DPF - P1 - C1 - Le Début Et La Fin De La Vie (2023-2024) PDF
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Université catholique de Louvain
2023
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This document is a chapter on the beginning and end of human life, focusing on legal aspects. It discusses the legal criteria for recognizing a person's existence, focusing on birth, viability, and death. It examines the legal processes involved in birth certificates and the legal aspects regarding abortion and euthanasia.
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CHAPITRE 1 LE DEBUT ET LA FIN DE LA VIE TABLE SECTION 1. LE DÉBUT DE LA VIE.....................................................................................
CHAPITRE 1 LE DEBUT ET LA FIN DE LA VIE TABLE SECTION 1. LE DÉBUT DE LA VIE.......................................................................................................................................... 3 A. L’acquisition de la personnalité juridique : la naissance d’un enfant, vivant et viable............................... 3 B. L’acte de naissance..................................................................................................................................... 4 C. L’individu avant la naissance : le statut juridique de l’embryon................................................................. 5 1. La prise en considération civile et pénale de l’embryon in utero.......................................................... 5 a) La reconnaissance prénatale............................................................................................................. 5 b) La rétroactivité du droit de succéder et de recueillir des libéralités................................................. 6 c) La protection de l’embryon ou du fœtus par le droit pénal.............................................................. 6 2. La recherche sur l’embryon in vitro....................................................................................................... 7 D. Une situation « intermédiaire » : l’enfant mort-né.................................................................................... 8 1. L’acte d’enfant né sans vie (art. 58 et 59 anc. C. civ.)............................................................................ 8 2. L’inhumation ou l’incinération des fœtus............................................................................................ 10 E. La maîtrise du début de la vie : PMA et avortement................................................................................ 10 1. La procréation médicalement assistée (PMA)..................................................................................... 10 a) La loi du 6 juillet 2007..................................................................................................................... 10 b) Les conditions de fond.................................................................................................................... 13 c) La procédure................................................................................................................................... 13 2. L’avortement........................................................................................................................................ 13 a) La loi du 15 octobre 2018................................................................................................................ 13 b) Les conditions de fond.................................................................................................................... 14 c) La procédure................................................................................................................................... 14 d) Le préjudice lié à la naissance......................................................................................................... 15 Le préjudice lié à la naissance d’un enfant handicapé............................................................... 15 Le préjudice lié à la naissance d’un enfant en bonne santé....................................................... 16 SECTION 2. LA FIN DE LA VIE............................................................................................................................................ 17 A. La fin de la personnalité juridique : la mort cérébrale.............................................................................. 17 B. L’acte de décès......................................................................................................................................... 17 C. L’individu après la mort : le statut juridique de la personne décédée................ Erreur ! Signet non défini. 1. La dépouille mortelle : le Code de la démocratie locale et de la décentralisation... Erreur ! Signet non défini. 2. L’intégrité du corps de la personne décédée................................................. Erreur ! Signet non défini. 3. L’intégrité morale de la personne décédée................................................... Erreur ! Signet non défini. D. Une situation « intermédiaire » : les personnes disparues....................................................................... 17 1. L’absence............................................................................................................................................. 20 2. La déclaration judiciaire de décès........................................................................................................ 21 E. Les choix relatifs à la fin de la vie : acharnement thérapeutique, soins palliatifs et euthanasie.............. 22 1. Le refus de l’acharnement thérapeutique et les soins palliatifs.......................................................... 23 2. L’euthanasie......................................................................................................................................... 23 a) La loi du 28 mai 2002...................................................................................................................... 23 b) Les conditions de fond.................................................................................................................... 24 c) La procédure................................................................................................................................... 24 d) La déclaration anticipée : l’euthanasie des personnes inconscientes............................................. 25 e) Les poursuites pénales en cas de non-respect des conditions........................................................ 25 VOCABULAIRE NÉERLANDAIS........................................................................................................ ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 2 SECTION 1. LE DÉBUT DE LA VIE A. L’acquisition de la personnalité juridique : la naissance d’un enfant, vivant et viable En droit positif la personne n’existe qu’à partir du moment du fait biologique de la naissance pour autant que l’enfant soit né vivant et, au surplus, viable. - La naissance est le fait, pour l’enfant, de se séparer du corps de sa mère afin d’accéder à une existence biologique autonome. Même s’il s’agit d’un processus qui se réalise de façon pro- gressive, on ne peut considérer que l’enfant est né, au sens qui vient d’être indiqué, qu’à partir du moment où se réalise le dernier acte qui le sépare définitivement du corps de sa mère, c’est-à-dire la section du cordon ombilical. - Naître vivant suppose par ailleurs qu’au moment où l’enfant s’est irréversiblement détaché du corps de sa mère, il continue à vivre par lui-même, c’est-à-dire qu’il parvient à respirer complètement. C’est en effet par la respiration complète que la circulation du sang s’établit dans les poumons et que l’enfant vit de sa propre vie. - Naître viable suppose enfin que l’enfant soit physiologiquement en mesure de continuer à vivre après sa naissance. Les auteurs se sont généralement accordés pour considérer que la « viabilité » d’un enfant né vivant devait s’apprécier au regard de deux critères : - la bonne conformation : l’enfant est pourvu des différents organes nécessaires pour assurer sa survie et que ces organes ne sont pas atteints d’une malformation qui les empêcherait de fonctionner et rendrait la mort inéluctable ; - la maturité suffisante : l’enfant a atteint un niveau suffisant de développement des organes indispensable pour assurer sa survie. Le nombre d’enfants nés non viables a considérablement diminué par rapport à l’époque du Code Napoléon et il est d’ailleurs devenu extrêmement difficile aujourd’hui de déterminer, d’une manière catégorique, si un enfant qui naît de manière prématurée ou qui présente des malformations à la naissance, sera ou ne sera pas viable1. La règle de droit belge relative à l’acquisition de la personnalité ou, en d’autres termes, à la « naissance juridique » de la personne humaine, telle qu’elle vient d’être formulée, n’est pas exprimée de manière générale dans le Code civil, mais sa formulation générale par la jurispru- dence et la doctrine et s’est traditionnellement appuyée sur deux de ses applications concrètes exprimées respectivement aux articles 725 et 906 du Code Napoléon (désormais art. 4.4 et 4.137 1On parvient aujourd’hui à faire survivre des grands prématurés, c’est-à-dire des enfants dont la mère accouche avant le 6ème mois de grossesse et on parvient à opérer des enfants qui présentaient à la naissance des malformations qui les auraient empêchés de survivre. Par ailleurs, le développement des techniques de diagnostic prénatal permet de plus en plus souvent aux parents d’être informés des éventuelles malformations inguérissables de leur enfant et de décider, s’ils le choisissent, de recourir à une interruption de grossesse. 3 C. civ.) à propos du droit de succéder et du droit de recueillir des libéralités entre vifs ou testa- mentaires. Un enfant qui ne serait pas né vivant et viable ne pourra ni recueillir une succession légale ou prendre part à une succession légale, ni bénéficier d’un legs ni recevoir une donation2. Une troisième application concrète en a par après été exprimée, lors de la réforme du droit de la filiation par la loi du 31 mars 1987, dans l’article 331bis de l’ancien Code civil qui prévoit ex- pressément que « les actions relatives à la filiation ne sont pas recevables si l’enfant n’est pas né viable »3. B. L’acte de naissance Comme l’écrit le professeur Yves-Henri Leleu, « l’acte de naissance est l’acte d’état civil fonda- teur qui signale l’entrée en société du sujet de droit »4. C’est d’ailleurs l’acte dont chacun d’entre nous sera régulièrement amené à produire un extrait dans différentes circonstances de sa vie, dès lors que cet acte circonscrit les éléments essentiels de notre identité. L’élaboration et le contenu des actes de naissance sont réglés par les dispositions des articles 42 et suivants de l’ancien Code civil5. Suivant les articles 42 et 43 de l’ancien Code civil, la naissance d’un enfant donne lieu à une notification par le responsable de l’hôpital ou de l’établissement de soin où l’enfant est né puis, dans les quinze jours, à une déclaration à l’officier de l’état civil du lieu de naissance par les parents ou l’un d’eux. Si une naissance a fait l’objet d’une notification mais pas d’une déclaration, l’acte de naissance est établi par l’officier de l’état civil sur base de la notification et des données qu’elle contient (art. 44, 1°, anc. C. civ.). L’acte de naissance contient les mentions visées à l’article 44 de l’ancien Code civil : - la date de naissance, le lieu de la naissance, l'heure de la naissance, le sexe, le nom et les prénoms de l'enfant ; - le nom, les prénoms, la date de naissance et le lieu de naissance de la mère et du père, si la filiation paternelle est établie, ou de la coparente, si la filiation à l'égard de celle-ci est éta- blie ; - le cas échéant, le numéro d'acte de l'acte de reconnaissance prénatale, ou la reconnaissance par le père ou la coparente. 2 On pourrait se demander quel est l’intérêt pratique d’une telle disposition, puisqu’un enfant qui ne serait pas né vivant ou viable n’aura jamais vécu ou aura très rapidement cessé de vivre et ne pourra donc jamais bénéficier de cette succession ou de cette donation. L’enjeu est, en réalité, de savoir si un enfant qui aurait cessé de vivre à sa naissance ou dans les heures qui ont suivi sa naissance aurait pu lui-même transmettre par succession à ses héritiers, en raison de son décès, le patrimoine qu’il aurait lui-même recueilli par succession ou par donation. Le législateur n’a précisément pas voulu, lorsqu’un enfant n’était pas né viable, que l’ordre normal des successions soit perturbé, car si cet enfant avait acquis la personnalité juridique, et s’il avait, à ce titre, recueilli une succession à laquelle il aurait été appelé, il l’aurait lui-même transmise de plein droit à ses propres héritiers qui n’auraient pas nécessairement été les mêmes héritiers que ceux de la succession à laquelle il aurait été appelé. Autant, a pensé le législateur, laisser la succession d’origine être recueillie par ceux auxquels elle devait naturellement se transmettre. 3 Notons d’emblée cependant que ce principe connaît des exceptions, qui seront évoquées dans la Partie III du cours. 4 Y.H. LELEU, Droit des personnes et des familles, Larcier, 2005, p. 51, n° 46. 5 Ces nouvelles dispositions procèdent de la loi du 18 juin 2018 portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges (M.B., 2 juillet 2018). Comme nous le verrons ultérieurement, cette loi met notamment en place un nouveau système informatisé de tenue des actes de l’état civil : la banque de données des actes de l’état civil (BAEC) (voy. infra Partie I, Chapitre III). 4 L’article 45 de l’ancien Code civil vise expressément la situation d’un enfant trouvé dont on ne connaît ni la mère ni le père. Il prévoit que toute personne qui a trouvé un enfant nouveau-né en informe sans délai les secours et leur communique toutes les informations utiles. C’est le service de secours qui doit ensuite déclarer la naissance de l'enfant abandonné à l'officier de l'état civil qui établira l'acte de naissance de l’enfant et enregistra le procès-verbal de la police comme annexe à cet acte dans la nouvelle banque de données de l’état civil. C. L’individu avant la naissance : le statut juridique de l’embryon 1. La prise en considération civile et pénale de l’embryon in utero a) La reconnaissance prénatale La multiplication des enfants hors mariage a conduit le législateur à porter une attention parti- culière à leurs intérêts. Ces enfants ne bénéficient pas, comme les enfants nés dans le mariage, d’une filiation paternelle établie d’emblée à l’égard de l’homme marié à leur mère et doivent, dès lors, faire l’objet d’un acte de reconnaissance officiel par leur père. Lors de la réforme du droit de la filiation de 1987, le législateur a prévu que la reconnaissance peut être faite « au profit d’un enfant conçu » (art. 328, § 3, anc. C. civ.)6. L’enfant reçoit ainsi l’assurance que, si son père venait entretemps à décéder, il naîtra sans être dépourvu de filiation paternelle et il pourra, au surplus, recueillir sa part dans la succession de son père (voy. infra)7. Pour concilier cette règle avec celle de l’acquisition de la personnalité juridique à la naissance, la doctrine et la jurisprudence considèrent la reconnaissance d’un enfant conçu comme une re- connaissance sous condition suspensive qui ne sort ses effets que pour autant que et qu’à partir du jour où l’enfant naît vivant et viable8. Il n’en reste pas moins que la règle de l’article 328, § 3, de l’ancien Code civil, dès lors qu’elle permet déjà pendant la période de gestation de faire exis- ter juridiquement un enfant à naître, peut être perçue comme une atténuation du principe selon lequel il n’y a encore aucune personne humaine aussi longtemps qu’un enfant n’est pas né vi- vant et viable. 6 Les officiers de l’état civil exigent la production, avant de recevoir l’acte de reconnaissance, d’un certificat médical de grossesse. Certains officiers de l’état civil exigeaient au surplus que ce certificat médical atteste que la mère avait atteint le sixième mois de sa grossesse. Cette pratique était manifestement contraire au texte du Code civil. L’article 328, § 3, al. 2, de l’ancien Code civil inséré par la loi du 20 février 2017 (M.B., 22 mars 2017) précise désormais ex- pressément que « la reconnaissance d'un enfant conçu peur avoir lieu à tout moment de la grossesse sur la base d'une attestation de grossesse réalisée par un médecin ou par une sage-femme ». 7 On observera aussi que, dès lors que la reconnaissance d’un enfant par son père ne peut, en droit belge, être effec- tuée que moyennant le consentement de la mère (art. 329bis, § 2, anc. C. civ.), le père d’un enfant conçu hors mariage peut avoir intérêt à effectuer une reconnaissance prénatale de l’enfant qu’il vient de concevoir tant que la mère y exprime son consentement, afin d’éviter le risque, si minime soit-il, que la mère se ravise et refuse ultérieurement, lors de la naissance de l’enfant, d’exprimer son consentement, par exemple parce qu’entretemps les relations se- raient gravement conflictuelles entre ces deux ex-partenaires. Inversement, la mère peut, elle aussi, craindre que le père de l’enfant, qui est prêt à assumer sa paternité, ne se ravise ultérieurement et, dès lors, préférer que le père procède le plus tôt possible à la reconnaissance de l’enfant avant la naissance. 8 Voy. T.G.I. Lille, 3 février 1987, J.C.P., 1990, 21447, note X. Labbée. La Professeure Nathalie Massager préfère consi- dérer que si une reconnaissance prénatale est conditionnelle, la condition en cause est une condition résolutoire, avec la conséquence que le lien de filiation serait immédiatement établi, sauf à n’avoir rétroactivement jamais existé s’il advenait que l’enfant ne naisse pas vivant et viable. N. MASSAGER, Les droits de l’enfant à naître, Bruylant, Bruxelles, 1997, p. 184 et s, n° 106. 5 b) La rétroactivité du droit de succéder et de recueillir des libéralités Un enfant né vivant et viable pourra se voir rétroactivement reconnaître, depuis le jour de sa conception, certains droits qui lui auraient été acquis pendant cette période. Cette règle, héritée du droit romain, n’est, elle aussi, exprimée dans le Code civil qu’à travers deux de ses applications concrètes qui concernent, elles aussi, le droit de succéder et le droit de recueillir des libéralités entre vifs ou testamentaires. L’objectif a bien sûr été d’éviter qu’un enfant, né vivant et viable, ne puisse pas recueillir la suc- cession légale de son père ou d’éventuels autres parents ou une succession testamentaire parce qu’il n’était pas encore né à la date de l’ouverture de la succession. Afin d’atteindre cet objectif pratique, qui était évidemment commandé par des raisons d’équité, le législateur a dès lors re- couru à ce qui a généralement été présenté comme une fiction : on fera comme si l’enfant était déjà juridiquement né à l’époque de sa conception, de façon à ce qu’il ait déjà pu être titulaire d’un droit (et de ses obligations corrélatives) à l’époque de sa conception. Cette règle a été étendue à d’autres droits, tels le droit de bénéficier de dommages et intérêts en raison de la faute commise par un tiers (art. 1382 anc. C. civ.)9, le droit de bénéficier de cer- taines prestations de sécurité sociale, comme en matière d’accidents du travail, ou le droit de bénéficier des prestations d’une assurance-vie contractée par le défunt au profit, par exemple, de ses enfants ou, plus généralement, de ses héritiers. En somme, la personnalité juridique ne s’acquiert qu’à la naissance, mais, une fois acquise pour un enfant né vivant et viable, elle sera susceptible d’avoir, dans certaines situations particulières, un effet rétroactif. c) La protection de l’embryon ou du fœtus par le droit pénal La question s’est aussi posée de savoir si le comportement fautif qui provoque involontairement la mort ou une lésion corporelle d’un embryon ou d’un fœtus, par exemple à la suite d’une er- reur médicale ou lors d’un accident de la circulation, peut être qualifié d’homicide ou de coups et blessures volontaires. On considère traditionnellement que les infractions prévues par les articles 418 et 419 du Code pénal ne peuvent être réalisées puisqu’elles répriment expressément le fait de causer la mort d’une « personne » ou de provoquer des lésions corporelles sur la « personne » d’autrui. La Cour de cassation s’est toutefois quelque peu démarquée de la solution traditionnelle dans un arrêt de du 11 février 198710 et a consacré une forme d’autonomie de la notion de personne en droit pénal par rapport au droit civil. En l’espèce, la Cour d’appel de Liège avait condamné pour homicide involontaire un médecin et une infirmière qui avaient causé, pendant l’accouchement d’une femme enceinte de jumeaux, 9 Voy. Gand, 25 mars 1980, Bull. Ass., 1980, p. 483 (indemnisation de l’enfant dont le père est décédé pendant la grossesse en raison de la faute d’un tiers). 10 Cass. 11 février 1987, J.T., 1987, p. 738. 6 la mort, avant la naissance, d’un des enfants, et la mort, après la naissance, de l’autre enfant qui n’était cependant pas né viable. La Cour de cassation a confirmé cette décision en se fondant sur l’article 396 du Code pénal qui qualifie d’infanticide « le meurtre commis sur un enfant au moment de sa naissance ou immé- diatement après ». La Cour en a conclu que « si la loi pénale accorde sa protection à l’enfant en train de naître, bien qu’il n’ait pas encore vécu de la vie extra-utérine, contre tout acte volontaire entraînant sa mort en le considérant comme une personne, la même protection doit lui être reconnue contre tout acte involontaire qui lui cause directement ce même mal ». Voy. à titre d’exemple, la décision rendue le 20 mai 2019 par le tribunal correctionnel de Bruxelles à propos de l’asphyxie d’un fœtus durant l’accouchement mené par un médecin assistant qui cause un handicap puis le décès de l’enfant. Le tribunal a estimé que la prévention d’homicide involontaire ne pouvait être tenue pour établie, à défaut de faute dans le chef de la gynécologue stagiaire et compte tenu de ce que la faute de l’hôpital n’ayant pas procuré une supervision suf- fisante ne pouvait être tenue pour la cause de l’asphyxie, du handicap et du décès (elle pouvait tout au plus être tenue pour la cause de la perte d’une chance de les éviter)11. La protection de l’enfant conçu par le droit pénal ne vaut cependant qu’à partir du début de l’accouchement, en manière telle qu’un acte volontaire ou involontaire antérieur au début du de celui-ci ne pourra être qualifié d’homicide ou de coups et blessures sur l’enfant. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 1995 considère que l’auteur d’un accident de la circulation qui cause le décès d’un fœtus ne commet pas un homicide involontaire, mais uniquement des coups et blessures involontaires sur la personne de la femme enceinte12. Néanmoins en vertu de l’article 349 du Code pénal, « lorsque l'avortement a été causé par des violences exercées volontairement, mais sans intention de le produire, le coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de vingt-six [euros] à trois cents [euros] ». Gilles Génicot propose à cet égard l’exemple de violences commises sur la femme enceinte par une personne ignorant son état13. 2. La recherche sur l’embryon in vitro La loi du 11 mai 2003 relative à la recherche sur les embryons14 autorise que des recherches soient conduites sur l’embryon dans le respect de certaines conditions et pour autant, notam- ment, qu’« il n’existe pas de méthode alternative ayant une efficacité comparable » (art. 3, 6°). La loi ne permet, en principe, de faire de la recherche que sur des embryons « surnuméraires », c’est-à-dire des embryons qui ont été produit « en trop » dans le cadre d’un processus de pro- création médicalement assistée (art. 3). Cependant, la loi permet aussi – par exception – que des recherches soient menées sur des embryons constitués pour la recherche « si l’objectif de la recherche ne peut être atteint par la recherche sur les embryons surnuméraires » (art. 4)15. 11 Trib. corr. Bruxelles (61e ch. fr.), 20 mai 2019, J.L.M.B. 2020/23, p. 1101 (somm). 12 Cass., 7 novembre 1995, Pas., 1995, I, p. 1006. 13 G. GENICOT, Droit médical et biomédical, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2016, p. 650. 14 M.B., 28 mai 2003, p. 29287. 15 Ce choix législatif est assez libéral et s’écarte des prescriptions de la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine qui interdit la constitution d’embryons aux fins de recherche et que la Belgique n’a – pour cette raison – pas ratifiée. 7 La loi n’autorise pas seulement les recherches d’ordre thérapeutique16, mais elle admet égale- ment les recherches tendant à « l’avancement des connaissances en matière de fertilité, de sté- rilité, de greffes d'organe ou de tissus, de prévention ou de traitement de maladies » (art. 3, 1°)17. Il reste que la loi encadre ces recherches en prévoyant des conditions qui limitent la liberté des scientifiques. L’embryon in vitro bénéficie donc d’une certaine protection juridique et n’est pas considéré comme une simple chose dont on pourrait disposer discrétionnairement. Sur le plan des conditions de fond, l’on relèvera que la recherche ne peut avoir lieu qu’au cours des 14 premiers jours du développement (art. 3, 5°) et dans un contexte universitaire (art. 3, 2°, 3° et 4°). Il faut évidemment que les « personnes concernées »18 aient consenti à la recherche, par écrit et après avoir été dument informées notamment sur l’objectif et la méthodologie de la recherche (art. 8). L’article 5 de la loi formule au demeurant un certain nombre d’interdictions : la création de chimères ou d’hybrides (art. 5, 1°) ; la réimplantation d’embryons manipulés (art. 5, 2°)19 ; les recherches à caractère commercial ou eugénique (art. 5, 3 à 5°)20 ; le clonage repro- ductif (art. 6)21. Sur le plan procédural, les chercheurs doivent constituer un dossier (art. 7, § 1) et obtenir l’avis positif du comité local d’éthique de l’établissement (art. 7, § 2, al. 1 et 2). Ensuite, le projet est soumis à la Commission fédérale pour la recherche sur les embryons in vitro qui peut éventuel- lement émettre un avis négatif dans les deux mois (art. 7, § 2, al. 3). D. Une situation « intermédiaire » : l’enfant mort-né 1. L’acte d’enfant né sans vie (art. 58 et 59 anc. C. civ.) La Belgique a longtemps conservé dans son ordre juridique national un décret français du 4 juil- let 1806 prévoyant que, lorsqu’un enfant décédait avant la déclaration de sa naissance, l’on ne dressait ni acte de naissance, ni acte de décès, mais un acte constatant qu’un accouchement avait eu lieu et que l’enfant présenté à l’officier de l’état civil était sans vie. La règle dite « des 180 jours » exprimée dans les circulaires ministérielles du 19 décembre 1848 et du 22 mars 1849 prévoyait au demeurant que seuls les fœtus accouchés après 180 jours de grossesse faisaient l’objet d’un tel acte de déclaration d’enfant sans vie22. 16 Une recherche thérapeutique a pour objet soit de soigner préventivement la personne qui naîtra de l’embryon conçu (on parle alors de « thérapie expérimentale »), soit de réaliser des expérimentations destinées à améliorer les techniques de soins à l’égard de tout futur embryon destiné à devenir une personne humaine (on parle alors d’« expérimentation thérapeutique »). 17 Voy. sur ce point G. GENICOT, Droit médical et biomédical, 2e éd., op. cit., p. 741. 18 », c’est-à-dire les personnes pour qui l’embryon a été constitué dans le cas d’un embryon surnuméraire ou les personnes dont les gamètes ont été utilisés dans le cas d’un embryon constitué pour la recherche (voy. l’art. 2, 2°). 19 Sauf s’il s’agissait d’une recherche d’observation sans atteinte à son intégrité ou bien d’une « thérapie expérimen- tale » destinée précisément à le soigner préventivement (art. 5, 2°). 20 Selon la loi, revêtent un caractère eugénique les recherches ou traitements « axés sur la sélection ou l’amplification de caractéristiques génétiques non pathologiques de l’espèce humaine ». 21 Le clonage reproductif humain est défini comme « la production d'un ou plusieurs individus humains dont les gènes sont identiques à ceux de l'organisme à partir duquel le clonage a été réalisé » (art. 2, 7°). Le clonage thérapeutique n’est quant à lui pas visé et n’est donc pas interdit. Il consiste à introduire dans un ovule énucléé le noyau d’une cellule provenant d’un individu que l’on veut soigner : l’ovocyte est mis en culture, devient un embryon et l’on peut prélever des cellules souches embryonnaires susceptibles d’être utilisées pour guérir cette personne. Voy. à cet égard, l’avis n° 24 du Comité consultatif de bioéthique relatif aux cellules souches humaines et au clonage thérapeutique. 22 Cette règle faisait écho à la définition par l’article 326 de l’ancien Code civil de la période légale de conception d’un enfant (entre 300 et 180 jours avant la naissance) qui impliquait que la durée minimale de grossesse pour donner 8 La loi du 27 avril 1999 a abrogé le décret de 1806 et a inséré dans le Code civil un article 80bis relatif à l’acte de déclaration d’enfant sans vie23. Cette nouvelle disposition permettait aux pa- rents de l’enfant né sans vie de lui attribuer, s’ils le souhaitaient, un ou plusieurs prénoms qui figureraient dans l’acte inscrit dans le registre des décès. L’objectif évident était d’aider les pa- rents dans le processus de deuil périnatal dès lors que l’impossibilité de donner un prénom à l’enfant suscitait parfois des « réactions émotionnelles » et causait parfois des « problèmes psychologiques »24. Une circulaire du 10 juin 1999 a en outre confirmé la « règle des 180 jours » en manière telle que « l'acte de déclaration d'enfant sans vie [n’était] dressé que si la naissance [avait] eu lieu plus de six mois après la conception »25. En septembre 2018, le gouvernement fédéral a déposé devant la Chambre un projet de loi relatif à l’acte d’enfant sans vie. Ce projet tendait à mieux appréhender les besoins des parents d’un enfant sans vie afin « de donner à cet enfant une place dans leur vie et de les aider à faire leur deuil » compte étant tenu des évolutions de la néonatalogie et des besoins individuels très di- vers en la matière26. Le texte a été adopté et une loi du 19 décembre 201827 modifie dès lors significativement le régime de l’acte d’enfant sans vie qui est par ailleurs déplacé – dans le con- texte plus général d’une « refonte » complète du Titre du Code civil consacré à l’état civil par la loi du 18 juin 201828 – aux articles 58 et 59 de l’ancien Code civil. Ces dispositions ouvrent de nouvelles options aux parents dans le cadre de l’enregistrement obligatoire des fœtus de plus de 180 jours et prévoient, au surplus, un enregistrement facultatif des fœtus de plus de 140 jours : Ainsi, dans le cas d’un enfant mort-né après une grossesse de 180 jours, l’officier de l’état civil dressera nécessairement un acte d’enfant né sans vie (art. 58, § 1, anc. C. civ.) et les parents pourront désormais non seulement attribuer à l’enfant un ou plusieurs prénoms, mais égale- ment lui transmettre (un de) leurs noms de famille (art. 59, 5° et 6°, anc. C. civ.). Dans le cas d’un enfant mort-né après une grossesse de 140 à 179 jours, l’officier de l’état civil ne dressera un acte d’enfant sans vie qu’à la demande des parents (art. 58, § 2, anc. C. civ.) qui pourront alors attribuer à l’enfant un ou plusieurs prénoms, mais ne pourront pas – en re- vanche – lui transmettre (un de) leurs noms de famille (art. 59, 5° et 6°, anc. C. civ.)29. L’article 58, § 3, indique, finalement, que l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ne confère pas à l’enfant la personnalité juridique et ne produit pas d’effets juridiques, sauf si une loi par- ticulière le prévoit expressément. naissance à un enfant était de 180 jours (M. BEAGUE, « Quelle reconnaissance juridique du deuil périnatal ? », J.T., 2008, p. 419 à 421). 23 M.B., 24 juin 1999, p. 23791. 24 Doc. parl., sén., sess. ord. 1997-1998, n° 1-623/1, p. 2. 25 M.B., 1er juillet 1999, p. 24911. 26 Doc. parl., ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 54-3271/1, p. 4. 27 M.B., 1er févr. 2019. 28 M.B., 2 juill. 2018. 29 Le texte de l’article 58, § 2, précise que le choix de faire établir un acte d’enfant sans vie lors d’une grossesse de 140 à 179 jours appartient à la mère ou au père pour autant, s’agissant de ce dernier, qu’il soit marié avec la mère ou, à défaut, qu’il ait procédé à la reconnaissance prénatale de l’enfant. La volonté du législateur a donc été que chacun des parents de l’enfant né sans vie puisse demander l’établissement d’un acte d’enfant né sans vie y compris lorsque l’autre parent ne souhaite pas qu’un tel acte soit établi. 9 2. L’inhumation ou l’incinération des fœtus Une circulaire ministérielle du 9 septembre 199130 recommandait aux communes de ne pas re- fuser la demande des parents qui solliciteraient l’inhumation ou l’incinération des fœtus mort- nés de moins de 180 jours sur une parcelle délimitée du cimetière (la « parcelle des étoiles »). Il a alors été proposé de conférer minimalement aux parents un véritable droit de faire procéder à l’inhumation ou à l’incinération des fœtus nés sans vie avant le 180ème jour de grossesse. Dès lors que cette compétence est aujourd’hui une compétence communautaire des Régions ou de la communauté germanophone, pareille solution a fait l’objet de législations régionales ou com- munautaire spécifiques31. E. La maîtrise du début de la vie : PMA et avortement 1. La procréation médicalement assistée (PMA) a) La loi du 6 juillet 2007 La loi du 6 juillet 2007 encadre les procréations médicalement assistées (PMA) de manière très libérale, en se conformant, en définitive, aux pratiques que les centres belges de la médecine de la reproduction avaient déjà mises en œuvre, puisqu’ils n’étaient tenus jusqu’alors par aucune règle légale régissant l’accès aux PMA. Le législateur a défini très largement les bénéficiaires potentiels des techniques de PMA en sorte que toute personne ou tout couple peut a priori formuler une demande de prise en charge de son projet parental par un centre de fécondation (art. 2, f)). Les centres de fécondation ne sont cependant pas obligés d’accueillir toutes les demandes et peuvent faire valoir une « clause de conscience » pour refuser d’accompagner un projet parental déterminé compte tenu de leurs options éthiques spécifiques. Cette liberté reconnue aux centres va cependant de pair avec une double obligation de transparence quant aux projets qu’ils sont susceptibles d’accompagner et de réorientation des patients en cas de refus de pren- dre en charge leur demande (art. 5). La loi permet le recours au don de gamètes (art. 51 et s.) et au don d’embryons (art. 22 et s.). Ainsi, ceux qui recourent à la PMA peuvent recevoir du sperme, des ovocytes ou des embryons 30 M.B., 25 septembre 1991. 31 En Région wallonne, un décret du 6 mars 2009 a modifié le Chapitre II du Titre II de la première partie du Code de la démocratie locale et de la décentralisation relatif aux funérailles et sépultures (M.B., 26 mars 2009). Le nouvel article L 1232-17 § 3 de ce Code prévoit, de la même manière, que « les fœtus nés sans vie dont la naissance a eu lieu entre le 106e et le 180e jour de grossesse, peuvent, à la demande des parents, soit être inhumés dans la parcelle des étoiles, soit être incinérés. En cas d’incinération, les cendres sont dispersées sur la parcelle des étoiles ». En Région de Bruxelles-Capitale, l’ordonnance du 13 décembre 2007 modifiant la loi du 20 juillet 1971 sur les funérailles et les sépultures en vue d’un traitement digne des restes des fœtus nés sans vie (M.B., 10 janvier 2008) prévoit désormais expressément que « les fœtus nés sans vie dont la naissance a eu lieu entre le 106ème et le 180ème jour de grossesse peuvent, à la demande des parents, soit être inhumés dans une « parcelle des étoiles » créée à cet effet dans les cimetières communaux, soit être inhumés dans le cimetière intercommunal d’inhumation, soit être incinérés ». Pour la Communauté germanophone, l’article 16 § 3 du décret du 14 février 2011 sur les funérailles et sépultures prévoit (M.B., 28 mars 2011), par contre, sans exiger de durée minimale de grossesse, que « les fœtus nés avant le 180e jour de grossesse sont soit inhumés soit incinérés, selon le souhait des parents ou de la personne chargée des funérailles ». 10 surnuméraires produits en trop dans le cadre du projet parental d’autres personnes lorsque ces personnes ont fait le choix d’affecter ces embryons « surnuméraires » à un programme de don. Le don est, en principe, gratuit (art. 22 et 51)32 et anonyme (art. 28 et 57)33, mais il convient de noter que le principe de l’anonymat du don est aujourd’hui fortement remis en question, dès lors qu’il empêche les enfants concernés de connaître leurs origines. Un décret flamand du 26 avril 2019 institue d’ailleurs un « afstammingscentrum » permettant aux enfants issus d’un don anonyme et aux donneurs de se retrouver sur base strictement vo- lontaire et au moyen d’une banque de donnée ADN34. En tout état de cause, des banques de données ADN privées existent également et sont régulièrement utilisées par des enfants issus de dons pour rechercher leur donneur. Une décision inédite rendue par le tribunal de première instance de Flandre orientale au mois de juin 2023 oblige ainsi un donneur probable retrouvé par une jeune femme née suite à son don à se prêter à un test génétique de vérification35. Mal- gré différentes propositions de loi en ce sens36, l’anonymat du don n’a pas (encore) été levé en Belgique. Le Comité consultatif de bioéthique a encore rendu un avis à propos de cette question en février 2022 et suggère un système « à plusieurs voies » où les parents intentionnels et les donneurs pourraient choisir de s’engager dans un processus anonyme ou non-anonyme37, ce qui ne semble pas garantir l’égalité entre les enfants38. Le don ne peut, quoi qu’il en soit, revêtir un caractère eugénique ou axé sur la sélection du sexe39. En outre, l’insémination simultanée de gamètes et l’implantation simultanée d’embryons ou provenant de différents donneurs sont interdites (art. 25 et 54). Enfin, les gamètes donnés 32 Une indemnité peut toutefois être fixée, par un arrêté royal, afin de couvrir les frais de déplacement ou de perte de salaire de la personne dont on a prélevé les gamètes ou les frais d’hospitalisation inhérents au prélèvement d’ovo- cytes de la donneuse (art. 51). 33 La loi autorise – par exception – le don non anonyme de gamètes résultant d’un accord entre le donneur et le ou les receveurs (art. 57). 34 Decr. cons. fl. du 26 avril 2019 portant création d’un centre de filiation et d’une banque de données, M.B., 17 juin 2019, p. 61544. 35 H. DE WINDT et P. DE AGUIRRE, “Rechter dwingt vermoedelijke spermadonor tot DNA-test op vraag van donorkind: "Ik wilde geen anoniem kind zijn", VRT News, 23 juin 2023 (https://www.vrt.be/). 36 Une proposition de loi déposée en septembre 2019 souligne que « le législateur doit faire en sorte que les enfants issus d’un don de matériel génétique puissent exercer leur droit à l’identité et puisse, le cas échéant, connaître l’iden- tité du donneur après appréciation, par une instance indépendante, des intérêts invoqués par le donneur pour rester anonyme ». Il est précisé que « La présente proposition de loi opte résolument pour l’identifiabilité du donneur, en prévoyant que l’enfant pourra prendre connaissance dès sa majorité de l’identité du donneur, moyennant le respect de procédures strictes. La proposition de loi lève l’anonymat des donneurs de gamètes ou, en cas de don d’embryons, des géniteurs. Il n’est pas souhaitable, en termes de droits de l’enfant, de faire coexister deux systèmes (anonymat et identifiabilité). En effet, cela créerait une inégalité entre les enfants dont les parents ont choisi un donneur identifiable et ceux dont les parents ont opté pour un donneur anonyme » (Doc. parl., Ch. repr., sess. 2019-2020, n° 55-310/1, p. 9). 37 Comité consultatif de bioéthique, Avis par lettre n° 14 du 24 février 2022 relatif à l’anonymat du don de sperme (https://www.health.belgium.be/). 38 Voy. aussi l’arrêt Gauvin-Fournis et Siliau c. France rendu par la CEDH le 7 septembre 2023 (le principe de l’anony- mat du don n’est pas contraire à l’article 8 de la CEDH). 39 On admet cependant que soit mis en œuvre un processus d’« appariement » entre donneur(s) et receveur(s) des- tiné à éviter une trop grande dissemblance entre l’enfant et ses parents (art. 23, 24, 52 et 53). S’agissant de l’eugé- nisme, la loi renvoie à la loi du 11 mai 2003 relative à la recherche sur les embryons in vitro (voy. supra) en manière telle qu’est interdit le don qui serait « axé sur la sélection ou l'amplification de caractéristiques génétiques non pa- thologiques de l'espèce humaine ». 11 par une seule personne et les embryons donnés par un seul donneur ou couple de donneurs ne peuvent conduire à la naissance d’enfants chez plus de 6 femmes différentes (art. 26 et 55)40. A ce dernier égard, le législateur est intervenu par une loi du 11 juillet 2023 pour doter la limite de 6 dons émanant du même donneur d’un système de contrôle via une banque de données confiée à l’Agence fédérale des médicaments41. Ce système est apparu nécessaire suite à la pu- blicité donnée par la presse au cas d’un « multi-donneur » néerlandais ayant procédé à plusieurs centaines de dons aux Pays-Bas et dans d’autres pays, dont la Belgique42. Les auteurs du projet parental peuvent bien sûr dans un premier temps conserver leurs em- bryons en vue d’un projet parental ultérieur. La loi les invite néanmoins expressément à décider, par convention, du sort qui sera fait à leurs embryons excédentaires dans une série de circons- tances (séparation, divorce, incapacité, mésentente, décès) et – en tout état de cause – au terme du délai de conservation des embryons qui est, en règle, de 5 années (art. 13)43. Si les intéressés ne souhaitent pas donner leurs embryons, les autres options sont l’affectation à un programme de recherche ou la destruction. La loi autorise au demeurant le recours au diagnostic génétique préimplantatoire (DGP) sauf lorsqu’il a un caractère eugénique ou qu’il est axé sur la sélection du sexe, à l’exception de la sélection qui permet d’écarter des embryons atteints de maladies liées au sexe (art. 67). Cette technique consiste généralement à prélever une ou deux cellules de l’embryon in vitro pour détecter une éventuelle anomalie génétique. Il permet donc de sélectionner les embryons qui ne sont pas affectés par de telles anomalies et seront implantés dans l’utérus44. Notons enfin que la loi belge permet de mettre en œuvre une PMA post-mortem, c’est-à-dire après le décès d’un des auteurs du projet parental. Initialement, l’insémination des gamètes ou l’implantation de l’embryon ne pouvait avoir lieu qu’entre 6 mois et 2 ans après le décès du partenaire, mais une loi du 9 juillet 2023 porte ce délai à 5 ans45. Ici encore, cette évolution fait suite à la médiatisation du cas de Laura Verhulst, connue en Flande sous le surnom de « Madame Bakster », qui a procréé grâce au sperme cryoconservé de son compagnon décédé du cancer et a témoigné de la pression résultant du délai de 2 ans. 40 Voy. l’adaptation de cette disposition par l’art. 127 de la loi du 10 avril 2014 : « Pour l'application de l'alinéa 1er, les deux auteurs du projet parental de sexe féminin qui déclarent avoir un projet parental commun sont considérés comme une seule femme ». Le but de cette adaptation est de ne pas empêcher les femmes en couples de bénéficier d’une insémination avec le sperme d’un même donneur dans le cas où l’une des deux aurait déjà été la sixième à être inséminée avec le sperme d’un donneur. Avant l’adaptation législative, sa partenaire n’aurait plus pu être inséminée avec le sperme de ce donneur précis. Après l’adaptation, cela lui est possible, puisqu’elle et sa partenaire sont consi- dérées « comme une seule femme » pour l’application de la règle. 41 Loi du 11 juillet 2023 portant des dispositions diverses en matière de santé, M.B., 29 août 2023, p. 70597. 42 A. FRANÇOIS, « Suite aux abus d’un donneur néerlandais, Frank Vandenbroucke promet un registre des donneurs de sperme d’ici fin 2023 », VRT News, 28 avril 2023 (https://www.vrt.be/vrtnws/fr/). 43 Le délai peut, dans certains cas, être réduit ou étendu (art. 17 et 18). 44 Voy. à cet égard Comité consultatif de bioéthique, Avis n° 49 du 20 avril 2009 relatif à l’utilisation du diagnostic génétique préimplantatoire (DPI) pour détecter les porteurs sains d’une mutation causant une affection héréditaire grave qui peut entraîner un risque élevé pour les descendants, https://www.health.belgium.be. Le diagnostic géné- tique préimplantatoire est au demeurant autorisé dans l’intérêt thérapeutique d’un enfant déjà né du ou des auteurs du projet parental. C’est la problématique dite du « bébé médicament ». La loi prévoit dans ce cas que le centre de fécondation consulté doit estimer que le projet parental n’a pas pour seul objectif la réalisation de cet intérêt théra- peutique : l’enfant, conçu à partir de l’embryon choisi suite au diagnostic effectué, doit en effet être désiré pour lui- même. Le centre de génétique humaine consulté doit confirmer cette estimation et joindre son avis au dossier (art. 68). 45 Loi du 9 juillet 2023 modifiant la loi du 6 juillet 2007 relative à la procréation médicalement assistée et à la desti- nation des embryons surnuméraires et des gamètes, M.B., 25 juillet 2023, p. 61903. 12 b) Les conditions de fond La loi fixe des conditions d’âge applicables aux femmes qui recourent à la procréation assistée. Ainsi, selon l’article 4 de la loi, une femme ne pourra plus formuler une demande d’implantation d’embryons ou d’insémination de gamètes après 46 ans tandis qu’il ne pourra plus être procédé à l’implantation d’embryons ou à l’insémination de gamètes chez une femme âgée de plus de 48 ans. En outre, un prélèvement de gamètes ne pourra être opéré sur une femme âgée de plus de 46 ans. c) La procédure Le centre de fécondation est tenu de s’assurer – lorsque cela s’indique46 – que les causes de la stérilité, de l’infertilité, de l’hypofertilité, de la demandeuse ou du couple demandeur ont été déterminées et traitées conformément aux données acquises de la science et aux usages de la profession. Cette obligation de vérification médicale se justifie par la volonté d’éviter un recours trop systématique et/ou trop rapide à la procréation médicalement assistée comme solution à un problème d’infertilité. Le centre de fécondation est également tenu de fournir aux parties intéressées une « information loyale » et un « accompagnement psychologique » (art. 6, al. 2, 1° et 2°). Une convention est établie entre le ou les auteurs du projet parental et le centre de fécondation. Elle vise leurs coordonnées respectives et est établie en deux exem- plaires signés par les parties (art. 7). 2. L’avortement a) La loi du 15 octobre 2018 C’est la loi Lallemand-Michielsens du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse47 qui a partiellement dépénalisé l’avortement en Belgique en relativisant son incrimination telle qu’elle était prévue par le Code pénal. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, l’interruption de grossesse pratiquée à la demande d’une femme « que son état place dans une situation de dé- tresse » n’a plus été plus punie par la loi pénale sous réserve du respect de strictes conditions. Plusieurs propositions de loi relatives à l’interruption de grossesse ont été déposées durant les premières années de la législature 2014-2019. La majorité et l’opposition s’accordaient pour considérer qu’il y avait lieu de « sortir » les dispositions relatives à l’interruption de grossesse du Code pénal pour « inscrire » le droit à l’avortement dans un texte législatif autonome. De même, la majorité et l’opposition s’accordaient pour considérer qu’il y avait lieu de supprimer l’exigence que la femme enceinte soit placée par son état dans « une situation de détresse ». Par-delà ce ténu consensus, toutefois, les positions étaient extrêmement différentes : alors que la majorité entendait s’en tenir à ces deux modifications, l’opposition réclamait une révision des conditions de l’avortement. La majorité a pu logiquement faire prévaloir ses préférences et la 46 L’obligation de vérification ne se justifie par contre évidemment pas dans les cas où le recours à la procréation médicalement assistée n’est pas lié à un problème de fertilité, par exemple si l’enjeu est d’éviter la transmission d’une affection au partenaire ou à l’enfant à naître et a fortiori si c’est un couple de femmes ou une femme seule qui sollicite une procréation médicalement assistée. 47 M.B., 5 avr. 1990. 13 loi du 15 octobre 201848 qui constitue désormais le siège des dispositions relatives à l’avorte- ment revêt donc surtout une portée symbolique. Le législateur n’a pas saisi l’occasion constituée par la sortie du Code pénal pour revoir les règles de fond et de forme applicable à l’interruption de grossesse49. Différentes propositions de loi sont actuellement pendantes qui tendent à as- souplir ces conditions50. Au demeurant, suite à l’arrêt Dobbs v. Jackson de la Cour suprême des Etats-Unis qui a supprimé la protection constitutionnelle de l’avortement aux USA, certains de- mandent l’introduction du droit à l’avortement dans la Constitution belge51. b) Les conditions de fond D’une part, l’avortement est autorisé avant la fin de la 12e semaine de conception sans qu’il soit nécessaire de faire état de raisons médicales (art. 2, 1°, a)). On parle dans ce cas d’« interruption volontaire de grossesse » (IVG)52. D’autre part, l’avortement est autorisé au-delà de la 12e se- maine si la poursuite de la grossesse met gravement en péril la santé de la femme concernée ou bien s’il est certain que l’enfant sera atteint d’une affection particulièrement grave et incu- rable (art. art. 2, 5°). Il s’agit alors d’une « interruption médicale de grossesse » (IMG) et le mé- decin consulté doit s’assurer le concours d’un deuxième médecin, dont l’avis est joint au dos- sier53. Dans tous les cas, l’avortement doit être pratiqué dans de bonnes conditions médicales par un médecin au sein d’un établissement de soin disposant des capacités d’information et d’assistance nécessaires (art. art. 2, 1°, b)). Enfin, aucun membre du corps médical ne peut être tenu à concourir à une interruption de grossesse, étant entendu toutefois qu’un médecin refu- sant d’y procéder doit en aviser la femme enceinte dès la première consultation54. c) La procédure Le médecin doit informer la femme enceinte des risques liés à l’interruption de grossesse et des possibilités d’accueil de l’enfant à naître (art. 2, 2°, a)). Après l’intervention, une information re- lative à la contraception doit lui être prodiguée (art. 2, 6°)55. Il ne peut être procédé à l’avorte- ment que pour autant que la patiente réaffirme sa volonté par écrit le jour de l’intervention 48 M.B., 29 octobre 2018. 49 Voy. pour une critique D. BERNARD et alii, « L’autonomie reproductive et les droits des femmes à l’aune de trois nouvelles lois ‘‘symboliques’’ : du glissement au recul ? », J.T., 2019, p. 344 et s. Voy. aussi T. VANSWEEVELT, F. DE MEYER et K. VAN ASSCHE, « De abortuswet 2018 : over symbolische verbeteringen en openstaande knelpunten », T.G.R./R.D.S., 2018-2019, p. 220 et s. 50 Voy. en dernier lieu la proposition 55/2794 du 30 juin 2022. 51 Voy. à cet égard la proposition 55/2832 du 14 juillet 2022. Voy. aussi S. WATTIER, « Faut-il constitutionnaliser le droit à l’avortement ? Réflexions au départ de l’expérience des Etats-Unis », J.T., 2022, p. 832. 52 Dans le cadre de l’élaboration de la loi de 2018, l’opposition avait proposé que la période durant laquelle l’IVG est possible passe de 12 à 18 semaines, mais cette option n’a pas été retenue. 53 Dans le cadre de l’élaboration de la loi de 2018, l’opposition avait proposé que l’IMG soit également possible dans le cas où il existe un risque élevé (et non une certitude) que l’enfant sera atteint d’une affection grave et incurable. De même, il avait été proposé que l’IMG soit possible dans le cas où la « situation psycho-sociale » de la patiente constitue « un obstacle sérieux à la poursuite de la grossesse ». Ces options n’ont pas non plus été retenues. 54 L’une des nouveautés tout de même introduites par la loi de 2018 est que le médecin qui refuse d’intervenir est tenu d’indiquer à la femme enceinte les coordonnées d’un autre médecin à qui elle pourra adresser sa demande (art. 2, 7°). 55 La proposition formulée par l’opposition en 2018 tendait à supprimer ces obligations d’information jugées pater- nalistes et infantilisantes et à les remplacer par l’obligation de procurer une information relative « méthodes » d’in- terruption de grossesse et à leurs « effets secondaires » et un « accompagnement psycho-social » pré et post-abortif. Cette option n’a cependant pas, non plus, été retenue par le législateur de 2018. 14 après un délai de réflexion de 6 jours prenant cours lors de la première consultation (art. 2, 3°)56. Ce délai de réflexion de 6 jours a été « doublement relativisé » par la loi du 15 octobre 2018. D’une part, il peut être raccourci en cas d’urgence médicale constatée par le médecin. D’autre part, il ne peut plus faire obstacle à l’avortement dans le cas d’une première consultation inter- venant moins de 6 jours avant la fin du premier trimestre (art. 2, 3°). On relèvera enfin qu’une loi du 13 août 1990 a créé une Commission fédérale de la loi du 3 avril 1990 relative à l’interruption de grossesse. Cette loi, amendée par la loi du 15 octobre 2018, prévoit que le médecin qui pratique une IVG transmet un « document d’enregistrement » à la commission (art. 2). Elle est chargée d’élaborer des rapports statistiques à propos de l’IVG et des rapports relatifs à l’application et à l’évolution de l’application de la loi57. d) Le préjudice lié à la naissance58 Le préjudice lié à la naissance d’un enfant handicapé La possibilité désormais laissée à une femme de procéder à un avortement dit « thérapeutique » pose la difficile question de savoir si l’erreur médicale ayant consisté à ne pas détecter une grave malformation fœtale peut justifier que les parents d’un enfant né handicapé réclament la répa- ration du préjudice causé par le handicap de l’enfant, voire encore que l’enfant lui-même, re- présenté par ses parents, réclame la réparation du préjudice que lui aurait causé le simple fait d’être né handicapé. Dans un arrêt du 3 novembre 201159, la Cour d’appel de Gand a jugé que le fait pour un gynéco- logue de n’avoir pas remarqué ou reconnu le résultat d’un test prénatal indiquant un risque élevé d’un défaut de fermeture du tube neuronal et de n’avoir par conséquent pas communiqué cette indication constituait une faute. Elle a ensuite considéré indemnisable non seulement le préjudice (moral et matériel) subi par les parents, mais aussi le préjudice (moral et matériel) subi par l’enfant et alloué aux demandeurs des provisions de plusieurs dizaine de milliers d’euros Dans un arrêt rendu le 14 novembre 201460, la Cour de cassation a cependant cassé la décision de la Cour d’appel dans la seule mesure où elle déclarait fondée l’action intentée au nom de l’enfant. A ses yeux en effet, il « n’existe pas de dommage indemnisable au sens [des articles 1382 et 1383 du Code civil] lorsqu’il faut comparer la situation de l’existence d’une personne 56 La proposition formulée par l’opposition en 2018 tendait à réduire ce délai de réflexion à 48 heures sur base de la considération suivant laquelle la plupart des femmes désireuses d’avorter ont d’ores et déjà pris le temps de la ré- flexion en manière telle que leur imposer un délai supplémentaire prolonge inutilement une situation douloureuse et angoissante. Ici non plus, le législateur n’a pas souscrit à cette approche. 57 Elle formule également à l’attention du Parlement, des recommandations relatives à d’éventuelles réformes ou à « d'autres mesures susceptibles de contribuer à réduire le nombre d'interruptions de grossesse et à améliorer la guidance et l'accueil des femmes en état de détresse » (art. 1). 58 Voy., pour une synthèse approfondie, E. DE SAINT-MOULIN, « Les actions en grossesse et vie préjudiciables », J.T., 2019, p. 83. 59 Gand (1ère ch.), 3 novembre 2011, J. dr. jeun., 2013, liv. 324, p. 44 (somm.); R.G.A.R., 2013, n° 14943, note D. DE CALLATAY, « L'enfant qu'on aurait pu avorter deux fois » ; Rev. trim. dr. fam., 2013, p. 817 (somm.); R.W., 2012-13, p. 1308; Rev. dr. santé, 2011-12, p. 205, note A. HUYGENS. 60 Cass. (plén.), 14 novembre 2014, Juristenkrant, 2014, liv. 299, p. 1 (reflet) ; J.T., 2015, p. 221 note B. DUBUISSON ; J.L.M.B., 2015, p. 264, note G. GÉNICOT, « Comparaison sans raison n'est pas solution » ; J.L.M.B., 2015, p. 264, note Y.-H. LELEU, « Refuser de comparer pour exonérer ? »; R.W., 2014-15, p. 519 (somm.) ; R.W., 2014-15, p. 1611 note N. VAN DE SYPE, « Geen vergoeding voor wrongful life » ; Rev. dr. santé, 2014-15, p. 186, note A. HUYGENS "Wrongful-life- vordering overleeft cassatietoets niet”. 15 avec un handicap avec sa non-existence ». La Cour a depuis réitéré cette position dans un arrêt du 17 octobre 201661 et dans un arrêt du 13 avril 201862. A ce stade, donc, lorsqu’ un enfant handicapé voit le jour en raison d’une erreur médicale, les parents peuvent faire valoir un droit à la réparation de leur dommage moral et matériel propre, mais pas au titre d’un éventuel dommage subi par leur enfant handicapé lui-même63. Le préjudice lié à la naissance d’un enfant en bonne santé La possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse peut également poser la question du préjudice qui pourrait être lié à la naissance d'un enfant en bonne santé. Dans un arrêt du 17 octobre 201664, la Cour de cassation a cependant jugé que la naissance d’un enfant en bonne santé à la suite de l’échec d’un avortement ne constitue pas en soi un dom- mage. Selon la Cour, « la naissance d’un enfant qu’elle a conçu ne peut, à elle seule, constituer pour sa mère un préjudice, même si la naissance est survenue après l’échec d’une intervention pratiquée en vue de l’interruption de la grossesse ». A ses yeux, au demeurant, il n’est pas con- tradictoire de refuser à la mère l’indemnisation d’un dommage consécutif à la naissance tout en ordonnant la réparation du dommage résultant de l’obligation de mener la grossesse à terme65. A ce stade, donc, lorsqu’un enfant bien portant voit le jour en raison d’une erreur médicale, les frais entourant la naissance et le dommage moral lié à l’obligation de devoir mener une gros- sesse à terme sont indemnisables, tandis que « toute indemnisation d’un quelconque préjudice moral ou matériel postérieur à la naissance est exclue »66. Une décision rendue le 30 mars 2021 par le tribunal de première instance de Bruxelles67 relance cependant le débat autour de l’indemnisation qui pourrait être due à raison de la naissance non- souhaitée d’enfants en bonne santé. Dans cette affaire fort spécifique, un couple espagnol souhaitait recourir à la technique du bébé- médicament : pour guérir leur enfant atteint de bêta-thalassémie, une maladie ne pouvant être guérie que part transfert de moëlle osseuse, ils voulaient faire naître un nouvel enfant qui pour- rait être donneur compatible. Trois embryons ont été constitués par fécondation in vitro, mais à la suite d’une erreur deux embryons non compatibles ont été implantés, plutôt que l’unique embryon compatible. Le tribunal a accepté d’indemniser à hauteur de plusieurs dizaines de mil- liers d’euros le préjudice subi par le couple espagnol : leur famille est augmentée de deux en- fants, dont aucun n’est en mesure de venir en aide à leur enfant déjà né. Voilà qui s’écarte as- surément de la trajectoire indiquée par la Cour de cassation dans son arrêt de 201668. 61 Cass. (3e ch.), 17 octobre 2016, Rev. dr. santé, 2016-2017, p. 311 note G. Génicot. 62 Cass. (1ère ch.), 13 avril 2018, J.L.M.B., 2018, p. 1076 note G. Génicot. 63 E. DE SAINT-MOULIN, « Les actions en grossesse et vie préjudiciables », op. cit., p. 89 et s. 64 Cass. (3e ch.), 17 octobre 2016, Rev. dr. santé, 2016-2017, p. 299, note G. Génicot, « Naissance et (absence de) préjudice ». 65 Cass. (3e ch.), 17 octobre 2016, RG C.09.0414.F, Rev. dr. santé, 2016-2017, p. 299, note G. Génicot, « Naissance et (absence de) préjudice ». 66 E. DE SAINT-MOULIN, « Les actions en grossesse et vie préjudiciables », op. cit., p. 83. 67 Civ. Bruxelles (11e ch.), 30 mars 2021, Rev. dr. santé, 2021-2022, p. 108. 68 Voy. F. DE MEYER et C. DE MULDER, « Réparation du dommage matériel pour élargissement familial non désiré après implantation fautive d’un embryon », Rev. dr. santé, 2021-2022, p. 112 et s. 16 SECTION 2. LA FIN DE LA VIE A. La fin de la personnalité juridique : la mort cérébrale Conformément aux connaissances médicales actuelles, c’est la « mort cérébrale » c’est-à-dire l’arrêt complet et irréversible des fonctions cérébrales qui est considérée comme la mort véri- table parce que le support biologique de la personne humaine est le cortex cérébral, et que la destruction du cortex signifie la mort de la personne. C’est cette définition de la mort que les juristes retiennent actuellement. Elle permet, sur le plan juridique, de résoudre des problèmes tels que ceux de la suspension licite des manœuvres de réanimation cardio-respiratoire ou, surtout, du prélèvement et de la transplantation d’organes. C’est en effet au cours de la période intermédiaire entre la mort cérébrale et la mort clinique qu’il est possible de prélever sur le corps encore en vie de l’homme décédé des organes sains pour les transplanter sur une autre personne. On a parfois proposé une définition légale des critères permettant la constatation incontestable de la mort cérébrale consistant par exemple à dire que la mort est acquise « lorsque l’électro- encéphalogramme révèle depuis au moins dix minutes une absence de fonctionnement des centres nerveux supérieurs, c’est-à-dire lorsque le tracé encéphalographique est linéaire ». On a cependant davantage tendance à convenir qu’il n’incombe pas au juriste, compte tenu des progrès constants de la médecine, de définir le moment de la mort et ses modes de constatation et qu’il y a lieu de laisser cette définition à la conscience professionnelle des médecins. Telle a été l’option du législateur belge dans la loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement et la trans- plantation d’organes. Ainsi, « le décès du donneur doit être constaté par trois médecins, à l’ex- clusion de ceux qui traitent le receveur ou qui effectueront le prélèvement ou la transplantation. Ces médecins se fondent sur l’état le plus récent de la science pour constater le décès ». B. L’acte de décès Le Code civil a expressément prévu que le fait du décès d’une personne serait, comme sa nais- sance, constaté et enregistré dans un acte de l’état civil : l’acte de décès. Le caractère obligatoire de l’établissement d’un acte de décès de toute personne décédée en Belgique résulte implicitement de ce que le législateur a expressément prévu qu’aucune inhu- mation ou aucune crémation ne pourrait avoir lieu sans une autorisation préalable de l’officier de l’état civil. Ainsi, le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (CDLD) prévoit que lorsqu’un décès intervient dans la région de langue française une autorisation en vue de l’inhu- mation (art. L 1232-17bis CDLD) ou de la crémation (art. 1232-22, § 1er, CDLD) de la dépouille est accordée par l’officier de l’état civil qui a constaté le décès. Puisque c’est l’officier de l’état civil qui nécessairement délivre le permis d’inhumation ou de crémation, il veillera à dresser préala- blement l’acte de décès. L’article 55 de l’ancien Code civil – tel que modifié par la loi du 18 juin 2018 – prévoit que l’offi- cier de l’état civil dresse l’acte de décès « dès qu'une attestation de décès établie par le médecin qui a constaté le décès lui est soumise ». L’article 56 de l’ancien Code civil vise les éléments qui doivent être mentionnés dans l’acte de décès : le nom, les prénoms, la date de naissance et le 17 lieu de naissance de la personne décédée ainsi que le lieu, la date et l'heure du décès ou de la découverte du corps sans vie. C. L’individu après la mort : le statut juridique de la personne décédée 1. La dépouille mortelle : le Code de la démocratie locale et de la décentralisation Une loi du 20 juillet 1971 sur les funérailles et sépultures prévoit un ensemble de dispositions destinées à garantir l’hygiène publique et le respect dû à une personne décédée. En Région Wal- lonne, ces règles ont été transférées dans le Code de la démocratie locale et de la décentralisa- tion69 par le décret du 6 mars 200970 modifié par des décrets successifs. Il est prévu que chaque commune doit avoir un cimetière traditionnel mais que plusieurs com- munes peuvent s’associer et disposer d’un cimetière intercommunal. Les communes peuvent en outre créer des cimetières cinéraires c’est-à-dire des cimetières dans lesquels sont conser- vées les urnes contenant les cendres de personne incinérées. Seul un gestionnaire public, peut, en outre créer, exploiter et gérer un établissement crématoire (art. L 1232-2, § 1, CDLD). Le Code prévoit, comme nous l’avons vu, l’aménagement d’une « parcelle des étoiles » pour les fœtus nés sans vie entre le 106e et le 180e jour de grossesse et les enfants. Une parcelle peut aussi être aménagée pour permettre le respect « des rites de funérailles et de sépultures des cultes recon- nus » qui ne peut être séparée physiquement du reste du cimetière (art. L 1232-2, § 4, CDLD). Ces cimetières et établissements crématoires doivent être clôturés pour faire obstacle autant que possible aux passages et aux vues (art. L 1232-4 CDLD). L’article L 1232-5 prévoit que les autorités communales veilleront « à ce qu’aucun désordre ni acte contraire au respect dû à la mémoire des morts ne s’y commettent » et sont en charge d’accorder les concessions de sépulture ou de columbarium (art. L 1232-7 CDLD). La loi exige en outre que les dépouilles mortelles soient placées dans un cercueil ou dans une enveloppe d’en- sevelissement (art. L 1232-13 CDLD) et régule la mise en bière et le transport des corps. La com- mune doit veiller à ce que les convois funèbres « se déroule dans l’ordre, la décence et le respect dû à la mémoire des morts » (art. L 1232-15 CDLD). Les articles L 1232-17 et suivants organisent alors les deux modes de sépulture : l’inhumation, d’une part, et la dispersion ou la conservation des cendres, d’autre part. L’article L-1232-26 précise que « les cendres du défunt sont traitées avec respect et dignité ». Toute personne peut rédiger un « acte de dernières volontés » qui sera remis à l’officier de l’état civil et exprimant les choix qu’elle opère quant à sa cérémonie funéraire et à son mode de sé- pulture (art. L 1232-17, § 2 CDLD). S’il n’y a pas d’acte de dernières volontés, les choix seront 69 En ce qui concerne la Région de Bruxelles-Capitale, voy. l’Ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 29 novembre 2007 portant fixation des mode de sépultures, de la destination des cendres ainsi que des rites de la con- viction philosophique pour les funérailles pouvant figurer dans l’acte de dernières volontés (Mon. b., 19 décembre 2007) et l’ordonnance du 3 février 2011 du Parlement de Bruxelles-Capitale modifiant l’article 24 de la loi du 20 juillet 1971 sur les funérailles et sépultures (Mon. b., 9 février 2011). En ce qui concerne la Région flamande, voy. le décret du 16 janvier 2004 sur les funérailles et sépultures (Mon. b., 10 février 2004) complété par un arrêté du Gouvernement flamand du 24 février 2006 portant fixation des modes de sépultures, de la destination des cendres ainsi que des rites de la conviction philosophique pour les funérailles pou- vant être repris dans l’acte de dernières volontés qui peut être remis à l’officier de l’état civil (Mon. b., 18 avril 2006). 70 M.B., 26 mars 2009, p. 24240. 18 posés par une « personne qualifiée » qui aura éventuellement été désignée par la personne dé- cédé dans son testament. A défaut d’une telle désignation, la « personne qualifiée » sera un de ses ayants droit ou bien « la personne qui durant la dernière période de la vie du défunt a en- tretenu avec celui-ci les liens d'affection les plus étroits et fréquents » (art. L 1232-17, § 2 juncto L 1232-1, 10°, CDLD). Les cendres pourront être soit dispersées sur une parcelle du cimetière ou sur la mer territoriale ou recueillies dans une urne conservée dans l’enceinte du cimetière (L 1232-26, § 2, 1° et 2°, CDLD). Si le défunt l’a spécifié par écrit, les cendres pourront aussi être dispersées ou inhumées à un endroit autre que le cimetière ou bien être mises dans une urne à la disposition des proches pour être conservées à un endroit autre que le cimetière (L 1232-26, § 2, 3°, CDLD). Le défunt peut donc décider que ses « proches » pourront avoir la libre disposition de ses cendres. L’article L 1232-26, § 3, prévoit au surplus que « sans préjudice des dispositions des §1 et § 2, une partie symbolique des cendres du défunt peut être confiée, à leur demande, au conjoint, au cohabitant légal et aux parents et alliés au premier degré ». On relèvera enfin, s’agissant du respect dû aux morts, que l’article 453 du Code pénal réprime expressément la violation de tombeaux ou de sépulture qui est classée dans le chapitre relatif aux atteintes portées à l’honneur et à la considération des personnes. 2. L’intégrité du corps de la personne décédée Le respect dû à la dépouille mortelle est également assuré par une interdiction générale de por- ter atteinte au corps d’une personne décédée, mais la loi prévoit un certain nombre d’atténua- tions ou d’exceptions. L’article 44 du Code d’instruction criminelle permet ainsi qu’une autopsie soit pratiquée à la requête du procureur du Roi en cas de mort violente ou dont la cause est inconnue et suspecte, sans que les proches puissent s’y opposer. Depuis 1998, cette disposition prévoit que « lors- qu'une autopsie est ordonnée, les proches sont autorisés à voir le corps du défunt » et que « le magistrat qui a ordonné l'autopsie apprécie la qualité de proche des requérants et décide du moment où le corps du défunt pourra leur être présenté ». L’article 10 de la loi du 13 juin 1986 prévoit qu’un prélèvement d’organes peut avoir lieu sur le corps de toute personne en vue d’une transplantation ou de la préparation de substances thé- rapeutiques sauf en cas d’opposition contre un prélèvement71. Le décès est constaté par trois médecins à l’exclusion de ceux qui sont intéressés par le prélèvement (art. 11). En outre, le pré- lèvement est effectué « dans le respect de la dépouille mortelle » et « en ménageant les senti- ments de la famille » (art. 12). Dans certains cas, l’atteinte au corps de la personne décédée peut être imposée par un juge, comme dans l’hypothèse d’une exhumation ordonnée à des fins d’expertise génétique dans une procédure en établissement d’un lien de filiation à l’égard de la personne décédée72. 71 L’arrêté royal d’exécution du 30 octobre 1986 a prévu que l’opposition serait exprimée sur un formulaire daté et signé remis à l’administration communale qui sera tenue de procéder à son enregistrement dans son système infor- matique. A l’origine, le législateur avait aussi permis qu’un « proche » qui serait détenteur d’une telle volonté d’op- position de la personne décédée puisse exprimer cette opposition au médecin. Dans un souci d’accroître le nombre d’organes disponibles, la loi du 25 février 2007 a abrogé le droit d’opposition des proches. 72 Voy. not. Liège, 4 juin 1996, J.L.M.B., 1997, p. 503 ; Liège, 27 avril 2001, J.L.M.B., 2002, p. 156 ; Civ. Namur, 2 dé- cembre 1992, J.L.M.B., 1993, obs. C. Panier. 19 3. L’intégrité morale de la personne décédée Les droits de la personnalité d’une personne décédée ne s’éteignent pas à son décès et ses hé- ritiers ou ses proches ont le droit de faire respecter les aspects encore vivants de sa personnalité, tels que son honneur et sa réputation, son droit au respect de la vie privée et son droit à l’image. Certains auteurs jugent que le droit d’une personne à son honneur ne serait pas transmissible comme tel et s’éteint au jour de son décès, tandis que les proches verraient en quelque sorte naître un autre droit de la personnalité, qui leur serait attribué personnellement et qui aurait pour objet le respect de la mémoire de la personne décédée. Il nous paraît au contraire qu’au décès d’une personne décédée, le droit au respect de sa dignité, de son honneur et de sa répu- tation, dont elle disposait de son vivant, est recueilli par ses héritiers ou ses proches. Le Code pénal prévoit d’ailleurs que « si [une] personne est décédée sans avoir porté plainte ou sans y avoir renoncé ou si la calomnie ou la diffamation était dirigée contre une personne après son décès, la poursuite ne pourra avoir lieu que sur la plainte de son conjoint, de ses descendants ou héritiers légaux jusqu’au troisième degré inclusivement » (art. 450, al. 2, C. pén.). La loi du 23 juin 1961 sur le droit de réponse prévoit que, si la personne visée est décédée, « le droit de réponse appartient à tous les parents de la lignée directe ou au conjoint ou, à leur défaut, aux parents les plus proches » (art. 1, al. 3, et art. 7, al. 2). Dans un jugement du 12 mars 199673, le tribunal de première instance de Bruxelles a toutefois jugé que les héritiers d’André Cools ne pouvaient faire valoir le droit à l’image du politicien as- sassiné. Etait en cause en l’espèce, la publication sur un support publicitaire de la photo du corps sans vie de Monsieur Cools, avec un texte en surimpression portant atteinte à sa mémoire. Selon le tribunal, « le droit à l’image est étroitement lié à la personne de son titulaire » et « il cesse par conséquent d’exister au décès de celui-ci et ne peut, dès lors, être transmis à ses héritiers ». Il a néanmoins condamné La Dernière Heure à payer un franc symbolique de dommages et intérêts aux membres de la famille « pour atteinte à la mémoire de feu Monsieur André Cools et à l’hon- neur de sa famille ». C’est donc le dommage moral subi personnellement par les proches du de cujus qui a été reconnu et indemnisé par le tribunal. Dans un jugement du 15 février 2000, le tribunal de première instance de Bruxelles a par contre accepté que les héritiers d’un avocat bruxellois puissent faire valoir le droit à l’honneur du défunt. Des journalistes avaient, en l’occurrence, affirmé qu’un avocat était membre notoire de l’ex- trême droite bruxelloise. Sa veuve et ses deux filles ont introduit l’action en réparation du préju- dice subi en raison de l’atteinte portée à la mémoire de leur mari et père. Le Tribunal a considéré que les deux journalistes avaient « cédé à la tentation de s’attaquer à un défunt qui, par défini- tion, n’était plus là pour se défendre » et les a condamnés à payer à chacune des trois demande- resses une somme de 100.000 FB destinée à réparer leur préjudice moral74. D. Une situation « intermédiaire » : les personnes disparues 1. L’absence Un « absent » est une personne qui, parce qu’on n’a plus de ses nouvelles et parce qu’on ignore si elle est vivante ou morte, va se trouver soumise, à l’issue d’une procédure judiciaire, à un statut et à un régime spécifiques. 73 Civ. Bruxelles, 12 mars 1996, Journ. Proc., 1996, n° 306, p. 26. 74 Civ. Bruxelles, 15 février 2000, J.L.M.B., 2000, p. 1621. 20 Cette situation était fréquente à l’époque du Code Napoléon, ne fût-ce qu’en raison des nom- breuses guerres menées par la France après la Révolution française à l’extérieur de ses fron- tières, sans qu’on n’ait jamais pu savoir ce qu’étaient devenus tous ses soldats. Elle s’est au- jourd’hui considérablement raréfiée, en raison de la mondialisation de l’information, de la pré- cision des moyens de communication et de la sophistication des techniques de recherche et d’identification des personnes, y compris les personnes décédées. Une loi du 9 mai 200775 a radicalement réformé le régime juridique de l’absence76 et les nou- velles dispositions distinguent deux périodes successives. - la présomption d’absence : le juge de paix peut constater la présomption d’absence à la demande de toute personne intéressée ou du procureur du Roi « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence depuis plus de trois mois sans que l’on ait eu de ses nouvelles pendant au moins trois mois et qu’il en découle une incerti- tude quant à sa vie ou à sa mort » (art. 112 anc. C. civ.). Un administrateur judiciaire de la « personne présumée absente » est désigné par le juge de paix pour gérer les biens celle-ci (art. 113 anc. C. civ.). - La déclaration d’absence : le tribunal de la famille peut déclarer l’absence à la demande de toute personne intéressée ou du procureur du Roi « lorsqu’il s’est écoulé cinq ans depuis le jugement qui a constaté la présomption d’absence ou sept ans depuis les dernières nou- velles reçues de l’absent » (art. 118 anc. C. civ.)77. Une fois que la décision déclarative d’absence (qui contient les énonciations d’un acte de décès ou constate, le cas échéant l’impossibilité de mentionner certaines d’entre elles) est passée en force de chose jugée, le greffe la transmet à l’officier de l’état civil compétent via la banque de données des actes de l’état civil (B.A.E.C.). L’officier de l’état civil établit un acte d’absence (nouvel acte d’état civil, cfr art. 61 anc. C. civ.). 75 Loi du 9 mai 2007 modifiant diverses dispositions relatives à l'absence et à la déclaration judiciaire de décès, M.B., 21 juin 2007. 76 La réglementation de l’absence dans le Code Napoléon était inspirée par deux objectifs difficiles à concilier : d’une part, préserver les droits de l’absent et, notamment, le droit de reprendre possession de son patrimoine (dès lors que l’absent pourrait réapparaître) et, d’autre part, ne pas empêcher trop longtemps ses héritiers de recueillir ses biens et, à tout le moins, en assurer la gestion (dès lors que l’absent ne réapparaîtrait peut-être ou probablement jamais). En fonction de ces deux objectifs, le législateur avait institué trois étapes ou périodes successives. Durant une pre- mière période, la présomption d’absence, qui durait normalement 4 ans, la personne n’était pas encore déclarée absente. Durant une deuxième période faisant suite à la déclaration d’absence par le tribunal de première instance, les héritiers étaient investis du droit d’administrer les biens de l’absent (envoi en possession provisoire). Durant une troisième période, qui prenait cours 30 ans après l’envoi en possession provisoire ou au moment où l’absent aurait eu 100 ans, les héritiers pouvaient procéder au partage des biens de l’absent bien que celui-ci ne soit pas encore considéré formellement décédé. 77 L’absence ne pourra être déclarée qu’au plus tôt un an après la publication de la demande au Moniteur belge et dans trois quotidiens (deux quotidiens à diffusion régionale et un quotidien à diffusion nationale dans la langue de la procédure) (art. 119 et 120 anc. C. civ.). 21 La décision déclarative d’absence produit tous les effets du décès à la date de l’établisse- ment de l’acte d’absence (art. 121, §2 anc. C. civ.), à savoir, notamment, l’ouverture de la succession de l’absent, la dissolution de son mariage et de son régime matrimonial. Si l’absent reparaît, il lui est loisible de former tierce opposition au jugement déclaratif d’ab- sence (art. 122, al. 1er anc. C. civ.), ce qui donnera lieu à la rectification de l’acte d’absence (art. 122, al. 1er anc. C. civ. et art. 35 anc. C. civ). Si l’existence de l’absent est prouvée après le jour où la décision déclarative d’absence est passée en force de chose jugée, l’acte d‘absence peut également être rectifié conformément à l’article 35 de l’ancien Code civil. L’absent retrouvera ses biens dans l’état dans lequel ils se trouvent et le prix de ceux qui auraient été aliénés. Son mariage (ou sa cohabitation légale) et son régime matrimonial res- tent dissous mais il est mis fin aux mesures qui auraient été prises à l’égard de ses enfants mineurs (art. 124 anc. C. civ.). - La déclaration judiciaire de décès Un acte de décès ne peut normalement pas être dressé par l’officier de l’état civil lorsque le décès d’une personne n’a pas pu être constaté, ce qui peut arriver, par exemple, lorsque, lors d’une catastrophe, le corps d’une personne décédée n’a pu être retrouvé et identifié. Cette situation n’était pas prévue par le Code Napoléon et la pratique judiciaire avait dès lors développé une solution consistant dans la déclaration judiciaire du décès d’une personne dispa- rue lorsque son décès peut être considéré comme certain. La loi du 9 mai 200778 a expressément consacré cette solution pratique en introduisant dans le Code civil différentes dispositions rela- tives à la procédure de déclaration judiciaire de décès. Ces dispositions permettent à toute per- sonne intéressée ou au Procureur du Roi de demander au tribunal de la famille de « déclarer le décès de toute personne disparue dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n'a pu être retrouvé ou n'a pu être identifié, et que son décès peut être con- sidéré comme certain eu égard aux circonstances » (art. 126, anc. C. civ.). L’article 132 de l’ancien Code civil prévoit que le greffier « transmet immédiatement via la BAEC à l'officier de l'état civil compétent les données nécessaires à l'établissement de l'acte de décès » et que « l'officier de l'état civil […] établit immédiatement l'acte de décès suite à la décision judiciaire ». L’article 134 de l’ancien Code civil permet cependant à la personne concernée, si elle venait malgré tout à reparaître, de faire tierce opposition et d’obtenir un jugement de rec- tification. 78 Loi du 9 mai 2007 modifiant diverses dispositions relatives à l'absence et à la déclaration judiciaire de décès, M.B., 21 juin 2007. 22 E. Les choix relatifs à la fin de la vie : acharnement thérapeutique, soins palliatifs et euthanasie 1. Le refus de l’acharnement thérapeutique et les soins palliatifs La dignité de la personne implique que l’on s’abstienne à son égard de tout acharnement théra- peutique et que l’on mette en œuvre à son profit des soins propres à apaiser ses douleurs et cela quand bien même aurait pour effet de hâter la fin de la vie. Ainsi, d’une part, la loi sur les droits du patient du 22 août 2002 permet-elle à un patient de refuser une intervention médicale non seulement lorsque cette intervention médicale est inutile mais également lorsque cette intervention pourrait encore avoir quelque utilité (art. 8, § 4). D’autre part, la loi du 14 juin 2002 sur les soins palliatifs permet à chaque patient de prétendre à des soins spécifiques lorsqu’il se trouve « à un stade avancé ou terminal d'une maladie grave, évolutive et mettant en péril le pronostic vital, et ce quelle que soit son espérance de vie » (art. 2, al. 1). Dans les deux cas, le but n’est pas en soi de hâter le décès de la personne, mais il est possible que l’interruption de certains soins ou la mise en œuvre de certains soins puissent par contre avoir cet effet. C’est ce qu’on appelle, en droit médical, la « théorie du double effet » : il y a à la fois un effet recherché (ne pas s’acharner ou alléger la douleur) et un autre effet potentiel et non recherché (celui de hâter la survenance du décès)79. 2. L’euthanasie a) La loi du 28 mai 2002 Peu de temps avant l’adoption des lois sur les droits du patient et sur les soins palliatifs, le légi- slateur belge avait au demeurant adopté la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie80. Elle définit l’euthanasie comme « l’acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci » (art. 2). L’homicide commis par le tiers – qui doit nécessairement être un médecin – est, par là même, légalisé et cesse dès lors d’être une infraction pénale, par l’effet de la volonté du patient. La loi du 28 février 2014 a modifié la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie en vue d’étendre l’euthanasie aux mineurs81. Une loi du 15 mars 2020 a au demeurant renforcé le droit à l’eutha- nasie, notamment en prolongeant la durée de validité des déclarations anticipées (voy. infra)82. Au demeurant, un important arrêt Mortier c. Belgique rendu par la CEDH le 4 octobre 2022 va- lide assez largement la réglementation belge. Dans cette affaire où un homme dénonçait les circonstances dans lesquelles avait été euthanasiée sa mère souffrant de dépression chronique et sévère, la Cour de Strasbourg a jugé que les conditions de fond et de forme fixées par la loi belge garantissaient suffisamment le droit à la vie protégé par l’article 2 de la CEDH. Par contre, 79 Ibid., pp. 769-772. 80 M.B., 22 juin 2002. 81 M.B., 12 mars 2014. 82 Loi du 15 mars 2020 visant à modifier la législation relative à l'euthanasie, M.B., 23 mars 2020. 23 la Cour a jugé que le contrôle opéré a posteriori par la Commission fédérale de contrôle ne pré- sentait pas les garanties requises et a condamné la Belgique sur ce point limité83. b) Les conditions de fond Il faut, dans tous les cas, que la demande d’euthanasie soit « formulée de manière volontaire, réfléchie et répétée et qu’elle ne résulte pas d’une pression extérieure » (article 3, § 1er). Le patient majeur capable doit « [se trouver] dans une situation médicale sans issue et [faire] état d'une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apai- sée et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ». Le patient mineur doit être « doté de la capacité de discernement » et « [se trouver] dans une situation médicale sans issue de souffrance physique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui entraîne le décès à brève échéance, et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ». Ainsi, alors qu’un patient majeur peut obtenir l’euthanasie y compris en cas de souffrances uni- quement psychiques et y compris lorsque sa situation médicale n’est pas de nature à entrainer son décès à brève échéance84, un mineur doté de la capacité de discernement ne peut être eu- thanasié qu’au regard de souffrances physiques et uniquement si sa situation médicale est de nature à entraîner le décès à brève échéance. Un recours en annulation a été introduit contre la loi du 28 février 2014 devant la Cour constitutionnelle qui a estimé que « la loi attaquée est fondée sur un juste équilibre entre, d’une part, le droit de chacun de mettre fin à sa vie pour éviter une fin de vie indigne et pénible, qui découle du droit au respect de la vie privée, et, d’autre part, le droit à des mesures visant à éviter des abus dans la pratique de l’euthanasie, qui découle du droit à la vie et à l’intégrité physique » (B.41)85. c) La procédure L’intervention doit être précédée d’une information complète dispensée au patient par son mé- decin, de plusieurs entretiens entre le médecin et le patient espacés d’un délai raisonnable et de la consultation d’un autre médecin qui s’assure « du caractère constant, insupportable et inapaisable de la souffrance physique ou psychique » (art. 3, § 2). La demande est actée par écrit et peut, bien sûr, être révoquée à tout moment (art. 3, § 4). 83 Voy. par ex. G. WILLEMS, « Mortier c. Belgique : la Cour de Strasbourg valide (presque entièrement) le régime belge de l’euthanasie, mais rappelle que la Convention ne garantit pas le droit au suicide assisté », Rev. trim. dr. fam., 2022, p. 768. 84 Certains auraient préféré que des souffrances physiques et un décès prévisible soient également requis pour l’eu- thanasie d’un majeur. Certains s’inquiètent au demeurant de l’interprétation large donnée à la notion de « souffrance psychique insupportable » qui a notamment permis d’y englober une souffrance liée à une « évolution dramatique future » de la maladie dont est atteinte une personne (cfr. l’euthanasie pratiquée à l’époque sur l’écrivain Hugo Claus) ou même des souffrances personnelles insupportables de personnes relativement jeunes (cfr. l’euthanasie d’un trans- sexuel dont l’opération de réassignation sexuelle avait « échoué » ou la demande récente d’euthanasie d’un interné ayant commis des viols et laissé sans soins dans l’annexe psychiatrique d’une prison). 85 Il n’en reste pas moins que le choix opéré par le législateur belge a suscité des critiques, y compris en dehors de notre pays. Ainsi, 58 membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont-ils par exemple signé une déclaration suivant laquelle la loi belge « assume de manière erronée que les enfants sont capables de donner leur consentement éclairé à l’euthanasie et qu’ils peuvent comprendre la signification grave et les conséquences com- plexes associées à une telle décision » (APCE, La légalisation de l’euthanasie pour les enfants en Belgique, Déclaration écrite n° 567, Doc. 13414, 30 janvier 2014). 24 Si, dans le cas d’un majeur, le médecin est d’avis que le décès n’interviendra manifestement pas à brève échéance, il devra consulter un troisième médecin (la loi évoque un « deuxième méde- cin », car il s’agit d’un second « autre médecin ») (art. 3, § 3). Dans le cas d’un mineur, le décès doit nécessairement, comme on l’a indiqué, intervenir à brève échéance et le médecin traitant devra consulter au surplus un pédopsychiatre ou un psycho- logue qui s’assurera de sa « capacité de discernement » et l’attestera par écrit. Les représen- tants légaux du mineur devront marquer leur accord sur sa demande (art. 3, § 2, 7°). Lorsqu’une euthanasie aura, dans de telles conditions, été pratiquée, le médecin sera par après tenu de remettre un document d’enregistrement à la Commission fédérale de contrôle et d’éva- luation créée par la loi (art. 7) qui est composé de deux volets : l’un contient les données médi- cales permettant de vérifier le respect des conditions ; l’autre est scellé et contient l’identité du médecin et du patient. En cas de doute, la Commission pourra décider, à la majorité simple, de prendre connaissance du volet scellé et demander au médecin tous les éléments du dossier mé- dical. Dans un deuxième temps, elle peut constater, à la majorité des deux tiers, que les condi- tions légales n’ont pas été respectées et transmettre le dossier au procureur du Roi (art. 8). d) La déclaration anticipée : l’euthanasie des personnes inconscientes La loi du 28 mai 2002 admet également, en son article 4, la possibilité pour toute personne ca- pable – cette possibilité n’a donc pas été étendue au mineur – d’effectuer une « déclaration anticipée » de sa volonté qu’un médecin pratique une euthanasie si ce médecin constatait ulté- rieurement : - qu’elle serait atteinte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ; - qu’elle serait inconsciente ; - et que cette situation serait irréversible selon l’état actuel de la science. La déclaration anticipée avait initialement une durée de validité de 5 ans mais elle vaut désor- mais pour une durée illimitée. Elle est faite auprès de l’administration communale qui adresse les données utiles au SPF santé publique. Les médecins peuvent alors avoir accès à ces données, lorsqu’un de leur patient est dans une situation où une telle déclaration pourrait être mise en œuvre86. e) Les poursuites pénales en cas de non-respect des conditions Récemment, des médecins belges ont été poursuivis pénalement et attraits devant la Cour d’as- sises suite à une euthanasie à laquelle ils avaient pris part. L’affaire s’est soldée par un acquitte- ment87, mais la question des dommages et intérêts reste ouverte devant le tribunal de Ter- monde. En tout état de cause, l’affaire révèle la