Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale PDF
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Ce document est un cours sur l'histoire de la médecine, couvrant l'anatomie et les révolutions des théories scientifiques depuis l'Antiquité jusqu'à la révolution scientifique.
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Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Santé, Société, Humanité Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale (partie 1) Semaine : 6 Heure : 9h30...
Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Santé, Société, Humanité Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale (partie 1) Semaine : 6 Heure : 9h30 - 12h Professeur : Pr. ag. J. DEVINANT Date : 16/10/2023 Binôme : Claire MIKOLAJCZAK / Léna LAGREZE / OLIVERO Correcteur : DE RUBIANA Alban / PLAUT Chlotilde / Sakina CHEGGA / Stella YAPO Remarques du professeur : Plan du cours : I) Introduction à la pensée médicale de la notion de cause III) Les étapes de la consultation A) Citation de George Canguilhem A) Plus de mille ans d’immobilisme ? B) 1628 (publication du De motu cordis de W. Harvey) : une 1. Ibn al-Nafis rupture géniale ? 2. Les obstacles à la remise en question du système galénique II) Grands temps de développement de l’anatomie 3. Les dissections tardo-antiques et A) De l’Antiquité classique à la Révolution Alexandrine médiévales 1. L’anatomie dans l’Antiquité classique (Ve s. AEC) 4. Exemple du renouveau de l’anatomie à 2. L’époque de Dioclès de Caryste (IVe s. AEC) l’époque moderne : J. Fernel 3. La révolution Alexandrine (IIIe s. AEC) B) Vésale et la nouvelle anatomie B) La continuation de projet anatomique par Galien ( 129-216) 1. Vésale : 2. De humani corporis fabrica 1. L’anatomie, essentielle du point de vue des conceptions galéniques C) Harvey, la découverte de la circulation 1. Des brèches dans le modèle de Galien C) Le système physiologique mis en place par Galien 2. Les différentes découvertes 1. Le système physiologique avant Galien 3. Les limites de la quantification 2. Le système galénique 1/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Nous traiterons 2 objectifs principaux dans ce cours : 1) Objectif épistémologie : Essayer de comprendre la manière dont évoluent les théories scientifiques et de démonter une représentation commune qu’on a (et que pas mal de scientifiques ont) de la manière dont les théories scientifiques changent et se forment. On va revenir sur la notion de révolution scientifique : pour montrer que cela ne se passe pas comme on en a l’habitude. 2) Développer un exemple sur le long court sur les parties pertinentes de l’histoire de la médecine occidentale en allant de l’Antiquité jusqu’à la Révolution Scientifique ( XVIIe / XVIIIe s) Ce qu’on trouve dans les livres de vulgarisation sur l’histoire de la médecine : « Au XVIIe siècle Harvey est arrivé et a sauvé la médecine en découvrant la circulation sanguine, parce que lui, enfin, savait faire de l’anatomie » En réalité, c’est plus compliqué que ça, et on va le voir dans ce cours. I) Introduction à la pensée médicale de la notion de cause A) Citation de Georges Canguilhem Georges Canguilhem est une personne importante, grande figure pour la physique et la philosophie en général, mais tout particulièrement une grande figure de la philosophie de la médecine en France (au XXes) car il était à la fois médecin et épistémologue spécialiste de théories des sciences : il savait de quoi il parlait et il a été très important dans le développement du questionnement de l’histoire de la médecine au XXe siècle. Dans son livre Idéologie et rationalité dans l’histoire des sciences de la vie (p.24-25), Canguilhem s’interroge sur la validité de la notion de révolution scientifique notamment quand elle est appliquée aux sciences de la vie. Il remarque que la notion de “révolution scientifique” fonctionne bien, à la limite, quand on est en physique. Mais quand on regarde l’histoire des sciences de la vie, la biologie et la médecine, cela fonctionne beaucoup moins bien. Notamment, si on cherche une date (périodisation) qui marque une rupture nette dans l’évolution de la pensée médicale, on va avoir du mal à la trouver. « Il conviendrait de se demander à partir de quelle date on peut repérer dans les sciences des êtres vivants (sciences biologiques), quelques fractures conceptuelles (un avant, un après) de même effet révolutionnaire que la physique relativiste ou la mécanique quantique. (…) Souvent le chercheur de rupture (mauvais historien) croit (…) qu’un savoir scientifique s’inaugure par une rupture unique, géniale. Souvent aussi l’effet de rupture est présenté comme global affectant la totalité d’une œuvre scientifique. Il faudrait pourtant savoir déceler, dans l’œuvre d’un même personnage historique, des ruptures successives ou des ruptures partielles. Dans une trame théorique (tissu), certains fils peuvent être tout neufs (ce qui fait référence à la révolution, ce qui est nouveau) alors que d’autres sont tirés d’anciennes textures. Les révolutions coperniciennes et galiléennes ne sont pas faites sans conservation d’héritage » - Georges Canguilhem. 2/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Avec la notion d’anatomie, on aurait tort de penser qu’il y a un avant et après l’anatomie de l’époque moderne. On ne sait pas rendu compte tout de suite qu’on pouvait ouvrir les corps et comprendre l’anatomie. La discontinuité historique n’est pas totale, elle n’est pas instantanée et ne concerne pas la totalité des théories, mais cela relève bien du processus : il y a des changements qui s’accumulent les uns les autres, des incohérences qui perdurent… Si bien qu’on peut se demander si plutôt que de parler de découverte (nouveau) ou de révolution scientifique (on change de point de vue scientifique), il ne faudrait pas parler de reconfiguration, refonte, remodelage du savoir scientifique. On se base sur une grande date de l’histoire de la médecine (si ce n’est LA grande date de l’histoire de la médecine), un exemple qu’on interprète généralement sans trop se poser de questions comme un événement majeur, une grande rupture avant “un avant et un après” : 1628. B) 1628 (publication du De motu cordis de W. Harvey) : une rupture géniale ? En 1628, William Harvey (médecin anglais) publie le De motu cordis où l’idée de circulation sanguine est exposée pour la première fois dans l’histoire de la médecine occidentale. C’est un événement décisif dans l’histoire de la médecine, mais en quel sens ? Dans notre conception moderne du fonctionnement du corps humain, le sang est lié au cœur et aux artères et il est lié aussi aux poumons, or cela n’a pas toujours été le cas. C’est difficile à imaginer : un étudiant en 1e ou 2e année de médecine par exemple, a du mal aujourd’hui à ne pas penser que la découverte de la circulation sanguine en 1628 est très tardive, alors que le phénomène est évident et pas si complexe que ça à comprendre. → Alors pourquoi on a attendu 1628 pour comprendre que le sang tournait dans le corps en vase clos ? On va essayer de voir comment on en est arrivé à notre conception moderne de la circulation sanguine. L’histoire est longue et sinueuse avec une progression très irrégulière, des moments importants mais pas non plus avec de grandes illuminations géniales. L’anatomie dans l’Antiquité est importante à comprendre pour visualiser tout ce qui sépare l’Antiquité et l’Époque Moderne, notamment ce qu’il se passe au Moyen-Âge. Le renouveau de l’anatomie commence avec les travaux de Vésale et débouche sur la découverte de la circulation sanguine par Harvey en 1628. Il faut éviter de penser le développement de l’anatomie (dans l’histoire de l’anatomie occidentale) comme un progressif surpassement/dépassement de barrières culturelles, comme si au début on n’avait pas le droit de regarder dans le corps humain (par exemple à cause de l’Église) et qu’on a quand même finit par le faire, que de courageux scientifiques sont allés déterrer des cadavres en bravant les interdictions, la loi et la morale… et que c’est grâce à çà qu’on a compris le fonctionnement du corps humain. Cette compréhension des choses est très fausse. 3/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Autopsie (étymologiquement) = regarder par ses propres yeux, voir par soi-même comment cela fonctionne dans le corps humain L’autopsie, qui rétrospectivement peut paraître la meilleure façon de voir comment ça fonctionne, en réalité n'est pas une tendance naturelle du fonctionnement de la compréhension scientifique. Ce n’est pas quelque chose à quoi il faudrait laisser place. « Il y a une curiosité naturelle de l’humain : une fois les barrières levées, on a regardé dans l’être humain » NON ! II) Grands temps de développement de l’anatomie A) De l’Antiquité classique à la Révolution Alexandrine (IIIe siècle AEC) 1. L’anatomie dans l’Antiquité classique (Ve s. AEC) Dans l’antiquité classique, la médecine était essentiellement basée sur le régime. On cherchait à réguler nos pratiques de vie et les modes d’interventions en cas de pathologie étaient surtout les médicaments. Il y avait de la chirurgie dès l’antiquité classique mais c’était un acte de dernier recours, souvent limité à la médecine de guerre et à la chirurgie externe – réduire des fractures, recoudre des plaies etc. Il n’y avait aucune connaissance détaillée des organes internes et de leur disposition. Il n'y a aucune référence à la dissection humaine dans l'ensemble des textes hippocratiques. Les premiers textes médicaux occidentaux ne présentent que des modèles imaginaires de l'anatomie interne, basées sur les connaissances issues de la boucherie. Question d’une élève : Pourquoi les Grecs n'ont-ils pas pris en compte les connaissances liées à la momification et aux pratiques d'ouverture du corps pratiqué en Égypte ? (en gros) Réponse du prof : L'échange de connaissances médicales entre les Égyptiens et les Grecs reste flou. Par ailleurs, les pratiques d'ouverture du corps humain en Égypte, liées à la momification, ne visaient pas à comprendre le fonctionnement interne. Bien que ces pratiques permettent de situer les organes, elles ne permettent pas d’en comprendre la physiologie. La compréhension du corps humain dans les textes hippocratiques, basée sur des analogies avec les animaux, a conduit à des aberrations anatomiques, comme celle de l'utérus errant (ou vagabond). Selon les hippocratiques, le petit coquin s’amusait à se promener à l'intérieur du corps de la femme en fonction de son cycle menstruel, expliquant ainsi ses sautes d'humeur (cf hystérie). Conception étrange qui a amené à croire qu’on pouvait attirer et repousser l’utérus avec des fumigations. En d'autres termes, on pensait que les femmes devaient "inhaler" des vapeurs médicamenteuses par le nez ou le vagin pour ramener le vagabond à sa place. Preuve de plus qu’ils ne savaient vraiment rien de l’anatomie féminine et humaine en général. 2. L’époque de Dioclès de Caryste (IVe s. AEC) (Heureusement), les choses changent à partir du 4ème siècle avant notre ère avec Aristote. Notre brave monsieur se lance, aux côtés de ses disciples de l'école péripatéticienne, dans un vaste programme de recherche zoologiste et biologiste. C'est à ce moment que débute la véritable dissection scientifique visant à comprendre et à observer les mouvements, les flux (pour ainsi dire, la 'tuyauterie') et bien d'autres aspects. 4/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Le premier à avoir rédigé un traité sur la dissection et l'anatomie animale en tant que discipline scientifique est Dioclès de Caryste, qui vivait au 4ème siècle avant notre ère et était élève de l'école péripatéticienne. 3. La révolution Alexandrine (IIIe s. AEC) Pour les premières pratiques de dissections humaines dans la médecine occidentale, il faut attendre un siècle de plus – le 3ème siècle, ou plus précisément l'an 280 avant notre ère. Pour assister à ces avancées, il nous faut quitter la Grèce et Athènes pour nous rendre à Alexandrie, en Égypte. Là-bas, ce sont deux médecins très célèbres, que sont Hérophile de Chalcédoine (303-260) et Erasistrate de Céos (320-250), qui pratiquent la dissection humaine. Remarque du professeur : Les dates et leur nom - de Caryste, de Chalcédoine et de Ceos - ne sont pas à retenir. Ce qui importe, ce sont leur prénom - Dioclès, Hérophile et Erasistrate, ainsi que l'époque à laquelle ils ont vécu, l'époque hellénistique. Hérophile et Erasistrate sont deux Grecs qui sont venus travailler à Alexandrie. Vous pourriez vous demander pourquoi deux Grecs ont choisi de s'installer à Alexandrie. Eh bien, à cette époque, il existait un programme politique de "fuite des cerveaux" visant à attirer les meilleurs savants de l'époque en dépensant beaucoup d'argent et en construisant, par exemple, la bibliothèque d’Alexandrie. Une autre question qui pourrait vous venir à l'esprit, pourquoi la dissection humaine a-t-elle eu lieu pour la première fois à cette époque à Alexandrie ? Plusieurs hypothèses ont été avancées par les historiens : D’abord, l’hypothèse, bien que peu probable, de l’embaumement – ce n’est pas un problème en Egypte d’ouvrir des corps mais cela reste à des fins rituelles et non scientifiques. Deuxièmement, l’hypothèse d’un lieu favorable – à Alexandrie, où les contraintes habituelles liées aux mœurs et vetos étaient moindres. Mais les raisons semblent surtout d’ordre socio-politique. Les Ptolémées, au pouvoir en Égypte, avaient une politique de mécénat en faveur des sciences, encourageant leurs chercheurs à briller et à faire de nouvelles découvertes. Cela nécessitait donc de repousser les limites établies. À cette époque, on assiste également à un changement de regard. Pour la première fois, ce sont des médecins qui s’approprient l'anatomie. Dioclès était davantage un zoologiste qu'un médecin. Il se consacrait à la philosophie naturelle, cherchant à comprendre le monde. Hérophile et Erasistrate pratiquaient la dissection dans le but d'agir, avec l'idée que la connaissance de l'anatomie ouvrirait de nouvelles voies thérapeutiques. Ils ouvraient pour mieux comprendre ce qu'ils pourraient réparer et sur quoi ils pourraient intervenir. Bien que l'on sache que Hérophile et Erasistrate aient été les premiers à pratiquer la dissection humaine, nous disposons de très peu d'informations à leur sujet. En dehors de leur importance cruciale dans le développement de la médecine antique, nous possédons peu de détails sur leur travail, principalement en raison de la perte de leurs écrits. La connaissance de leurs travaux provient principalement de sources ultérieures. Par exemple, nous ne savons pas si les Hérophile et Erasistrate pratiquaient la vivisection humaine ou s'ils se limitaient à la dissection post-mortem. Du point de vue théorique, c'est une question cruciale, car dans l'Antiquité, la considération du corps mort diffère grandement de celle du corps vivant. 5/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Certains vont jusqu’à dire que le corps mort est différent du corps vivant. Ainsi, ouvrir un corps sans vie ne nous enseignerait rien sur le fonctionnement du corps vivant, car il est possible que tout ait changé. Dans des témoignages tardifs d'auteurs latins tels que Celse et Tertullien, Hérophile et Erasistrate sont critiqués pour avoir pratiqué la vivisection. Celse suggère qu’ils auraient disséqué à vif des criminels que les rois tiraient des prisons. Il est donc probable qu'il y ait eu des cas de vivisection, mais nous ne savons pas s'il s'agissait d’expérience ponctuelle ou d'un programme d'études basé sur des condamnés à mort. De plus, l'acceptation de cette pratique et les résultats qu'ils en ont tirés restent inconnus. Quoiqu’il en soit, Hérophile et Erasistrate ont développé beaucoup de connaissance dans le domaine de l’anatomie et de la dissection. C’est à eux que l’on doit la découverte du réseau sanguin, de la distinction entre les artères et les veines, ainsi que de l'étude du système nerveux. Leur travail a permis d'établir une cartographie beaucoup plus précise du corps humain. A noter que cette période de dissection humaine a été brève, à peine une vingtaine d'années. De plus, les découvertes anatomiques réalisées par Hérophile et Erasistrate, bien que qualitatives et précises, n'ont pas eu d’impact sur la pratique médicale. Après Alexandrie, on continue de donner les mêmes médicaments et de pratiquer la médecine des humeurs à la manière d’Hippocrate. Cependant, il est crucial de souligner que ces grandes découvertes anatomiques ont laissé une empreinte durable sur l'histoire de la médecine occidentale et ont influencé et soutenu les travaux de Galien. B) La continuation de projet anatomique par Galien ( 129-216) : Galien c’est encore une fois un grec d’Asie mineure, qui se trouve en Turquie. Il vient d’une grande famille très fortunée de Turquie et passe l’essentiel de sa carrière à Rome ( le centre politique du monde méditerranéens cette époque ).C’est un grec de province qui monte à Rome où il va faire toute sa carrière, notamment près des empereurs, il sera médecin du jeune Commode (le méchant dans Gladiator). Il va écrire énormément ; aujourd’hui son œuvre conservée, qui n’est qu’une partie de sa production, est de plus de 20 000 pages ce qui est énorme pour l’antiquité. C’est l’auteur dont on a conservé le plus de texte de l’antiquité. L’anatomie joue chez Galien un rôle très important. 1. L’anatomie, essentielle du point de vue des conceptions galéniques : Galien lui accorde une place capitale parce que selon lui, l’anatomie produit des phénomènes évidents, qui s'imposent au sens et qui est une bonne base pour permettent de construire un raisonnement médical correct. Il donne plusieurs justification à la pratique de l’anatomie : Elle permet de connaître pour connaître Elle permet de montrer que la nature est bien faite : un des projets fondamentaux de Galien est de montrer que la nature est bien faite. Elle permet de nous montrer comment fonctionnement le corps vivant Elle permet d’utiliser correctement le scalpel si on doit faire de la chirurgie. 6/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Pour lui, ce ne sont pas des rôles différents mais des relations imbriquées de l’anatomie. 1) On observe 2) On trouve la fonction (on comprend a quoi ça sert) 3) On agit on modifie le fonctionnement. Il ajoute un dernier rôle très important de l’anatomie qui explique pourquoi il a beaucoup travaillé l’anatomie, qu’elle permet de montrer sa dextérité. Ce n’est pas si peu important que ça, puisque Galien se livre à des dissections publiques très souvent. C’est quelque chose de très courant à l’époque, car c’est une manière pour les médecins de construire leur réputation. C’est dans un contexte de marché de la médecine où il faut convaincre ses patients de ne pas aller voir chez le voisin, les convaincre que notre type de médecine en pratique est le bon. Pour cela, la dissection est assez impressionnante, notamment la vivisection animale : c’est impressionnant et ça marche bien pour faire sa pub. Ici, on a un exemple de ce que pouvait être une dissection animale de Gallien en public, en expliquant ce qu’il est en train de faire. Exemple: Galien est à Pergame à la fin de ses études. Il fait sensation en étant le seul à savoir remettre en place les intestins d’un singe et à arrêter le saignement sur des veines sectionnées du singe. C’est un moment important dans sa carrière puisque ça va l’aider à obtenir sa place de médecin des gladiateurs qui est la première étape importante qui va faire sa carrière fulgurante jusqu’à Rome. Le rôle le plus important de l’anatomie pour Galien c’est celui de la fonction. C’est parce que l’anatomie donne accès à la fonction qu’elle est importante pour Galien : l’anatomie de Galien est fondamentalement fonctionnelle. Exemple : la forme allongée de la trompe de l'éléphant qui s’explique une fois qu’on a compris sa fonction et que l’on a vu que ça sert aussi de main. La nature a très bien fait les choses. Ce que cherche à faire Galien c’est de montrer que chaque chose dans le corps vivant a une bonne raison d’être. Exemple : L’appendice pose beaucoup de problème, pour Galien ça doit servir à quelque chose Autrement dit, l’anatomie chez Galien n’est pas une simple observation méthodologique où on note tout ce que l’on voit : il y a un projet derrière, un agenda, on cherche à montrer que c’est bien fait et à trouver à quoi servent les structures. L’anatomie est donc coordonnée à la découverte des activités accomplies par les parties. On dissèque pour trouver à quoi servent les structures. Cela se voit aussi dans les vivisections que Galien a pratiqué (on se posera les premières questions éthiques) donc pas uniquement sur les êtres humains mais également sur les animaux : il a beaucoup pratiqué de vivisections sur des porcs et sur des singes. Notamment une vivisection très connue sur le cerveau d’un singe : il s’est rendu compte qu'en comprimant les ventricules cérébraux après avoir ouvert et retiré la calotte, le résultat 7/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant est la perte de conscience et lorsqu’on arrête de comprimer, la perte de conscience cesse, le singe revient à lui. Le fait d’endommager une certaine fonction interne va agir sur une fonction et va nous permettre de montrer la dépendance complète d’une fonction physiologique et d’une structure anatomique. Il a aussi fait des expériences de section étagée de la moelle épinière : on commence en bas, on coupe, on voit ce qui ne fonctionne plus, puis un peu plus haut… Autrement dit, il a raisonné de manière méthodique en introduisant des perturbations volontaires dans le système fonctionnel du vivant pour voir quelles activités étaient endommagées. Ces vivisections montrent ce que Galien fait quand il raisonne sur le vivant : il cherche les causes des activités de fonction. Pour ce qu’on peut en juger, Galien était très bon en anatomie. Il s’appuie beaucoup sur les découvertes d’Hérophile et Erasistrate qui ne devaient pas être mauvais non plus car pour avoir réussi à trouver ça quand personne ne voyait rien c’est quelque chose (référence à l’heure précédente). Mais au niveau de sa dextérité, de la finesse de ses observations, c’est incroyable. La quantité d’observations anatomiques fines que Galien a pu faire est assez incroyable, donc grande minutie, conscience aigüe des conditions de réalisation d’une bonne dissection : il faut évacuer des facteurs perturbants pour réussir à voir correctement (pas simplement ouvrir, dire on ne voit rien et fermer). On lui doit des découvertes anatomiques extrêmement importantes comme le nerf récurrent laryngé alors que reconnaître le tracé de ce nerf n’est pas évident et en anatomie des muscles. Mais comme on l’a souvent remarqué en anatomie moderne, il a aussi commis un certain nombre d’erreurs. La première cause d’erreur est qu’il raisonne par analogie avec l’anatomie animale, en effet on est encore dans l’antiquité. A son époque, on ne dissèque plus sur l’homme comme on disséquait sur l’homme à l’époque d’Hérophile et Erasistrate ou alors très exceptionnellement sur des barbares ramenés des germains lors des guerres des frontières par Marc Aurel. On sait qu’il résonne beaucoup et que son anatomie squelettique est très bonne humaine, il a surtout disséqué sur les animaux. Son grand modèle est le macaque de barbarie ou le porc. Cela l’a conduit à des analogies assez hasardeuses. Exemple : Il a supposé chez l’homme l’existence du rete mirabile, tissu très vascularisé à la base du cerveau de certains mammifères notamment des ovins (les moutons), mais qui n’existe pas chez l’homme alors qu’il lui a accordé un rôle physiologique très important. Plus fondamentalement que le fait d’avoir travaillé sur des modèles qui ne sont pas adaptés, cela on ne peut pas y faire grand-chose, ce n’est pas lié à la structure du savoir. Une cause d’erreur serait le fait que l’anatomie galénique est entièrement ordonnée à la recherche de la fonction. Ça c’est une cause d’erreur et ça pose problème puisque cette recherche de la fonction l’amène à réviser ses observations sur la base de ce qu’il devrait voir. Exemple : Il affirme que le septum interventriculaire est perforé, qu’il présente des trous : il dit ça parce qu’il en a besoin, il a vu que les valves cardiaques sont à sens unique ainsi que leur sens de fonctionnement, il voit aussi qu’il y a du sang dans le ventricule gauche. Donc, par raisonnement analogique il va postuler la présence de perforations qu’il n’a pas véritablement observées. C’est quelque chose qui va rester très longtemps après lui, même chez de très grands anatomistes, et qui va survivre à l’observation autopsique, qui va survivre à l’autopsie par de grands anatomistes de la renaissance comme Léonard de Vinci. 8/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Schéma de Léonard de Vinci avec perforations du septum interventriculaire : Même s'il est très fort en anatomie , il semblerait qu’il ait ajouté ces perforations en se disant « je ne suis pas sûr de les avoir vues mais je pense que je les ai vues. ». Cette erreur va rester tres longtemps dans l’anatomie, et on va avoir beaucoup de mal a s’en débarrasser. Notamment chez Vésale ou il va le mettre dans ces schéma puis finalement le retirer ce qui signera le début de la chute du système Galénique. C) Le système physiologique mis en place par Galien : 1. Le système physiologique avant Galien : Difficulté de comprendre la relation cœur-poumons dans la physiologie antique. Depuis la haute Antiquité, on a remarqué qu’il faut respirer pour vivre mais ce qu’est le souffle, ce n’est pas quelque chose d’évident. On ne comprend pas initialement la respiration comme un cycle avec l’inspiration et l’expiration mais on conçoit le souffle comme venant du corps vivant sans origine nettement déterminée qui viendrait peut être collecter partout dans le corps vivant. Pour Aristote, la respiration a fonction de refroidissement, pour refroidir le cœur, proche du poumon. Les inspirations et expirations sont mécaniquement liées aux mouvements cardiaques. Quand le cœur s’échauffe, on a dilatation des poumons et du thorax = inspiration, arrivée de l’air froid et rétractation par réaction. Le sang joue le rôle de vecteur de conduction thermique dans ce système. 2. Le système galénique : Dans le modèle galénique on a quelque chose de très différent. Dans le modèle galénique, le corps humain est composé de 3 systèmes de flux liés à 3 principes différents : cerveau, foie et cœur. Le cerveau et le SNC (système nerveux central) régissant tout le système nerveux (moelle épinière et nerf) sont en charge des fonctions cognitives, motrices (fonctions supérieures) et sensitives. Le cœur et les artères sont responsables des fonctions vitales (ce qui fait que l’on est en vie) et notamment du maintien de la chaleur pour maintenir la vie. Le foie et les veines sont à l'origine de la nutrition (départ du foie) à travers le sang (les veines). Un réseau pour la nourriture, la chaleur et un pour la sensation et le mouvement = trois réseaux différents. 9/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant On va s'intéresser en particulier au cœur et au foie : La mise en relation du foie avec le sang n'apparaît pas chez Galien, il y a des très grosses veines qui se branchent sur le foie comme la veine cave inférieure (celle qui draine le cœur) et plus on s’en éloigne, plus le calibre des vaisseaux est diminué, donc les grecs ont très spontanément dit que le foie était la source du sang et des veines. Le modèle utilisé pour penser les choses n’est pas un modèle de circulation mais un modèle d’irrigation comme un champ que l’on doit nourrir, que l’on doit irriguer en eau. Le sens de Gallien : La nourriture dans l’estomac est fluidifiée et transformée en chyle (nourriture fluidifié) Elle arrive au foie par la veine porte où elle est transformée en sang : un sang sombre et épais distribué à tous les organes à partir de là : première distribution vers le haut et le bas, le réseau en vert sur le schéma. Le sang arrive au cœur droit, passant par la veine cave Une partie arrive aux poumons parce qu’on appelle la veine artérieuse qui est l’artère pulmonaire Une autre suinte par les pores du septum interventriculaire dans le ventricule gauche. 2 voies qui existent pour le passage du sang à travers le cœur : Voie cœur droit vers poumon puis cœur gauche Une voie directe cœur droit vers cœur gauche. Arrivé dans le ventricule gauche, le sang devient rouge et écumeux car il est, selon Galien, mélangé avec l’air (pneuma) qui vient des poumons et qui passe par là pour venir bouillonner avec le sang. Le sang subit une deuxième transformation : transformation du sang dans le cœur où il se charge en pneuma (facteur qui assure la régulation de la chaleur vitale pour la survie). Le sang pneumatisé arrive notamment au cerveau mais il est aussi distribué partout dans le corps. On a un sang propre au réseau du cœur qui porte la vie. Dans le cerveau, on a une troisième transformation : le pneuma du sang sera transformé en quelque chose qui est responsable de la sensation qui est diffusée dans le système nerveux. Le prof dit que c’est plus compliqué que ça mais que ces explications suffisent pour comprendre. II) Le renouveau de l’anatomie à l’époque moderne : A) Plus de mille ans d’immobilisme ? Il n'a pas fallu attendre les travaux d’ Harvey pour que s’élèvent des objections contre ce système galénique. On peut relever des objections contre ce système : Le système galénique a été simplifié et radicalisé par le fait que Galien accepte le passage interventriculaire et par le poumon du sang. Est-ce qu’il ne s’est rien passé en anatomie entre Galien et l’époque moderne (17e siècle) comme c’est parfois dit dans les manuels d’histoire médecine ? 10/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Il n’a pas fallu attendre Harvey et ses travaux sur la circulation sanguine pour que des objections contre le système galénique s’élèvent. Objection (évolution) : simplification Le système galénique a été simplifié, radicalisé puisque comme on peut le voir sur le schéma, Galien accepte le passage interventriculaire et le passage par le poumon du sang. Le système physiologique galénique (attribué à Galien par l'époque médiévale) va simplifier les choses en disant que le passage ne se fait que par le septum interventriculaire, on évacue la petite circulation. Ça permet de préciser les questions de dénominations qui sont dans le schéma : Dénomination des artères et des veines Pour les modernes ce qui définit une artère et une veine c’est la direction de la circulation du sang dans ces réseaux et pas la connexion à un organe particulier. Pour les anciens comme Galien, c’est le contenu de ces canaux qui est important, c’est-à-dire est-ce que vous avez du sang sombre dont la fonction est la nutrition (issu du foie), ou un sang rouge et écumeux dont la fonction est la chaleur vitale (issu du coeur). Galien avait remarqué une différence supplémentaire : les artères pulssent et ont des tuniques (parois) qui n’ont pas la même texture que les veines. Or dans le cas de l’artère pulmonaire, ce que Galien appelle artère (contient sang rouge) a les tuniques d’une veine (ça ressemble à une veine). Et inversement, ce qu’il appelle veine a les tuniques d’une artère. C’est pourquoi à partir de Galien, on les a appelées “artère veineuse” (veine pulmonaire) et “veine artérieuse” (artère pulmonaire). À partir d’Harvey, on a inversé les dénominations. Chez Galien, le passe dans l’artère veineuse. C’est le galénisme ultérieur, c’est-à-dire la simplification du système de Galien après l'époque de Galien, qui va insister sur la passage direct du cœur droit au cœur gauche et évacue la description de la petite circulation. 1. Ibn al-Nafis (1210-1288) Au 13ème siècle, le savant arabe Ibn al-Nafis (grand anatomiste de Bagdad au 13 siècle qui a commenté le “Canon de la Médecine” d’Avicenne) rejette l’idée du galénique (idée de pore invisible dans le septum interventriculaire) en disant que le seul trajet possible est celui par la petite circulation (par la veine antérieure et l'artère veineuse). Il s’oppose ouvertement à l’autorité de Galien, à ce Galien simplifié, au galénisme ultérieur. Pourtant c’est un moment de l’histoire de la pensée qui n’a eu absolument aucun impact. C’est une remarque anatomique qui a été faite ouvertement, clairement, concrètement au 13e siècle qui montre qu’on a pas arrêté de pratiquer l’anatomie après Galien, qu’on a continué au 13ème siècle. Il y a des gens qui ouvraient des corps , qui ont vu qu’il n’y avait pas de perforation du septum interventriculaire. Ibn an-nafis n’a pas eu d’impact peut étre parce que son œuvre n’a pas été transmise, mais il ne faut pas y avoir une forme d’occasion manquée (ce serait trop simple). ⇒ Ce qui intéressant pour l’histoire des sciences, c'est de se demander pourquoi il n’y a pas eu plus d’observations contradictoires contre le système de Galien pendant l’époque moderne puisqu’on pouvait le faire. On peut s’étonner que quelque chose de si central comme la circulation sanguine n’ait pas poussé les médecins à ouvrir plus souvent le corps, car finalement certains arguments et la démonstration développés par Harvey sont très simples. 11/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant 2. Les obstacles à la remise en question du système galénique Pourquoi il n’y a pas eu plus d’observations contradictoires contre le système de galien avant Harvey ? Il y a eu des obstacles : Obstacles externes (non épistémologiques) : ➔ Jusqu'à l' époque moderne, on expérimentait moins car c’était moins important. ➔ Le recours à la quantification (mesurer la quantité de ce qu’il se passe) n’était pas un réflexe (la matérialisation de la physique n'était pas un réflexe). ➔ Raisons plus concrètes : disponibilité des corps (contrairement ce qu’on dit l'Église ne s’opposait pas ouvertement à la pratique de l'anatomie, c’est quelque chose qu’on ne faisait pas trop). ➔ Plus fondamentalement, la grande raison qui explique qu’on ait pas remis en cause système galénique c’est la force explicative de ce système +++ (sa puissance prédictive). Le système galénique est faux mais il fonctionne bien. Il permet d'expliquer beaucoup de choses (plus que les autres systèmes de l’Antiquité). Il y a trop de bonnes choses à remettre en cause pour simplement corriger cette histoire de septum ventriculaire. Obstacle épistémologique (Bachelard) ++ : Ce n’est pas simplement une question de respect pour les autorités religieuses ou scientifiques. Il en va, selon Bachelard (épistémologue français du 20e siècle, prof de Canguilhem) à appeler un obstacle épistémologique dans la formation de l’esprit scientifique en 1938. Un obstacle épistémologique est une connaissance qui empêche l’évolution des connaissances, c’est un obstacle interne à la connaissance. Ce qui fait qu’il y a des choses qui nous sont trop familières, trop bien admises (pour de bonnes raisons car c’est utile au quotidien dans la pensée scientifique) pour qu’on ait le courage ou l’énergie de les remettre en question. ⇒ Ici, l’obstacle épistémologique est que le système physiologique de Galien explique trop bien, trop de choses pour qu’on veuille le remettre en question sans de bonnes raisons de faire. (le prof ne développe pas les obstacles externes, c’est pas intéressant de savoir qui a pratiqué l’anatomie à quel moment) 3. Les dissections tardo-antiques et médiévales 12-14ème siècle : Mondino de Luzzi De manière générale, il faut retenir que l'anatomie est pratiquée dans l’Europe médiévale chrétienne, au moins à partir de la fin du 12 siècle (contrairement à ce qui est dit, on a pas attendu le 17e siècle). Mondino de Luzzi (1270-1326) qui enseigne à Bologne. L’Italie est importante pour la médecine à l’époque médiévale. Les grands endroits de la médecine médiévale sont en Italie (universités italiennes : Bologne, Padoue) et en France (universités de Paris et Montpellier). Il y a des raisons particulières ponctuelles qui peuvent expliquer ce renouveau de l’anat notamment des questions médico-légales. L’Italie du 12-13e siècle c’est l’Italie des cités, des bourgeois, c’est un système qui n’est pas un procès, où il se pose des questions particulières, où se développe l’expertise médico-légale. On cherche à voir de bonnes preuves dans le procès. La parole du médecin devient importante pour apporter des preuves de qui a fait quoi donc on développe sur les coups, les blessures (il y a aussi un essor de chirurgie). La principale innovation de l’anatomie à l’époque médiévale, c'est de commencer à faire des séances publiques d’anatomie. L’anatomie sert d’abord à illustrer l’enseignement. Dans les grandes universités médiévales, l’anatomie est une pratique assez courante qui était programmée pendant le mois d’hiver car ça ralentissait la putréfaction donc c’était le bon moment pour pratiquer. 12/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant De plus, on la pratique par ordre de décomposition des organes : on commence par ce qui se décompose le plus rapidement (abdomen, thorax, puis cerveau, …). L'anatomie était beaucoup pratiquée et avait un rôle sur le cursus, l’ordre par lequel on apprenait sa médecine. Comment était pratiquée cette anatomie ? L’anatomie était pratiquée par le technicien subalterne dit “prosecteur”. C’est lui qui découpe sur l’image, qui pratique l’anatomie. Donc ce n’est pas le prof qui lui est loin. Le prof lit les passages de Galien pendant que le prosecteur montre ce qui se passe aux étudiants. 4. Exemple du renouveau de l’anatomie à l’époque moderne : J. Fernel 15ème siècle : On voit la dissection se développer, plus d’ouvrages sur l'anatomie humaine sont publiés, au point de dire que le 16e siècle est le siècle de l’anatomie. Cette montée en puissance de l’anatomie se fait d’abord dans la logique de la médecine ancienne : Meilleur exemple : J. Fernel (1506-1558) est un grand prof à Paris. Il a publié un nouveau traité d’anatomie où il fonde une nouvelle manière de pratiquer l’anatomie sur un principe scolastique (manière dont fonctionne l'enseignement universitaire au moyen âge basée sur les théories d’Aristote = étude fondamentale sur les théories aristotéliciennes). Dans ce traité, le principe scolastique est le principe de résolution et de composition : on cherche à montrer le fonctionnement des choses en décomposant (résolution = on décompose, on va jusqu'aux parties minimales des choses). A partir du moment où on a les parties minimales des choses, on les recompose (= composition). C’est très formel comme type de pensée. En médecine, l’anatomie joue ce rôle de décomposition. On découpe le corps pour voir les éléments fondamentaux et dès qu'on a les éléments, on les recompose pour voir comment logiquement c’est censé fonctionner. L'anatomie de Fernel est toujours une anatomie de l’Antiquité, il dit qu’il rénove l’anatomie mais même si ce n’est pas le texte de Galien c’est toujours l’anatomie que Galien pratiquait. Rappel : problème de Galien : il ne cherchait pas à apprendre la dissection. B. Vésale et la nouvelle anatomie (16ème siècle) : grand changement de l’anatomie 1. Vésale Le changement ne concerne pas les contenus de savoir (ce que l’on dit) mais la manière de pratiquer. En bref, on s'écarte du texte, et c’est le regard personnel, autopsie (regarder par soi-même) qui reprend le dessus. Vésale était un prof d’anatomie comme De Luzzi mais ils n’ont pas la même manière de faire. De Luzzi est loin, ne fait rien, et l’anatomie est seulement une illustration de la manière dont fonctionne le corps. Vésale a les mains dedans, regarde le lecteur et montre directement sur l’illustration, tous les regards sont centrés sur l’intérieur du corps, l’idée est d’aller regarder par vous-mêmes. ⇒ changement du regard chez Vésale 2. De humani corporis fabrica Vésale (1514-1564) est un belge qui étudie à Paris, il est prof d’anatomie à Padoue (Italie). Il publie en 1543 un grand bouquin de 700 pages “De humani corporis fabrica” qui se démarque par sa description concrète car on y trouve 200 planches anatomiques, et c’est ça qui le distingue des autres ouvrages d’anatomie qui ont été produits jusque là. Ce qui est important dans le livre ce n’est pas le texte mais les illustrations. C’est le 1er livre d’anatomie où ce qu’on regarde en 1er ce sont les schémas. D’ailleur Vésale a fait travailler des artistes de la Renaissance (Dürer, Raphaël, De Vinci) sur ces planches, ces artistes ont un rôle assez important. 13/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Vésale ne va pas se contenter de lire Galien, il va remarquer que ce qu’il voit ne correspond pas à ce que dit Galien. Mais il ne va pas simplement pointer une ou deux erreurs (comme cela a déjà été fait tout au long de la fin de l’antiquité et du Moyen Âge et par Ibn An-Nafis). Vésale relève plus de 300 erreurs dans l’anatomie galénique et il va émettre des doutes sur la qualité de celles-ci (ce que personne n’avait fait jusque-là). L’évolution de la pensée de Vésale se voit très bien dans ses ouvrages. On le voit assez bien sur la question du septum interventriculaire. Dans la première édition de son livre, un doute est émis par Vésale “je ne vois pas les perforations du septum interventriculaire”. Dans la seconde édition, il dit “elles n’y sont pas”. C’est un processus de remise en question. Malgré le fait qu’il relève plusieurs erreurs dans le système galénique, il n'en tire aucune conclusion physiologique à proprement parler. Le projet de Vésale est de lire Galien, de comparer, de voir la où il y a des erreurs et de corriger l’anatomie galénique pour en avoir une meilleure anatomie et ce n’est pas de changer le système. Vésale a failli le découvrir la nature musculaire du cœur mais ses conceptions de la physiologie l’ont empêché de voir ce qu’il avait sous les yeux. Il remarque par exemple l’isochronisme de la systole (cardiaque) et du pouls (dans les artères) mais il est persuadé que la dilatation et la contraction cardiaque sont des mécanismes passifs. ⇒C’est encore un bon exemple d’obstacle épistémologique (il a les choses sous les yeux, les a vu, les relève, mais ça ne transforme pas le système car celui-ci est trop important). Une meilleure connaissance de la morphologie interne du corps n'entraîne pas une révision des idées sur le fonctionnement du corps. Il ne faut pas croire qu’il suffisait d’ouvrir et de regarder pour voir que c’était différent de ce que l’on disait jusque là puisque Vésale l’a fait et n’en a pas tiré les conclusions qu’il fallait. C. Harvey, la découvert de la circulation (époque moderne) Les anatomistes de la Renaissance ont relevé un certain nombre de choses mais leur compréhension du fonctionnement du corps n'a pas fondamentalement changé. Les véritables changements se produisent au XVIIème siècle dans la foulée de la révolution scientifique (Copernic, Galilée). Révolution Scientifique : changement de conception de comment on doit faire la science, changement du rôle de l’observation, on observe pour connaître. Construction de la connaissance à partir de l'observation. 1. Des brèches dans le modèle de Galien : Avant Harvey, quelques brèches avaient été ouvertes dans le modèle de Galien : 1ere brèche : les valvules veineuses Fin du XVI ème siècle, F. ab Aquapendente décrit les valvules veineuses (membrane à l'intérieur des veines qui empêchent le retour du sang). La présence de ces valvules devrait poser problème dans le système galénique parce que l'idée de Galien est que le sang est distribué du centre vers la périphérie. F. ab Aquapendente interprète la présence des valvules comme un retardateur du flux sanguin. Son modèle d’interprétation des valvules est celui des écluses. Ainsi pour une bonne distribution, régulation du débit de sang il faut l’arrêter un moment et ensuite le laisser passer. Il formule des hypothèses pour sauver la conception galénique de la physiologie, pour sauver le paradigme. Les valvules qu’il a découvertes (veines azygos et dans les veines sus hépatiques) les a découvertes dans des endroits très particuliers or à ces endroits là on a affaire à des valvules qui ne ferment pas totalement ce qui permet de comprendre ce modèle d'écluse (cas vraiment particulier). 14/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Pourquoi il n’a pas regardé ailleurs s' il n’y avait pas des valvules qui se fermaient totalement ? Dans son système, il a avait besoin de valvules qui ne ferment pas totalement. D’ailleurs Vésale et Fallope refont le même constat et ne cherchent pas à aller plus loin. On retrouve un bon exemple de la manière dont fonctionne un obstacle épistémologique, de l'importance de la tradition. On n’arrive pas à voir l’importance de la découverte. 2nde brèche : Le passage pulmonaire Un médecin et théologien espagnol, M. Servet remarque que les poumons reçoivent plus de sang que nécessaire alors que ca ne servait “qu'à les irriguer”. Le poumon n’est pas si important par rapport à la quantité de sang envoyée. Il dit que le calibre de la veine artérieuse est trop important par rapport à la fonction. Il formule une idée (qui est en réalité un retour à une idée galénique) que les perforations du septum interventriculaire ne sont pas le seul passage du sang, le sang peut passer aussi par la petite circulation. De plus il remarque que le changement de couleur de sang dans la petite circulation se fait avant le passage du sang dans le coeur. Mais là encore il n’y a pas de volonté de renverser le système, on veut corriger Galien et de toute manière son témoignage n’a pas eu d'influence dans l'évolution de l’anatomie, de la physiologie, de la médecine (comme Ibn Al-Nafis). Pourquoi ? Servet était médecin mais aussi théologien, il a publié ces remarques médicales dans un bouquin théologique. L’idée était de se servir de preuves médicales pour montrer le fonctionnement de la nature et d’avoir des arguments pour contester les arguments théologiques. Servet est un libre penseur (un peu trop libre). Il est d’ailleurs connu pour avoir été tué deux fois, brûlé deux fois par les catholiques et par les protestants. Ces idées étaient tellement gênantes d’un point de vue théologique. Son livre s'est donc retrouvé au purgatoire (=parties interdites des bibliothèques). R. Colombo (1510-1559), successeur de Vésale, prof d’anatomie universitaire post médieval, décrit franchement que les perforations du septum n’existent pas, que le sang passe du ventricule droit au gauche par les poumons et ajoute le fonctionnement de la valvule mitrale. En affirmant tout ça, il affirme qu’il est absolument original (sans prétention), il dit que lui va changer le système. Pourtant à part affirmer changer le système, il n’évoque pas par exemple l’idée de circulation et sa thérapeutique reste la même. Après eux, il y a un retour des anatomistes à Galien avec Ambroise Paré. 1. Les différentes découvertes : En réalité, on voit que beaucoup de choses avaient été posées avant Harvey. Ce qu’il a été décisif chez Harvey est le changement de regard de manière de voir. Harvey est un médecin Anglais, élève de Fabrizio d’Acquapendente. Il a étudié à Cambridge puis a fait ses études de médecine à Padou où il s'imprègne de la tradition de Vésale et de ses successeurs. Là où il se démarquent c’est par un changement de méthode : on ne fait pas d’observation anatomique puis de la spéculation (ce que faisait galien) mais on expérimente. Il observe les changements lorsqu' il modifie des paramètres. Ses expérimentations vont mener à une réorientation totale, une réinterprétation globale du système. 15/16 Charonéo 2023-2024 SSH - Anatomie et révolutions : Histoire de la pensée médicale Pr. ag. J. Devinant Concernant le cœur : Harvey complète la réflexion de Colombo et montre que le cœur est actif quand il se contracte et pas quand il se dilate (Il propulse à la manière d’une pompe et non celle d’un soufflé). Il travaille sur des animaux à sang froid et mouvement cardiaque plus lent (la grenouille et les serpents). Et il voit les 4 temps du battement cardiaque, un changement de couleur lors de la systole ce qui indique bien que le coeur se vide. Concernant les artères il montre qu’elles se dilatent en raison de la pression du sang et non pas un expansion active (artères qui attirent le sang vers elles). C'est le cœur qui pousse le sang. Concernant les veines : il va répéter les expériences de Ab Acquapendente sur les valvules veineuses en faisant des ligatures. Il va remarquer que la veine se gonfle jusqu’à la valvule et il comprend que cela nous informe sur le sens de circulation du sang. Le sens du sang dans les veines est contraire à ce que l'on pensait jusque là car il ne peut pas aller dans l’autre sens parce que les valvules bloquent le mouvement du sang. Cette expérience-là correspond à une méthode extrêmement courante, la saignée. Faire des saignées supposait faire des garrots et de savoir le sens du sang cela montre encore la force des obstacles épistémologiques. La re-circulation du sang par la quantification Harvey va quantifier (mathématiser). Il mesure la quantité de sang éjectée par le ventricule gauche à chaque systole, qu’il évalue à 250 L/h. Ces calculs ne sont pas compatibles avec le modèle physiologique galénique (pose un gros problème : d'où vient ce sang, à partir de quoi). La quantification fait surgir le besoin de modifier le système : Harvey s’est demandé ce que les observations impliquent pour le système. Il a donc postulé une recirculation du sang en circuit fermé et non plus une distribution du sang. Il fait des expérimentations sur les serpents (ligature de la veine cave qui laisse le cœur vide, ligature de l’aorte accumule le sang dans le cœur) qui confirment ses hypothèses. 2. Les travaux de Harvey : Il publie ces réflexions dans un petit volume 72 pages le “De motu cordis” qui change les choses dans l’histoire de la médecine. 3. Les limites de la quantification Il y a une grande importance du raisonnement quantitatif mais il ne faut pas croire qu’il suffit d’avoir un raisonnement quantitatif. Exemple : à la même époque, Santorio Santorio travaille sur un autre problème physiologique antique : la perspiration. C’est l'idée que l’on ne respire pas que par les poumons mais aussi par les pores de la peau (Il va essayer de réduire ce problème à une simple question mécanique pour quantifier). Il va créer une balance sur laquelle il va vivre pendant des jours en mesurant tout ce qui sort et entre de lui. Il pense qu’il a mesuré le volume de la perspiration avec ce modèle la. ⇒ Il faut quantifier pour voir des choses, mais la quantification ne suffit pas pour comprendre un système mécanique. 16/16