des troubles sérieux ou d’être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciable à l’ordre public ». En d’autres termes, l’immoralité du film est un motif valable d’interdiction, mais à condition qu’elle soit accompagnée de circonstances locales. Cette notion de circonstances locales a été précisée par plusieurs arrêts : par exemple, la « composition particulière de la population » peut justifier l’interdiction de la projection d’un film immoral (s’il y a par exemple beaucoup d’établissements scolaires dans une commune). Ce qui signifie que cette composante immatérielle Objectif Barreau — Droit administratif 58 doit s’accompagner d’éléments matériels. Lorsque les circonstances locales ne justifient pas l’interdiction, le juge l’annule. Si une partie de la doctrine niait toujours que la moralité publique était un but de police administrative, l’article L. 2212-1 du CGCT dispose bien que « La police municipale comprend : […] 6. le soin de prendre provisoirement les mesures nécessaires contre les personnes atteintes de troubles mentaux dont l’état pourrait compromettre la morale publique, la sécurité des personnes ou la conservation des propriétés […] ». II. Le respect de la dignité de la personne humaine Dans l’arrêt Morsang sur Orge du 27 octobre 1995, la question posée au Conseil d’État était de savoir si un maire pouvait interdire l’attraction du « lancer de nain » consistant à faire lancer une personne de petite taille par des spectateurs. Selon le Conseil d’État, il appartient à l’autorité compétente en matière de police municipale de prendre les mesures nécessaires pour prévenir une atteinte à l’ordre public. Il juge « que le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public ». Cette attraction par son objet même porte atteinte à la dignité de la personne humaine et l’autorité compétente peut donc l’interdire, même en l’absence de circonstances locales particulières. Il considère par ailleurs que les moyens tirés du respect du principe de la liberté du travail et de celui de la liberté du commerce et de l’industrie sont inopérants. Le juge administratif admet rarement la légalité des mesures de police administrative fondées exclusivement sur la dignité de la personne humaine. Ce fut pourtant le cas dans l’affaire Dieudonné. Dans une ordonnance du juge des référés CE, 9 janvier 2014, ministre de l’intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, le juge des référés du Conseil d’État annule l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Nantes du 9 janvier 2014, laquelle a suspendu l’exécution de l’arrêté du préfet de la Loire-Atlantique interdisant le déroulement du spectacle « Le Mur ». Il ressort de cette ordonnance que : - L’exercice de la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ; - Si des exigences d’ordre public peuvent justifier une atteinte à l’exercice de ces libertés fondamentales, ces atteintes doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées ; - Le spectacle « Le Mur » contient des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font, en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l’apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale ; - Il existe un risque sérieux que soient portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine. L’ordonnance du CE, 9 janvier 2014, ministre de l’intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala se situe donc dans la lignée de l’arrêt Commune de Morsang-surOrge. Elle confirme en effet que : - Le respect de la dignité de la personne humaine est un élément de l’ordre public ; - Les mesures de police portant atteinte à une liberté fondamentale doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées. Au contraire, le Conseil d’État dans une ordonnance CE, 16 avril 2015, Société Grasse Boulange refuse de sanctionner le maire en raison de l’absence de mise en œuvre de ses pouvoirs de police pour interdire l’exposition jugée « choquante » par le Conseil d’État, de pâtisseries à caractère raciste dans la vitrine d’une boulangerie à Grasse. Cela, alors que le Tribunal administratif de Nice avait enjoint au maire de faire usage de ses pouvoirs de police pour interdire l’exposition de ces pâtisseries « portant atteinte à la dignité humaine ». Le Conseil d’État veille donc à ce que cette jurisprudence Morsang-sur-Orge soit d’application restreinte. Objectif Barreau — Droit administratif 59 Il en va de même pour l’interdiction du burkini où la décence a pu être invoquée par les maires, exigeant une « tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs » (CE, 26 août 2016, Ligue des droits de l’Homme et autres). Examinant l’arrêté contesté, le juge des référés du Conseil d’État relève qu’aucun élément produit devant lui ne permet de retenir que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté, sur les plages de la commune de Villeneuve-Loubet, de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes. En l’absence de tels risques, l’émotion et les inquiétudes résultant des attentats terroristes, notamment de celui commis à Nice le 14 juillet 2016, ne sauraient suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée. Le juge des référés en déduit que, dans ces conditions, le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade alors qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence. À l’inverse, il a admis la légalité d’arrêtés anti-burkini dans des communes où cette situation avait conduit à des rixes entre certains habitants. C’est alors l’existence d’un trouble matériel à l’ordre public qui justifie la mesure de police administrative, CHAPITRE II – LE RÉGIME DE LA POLICE ADMINISTRATIVE L’essentiel : • La police administrative est une activité qui vise à assurer le maintien de l’ordre public, sans tendre à la recherche ou à l’arrestation des auteurs d’une infraction déterminée. • La police judiciaire est chargée de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs. • La distinction entre police administrative et police judiciaire permet de connaître le droit applicable et de désigner le juge compétent : • - Les litiges relatifs à la police administrative relèvent en principe du droit administratif et par suite, du juge administratif ; - Les litiges relatifs à la police judiciaire relèvent en principe du droit privé et par suite, du juge judiciaire. Pour savoir si une autorité administrative agit en tant que police administrative ou police judiciaire, il convient de savoir si elle est en train ou sur le point de constater une infraction déterminée (crime, délit, contravention) ou d’en rechercher l’auteur : - Si l’autorité administrative est en train ou est sur le point de constater une infraction déterminée ou d’en rechercher l’auteur, on a affaire à une activité de police judiciaire ; - Si l’autorité administrative n’est pas en train ou n’est pas sur le point de constater une infraction déterminée ni d’en rechercher l’auteur, on a affaire à une activité de police administrative. • Les pouvoirs de police administrative générale sont détenus par : le Premier ministre, les préfets de département, les maires et les présidents du conseil départemental. • Les pouvoirs de police administrative spéciale sont détenus par des autorités très nombreuses (ex. : ministre de l’Intérieur, le ministre de la Culture). • Il arrive que deux ou plusieurs autorités de police administrative prennent des mesures concernant les mêmes faits. Dans ce cas, nous sommes face à un concours des pouvoirs de police. Des règles régissent les concours de police. • Le contrôle des pouvoirs de police par le juge administratif diffère selon la période d’intervention (normale ou exceptionnelle). La protection de l’ordre public suppose à la fois que soient prévenues (prévention) d’éventuelles atteintes et qu’une fois perturbé, il soit rétabli (répression), grâce, en particulier, à la prise de sanctions, pénales ou administratives, qui punissent le « coupable ». En principe, la protection de l’ordre public repose traditionnellement sur une répartition des rôles entre Administration et juge. Objectif Barreau — Droit administratif 60 L’Administration édicte rapidement, à titre préventif, les mesures nécessaires pour empêcher les troubles à l’ordre public. Le juge réprime ces troubles, une fois qu’ils ont été causés. La difficulté est que la séparation des fonctions entre Administration et juge a été en partie perturbée par l’existence de sanctions punitives prises par l’Administration, soit des sanctions administratives à vocation répressive (voir distinction entre mesures de police et sanctions administratives). Cependant, la police administrative reste essentiellement (ce qui ne veut pas dire « uniquement ») préventive, ce que traduit l’opposition police administrative/police judiciaire (Section 1). L’étude de son régime implique de préciser quelles sont les autorités de police compétentes (Section 2), ce qui conduira à aborder la distinction entre police administrative générale et police administrative spéciale. Enfin, il conviendra de détailler les types de mesures possibles (Section 3). SECTION 1 – LA DISTINCTION POLICE ADMINISTRATIVE /POLICE JUDICIAIRE Définitions : La police administrative est une activité qui vise à assurer le maintien de l’ordre public, sans tendre à la recherche ou à l’arrestation des auteurs d’une infraction déterminée. La police judiciaire est chargée de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs. Cette distinction est une conséquence de la séparation des autorités administrative et judiciaire et du rôle respectif qu’elles ont chacune à assurer en principe. Attention : une seule et même autorité (le maire, les forces de police) peut intervenir, selon les types d’opérations menées, en matière de police administrative et/ou de police judiciaire. Ainsi, un fonctionnaire de police ou un gendarme peuvent faire aussi bien de la police administrative que de la police judiciaire. Ces deux polices relèvent de régimes juridiques dissemblables. Une même mesure, une assignation à résidence par exemple, peut être une mesure de police administrative (état d’urgence sécuritaire) ou de police judiciaire selon son but. L’assignation à résidence (sur le fondement de l’état d’urgence) est une mesure de police administrative lorsqu’il existe une raison sérieuse de penser que le comportement de la personne qui fait l’objet de la mesure présente une menace pour l’ordre public. Police judiciaire Police administrative (Caractérisation d’une infraction) (Appréciation d’une menace ou d’un risque) → Les interventions s’effectuent sous la direction du → Les opérations de police administrative relèvent en parquet et sous le contrôle de la chambre de principe du juge administratif. l’instruction et éventuellement, par délégation du juge → Police administrative = mise en œuvre par des d’instruction. autorités multiples qui agissent par voie → Les opérations de police judiciaire relèvent en réglementaire ou individuelle, au nom de l’État, du département, de la commune, voire d’autres autorités principe du juge judiciaire. (AAI). → Police judiciaire = toujours mise en œuvre par des C’est important en matière de responsabilité, car ce décisions individuelles prises au nom de l’État. n’est pas toujours l’État qui sera responsable en cas de dommages. Objectif Barreau — Droit administratif 61 Il ressort de ces éléments que l’intérêt juridique de la distinction se situe à deux niveaux principaux : • Au niveau du droit applicable et de la compétence juridictionnelle : droit administratif et juge administratif pour la police administrative ; droit privé et juge judiciaire pour la police judiciaire. • Au niveau de l’imputation : la police administrative s’exerce au nom de l’État, du département ou de la commune ; la police judiciaire s’exerce au nom de l’État. Problème : il y a bien souvent une identité quasi complète entre les forces intervenantes en matière de police administrative et de police judiciaire, donc la distinction fondée sur le critère organique est ici impossible. La jurisprudence utilise un critère finaliste et c’est l’intention poursuivie par l’auteur de l’acte qui permet de qualifier l’opération (ce critère ne recoupe pas la distinction prévention/répression, car une action de répression peut aussi prévenir un trouble et une action de prévention peut faire cesser un trouble). → Les décisions ou opérations de police judiciaire ont pour but de constater une infraction pénale déterminée, commise, sur le point de se commettre ou supposée se commettre et d’en rechercher les auteurs pour les appréhender et permettre leur jugement par les juridictions pénales. → La finalité essentielle de la police administrative : éviter un trouble général à l’ordre public (éventuellement une infraction pénale, cf. affaire Dieudonné). PRÉVENIR UN TROUBLE À L’ORDRE PUBLIC CONSTATER UNE INFRACTION, RÉUNIR LES PREUVES DE CELLE-CI, LIVRER LES AUTEURS À LA JUSTICE L’appréciation par le juge de la nature et de l’objet de l’opération de police est nécessaire pour déterminer s’il s’agit d’une mesure de police administrative ou police judiciaire. Lorsque le but recherché est d’éviter d’éventuels troubles à l’ordre public, les mesures sont assimilées à des mesures de police administrative. Par exemple, dans l’arrêt CE, 24 juin 1960, Société Frampar, l’Administration avait fondé les saisies des journaux sur des articles du Code pénal et du Code d’instruction criminelle pour qu’elles soient analysées comme des mesures de police judiciaire. Or, « de toute évidence le but recherché était d’éviter que ne soient lus dans le département d’Alger des articles que l’Administration considérait comme dangereux pour l’ordre public ». Le juge administratif les requalifie ainsi en mesures de police administrative, contestables devant le juge administratif. Certaines opérations posent des difficultés car elles mêlent les deux finalités : dans ce cas le juge se fonde sur le but essentiel de l’action pour éviter que le contentieux soit éclaté entre juridictions administrative et judiciaire (création d’un bloc de compétence) : Deux exemples : • TC, 12 juin 1978, Société Le Profil c/ ministre de l’Intérieur : Protection d’un transport de fonds par les autorités de police. L’opération relève à l’origine de la police administrative (éviter une atteinte à l’ordre public) puis de la police judiciaire (arrêter les voleurs pour les faire juger). Si un préjudice survient du fait de cette opération, sa réparation relève dans son intégralité de la compétence du juge administratif, car il a été subi « au cours de l’opération tendant à assurer la protection des personnes et des biens et trouve essentiellement son origine dans les conditions dans lesquelles a été organisée cette mission de protection ». • TC, 5 décembre 1977, Demoiselle Motsch : Dans le cadre d’un contrôle général d’identité (prévention de troubles à l’ordre public), lorsque les gendarmes cherchent à arrêter le conducteur d’une voiture ayant refusé d’obtempérer au contrôle, le litige relève de la compétence du juge judiciaire car le but recherché ici était principalement « l’intention d’appréhender un individu qui venait de commettre de multiples infractions » dans le cadre de la police judiciaire. Enfin, la distinction entre police administrative et police judiciaire ne repose pas exclusivement sur le critère tiré du but répressif ou prévention. En effet, certaines opérations de police judiciaire peuvent poursuivre des fins préventives, en ce sens qu’elles se situent en amont de la commission d’une infraction. Dès lors, un autre critère Objectif Barreau — Droit administratif 62 de distinction tient à la distinction entre la prévention d’une infraction pénale déterminée (police judiciaire), et la prévention d’une infraction pénale indéterminée (police administrative). → Exemples : CE, 1951, Consorts Baud : l’opération faite en vue d’appréhender des individus signalés comme faisant partie d’une bande de malfaiteurs relève de la police judiciaire. L’opération visant à empêcher la commission d’une infraction pénale déterminée constitue une opération de police judiciaire (TC, 1978, Consorts Tayeb). Toutefois, depuis CE, 2015 AGRIEF (suites de l’affaire Dieudonné), il est admis que la police administrative peut avoir pour but de prévenir une infraction pénale même déterminée, dès lors qu’elle est, en ellemême, constitutive d’un trouble à l’ordre public. Une autre difficulté peut tenir à l’identification du juge compétent. En principe, le contentieux de la police administrative relève du juge administratif, et la police judiciaire du juge judiciaire ((Cass 1956, Dr Giry).. Toutefois, il est des hypothèses où la réponse n’est pas si simple qu’il n’apparaît, car l’objet du litige mêle des questions relevant du bloc de compétence du juge administratif et du juge judiciaire. Dès lors, le Tribunal des conflits vient créer des blocs de compétence, afin de simplifier le contentieux. Ainsi, il a récemment estimé que l’action tendant à engager la responsabilité sans faute de l’État (qui en principe relève du juge administratif), en raison d’un préjudice résultant d’un juge judiciaire (qui relève normalement du juge judiciaire), relève du juge judiciaire (TC, 8 février 2021, M. C). Le Conseil d’État estime également que le contentieux de la responsabilité sans faute de l’État du fait de ces opérations relève du juge judiciaire, de même que l’action en responsabilité pour faute du service public (CE, 15 nov. 2021, Sté Aéronord). SECTION 2 — LES AUTORITÉS DE POLICE ADMINISTRATIVE Définitions : • La police administrative générale est constituée du pouvoir de prendre toute mesure applicable à l’ensemble des administrés sur un territoire déterminé, destinée à protéger l’ordre public dans sa dimension la plus large. • La police administrative spéciale n’existe que pour autant qu’elle a été instituée par un texte particulier. Elle a également pour objet la protection de l’ordre public, mais ne vise à en garantir que l’un des éléments bien précis. Lorsque l’on traite de la question des autorités de police, on retrouve la distinction entre police administrative générale et polices administratives spéciales. Cette distinction conditionne l’organisation matérielle des pouvoirs de police, et la répartition des compétences entre les autorités qui en sont investies. Les mesures de police administrative générale visent la protection de l’ordre public sur un territoire donné. La police administrative spéciale a, en revanche, un champ plus spécifique, - Soit parce qu’elle s’exerce en un lieu déterminé (exemple : police des marchés d’intérêt national, - Soit parce qu’elle concerne une activité particulière (exemple : police de la navigation aérienne), - Ou encore, parce qu’elle comporte la protection d’un intérêt public spécifique (exemple : la santé publique ou la préservation des espèces s’agissant de la police de la chasse). Selon l’arrêt CE, 27 juillet 2015, M. A c/ Commune d’Hébuterne, l’attribution de pouvoirs de police spéciale à une autorité ne prive pas celle-ci de ses pouvoirs de police générale. Objectif Barreau — Droit administratif 63 I. Autorités de police générale La police administrative générale est confiée exclusivement à des autorités publiques (il y a donc un nombre limité d’autorités de police générale) : - Le maire : selon l’article L. 2212-1 CGCT, le maire est chargé de la police municipale (CE, 18 avril 1902, commune de Néris-les-Bains). Il exerce cette fonction au nom de la commune dans le cadre de ses pouvoirs propres, le conseil municipal n’ayant aucune compétence en ce sens. Il n’agit au nom de l’État que pour l’exécution des mesures de « sûreté générale » décidées par le gouvernement ou les préfets dans le cadre de leurs pouvoirs de police générale. En principe, sa compétence s’étend à l’ensemble de la commune. Il assure la police de la circulation d’une part, sur les voies communales et, d’autre part, sur les portions de routes nationales et départementales situées à l’intérieur de son agglomération. À Paris, il y a partage des pouvoirs de police entre le maire et le préfet de police (article L. 2512-13 du CGCT). Le maire adopte des mesures de police sous la forme d’arrêtés (actes administratifs unilatéraux). - Le préfet de département : il a une fonction générale d’animation et de coordination de l’ensemble du dispositif de sécurité intérieure. Il exerce, en outre, au nom de l’État, la police générale sur l’ensemble du département dès lors que la mesure prise excède les limites d’une seule commune. Il exerce la police de la circulation sur les routes nationales et hors agglomérations. Le préfet de département peut se substituer au maire lorsque l’ordre public est menacé dans deux ou plusieurs communes du même département et que les autorités municipales font preuve de carence ou si dans une commune, le maire ne prend pas les mesures appropriées (dans ce cas la substitution doit être précédée d’une mise en demeure restée sans résultat conformément à l’article L. 2215-1 du CGCT). Le préfet de département peut aussi se substituer au président du conseil départemental en cas de carence de ce dernier et après mise en demeure infructueuse (article L. 3221-5 du CGCT). Le préfet de département adopte des mesures de police sous la forme d’arrêtés (actes administratifs unilatéraux). - Le président du conseil départemental : aux termes de l’article L. 3221-4 du CGCT, il exerce les pouvoirs de police portant sur la gestion du domaine départemental, notamment en ce qui concerne la circulation sur ce domaine (police de la circulation sur les routes départementales hors des agglomérations, etc.). Le président du conseil départemental adopte des mesures de police sous la forme d’arrêtés (actes administratifs unilatéraux). - Le Premier ministre : au niveau national, le Premier ministre dispose d’un pouvoir propre de police, existant en dehors de toute délégation législative (CE, 8 août 1919, Labonne, bien que rendu au sujet du chef de l’Etat). Au contraire, la compétence des autres autorités de police administrative générale est fondée sur des textes précis et limitée géographiquement. Le Premier ministre peut prendre des mesures applicables sur l’ensemble du territoire national. Il peut aussi habiliter les ministres à prendre certaines mesures réglementaires aux fins notamment de préciser ses décrets de police (CE, 23 novembre 2011, Association France Nature Environnement). Cependant, les ministres ne disposent d’aucun pouvoir de police générale. Le Premier ministre adopte des mesures de police sous la forme de décrets (actes administratifs unilatéraux). II. Autorités de police spéciale Les autorités de police spéciale sont innombrables. Elles coïncident parfois avec celles compétentes en matière de police générale, mais le plus souvent, il s’agit de personnes distinctes. Par exemple, le Préfet du département exerce de nombreuses compétences en matière de police spéciale (chasse, pêche, mines, carrières…), les ministres, les AAI… Exemples de polices spéciales : police du maire pour les édifices menaçant de ruine (L. 2212-2 CGCT), la police des installations à usage aéronautique (L. 213-2 Code de l’aviation civile, la confiant au préfet), la police de la distribution de l’eau (L. 1321-1 A Code rural). Elles sont très nombreuses et couvrent presque l’ensemble des matières juridiques. Objectif Barreau — Droit administratif 64 Attention : Si rien n’interdit que la loi confère des pouvoirs de police spéciale à des personnes de droit privé, c’est à condition qu’elles soient agréées et contrôlées étroitement par l’autorité administrative (ex. : obligation de vérifier les visas des personnes désireuses de se rendre en France par les transporteurs). III. La concurrence entre autorités de police Il arrive que deux ou plusieurs autorités de police administrative prennent des mesures concernant les mêmes faits. Dans ce cas, nous sommes face à un concours des pouvoirs de police. Des règles régissent les concours de police. A. La concurrence entre autorités de police générale La police générale est exercée par chaque personne compétente à son niveau propre. Mais, dans la logique de l’État unitaire et de la hiérarchie des compétences, les décisions prises au niveau central pour l’ensemble du territoire s’imposent aux autorités locales, qui peuvent seulement y ajouter les prescriptions indispensables pour assurer le bon ordre en fonction des circonstances locales qu’elles sont mieux à même d’apprécier. Celles-ci ne sauraient cependant agir que dans un seul sens : en principe, il leur est impossible d’alléger les mesures prises au niveau supérieur. Une autorité de police générale inférieure ne peut qu’aggraver les mesures prises par l’autorité de police générale supérieure, si les circonstances locales le justifient : CE, 18 avril 1902, commune de Néris-les-Bains. Point cas pratique : Le Premier ministre a limité la vitesse maximale autorisée en agglomération à 50 km/h. Suite à la pression locale, le maire a décidé de la porter à 70 km/h. L’arrêté du maire est-il légal ? Non, car en application de la jurisprudence Commune de Néris-les-Bains, le maire ne peut qu’aggraver la mesure prise au niveau supérieur (par exemple, passer à une vitesse de 30 km/h) et cela, si la situation locale le justifie. B. La concurrence entre les pouvoirs de police du Premier ministre et des maires pendant l’état d’urgence sanitaire La loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a mis en place une police spéciale. Elle donne compétence au Premier ministre pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de Covid-19. Cette police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État (CE, réf., 17 avril 2020, Port d’un masque de protection, Commune de Sceaux). La présente ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat confirme à son tour que le pouvoir de police spéciale confié à l'Etat ne prive pas le maire de son pouvoir de police générale. Le principe est donc celuici : le maire peut exercer son pouvoir de police générale. Reste à étudier à quelles conditions. L'ordonnance précise : "la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent Objectif Barreau — Droit administratif 65 l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat." C. Concurrence entre deux pouvoirs de police spéciale En principe, ce type de concours ne devrait pas se produire, dans la mesure où chaque police administrative spéciale a son objet propre. Mais il arrive que l’objet d’une police spéciale donnée recouvre partiellement l’objet d’une autre police spéciale, ce qui ouvre la voie à un concours entre les deux polices. Dans ce cas, des mesures plus rigoureuses peuvent être prises au titre de la police spéciale mise en œuvre dans un second temps. D. Concurrence entre pouvoirs de police générale et police spéciale Il convient d’envisager ici plusieurs hypothèses : • Si l’autorité dispose à la fois d’un pouvoir de police administrative générale et d’un pouvoir de police administrative spéciale : elle peut user du premier dans un cas où elle devrait utiliser le second, sauf si cet usage, hors des cas d’urgence, a pour objet ou pour effet de ne pas respecter la procédure prévue pour la police spéciale (CE, 22 décembre 1993, commune de Carnoux-en-Provence). • Si l’autorité de police administrative spéciale fait preuve de carence dans le domaine qui est le sien : l’autorité de police administrative générale peut intervenir en cas de péril imminent et à condition que la loi ne s’oppose pas à l’intervention de l’autorité de police administrative générale (CE, 2 décembre 2009, commune de Rachecourt-sur-Marne). • Si l’autorité de police administrative spéciale a été mise en œuvre, les règles sont plus complexes. Dans cette dernière hypothèse, les règles de résolution des concours entre police générale et spéciale sont particulièrement complexes, et la jurisprudence en la matière est largement empirique et casuistique. Le juge administratif, en la matière, avance en tenant compte de différents impératifs, et fait preuve de sévérité notamment lorsque le concours met en jeu des rapports entre autorités centrales et décentralisées. Il est, notamment, soucieux de garantir une certaine cohérence nationale dans certaines réglementations, ce qui le conduit à durcir les conditions d’intervention de l’autorité de police générale, afin que celle-ci ne puisse pas faire échec aux objectifs poursuivis par le pouvoir central. On peut, néanmoins, proposer une présentation schématique des règles de concours entre polices spéciale et générale. En principe, l’autorité de police administrative générale ne pourra qu’aggraver les mesures prises au titre de la police administrative spéciale, et ce, à condition que les circonstances locales le justifient et que la loi ne s’oppose pas à l’intervention de l’autorité de police administrative générale (CE, 18 décembre 1959, Société « Les films Lutétia »). Par exception, la règle de l’exclusivité de la police spéciale s’applique. Ainsi, lorsqu’une réglementation de police spéciale existe déjà, l’autorité de police générale ne peut tout simplement plus intervenir. Lorsque le juge estime que le soin de réglementer un domaine déterminé a été confié de manière exclusive à une autorité de police administrative spéciale, il est alors exclu que l’autorité de police administrative générale fasse usage de ses pouvoirs dans ce domaine. Schématiquement, on peut identifier trois hypothèses où la règle de l’exclusivité trouve à s’appliquer : - La police spéciale s’insère dans une législation « complète » entourant l’exercice de la police d’un certain nombre de garanties formelles ou procédurales, et poursuivant des objectifs divers (CE, 31 dec. 2020, Cne d’Arcueil). L’intervention de la police générale est exclue, afin de respecter la volonté du législateur, qui a préféré investir l’autorité de police spéciale de la mission de sauvegarde de l’ordre public. Ainsi, le maire ne peut règlementer l’implantation des antennes de téléphonie mobile sur sa commune pour assurer la protection de la santé publique, puisque la police spéciale poursuit déjà cet objectif (CE Ass., 26 oct. 2011, Cne de Saint-Denis) ou règlementer l’emploi d’OGM (CE, 24 sept. 2012 Cne de Valence). Objectif Barreau — Droit administratif 66 - La police spéciale constitue un enjeu national : permettre l’intervention de l’autorité de police générale (notamment, locale) mettrait en cause la lisibilité et la cohérence de la réglementation à l’échelle nationale. Par exemple, la police relative aux antennes de téléphonie mobile a pour objet d’assurer une certaine couverture nationale en termes de réseau mobile. Ainsi, l’intervention du maire pour règlementer l’implantation des antennes sur son territoire est exclue (CE, 2011, Cne de Saint Denis). - La police spéciale s’inscrit dans une législation particulièrement technique. Le maire ne disposerait pas d’une expertise technique suffisante pour adopter une mesure de police générale (CE, 2011 Cne de Saint Denis « les pouvoirs de police spéciale ainsi attribués aux autorités nationales, qui reposent sur un niveau d’expertise et peuvent être assortis de garanties indisponibles au plan local »). Limites à l’exclusivité : l’autorité de police générale, même lorsque la police spéciale a déjà été mise en œuvre, retrouve une liberté d’action en cas de carence de l’autorité de police spéciale (CE, 1959 Doublet), ou d’urgence, de péril grave et imminent ou de « raisons impérieuses liées à des circonstances locales » rendant l’édiction de la mesure indispensable (CE, 29 sept. 2003, Houillères bassin Lorraine). Ainsi, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le Conseil d’État a admis que le maire pouvait exercer ses pouvoirs de police générale en cas de « raisons impérieuses liées à des circonstances locales […] à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État » (CE, ord., 5 mai 2020, Ville de Sceaux). Mais de nouveau, le critère de l’urgence ne suffit pas à justifier l’intervention de la police générale lorsque la police spéciale s’inscrit dans une législation d’enjeu national (CE, 2012, Cne de Valence). Une autre manière d’appréhender les règles de concours entre polices spéciale et générale consiste à distinguer selon la finalité poursuivie par les deux réglementations : - Si la mesure de police générale poursuit un but différent de la police spéciale, le concours est admis en cas de circonstances locales et d’aggravation (CE, 1959 Sté les Films Lutetia). - Si la mesure de police générale poursuit le même but que la police spéciale, la règle sera plutôt l’exclusivité (CE, 2011, Cne de Saint Denis ; CE, 2012, Cne de Valence). L’autorité de police générale pourra, dans certaines hypothèses, agir en cas d’urgence et de péril imminent (CE, 2020, Ville de Sceaux). Objectif Barreau — Droit administratif 67 Actualité importante : Par une décision CE, 31 décembre 2020, commune d’Arcueil, le Conseil d’État a rappelé que les maires ne disposent d’aucune compétence pour interdire ou réglementer l’utilisation des produits phytopharmaceutiques sur le territoire de leur commune. Cette compétence relève exclusivement des pouvoirs de police spéciale confiés à l’État. Dans cette affaire, se posait la question de savoir si le maire peut, en vertu de ses pouvoirs de police générale, réglementer l’utilisation des pesticides sur le territoire de sa commune, alors même que le législateur a par ailleurs confié cette prérogative à l’État. Le Conseil d’État a d’abord rappelé que le législateur avait « organisé une police spéciale de la mise sur le marché, de la détention et de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques » et que cette police spéciale avait été « confiée à l’État ». Dans ces conditions, le Conseil d’État a estimé que si le maire était habilité « à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques », il ne pouvait « légalement user de cette compétence pour édicter une réglementation portant sur les conditions générales d’utilisation des produits phytopharmaceutiques qu’il appartient aux seules autorités de l’État de prendre ». Le Conseil d’État a ainsi confirmé que « le pouvoir de police spéciale des produits phytopharmaceutiques confié aux autorités de l’État faisait obstacle à l’édiction, par le maire de la commune, de mesures réglementaires d’interdiction de portée générale de l’utilisation de ces produits ». Autrement dit, en l’état actuel du droit, les maires ne peuvent, en aucun cas, s’immiscer dans l’exercice de la police spéciale de la réglementation de la détention et de l’utilisation des produits phytosanitaires. En l’occurrence, comme il l’avait fait en 2012 quant à la réglementation de la culture des OGM, le Conseil d’État a clairement fermé la porte à toute intervention des maires en matière de détention et d’utilisation de produits phytosanitaires. SECTION 3 — LES MESURES DE POLICE I. Les procédés de police Les principes sont les suivants : - Pas d’autorisation préalable : le régime préventif d’autorisation préalable est exclu en matière de police administrative. Seule la loi peut prévoir un régime d’autorisation préalable (un tel mécanisme institué dans le cadre de la police administrative générale porterait une atteinte trop forte aux droits et libertés des particuliers). - Pas de contrat : les mesures de police ne peuvent faire l’objet d’une délégation contractuelle alors que le service public, lui, le peut. L’autorité de police administrative ne peut confier un pouvoir de police ou déléguer une mission de police à une personne privée (CE, Ass., 1932 Castelnaudary). Il en découle une interdiction de déléguer des missions de police administrative à des personnes privées, que le Conseil constitutionnel rattache à l’article 12 de la DDHC, laquelle constitue un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France (CC, 2021 Sté Air France). Cependant, il est possible de confier à des personnes privées certaines missions dès lors qu’elles n’ont pas pour effet de dessaisir l’autorité de police. Ainsi, des personnes privées peuvent être associées à une mission matérielle de police administrative si elles sont placées sous le contrôle d’une autorité publique et si elles ne disposent pas d’un pouvoir normatif pouvant prendre la forme d’un interdit ou d’une autorisation de police (CC, 29 mars 2018, no 2017-695 QPC). En tout état de cause, des missions de surveillance de la voie publique (CE, 1997, Commune d’Ostricourt ; CC, 10 mars 2011 LOPPSI) ou de maintien du bon ordre ne sauraient être déléguées (CAA Lyon, 7 mai 2003, Préfet du Rhône). Objectif Barreau — Droit administratif 68 II. L’obligation d’émettre une mesure de police L’importance pour la protection des libertés de la fonction de police suppose que celle-ci intervienne dans toutes les circonstances où il est indispensable d’agir, où l’ordre public serait, sinon, gravement compromis. L’intervention de la police n’est pas, le plus souvent, simplement facultative, mais aussi obligatoire. Le juge a posé les conditions générales de cette obligation : - Il existe un péril grave « résultant d’une situation particulièrement dangereuse » pour l’ordre public (CE, 23 octobre 1959, Doublet), ou il existe un « danger à la fois grave et imminent exigeant une intervention urgente qui ne peut être différée » (CE, 31 août 2009, commune de Crégols) ; - Il s’avère que ces mesures de police administrative sont nécessaires pour mettre un terme à ce péril ou à ce danger (CE, 23 octobre 1959, Doublet). Si ces conditions sont réunies, l’autorité administrative a l’obligation de prendre les mesures de police appropriées. En outre, l’autorité administrative est tenue de prendre les mesures nécessaires à l’application de mesures de police déjà prises : - Soit par cette même autorité administrative (CE, 3 avril 1968, Jardin) ; - Soit par une autorité administrative supérieure (CE, 20 octobre 1972, Ville de Paris c. Marabout). III. Les mesures de police et sanctions administratives Le caractère principalement préventif des mesures de police administrative permet aussi de les distinguer des sanctions administratives. C’est l’intention de réprimer un manquement aux lois et règlements, qui distingue la sanction administrative des mesures de police. Parfois, la sanction remplit aussi une fonction préventive. Dans ce cas, le juge recherche la finalité essentielle de la mesure litigieuse. Ainsi, une finalité essentiellement répressive caractérise une sanction (CE, 20 décembre 2000, Société A Conseils Finance), tandis qu’une finalité essentiellement préventive caractérise une mesure de police (CE, 22 juin 2001, Société Athis). Mesures de police La finalité est préventive. Sanctions administratives La finalité est répressive (punition de celui qui ne se conforme pas aux ordres de l’Administration). Ex. : suspension du permis de conduire (même si elle se fonde sur les infractions commises, elle a pour but Ex. : retrait de points (sanction faisant suite à une premier d’éviter que s’en produisent d’autres). infraction avérée, même si elle a pour but d’éviter que le conducteur recommence → prévention) Régime : elles sont soumises aux exigences de la contradiction, elles ne relèvent pas de l’art. 6-1 Conv. Régime : Respect de l’art. 6-1 de la Conv. EDH. EDH. L’intérêt de la distinction se situe à plusieurs niveaux. Premièrement, saisi d’un recours dirigé contre une mesure de police, le juge statue comme juge de l’excès de pouvoir. Au contraire, il statue en tant que juge de plein contentieux lorsqu’il se prononce sur une demande tendant à l’annulation d’une sanction administrative (CE, avis, 6 février 2013, M. Pesteil). Rappel : Le juge administratif dispose de compétences étendues dans le cadre du plein contentieux, puisqu’il peut non seulement annuler la décision contestée, mais aussi la réformer ou la rectifier. Objectif Barreau — Droit administratif 69 Deuxièmement, comme il vient d’être indiqué, la CESDH ne s’applique pas aux mesures de police administrative, alors qu’elle s’applique aux sanctions administratives (CE, 3 novembre 1989, Blanquie). Enfin, la mesure de police applicable est celle prévue par les textes en vigueur au moment où la décision et prise et non celle qui était prévue par les textes en vigueur au moment où se sont produits les faits justifiant la mesure de police (CE, 20 janvier 1988, Elfenzi). Il en va autrement en matière de sanction. IV. Le contrôle des pouvoirs de police Le contrôle du pouvoir de police diffère selon qu’il s’agit d’une période normale (A) ou d’une période exceptionnelle (B). En effet, dans ce dernier cas, l’autorité administrative peut légalement prendre des mesures de police qui seraient jugées illégales en période normale. A. Période normale Le contrôle du pouvoir de police résulte d’un compromis entre la nécessité de maintenir l’ordre public, et la nécessité de ne pas porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux. L’autorité administrative a l’obligation de prendre des mesures initiales de police administrative si : - Il existe un péril grave « résultant d’une situation particulièrement dangereuse » pour l’ordre public ; - Les mesures de police administrative sont nécessaires pour mettre un terme à ce péril ou à ce danger. Puis, l’autorité administrative a l’obligation de prendre des mesures en vue d’appliquer des mesures initiales de police administrative. En toutes hypothèses, que l’autorité administrative soit dans l’obligation ou non d’agir, le juge administratif effectuera un contrôle des mesures de police adaptées, afin de s’assurer qu’elles ne portent pas une atteinte trop intense aux droits et libertés fondamentaux. Le juge contrôle plus particulièrement quatre éléments : les motifs, le but poursuivi, le contenu de la mesure de police et sa nécessité. - Les motifs : ce sont les raisons de fait et de droit qui ont incité l’autorité administrative à prendre une mesure de police. Ces raisons doivent correspondre à une menace pesant sur l’ordre public. - Le but poursuivi : le juge censure toute mesure de police qui n’a pas pour but le maintien ou le rétablissement de la sécurité, de la tranquillité, de la salubrité ou de la moralité publiques. - Les moyens, le contenu ou l’objet de la mesure de police. - La proportionnalité de la mesure de police : une mesure de police est susceptible, par sa nature même, de porter atteinte aux libertés. Ainsi, pour qu’une mesure de police soit légale, il faut qu’elle soit proportionnelle et nécessaire au maintien de l’ordre public (CE, 19 mai 1933, Benjamin). Cela signifie que l’ordre public n’aurait pas pu être maintenu si cette mesure de police n’avait pas été prise et que donc une mesure de police moins contraignante n’aurait pas permis d’assurer le maintien de l’ordre public. Le juge s’assure qu’il n’y a pas de disproportion entre la menace à l’ordre public et l’objet de la mesure de police. Il censure souvent les interdictions trop générales ou absolues (CE, 22 juin 1951, Daudignac). Les étapes de ce contrôle de proportionnalité ont été formalisées dans un arrêt CE, Ass., 26 octobre 2011, API : il s’agit du fameux « triple test ». Le juge doit ainsi vérifier que la mesure est nécessaire, adaptée, et proportionnée au but poursuivi. Un tel contrôle a été effectué par le Conseil d’État, notamment dans le cadre de ce que la presse a appelé « l’affaire du burkini ». En l’espèce, une fête privée devait être organisée. Celle-ci aurait été réservée aux femmes vêtues d’un burkini et aux enfants. Plusieurs élus ont alors dénoncé le caractère « communautariste » de cette initiative, ce qui a conduit à l’annulation de la fête, mais surtout à l’adoption d’arrêtés d’interdiction par une trentaine de maires. L’interdiction du port du burkini est limitée à la fois dans l’espace et le temps. En effet, d’une part, elle ne concerne que l’accès aux plages municipales, notamment pour la baignade, et d’autre part, sa durée d’application débute à la mi-août pour s’achever à la mi-septembre. Presque tous les arrêtés interdisant le port du burkini ont fait l’objet de demandes de suspension (sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative) adressées aux juges des référés des tribunaux administratifs notamment par la Ligue des droits de l’Homme. Selon le CE, réf., 26 août 2016, Ligue des droits de l’Homme et autres : Objectif Barreau — Droit administratif 70 - Le maire doit concilier l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois. Il en résulte que les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public. - Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public. - Il ne ressort pas de l’instruction que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté, sur les plages de la commune concernée, de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes. En somme, l’interdiction du port du burkini n’est ni absolument légale ni absolument illégale. Sa légalité doit s’apprécier au cas par cas. Si le port du burkini crée des risques avérés de trouble à l’ordre public, son interdiction peut être jugée légale. Exemples de mesures illégales, car disproportionnées Exemples de mesures légales (même très restrictives), car proportionnées CE, 1933, Benjamin : l’interdiction de la conférence est jugée illégale, il existait d’autres solutions, comme de

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