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La Promesse de l’Au-delà - PDF

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Summary

Cet essai explore le lien entre le djihadisme et la promesse de l'au-delà dans les religions monothéistes. L'auteur examine comment l'idée de la mort comme libération et la recherche d'une vie éternelle peuvent motiver la violence en lien avec la religion. Il présente différents exemples historiques et théologiques pour étayer son propos.

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II LA PROMESSE DE L’AU-DELÀ Outre l’héroïsme antique, le djihadisme se nourrit de la promesse de l’Au-delà, propre aux religions monothéistes. Elle alimente l’idéologie des islamistes les plus radicaux d’une obsession de la mort et l’arme d’une puissance létale redoutable. Cette exaltation, qui n’es...

II LA PROMESSE DE L’AU-DELÀ Outre l’héroïsme antique, le djihadisme se nourrit de la promesse de l’Au-delà, propre aux religions monothéistes. Elle alimente l’idéologie des islamistes les plus radicaux d’une obsession de la mort et l’arme d’une puissance létale redoutable. Cette exaltation, qui n’est pas propre à l’islam — que l’on songe aux croisades au Moyen Âge et aux guerres de Religion au XVIe siècle —, se cristallise à des moments particuliers, précisément quand une angoisse de la disparition envahit une communauté 1. La culture du djihad, que les oulémas avaient reléguée au second plan à l’époque ottomane, t son retour dans les livres depuis le XIXe siècle et par les armes à partir des années 2000, en raison de la crainte de voir la modernité priver la civilisation islamique de son identité. La « pensée djihadiste » situe la promesse de l’Au-delà au centre de sa réexion : la mort physique n’y est pas présentée comme un renoncement, un échec, une n, mais comme une libération, une délivrance, une naissance. La mémoire glorieuse du héros est propre à la culture païenne au sein de laquelle quelques rares grands hommes sont célébrés, alors que les autres sombrent dans l’oubli. Dans les religions monothéistes, au contraire, tous peuvent prétendre à l’éternité, même si tous n’auront pas droit au jardin des délices, au jardin d’Éden ou au paradis ; les réprouvés se consumeront éternellement dans les ammes de l’enfer. Le jugement favorable qui, dans l’Au- delà, ouvre les portes de ce monde de félicité peut être obtenu essentiellement par la perfection de l’existence terrestre : le judaïsme, le christianisme, l’islam voient dans la vie sans péchés le plus sûr chemin pour y accéder. Certaines interprétations des textes sacrés envisagent toutefois une voie alternative : le rachat des fautes serait accordé à ceux qui, malgré un parcours peccamineux en ce monde, réaliseraient un acte de sacrice suprême au nom de leur foi. La promesse du paradis pour celui qui tombe ou qui tue au cours d’une guerre sainte a été inférée des Écritures de ces trois grandes religions. Mais, le plus souvent, elles furent interprétées en sens contraire : pour la plupart des exégètes, les textes saints invitent à la paix et condamnent toute forme de violence, spécialement religieuse. Ce ne sont donc pas les religions elles- mêmes qui interdisent, autorisent ou encouragent le sacrice suprême mais ceux qui exhortent à agir en leur nom. Pour autant, l’utilisation de la religion par un responsable politique, ou la prise de position politique d’un guide religieux, n’a pas nécessairement de conséquence funeste. Qu’un chef d’État invoque la divinité relève de la banalité : quand le président des États-Unis demande à Dieu de bénir l’Amérique, nul ne songe qu’il ait rallié une idéologie théocratique. Qu’un religieux se prononce sur une question politique est également courant : quand les aumôniers militaires de diérents États se réunissent, nul n’est choqué que chacun défende son propre drapeau. En revanche, le droit que croit pouvoir s’attribuer un dirigeant, tant politique que religieux, de décider dès ici-bas, au nom de Dieu, du destin de l’âme d’un individu dans l’Au-delà renverse totalement l’ordre des choses. En eet, dans les grandes religions monothéistes, personne ne peut avoir la certitude, sur terre, que telle âme sera rachetée, que telle autre sera damnée. En rupture totale avec la tradition chrétienne des martyrs désarmés des premiers siècles, certains papes médiévaux vont pourtant assurer la vie éternelle à ceux qui, tels des « héros chrétiens », mourront pour défendre leur foi2. Dans une Europe en proie aux invasions, alors que le Latium était menacé et l’église Saint-Pierre de Rome livrée au pillage, le pape Léon IV décida en 847 de protéger la ville en faisant appel à des combattants allemands. Comme l’aurait fait une autorité temporelle, il se préoccupa de la défense militaire du territoire ; mais se prévalant de sa qualité de souverain pontife, il assura que « le royaume céleste ne [serait] pas refusé » à ceux qui tomberaient au combat, car le « Tout-Puissant sait qu’ils seront morts pour la défense de la foi et la sauvegarde de la patrie des chrétiens ». Par cette formule, le pape garantissait les combattants du paradis ou, du moins, assurait ceux qui mourraient lors des combats sans avoir eu le temps de faire pénitence, qu’ils n’en trouveraient pas les portes fermées. À cette nuance près, Léon IV s’érigea en chef de guerre qui entendait dispenser une récompense spirituelle en contrepartie de services militaires. Quelques décennies plus tard, en 878, le pape Jean VIII chercha à recruter des guerriers prêts à défendre Rome harcelée par des « Sarrasins ». Interrogé par des évêques sur le sort de ceux qui périraient en défendant la respublica christiana, il assura que les « victimes de la guerre sainte [étaient] des martyrs, et que leur sang, versé les armes à la main, [entraînerait] la rémission de leurs péchés » et leur procurerait la « vie éternelle ». Pour Jean VIII, comme naguère pour Léon IV, il s’agissait de défendre, non de conquérir ou de reconquérir. On assistait toutefois à un renversement complet de la conception traditionnelle des Pères de l’Église, tels Tertullien († vers 220) ou Lactance († vers 325), pour qui le salut était garanti au martyr qui préférait se sacrier plutôt que de faire verser du sang. Dans les textes qu’ils ont laissés, ces pontifes assimilaient les musulmans, qualiés d’« idolâtres », aux Romains qui avaient persécuté les premiers chrétiens. Parce qu’ils auraient en commun le martyre, le rapprochement pouvait être eectué entre les paciques victimes des persécutions du IVe siècle et les combattants aguerris du IXe siècle. Au milieu du XIe siècle, Léon IX, dans une logique parfaitement terrestre et territoriale, devait honorer du qualicatif de « soldats de saint Pierre » des mercenaires qui l’avaient aidé à défendre ses États contre des Normands, eux-mêmes chrétiens. Sans succès d’ailleurs, car ces « soldats ponticaux » allaient être défaits à Civitate le 17 juin 1053, et le pape capturé. Des théologiens de l’époque ne manquèrent pas de critiquer l’attitude du pape qui, présent sur les lieux, s’était métamorphosé, pour ainsi dire, en chef de guerre. Dans l’Occident médiéval, pour celui qui participait à une guerre qualiée de sainte par son initiateur, la rétribution était considérable. À une époque baignée de théologie augustinienne, le passage sur terre devait constituer une préparation à la vie éternelle : la mort physique orait en réalité la possibilité d’une naissance à une existence nouvelle, délestée d’un corps considéré comme le siège des passions et du péché. Mais ceux qui étaient appelés à mourir en martyrs, soit dans la sublime passivité de l’absolue conance en Dieu, soit dans l’ardent courage du combat contre les musulmans, auraient quelque chose de plus. Ces derniers, à l’image des héros antiques, seraient auréolés d’une gloire certaine qui resterait gravée dans la mémoire des vivants et ils se voyaient hissés au statut de « saint » qui, souvent, leur était décerné. Ceux qui avaient combattu glorieusement les indèles rejoignaient le panthéon des martyrs chrétiens. La religion chrétienne, qui avait rompu avec la culture romaine de l’héroïsme, renouait ainsi avec celle-ci en célébrant des saints martyrs aux vertus passablement viriles. La mutation fut amorcée par des papes qui, animés par un esprit militaire, défendaient des territoires attaqués par les « Sarrasins », s’estimant en état de légitime défense. Mais il en fut tout autrement quand il s’agit de conquérir — ou de reconquérir — Jérusalem. À Clermont en 1095, Urbain II exhorta les chrétiens à partir en croisade. Il promit, selon le témoignage de Foucher de Chartres, « en vertu de l’autorité [qu’il tenait] de Dieu », la rémission de leurs péchés « à tous ceux qui y [partiraient] et qui [mourraient] en route, que ce soit sur terre ou sur mer, ou qui [perdraient] la vie en combattant les païens ». Il exhorta les hommes qui s’adonnaient jusque-là « à des guerres privées et abusives » à aller combattre les indèles, « un combat qui vaut d’être engagé et qui mérite de s’achever en victoire », parce que les croisés y gagneront des « récompenses éternelles ». La croisade prônée par Urbain II ne poursuivait pas un objectif principalement territorial. La peregrinatio à Jérusalem, destination d’un des trois grands pèlerinages chrétiens avec Rome et Saint Jacques-de-Compostelle, résultait souvent de la condamnation à une « pénitence », prévue par le droit canonique, dont l’accomplissement conditionnait la remise des péchés. Outre cette dimension pénitentielle, la croisade fut imaginée pour protéger les pèlerins qui risquaient de se voir dépouillés et maltraités au terme de ce périlleux voyage (dès 1065, des hommes armés les avaient accompagnés dans ce but). Avant tout, cependant, la croisade avait pour objectif la reconquête des lieux saints dont les musulmans s’étaient emparés en 638. Le pape espérait également, sans doute, un rapprochement avec les Églises chrétiennes d’Orient, après la scission du Grand Schisme de 1054. Mais le succès inattendu de l’appel à la croisade s’explique d’abord par la mystique singulière de la Jérusalem céleste. Au cours des huit croisades qui se déroulèrent entre 1095 et 1291, des chevaliers, des déshérités, des désespérés et même des enfants allaient ainsi prendre les routes vers une ville qui n’abritait pas seulement le tombeau de Jésus, mais qui était considérée comme le point de la jonction entre la terre et le Ciel, entre le temps et l’éternité, entre l’ici-bas et l’Au-delà, le lieu qu’il fallait détenir pour permettre la réalisation de la n des temps, annoncée par l’évangéliste Jean dans son Apocalypse. À ce titre, le succès militaire des croisés devait accomplir un dessein eschatologique. Dans son cheminement vers Jérusalem, le croisé se rapprochait de Dieu, objectif même de la vie terrestre. S’il venait à périr sur la route de la Terre sainte, l’union avec Dieu, qui devait fatalement advenir, n’était qu’anticipée. La glaçante « célébration » de la mort au combat des « martyrs » djihadistes peut faire écho à l’épisode des croisades, un écho « inversé » en quelque sorte. Dans la revendication des attentats de novembre 2015, Paris est qualiée de ville « qui porte la bannière de la croix en Europe », parce que la France a « pris la tête de la croisade » : « Qu’Allah accepte [les combattants], poursuit le communiqué, parmi les martyrs et nous permette de les rejoindre 3. » Faire aujourd’hui référence à un événement bientôt millénaire peut nous surprendre, nous qui goûtons peu les trajectoires historiques longues : les croisades demeurent cependant très présentes dans l’imaginaire de ces sunnites radicaux. En eet, le sens quasi martial du service de Dieu inauguré lors des premières croisades par les chrétiens rencontra un écho immédiat du côté musulman : le thème ancien du djihad allait se trouver revivié et réinterprété dans un sens plus guerrier par les oulémas contemporains de la perte, en 1099, de l’esplanade des Mosquées de Jérusalem (al Quds en arabe). En réalité, au moment où les croisés ont conquis la Ville sainte, le djihad ne constituait plus, depuis au moins un siècle, un thème central de la littérature musulmane. C’est l’apparition d’une forme d’héroïsme chrétien de tonalité martiale ainsi que les menées orientales des croisés qui allaient le « réveiller » à l’aube du XIIe siècle. Le terme de djihad, ou les expressions qui en dérivent — tel moudjahid, qui signie « combattant » ou « résistant » —, traduit l’idée d’eort, tant spirituel que physique. Les théologiens musulmans distinguent généralement le djihad majeur, celui où le croyant se rapproche d’Allah par son activité spirituelle, du djihad mineur, qui prend la forme d’un zèle physique, jusqu’au combat armé, pour défendre l’islam ou pour assurer son expansion. La notion de combattant — le moudjahid, donc — qui succombe en martyr alors qu’il mène une guerre sainte s’enracine dans cette conception du djihad mineur. À partir d’interprétations du Coran qui mettaient particulièrement l’accent sur le djihad, des constructions théologiques allaient être élaborées pour donner naissance à ce que l’on peut qualier d’idéologie « djihadiste ». Pour les auteurs qui s’inscrivent dans cette perspective, le martyr (shahîd) aura accès au paradis en faisant l’économie du Jugement dernier4. Ils interprètent notamment trois versets de la sourate 3 du Coran : « Ne pense pas morts ceux qui ont été tués dans le sentier de Dieu. Ils sont vivants, au contraire, auprès de leur Seigneur, et bien pourvus. Ils sont heureux de la grâce que Dieu leur a octroyée et ils attendent avec joie ceux qui les suivent sur le chemin de Dieu et ne les ont pas encore rejoints, ils savent qu’ils ne connaîtront nulle crainte et ne seront nullement attristés. Ils attendent avec joie et sont ravis d’un bienfait venant de Dieu et d’une grâce accordée par Lui, et ils savent que Dieu ne laisse pas perdre le salaire des croyants. » Dès 923, l’exégète sunnite al-Tabari rapportait qu’après l’installation du prophète à Médine et le ralliement de ses habitants à l’islam, Mahomet aurait ordonné à ses adeptes de faire la guerre aux indèles, Allah promettant l’entrée au paradis à ceux qui accompliraient le djihad. Cette promesse, qui n’a pas manqué de galvaniser les combattants, contribua à la victoire de Badr en 624, premier succès de la jeune communauté contre ceux des Mecquois qui avaient contraint les musulmans à s’exiler à Médine. Un an plus tard, alors qu’ils avaient échoué contre les revanchardes troupes mecquoises à Uhud, le prophète aurait déclaré : « Je suis témoin à leur sujet qu’Allah leur redonnera vie au jour de la résurrection 5. » Contrairement au Mahomet de La Mecque, aux prédications essentiellement spirituelles jusqu’en 622, celui de Médine apparut davantage comme le chef d’une nouvelle communauté, religieuse sans doute, mais aussi politique et territoriale. Après le retour à La Mecque en 630, la confusion entre religion et politique s’accentua. À l’issue de cette période, le petit djihad (physique) fut interdit dans le « territoire de l’islam » (Dâr al-islam), mais recommandé, voire imposé à l’extérieur, dans la zone appelée « territoire de la guerre » (Dâr al-harb), que la « guerre » en question fût spirituelle ou militaire. Avec l’extension rapide de l’islam au VIIIe siècle, des Pyrénées à l’Indus, les théologiens et les juristes sunnites rent du djihad un objet important de leurs réexions6. Puis le thème passa au second plan, peut-être en raison d’une certaine stabilisation des frontières du monde islamique, même si les conits entre7tribus ne cessaient d’être vifs au sein de la communauté musulmane. Ce sont les croisades qui allaient par conséquent stimuler le renouveau de la réexion sur le djihad après quatre siècles de relatif eacement ; elles favorisaient ainsi une forme d’idéologie djihadiste centrée surtout sur la lutte contre les chrétiens partis à la conquête de la Terre sainte. En 1105, l’ouléma damasquin Ali ibn Tâhir al- Sulamî qualia la croisade de « djihad contre les musulmans » dans son Incitation à la guerre sainte (Kitab al-Jihad). Et de mettre en garde les siens : « Appliquez-vous à remplir le précepte de la guerre sainte ! Prêtez-vous assistance les uns aux autres an de protéger votre religion et vos frères ! Saisissez cette occasion d’eectuer chez l’Indèle cette incursion qui n’exige pas un eort trop grand et qu’Allah vous a préparé. C’est un paradis que Dieu fait approcher très près de vous, un bien de ce monde à posséder vite, une gloire qui durera de longues années. Gardez-vous de ne pas manquer cette occasion, de peur qu’Allah dans la vie future ne vous condamne au pire, aux ammes de l’enfer8. » Cette injonction fait écho, comme en miroir, à la rhétorique de la croisade. Dans les deux cas, le rapport au temps subit un renversement décisif pour promouvoir une sorte de politique de l’Au-delà : contrairement aux apparences, celui qui risque sa vie pour Dieu ne fait pas le choix du temps court mais celui du temps long, celui de l’éternité de la gloire qui lui est promise. L’exhortation d’al-Sulamî allait plus loin encore, se doublant d’une menace : ceux qui refuseraient le djihad s’exposeraient sur terre à l’oubli et, dans l’Au-delà, à un autre inni, celui de l’enfer. Au XIIIe siècle, chez les chrétiens, l’idéologie de la croisade s’essoua, ou plutôt, elle fut mise à prot pour lutter contre les hérésies « intérieures » (vaudois, cathares) ou pour s’en prendre aux juifs. Celle du djihad se maintint chez les musulmans qui devaient faire face à une menace venant de l’Est cette fois, celle des Mongols menés par Gengis Khan, puis par son petit-ls qui, après avoir détruit Bagdad en 1258, mit n à la dynastie abbasside qui régnait depuis un demi-millénaire sur l’Irak. Le jurisconsulte Ibn Taymiyya (1263-1328) — une référence essentielle pour les plus ardents des sunnites d’aujourd’hui — durcira même la doctrine djihadiste en allant jusqu’à donner la priorité au petit djihad (combat armé) sur le grand (eort personnel de rapprochement vers Dieu). Prônant l’anathème (takr) contre les musulmans qui manqueraient de combativité, il entendait les chasser de la communauté des croyants (oumma). e Avant de prospérer à nouveau, du XIX siècle à aujourd’hui, l’idée que la guerre sainte garantirait l’Au-delà à ceux qui la mènerait s’estompa à partir du XVe siècle dans l’Empire ottoman. Le djihad ne disparut certes pas des thèmes d’exégèse islamique mais il cessa d’être utilisé dans un esprit belliqueux, ou considéré comme un mode d’action du croyant. À partir du XVIe siècle, les souverains ottomans, indirectement marqués par la modernité politique occidentale naissante, envisagèrent la guerre dans une logique terrestre, politique, utilitaire sur le plan économique, n’excluant pas au besoin des rapprochements avec des princes « indèles ». L’alliance envisagée ainsi par Charles Quint entre le Saint Empire et la Perse chiite à partir de 1525, d’un côté, et celle conclue entre François Ier et l’Ottoman sunnite Soliman le Magnique en 1536, de l’autre, traduisent les progrès de la dissociation ou, au moins, de la distanciation entre les aaires de la Cité et les espérances eschatologiques. On assistait à la n, toute provisoire comme on va le voir, de l’utilisation politique de la promesse de l’Au-delà : en Orient comme en Occident, l’entrée dans l’ère moderne avec pour seul horizon politique les frontières de l’ici-bas. Les terroristes djihadistes d’aujourd’hui se réfèrent volontiers au Moyen Âge, époque glorieuse de l’islam s’il en est. Ils puisent dans un fonds religieux, mais aussi culturel, moins propre à la religion musulmane qu’à un type de rapport à la religion profondément antimoderne. La subordination du politique au religieux, au cœur du djihadisme contemporain, fut embrassée par les croisés comme par ceux qui les ont combattus du XIe au XIIIe siècle : alors qu’on aurait pu l’imaginer révolue, cette ambition allait resurgir en Europe occidentale au XVIe siècle au cours des guerres de Religion, une lutte entre chrétiens cette fois. De la n de ces conits « fratricides » vont éclore l’idée de tolérance et le concept d’État : ce sont à présent ces murs porteurs de la modernité politique que les djihadistes parviennent à ébranler et qu’ils espèrent détruire. 1. Voir, sur ce point, Denis Crouzet et Jean-Marie Le Gall, Au péril des guerres de Religion, Paris, PUF, 2015. 2. On suit ici Jean Flori, Guerre sainte, jihad, croisade. Violence et religion dans le christianisme et l’islam, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Point Histoire », 2002, et Prêcher la croisade, XIe- XIIIe siècle. Communication et propagande, Paris, Perrin, 2012. 3. Ce texte, intitulé « Communiqué sur l’attaque bénie de Paris contre la France croisée », est reproduit par Gilles Kepel dans Terreur dans l’Hexagone. Genèse du djihad français, Paris, Gallimard, 2015. 4. Coran, sourate 3, versets 169-171. Voir aussi, dans le même sens, la sourate 2, verset 154, et la sourate 4, verset 74. 5. Alfred Morabia († 1986), Le Gihâd dans l’Islam médiéval. Le « combat sacré » des origines au XIIe siècle (1993), Paris, Albin Michel, rééd. 2013, p. 150. 6. Pour l’écrasante majorité des chiites en revanche, le djihad est « suspendu » jusqu’à la réapparition, à la n des temps, de l’« imam caché » — le quatrième ls d’Ali qui serait dans un monde invisible — ou de l’un de ses mandataires. 7. Voir A. Morabia, Le Gihâd dans l’Islam médiéval, op. cit. 8. Traduit par Emmanuel Sivan dans « La genèse de la contre-croisade : un traité damasquin du XIIe siècle », Journal asiatique, vol. 254, 1966, p. 219.

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