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HighSpiritedSweetPea

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Sorbonne Université - Faculté des Sciences

2024

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philosophy human condition ethics

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LSPS 3 – UE 7 - ©Elodie Boublil 2023-2024 Vie, Technique et Société : Problèmes Philosophiques Elodie Boublil, Faculté de Santé, UPEC LSPS 3 – UE 7 Cours Magistral n°2...

LSPS 3 – UE 7 - ©Elodie Boublil 2023-2024 Vie, Technique et Société : Problèmes Philosophiques Elodie Boublil, Faculté de Santé, UPEC LSPS 3 – UE 7 Cours Magistral n°2 Vie, technique et société : L’éthique à l’heure de la civilisation technologique Chapitre 1 : La condition de l’homme moderne A) Hannah Arendt (1906-1975) Politologue et philosophe allemande, Hannah Arendt a écrit plusieurs ouvrages importants dont notamment : 1951 : Les Origines du Totalitarisme 1958 : Condition de l’Homme Moderne (The Human Condition) 1961 : La Crise de la Culture L’enjeu du questionnement politique et philosophique de Arendt vise à analyser et penser les modalités d’existence de l’être humain, sa vie en société, la constitution de la communauté politique et les critères d’une vie bonne à l’époque moderne. Arendt reprend les grands concepts de la philosophie politique classique : liberté, autorité, culture, action politique, monde commun etc.; en les analysant à la lumière des grands bouleversements du 20ème siècle et notamment des totalitarismes d’une part, et de la « civilisation de la technique » d’autre part (l’idéologie de la technique). Au cours de sa jeunesse et de sa formation en Allemagne puis de sa vie aux Etats- Unis, Arendt fréquente les cercles d’intellectuels européens qui examinent notamment 19 LSPS 3 – UE 7 - ©Elodie Boublil 2023-2024 de manière critique l’influence des inventions techniques et la manière dont elles ont un impact sur la mentalité de l’homme moderne. Elle propose une réflexion fondamentale sur l’humanité, non pas à partir de son essence (Arendt se méfie des questionnements portant sur l’identité car elle y voit le risque d’une réification et d’une instrumentalisation de l’homme à la suite du traumatisme des totalitarismes). Mais son questionnement philosophique se veut délibérément plus modeste et limité au contexte de la théorie politique : il s’agit de penser l’homme moderne à partir de sa condition, et non pas de sa nature, c’est-à-dire dans la diversité des situations qui caractérisent son existence. Sa réflexion porte donc sur la condition de l’homme moderne et non sur sa nature. « Le problème de la nature humaine, problème augustinien (« je suis devenu une question pour moi-même ») paraît insoluble aussi bien au sens psychologique individuel qu’au sens philosophique général. (…) Si nous avons une nature, une essence, seul un dieu pourrait la connaître et la définir, et il faudrait d’abord qu’il puisse parler du « qui » comme d’un « quoi ». » (Arendt, Condition de l’homme moderne, p. 19) Selon Arendt, l’être humain ne peut adopter ce point de vue extérieur à lui-même (se constituer en objet de savoir), du moins pas à partir du champ de la psychologie ou de la philosophie. Sa démarche philosophique consiste donc plutôt à dévoiler le sens des activités humaines Quelques dates clé : 1957 : Lancement du premier satellite dans l’espace 1958 : The Human Condition (La condition de l’homme moderne) de Arendt Dans ce livre, il s’agit de réfléchir à la condition humaine et aux conditionnements humains dans une période qui est celle de la conquête de l’espace et de la civilisation technologique au sens de G. Anders, c’est-à-dire de la modification des conditions existentielles de l’humanité, à l’ère de la technique. 20 LSPS 3 – UE 7 - ©Elodie Boublil 2023-2024 Pour Arendt, il est nécessaire de « penser ce que nous faisons » ; de penser ce qu’elle appelle la « vita activa » (vie active) - le travail, l’oeuvre, l’action qui sont trois activités différentes de celles de la « vita contemplativa » (vie contemplative caractérisée par le savoir, la connaissance et contemplation. Dans l’Antiquité, la vita activa toujours subordonnée ou pensée par rapport à la vita contemplativa (comme on l’a vu chez Platon et Aristote) A l’époque contemporaine, on assiste selon Arendt à une inversion du paradigme et à une valorisation de la vita activa. Arendt insiste sur les éléments suivants : Ø Le terme de « vita activa » désigne trois activités humaines fondamentales : le travail, l’œuvre et l’action » Ø Il s’agit de comprendre et de saisir une pluralité de sens attachée à l’action Ø De penser et comprendre « ce que nous faisons » plutôt que de connaître – privilégier le sens plutôt que la connaissance (au sens philosophique) Ø De penser une nouvelle conception de l’espace public et du politique Ø De distinguer entre l’espace public et l’espace privé, surtout après l’époque des totalitarismes qui ont vu la destruction de l’intégrité de l’espace privé et de l’individu Ø De penser l’activité technique dans son rapport à la vie et à l’action Ø De penser la « pluralité » : le « nous » comme condition du politique. Arendt insiste sur le dialogue, l’initiative et l’action définie comme capacité de commencement. Le travail Arendt définit le travail de la manière suivante : « Le travail est l’activité qui correspond au processus biologique du corps humain dont la croissance spontanée, le métabolisme et éventuellement la corruption, sont liés aux productions élémentaires dont le travail nourrit ce processus vital. La condition humaine du travail est la vie elle-même. » (Arendt) 21 LSPS 3 – UE 7 - ©Elodie Boublil 2023-2024 Ø Le travail exprime donc une dimension d’effort (de douleur et de peine) « En français travailler qui a remplacer labourer vient de tripalium, sorte d’instrument de torture » (condition de l’homme moderne, p. 92) Ø Le travail est aussi associé à une dimension biologique : de subsistance vitale mais aussi lié au fait que le travail engage la survie du corps et l’activité corporelle Ø Le travail relève du domaine de la nécessité : la vie dépend du travail et s’inscrit dans une conception cyclique de production-consommation. Ø L’homme qui travaille est défini comme animal laborans L’œuvre Selon Arendt : « L’œuvre est l’activité qui correspond à la non-naturalité de l’existence humaine qui n’est pas incrustée dans l’espace et dont la mortalité n’est pas compensée par l’éternel retour cyclique de l’espèce. L’œuvre fournit un monde artificiel d’objets nettement différents de tout milieu naturel. C’est à l’intérieur de ses frontières que se loge chacune des vies individuelles alors que ce monde lui-même est destiné à leur survivre et à les transcender toutes. La condition humaine de l’œuvre est l’appartenance au monde. » L’œuvre est une activité de l’être humain en tant qu’il est un homo faber (et qu’il produit un « monde ») Elle se caractérise par l’objectivation et la transformation du monde naturel Elle correspond à une activité technique régie par l’instrumentalisation ; il y a donc une perspective utilitariste et les activités sont pensées selon un rapport moyens/fins L’œuvre décrite ici est différente de l’œuvre d’art selon Arendt (dans l’œuvre d’art il y a une dimension d’éternité et non de consommation; l’œuvre d’art possède sa fin en elle-même) L’Homo faber conçoit la vie comme un processus – il a une conception linéaire du temps – il exprime son désir d’immortalité à travers la production d’artefacts afin d’assurer la stabilité du monde. 22 LSPS 3 – UE 7 - ©Elodie Boublil 2023-2024 L’œuvre Ø L’œuvre est conçue comme activité : Ø Il s’agit de produire des objets : « l’œuvre est l’activité qui correspond à la non- naturalité de l’existence humaine (…) L’œuvre fournit un monde « artificiel » d’objets, nettement différents de tout milieu naturel. » (p. 15) Ø Le Monde (fait d’artefacts – usage de la technique) permet de dépasser la sphère de la nature et de la dimension strictement biologique (cf mythe de Prométhée) Ø Violence envers la nature pour pouvoir bâtir ce « monde » d’artefacts (anthropisation) Ø Travail : répétition d’ordre cyclique Ø Œuvre : domaine de la multiplication des objets Ø Mentalité de l’homo faber : conception instrumentale (moyens/fins) Ø Le lit fabriqué par l’artisan est différent de l’œuvre d’art L’action Ø La dimension de l’action et de la pluralité permet d’introduire du sens et de la signification dans la permanence du monde d’objets Ø « L’action, la seule activité qui mette directement en rapport les hommes sans l’intermédiaire des objets ni de la matière correspond à la condition humaine de la pluralité, au fait que ce sont des hommes et non pas l’homme qui vivent sur terre et habitent le monde. Si tous les aspects de la condition humaine ont de quelque façon rapport à la politique, cette pluralité est spécifiquement la condition de toute vie politique. » (Arendt) Ø L’action se caractérise donc par la condition de la pluralité, de la relation entre les hommes / L’action renvoie à une dimension d’initiative et de commencement Ø Condition fondamentale du dialogue : « Nous humanisons ce qui se passe dans le monde et en nous en en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains » (Arendt) 23 LSPS 3 – UE 7 - ©Elodie Boublil 2023-2024 Résumé : Ø L’existence humaine articule ces trois niveaux de la vita activa (le travail, l’œuvre et l’action) Ø « Arendt s'appuie sur la distinction des trois genres d'activités humaines qu'elle expose dans la Condition de l'homme moderne : l'action, le travail et l'œuvre. L'œuvre désigne le processus de fabrication, et ses produits sont toutes « les choses qu'on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué par l'homme ». L'œuvre se distingue de l'action, des gestes et discours qui ne laissent aucun objet matériel derrière eux, et du travail, dont les fruits sont détruits sitôt consommés, pris dans le métabolisme de la vie dont ils assurent le maintien. » (Guien et Vuillermet, La technique) Ø Le texte de Arendt expose les conséquences sur l’homme moderne du conditionnement opéré par la civilisation de la technique et la généralisation de la société de consommation Ø Il s’agit de répondre à la question : Quelle éthique pour ce monde ? Chapitre 2 : Le principe responsabilité HANS JONAS (1903-1993) Ø Historien et philosophe allemand Ø Il reformule les enjeux de l’éthique à l’heure de la civilisation technologique – Jonas est contemporain de Habermas, Arendt et Anders Ø Il réfléchit sur la technique dans son rapport à l’environnement mais aussi sur l’impact de la technique sur l’humanité Ø Il prend en compte la responsabilité de l’être humain vis-à-vis des générations futures Ø Il affirme la nécessité de formuler une éthique adaptée à la civilisation technologique 24 LSPS 3 – UE 7 - ©Elodie Boublil 2023-2024 Ø En effet, l’éthique traditionnelle n’est pas adaptée car dans le cas présent c’est l’humanité tout entière qui est en question Ø Jonas montre l’impuissance de l’humanisme classique « Après avoir prononcé une conférence sur l’éthique de l’expérimentation réalisée sur des êtres humains à Boston en 1967, qui lui donna une influence publique inattendue, Hans Jonas est nommé founding fellow du Hastings Center, institut de bioéthique créé en 1969. C’est alors l’occasion pour le philosophe d’exercer sa réflexion sur un ensemble de thèmes relevant du rapport entre morale et médecine et d’aborder par exemple la question de la transplantation des organes sur les corps qui viennent d’être déclarés morts selon les critères de l’école de Harvard, à savoir l’arrêt de l’activité cérébrale. » « L’éthique de la médecine n’est en effet, selon Jonas, qu’une application d’une éthique plus générale qui doit la fonder, car avant de s’intéresser à cet art particulier, la médecine, qui a pour objet le corps humain vivant, il faut s’intéresser au rapport général qui existe entre la valeur et la vie et à la manière dont la technique peut affecter cette relation. S’il existe des normes encadrant l’activité du médecin, et en amont celle du biologiste, qui tous deux se penchent sur la vie du corps, alors il faut pouvoir rendre raison de la nécessité de ces normes, et cela tout particulièrement dans un contexte où les nouvelles technologies semblent remettre en cause les finalités de ces arts. » (E. Pommier, Jonas, p. 120.) Les directions philosophiques nécessaires proposées par Jonas : Ø Nécessité d’une « éthique appliquée » à la technique Ø Refonder l’éthique et notamment la bioéthique à partir des possibilités nouvelles qu’offrent les innovations technologiques Ø Transformer la conception de la technique Ø La technique ne semble plus être un « aménagement de la nécessité naturelle, elle devient elle-même le but électif de l’humanité et une nécessité supérieure. Loin de garantir notre liberté, elle semble la compromettre. » (Ibid). 25 LSPS 3 – UE 7 - ©Elodie Boublil 2023-2024 Ø Cette distinction reprend l’idée d’un passage d’une conception primaire de la « technique » (modification de l’état naturel, construction d’artefacts et d’objets) à une conception secondaire correspondant à l’approche contemporaine de la technologie (idée d’innovation, de progrès, de dépassement de l’humain lui- même. Effet possible de ce renversement selon Jonas : risques possibles pour l’humanité.) En 1979, Jonas publie un ouvrage majeur : Le Principe Responsabilité Ø Influence très importante sur l’écologie politique Ø Selon Jonas : époque de la dystopie a succédé aux grandes utopies Ø Le pouvoir conféré à la technique menace l’avenir de l’humanité Ø Il est nécessaire de retrouver l’humain dans l’homme : formulation du principe de responsabilité Ø Préserver l’humanité de la destruction possible réalisée par l’homme lui-même ; l’objectif est le suivant : rendre possible les générations futures (contre l’idée d’immortalité) et leur assurer des conditions d’existence décentes (influence sur l’écologie) « Notre thèse est que les nouveaux types et les nouvelles dimensions de l’agir réclament une éthique de la prévision et de la responsabilité qui leur soit commensurable et qui est aussi nouvelle que le sont les éventualités auxquelles elle a affaire. Nous avons vu que ce sont là les éventualités qui surgissent des œuvres de l’homo faber à l’âge de la technique. Mais parmi ces œuvres nouvelles nous n’avons pas encore mentionné la classe potentiellement la plus néfaste. Nous avons envisagé la technè seulement dans son application au domaine non humain. Mais l’homme lui-même a commencé à faire partie des objets de la technique. L’homo faber applique son art à lui-même et s’apprête à inventer une nouvelle fabrication de l’inventeur et du fabricateur de tout le reste. Cet achèvement de son pouvoir de domination qui peut très bien signifier la victoire sur l’homme, cette ultime installation de l’art au-dessus de la nature, provoque l’ultime effort de la pensée éthique 26 LSPS 3 – UE 7 - ©Elodie Boublil 2023-2024 qui jamais auparavant n’avait eu à envisager des alternatives faisant l’objet d’un choix, face à ce qui était considéré comme les données définitives de la constitution de l’homme. » (Jonas, Le Principe Responsabilité, p. 51) Jonas fait allusion aux questions bioéthiques comme la manipulation génétique par ex; hybridation etc. « Ici encore le nouveau type d’intervention outrepasse les anciennes catégories éthiques. Celles-ci ne nous ont pas par exemple équipés pour nous prononcer sur le contrôle du psychisme au moyen d’agents chimiques ou par l’intervention directe sur le cerveau au moyen d’électrodes implantées – des interventions dont nous supposons qu’elles sont effectuées dans des buts acceptables et même louables. Le mélange des possibilités bienfaisantes et dangereuses est manifeste, mais les limites ne sont pas faciles à tracer. Libérer des patients malades mentaux des symptômes pénibles et qui perturbent certaines fonctions semble être manifestement bienfaisant. Mais du soulagement du patient – un but parfaitement en accord avec la tradition médicale – une transition insensible mène au soulagement de la société, débarrassée du caractère difficilement supportable d’un comportement individuel compliqué chez ses membres : cela signifie une transition de l’application médicale à l’application sociale ; et cela ouvre un champ indéfinissable, comportant des potentialités inquiétantes. » (Jonas, Le principe responsabilité, p. 54). Ø Jonas propose une réflexion éthique (dialogue et discussion politique) sur les orientations des recherches et les applications Ø Dans les mots de Arendt, on pourrait dire qu’on ne peut pas penser isolément les trois domaines de la vita activa (travail, œuvre, action) Du principe de responsabilité au principe de précaution Ø Principe de précaution élaboré au sommet de Rio (1992) – conférence de l’ONU sur l’environnement (sur la réduction des gaz à effet de serre) 27 LSPS 3 – UE 7 - ©Elodie Boublil 2023-2024 Ø « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement » (principe 15) Ø 1ère transposition en France (1995) : Loi Barnier (principe de précaution) « L’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût économiquement acceptable. » Ø 2ème transposition en France (2005) : inscription du principe de précaution dans la Constitution Ø Lien entre nouvelles technologies, applications scientifiques et problème de la responsabilité car méconnaissance des effets possibles. Nécessité d’un encadrement du développement technologique et de critères de décision. Les approches bioéthiques de la technique et de la société Ø Arendt identifie les trois dimensions de la vita activa qui sont entrelacées (le travail, l’œuvre et l’action) Ø Il est nécessaire, selon elle, de penser une éthique de la responsabilité afin de corriger l’incertitude et d’encadrer le développement technologique Ø Jonas, quant à lui, formule un nouvel impératif catégorique : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur Terre. » Prochain cours : Ø De la philosophie de la technique à la philosophie des techniques : définitions, statuts, enjeux éthiques et bioéthiques Ø Quel est le statut philosophique des objets techniques ? (Simondon) Ø Quels sont les principaux enjeux éthiques et bioéthiques de l’usage des technologies en santé ? 28

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