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Cours n°2 _ Les régimes totalitaires bouleversent l'ordre européen (1) PDF

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Yann Jeantet

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history totalitarian regimes european history political science

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This document is a history lecture about totalitarian regimes in Europe. It covers the transformation of state and political systems, the characteristics of totalitarian regimes, and their effects.

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HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet LES REGIMES...

HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN T ABLE DES MATIERES 1. Bolchevisme, fascisme, nazisme, trois régimes totalitaires dans les années 1930 aux caractéristiques communes............................................................................................................... - 3 - 1.1. La transformation de l’État et du système politique................................................................. - 3 - 1.2. La terreur............................................................................................................................................... - 5 - 1.3. L’encadrement économique............................................................................................................ - 7 - 1.4. Contrôle et transformation de la société au service du régime............................................. - 9 - 2. L’idéologie à l’origine de différences fondamentales........................................................- 12 - 2.1. Un totalitarisme de classe en URSS............................................................................................. - 12 - 2.2. Un totalitarisme de race en Allemagne...................................................................................... - 14 - 2.3. Un totalitarisme d’État en Italie.................................................................................................... - 16 - 3. Les régimes totalitaires et leurs conséquences sur l’ordre européen............................- 18 - 3.1. La remise en cause du droit international.................................................................................. - 18 - 3.2. La guerre d’Espagne, un champ d’exercice des puissances totalitaires............................ - 20 - 3.3. Des démocraties à la peine face à la montée des périls......................................................... - 21 - HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN -1- [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet Entre 1917 et 1933, l’Europe assiste à la formation de trois régimes politiques différents, connus sous le nom d’États totalitaires. Ces régimes naissent de la difficulté économique et sociale et du transfert de la violence de la Première Guerre mondiale dans le champ politique. Même si leurs idéologies sont profondément différentes, ces régimes totalitaires présentent de nombreux traits communs qui favorisent leur comparaison par les contemporains eux-mêmes, puis par les historiens. On retrouve dans chacune de ces expériences la mobilisation de toute l’économie, le culte d’un chef et la dictature d’un parti unique, le déploiement d’une terreur de masse pour contrôler les individus et forger l’ « homme nouveau ». Les ambitions expansionnistes de l’Allemagne nazie portées par une idéologie raciale précipitent la marche vers la guerre. Tandis que le rapprochement progressif entre les États totalitaires et la volonté de défendre la paix à tout prix empêchent les démocraties libérales de réagir. HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN -2- [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet 1. B OLCHEVISME , FASCISME , NAZISME , TROIS REGIMES TOTALITAIRES DANS LES ANNEES 1930 AUX CARACTERISTIQUES COMMUNES Les contextes nationaux et les temporalités spécifiques de mise en place des régimes totalitaires n’empêchent pas de concevoir des caractéristiques communes. Le début des années 1930 voit se construire ces régimes totalitaires. 1.1. La transformation de l’État et du système politique. La transformation de l’État se fait à des rythmes différents selon les régimes : elle est très rapide dans le cas de l’Allemagne nazie, tandis que le régime mussolinien connaît un durcissement progressif, entre autres sous l’influence d’Hitler. En URSS, la succession de Lénine, assurée par Staline, s’avère déterminante depuis 1924 dans le basculement vers un régime totalitaire. Dans chacun des régimes, un parti unique rassemble des masses pour défendre les intérêts d’un groupe social particulier, la classe ouvrière ou la race aryenne allemande notamment. Ce parti unique met fin à l’État de droit et se met au service du « chef », qui incarne le peuple et autour duquel un culte à la personnalité s’organise. En URSS, Staline s’impose seul au pouvoir après être parvenu à capter l’héritage de Lénine et à installer un système de plus en plus bureaucratique et arbitraire, corrompu, dénoncé comme « dictature du parti » par Trotski. En 1928, il s’impose comme maître absolu du pays après avoir éliminé ses adversaires et fait exiler Trotsky. Parallèlement à l’imposition d’un parti unique s’est construit le culte d’un chef tout-puissant, voulant incarner le peuple. La célébration en grande pompe de ses cinquante ans, le 21 décembre 1929, marque aussi les débuts de la mise en place d'un culte de la personnalité. À travers celui-ci, Staline incarne à HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN -3- [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet la fois le leader suprême mais également « le petit père du peuple », proche de ce dernier. Il devient ainsi le guide (le vojd) de la révolution qui doit se faire par le haut qui n’accepte aucune résistance ni aucune dissidence. En Italie, ce sont lois « fascistissimes », promulguées en 1925 et 1926 qui ont contribué à la mise en place de la dictature. Tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains de Mussolini. Duce du fascisme, chef du parti national fasciste (PNF), dont il nomme le secrétaire général, celui-ci est également « chef du gouvernement, Premier ministre, secrétaire d'Etat ». Seul responsable devant le roi, il « propose » à ce dernier la nomination et la révocation des ministres même si dans les faits, Mussolini les nomme lui-même. En même temps, le Duce possède l'initiative exclusive des lois et le droit de légiférer par décrets. Mussolini semble ainsi disposer d’un pouvoir quasi absolu qui se trouve renforcé par l'attribution, en mars 1938, du titre de « premier maréchal de l'Empire », et par l'organisation d'un culte attaché à sa personne qui atteint des sommets à partir de 1936. Il existe, cependant, des limites à l'absolutisme mussolinien. La signature des accords du Latran en 1929 règle les rapports entre le Saint-Siège et l'Italie et reconnaissent la souveraineté du pape sur l'État du Vatican, après une rupture diplomatique de près de soixante ans. Ces accords permettent à Mussolini de rallier l’Église au régime et fait diminuer les tensions avec celle-ci. Il existe aussi des limites symboliques, par exemple lorsqu'à l'occasion de la visite de Hitler à Rome, en mai 1938, il est écarté du premier rang des cérémonies officielles au bénéfice du roi Victor-Emmanuel, seul et unique « chef de l'État », aux yeux du protocole. La construction totalitaire est demeurée toujours inachevée en Italie, en raison des résistances opposées par la société à ce processus et d’une emprise du PNF qui n’est pas totale sur les structures de l’État italien. En Allemagne, Hitler obtient les pleins pouvoirs dès mars 1933 et procède à la déconstruction du système juridique et constitutionnel. Des décrets successifs interdisent les partis politiques autres que le NSDAP et les syndicats. L’incendie du Reichstag dans la nuit du 27 au 28 février 1933 permet aux nazis d’interdire le parti communiste. Après le décès du président Hindenburg, en août 1934, Hitler cumule les fonctions de président et de chancelier et transforme le régime allemand en un État totalitaire. La façade démocratique n’est maintenue que jusqu’en 1934, puis les élections sont supprimées et le HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN -4- [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet Führerprinzip lie toute personne personnellement à Hitler. Le culte de la personnalité s’intensifie à partir de 1933 avec la création d’un ministère de l’Information et de la Propagande, placé sous la responsabilité de Goebbels, Hitler est présenté comme le guide, le führer. Tous les supports pour la propagande sont alors utilisés, de l’affiche au cinéma avec par exemple le film de Leni Riefenstahl, sorti en 1935, Le Triomphe de la volonté. Par un doublement des structures, celles de l’État et celles du parti, le parti nazi contrôle tout, en laissant subsister les institutions étatiques désormais réduites à des coquilles vides. 1.2. La terreur La terreur, ressort de l’État totalitaire selon H. Arendt, joue un rôle clé dans cette transformation totalitaire : d’une part elle sert à maintenir l’orthodoxie doctrinale et à traquer les dissidents, et de l’autre à préserver la communauté nationale de ceux que le parti et son chef définissent comme des ennemis. L’OVRA en Italie, la Gestapo en Allemagne et la GPU (puis le NKVD à partir de 1934) en Russie soviétique jouent ce rôle de police politique. Dès 1934 la Gestapo et les SS ne relèvent plus de l’autorité politique. Près de 350.000 dirigeants communistes allemands sont arrêtés entre 1933 et 1939. Le premier camp de concentration, Dachau, est créé dès 1933. Dans la « nuit des longs couteaux » du 30 juin 1934, Hitler règle ses comptes avec des SA potentiellement gênants. La « nuit de cristal », en novembre 1938, est restée un symbole de la violence du régime nazi à l’égard de la population juive. L’Italie connaît des outils totalitaires similaires, y compris une répression concentrationnaire envers les minorités politiques, mais qui se développent progressivement et n’atteignent pas l’extrême de l’exemple nazi. L’URSS de l’époque stalinienne subit la terreur comme mode de gouvernement appliqué à ceux considérés comme les ennemis de l’intérieur qui sont alors envoyés dans les camps du goulag. Il s’agit d’abord des koulaks dans le cadre de la collectivisation forcée des campagnes à partir de 1929, désignés comme « ennemis de classe ». Ces koulaks sont des paysans propriétaires de terres et sont accusés de rejeter le communisme et de vouloir le fragiliser de l’intérieur en refusant d’approvisionner les villes et en maintenant volontairement des prix élevés. Exécutions, arrestations et déportations s’intensifient vers des régions vides HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN -5- [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet d’hommes mais riches de matières premières. Devant les résistances, la répression menée par la police politique (le GPU) s’intensifie. Ainsi plus de 2 millions de koulaks, entre 1930 et 1932, sont déportés vers le goulag. Ces arrestations et déportations ont occasionné plus de 500 000 morts. Cette politique brutale de collectivisation et de prélèvement forcé des productions agricoles et animales a généré des famines massives entre 1931 et 1933 au Kazakhstan et en Ukraine. En outre, dans cette dernière région, Staline est persuadé qu’une résistance politique locale s’est organisée pour s’opposer à la collectivisation et refuser de livrer à l’État les produits agricoles nécessaires à l’approvisionnement des villes et à l’exportation. Il décide alors d’utiliser l’arme de la faim et d’organiser des actions punitives pour punir cette paysannerie ukrainienne. Les récoltes et les semences sont saisies de force, les villageois sont obligés de rester sur place, un déchaînement de violence a lieu. Cette terreur et cette famine organisée en Ukraine ont fait entre 2,6 et 5 millions de morts, les débats ont lieu encore aujourd’hui pour la reconnaissance de cette grande famine ukrainienne comme un génocide. Cette désignation des ennemis de l’intérieur et l’utilisation de la terreur comme arme politique s’intensifie entre 1937 et 1938, c’est la « grande terreur ». Des arrestations préventives massives ont lieu de ceux jugés comme politiquement indésirables et des quotas sont fixés par région facilitant les arrestations arbitraires massives. En seize mois, plus d’un million et demi de personnes sont arrêtées, dont 750 000 sont condamnées à mort. Les exécutions sont tenues secrètes. Un nombre à peu près équivalent étant condamné à une peine de dix ans de travaux forcés dans les camps du Goulag, par des tribunaux d’exception. Ces derniers examinent les dossiers préparés par le NKVD en l’absence de toute défense de l’accusé, en l’absence des accusés eux-mêmes. Ces opérations sont doublées par des purges dans l’appareil communiste qui ont entraîné entre 40 et 50 000 exécutions. Les trois quarts du Comité central du Parti communiste sont ainsi arrêtés et exécutés favorisant la concentration du pouvoir dans les mains de Staline. HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN -6- [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet 1.3. L’encadrement économique Pour maintenir fermement ce pouvoir du parti et du chef, l’économie doit être contrôlée mais également mobilisée au service des projets et des idéologies propres à chacun des régimes. Sur ce plan, Staline accélère le mouvement en URSS, notamment entre 1929 et 1936, par trois révolutions : la collectivisation des terres, l’industrialisation (de base et lourde militaire) et le début de la planification avec l’application du premier plan quinquennal en 1928-1933. Il isole ceux qui, comme Boukharine, s’opposent à la collectivisation forcée. La modernisation est imposée par le haut et accompagnée de répression notamment à l’égard des paysans, et de nouvelles famines. L’Allemagne et l’Italie ont en commun dans cette période une tentative d’autarcie expansive et une relance de l’économie par le réarmement. Le concept d’« autarcie d’expansion », contrairement à une autarcie classique faite de repli sur soi, fait écho à celui d’« espace vital » que comptent s’arroger ces régimes, l’un en Éthiopie, l’autre en Europe centrale et orientale. L’Italie connaît une esquisse d’autarcie dès 1925, avec la bataille pour le blé, qui vise à augmenter la production et les rendements. L’économie se trouve politisée. Le fascisme a pour ligne politique de soutenir le capitalisme, de l’encadrer et d’intervenir de plus en plus dans les affaires à partir de 1929. C’est ainsi que naît en 1931 l’Istituto Mobiliare Italiana, devenu le 23 janvier 1933 l’Istituto per la Ricostruzione Inustriale, plus connu sous le nom d’IRI. Financé par l’État, l’IRI rachète aux banques en difficultés leurs participations dans les affaires industrielles. L’IRI prend alors le contrôle d’un grand nombre d’entreprises et restructure des pans entiers de l’économie. Des grands groupes sont ainsi créés dans les télécommunications, les transports maritimes, la sidérurgie, les chantiers navals et la construction mécanique qui s’orientent au service d’une course à l’armement à partir de 1934. Au début de la guerre d’Éthiopie, en octobre 1935, suite aux sanctions économiques imposées par la SDN, l’Italie connaît une nouvelle tentative d’autarcie en limitant les importations et la fuite des capitaux vers l’étranger. Finalement, la politique d’autarcie voulue par Mussolini est loin d‘être complète et l’économie italienne se maintient grâce à HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN -7- [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet la course à l’armement engagée depuis 1934 et à la politique impérialiste menée en Méditerranée orientale (Lybie et Éthiopie), ce qui a permis de limiter le chômage en Italie et de faire accepter auprès de la population italienne la marche à la guerre. En Allemagne, Hitler est très attendu sur sa politique économique, en pleine crise, face à 6 millions de chômeurs au tournant de l’an 1932. La crise économique et ses effets sociaux favorisent une radicalisation électorale progressive faisant passer l’extrême droite de 2 % des voix en 1928 à 37 % en 1932 Cependant, une fois devenu chancelier, il ne réalise aucune des nationalisations prévues dans le programme du NSDAP, mais confie des rôles importants à de grands industriels. Ceux-ci gagnent de l’influence sur la planification dirigée par Göring, reçoivent des subventions et des commandes, parfois même le monopole d’un secteur à l’image d’IG Farben dans l’industrie chimique. En réalité, il ne s’agit pas d’un contrôle de l’État sur l’économie mais plus d’une stimulation afin de faire émerger le « meilleur », ainsi sur le même champ de compétence se retrouvent différentes institutions en concurrence comme la police, l'armée, le parti, les ministères, différentes agences, voir des entreprises. Hitler initie de grands projets, soutenus par une importante propagande, comme la construction d’autoroutes ou « la voiture du peuple », « Volkswagen » mais que le pays peine à produire. Les réussites économiques restent limitées et la population s’impatiente alors que le chômage recule lentement. À partir de 1936, la relance de l’industrie d’armement soutient cette économie allemande et les premières annexions territoriales donnent un nouveau souffle à l’économie. Ainsi l’annexion de l’Autriche en 1938 permet aux Nazis de se saisir de plus d’un milliard d’or et de devises, Vienne est alors une place financière importante dans cette Europe centrale. L’économie est ainsi mise au service de l’idéologie nazie et réciproquement, le plein emploi en Allemagne (atteint dès la fin de l’année 1936), la hausse des richesses attendue avec les annexions territoriales et la mainmise sur « l’espace vital » rendent acceptables pour de nombreux Allemands la marche à la guerre et favorisent la popularité d’Hitler. HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN -8- [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet 1.4. Contrôle et transformation de la société au service du régime L’encadrement de toute la société en vue de forger un « homme nouveau » est sans conteste l’élément saillant qu’ont en commun les régimes totalitaires. Cette mobilisation de toute la société est ainsi communément considérée comme l’une des caractéristiques qui permet de distinguer le régime totalitaire de la simple dictature. La volonté de créer un « homme nouveau » mobilise tous les moyens que les régimes ont à leur disposition, de l’école aux activités sportives, des loisirs aux arts, des mouvements de jeunes à la guerre. L’embrigadement et l’éducation de la jeunesse font l’objet de toutes les attentions. Les organisations de jeunesse des partis respectifs visent à atteindre l’ensemble des jeunes ; tous les groupes potentiellement concurrents sont dissous. Elles sont politisées et suivent un modèle militaire, avec uniformes, grades, armes etc. L’objectif non avoué et non moins important, par exemple des Jeunesses hitlériennes, est d’assurer la présence du régime y compris dans les structures les plus privées de la société civile, au sein des familles. Les Jeunesses hitlériennes sont ainsi mises en place dès 1926 dans le but de créer des fidèles et loyaux soutiens du parti nazi. Les jeunes garçons portent des uniformes paramilitaires similaires à ceux des plus grands et peuvent rejoindre différents mouvements dès l’âge de six ans alors que des structures similaires existent également pour les filles. Plus de 2 millions de jeunes sont ainsi membres des Jeunesses hitlériennes en 1933, avant qu’elles ne deviennent obligatoire en 1939. Défilé des « enfants de la louve » à Rome, le 24 mai 1932 HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN -9- [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet En Italie, tous les enfants de 4 à 8 ans étaient d’office membres de l’organisation des « enfants de la louve », qui renvoie à la légende de la fondation de Rome, leur imposant de participer au défilé du 24 mai qui commémore l’entrée en guerre de l’Italie en 1915. Les garçons étaient ensuite tous inscrit dans l’organisation des Balilla (, remplacée en 1937 par la jeunesse italienne du licteur sur le modèle des Jeunesses hitlériennes) dont l’objectif était de développer l’esprit martial et le sentiment national. Tous les ans, lors du défilé du 24 mai, les Balilla devaient prononcer au nom de Dieu le serment d’allégeance au Duce et à la patrie. À quatorze ans, les Balilla devenaient des Avanguardisti (des Avantgardes). Dans ces organisations, port de l’uniforme, défilés, jeux guerriers, instruction idéologique, et culte de Mussolini étaient rendus obligatoires. En URSS, dès l’âge de 6 ans, les enfants sont embrigadées dans l’organisation des octobristes (7-8 ans), puis dans les pionniers (9-13 ans) et les komsomols (15-28 ans). Ces organisations sont au service de l’idéologie, du culte de la personnalité de Staline, et servaient de cadre aux grandes manifestations à l’image du défilé du 1er mai. D’autres organisations regroupent les adultes en fonction du sexe (Fédération des femmes allemandes, par exemple), de la profession ou des intérêts. Les syndicats uniques imposés dans chacun des pays ne visent pas la représentation des travailleurs, mais leur encadrement disciplinaire. En URSS, ces derniers font partie d’une brigade de travail, responsable également pour l’organisation de loisirs et pour développer un sentiment de collectif. En Italie, on assiste à la création d’associations professionnelles (« l’Association fasciste des cheminots », « l’Association fasciste des postiers et télégraphistes », …). À partir des années 1930, l’inscription dans ces associations fut rendue obligatoire. Les organisations de loisirs remportent un grand succès, que ce soit le Dopolavoro (« après le travail »), contrôlé par le parti fasciste ou Kraft durch Freude (« la Force par la joie ») qui compte plus de 20 millions d’adhérents en 1939 soit un Allemand sur deux. L’objectif est également de stimuler le sentiment d’appartenir à une « communauté du peuple » (Volksgemeinschaft), tout en contrôlant pleinement les individus. HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 10 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet L’encadrement et la mobilisation de la population passent aussi par la construction de représentations collectives qui donnent une image concrète des projets portés par ces régimes totalitaires. Cela se manifeste dans les grands rassemblements et défilés qui participent à la construction d’une psychologie collective. Chacun des trois régimes connaît son propre style de grandes cérémonies : défilés militaires (parfois la nuit avec des torches), congrès de Nuremberg pour les nazis (en particulier celui de 1935), « foules océaniques » en Italie affluant pour entendre les discours de Mussolini, semaine de festivités autour du 1er mai en URSS. Ces manifestations collectives sont aussi des mises en scène pour célébrer le culte du chef. Les arts et les artistes doivent se mettre au service des régimes totalitaire en vue d’exalter ces derniers et leurs dirigeants. Le cinéma contribue au rayonnement du régime à l’image des studios de Cinecittà à Rome, véritable ville dans la ville. Le cinéma participe aussi de cette volonté de contrôler le peuple. L’URSS mobilise ainsi le cinéaste Sergueï Eisenstein pour mettre en scène la gloire du régime. L’Allemagne confie ce dessein à la réalisatrice Leni Riefenstahl qui glorifie Hitler à travers Le triomphe de la volonté, sorti en 1935. L’espace et l’architecture occupent une place fondamentale dans ces régimes totalitaires car ils rendent concrets les projets portés par les dirigeants. Ainsi en Italie, la Piazza Venezia est au cœur de la construction de la nouvelle Rome fasciste d’où résonne les discours de Mussolini. Cette place est au centre de la redéfinition de la nouvelle Rome, de la Rome impériale et fasciste. La volonté de façonner l’espace, en vue d’exalter le régime nazi, par une architecture gigantesque et futuriste servant les ambitions d’Hitler est prise en charge par l’architecte A. Speer pour les villes de Nuremberg et de Berlin (baptisé « Germania » à partir de 1942). Le sport est aussi un moyen d’exalter ces régimes totalitaires devant les yeux du reste du monde, c’est dans ce sens que sont organisés la coupe du monde de football en Italie en 1934 par les fascistes et les JO de Berlin en 1936 par le régime nazi même si les victoires de l’athlète noir américain Jesse Owens éclipsent la propagande nazie. Accéder au contrôle total sur la population implique de détruire les organisations existantes, dont les Églises. HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 11 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet Dans leur lutte contre l’Église orthodoxe russe, très liée à la dynastie des Romanov, les Bolchéviques laissent libre cours à la terreur contre le clergé, tout en excluant systématiquement l’institution de la sphère publique en lui interdisant d’être propriétaire et de tenir des enseignements religieux. Une propagande athée militante et des cérémonies de substitution visent à détourner la population de la religion. Les années 1929-1939 voient la persécution la plus sauvage de toute la période soviétique avec pour objectif d’éradiquer totalement la religion. En dépit d’une hostilité réciproque initiale, les rapports entre l’Italie fasciste et l’Église romaine sont réglés dans les accords du Latran en 1929, signal fort de soutien pour le régime. Suit un concordat avec le Reich le 20 juillet 1933, malgré les réticences de l’épiscopat allemand qui ne cesse de dénoncer les violations de l’accord. Les conflits vont croissant, et en mars 1937 Pie XI condamne, par deux encycliques, en même temps la doctrine nazie et le communisme. L’hostilité des nazis envers les Églises (catholique ou protestante) ne fait alors aucun doute. 2. L’ IDEOLOGIE A L ’ ORIGINE DE DIFFERENCES FONDAMENTALES Les similitudes dans les moyens de contrôle employés et dans la forme de dictature, qui viennent d’être soulignées, ne doivent pas occulter les différences idéologiques : chacun de ces régimes est guidé par une idéologie qui lui est propre. 2.1. Un totalitarisme de classe en URSS Le régime soviétique jouit de la base doctrinale la plus solide et de la plus cohérente. Le totalitarisme en URSS vise à détruire le capitalisme et reprend l’idéologie défendue par Karl Marx, une société sans classe sociale, et celle de Lénine qui considère que sa mise en place ne peut se faire se faire sans la violence en raison des résistances qui émergeront, c’est la dictature du prolétariat. Staline reprend ces deux idéologies et les accentue en les centrant autour de sa personne. Cette base idéologique pouvait présager d’une politique expansionniste. Dès 1917, la révolution bolchevique s’appuie sur un esprit messianique et universaliste. Toutefois HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 12 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet rapidement l’idée que la révolution russe ne peut survivre que comme début de la « révolution prolétaire mondiale », cède la place à la « construction du socialisme dans un seul pays », sous l’influence notamment de Staline, au grand dam de Trotski. Ce revirement éloigne l’URSS des principes internationalistes initialement professés. La propriété privée est abolie, les industries passent sous le contrôle de l’État et les terres sous le contrôle de coopératives, les kolkhozes, c’est la collectivisation. L’économie de marché cède la place à une planification de l’État. Le projet de création d’« homme nouveau », « l’homo sovieticus », est avant tout la figure du travailleur. La propagande et l’encadrement de la population visent à former des travailleurs au service de l’État soviétique. Il s’agit de produire un être équilibré, discipliné et productif. Photographie du mineur Stakhanov expliquant son système de percement (vers 1940), Bibliothèque du Congrès (États- Unis). L’exaltation du mineur Stakhanov participe de cette propagande en faisant de ce personnage l’emblème de l’homme nouveau communiste. Ce dernier serait né d’une famille pauvre de paysans en 1906. En 1927, il part travailler dans les mines du Donbass en Ukraine et devient perforateur (utilisateur du marteau-piqueur) à partir de 1933. C’est au milieu des années 30 que sa légende se construit autour d’une vaste propagande organisée par l’État et Staline lui-même qui le qualifie « d’Homme nouveau », ou de « bâtisseur du socialisme ». Ainsi lors d’un concours de productivité, en août 1935, organisé par les komsomols, il extrait 102 tonnes de charbon en 5 heures et 45 minutes de travail, soit 14 fois son quota. Quelques HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 13 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet semaines plus tard, il en extrait le double. La propagande autour de Stakhanov s’intensifie, son exploit doit servir de modèle aux autres travailleurs et rend concret la figure de « l’homo sovieticus ». Stakhanov est présenté comme cultivé, lisant Tolstoï ou Dostoïevski et étudie de 1936 à 1941 à l’Académie industrielle de Moscou. Le développement du « stakhanovisme » vise avant tout à accroître les rendements au travail et complète les mesures très dures prises pour augmenter la productivité en 1932 (peine de mort en cas de vol de propriété collective, licenciement immédiat en cas d’absence au travail, …). Les ouvriers « stakhanovistes » sont présentés comme des modèles à suivre : ils font la chasse aux pauses et temps morts, et n’épargnent pas leurs peines. La figure de la « femme soviétique » n’est pas en reste, par son travail et parce qu’elle est considérée comme l’égale de l’homme, elle participe aussi à l’édification de la société soviétique. Pour défendre cet idéal, la terreur s’installe. Ceux qui refusent la collectivisation sont accusés d’être des bourgeois ou des capitalistes. Les koulaks (paysans propriétaires) sont alors déclarés « ennemis de classe ». Deux millions de ces paysans qui refusent de perdre leurs terres sont ainsi emprisonnés et déportés au goulag majoritairement vers l’Oural, la Sibérie occidentale, la Région Nord et le Kazakhstan. 2.2. Un totalitarisme de race en Allemagne Le régime nazi promeut une idéologie raciste inspirée du darwinisme social, en vertu duquel la vie est un combat où les sociétés luttent pour leur survie et seules les plus douées l’emportent. Les activités paramilitaires des Jeunesses hitlériennes et l’exaltation de la guerre doivent créer le soldat nazi capable de s’imposer. La race constitue le facteur explicatif de l’histoire du monde. Au sommet de la hiérarchie naturelle des races, la race aryenne serait seule créatrice de culture. Cette idée de hiérarchie entre les peuples conduit à la nécessité de l’élimination des éléments perturbateurs qui affaiblissent la race allemande comme les malades mentaux, les homosexuels, les témoins de Jehova et les juifs. Hitler fait du peuple juif le négatif des aryens et présente les relations entre ces deux races selon un schéma apocalyptique : une lutte à mort entre les deux peuples serait à ses yeux HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 14 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet inéluctable. L’antisémitisme est un trait distinctif du régime hitlérien, même si Mussolini le reprend en partie à partir de 1938. L’adoption en 1935 des lois de Nuremberg vise à exclure les juifs de la société allemande au nom d’un idéal racial. Les juifs sont alors privés de leurs droits civiques. Les mariages mixtes sont interdits. L’accès aux lieux publics leur est impossible. Ils sont exclus des professions du commerce, de la banque, de la médecine, de la fonction publique ou encore de l’armée. Ces lois de Nuremberg flattent un antisémitisme populaire et sont plutôt bien accueillies dans certaines parties de la société allemande, elles ouvrent la voie à une politique antisémite qui ne cesse de se radicaliser jusqu'à la guerre. La « Nuit de Cristal » constitue une étape dans cette radicalisation alors que la majorité de la population juive allemande a choisi de rester plutôt que de fuir l’Allemagne et que plus de 200 000 juifs se retrouvent intégrés dans le Reich après l’annexion de l’Autriche. L’assassinat d’Ernst vom Rath, secrétaire d’ambassade à Paris par Herschel Grynszpan, juif polonais d'origine allemande qui habite Paris et qui voulait protester contre la récente expulsion des juifs polonais vivant en Allemagne par-delà la frontière polonaise, donne le signal des pogroms soutenus par l’appareil d’État nazi. Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, les Sections d’Assaut, les SS, les Jeunesses hitlériennes ou encore la Gestapo s’associent pour lancer un vaste mouvement de persécution à l’encontre de la communauté juive. Plusieurs centaines de synagogues sont incendiées et détruites, plus de 7000 commerces sont saccagés et leurs vitrines brisées, d’où le nom donné à cette « Nuit de Cristal ». Une centaine de juifs sont assassinés et plus de 30 000 membres de cette communauté sont déportés dans des camps de concentration à Dachau et Buchenwald. Le 12 novembre 1938 un décret sur l’élimination des juifs de la vie économique est adopté, il permet la liquidation des entreprises au profit des populations aryennes pour un prix dérisoire en échange d’une libération des camps. La création d’un climat de terreur vise précisément à faire fuir les juifs accélérant un processus d’émigration en direction de la Palestine ou des États-Unis. Devant les réactions indignées de l’opinion publique et politique au Royaume-Uni, aux États-Unis, et le boycott des entreprises allemandes, le régime nazi décide de ne pas renouveler ces actions spectaculaires et fait le choix du secret. HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 15 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet Le projet politique du nazisme est par essence expansionniste. Dès le 3 février 1933, Hitler expose aux généraux de l’armée allemande sa volonté de mener à bien la « conquête d’un nouvel espace vital » (Lebensraum). Les territoires à l’est sont alors considérés comme indispensables à la survie de la « race germanique » et un programme de colonisation doit s’y appliquer selon le « bureau pour la race et le peuplement (organisation de la SS), il s’agit bien d’une lecture raciale et biologique de l’espace justifiant les projets de conquête. L’expansion est aussi justifiée par la nécessité de réunir toutes les populations de « sang et de langue allemande » (le pangermanisme) dans un grand Reich. Hitler s’attache ainsi à déconstruire le traité de Versailles et prépare la guerre dès le milieu des années 1930. 2.3. Un totalitarisme d’État en Italie Instrumentalisant la latinité et la toute-puissance de l’Empire romain, Mussolini défend la création d’un État tout-puissant qui dirige l’intégralité de la vie de ses citoyens. Cet absolu de l’État doit garantir l’unité de la nation. Nouveau César, Il proclame que l’État est tout et que l’individu n’est rien. Il ambitionne par ailleurs de redonner à son pays une dimension méditerranéenne en en se lançant dans la conquête de l’Éthiopie en 1935. Admirateur du passé impérial romain, Mussolini souhaite renouer avec cette grandeur passée de l’Italie. Il s’agit pour lui bâtir une nouvelle Rome et un empire et c’est la mission qu’il assigne à l’État fasciste. La Rome antique est le thème favori de ses discours. Il place l’Italie fasciste dans la continuité de l’histoire antique romaine. Mussolini favorise les fouilles archéologiques afin de mettre en valeur les monuments romains, après avoir ainsi dégagé les forums impériaux, il fait construire la via dell’impero qui mène au Colisée, le long de laquelle sont inaugurées des statues de César, Auguste, Nerva et Trajan. Il commémore le bimillénaire de l’empereur Auguste auquel il se compare et fait afficher des cartes qui rappellent l’extension de l’empire romain, auxquelles il rajoute la carte de l’empire italien en octobre 1936. L’architecture se place dans la continuité de passé glorieux à l’image du foro Mussolini et les références à l’Antiquité sont multiples (salut fasciste, un vocabulaire issu du latin à l’image du terme Duce, licteur,…image de la louve, …) HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 16 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet Parade militaire fasciste sur la « via dell'Impero » qui relie les forums impériaux au colisée (ici en arrière-plan) peu après son inauguration en 1932. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Roma_parata_fori_anni_30.jpg C’est aussi la référence à la Rome impériale qui justifie les conquêtes coloniales ; suite à l’entrée des troupes italiennes à Addis-Abeba (Éthiopie) en mai 1936, Mussolini déclare : « L’Italie a finalement son Empire. […] Levez bien haut, légionnaires, vos insignes, vos armes et vos cœurs pour saluer, après quinze siècles, la réapparition de l’Empire sur les collines sacrées de Rome. ». La guerre en Éthiopie et les violences italiennes qui l’accompagnent ont aussi favorisé le développement de théories racistes de la part du pouvoir fasciste mais c’est bien le rapprochement avec l’Allemagne qui entraîne le régime vers une radicalisation. Cette invasion de l’Éthiopie provoque un isolement diplomatique et une condamnation sans équivoque de la société des Nations. L’Italie se rapproche alors de l’Allemagne en proclamant le 1er novembre 1936, l’axe Rome-Berlin, prolongé en 1939 par « le pacte d’acier ». À la suite de son voyage en Allemagne en 1937, un renforcement de l’aspect totalitaire sur le modèle de l’Allemagne nazie prend forme. Fasciné par la puissance et la discipline du IIIe Reich, Mussolini s'inspire du modèle hitlérien pour radicaliser son régime dans une perspective totalitaire. Le totalitarisme italien reprend alors à son compte les HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 17 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet théories raciales allemandes. L’Italie connaît alors une dérive antisémite et adopte notamment plusieurs décrets contre les juifs en 1938. En quelques semaines, les juifs d’Italie deviennent des citoyens de seconde zone, cette exclusion favorise à l’inverse la construction du « nouvel homme italien », antihumaniste, capable de discriminer et de persécuter. 3. L ES REGIMES TOTALITAIRES ET LEURS CONSEQUENCES SUR L ’ ORDRE EUROPEEN Bâtis sur une logique de mépris de la démocratie libérale, les régimes totalitaires bouleversent les équilibres européens dans l’entre-deux-guerres. Au mépris des principes internationaux instaurés après la Première Guerre mondiale, l’Allemagne se renforce progressivement et prépare le déclenchement d’un nouveau conflit international au nom de ses ambitions expansionnistes. 3.1. La remise en cause du droit international Dès les années 20, il existe une volonté de remise en cause de l’ordre établi par le traité de Versailles en 1919. Hitler n’a jamais caché son intention de remilitariser l’Allemagne pour partir à la conquête de l’espace vital : « Nous exigeons [...] la création d'une armée nationale » stipule l’article 22 du programme du parti national-socialiste (1920). Depuis son arrivée au pouvoir en 1922, Mussolini fait de l'expansion coloniale un fondement de sa politique étrangère afin de laver l'affront de la défaite d'Adoua en Éthiopie (1896) et de permettre à l'Italie d'obtenir sa part dans le partage de l'Afrique, aux côtés des autres grandes puissances européennes (Angleterre, France). Dès son accession au pouvoir en 1933, Hitler remet en cause les décisions entérinées par le traité de Versailles. Il quitte la conférence sur le désarmement à Genève (siège de la SDN) pour dénoncer les inégalités qui existent, selon lui entre l’Allemagne et les pays européens concernant les questions d’armement, et se retire de la Société des Nations en 1933, tout comme le Japon. L’année suivante, il prépare le réarmement de l’Allemagne et multiplie par trois les effectifs militaires (passant de 100 à 300 000 hommes). La France, la Grande Bretagne et l’Italie tentent de négocier au sujet de l’armement avec l’Allemagne tout en HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 18 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet proposant un retour de l’Allemagne au sein de la SDN. Mais Hitler répond par la poursuite du réarmement allemand et rétablit le service militaire obligatoire en mars 1935. Il remilitarise la Rhénanie en 1936 et lance la construction de la « ligne Siegfried » face à la « ligne Maginot » profitant d’un contexte favorable en raison de la guerre en Éthiopie qui mobilise l’attention des démocraties occidentales. L'agression italienne contre l'Éthiopie constitue un tournant dans l'histoire de l'Italie fasciste, parce qu’elle entraîne une radicalisation du régime, un rapprochement avec l’Allemagne nazie, mais également dans l'histoire européenne, car elle met fin aux espoirs de certains diplomates anglais ou français de pouvoir s'allier avec Mussolini contre Hitler. En raison de la crise économique, de la volonté du Duce de constituer une économie italienne autarcique et de renouer avec le passé de la Rome impériale, Mussolini se lance dans une politique expansionniste. Les visées de Mussolini se portent alors sur le seul grand État indépendant de la corne de l'Afrique, l'Éthiopie. Depuis 1934, Mussolini a compris que la France et la Grande Bretagne ont besoin de son aide pour contenir en Europe la menace d’Hitler, et conçoit le projet de profiter de ces circonstances pour intervenir militairement en Éthiopie. Quelques mois après la conférence de Stresa (avril 1935) scellant une entente entre Français, Anglais et Italiens pour faire face à la menace nazie, persuadé que les démocraties lui laisseront les mains libres en Éthiopie, Mussolini décide de se lancer à la conquête de celle-ci sans déclaration de guerre (octobre 1935). Devant la résistance inattendue des troupes éthiopiennes et la détermination du Négus (empereur) Hailé Sélassié, l’armée italienne se lance dans une guerre plus dure en utilisant l’aviation et les gaz toxiques. Les troupes italiennes s’emparent de la capitale Addis- Abeba en mai 1936. Cette agression bouleverse l’ordre international et européen, dès le départ la SDN vote des sanctions économiques contre l’Italie, d’autant que l’Ethiopie est aussi membre de celle-ci depuis 1923. Les sanctions sont considérées en Italie comme profondément injustes car elles proviennent de puissances coloniales (France, Angleterre), et renforcent l'unanimité de l'opinion italienne derrière le Duce et la popularité de Mussolini. Surtout, ce dernier engage un véritable retournement des alliances : se considérant trahi par ceux avec qui il a accepté de discuter lors de la conférence de Stresa (France et Grande Bretagne), il cherche à se HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 19 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet rapprocher d'Hitler, qui a soutenu le Duce dans son entreprise coloniale : dès novembre 1936, l'axe Rome-Berlin devient une réalité. En 1937, l’Italie à son tour quitte la SDN. 3.2. La guerre d’Espagne, un champ d’exercice des puissances totalitaires En février 1936, le Front populaire (le frente popular), alliance des partis de gauche, accède au pouvoir en Espagne. Le 17 juillet 1936 un soulèvement militaire mené par le général Franco éclate contre le gouvernement républicain au Maroc espagnol. Les troupes de Franco débarquent en Espagne alors que plusieurs garnisons se soulèvent dans différentes villes espagnoles. Contre les troupes nationalistes, les Républicains mobilisent de nombreuses milices ouvrières. La guerre civile tourne à l’avantage des nationalistes mais devant la résistance des troupes républicaines Madrid reste aux mains des Républicains. En 1937, seul le Nord de l’Espagne est encore aux mains de ces derniers. L'armée républicaine remporte une victoire importante à Guadalajara en mars 1937, permettant de dégager quelque peu Madrid et oblige Franco à repousser la nouvelle offensive qu'il prépare contre la capitale. L'ultime offensive franquiste débute en décembre 1938, soutenue par de puissantes forces aériennes et motorisées : Barcelone tombe le 26 janvier 1939. Totalement isolée, Madrid résiste encore quelques semaines avant que le 28 mars 1939 les troupes de Franco n'y pénètrent. La guerre civile espagnole constitue une répétition générale de la Seconde Guerre mondiale. Rapidement, l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste interviennent massivement en soutien des nationalistes alors que les démocraties occidentales refusent d’envoyer des troupes, du moins officiellement, préférant préserver la paix. 70 000 volontaires italiens combattent aux côtés des troupes franquistes tandis qu'Hitler envoie en Espagne une division d'élite, la Légion Condor responsable du bombardement massif de Guernica (le 26 avril 1937, 1650 morts) permettant une médiatisation du conflit (comme en témoigne l’œuvre de Picasso). La guerre d'Espagne est également devenue le terrain d'essai d'armes et techniques nouvelles (utilisation simultanée des blindés et de l'aviation) qui vont être utilisées pendant la Seconde Guerre mondiale dans le cadre de la blitzkrieg. HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 20 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet Les Républicains bénéficient quant à eux d’une aide importante de l’URSS (techniciens, soutien matériel et militaire) alors que dans de nombreux pays d’Europe de nombreux volontaires s’engagent au sein des « Brigades internationales » créées par le Kominterm (la troisième internationale communiste née en 1919 dont l’objectif est de favoriser la révolution communiste à l’échelle mondiale mais qui dans les faits est désormais sous le contrôle de Staline) mais ils ne peuvent empêcher la victoire des nationalistes, célébrée en mai 1939 par le général Franco. 3.3. Des démocraties à la peine face à la montée des périls Inquiets des ambitions allemandes avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933, l’Angleterre et la France veulent maintenir la paix en maintenant à la fois un dialogue avec l’Allemagne nazie et en menant une diplomatie de front commun. L’Angleterre fait le choix de poursuivre sa politique d’appeasement afin de maintenir la paix, de préserver les relations commerciales alors que les liens avec son empire se distendent. Cette politique passe alors par des concessions. En outre, l’opinion publique tout comme en France est largement gagnée par le pacifisme, le souvenir de la Première Guerre mondiale est encore très présent. La France sous l’impulsion de son ministre Pierre Laval décide de s’aligner sur cette politique d’apaisement devant le réarmement de l’Allemagne engagé par Hitler alors qu’elle peine à sortir de la crise économique et sociale et connaît une véritable instabilité gouvernementale. Face à ces violations des traités, les démocraties libérales tentent d’isoler diplomatiquement l’Allemagne tout en maintenant un difficile équilibre qui se relève inopérant dans le cadre de la SDN. Ainsi la France se rapproche de l’URSS qui a intégré la SDN en 1934, en concluant avec elle un traité d’assistance mutuelle, signé à Paris le 2 mai 1935 par le ministre français des Affaires étrangères, Pierre Laval et l’ambassadeur soviétique, Vladimir Potemkine, c’est « la politique de la main tendue ». Pierre Laval entend maintenir un équilibre difficile en concédant à l’Allemagne la récupération de la Sarre, en se rapprochant de l’Angleterre et de l’Italie de Mussolini dans la cadre de la conférence de Stresa (avril 1935), en soutenant l’Angleterre dans sa condamnation de l’Italie après l’invasion de l’Éthiopie mais en tout en HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 21 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet veillant à trouver un arbitrage (ce qui est un échec et conduit Mussolini a quitté la SDN) et donc en signant ce traité d’assistance mutuelle avec l’URSS mais qui dans les faits se relève inopérant parce que soumis à l’appréciation de la SDN et parce que la France se refuse à l’automaticité de ce traité, provoquant la colère de Staline. Cette diplomatie des démocraties occidentales se révèle inefficace. Hitler rétablit le 16 mars 1935, en violation du traité de Versailles, le service militaire obligatoire et réoccupe la Rhénanie (7 mars 1936). À la suite des condamnations de la SDN, Mussolini se considérant trahi par la France et l’Angleterre cherche à se rapprocher d'Hitler, dès novembre 1936, l'axe Rome-Berlin devient réalité et se concrétise lors de la guerre civile espagnole. De la même façon qu'Hitler a soutenu les entreprises italiennes en Éthiopie, Mussolini ne proteste pas contre les différents coups de force engagés par Hitler à partir de 1936. Pour contrer ce front uni, Hitler signe avec le Japon le pacte anti-Kominterm que rejoint l’Italie en 1937. Le 13 mars 1938, Hitler annexe l’Autriche (Anschluss) à l’aide du parti nazi autrichien. Ni la SDN, ni les démocraties occidentales ne réagissent. En septembre 1938, il revendique la région des Sudètes en Tchécoslovaquie où vivent 3 millions de germanophones sur un total de 15 millions d’habitants provoquant une mobilisation générale, la guerre semble imminente. Le 29 septembre 1938, une conférence internationale, à l’initiative du premier britannique Neville Chamberlain, est organisée à Munich pour régler la question des Sudètes et sauver la paix. La menace est prise au sérieux par les démocraties occidentales qui dépêchent au côté de Neville Chamberlain, le président du conseil français, Édouard Daladier pour rencontrer Adolf Hitler et Benito Mussolini. Aucun représentant tchécoslovaque n’est présent. Leur volonté de « sauver la paix » les poussent au compromis avec les États totalitaires. La France et l’Angleterre sacrifient la Tchécoslovaquie en autorisant l’annexion des Sudètes par l’Allemagne, pensant éviter la guerre. À Londres et à Paris, Chamberlain et Daladier sont accueillis avec enthousiasme comme les sauveurs de la paix. L’opinion publique se divise alors entre munichois (sauver la paix à tout prix) et anti-munichois (ne plus reculer devant les initiatives hitlériennes, même si cela doit passer par une nouvelle guerre européenne). HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 22 - [email protected] HISTOIRE – Les régimes totalitaires bouleversent l’ordre européen Yann Jeantet Les conséquences de Munich sont graves : l'annexion des Sudètes marque la première étape du démembrement de la Tchécoslovaquie et Hitler se trouve encouragé dans sa politique d'agression. En mars 1939, la création à l'initiative d'Hitler d'un « Protectorat de Bohême- Moravie » (ouest de la Tchécoslovaquie) totalement sous le contrôle de l’Allemagne et d'une Slovaquie indépendante mais satellisée par l'Allemagne finissent par convaincre les Britanniques que leur politique d'apaisement ne peut plus se poursuivre. Ils garantissent leur protection à la Pologne et refusent l’annexion du couloir de Dantzig qui permettrait à Hitler d’unifier à nouveau les deux parties de l’Allemagne. Le 1er septembre 1939, suite à la signature d’un pacte de non-agression et de partage de la Pologne secret avec l’URSS (pacte Ribbentrop-Molotov, signé le 23 août 1939), Hitler envahit la Pologne ; le 3 septembre l’Angleterre et la France déclarent la guerre à l’Allemagne. HISTOIRE – LES REGIMES TOTALITAIRES BOULEVERSENT L’ORDRE EUROPEEN - 23 - [email protected]

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