Histoire - L'Europe et le monde de l'Antiquité à 1815 - Chap. 2 - NUM BR.docx PDF

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This document is a chapter on the history of Rome and its empire, covering the period from antiquity to the 1800s, providing a chronological overview focusing on events and figures in ancient Roman history.

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Histoire - L\'Europe et le monde de l\'Antiquité à 1815 **Partie I. L\'Antiquité** ISBN: 9782091728216 CPHV, Lausanne, Suisse p28 Chapitre 2. Rome et son empire ============================== Après la fondation de la République romaine, vers 500 av. J.C., Rome, cité-État à l\'origine, étend sa...

Histoire - L\'Europe et le monde de l\'Antiquité à 1815 **Partie I. L\'Antiquité** ISBN: 9782091728216 CPHV, Lausanne, Suisse p28 Chapitre 2. Rome et son empire ============================== Après la fondation de la République romaine, vers 500 av. J.C., Rome, cité-État à l\'origine, étend sa domination sur l\'Italie; au début du Ier siècle av. J.C., elle a conquis l\'ensemble de la Méditerranée, qui devient pour les Romains \"[Mare nostrum]\" (\"notre mer\"). Après sa victoire sur sa grande rivale Carthage, détruite en 146 av. J.C., Rome connaît de fortes tensions internes. Les guerres de conquêtes ébranlent les institutions de la République, qui ne sont plus adaptées à la possession d\'un vaste empire. Débute alors une période de guerres civiles qui donne naissance à une monarchie, après la victoire d\'Octave en 31 av. J.C. Celui-ci devient le premier empereur de Rome sous le nom honorifique d\'Auguste. Au IIème siècle apr. J.C., l\'Empire romain atteint sa plus grande extension. L\'unité, instaurée par Rome entre des régions très éloignées les unes des autres, a laissé des traces jusqu\'à nos jours. \--Quels changements la chute de la République et la naissance du régime impérial ont-elles provoqués? \--En quoi l\'héritage de Rome est-il toujours actuel? #### Chronologie \--58-52 av. J.C.: César conquiert la Gaule \--31 av. J.C.: Victoire d\'Octave à Actium, fin des guerres civiles \--27 av. J.C.: Octave prend le nom d\'Auguste, début du principat \--12-9 av. J.C.: Campagnes de Drusus en Germanie \--9 apr. J.C.: Bataille de Teutobourg, défaite de Varus en Germanie \--83 apr. J.C.: Guerre \[de Domitien\] contre les Chattes, début de la construction du [limes] en Germanie \--98-117 apr. J.C.: Règne de Trajan, forte expansion de l\'Empire romain \--212-213 apr. J.C.: Règne de Caracalla, octroi de la citoyenneté romaine à tous les habitants de l\'Empire \--260 apr. J.C.: Abandon du [limes] de Germanie supérieure et de Rhétie \--382 apr. J.C.: Migrations des Goths dans l\'Empire \--476 apr. J.C.: Chute de l\'Empire romain d\'Occident p29 #### Doc. 1) De la conquête de l\'Empire\... \[Image\] Sous le règne d\'Auguste, le poète Virgile fait dire au dieu romain Jupiter: \"À eux, je ne fixe de limite ni dans l\'espace ni dans le temps. Je leur ai conféré un royaume sans fin.\" (Virgile, \"Énéide\", VI, 278-279). La gigantesque statue en marbre d\'Auguste, découverte en 1863 à Primaporta, près de Rome, exprime la même prétention de Rome à dominer le monde. L\'empereur y est représenté en général victorieux. La scène sculptée sur sa cuirasse n\'évoque pourtant pas une victoire militaire, mais un succès diplomatique: la restitution négociée des enseignes des légions romaines, perdues contre les Parthes en 53 av. J.C. #### Doc. 2) \... à la défense de ses frontières \[Image\] Les successeurs d\'Auguste n\'ont jamais officiellement renoncé à la domination mondiale. À partir de la fin du Ier siècle cependant, Rome commence à marquer les frontières de son empire par des limites (au singulier, [limes]). Dans un premier temps, le [limes] n\'est matérialisé que par des fossés sommaires, des sentiers de patrouille et des camps militaires, construits à intervalles réguliers. Il est consolidé ensuite par des tours de garde, des palissades de bois, des murs de pierre, etc. Sur la photographie: vestiges de la muraille d\'Hadrien près de Houestards, dans le nord de l\'Angleterre, érigée dans les années 120 apr. J.C. pour défendre la Bretagne romaine contre les tribus écossaises. p30-31 #### Carte: L\'Empire romain à l\'époque de l\'empereur Trajan (98-117 apr. J.C.) \[Carte\] p32 1. De la République au principat (59 av. J.C. \-- 14 apr. J.C.) --------------------------------------------------------------- Comment la République romaine a-t-elle fait place à un nouveau régime politique, le principat? ### La République romaine: conquêtes et crise intérieure Les guerres victorieuses menées contre Carthage (264-146 av. J.C.) ont provoqué une tension extrême à Rome. Les paysans mobilisés, qui forment la grande masse de la population, ne peuvent plus cultiver leur terre et sombrent dans la misère. C\'est pourquoi, à partir de la fin du IIème siècle av. J.C., l\'armée de citoyens se transforme en une armée de soldats professionnels. L\'appareil administratif, conçu à l\'origine pour une cité-État, est incapable de faire face à la multiplication des nouvelles provinces: leurs gouverneurs ([promagistrats\#]), nommés normalement pour un an, y restent de plus en plus longtemps. Cette évolution, accélérée par les conquêtes militaires, nourrit les ambitions de généraux qui, en poste durant de longues années, peuvent acheter la fidélité de leurs soldats en leur accordant de nombreux avantages matériels. C\'est ainsi que Jules César, consul en 59 av. J.C., s\'appuie sur la conquête de la Gaule pour éliminer tous ses adversaires politiques et se faire nommer dictateur à vie au terme d\'une guerre civile (voir leçon 3, p. 38). Il se heurte toutefois aux grandes familles nobles, qui, jusque-là, se partageaient le pouvoir au [Sénat\#]. César est assassiné en 44 av. J.C. par un groupe de sénateurs. ### Un pouvoir personnel derrière une façade républicaine: le principat d\'Auguste Néanmoins, l\'assassinat de César ne permet pas de rétablir la République. De nouvelles guerres civiles éclatent, à l\'issue desquelles le fils adoptif de César, Octave, parvient à s\'imposer. Associé à Marc Antoine, consul en 44 av. J.C., il l\'emporte sur les assassins de César. Les deux hommes se partagent les provinces orientales et occidentales de l\'Empire: Antoine réside à Alexandrie, en Égypte, Octave reste à Rome. En 32 av. J.C., sous la pression d\'Octave, le Sénat déclare la guerre à Antoine et à son alliée, la reine d\'Égypte Cléopâtre. Ils sont vaincus lors de la bataille navale d\'Actium, en 31 av. J.C., Octave est désormais le maître de l\'Empire romain. Il a tiré les leçons des erreurs de César et évite de porter le titre de dictateur ou de roi. Nommé \"[Princeps Senatus]\" (le premier parmi ses pairs au Sénat), il déclare vouloir restaurer la République, dont les institutions sont maintenues. Le princeps gouverne en concentrant entre ses mains des pouvoirs autrefois détenus par plusieurs magistrats. En 27 av. J.C., Octave remet ses pouvoirs exceptionnels au Sénat, qui lui octroie en échange le titre honorifique d\'Auguste. En politique extérieure, Auguste récupère les pouvoirs de commandement des proconsuls (l\'[imperium\#] proconsulaire). Il se fait attribuer, par la suite l\'ancien, pouvoir des tribuns de la plèbe, la puissance tribunicienne: elle lui donne le droit de convoquer le Sénat et de s\'opposer à toute décision d\'un magistrat. ### Une nouvelle ère de paix ([Pax Augusta]) Après un siècle de guerres civiles permanentes, le règne d\'Auguste paraît ouvrir une nouvelle ère, alors baptisée [Pax Augusta], la \"paix augustéenne\". Dans les provinces, Auguste reprend en main l\'administration des finances; il réprime les abus des compagnies de publicains, entrepreneurs privés qui assuraient le recouvrement de l\'impôt pour le compte de l\'État et s\'enrichissaient sur le dos des populations locales. L\'architecture, l\'art, la littérature et les sciences connaissent un nouvel âge d\'or. L\'accession d\'Auguste au pouvoir a fait néanmoins des milliers de victimes; les rangs de l\'aristocratie sénatoriale ont été décimés. ### Vocabulaire [\#Consuls]: les deux plus hauts magistrats de l\'État romain, élus pour un an. Ils sont assistés par les préteurs, qui sont de rang inférieur et dont la fonction principale est de rendre la justice. [\#Princeps] (\"le premier\"): titre accordé, sous la République, au sénateur du rang le plus élevé, qui sert ensuite à désigner l\'empereur. Contrairement au titre de dictateur à vie porté par César, il permet de sauvegarder l\'apparence républicaine du régime et de ménager les prérogatives du Sénat. Le principat n\'en reste pas moins une monarchie. [\#Proconsul]: magistrat faisant office de consul. Choisi parmi les anciens consuls pour gouverner une province, il exerce le commandement ([imperium]) des légions qui y sont stationnées. [\#Promagistrat] (gouverneur): représentant d\'un magistrat. Il dirige, au nom des consuls et des préteurs, l\'administration d\'une province, ainsi que le commandement en chef des légions dans les guerres, de plus en plus nombreuses, livrées par Rome. [\#Sénat]: conseil de la République romaine, composé, au Ier siècle av. J.C., de six cents sénateurs à vie. Bien que le Sénat n\'ait formellement le droit que de donner des conseils aux magistrats, et ce à leur demande (sénatus-consultes), sa composition et ses compétences très larges en font le principal organe de pouvoir de l\'aristocratie romaine. #### Doc. 1) Buste de César \[Image\] Il s\'agit vraisemblablement de l\'un des seuls bustes de César sculptés de son vivant. Au moment de son assassinat (en 44 av. J.C.), César porte le titre de \"dictateur à vie\" et une partie de l\'aristocratie sénatoriale le soupçonne de vouloir accéder à la dignité royale. p33 #### Doc. 2) La prise du pouvoir par Auguste, vue par lui-même À la fin de sa vie, Auguste a lui-même consigné les \"hauts faits\" ([Res Gestae]) de son règne, dans un texte gravé sur des tables de bronze, dressées à l\'entrée de son mausolée. Ce texte est perdu, mais on en a retrouvé une copie, au XVIème siècle, sur un temple d\'Ancyre. Pendant mon sixième consulat et septième consulat \[28 et 27 av. J.C.\], après avoir éteint la guerre civile en vertu des pouvoirs absolus que m\'avait conférés le consentement universel, j\'ai fait passer la République de mon pouvoir dans celui du Sénat et du peuple romain. Pour honorer cet acte méritoire, par sénatus-consulte j\'ai été nommé Auguste; les piédroits de ma maison furent officiellement ornés de lauriers, une couronne civique fut fixée sur son linteau, et un bouclier d\'or fut déposé dans la Curie, avec une inscription attestant que le Sénat et le peuple romain me l\'offraient en raison de mes vertus militaires, de ma clémence, de ma justice et de ma piété. Dès lors, je l\'ai emporté sur tous en autorité, mais je n\'ai pas eu plus de pouvoirs qu\'aucun de mes collègues dans mes diverses magistratures. \"Res Gestae\",34 #### Doc. 3) Autel de la paix ([Ara Pacis])\^ \[Image\] L\'Autel de la paix a été commandé par le Sénat en l\'honneur d\'Auguste en l\'an 13 av. J.C. Il célèbre les bienfaits de l\'ère augustéenne. Le personnage central, du bas-relief reproduit ici, a été identifié comme Tellus-Italia, incarnation de la terre nourricière (italienne). #### Doc. 4) Le principat du point de vue d\'un historien antique Membre de l\'aristocratie sénatoriale, l\'historien Tacite revient, au début du IIème siècle apr. J.C., sur les dernières années du règne d\'Auguste. Quand il eut séduit le soldat par ses dons, le peuple par ses distributions de blé, tout le monde par les douceurs de la paix, il commença à s\'élever par degrés et à tirer à lui les prérogatives du Sénat, des magistrats, des lois. Nul ne lui résistait: les plus déterminés étaient tombés sur les champs de bataille ou victimes de la proscription; ce qui restait de nobles montrait d\'autant plus d\'empressement à servir que la servitude les élevait en opulence et en dignités; et comme le nouvel état avait augmenté leur puissance, ils préféraient le présent et sa sécurité au passé et à ses dangers. Les provinces non plus n\'avaient pas de répugnance pour le nouvel ordre de choses: elles voyaient d\'un mauvais œil le gouvernement du Sénat et du peuple, à cause des rivalités des grands et de l\'avarice des magistrats, et ne trouvaient qu\'un secours inefficace dans les lois, dont la violence, la brigue et l\'argent troublaient l\'action \[\...\]. À cette époque, il ne restait aucune guerre sinon contre les Germains, où l\'on se proposait plutôt d\'effacer l\'opprobre du désastre de Quintilius Varus et de son armée que d\'étendre les limites de l\'Empire ou de conquérir un avantage de valeur À l\'intérieur tout était tranquille; les noms des magistratures étaient les mêmes; tous les jeunes Romains étaient nés après la victoire d\'Actium, et même les vieillards étaient pour la plupart venus au monde pendant les guerres civiles: combien restait-il d\'hommes qui eussent vu la République? La révolution ([verso civitatis statu]) était donc un fait accompli et il ne restait rien de l\'ancien esprit, si entier: chacun, répudiant l\'égalité, épiait les ordres du prince, sans concevoir pour le présent la moindre crainte, tant qu\'Auguste, dans la force de l\'âge, fut de taille à maintenir son activité, sa maison et la paix. Comme sa vieillesse à son déclin était accablée d\'infirmités physiques, que sa fin était proche et éveillait de nouveaux espoirs, quelques-uns se mirent, mais en vain, à discourir des biens de la liberté: beaucoup redoutaient la guerre, d\'autres la désiraient. Tacite, \"Annales\", I, 2, 4. ### Pistes de travail 1\. Pourquoi la conquête romaine a-t-elle provoqué la chute de la République? (leçon) \_\_\_ 2\. Quelles leçons Auguste a-t-il tirées des erreurs politiques de son père adoptif, César ? (leçon, doc. 1 et 2) \_\_\_ 3\. Citez les principaux pouvoirs conférés au princeps. (leçon) \_\_\_ 4\. Selon quelle perspective Tacite envisage-t-il rétrospectivement le principat? Comparez l\'analyse de Tacite avec le récit fait par Auguste lui-même de sa prise de pouvoir. (doc.2 et 4) \_\_\_ 5\. Un État gouverné par un seul homme est-il, selon vous, plus efficace qu\'une République dirigée par des familles nobles? \_\_\_ p34 2. L\'Empire romain (27 av. J.C. \-- 213 apr. J.C.): les fondements de l\'État et de la société ----------------------------------------------------------------------------------------------- Quel ordre social a-t-il été institué durant les deux premiers siècles de l\'Empire, et quelles en ont été les conséquences sur les conditions de vie de la population? ### L\'empereur \-- le sommet de la hiérarchie En 14 apr. J.C., Auguste laisse à son successeur Tibère, son fils adoptif, un pouvoir consolidé. Les conflits, qui s\'expriment rarement de manière ouverte, entre le princeps et la noblesse sénatoriale, s\'aplanissent à la fin du Ier siècle apr. J.C. Mis à part de brèves crises, l\'Empire romain conserve, durant deux siècles, sa stabilité politique et sociale. Issue de César, la dynastie julio-claudienne prend fin, avec Néron, en 68 apr. J.C. Après les brefs troubles des années 68-69 apr. J.C., elle est remplacée par celle des Flaviens, avec Vespasien et ses fils, Titus et Domitien. Mais en 96 apr. J.C., l\'assassinat de Domitien, haï des sénateurs, interrompt de nouveau la transmission héréditaire du pouvoir. Les successeurs de Nerva, Trajan (98-117 apr. J.C.), Hadrien, Antonin le Pieux et Marc-Aurèle (161-180 apr. J.C.) deviennent empereurs après avoir été adoptés par leur prédécesseur. La succession par adoption devient alors la doctrine officielle censée permettre au meilleur d\'accéder au pouvoir impérial. Mais, dès la mort de Marc-Aurèle, le [principe héréditaire\#] s\'impose de nouveau avec l\'investiture de son fils Commode; il continue de s\'appliquer ensuite sous la dynastie des [Sévères\#] (193-235 apr. J.C.). ### Sénateurs, chevaliers, décurions \-- les élites sociales de l\'Empire Le princeps accapare le pouvoir que détenaient autrefois les sénateurs, en raison de leur naissance, de leur richesse et de leurs aptitudes militaires. Un pouvoir [oligarchique\#] est ainsi remplacé par un système [monarchique\#]. Toutefois, l\'ordre sénatorial forme toujours l\'élite de l\'empire: il regroupe les familles dont la fortune est d\'au moins un million de sesterces (la monnaie romaine). C\'est en son sein que sont recrutés les détenteurs des principales charges civiles et militaires, dont celles de [gouverneur\#] des provinces importantes. À partir du règne d\'Auguste, Italiens et provinciaux sont de plus en plus nombreux à accéder au rang de sénateurs. Pour faire partie de l\'ordre équestre, il faut disposer d\'une fortune minimale de 400000 sesterces. Sous la République, les chevaliers étaient cantonnés dans la gestion des affaires financières ou des marchés publics, comme par exemple le recouvrement des impôts, dont ils faisaient l\'avance à l\'État, puis en assuraient la perception moyennant un bénéfice. Ils ont désormais la faculté d\'entreprendre une carrière administrative lucrative et d\'accéder au rang de sénateurs. Au niveau local, les nombreuses cités de l\'Empire sont administrées par les décurions qui, avec les chevaliers, forment les membres des conseils municipaux. ### Plèbe et esclaves \-- la majorité de la population de l\'Empire La majorité de la population libre vit en milieu rural ([plebs rustica]),souvent dans des conditions très difficiles. La population de Rome ([plebs urbana]) connaît une situation économique plus enviable sous le règne des empereurs, qui s\'efforcent d\'acheter la paix sociale en lui offrant [\"du pain et les jeux\" (panem et circenses)\#]. Relégués au plus bas de la hiérarchie sociale, les esclaves connaissent un sort très différent, selon qu\'ils travaillent durement dans les mines et sur les grands domaines ruraux (les latifundia), ou au domicile des grandes familles romaines. Contrairement à leur situation en Grèce, les esclaves, à Rome, peuvent plus souvent être affranchis ou racheter leur liberté. Les fils d\'affranchis sont libres dès leur naissance et ont accès aux magistratures. Dans l\'ensemble, la grande majorité de la population appartient aux catégories sociales inférieures, les [humiliores] (\"le bas peuple\"), très désavantagés, y compris d\'un point de vue juridique, par rapport aux [honestiores] (\"les honorables\") qui sont privilégiés. Dans les provinces, la situation des [pérégrins\#], moins soumis à l\'arbitraire des percepteurs et des gouverneurs, tend à s\'améliorer au cours de la période impériale. En 212/213 apr. J.C., l\'empereur Caracalla accorde la citoyenneté romaine à presque tous les hommes libres de l\'Empire (voir dossier, p.36). ### Vocabulaire [\#\"Du pain et des jeux\" (panem et circenses)]: expression employée par le poète Juvénal pour dénoncer la dépendance de la plèbe de Rome à l\'égard des distributions de blés et des divertissements financés par l\'empereur (combats de gladiateurs ou chasses aux animaux dans l\'amphithéâtre, par exemple). [\#Gouverneur]: voir Promagistrat, p. 32 [\#Monarchique]: de \"monarchie\", qualifie le règne d\'un seul homme. [\#Oligarchique, oligarchie]: voir p. 14 [\#Pérégrins]: hommes libres résidant dans les provinces qui ne disposent pas du droit de de citoyenneté romaine ni des privilèges qui l\'accompagnent. [\#Sévères]: dynastie, fondée par Septime Sévère (193-211 apr. J.C.), à laquelle appartient, entre autres, l\'empereur Caracalla (211-217 apr. J.C.).Originaires d Afrique du Nord, les Sévères illustrent les possibilités de promotion offertes aux élites provinciales durant la période impériale. ### Notion clé [\#Principe héréditaire]: règle de succession selon laquelle le pouvoir du souverain se transmet au sein d\'une même famille biologique (au fils aîné par exemple). ### Pistes de travail 1\. Décrivez la structure de la société romaine. Comparez les hiérarchies sociales fondées sur la fortune avec celles qui tiennent compte du statut juridique des différentes catégories de la population. (leçon, doc. 1 à 5) \_\_\_ 2\. À partir de l\'exemple des Sévères, caractérisez les possibilités d\'intégration et de promotion dans l\'Empire romain. (leçon, doc.2) \_\_\_ 3\. Comparez le statut des humiliores et des honestiores avec celui des citoyens dans l\'actuel Code pénal. Pensez-vous que cette distinction ait encore cours dans le droit actuel ? (doc. 5) \_\_\_ p35 #### Doc. 1) La structure pyramidale de la société romaine (d\'après Geza Alföldy) \[Schéma\] Honestiones (classes supérieures) \--empereur, famille impériale \--ordre sénatorial \--ordre équestre (chevaliers) \--décurions (élites municipales) Humiliores (classes inférieures) [plebs urbana] \--ingenui (hommes libres) \--liberti (affranchis) \--servi (esclaves) [plebs rustica] \--ingenui (hommes libres) \--liberti (affranchis) \--servi (esclaves) Ce schéma, proposé par l\'historien germano-hongrois Alfödi, est discutable, d\'un point de vue historique, dans la mesure où il s\'appuie sur le concept moderne de classe sociale pour représenter les hiérarchies de la société romaine. Or, à cette époque, la position sociale d\'un individu dépend non seulement de sa fortune, mais aussi de son statut juridique. Les affranchis impériaux font ainsi partie des hommes les plus riches de l\'Empire, alors que d\'un point de vue juridique, ils sont placés au-dessous des citoyens nés libres (\"ingenui\"). #### Doc. 2) Les Sévères: l\'accession au pouvoir impérial d\'une dynastie nord-africaine \[Image\] Ce relief représente l\'empereur Septime Sévère et ses fils, Caracalla et Geta, sur un char de triomphe (203 apr. J.C.). Sous la République, tout général romain peut obtenir l\'honneur du triomphe; sous l\'Empire, il est réservé aux membres de la famille impériale. Relief de l\'Arc de triomphe de Septime Sévère à Leptis Magna, sa ville natale (aujourd\'hui en Libye), marbre, Tripoli, Musée archéologique. #### Doc. 3) L\'emploi du temps d\'un sénateur Dans une lettre écrite à l\'un de ses amis, Pline le Jeune décrit l\'emploi du temps de sa journée. Je m\'éveille quand je puis \[\...\]. Si j\'ai quelque ouvrage commencé, je m\'en occupe. \[\...\] J\'appelle un secrétaire, je fais ouvrir les fenêtres, et je dicte ce que j\'ai composé \[\...\]. Dix ou onze heures venues \[\...\], je me lève; et, selon le temps qu\'il fait, je me promène dans une allée ou dans une galerie, et j\'achève ou je dicte le reste de ce que je me suis proposé. Ensuite je monte dans une chaise; et là \[\...\] je continue à faire ce que j\'avais commencé pendant que j\'étais couché ou que je me promenais. Ensuite je dors un peu, puis je me promène: après je lis à haute voix quelque harangue grecque ou latine \[\...\]. Je me promène encore une fois; on me frotte d\'huile, je fais quelque exercice; je me baigne. Pendant le repas, si je mange avec ma femme ou avec un petit nombre d\'amis, on lit un livre. Au sortir de la table vient quelque comédien, ou quelque joueur de lyre. Après quoi je me promène avec mes gens, parmi lesquels il y en a de forts savants. On passe ainsi, jusqu\'au soir, à parler de choses différentes, et le jour le plus long se trouve tout d\'un coup fini. Pline le Jeune, \"Lettres\", 9, 36. #### Doc. 4) De la vie d\'un pauvre citoyen Le philosophe Dion Chrysostome (40-120 apr. J.C.) dans un discours. Il n\'est certainement pas facile pour les pauvres de trouver du travail dans les villes, ils sont dépendants des autres, lorsqu\'ils sont locataires et obligés de tout acheter, non seulement les habits, les ustensiles pour la maison et la nourriture, mais aussi le bois de chauffage pour les besoins quotidiens; et, s\'ils ont besoin de bois mort, de feuillages ou d\'autres bricoles, ils doivent tout acheter \--à l\'exception de l\'eau\-- car rien n\'est disponible en libre accès, mis à part, bien sûr, les nombreux articles coûteux proposés à la vente. Dion Chrysostomos, or. 7.105f. #### Doc. 5) Des citoyens inégaux en droit Ce texte, écrit par le juriste romain Aelius Marcianus dans la première moitié du IIIème siècle apr. J.C., a été repris dans un recueil juridique du VIème siècle apr. J.C. La peine, prévue par la [Lex Cornelia] pour les assassins et les préparateurs de poison, est la déportation sur une île et la perte de toute la fortune. Aujourd\'hui, ceux qui s\'exposent à la sanction de la loi sont punis de mort, sauf s\'ils sont d\'un rang supérieur ([honestiores]), les gens de rang inférieur ([humiliores]) étant généralement jetés aux animaux sauvages, tandis que ceux de rangs supérieurs sont déportés sur une île. \"Digeste\", 48, 8, 3-5. p36 Dossier. La citoyenneté romaine ------------------------------- Alors que, durant la période républicaine, les citoyens effectuent un service militaire et votent les lois, ils ne jouent plus, sous l\'Empire, qu\'un rôle de figuration dans les assemblées populaires et ne servent plus dans les légions que s\'ils sont volontaires. Par rapport aux non-citoyens de l\'Empire (les pérégrins) les citoyens romains ([cives Romani]) bénéficient de privilèges juridiques et d\'exemptions fiscales. Ils ont également la possibilité de faire appel à l\'empereur contre la décision ou le jugement d\'un magistrat (droit de [provocatio]). Contrairement aux Grecs, les Romains ont largement diffusé leur citoyenneté. La citoyenneté romaine a été ainsi octroyée à tous les hommes libres vivant en Italie dès 88 av. J.C. Les dirigeants de la Rome républicaine, puis les empereurs, ont cherché à gagner le soutien des élites provinciales en leur accordant la citoyenneté romaine. En 212 apr. J.C., l\'empereur Caracalla finit par l\'accorder à tous les hommes libres de l\'Empire. #### Doc. 1) Les alliés de Rome en Italie se battent pour obtenir la citoyenneté (90 av. J.C.) L\'ouvrage d\'Appien consacré aux guerres civiles à Rome couvre la période allant des Gracques à l\'avènement d\'Auguste (133-31 av. J.C.). Le Sénat commença de craindre que, cerné d\'ennemis sur tous les points, il ne demeurât sans défense. Il garnit les rivages de la mer, depuis Cumes jusqu\'à Rome, de troupes dans lesquelles on fit entrer pour la première fois des affranchis, à cause de la pénurie de citoyens. Il accorda le droit de cité à ceux des [alliés \#1] qui lui étaient jusqu\'alors restés fidèles; prérogative unique qui faisait l\'objet de l\'ambition de tous. Il se hâta d\'en faire donner la nouvelle aux Étrusques, qui la reçurent avec beaucoup de satisfaction. Par cette faveur, le Sénat resserra les liens de ceux qui lui étaient affectionnés, se ménagea ceux qui se préparaient à les rompre, et diminua, par l\'espérance d\'une semblable récompense, l\'exaspération de ceux qui avaient pris les armes. [\#1] Peuples italiens liés à Rome par un traité d\'assistance militaire. Appien, \"Les Guerres civiles à Rome\", I ,212-215. #### Doc. 2) L\'apôtre Paul fait valoir ses droits de citoyen romain En 57 apr. J.C., Paul est emprisonné, lors d\'un séjour à Jérusalem, et conduit à Césarée. Pour échapper à la condamnation du nouveau gouverneur romain, Festus, il fait usage de son droit d\'appel devant le tribunal de l\'empereur ([provocatio]). Festus, le transfert à Rome en 59 apr. J.C. Festus, donc, trois jours après son arrivée dans la province, monta de Césarée à Jérusalem. Les grands prêtres et les premiers des Juifs firent un rapport auprès de lui contre Paul et, faisant appel à lui, ils lui demandèrent en grâce, contre Paul, de le faire venir à Jérusalem. Ils préparaient un guet-apens pour le supprimer en chemin. \[\...\] Festus descendit à Césarée et, siégeant au tribunal le lendemain, il fit amener Paul. Quand celui-ci fut arrivé, les Juifs descendus de Jérusalem l\'entourèrent, portant contre lui des accusations multiples et graves, qu\'ils n\'étaient pas capables de prouver. Paul se défendait: \"Je n\'ai, disait-il, commis aucune faute contre la Loi des Juifs, ni contre le Temple, ni contre César.\" Voulant faire plaisir aux Juifs, Festus répondit à Paul: \"Veux-tu monter à Jérusalem pour y être jugé là-dessus en ma présence?\" Mais Paul répliqua: \"Je suis devant le tribunal de César; c\'est là que je dois être jugé. Je n\'ai fait aucun tort aux Juifs, tu le sais très bien toi-même. Mais si je suis réellement coupable, si j\'ai commis quelque crime qui mérite la mort, je ne refuse pas de mourir. Si, par contre, il n\'y a rien de fondé dans les accusations de ces gens-là contre moi, nul n\'a le droit de me céder à eux. J\'en appelle à César!\" Alors Festus, après en avoir conféré avec son conseil, répondit: \"Tu en appelles à César, tu iras devant César.\" \"Actes des Apôtres\", XXV, 1 -12. #### Doc. 3) L\'édit de Caracalla En 212-213 apr. J.C., l\'empereur Caracalla accorde la citoyenneté à tous les hommes libres de l\'Empire dans un édit, aussi appelé constitution antonine. Ce document est transmis par un papyrus conservé à la bibliothèque de l\'université de Giessen, en Allemagne. L\'empereur y présente sa décision comme une action de grâce, prise après l\'échec d\'un attentat contre sa personne. Mais, pour l\'historien de langue grecque, Dion Cassius, Caracalla aurait surtout cherché à accroître les revenus tirés de l\'impôt sur les héritages, acquittés par les seuls citoyens romains. Voici la restitution du texte très mutilé du papyrus. L\'empereur [César Marc Aurèle Sévère Antonin Auguste \#1] déclare: je peux manifester ma gratitude envers [les dieux immortels qui me gardent \#2], je considère donc que je peux rendre service à leur majesté en faisant participer avec moi au culte des dieux tous ceux qui appartiennent à mon peuple. C\'est pourquoi je donne la citoyenneté à tous les pérégrins de [l\'oikoumène \#3], en sauvegardant les droits des cités à l\'exclusion des [déditices \#4]. Car il est légitime que le plus grand nombre ne soit pas seulement astreint aux charges tout entières, mais soit aussi associé à ma victoire. Cet édit sera la majesté du peuple romain. [\#1] Titulature officielle de Caracalla. [\#2] Allusion à l\'attentat qui permit à Caracalla d\'éliminer son frère et co-empereur Geta, accusé d\'y avoir participé. [\#3] Désigne l\'ensemble du monde connu, en grec. [\#4] Du latin [dediticii], hommes libres qui, à la différence des autres pérégrins, n\'ont pas obtenu de conserver leur autonomie et leurs institutions propres après leur soumission ([deditio]) à Rome. Le sens précis de ce passage est toujours discuté par les historiens. Papyrus de Giessen. p37 #### Doc. 4) La citoyenneté par le service militaire \[Image\] En servant, généralement pendant 25 ans, dans les troupes auxiliaires de l\'armée romaine, les provinciaux peuvent acquérir la citoyenneté romaine. À l\'issue de la cérémonie solennelle de leur libération, ils reçoivent un diplôme militaire gravé sur une plaque de bronze. L\'exemplaire de Wissembourg, reproduit ici, a été remis en 107 apr. J.C.au cavalier Mogetissa, un Boïen (Celte). Le texte s\'ouvre sur la titulature de l\'empereur Trajan. #### Doc. 5) Éloge de la citoyenneté Dans son fameux \"Éloge de Rome\", rédigé au IIème siècle apr. J.C., l\'orateur grec Aelius Aristide évoque la conception très large qu\'ont les Romains de leur citoyenneté. 59\. Et voici ce qui, dans votre régime politique, mérite tout particulièrement l\'attention et l\'admiration: c\'est le caractère grandiose de votre conception, qui n\'a absolument aucun équivalent. Vous avez divisé en deux parts toute la population de l\'Empire \--en disant cela, j\'ai désigné la totalité du monde habité\--; la part la plus distinguée et noble et la plus puissante, vous l\'avez faite partout, dans son ensemble, citoyenne et même parente; l\'autre, sujette et administrée. 60\. Ni mer ni distance terrestre n\'excluent de la citoyenneté et, entre l\'Asie et l\'Europe, il n\'y a pas de différence sur ce point. Tout est mis à la portée de tous; nul n\'est étranger s\'il mérite une charge ou la confiance. Une démocratie commune à la terre est instaurée sous l\'autorité unique du meilleur gouvernant et ordonnateur, et tous convergent ici, comme vers une commune agora, pour obtenir chacun ce qu\'il mérite. \"Éloges grecs de Rome\", trad. L. Pernot, Les Belles Lettres, 1997 #### Doc. 6) La mission du citoyen romain selon Virgile Le poète Virgile (70 av. J.C. - 19 av. J.C.) compose son épopée, l\'Énéide, sous le règne d\'Auguste. D\'autres forgeront avec plus de grâce des bronzes qui sauront respirer, je le crois du moins, ils tireront du marbre des visages vivants, ils plaideront mieux, ils figureront avec leur baguette les mouvements du ciel, diront les levers des astres; à toi de diriger les peuples sous ta loi, Romain, qu\'il t\'en souvienne \--ce seront là tes arts, à toi\-- et de donner ses règles à la paix: respecter les soumis, désarmer les superbes. Virgile, \"Énéide\", VI, 847-853. ### Pistes de travail 1\. En vous appuyant sur les documents 1 et 4, expliquez les raisons qui incitent Rome à accorder la citoyenneté à des non-Romains. \_\_\_ 2\. Quels sont les avantages associés à la citoyenneté romaine? (doc. 1 et 2) \_\_\_ 3\. Quelle est la mission historique que Virgile assigne au peuple romain? (doc. 6) \_\_\_ 4\. En quoi la diffusion de la citoyenneté romaine est-elle, selon Aelius Aristide, digne d\'éloge? (doc. 5) \_\_\_ 5\. Expliquez les raisons pour lesquelles Caracalla décide d\'accorder la citoyenneté à la quasi-totalité des hommes libres de l\'Empire. Peut-on faire intervenir d\'autres motivations, non mentionnées dans le document? (doc. 3) \_\_\_ 6\. Informez-vous sur les modes d\'acquisition de la citoyenneté dans votre pays. Comparez avec la situation dans la Rome antique. \_\_\_ p38 3. Conquête et romanisation: une comparaison entre la Gaule et la Germanie -------------------------------------------------------------------------- Comment les Romains ont-ils intégré à leur empire les territoires nouvellement conquis? ### Le cas de la Gaule En 58 av. J.C., Jules César devient gouverneur de la province de Gaule cisalpine (\"de ce côté des Alpes\"), située au nord de l\'Italie. De là, il lance une guerre contre la [Gaule\#] transalpine (de l\'autre côté des Alpes): il cherche ainsi à accroître son prestige à Rome et à assurer sa réélection au consulat, la plus haute magistrature romaine. En 56 av. J.C., il parvient à soumettre toutes les tribus gauloises entre le Rhin et l\'Atlantique. L\'actuel sud de la France, la Gaule narbonnaise, est déjà une [province\#] romaine depuis 121 av. J.C. La domination romaine provoque toutefois de sanglantes rébellions à partir de 54 av. J.C.; elles débouchent sur une insurrection générale placée sous la direction de Vercingétorix. Après une succession de victoires et de défaites, César encercle son adversaire dans la forteresse d\'Alésia, en 52 av. J.C., et obtient sa reddition après un siège très meurtrier. Auguste divise le pays désormais soumis en trois provinces, placées sous l\'autorité de gouverneurs nommés par lui. Un autel dédié à la déesse Rome et à Auguste est construit à Lyon ([Lugdunum]), qui devient le lieu de rassemblement des notables gaulois romanisés. ### Le cas de la Germanie Pour empêcher les incursions des tribus germaniques en Gaule romaine, Auguste se lance à la conquête de la [Germanie\#], à l\'est du Rhin. À partir de 12 av. J.C., ses deux fils adoptifs, Drusus, puis Tibère, soumettent le pays jusqu\'à l\'Elbe. Sur le modèle de Lyon, les Romains édifient à Cologne un autel dédié à Rome et à Auguste. Cette colonie, fondée dans la capitale de la tribu alliée des Ubiens, est destinée à devenir le centre politico-religieux de la Germanie romaine. Mais les Romains échouent à la réduire en province: en 9 apr. J.C., lors de la bataille de Teutobourg, Arminius, un Germain d\'origine noble qui avait été au service de Rome, écrase les trois légions commandées par le gouverneur Varus (voir dossier, p. 42). Après les campagnes très coûteuses en vies humaines menées par le fils de Drusus, Germanicus, Rome se replie définitivement le long du Rhin à partir de l\'an 16 apr. J.C. et transforme le fleuve en une puissante frontière militaire. En 83 apr. J.C., Rome conquiert le sud-ouest de l\'Allemagne, où le [limes\#] protège les voies de communication stratégique entre les camps légionnaires établis sur le Rhin et les provinces du Danube. L\'empereur Domitien ordonne la frappe de monnaies avec l\'inscription \"Germanie vaincue\", mais seule une petite partie du pays est occupée. ### Rome exporte sa culture La conquête romaine se prolonge par un processus de romanisation, terme qui désigne la diffusion de la civilisation romaine dans les provinces. Les élites locales se mettent à imiter le mode de vie romain et à l\'adapter à leurs propres coutumes, créant ainsi souvent des cultures métissées. Les dieux romains sont parfois assimilés aux divinités locales, qui continuent à être vénérées sous un nouveau nom (\"[interpretatio Romana]\"). La romanisation a été inégale de part et d\'autre du Rhin: à l\'est, elle a été interrompue par la défaite de 9 apr. J.C. La civilisation romaine ne s\'est répandue qu\'en Gaule et, pour la Germanie, sur la rive gauche du Rhin et dans les régions conquises en 83 apr. J.C. À la différence, cependant, de la Gaule désormais pacifiée, les provinces de Germanie inférieure et supérieure conservent un caractère militaire en raison de leur situation frontalière (avec les capitales de Mayence et de Cologne). La romanisation y est restée superficielle et aucune langue latine (comme l\'italien, l\'espagnol ou le français) ne s\'y est développée. ### Vocabulaire [\#Gaule]: ensemble de territoires qui, sous l\'Empire romain, couvrent surtout la France actuelle, mais aussi la Belgique et certaines parties des Pays-Bas et de l\'Allemagne. Les régions peuplées de Gaulois (Celtes) s\'étendent néanmoins bien au-delà, notamment vers l\'Italie du Nord (en Gaule cisalpine \[[Gallia Cisalpina]\], c\'est-à-dire de ce côté des Alpes d\'un point de vue romain) et vers l\'Asie mineure (Galates). [\#Germanie]: ensemble des territoires qui, à l\'époque romaine, sont situés à l\'est du Rhin; les Romains ne tardent cependant pas à constater que des Germains vivent aussi à l\'ouest de ce fleuve. Pour les tribus qualifiées de germaniques, la notion de Germanie, plaquée de l\'extérieur, n\'a alors aucune signification. [\#Province]: territoire sur lequel s\'exerce le pouvoir d\'un gouverneur romain, formant la principale circonscription administrative de l\'Empire romain. ### Notion clé [\#Limes]: frontière militaire de l\'Empire romain. Son tracé emprunte le cours de fleuves comme le Rhin et le Danube, puis, il est matérialisé, à partir du IIème siècle. apr. J.C., par des camps, des palissades et des murs fortifiés, comme le mur d\'Hadrien en Grande-Bretagne ou le [limes] de Germanie supérieure et de Rhétie, dans le sud-ouest de l\'Allemagne actuelle. ### Pistes de travail 1\. Que nous apprennent les fouilles de Waldgirmes sur la politique menée par Rome en Germanie? (doc. 2) \_\_\_ 2\. En quoi l\'aménagement du [limes] marque-t-il un changement par rapport à la politique menée par Auguste en Germanie? (doc. 4) \_\_\_ 3\. Quels sont les points communs et les différences entre la Gaule et la Germanie sous l\'Empire romain? (leçon, doc. 1 à 5) \_\_\_ 4\. Quels sont les arguments de Claude et à quelles résistances se heurtent-ils? Comment se représente-t-on alors les Gaulois à Rome? (doc. 5) \_\_\_ p39 #### Doc. 1) L\'autel de Rome et d\'Auguste à Lyon ([Lugdunum]) \[Image\] Dans les provinces, un culte est dédié à la personne des empereurs ou à leur génie (divinité protectrice), en même temps qu\'à la déesse Rome. Il établit un lien politico-religieux avec la population de la province, et tout particulièrement avec les élites locales. Monnaie de l\'époque d\'Auguste, représentant l\'autel de Lyon, au revers, et un portrait du gouverneur Varus (VAR), au droit. #### Doc. 2) Les débuts de la romanisation: une fondation urbaine dans la province de Germanie \[Image\] L\'historien Dion Cassius affirme que, dès l\'époque d\'Auguste, les Romains ont édifié sur la rive droite du Rhin, outre des camps militaires, des \"cités\" ([poleis]) (Dion Cassius, 56, 18, 1-4). Le site de Waldgirmes (Hesse), découvert il y a quelques années, présente effectivement, en dépit de sa petite taille, des éléments typiques d\'une ville. Outre les fragments d\'une statue équestre dorée, qui représentait vraisemblablement Auguste, et se trouvait sur le forum (ci-dessus, une reconstitution des fondations sur le site), les fouilles ont également mis au jour des éléments de céramique germanique. #### Doc. 3) La romanisation dans le sud de la Gaule \[Image\] Le temple appelé \"Maison carrée\", à Nîmes ([Nemausus]), dans le sud de la France, est dédié aux fils adoptifs et héritiers de l\'empereur Auguste. Des édifices similaires ont été construits à Lyon, Cologne et Trèves, mais ils n\'ont pas été conservés. #### Doc. 4) Le [limes] de Germanie supérieure et de Rhétie \[Image\] Sous le règne de Domitien, les Romains conquièrent de nouvelles régions situées à l\'est du Rhin, qu\'ils protègent pour la première fois par une frontière militaire fortifiée: au terme de plusieurs phases de travaux, elle comprend 900 tours de garde et 60 fortifications, sur un tracé de 500 kilomètres entre le Rhin et le Danube. Reconstitution d\'ouvrages défensifs de 150 apr. J.C. (palissade) et de 200 apr. J.C. (muraille et fossés) près d\'Osterburken (Bade-Wurtemberg). #### Doc. 5) Des barbares au Sénat? a\) L\'historien Tacite relate le désir exprimé par des nobles gaulois d\'être admis au sein de la classe dirigeante romaine. Sous le consulat d\'A. Vitellius et de L. Vipstanus \[48 apr. J.C.\], comme il était question de compléter le Sénat et que les grands de la Gaule appelée chevelue, depuis longtemps en possession de traités et du titre de citoyens, réclamaient le droit d\'obtenir les honneurs à Rome, il y eut beaucoup de bruit à ce sujet, et la question fut débattue passionnément et diversement devant le prince. Tacite, \"Annales\" XI, 23. b\) Le discours prononcé par l\'empereur Claude à cette occasion a été gravé sur des tables de bronze, découvertes en 1528; elles avaient été érigées à Lyon, à proximité de l\'autel de Rome et d\'Auguste. C\'était un usage nouveau, quand mon grand-oncle maternel, le dieu Auguste, et mon oncle paternel, [Tibère César \#1], voulurent que toute la fleur des colonies et des [municipes \#2], où que ces villes fussent situées, c\'est-à-dire la fleur de leurs hommes honnêtes et riches, fût dans cette [curie \#3]. Quoi donc? Un Italien, comme sénateur, n\'est-il pas préférable à un provincial? \[\...\] Je ne pense pas, à la vérité, qu\'on doive rejeter les provinciaux s\'ils peuvent être l\'ornement de la curie \[\...\]. Si quelqu\'un considère qu\'ils \[les Gaulois de Gaule chevelue\] ont mis à l\'épreuve le divin César par une guerre de dix années, que le même homme mette en regard cent ans d\'une fidélité sans faille et une obéissance immuable au milieu de bien de nos troubles, dont mon plus illustre père Drusus a fait plus que l\'épreuve lorsqu\'il soumettait la Germanie: ils lui garantirent alors, sur ses arrières, une paix profonde et assurée par leur propre tranquillité. [\#1] Empereur de 14 à 37 apr. J.C. [\#2] Cités dont les institutions sont copiées sur celles de Rome. 3. Siège du Sénat. [\#3] Siège du Sénat. Extraits des Tables claudiennes. c\) Auteur des \"Vies des douze Césars\", l\'historien Suétone évoque l\'opposition des sénateurs à la décision qu\'avait déjà prise Jules César de faire entrer des Gaulois au Sénat. À l\'adresse des étrangers admis au Sénat, on placarda l\'affiche suivante: À tous salut! Que personne ne s\'avise d\'indiquer le chemin de la curie à un nouveau sénateur, et l\'on chantait partout ce couplet: \"Après avoir triomphé des Gaulois, César les fait entrer à la curie /Les Gaulois ont quitté leurs braies pour prendre le [laticlave \#1]\". [\#] Toge à large bande de pourpre portée par les sénateurs. Suétone, \"César\", LXXX. p40 Dossier. Gaulois et Germains: l\'invention de la frontière rhénane ------------------------------------------------------------------ Depuis la Révolution française, la représentation du Rhin comme frontière entre l\'Allemagne et la France a pris une place essentielle dans l\'imaginaire national des deux pays. Les partisans français de la doctrine des \"frontières naturelles\" réclament l\'annexion par la France de tous les territoires situés à l\'ouest du Rhin. À partir des guerres napoléoniennes, les nationalistes allemands font du fleuve l\'artère vitale de la nation allemande; le chant patriotique \"la Garde au Rhin\" ([Die Wacht am Rhein]), composé en 1840, devient presque un hymne national. Jules César a été le premier, dans son récit de la guerre des Gaules, à faire du Rhin une frontière entre les deux peuples: il a ainsi cherché à justifier, à des fins de propagande, ses conquêtes gauloises, en les présentant comme une entreprise défensive de Rome face à la menace d\'invasion des tribus germaniques vivant sur la rive droite du Rhin. Les données archéologiques démentent toutefois l\'idée que le Rhin ait alors constitué la frontière culturelle décrite par César. #### Doc. 1) L\'arc de triomphe de Mayence-Castel: la commémoration d\'une glorieuse retraite sur le Rhin? \[Image\] En l\'an 16 apr. J.C., l\'empereur Tibère rappelle à Rome le commandant en chef des légions romaines en Germanie, son neveu et fils adoptif Germanicus. Il renonce ainsi à reconquérir la rive droite du Rhin, perdue en 9 apr. J.C. Germanicus obtient néanmoins l\'honneur de célébrer à Rome un triomphe sur les Germains. Trois arcs de triomphe furent érigés après sa mort (à Rome, en Syrie et sur le Rhin). Ce sont probablement les fondations de l\'un d\'eux qui ont été découvertes lors de fouilles effectuées à Mayence-Castel et qui en ont permis la reconstitution. Le Sénat avait ordonné que soit érigée sur l\'arc, en son honneur, \"une statue de Germanicus recevant les insignes des Germains\". #### Doc. 2) Le Rhin, une frontière pour César Au début du récit de propagande qu\'il consacre à la guerre des Gaules, César décrit la situation du pays à la veille de son arrivée. L\'ensemble de la Gaule est divisée en trois parties: l\'une est habitée par les Belges, l\'autre par les Aquitains, la troisième par le peuple qui, dans sa langue, se nomme Celte, et, dans la nôtre, Gaulois. Tous ces peuples diffèrent entre eux par le langage, les coutumes, les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Les plus braves de ces trois peuples sont les Belges, parce qu\'ils sont les plus éloignés de la province romaine et des raffinements de sa civilisation, parce que les marchands y vont très rarement, et, par conséquent, n\'y introduisent pas ce qui est propre à amollir les cœurs, enfin parce qu\'ils sont les plus voisins des Germains, qui habitent sur l\'autre rive du Rhin, et avec qui ils sont continuellement en guerre [\#1]. C\'est pour la même raison que les Helvètes aussi surpassent en valeur guerrière les autres Gaulois: des combats presque quotidiens les mettent aux prises avec les Germains, soit qu\'ils leur interdisent l\'accès de leur territoire, soit qu\'ils les attaquent chez eux. [\#1] Ailleurs dans l\'ouvrage, César admet cependant qu\'il y a également des Germains à l\'ouest et des Gaulois à l\'est du Rhin. César, \"Guerre des Gaules\", I, 1-4. #### Doc. 3) Le pont de César sur le Rhin: une prouesse technique \[Image\] En 55 et en 53 av. J.C., César lance des expéditions punitives sur la rive droite du Rhin afin de faire cesser les fréquentes incursions des Germains en Gaule. Il entreprend la construction du premier pont jamais édifié sur le Rhin, probablement entre Andernach et Coblence. Véritable prouesse technique pour l\'époque, César en a rédigé, à des fins de propagande, une description détaillée, à partir de laquelle on a pu le reconstituer. Reconstitution de P. Connolly. p41 #### Doc. 4) Une frontière ethnique et culturelle incertaine dès l\'Antiquité Les recherches archéologiques récentes ont permis d\'établir que les régions méridionales du territoire que les Romains appelaient la Germanie, étaient, comme la France actuelle, essentiellement peuplées de Celtes, c\'est-à-dire de Gaulois, jusqu\'au Ier siècle av. J.C. À l\'inverse, l\'historien Tacite estime, au IIème siècle apr. J.C., que la présence des Gaulois à l\'est du Rhin est due à leur installation dans des régions qui étaient initialement germaniques. Les Gaulois ont été jadis les plus forts: l\'autorité la plus considérable, le divin Jules \[César\], nous en garde la tradition; et cela permet de croire que même des Gaulois aient passé en Germanie: qu\'était-ce qu\'un fleuve pour empêcher que les nations, en rapport avec leur puissance, s\'emparassent ou changeassent d\'établissements qui étaient encore confondus et que la puissance des royaumes n\'avait point divisés? Donc, entre [la forêt Hercynienne \#1], le Rhin et le Main, les Helvètes, plus loin les Boïens, deux nations gauloises, ont occupé le pays \[\...\]. Les Trévires et les Nerviens, dans leur prétention à une origine germanique, apportent même quelque vanité, comme si par cette gloire du sang, ils refusaient la ressemblance et la mollesse des Gaulois. Il n\'est pas douteux que la rive même du Rhin soit occupée par des peuples germaniques, Vangions, Triboques, Némètes. Les Ubiens mêmes, quoiqu\'ils aient mérité d\'être colonie romaine et se donnent plus volontiers le nom d\'Agrippiniens en souvenir de [leur fondateur \#2], ne rougissent pas de leur origine, ayant jadis passé le fleuve \[du côté gaulois, sur la rive gauche du fleuve\] et, après essai de leur fidélité, ont été installés sur la rive même du Rhin, pour la défendre, non pour y être surveillés. [\#1] Il désigne vraisemblablement ainsi la moyenne montagne allemande. [\#2] Agrippine, épouse de Claude, fondatrice de la ville romaine de Cologne, créée sur le territoire des Ubiens ([Colonia Claudia Ara Agrippinensis]). Tacite, \"La Germanie\", XXVIII. #### Doc. 5) Scène de bataille entre Germains et Romains sur le Rhin \[Image\] Les Germains repoussent les légions romaines sur le Rhin. Ce tableau, du peintre Friedrich Türhaus, renvoie au mythe national de la \"Garde au Rhin\", forgé contre la France. Huile sur toile, 139 x 109 cm, 1876, Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte, Münster. #### Doc. 6) Les dangers de l\'instrumentalisation de l\'Histoire Dans un ouvrage publié durant la Première Guerre mondiale, l\'historien français Camille Jullian entend dénoncer les revendications visant alors à faire du Rhin un fleuve \"français\", au prétexte qu\'il aurait été \"gaulois\" par le passé. Ce qui sera demain, il appartient à nos chefs de le fixer eux-mêmes, d\'après la justice humaine, d\'après les droits et l\'intérêt de la France. Les Gaulois n\'ont rien à voir en cette manière. Mais j\'ajoute aussi, les Germains n\'ont pas davantage à être invoqués à ce propos. Unir ces deux mots, solidariser pour toujours ces deux êtres, ces deux personnalités historiques et géographiques, Rhin et Germanie, c\'est commettre, si je peux dire, une annexion rétrospective, mensongère, criminelle même. Camille Jullian, \"Le Rhin gaulois\", 1915. ### Pistes de travail 1\. Comparez la description que César et Tacite font de la frontière du Rhin. (doc. 2 et 4) \_\_\_ 2\. Pour quelles raisons la propagande de César tient-elle à célébrer la construction du pont sur le Rhin et à présenter le fleuve comme une frontière entre les Gaulois et les Germains? (doc. 2 et 3) \_\_\_ 3\. Quelle signification politique l\'érection de l\'arc de triomphe en l\'honneur de Germanicus prend-elle, au lendemain de la retraite romaine sur le Rhin (16 apr. J.C.)? (doc. 1) \_\_\_ 4\. Informez-vous sur l\'état des relations franco-allemandes dans les années 1870 et interprétez, dans ce contexte, le tableau de Friedrich Türhaus. (doc. 5) \_\_\_ 5\. En quoi le contexte historique (Première Guerre mondiale) éclaire-t-il la position de Jullian? (doc. 6) Recherchez d\'autres exemples d\'instrumentalisation de l\'histoire au service de revendications territoriales. \_\_\_ p42 Vercingétorix et Arminius, deux personnages historiques érigés au rang de mythes nationaux ------------------------------------------------------------------------------------------ Dans le but de simplifier la présentation des faits, l\'historiographie romaine tend souvent à personnaliser les guerres que Rome livre aux frontières de son empire. La résistance à l\'invasion romaine est ainsi incarnée par un certain Calgacus en Écosse, par Arminius en Germanie ou par Vercingétorix en Gaule. César présente la guerre des Gaules comme une sorte de duel l\'opposant, en 52 av. J.C., à Vercingétorix, qu\'il décrit à la fois comme un héros vaincu et un défenseur des libertés gauloises. Tacite glorifie de la même manière la résistance d\'Arminius, un prince germanique issu de la tribu des Chérusques, victorieux des Romains en 9 apr. J.C. Bien plus tard, au XIXème siècle, les États-nations se sont réinventés un passé à partir de ces grands héros historiques: en France et en Allemagne, Vercingétorix et Arminius sont alors célébrés rétrospectivement comme des précurseurs de l\'unité nationale. #### Doc. 1) Vercingétorix vu par César \[Vercingétorix\] exhorte \[les Gaulois\] à prendre les armes pour la liberté de la Gaule; il rassemble de grandes forces, et chasse ses adversaires \[gaulois\] qui, peu de jours avant, l\'avaient chassé lui-même. Ses partisans le proclament roi. Il envoie des ambassades à tous les peuples: il les supplie de rester fidèles à la parole jurée \[\...\]. À l\'unanimité, on lui confère le commandement suprême. Investi de ces pouvoirs, il exige de tous ces peuples des otages, il ordonne qu\'un nombre déterminé de soldats lui soit amené sans délai, il fixe quelle quantité d\'armes chaque cité doit fabriquer, et avant quelle date; il donne un soin particulier à la cavalerie. À la plus grande activité, il joint une sévérité extrême dans l\'exercice du commandement; la rigueur des châtiments rallie ceux qui hésitent. Pour une faute grave, c\'est la mort par le feu et par toutes sortes de supplices; pour une faute légère, il fait couper les oreilles au coupable ou lui fait crever un œil, et il le renvoie chez lui, afin qu\'il serve d\'exemple et que la sévérité du châtiment subi frappe les autres de terreur. César, \"Guerre des Gaules\", VII, 4. #### Doc. 2) La reddition de Vercingétorix En 52 av. J.C., César encercle Vercingétorix et ses cavaliers, sur la colline d\'Alésia, par la construction d\'ouvrages défensifs (circonvallation). Une grande armée gauloise vient à son secours, mais César engage une double bataille de grande envergure dont il sort vainqueur. Le lendemain, Vercingétorix convoque l\'assemblée: il déclare que cette guerre n\'a pas été entreprise par lui à des fins personnelles, mais pour conquérir la liberté de tous; puisqu\'il faut céder à la fortune, il s\'offre à eux, ils peuvent, à leur choix, apaiser les Romains par sa mort ou le livrer vivant. On envoie à ce sujet une députation à César. Il ordonne qu\'on lui remette les armes, qu\'on lui amène les chefs des cités. Il installa son siège au retranchement, devant son camp: c\'est là qu\'on lui amène les chefs; on lui livre Vercingétorix, on jette les armes à ses pieds. César, \"Guerre des Gaules\", VII, 89. #### Doc. 3) Un éloge funèbre d\'Arminius Après la retraite des Romains et l\'expulsion. de Marbode \[roi de la tribu germanique des Marcomans\], Arminius voulut régner, mais eut contre lui l\'indépendance de ses concitoyens. Attaqué par les armes, il combattit avec des chances diverses et tomba victime de la trahison de ses proches. Il fut sans contredit le libérateur de la Germanie; et ce n\'était pas, comme d\'autres rois et d\'autres chefs, au berceau du peuple romain, mais à l\'Empire dans toute sa force qu\'il osa s\'attaquer; si les combats ne décidèrent pas toujours en sa faveur, la guerre le laissa invaincu. Trente-sept ans de vie, douze de pouvoir, voilà ce qu\'il accomplit, et on le chante encore chez les peuples barbares. Tacite, \"Annales\", II, 88. #### Doc. 4) Statue commémorative de Vercingétorix \[Image\] Statue du sculpteur Aimé Millet, érigée sur les lieux de la défaite gauloise, en 1856, à Alise-Sainte-Reine. Hauteur: 7 m. p43 #### Doc. 5) Le \"Mémorial d\'Hermann\" ([Hermannsdenkmal]) \[Image\] En Allemagne, depuis le XVIème siècle, on considère qu\'Arminius est l\'équivalent latin du prénom Hermann. C\'est sous ce nom allemand qu\'il est désigné depuis, dans les arts et la littérature, Statue du sculpteur Ernst von Bandel, inaugurée en 1875 près de Detmold/Lippe. Hauteur: 26,57 m. #### Doc. 6) Un successeur d\'Arminius? C\'est à Versailles, en 1871, que Guillaume prend le titre d\'empereur d\'Allemagne en 1871, humiliant ainsi la France vaincue. Le 16 août 1875, il inaugure le mémorial d\'Hermann. Sous le bas-relief représentant Guillaume Ier, on lit l\'épigraphe suivant, gravé sur le socle du monument. Celui qui unit d\'une main ferme des tribus séparées depuis longtemps, Celui qui l\'emporte sur la puissance et la ruse [celtes \#1], Qui ramène au Reich allemand les fils perdus depuis très longtemps, Est semblable à Armin, le sauveur. [\#1] En allemand, [welsch], terme qui désigne les Celtes à l\'origine, puis, par extension, l\'ensemble des peuples de langue latine (français, italien, etc.). #### Doc. 7) Un regard ironique sur Arminius Dans sa jeunesse, le poète Heinrich Heine fut un admirateur d\'Arminius. Plus tard, il fut révulsé par l\'enthousiasme de plus en plus chauvin et anti-français que déclenchait Arminius, le Chérusque. Voici la forêt de Teutobourg, dont Tacite a fait la description. C\'est là le marais classique où Varus est resté. C\'est là que se battit le prince des Chérusques, Hermann, la noble épée; la nationalité allemande a vaincu sur ce terrain boueux dans cette crotte où s\'enfoncèrent les légions de Rome. Heinrich Heine, \"Allemagne \-- un conte d\'Hiver\", chap. 11. in: \"Poèmes et légendes\", Michel Lévy Frères, Paris, 1833. #### Doc. 8) Vercingétorix sur le front \[Image\] Couverture de la revue française \"Le Flambeau\", 18 septembre 1915. ### Pistes de travail 1\. Comparez les portraits de Vercingétorix et d\'Arminius dans les sources antiques (qualités particulièrement mises en valeur, importance historique). (doc. 1 à 3) \_\_\_ 2\. Sur cette base, comparez les statues érigées à la gloire de Vercingétorix et d\'Arminius, et analysez les différences. (doc. 4 et 5) \_\_\_ 3\. Montrez comment les nationalismes se sont emparés du souvenir de Vercingétorix et d\'Arminius. (doc. 6 à 8) \_\_\_ 4\. Expliquez pourquoi il a été plus difficile d\'élever Vercingétorix au rang de héros national et de mythe en France, que pour Arminius en Allemagne. \_\_\_ 5\. Quelles autres grandes figures historiques auraient-elles pu, au xix siècle, concurrencer Arminius et Vercingétorix au titre de héros nationaux? \_\_\_ p44 4. \"Migration des peuples\" ou \"invasions barbares\"? La chute de l\'Empire romain d\'Occident ------------------------------------------------------------------------------------------------ Quels sont les facteurs qui expliquent la fin de la domination romaine en Occident? ### Des incursions germaniques de plus en plus menaçantes À partir du IIIème siècle apr. J.C., des peuples d\'origine [germanique\#], poussés par leurs voisins de l\'Est, sont de plus en plus nombreux à pénétrer en territoire romain. La formation de grandes fédérations de tribus, celles des Alamans et des Francs par exemple, en accentue la menace, d\'autant que les empereurs doivent sans cesse retirer des troupes stationnées aux frontières du nord-ouest pour faire face aux [Sassanides\#] en Orient. Jusqu\'en 260, la rive droite du Rhin doit ainsi être abandonnée aux Alamans. La même année, l\'empereur Valérien est fait prisonnier par le souverain sassanide, Chapour Ier. À partir de la fin du IVème siècle apr. J.C., Rome doit également tolérer l\'installation de peuplades germaniques sur son territoire, en leur concédant le statut de [fédérés\#]. La menace s\'accroît encore avec les Huns, qui repoussent certaines tribus germaniques vers l\'intérieur des frontières de l\'Empire, avant que les [Huns\#] ne les franchissent à leur tour, sous la conduite d\'Attila (roi de 434 à 453). ### Un Empire en crise Confronté aux invasions germaniques, l\'Empire traverse au même moment une profonde crise intérieure. Aux difficultés économiques et monétaires s\'ajoute le problème de l\'usurpation de plus en plus fréquente du titre impérial: la menace aux frontières accroît le pouvoir militaire et politique des gouverneurs, qui parviennent à se faire proclamer empereurs par leurs soldats. L\'empereur Dioclétien (284-305) s\'attache à renforcer les moyens d\'action du pouvoir impérial dans les régions les plus menacées, en instituant la [tétrarchie\#]. Agissant de manière de plus en plus autoritaire, le pouvoir impérial lutte contre la dépréciation monétaire en fixant des prix maximums, et durcit les modalités de recouvrement des impôts pour couvrir ses besoins financiers croissants. Cela provoque la ruine des notables municipaux (les curateurs), chargés de leur collecte. ### Disparition ou métamorphose d\'une civilisation? La période qui s\'étend du IVème au VIème siècle apr. J.C. est désignée, en allemand, sous le nom de [\"migration des peuples\"\#] ([Völkerwanderung]), alors qu\'en français, l\'expression plus courante d\'[\"invasions barbares\"\#] relève d\'une autre tradition historique, qui renvoie au souvenir traumatisant laissé par les migrations germaniques auprès de la population romanisée. Celle-ci fuit alors les pillages et les destructions en enfouissant ses objets de valeur et en se repliant sur les hauteurs, sommairement fortifiées. Pourtant, loin d\'apparaître comme des ennemis \"barbares\", les Germains ont eux aussi servi dans l\'armée romaine, où, à l\'instar de Stilicon (vers 365-408) ou Ricimer (vers 405-472), ils accèdent aux plus hauts postes de commandement. Au Vème siècle, de nouveaux États germaniques s\'établissent dans l\'Empire, comme, autour de Toulouse, le royaume très romanisé des Wisigoths, dont les rois Euric (466-484) et Alaric II (484-507) font rédiger en latin des recueils de droit romain et germanique. En 476, Le chef germain Odoacre dépose le dernier empereur romain d\'Occident, Romulus Augustule, et prend le titre de roi d\'Italie. La culture romaine ne disparaît pas pour autant. Sous le règne de l\'Ostrogoth Théodoric, le successeur d\'Odoacre, l\'Italie et le Sud de la France connaissent une longue période de paix. Joint aux traditions germaniques, l\'héritage de Rome s\'est transmis au Moyen Âge, avec notamment l\'idée d\'un empire universel et l\'Église catholique. L\'Empire romain d\'Orient, de culture grecque, se maintient quant à lui jusqu\'en 1453, avec Constantinople comme capitale. ### Vocabulaire [\#Fédérés]: peuples (Wisigoths par exemple) alliés à Rome sur la base d\'un traité ([foedus]) et soumis à l\'autorité romaine. [\#Germanique/Germains]: termes utilisés par les Romains depuis Jules César pour désigner, par opposition aux Celtes (Gaulois), les peuples situés à l\'Est du Rhin et au Nord du Danube, qui ne forment pas cependant une entité homogène. [\#Huns]: peuple de cavaliers nomades d\'Asie centrale, battu en Gaule en 451 par une armée romano-germanique placée sous le commandement du Romain Aetius (bataille des champs Catalauniques, près de Châlons-en-Champagne). [\#Sassanides]: dynastie iranienne régnant à partir 224 apr. J.C.; elle devient le principal adversaire de Rome en Orient en cherchant à ressusciter l\'Empire perse détruit par Alexandre le Grand. [\#Tétrarchie] (en grec \"pouvoir de quatre personnes\"): nom donné au système de gouvernement institué par Dioclétien, comprenant deux empereurs principaux ([Augusti]) et deux sous-empereurs ([Caesares]), chargés de les assister. ### Notion clé [\#\"Migration des peuples\"] ([Völkerwanderung]) / [\"Invasions barbares\"]: termes désignant, en allemand et en français, la période des mouvements migratoires, essentiellement germaniques, des IVème-VIème siècles apr. J.C. Ces deux expressions sont contestables: les populations germaniques ne forment pas des \"peuples\" ([Völker]) au sens actuel de nations; l\'expression \"invasions barbares\" a, quant à elle, une connotation très négative, qui renvoie à l\'opposition franco-allemande des siècles ultérieurs. #### Doc.1 ) Gunthamund, roi des Vandales \[Image\] Au cours de leurs migrations, les Vandales germaniques pénètrent jusqu\'en Afrique du Nord romaine, où, en 428-553, ils instituent leur propre royaume, avec Carthage pour capitale. Pièce d\'argent du roi Gunthamund, représenté en empereur de la fin de l\'Empire romain. Traduction de l\'inscription latine: \"Notre seigneur et roi Gunthamund\". Cabinet des monnaies, Staatliche Museen, Berlin. p45 #### Doc. 2) L\'Europe et l\'espace méditerranéen vers 476 apr. J.C. \[Carte\] #### Doc. 3) Stilicon \--un noble barbare au service de Rome \[Image\] Flavius Stilicon (vers 365-408), fils d\'un Vandale et d\'une Romaine, porte la fibule \"à oignons\" caractéristique des officiers romains; à gauche sont représentés son épouse romaine, Serena, nièce de l\'empereur Théodose, et son fils. Il devient général en chef de l\'armée romaine et exerce la régence pendant la minorité de l\'empereur Honorius. Diptyque en ivoire du trésor de la cathédrale de Monza, 32,2 x 16,2 cm, ici, copie du Rômisch-Germanisches Zentralmuseum de Mayence. #### Doc. 4) Une alliance avec les Goths Après la défaite de l\'empereur romain Valens près d\'Andrinople (378), son successeur, Théodose, accepte, en 382, l\'installation de Goths sur le territoire romain. Il conclut avec eux un traité, qui a servi de modèle à d\'autres alliances entre Romains et Barbares. Une liste des consuls de la fin de l\'Empire romain, dressée à Constantinople, note à ce sujet. Le 3 octobre 382, tout le peuple des Goths et son roi se placèrent sous l\'autorité des Romains et formèrent en quelque sorte un corps avec les soldats romains. Le service militaire des alliés, qui avait déjà été institué sous Constantin, fut renouvelé et eux-mêmes furent nommés \"fédérés\" ([foederati]). Consularia Constantinopolitana. #### Doc. 5) Les Germains en Gaule Jérôme, père de l\'Église, connu surtout pour sa traduction latine de la Bible ([la Vulgate]) décrit, dans une lettre de 409, la situation en Gaule et sur les bords du Rhin. Des nations innombrables et très féroces ont occupé toutes les Gaules. Le Quade, le Vandale, le Sarmate, les Alains, les Gépides, les Hérules, les Saxons, les Bourguignons, les Allemands, les Pannoniens ont dévasté tout ce qui est entre les Alpes et les Pyrénées, l\'Océan et le Rhin. Mayence, autrefois noble cité, a été prise et détruite; des milliers d\'hommes ont été massacrés dans l\'église. Worms a succombé après un long siège; les habitants de Reims, ville puissante, ceux d\'Amiens, d\'Arras, de Terouane à l\'extrémité de la Gaule, de Tournai, de Spire, de Strasbourg ont été transportés en Germanie; tout est ravagé dans l\'Aquitaine, la Novempopulanie \[Gascogne\], la Lyonnaise, la Narbon \--naise; sauf quelques-unes, les villes sont dépeuplées; le glaive les poursuit au dehors, la faim au-dedans. Saint Jérôme, \"Épîtres\", 123, 15,2-3. ### Pistes de travail 1\. Dégagez les différents facteurs qui expliquent la dissolution de l\'Empire romain d\'Occident. (leçon) \_\_\_ 2\. Que nous apprend la représentation de Stilicon et de sa famille sur son appartenance culturelle et politique? (doc. 3) \_\_\_ 3\. Quelle est la politique suivie par les Romains envers les Goths? (doc. 4) \_\_\_ 4\. Quelle image des Germains ressort du texte de saint Jérôme? (doc. 5) \_\_\_ ### Pour conclure En comparant les documents, laquelle des deux expressions, \"migration des peuples\" ou \"invasions barbares\", vous paraît-elle le mieux correspondre aux caractéristiques de cette époque? Auriez-vous une autre proposition? \_\_\_

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