Cours CM Communication Politique - PDF
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Université Paris Nanterre
2021
Xavier Landrin
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These lecture notes cover Communication Politique. The notes cover definitions of political communication, its history and transformations, and current practices. It covers a range of topics including the role of media, the use of communication by parties, and scandals and public issues within the political sphere.
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Cours CM Communication Politique – X. Landrin COMMUNICATION POLITIQUE Semestre 6 – 2021-2022 Xavier Landrin PREMIERE PARTIE. Éléments de définition de la communication politique...
Cours CM Communication Politique – X. Landrin COMMUNICATION POLITIQUE Semestre 6 – 2021-2022 Xavier Landrin PREMIERE PARTIE. Éléments de définition de la communication politique Chapitre I. Une définition préalable de la communication politique A) Les significations de la communication B) La notion de politique C) Une acception élargie de la communication politique Chapitre II. La division du travail de communication politique A) Une vision relationnelle de la communication politique B) La communication dans le champ politique professionnel C) La production de l’information politique dans le champ journalistique Chapitre III. Les sciences humaines et sociales et la découverte de la communication politique A) L’Ecole de Columbia : l’analyse des effets limités de la communication électorale B) L’Ecole de Francfort : l’analyse de l’adhésion à la communication autoritaire C) L’Ecole de Birmingham : l’analyse des usages de l’information politique DEUXIEME PARTIE. Genèse et transformations de la communication politique Chapitre IV. La genèse de la communication politique A) La naissance du spin et des relations publiques B) Les premières analyses de la propagande politique C) Les analyses contemporaines de la propagande politique 1/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin Chapitre V. Le renforcement des interdépendances professionnelles A) La consolidation du conseil politique B) Les effets des transformations de l’univers médiatique C) Les recompositions du discours partisan Chapitre VI. Les transformations du répertoire de communication électorale A) L’émergence du répertoire de communication électorale B) Les usages de la communication électorale numérique C) Le renouveau du « canvassing » TROISIEME PARTIE. Les pratiques de la communication politique Chapitre VII. Appréhender et mesurer les effets de la communication politique A) Le rôle de l’identification partisane B) La construction de l’ordre du jour politique C) Les nouvelles approches de la réception Chapitre VIII. Comprendre la dynamique des scandales et des problèmes publics A) Les paniques morales B) Les « affaires » politiques C) Les problèmes publics Chapitre IX. Élaborer et promouvoir des causes politiques A) La construction symbolique des causes politiques B) Les médias de mouvements sociaux C) Le travail de communication des ONG 2/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin PREMIERE PARTIE. Éléments de définition de la communication politique Chapitre I. Une définition préalable de la communication politique I. Les significations de la communication Erik Neveu dans Une Société de Communication ? (2020) entend trois choses par « COMMUNICATION » : 1/ C’est tout d’abord un secteur économique et un ensemble d’activités professionnelles. Cad la presse écrite et audiovisuelle, la publicité, le secteur de l’édition, cad les MEDIAS au sens large. Ça permet de comprendre qu’il y a des LIENS entre communication politique et médias. Par exemple, il existe ajd des spécialistes de la CP et des médias. Les professionnels font en sorte que les discours politiques soient recueillis favorablement dans les médias. Rédiger un ouvrage permet d’intégrer le champ médiatique, d’y intégrer des éléments programmatiques. 2/ C’est ensuite un système ou réseau d’information. Ça renvoie à toutes les possibilités techniques de collecte, de traitement et de circulation des données. Il s’agit de parler des modalités de circulation de l’information, à travers les médias, les réseaux sociaux, etc. Il peut s’agir de data (données), de savoirs ou des opinions. Cette circulation peut présenter une dimension politique. Par exemple, la divulgation d’informations par les lanceurs d’alerte. Facebook a été auditionné pendant campagne présidentielle de 2017 aux Etats-Unis, avec la polémique de Cambridge Analytica, pour n’avoir rien fait contre la désinformation ou avoir vendu des infos aux candidats. Circulation politique des opinions sur les réseaux sociaux qui alimente les algorithmes. Ce qu’il faut retenir, c’est que tous les protagonistes et usagers ne sont pas égaux, du pdv de l’utilisation des circulations des informations ; les responsables politiques et d’Etat ont un quasi-monopole sur la production de l’information officielle, ce qui permet de faire en disant, à travers des ressources d’autorité → la parole officielle produit sa propre vérité en même temps qu’elle l’énonce1. 3/ Et c’est finalement un travail sur l’image. C’est l’ensemble des activités par lesquelles les personnages publics et les institutions cherchent à contrôler leur image et produire des effets sur des publics plus ou moins définis. Travail de communication politique d’Arnold Schwarzenegger par exemple, qui a dû travailler sa reconversion d’acteur à responsable politique (gouverneur de Californie de 2000 à 2011). Opérations de communication qui rencontrent +/- de succès. Les acteurs vont mobiliser à la fois la parole, l’écrit et un ensemble de systèmes de signes intelligibles – qui peuvent être compris et saisis par les récepteurs, cad la population. Le travail sur l’image publique des gouvernants, qui repose sur des mises en scène de l’autorité politique, est un invariant dans les sociétés comme l’ont étudié certains anthropologues2. C’est une forme RITUALISEE qui met en scène la centralité du détenteur du pouvoir et tout ce qu’il incarne. Exemple de dispositif rituel étudié par Stéphane Monclaire au moment du conseil des ministres, qui renforce le charisme du Président de la République et qui symbolise sa centralité : chaque ministre reste debout jusqu’à ce que le Président arrive, il leur sert la main dans un ordre très précis, et ensuite ils ont le droit de parler dans l’ordre 1 Faire advenir dans la réalité ce qu’ils présentent dans leurs discours. 2 Georges Balandier par exemple a écrit Le Pouvoir sur Scènes dans lequel il parle de « théatrocratie ». Cela signifie que la finalité des acteurs au pouvoir est d’agir sur les représentations en s’appuyant sur des mises en scène de l’autorité politique. Clifford Geerz s’est intéressé aux mises en scènes de la reine Elizabeth – qui prennent la forme de défilés, monuments, discours – pour montrer qu’ils servent à mettre au centre le charisme de la reine, et donc son pouvoir. 3/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin de hiérarchie de leur ministère. Exemple du débat François Mitterrand/Chirac et « Vous avez tout à fait raison monsieur le premier ministre ». II. La notion de politique La notion de POLITIQUE renvoie à trois ensembles d’activités analysées par Max Weber dans Le Métier et la Vocation d’Homme Politique (1919) et dans Economie et Société (1921). 1/ LE POLITIQUE au sens de communauté politique organisée (POLITY en anglais) est « un espace social dans lequel les individus choisissent de soumettre leurs conflits d’intérêts à la régulation d’un pouvoir qui détient le monopole de la coercition légitime ». Cela signifie que l’existence d’un pouvoir d’Etat sous-entend la possession d’un monopole, pour Weber celui des ressources coercitives, cad qu’on ne peut pas faire justice soi-même, et que l’Etat dispose du monopole sur l’armée, la police et la justice. Pour trancher un conflit, les responsables d’Etat vont utiliser desressources monopolisées dont ils disposent ; par exemple, utiliser la police pour réprimer une manifestation, ou bien le Ségur de la Santé au printemps 2021 qui a permis d’atténuer les conflits avec le personnel hospitalier. Et ça a une dimension communicationnelle ; Gusfield dans La Culture des Problèmes Publics parle de la « mise en scène publique d’un problème ». 2/ LA POLITIQUE au sens de luttes pour l’accès et le maintien au pouvoir (POLITICS). Il s’agit des concurrences entre acteurs politiques pour la conquête du pouvoir. C’est assez proche de ce qu’on entend ajd par « vie politique ». Weber oppose deux types de stratégies politiques : ▪ Les discours qui reposent sur une éthique de la conviction, qui, lorsqu’on veut conquérir un public, est un discours déterminé par une doctrine. Les partis trotskystes par exemple, comme le NPA ou LO. ▪ Les discours qui reposent sur une éthique de la responsabilité, qui consistent à répondre aux conséquences de ses actes. On retrouve cette dimension chez tous les partis, même les partis trotskystes : on voit donc que les deux éthiques peuvent cohabiter. A l’inverse, les discours démagogiques ne convoquent aucune des deux éthiques selon Weber. 3/ UNE/DES/LES POLITIQUES au sens de politiques publiques (POLICY, POLICIES). Les mesures mises en place par les gouvernements pour agir sur un domaine en particulier. Politiques monétaires, politiques étrangères, politiques relatives à l’éducation. Là aussi il y a une dimension communicationnelle, puisque on peut s’approprier des résultats et les relier aux politiques publiques mises en œuvre par le gouvernement pour se justifier. Ce qui est à comprendre, c’est qu’il y a des opérations de communication derrière chacune de ces dimensions de POLITIQUE. III. Une acception élargie de la communication politique Il ne faut pas réduire la CP à l’usage qu’en font les professionnels ! C’est aussi une affaire des lobbies, des associations et des acteurs particuliers du champ politique. L’Encyclopedia of Political Communication (2008) dirigée par LINDA LEE KAID3 définit la COMMUNICATION POLITIQUE comme « la part prise par la communication dans le processus politique ». La communication politique ne se limite pas à la communication dans les contextes électoraux elle concerne aussi le rôle de la communication dans la gouvernance et elle intègre des activités de communication qui influencent les organes exécutifs, législatifs et 3 Spécialiste de la communication politique (1948-2011), professeure à l’université de Floride. 4/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin judiciaires, les partis politiques, les groupes d’intérêts, les comités d’action politique et les autres participants au processus politique. Dans le chapitre introductif du Oxford Handbook of Political Communication (2017), KATE KENSKY et KATHLEEN HALL JAMIESON présentent la COMMUNICATION POLITIQUE comme « la production et l’interprétation des informations, messages ou signaux ayant des conséquences potentielles sur l’exercice partagé du pouvoir ». Ces deux définitions de la CP ont plusieurs intérêts : ▪ Tout d’abord, elles permettent de prendre en compte l’ensemble des acteurs du processus politique, et pas seulement les acteurs politiques professionnels. ▪ Ensuite, ces deux définitions impliquent de poser un regard relationnel sur la CP, car la CP prend son sens au sein des relations entre les différents acteurs qui participent au processus politique. ▪ Finalement, elles permettent aussi de poser un regard distancié sur la CP, qui met à distance les effets de séduction des discours des acteurs professionnels. Et cela permet de faire émerger les rapports de force qui sont à l’œuvre au sein du champ. Chapitre II. La division du travail de communication politique 5/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin I. Une vision relationnelle de la communication politique Dans le schéma, tous les participants au processus politique sont présentés. Ces derniers mettent en œuvre des moyens de communication dans les relations qu’ils entretiennent entre eux, et dans leurs relations avec le public. Trois caractéristiques de la CP en tant que dynamique de relations entre une pluralité d’acteurs au sein desquels s’établit une division du travail : 1/ On remarque également que les rôles dans le processus que jouent les différents acteurs prennent sens au sein d’UNIVERS RELATIVEMENT AUTONOMES qui ont une histoire spécifique. Lorsque les universitaires ne bénéficiaient pas d’une autonomie, c’était hyper différent. Les droits d’entrée dans ces univers sont inégalement contraignants et codifiés. 2/ Ces univers sociaux sont en situation d’INTERDEPENDANCE. Il existe une grande mobilité des individus entre ces différents univers, d’où une autonomie relative. De nombreux représentants syndicaux sont ensuite devenus des représentants politiques professionnels par exemple. Les conseillers politiques sont des individus qui ne viennent pas du champ politique, et qui vont proposer leurs services de façon saisonnière ; or certains finissent par entrer dans l’univers politique français → Frank Louvrier, ex-directeur de Publicis et conseiller de Sarkozy entre 1997 et 2000, qui est devenu assistant parlementaire et qui est maintenant maire de la Baule. 3/ Ces univers sont également traversés par des TENSIONS INTERNES et EXTERNES. Il y a une compétition pour accéder à des positions socialement valorisées. Président de la République, d’un groupe parlementaire, directeur de campagne, etc. Ces tensions opposent des acteurs en mettant en œuvre des stratégies de conservation (converser des positions sociales acquises, conserver le pouvoir) et des stratégies de subversion (outsiders qui vont chercher à subvertir et modifier les modalités de rétribution des avantages). Ça explique les scissions au sein des partis ou des syndicats. 4/ Finalement, des RELATIONS D’HOMOLOGIES se construisent entre ces univers, et entre ces univers et leurs publics. Il y a des situations d’alliances qui existent, qui émergent souvent en contexte de crise. Les parties les plus dominées de ces différents univers vont chercher à faire alliance pour renverser/contester le pouvoir en place. On observe le même effet en haut de la hiérarchie du pouvoir : les puissants vont s’allier pour consolider leur pouvoir. Fabien Roussel ne va pas s’adresser de la même façon à son électorat que Valérie Pécresse, car il existe des caractéristiques en commun entre l’électorat communiste et son représentant. De même Libération et Le Figaro ne s’adressent pas à leurs lecteurs de la même façon. Il y a des caractéristiques communes (sociales, économiques) entre les différents univers qui participent à créer des alliances. II. La communication dans le champ politique professionnel a. Une émergence fin XIXe siècle La communication moderne dans l’univers politique a émergé dans des conditions socio-historiques très particulières, pendant la seconde moitié du XIXe siècle : l’extension du suffrage et la professionnalisation politique. Dans le cadre précédent, on avait affaire à des formes de compétition électorales qui relevaient d’un suffrage censitaire. Dans cet espace, la compétition politique était essentiellement locale : les notables votaient pour des notables qu’ils connaissaient. On échangeait des voix contre des avantages personnels : position dans la bureaucratie, honneurs conférés par l’Etat. Autrement dit, avant l’émergence du SU la communication entre les acteurs concernait des BIENS DIVISIBLES (privés ou publics). Ils vont mobiliser un capital politique personnel, cad des propriétés individuelles politiquement valorisables. Les professionnels de la politique vont pouvoir vivre à la fois pour la politique et de la politique. 6/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin Dans les démocraties contemporaines, ce genre de pratiques ne demeurent qu’à l’échelle locale. Sinon, la communication – en particulier électorale – porte sur des BIENS PUBLICS INDIVISIBLES (des promesses de politiques publiques relatives à l’économie, au chômage, aux relations internationales, à l’Europe, etc). La CP moderne émerge donc en même temps que l’extension du suffrage. Cette nouvelle forme de CP va permettre à de nouveaux candidats d’émerger, qui vont pouvoir se faire connaître à travers des opérations de CP : meetings, campagnes d’affichage… On apprend à faire campagne. Elles vont être possibles du fait de la rétribution des parlementaires et du financement des partis politiques. b. Les invariants de la communication politique Il existe, de plus, des INVARIANTS qui concernent la CP dans l’espace politique professionnel. Ça intéresse surtout les anthropologues comme Frederic George Bailey, qui a dégagé un invariant majeur de la CP dans Stratagems and Spoils (1969). Il met en lumière l’importance des règles normatives dans les stratégies de communication des acteurs politiques, plutôt que des règles pragmatiques. Ce sont « celles qui expriment des valeurs élémentaires et reconnues publiquement », cad des règles de conduites morales que l’on peut classer entre bien et mal, tandis que les pragmatique relèvent d’une « sagesse privée ». Elles sont « des instructions pratiques quant à la manière de gagner » ; ce sont donc des stratégies secrètes engagées pour gagner. Le fair-play, l’honnêteté, par exemple, sont des règles normatives imprécises et floues, volontairement. Ces règles normatives peuvent permettre de justifier des lignes d’action. « Je ne connais pas un lieu dans notre société où un leader puisse dire « j’ai fait cela car j’aime commander les gens et la célébrité » mais « j’ai fait cela pour le bien public » ». A l’inverse, les règles pragmatiques peuvent indiquer « comment gagner en trichant sans être disqualifié ». Il existe donc une dimension privée, cachée de la CP qui relève des règles pragmatiques ; ce sont les stratégies, plus ou moins lucides mises en œuvre pour accéder à des positions de pouvoir, mais qui ne font pas l’objet de commentaires publics. Il y a également des règles normatives, qui met l’accent sur des valeurs morales et l’adhésion à des valeurs républicaines des compétiteurs politiques. c. La mobilisation des ressources Mais alors, comment accède-on à une position élective (d’élu.e) ou une position partisane (rétribuée, dans l’appareil bureaucratique des partis) ? Les acteurs y accèdent en mobilisant des RESSOURCES. C’est ce qu’on appelle le capital politique (l’ensemble des ressources recherchées et valorisées au sein du champ politique). Ces ressources ont une dimension collective et individuelle à la fin. 1. Le capital politique personnel Ce sont les caractéristiques propres d’un individu qui sont politiquement valorisables. Le travail de CP va principalement porter sur ça. C’est le genre et le capital physico-esthétique par exemple. L’appartenance générationnelle, le capital scolaire, l’appartenance à une classe sociale, la notoriété acquise en dehors de l’univers politique (aux Etats-Unis par exemple), ou encore le patrimoine. Les ressources peuvent varier selon le capital du candidat. Il y a cependant une attitude variable à s’approprier et à mobiliser le capital mobilisable, qui peuvent parfois déboucher sur des difficultés à mobiliser certaines ressources. Cf Pécresse et son « Rien de tel qu’une femme pour faire le ménage » → mobilisation foireuse de son capital de « femme » politique. Les effets du capital politique personnel sur la communication personnelle. Herpin dans Le Pouvoir des Grands explique qu’une petite taille peut être assimilée à un déficit d’autorité. Et à partir du moment où le travail est révélé, 7/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin il est commenté et devient source de stigmatisation. Par exemple Sarkozy qui faisait tout pour compenser et qu’on ne le remarque pas. Continuité du physique sur la morale. La théorie de l’effet « barbe de Nixon » : en 1960, il est candidat républicain à l’élection présidentielle et il perd de justesse face à George Kennedy. Son échec a été imputé par les commentateurs à sa barbe, puisqu’avant le dernier débat il avait refusé les services de la maquilleuse et qu’on voyait sa barbe de trois jours. Peut-être que ça a participé à dévaloriser son hexis, cad son aisance corporelle. Cela a renforcé la croyance dans la nécessité de maîtriser les effets produits par le capital corporel. 2. Le capital politique collectif C’est le capital que les partis mettent à disposition de leurs membres. C’est, par exemple, le nombre de postes électifs ou bureaucratiques, qui est une ressources convoitée par les acteurs politiques individuels, ou bien le nombre de militants disponibles. Également, les programmes et les idées font l’objet d’un travail politique. L’adéquation entre le capital politique personnel et le capital politique collectif est l’objet d’un travail de communication. Le fait de disposer d’appuis, de relations sociales pour former une équipe de campagne par exemple, ou d’avoir une trajectoire politique en cohérence avec la ligne et la tradition du parti, fait partie d’un travail de communication. d. Les rôles institutionnels propres au champ politique professionnel Deux rôles institutionnels affectés à la CP dans l’univers professionnel : les whips et les porte-paroles. 1. Les whips 8/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin C’est une institution anglo-saxonne, présente à la chambre de représentant et aux Etats-Unis. Le rôle du whip est de veiller à ce que les membres de son parti soit présent et vote en fonction de la ligne du parti. Il veille au rappel des absents, et à la discipline de vote. Le whip en chef (whip chief) est intégré au sein du cabinet, cad l’équivalent du conseil des ministres. En Allemagne, le Parlementarischer Geschäftsführer a le même rôle. En France, c’est le rôle du Président du groupe parlementaire. Leur travail de communication consiste à convaincre des collègues réticents à voter un projet de loi, et faire circuler des éléments de langage auprès des groupes ou des journalistes. Ce sont des consignes relatives au traitement d’un enjeu devant la presse, qui permettent aux membres d’un groupe, ou du gouvernement, de s’accorder en utilisant les mêmes mots. Par exemple, utiliser des éléments de langage par rapport au 49.3, en essayant de minimiser les critiques ou en évitant d’utiliser certains mots, par exemple ne pas parler « d’abandon » du projet de loi retraite, mais de « reports ». Cela permet d’éviter la cacophonie, les erreurs qui sont commentées par les journalistes et les opposants. Par exemple, Quotidien sont des spécialistes des montages où ils se foutent de la gueule des éléments de langage des politiciens trop évidents. 2. Les porte-paroles Il existe une dimension historique au sein de chacun de ces univers (professionnels, médiatique, etc), et également au sein des rôles au sein de ces univers. C’est un rôle affecté à la communication. Officiellement, il est chargé de « rendre compte des travaux du Conseil des Ministres, et plus généralement, d’exercer une mission d’information sur les activités du gouvernement ». C’est un rôle institutionnel pleinement lié au travail de CP. Le.a porte-parole peut potentiellement cumuler les mandats avec celui de secrétaire d’Etat. Cette position de porte parole du gouvernement renvoie à un capital très spécifique : ce sont souvent des personnes jeunes, des personnalités montantes dans l’espace politique, souvent des transfuges – d’un autre parti par exemple – qui doivent encore faire leurs preuves. Ils sont exposés en continu aux questions des journalistes. Ils font souvent des tournées médiatiques. Exemple de David Guiraud, porte-parole de la jeunesse chez LFI, ou de Gabriel Attal chez LREM. Alain Peyrefitte est ministre de l’information de 1962 à 1966. C’est un cas d’école pour le journalisme politique, comme incarnation du pouvoir de censure par un régime conservateur. Son rôle est de diriger les organismes publics de communication (comme l’ORTF, qu’il crée), la société financière de radiodiffusion, la société nationale de diffusion de la presse, l’AFP. Il décide des financements de la presse privée également, et il utilise tous les canaux de diffusion (télé, radio, journaux) pour faire passer les messages du gouvernement. En 1963, il va créer un Service de Liaison Interministériel pour l’Information (SL2I), dont la mission est de préparer la réunion hebdomadaire des ministres, de présider les réunions quotidiennes interministérielles, de coordonner la communication gouvernementale et également de diffuser l’information relative à l’actualité gouvernementale auprès des médias. Le SL2I édite des documents sur l’actualité gouvernementale (les « notes bleues ») sur ce dont il faut parler. Aujourd’hui, c’est impensable d’être à la fois dirigeant des instances de communication, et garant de leur indépendance. C’est pourquoi cette concentration des responsabilités va faire l’objet de nombreuses critiques ; critique notamment de la censure gouvernementale durant la guerre d’Algérie ou des événements politiques de mai 1968 et du comportement de la police qui sont passés sous silence. Les deux instances vont être supprimées en 1968, puis rétablies sous Pompidou, et supprimées définitivement en 1973 lorsqu’émerge le rôle du porte-parole du gouvernement. A travers cet exemple, on voit qu’il y a une affirmation progressive de l’autonomie du monde journalistique. III. La production de l’information politique dans le champ journalistique 9/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin a. Une autonomie progressive du champ médiatique C’est notamment au sein de l’espace médiatique que le discours politique circule. Mais jusque dans les années 1960- 70, les deux étaient très liés, tandis qu’aujourd’hui, c’est un univers où le discours politique est questionné, et éventuellement traité de façon critique. L’univers journalistique n’est pas un univers homogène : il est très hiérarchisé, très différencié et très vaste. b. Le journalisme d’information national Si certains journalistes ne traitent pas de l’information politique, il existe également des journalistes qui sont spécialisés dedans. Dans le journalisme d’information nationale (presse, télévision, numérique), on observe des spécialisations sur des questionnements politiques : certains acteurs vont disposer d’un capital qui va leur permettre de traiter de façon récurrente des questions d’actualité politique. Par exemple, les éditorialistes du Monde, les éditorialistes politiques de BFM. Le traitement de l’information politique est également très différencié. Le journalisme d’information national ou régional diffère par exemple de la presse d’information critique, et ils ne vont pas présenter les discours politique de la même manière. Révolution Permanente ne présente pas l’information de la même façon que Le Monde. Souvent, les espaces oscillent entre plusieurs genres : le genre news4 et le genre views5. c. La presse critique d’information locale Les premières mises en forme de la presse indépendante émergent dans les années 1960-70 dans les fanzines, qui critiquent les positions des médias dominantes, et qui découlent des mobilisations de mai 68 : il va y avoir des critiques du monde du travail, du régime gaulliste, du système d’information avec Peyrefitte et l’ORTF, la guerre d’Algérie, etc. Il y en a sur l’écologie, comme Vivre et Revivre ou La Gueule Ouverte. Pareil pour la presse féministe, avec Le Torchon Brûle. Ce sont des revues critiques dont la parution n’est pas régulière et dont la forme peut évoluer. Ce sont ce que GRANJON et CARDON appellent les « MEDIACTIVISTES » : cad « des mobilisations informationnelles qui orientent leur action collective vers la critique des médias dominant et/ou la mise en œuvre de dispositifs alternatifs de production d’information ». Ce sont des journaux de contre-culture, de contre-information qui sont en marge des médias nationaux. Ça émerge dans souvent dans les villes universitaires, notamment aux Etats-Unis. Libération était, au départ, une agence de presse qui faisait de l’investigation locale. C’était un journal de contre-information, dont la mot d’ordre était le refus de l’objectivité de l’information. Revendication d’un point de vue subjectif et politisé, refus de la hiérarchie des salaires, et du financement par la publicité. De même, les RADIOS LIBRES émergent au même moment, par exemple avec RVF, qui s’inscrit dans les mobilisations écologiques. Les informations sont traitées par le bas, par les personnes concernées par les politiques mises en œuvre. On y dénonce l’opportunisme des élites locales, leur girouettisme et la corruption. Dans les années 1990-2000, le médiactivisme s’est développé grâce à la télématique (notamment le Minitel → télécommunication + informatique) puis grâce à Internet. Par exemple, le réseau Samizdat regroupe des forums, des listes de diffusion. La rhétorique est assez altermondialiste aujourd’hui – Attac par exemple défend une autre manière de faire de la politique, plus équitable, écologique et redistributive. d. Les médias d’information parodique (Le Gorafi) 4 La présentation des événements politiques de façon neutre. La présentation entre guillemets de la parole politique (discours verbatile). 5 Présenter un point de vue sur l’actualité. 10/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin Les sciences politiques peuvent être un instrument de connaissance, de formation à l’univers politique, mais également un outil de distanciation avec cet univers. Les membres du Gorafi se sont inspiré de The Onion, une parodie de The Union aux Etats-Unis. Ce sont des organes d’information parodique. La PARODIE est une imitation volontaire, soit du fond soit de la forme, dans une intention moqueuse ou simplement comique. Pour le Gorafi, le décalage réside dans l’imitation sérieuse du journalisme d’information national et un contenu piquant et saugrenu. L’apparence de neutralité repose beaucoup sur la forme. De plus, il met en avant la tension entre news et views qui est très récurrente dans les journaux d’information national. On retrouve aussi dans le Gorafi une critique des analyses des sciences sociales et des effets d’autorité qu’elles créent (statistiques, tableaux, brochures, etc). La CP est au cœur des relations d’alliance et de concurrence entre tous ces univers. L’univers du conseil politique n’est pas dans le champ politique professionnel, ils sont rétribués par des partis politiques pour des missions. Cabinet Mc Kinsey : rétribution de plusieurs centaines de milliers d’euros pour la communication sur le sanitaire, sur la réforme des retraites. Ça pose des questions sur la démocratie : on vote pour le président et pas pour l’expertise d’un cabinet qui possède son propre avis. Reportage Netflix Get me Roger Stones => spécialiste du conseil politique dans le dénigrement. D’autres univers collaborent avec l’univers politique professionnel : les think tank ex : pour le PS c’est la fondation Jean Jaurès. Chapitre III. Les sciences humaines et sociales et la découverte de la communication politique Nous aborderons les théories des années 1930 aux années 1960. Ce sont les premières analyses consistantes sur la CP, élaborées en relation avec un terrain d’enquête sur le fondement d’un terrain empirique. Elles permettent de mieux comprendre les mécanismes de production et de réception de la CP. Ces analyses s’inscrivent dans des registres très différents : Columbia analyses les effets de la participation électorale (enquêtes de sondages par panel), Francfort analyse la réception de la CP autoritaire (enquêtes par entretiens approfondis), et Birmingham analyse la communication électorale sur les classes populaires. I. L’Ecole de Columbia : l’analyse des effets limités de la communication électorale a. Paul Lazarsfeld et l’école de Columbia L’école de Columbia englobe Paul Lazarsfeld et ses différents successeurs.euses dans les années 1940. Les résultats de l’enquête font encore ajd objet de débats. LAZARSFELD est un militant socialiste qui fuit aux Etats-Unis au moment de la montée du national-socialisme. Il est pétri de vocabulaire marxiste, bien que cela ne se limite pas à l’analyse en terme de classes sociales. Doctorat en mathématiques appliquées à l’université de Vienne, puis il va faire ses premières enquêtes sur l’appauvrissement des catégories ouvrières en Autriche dans le village de Marienthal (pas loin de Vienne), publiée sous le nom des Chômeurs de Marienthal. Préfacé par Pierre Bourdieu, celui-ci va reconnaître l’avancée de ses travaux, mais va également critiquer son abus des statistiques. Puis il émigre aux Etats-Unis et abandonne la part explicite de son marxisme, parce que c’est pas hyper bien vu à cette époque aux States. En 1940, il va passer d’une analyse en termes de classe à une analyse de la société en termes de 11/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin « stratification sociale ». En 1940, il engage une étude collective fondée sur la méthode du panel6, afin de mesurer les effets de la communication politique : The People’s Choice (1944). b. The People’s Choice L’étude prend place pendant la campagne présidentielle de 1940, qui oppose Roosevelt pour son 3e mandat, à Wendell Wilkie. Cette campagne est, selon Lazarsfeld, un terrain privilégie pour évaluer les conséquences de la communication électorale sur les électeurs. Il va se concentrer sur le comté de l’Erye. Les contrastes s’observent au sein des cultures religieuses, et tous les groupes sociaux-économiques sont représentés. Echantillon de 3000 personnes du comté – ce qui est considérable à l’époque, et au sein de ces 3000, dans un sous-échantillon ils vont en sélectionner quelques centaines d’individus pour effectuer une enquête par panel. Ils sont interrogés sept fois au cours des semaines de campagne (c’est ça la technique du panel), afin d’analyser l’évolution des représentations électorales, et des choix politiques.7 L’enquête permet de rendre compte de l’évolution, et de pourquoi les gens changent d’avis, s’ils changent d’avis. L’enquête aboutit à des résultats inattendus ; on s’attend à ce qu’il y ait des effets de la communication sur les personnes interrogées (par l’intermédiaire de radios/journaux/télévision). Pourtant, il va observer avec son équipe que l’influence va être très faible. De même, il y a une grande indifférence à la politique pendant la campagne, faible exposition à la propagande des partis, intérêts très aléatoire pour la campagne. L’intérêt pour la campagne est très lié au statut social et au niveau d’éducation (c’est la première fois qu’on l’observe de façon quantitative et sérieuse). c. L’effet de la communication électorale sur les intention de vote Dans quelle mesure peut-on chiffrer la variation de la participation électorale ? Déjà, les abstentionnistes sont exclus (19% des inscrits à l’élection de 1940 → principalement les femmes qui votent depuis très peu de temps). A travers les statistiques, ils montrent que ceux qui changent d’opinion sont très minoritaires. Les classe en quatre catégories : 1/ Les MAY-VOTERS (presque 50%). Ce sont des électeurs/électrices, qui, avant même les conventions8, savent pour quel parti ils vont voter. 2/ Les CRYSTALLISERS (28%). Ceux dont l’opinion se cristallise après les conventions, lorsque les candidats sont désignés. 3/ Les WAVEVERS (15%). Ceux qui changent d’opinion en cours de campagne, avant de revenir sur leur option de départ. 4/ Les PARTY CHANGERS (8%). Ceux qui changent véritablement d’opinion au cours de la campagne. Ces indécis, estiment les auteurs, font partie d’une catégorie soumise à des déterminations contradictoires, appelées cross pressures. Six niveaux de cross pressures : ▪ Contradiction entre les dispositions économiques et religieuses (catho pauvre ou protestants riches).9 6 Quand on revient plusieurs fois voir les mêmes personnes interrogées, pour analyser l’évolution de leurs convictions/choix/opinions au cours de l’enquête. Ici, les mêmes personnes ont été interrogées six ou sept fois au cours de la campagne électorale américaine. 7 Les interrogé.es vont l’être à leur domicile, ce qui est très intéressant pour l’analyse. 8 Le moment où le candidat principal est désigné par le parti. 9 Cf l’étude de Weber dans L’Ethique Protestante et l’Esprit du Capitalisme. Ce sont des dispositions harmonieuses. 12/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin ▪ Contradiction entre la position occupée et l’identification : discordance entre la classe en soi et pour soi. Les individus croient appartenir à des groupes qui ne sont objectivement pas les leurs. Un ouvrier qui pense appartenir à une catégorie sociale moyenne-haute. Ça fait partie de l’électorat volatile, et ça coïncide avec l’émergence des partis qui ne s’adressent plus à des classes sociales ! ▪ Contradiction entre le vote de 1936 et 1940 : le mandat de trop de Roosevelt. Ces individus vont hésiter, et basculer vers Wilkie du fait du troisième mandat. ▪ Contradiction entre les options de l’électeur et celles de certains membres de sa famille. Il y a des tensions intra-familiales à propos du vote. ▪ Contradictions au sein du « groupes des pairs ». Ces contradictions peuvent donc être affinitaires, et concerner les cercles amicaux et de connaissance. ▪ Contradiction interne. Une personne qui hésite entre différentes représentations ou idées. Ça peut être l’hésitation entre le choix d’un candidat, et les positions de ce candidat dans certains domaines durant la campagne. En 1940, il faut penser que c’est un temps de guerre, et que les propositions économiques peuvent peser bcp. Ainsi, ce n’est que très marginalement que la communication électorale peut avoir un effet. Mais cet effet n’est pas nul non plus. L’essentiel des changements d’opinion proviennent des tensions au sein de la famille et du groupe des pairs. Lazarsfeld va théoriser l’effet BEN-WAGON : rallier le candidat qui va probablement gagner. Lazarsfeld ne va pas parler de l’effet inverse, qui correspond à rallier le candidat qui va probablement perdre : l’effet UNDERDOG. Plus les tensions contradictoires sont importantes, moins l’intérêt pour la campagne est marqué. EN CONCLUSION : ceux qui sont les plus influençables sont en réalité les moins influencés. La campagne ne joue qu’un effet de reinforcment des convictions de départ pour les MAY-VOTERS. La campagne accentue donc la cohérence des prédispositions politiques ; il y a un effet de renforcement. d. La prédisposition sociale au vote Qu’est-ce qui explique ces prédispositions ? Les statuts économiques et la croyance religieuse. Lazarsfeld et ses potes vont mettre au point un IPP (Indice de Prédisposition Politique) qui agrège plusieurs variables : ▪ Le statut socio-économique relativement élevé/dominé = la position professionnelle associée à revenu ▪ Le lieu de résidence (rural, urbain) ▪ La religion d’appartenance Avec ces variables, on met au point un indicateur prédictif du vote, qui permet de prévoir dans les grandes lignes comment les individus vont voter. La manière dont ils se représentent leur position (religieuse, sociale, socio-économique) contribue à renforcer les effets de positions sociale et donc les intentions de vote. A statut éco égal, se représenter comme travailleur va contribuer à voter démocrate, et inversement. EDT, un individu pense politiquement comme il se représente socialement. e. La circulation sociale de l’information politique Le choix électoral apparaît donc comme le résultat de l'expérience socialisée des électeurs. Cette hypothèse forte trouve son fondement dans l'idée que l'insertion des personnes dans des « groupes primaires » est déterminante. Un groupe primaire est un groupe qui socialise les individus qui vont voter. Le concept de « groupes primaires » a été explicité par le sociologue américain CHARLES HORTON COOLEY. Il a une position majeure dans la sociologie américaine et Lazarsfeld reconnaît l'importance de Cooley et son concept de groupes primaires. Il aura une importance plus marqué dans Personal Influence écrit avec Katz. 13/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin 1. La notion de « groupe primaire » Cooley au travers de ce concept s'attache à décrire, dans Social Organisation, le concept de GROUPE PRIMAIRE : c’est un groupe qui repose sur des relations familières de face à face et on retrouve ces groupes dans toutes les sociétés, traditionnelles comme contemporaines. Ces relations sont très importantes pour la formation des individus et pour la formation de leurs idéaux. Ex : socialisation primaire de la famille: influence libérale et/ou conservatrice. Cooley donne quelques autres exemples : les associations juvéniles (jeux d'enfants), les groupes de voisinage (grands ensembles urbains, communauté villageoise). Du point de vue de leurs EFFETS, ces groupes primaires se caractérisent comme médiateurs d'une première expérience du monde social, ils se manifestent et se vivent comme un collectif, comme un « nous » dans lequel les acteurs fusionnent. Parfois la communauté est pensée comme une entité supérieure à l'individu. De plus, ce sont des relations beaucoup plus pérennes et stables que les relations complexes, à distance que l'on peut rencontrer dans les sociétés modernes. Il prend soin de rappeler que c'est également au sein de ces groupes que se forgent des sentiments, des idéaux moraux, des sentiments politiques, la citoyenneté : autrement dit, les REPRESENTATIONS POLITIQUES. La démonstration de Cooley a donc pour objectif de montrer que la nature des individus et leur personnalité n'a rien de naturel mais qu’elle est liée à la socialisation. Il y a un poids important des groupes primaires dans l'engagement. Ex : engagement militaire qui dépend de la notion de défense des plus proche. On acquiert les premières représentations du monde social dans ces groupes primaires et c'est un lieu où vase former en partie le monde social lui-même. La socialisation primaire a des effets sur l’engagement politique ensuite, parce qu’on acquiert une socialisation du monde via ces groupes primaires, qui vont ensuite avoir une influence sur les choix de vote. L’intégration dans les groupes primaires inclut des positions de loyauté et de solidarité, auxquelles il est difficile de se soustraire. Plus ces groupes primaire sont homogènes, et plus ils vont avoir de l’influence sur les intentions de vote des individus. Comment peut s’expliquer cette homogénéité ? Dans les années 1940, les hommes bénéficient d’une certaine autorité, et donc d’un ascendant à l’intérieur de l’univers familial. Cette autorité va peser sur les épouses et par ricochet sur l’éducation des enfants. Quand il y a des désaccords, c’est le conformisme politique qui s’impose, pour ne pas ébranler l’équilibre du groupe familial. Cela signifie que même lorsque l’opinion va changer, ils vont se conformer à l’opinion majoritaire au sein du groupe primaire famille. D’où la conclusion de Lazarsfeld : « Les gens votent non seulement avec leur groupe, mais aussi pour lui ». 2. Personal Influence, de Lazarsfeld et Katz (1955) Paul Lazarsfeld et Elihu Katz vont s’intéresser à ces LEADERS D’OPINION dans leur ouvrage Personal Influence (1955). C’est une enquête portée sur 800 femmes de la ville de Decatur au sein du comté de l’Illinois, âgées de 16 ans et plus. Les questions portent sur les conditions sociales des choix des femmes dans plein de domaines (consommation ordinaire, goûts culturels, info politique). Ils vont montrer l’importance des relations personnelles dans la circulation de l’info politique, mais aussi dans la formation du jugement politique. 3. Les leaders d’opinion Or, ils vont montrer que ces LEADERS D’OPINION vont changer en fonction des objets de la conversation. Donc c’est plus compliqué que simplement « le père de famille » : sur des questions de mode, les individus vont avoir tendance à accorder plus d’importance à l’opinion des femmes, sur les questions politiques, c’est plutôt les femmes instruites et installées socialement, pour la consommation ordinaire, c’est les femmes mariées. Il n’existe pas de leaders d’opinion dans l’absolu : ils ont une légitimité variable en fonction des sujets évoqués. De plus, les leaders d’opinion ont très souvent des idées CONFORMISTES (c’est jamais extraordinaire), ils vont souvent se conformer à une attente. On peut donc avancer qu’ils sont écoutés, justement parce qu’ils sont conformistes. 14/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin 4. Quel est leur rôle ? Ils opèrent un filtrage des médias, phénomène que Lazarsfeld va appeler two-step flow of communication. Cela signifie que lorsqu’un message est émis, il est réinterprété par les leaders d’opinion puis diffusés dans le groupe. C’est donc un processus de communication à deux étages : MEDIAS → LEADERS D’OPINION → PUBLIC. Cela montre bien que les messages médiatiques ne sont pas transmis directement à la population, mais qu’ils passent d’abord par l’interprétation des leaders d’opinion. CONCLUSION. Il y a trois points principaux à retenir des travaux de l’Ecole de Columbia : 1/ La pertinence des variables lourdes sur le vote, que Lazarsfeld appelle l’IPP. Toutes les enquêtes électorales sérieuses – qui reposent notamment sur la technique du panel – montrent la centralité de ces variables, même si elles ont tendance à perdre une partie de leur effet dans certaines circonstances. C’est le texte de Lehingue du TD. 2/ L’influence des groupes primaires. La nature et la personnalité des individus n’ont rien de naturel, on l’a vu. Elles sont liées à des processus de socialisation primaires qui se créent dans les premiers cercles de socialisation : la famille, les associations, les cercles amicaux, etc. 3/ La solidité de la thèse des effets limités. Toute la littérature de l’AGENDA-SETTING découle de là : elle montre que la communication n’est pas une injonction à voter pour telle ou telle personne, mais, dans le meilleur des cas, un ensemble d’incitations à accorder une priorité ou un intérêt à tel ou tel thème durant la campagne. II. L’Ecole de Francfort : l’analyse de l’adhésion à la communication autoritaire C’est un label utilisé pour qualifier les travaux de l’Institut de Recherche Sociale (Institut für Sozialforschung)10, qui est un des premiers enseignements de recherche sociologique en Allemagne. Il est cofondé dans les années 1920 par le philosophe MAX HORKHEIMER. Les auteurs associés sont souvent des philosophes qui vont s’intéresser à plein de domaines : économie, sociologie, histoire, psychologie, etc. THEODOR ADORNO, HERBERT MARCUSE11, JÜRGEN HABERMAS12. Ils vont contribuer à réinterpréter la philosophie hégélienne et marxiste, ainsi que la psychanalyse. Leur objectif est de produire une description du monde social. Leur émergence est liée à la montée puis la chute du nazisme ; au moment de l’ascension du régime, un certain nombre des membres de l’IRS sont juifs et décident donc de quitter l’Allemagne pour Genève, puis pour les Etats-Unis. Dans les années 1950-60, beaucoup vont ensuite revenir en Allemagne. Cette école s’est beaucoup intéressée à l’organisation économique et politique qui a permis l’avènement d’Hitler, et comment cette organisation éco et politique a été transformée par la suite. Quel était l’effet immédiat de cette propagande hitlérienne sur l’électorat ? Les travaux se sont concentrés d’abord sur ces questions, notamment dans l’enquête The Authoritarian Personality dirigée par Theodor Adorno. Cette enquête a cependant été précédée de plusieurs autres enquêtes. A. Les Studien über Autorität und Familie (1936) 10 Aussi appelé « théorie critique » 11 Une des figures majeures de la contre-culture, qui va être bcp lu par les soixante-huitards. 12 Il a travaillé sur l’histoire de l’espace public, notamment. 15/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin Jamais traduit, enquête coordonnée par Horkheimer, Friedrich Pollock (un économiste de Francfort) et Erich Fromm (spécialiste de psychologie historique). Elle allie philosophie, économie et psychologie. L’enquête présente plusieurs enseignements quant à la réception de la communication politique autoritaire. 1/ L’évolution de la structure économique et sociale de l’Allemagne. L’économie se transforme radicalement, et on assiste à une disparition des métiers dits « indépendants » au profit de grands regroupements économiques privés – c’est la même analyse que Marx. Cette transformation va ensuite avoir des effets qui vont se prolonger dans l’univers de la famille, car c’est justement un univers où se forge dialectiquement une conscience critique et réflexive. Avec la transformation de l’univers économique, ces indépendants vont perdre de leur autorité dans l’univers familial, et on va alors constater une disparition des conflits potentiels, qui permettait aux enfants de se forger une conscience critique. 2/ De fait, les enfants vont chercher à se forger cette conscience critique ailleurs, par exemple dans les instances de l’industrie culturelle : on propose des modèles aux individus au cinéma par exemple. De même, les instances administratives vont aussi prendre de ++ d’importance. Individus vont s’en remettre de ++ à l’Etat, qui est une figure d’autorité éloignée d’eux. Finalement, instances économiques également, cad les grands patrons des industries que les individus ne voient jamais. Or cela ne permet pas de forger une conscience critique, puisqu’on ne peut pas avoir de conscience réflexive. Il y a donc une certaine conjoncture socio-historique qui permet d’expliquer l’adhésion à l’autorité, grâce à la mise à distance de l’autorité (économique, culturelle et politique). Et évidemment, on est plus ou moins dépendant au discours autoritaire en fonction de son statut socio-éco. Comment expliquer cette +/- grande résistance ou conformisme à la communication autoritaire ? B. Les conditions de formation de la personnalité autoritaire, The Authoritarian Personality Cette enquête est publiée en 1950, tandis que les différents membres étaient dispersés partout sur les côtes est/ouest. Adorno travaillait à l’époque à Berkeley, à San Francisco avec trois psychologues : Daniel Levinson, Else Frenkel Brunswik et Nevitt Sanford. Encore plus de moyen que l’enquête de Columbia, financée par l’American Jewish Comity. Ça va donner lieu à un ensemble d’enquêtes intitulées Studies in Prejudice qui propose des réflexions sur l’antisémitisme et toutes les formes de racisme. The Authoritarian Personality cherche à dresser des liens entre la structure de la personnalité et l’adhésion +/- importante aux différentes formes de communication autoritaire – du conservatisme politique et économique ordinaire au(x) racisme(s). 1. Les mass-production techniques Les méthodes d’enquête relèvent des mass-production techniques, cad des enquêtes quantitatives sous la forme de questionnaires présentés à quelques milliers de répondant.es. Les énoncés conservateurs présentés provenaient de phrases collectées dans les médias (choix entre accord/désaccord/neutralité). Quatre échelles de mesure ont été constituées à partir de ces énoncés : ▪ AS-SCALE : l’échelle de l’antisémitisme. ▪ E-SCALE : l’échelle de l’ethnocentrisme. Porte sur le patriotismes et les préjugés contre les minorités. ▪ PEC-SCALE : l’échelle des énoncés conservateurs sur le plan éco/politique. ▪ F-SCALE : l’échelle du fascisme. Enoncés fascistes conventionnels (indirects) ou non-conventionnels (explicitement fascistes). « L’homme d’affaire et l’industriel sont bien plus importants pour la société que l’artiste ou le professeur. », « Ce que fait un individu n’est pas tellement important, du moment qu’il le fait bien. » etc. 16/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin Le but était de définir une structure de la personnalité, à travers la répétition d’un accord à certains énoncés donnés. Et au-delà d’un aspect quantitatif, il y avait aussi un aspect qualitatif, qu’ils ont appelé les CLINICAL METHODS. Ce sont des études de cas individuelles fondées sur des entretiens de plusieurs heures et des tests psychologiques (environ 80/100 personnes). Ça a permis d’insister sur les causes environnementales (cad culturelles ou sociales) qui permettaient de comprendre comment se formait la personnalité autoritaire. 2. La structure de la personnalité autoritaire Le quantitatif permet de dégager une STRUCTURE de la personnalité autoritaire, grâce à la présentation d’un profil convergent : il est constitué de cinq dispositions. ▪ Une disposition au conventionnalisme. C’est l’adhésion rigide aux valeurs conventionnelles de la classe moyenne. ▪ La soumission à l’autorité. Exemple de l’expérience de Milgram. C’est « une attitude de soumission a-critique envers les autorités morales idéalisées du groupe interne » (cad, le groupe dans lequel se situent les individus, et les leaders auxquels les individus s’identifient de façon non critique). L’autorité s’impose d’autant plus dans les situations de face-à-face. ▪ L’agressivité autoritaire. C’est la tendance à espionner, condamner, voire punir les personnes qui transgressent l’ordre conventionnel. ▪ L’anti-intraception. C’est la suppression de toute suppression à l’égard d’autrui, à la fois l’absence de compassion et d’autoréflexion (« que ferais-je si j’étais à la place de cette personne ? » la question n’est jamais posée). ▪ La superstition et la stéréotypie. Le fait de croire en des déterminants mystiques du destin individuel, et d’adhérer à des catégories rigides (« Le monde est comme ça. », « C’est ton destin. »). 3. Quelles conclusions tirer de cette structure ? Cela signifie donc que les individus ont des structures de personnalité, qui, lorsque la situation change, peut très bien s’appliquer à cette situation. Adorno et ses potes vont montrer que la structure de la personnalité autoritaire est tjr présente au sein de la population américaine, en dépit d’un recul de l’antisémitisme. Cependant, il va y avoir un déplacement de l’antisémitisme vers l’anticommunisme. Ce qui explique ce déplacement, c’est la persistance des dispositions à l’autoritarisme et l’intensification – à tous les niveau : politiques, culturels et commerciaux – d’une propagande anticommuniste. On ne peut donc comprendre l’importance de la propagande sans analyser la structure de la personnalité des gens qui la reçoivent. La structure de la personnalité autoritaire peut donc se fixer vers différents objets : l’antisémitisme, l’anticommunisme, etc. Aujourd’hui, ça peut expliquer par exemple l’adhésion aux discours de Trump. C’est donc l’intensité de la CP, articulée à l’existence d’une disposition à l’autoritarisme qui explique l’adhésion à une nouvelle formule de communication autoritaire. 4. Comment cette structure de la personnalité s’acquiert-elle ? Adorno va établir plusieurs types parmi les sujets à hauts scores et à bas scores. 1/ Le type ORGANISATEUR (MANIPULATIVE) : il va traiter les moyens comme des fins, en réduisant les individualités différenciées à des schémas généraux et abstraits. Il a également tendance à s’accommoder de l’ordre social tel qu’il est, voire à défendre la structure économique et sociale ainsi que l’ordre légal, sans questionner sa dimension 17/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin arbitraire. Absence d’affects, qu’Adorno appelle une « intelligence sobre »13. On rencontre ce type de profil parmi « les membres de la classe dirigeante et technologique en pleine ascension ». Salaires élevés, privilégiés. Individus qui savent mettre en œuvre efficacement des moyens pour arriver à des objectifs. Pour Adorno, c’est lié au développement d’une économie de monopole constituée de grandes organisations et fondée sur une répartition des tâches +/- rigide propre aux sociétés modernes. Les individus vont de ce fait être loyaux à leur groupe d’appartenance, et vont avoir tendance à percevoir le monde à travers la distinction ami/ennemi. « Leur manière organisationnelle de considérer toutes choses les prédisposent à l’organisation totalitaire. » (Adorno) 2/ Le type PROTESTATAIRE : il va avoir propension à s’opposer à l’autorité et à prendre en compte la situation d’autrui. C’est le plus éloigné du type organisateur, celui qui va avoir les plus bas scores sur les échelles. Il perçoit les différences de traitement entre les individus et les groupes sociaux, et sait faire preuve d’empathie et de culpabilité à l’encontre des personnes assimilées à des victimes. « L’école de Francfort a découvert le wokisme soixante-dix ans avant qu’on en parle » XL Ce sont des profils rencontrés dans les classes moyennes éduquées, exposées à des tensions (familiales, éducationnelles, amicales) qui vont les amener à prendre position dans des situations de conflit, à réfléchir sur elles mêmes et à remettre à distance les statuts d’autorité (familiaux, politiques voire professionnels). Il va raisonner à partir de la distinction juste/injuste. 3/ Le type INDULGENT. 4/ Le type CONVENTIONNEL. C. La réception de The Authoritarian Personality L’ouvrage a bénéficié d’une réception largement favorable au moment de sa parution, notamment grâce à Lazarsfeld, qui a relevé l’intérêt à associer l’analyse théorique (la dialectique, cad la tension qui traverse les groupes sociaux14) à des résultats empiriques. 1. Une réception critique favorable La méthode et les résultats de l’enquête ont été discutés et étendus en psychologie historique et politique, une branche de la psycho qui cherche à allier des facteurs internes et leur articulation à des facteurs externes – historiques et sociaux. Où s’acquièrent ces dispositifs sociaux ? Dans quels contextes ? BOB ALTEMEYER notamment, dans son ouvrage Right Wing Authoritarian (1980), utilise les concepts de l’Ecole de Francfort pour observer le maintien dans le temps de la structure de la personnalité autoritaire et réfléchir au phénomène Trump. De même, CHRISTIAN FUCHS a montré dans ses différents travaux la pertinence de la réflexion d’Adorno, à partir de différentes conclusions étendues à la période contemporaines : ▪ Par exemple, il va montrer que la démocratie n’est pas incompatible avec l’existence d’une structure de la personnalité autoritaire. Ça permet de tej une conception assez idéaliste de la démocratie, où tout le monde serait à fond naturellement. ▪ Il existe des prédispositions à l’adhésion à l’autoritarisme qui renvoient à des conditions collectives historiques, sociales et collectives. Cela signifie que les prédispositions s’acquièrent socialement dans des MILIEUX. 13 Cad une intelligence « limitée à la mise en œuvre de moyens adéquats à une fonction. » 14 C’est la dialectique d’Hegel par exemple, reprise ensuite par Marx. 18/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin ▪ Finalement, les médias produisent des effets dans la circulation du discours autoritaire. Newspaper, médias digitaux. Mais encore faut-il que les individus aient des prédispositions pour être réceptifs. 2. Une réception critique négative Certains ont néanmoins pointé la construction artificielle de ces types : ces types ont émergé parce qu’ils ont répondu à des questions déjà prédéfinies par les chercheurs. De plus, les hypothèses présentées dans l’ouvrage n’ont pas fait l’objet d’une application à d’autres échantillons de la population sur la période contemporaine. Finalement, on a aussi critiqué le parti-pris idéologique progressiste de ces chercheurs de l’Ecole de Francfort. En gros, on dévalorisait les gens de droite et on valorisait les gens de gauche. Certains auteurs comme MILTON ROKEACH ont donc cherché à analyser cet « autoritarisme de gauche ». Dans son ouvrage The Open and Closed Mind (1960), Rokeach construit une ECHELLE DU DOGMATISME qui intègre les positions radicales de gauche. On a aussi critiqué le fait que Adorno et ses potes n’aient pas fait eux-mêmes leurs enquêtes de terrain, et aient donc été enclin à plaquer des explications et des types artificiels sur des cas et des trajectoires qui restaient largement plus complexes. GUNNAR MYRDAL est un économiste suédois qui a par exemple mené une enquête, en 1963, sur la population afro-américaine aux Etats-Unis (Le Dilemme Etatsunien : le problème noir et la démocratie moderne) et qui a lui-même réalisé ses enquêtes de terrain. III. L’Ecole de Birmingham : l’analyse des processus de production et d’interprétation de l’information politique C’est l’autre nom des CULTURAL STUDIES, qui cherchent à analyser au processus de réception de l’information politique. C’est un courant cntral dans le monde anglo-saxon, qui met l’accent sur l’analyse de la culture. Une partie des Postcolonial Studies ou des Gender Studies découlent de là. Ses principaux auteurs : Raymond Williams, Richard Hoggart, Stuart Hall. Les premières analyses ont porté sur l’analyse des hiérarchies culturelles et des différents goûts culturels, avec un regard qui tenait à la fois de la critique littéraire et de la sociologie. Forte dimension critique, liée au fait que tous les chercheurs venaient de milieux modestes et avaient donc expérimenté cette hiérarchie des cultures. Ils ont fait l’analyse de la culture et de la politique par le bas, en insistant sur les formes de résistance et de critiques opposées par les membres de la classe populaire à la communication politique, journaliste et publicitaire. Il y a aussi la volonté d’engager une critique contre l’orthodoxie marxiste (cf le texte de Stuart Hall « Codage et Décodage dans le discours télévisé »). Etudes ethnographiques, très peu d’analyses quantitatives. Donc rien à voir avec les grandes enquêtes menées par les Ecoles de Francfort et de Columbia. Pour eux : les processus de communication ne vont pas de soi. Et les publics qui reçoivent ces informations sont moins passifs qu’on pourrait le penser, y compris dans les milieux populaires qu’on pourrait penser plus réceptifs. RAYMOND WILLIAMS définit le PROCESSUS DE COMMUNICATION de la manière suivante : « J’entends par communication les institutions et les formes dans lesquelles les idées, l’information et les attitudes sont transmises et reçues. J’entends par communication le processus de transmission et de réception. » E. P. THOMPSON a notamment écrit une Histoire de la classe ouvrière anglaise de 1200 pages. Il va montrer qu’il n’y a pas une culture homogène mais des cultures, qui sont en conflit et qui renvoient à des fractions de classe. Ça va donner lieu à des travaux sur les SOUS-CULTURES et les CONTRE-CULTURES. Antonio Gramsci a mis l’accent sur le poids des 19/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin idées dans les rapports de classe. Louis Althusser est un marxiste français qui a étudié de façon littéraire les travaux de Marx. Il a aussi écrit un article « Idéologie et appareil idéologique d’Etat ». RICHARD HOGGART est le fondateur de l’Université de Birmingham. STUART HALL a produit beaucoup d’articles sur la production politique de la jeunesse, des minorités ethniques et sur la déviance. Il traite aussi de la circulation de l’information politique de l’émetteur au récepteur. A. Les classes populaires et leur rapport à l’information politique (Hoggart) The Uses of Literacy (1957) (La Culture du Pauvre, traduit en 1970 en France) est un ouvrage autobiographique qui décrit avec précision les modes de communication. Il s’intéresse aux formes de divertissement, et amène un certain nombre de nuances vis-à-vis des modèles disponibles relatifs à la communication. Il fait de l’AUTO-SOCIO-BIOGRAPHIE, qui consiste à revenir de façon réflexive sur sa vie et son milieu. Pour lui, la thèse selon laquelle le public est passif est fausse, tout comme celle qui affirme que les classes populaires résistent aux modèles dominants. Il va montrer que la tradition marxiste a tendance à surestimer la propension des membres des classes populaires à critiquer les informations politiques. Pour lui, les analyses marxistes se concentrent sur les avant-gardes intellectuelles, qui représentent un potentiel révolutionnaire, et c’est pour ça que c’est biaisé. Pour lui, les classes populaires n’intéressent la tradition marxiste que dans le sens où elles peuvent être révolutionnaires ; les autres catégories populaires sont sans importance, et ça c’est un problème. Pour lui, il existe une inertie relatives des styles de vie populaire. Et c’est justement ce style de vie qui va constituer une forme de résistance – inconsciente – à la communication de masse. Il va théoriser la COULDN’T CARE LESS ATTITUDE (attitude je m’enfoutiste) : c’est la domination d’un scepticisme lié à une tradition de non-conformisme vis à-vis des discours officiels. Et cela participe de la distinction entre un « eux » et un « nous », et donc d’une défiance assez générale par rapport à l’autorité. A l’inverse, quand un discours va s’inscrire dans la logique de sociabilité des classes populaires, alors il va susciter de l’intérêt. Il va théoriser deux idéaux-types d’individus issus des classes populaires : ▪ L’attitude ORLICK15 : le « prolétaire conformiste ». Il se contente d’une forme d’« immobilisme enragé » qui suppose un refus des idées hétérodoxes, originales et non-routinières. ▪ L’AUTODIDACTE : celui qui « perd ses attaches de classe dans son effort de promotion culturelle ». Lui a un rapport critique à la communication de masse. C’est donc essentiellement la position des individus au sein des classes populaires, et notamment leur position par rapport au groupe d’origine et leur trajectoire qui permet de comprendre leur relation à la communication de masse. B. Les phases du processus de communication et leur articulation (Hall) Stuart Hall s’interroge sur les phénomènes d’autonomie ou de résistance des populations à la communication politique, à la complexité et à l’autonomie relative des phénomènes symboliques16. Stuart Hall s’est décrit comme « étranger familier » à Oxford, lorsqu’il est arrivé de Kingston (colonie anglaise à l’époque). Il va s’intéresser à la réception de ces phénomènes symboliques. Hall va jouer un rôle majeur puisqu’il va prendre la direction du Centre des Etudes Coloniales en 1968, à la suite de Richard Hoggart. 15 Un personnage de Great Expectations de Dickens. 16 Les phénomènes symboliques sont les systèmes de signes intelligibles destinés à circuler socialement : la parole, les images, le langage. 20/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin Dans « Codage et Décodage dans le discours télévisé », Hoggart va s’intéresser à la notion d’HETERO-GLOSSIE, notion forgée par Mikhaïl Bakhtine, un linguiste russe, qui désigne les sources de tension au sein des textes littéraires. Ces sources de tension vont provenir des accords tacites ou explicites entre l’auteur, le narrateur et les personnages. Il va donc importer un certain nombre de concepts issus de la littérature, de la philo, de la linguistique ou de la psychanalyse pour comprendre les phénomènes de communication. La SEMIOTIQUE17 est représentée par des auteurs comme Roland Barthes. Hall a cherché à comprendre de manière critique les différentes phases de ce processus. Il s’intéresse aux processus-clefs de communication. ▪ La production ▪ La circulation, ou la diffusion ▪ La distribution ▪ La consommation ▪ La reproduction : la manière dont l’information, ou le code de l’information se maintient dans le temps. Il s’intéresse également aux tensions qui existent entre émetteurs et récepteurs, car la réception ne va pas de soi. Dans Codage et Décodage, on a le point de départ de l’analyse de la réception de l’information politique, c’est pour cela que le texte est majeur. Pour lui, l’information politique n’est jamais reçue telle quelle par les récepteurs. Il y a toujours des biais économiques, stratégiques, hiérarchiques, familiaux, concurrentiels qui entrent en jeu. Le CODE, ce sont les significations accordées à telle ou telle information ou tel ou tel message. Les messages sont-ils de la même façon par les émetteurs et les récepteurs ? Pour lui, production (codage) et réception (décodage) sont entrelacées, mais pas forcément identiques. Trois types de relation entre codage et décodage : 1/ Le premier type de relation est celui de la CORRESPONDANCE. Le CODE DOMINANT est celui qui circule le plus, du fait par exemple qu’il est défendu, assumé, parfois imposé par différentes fractions de l’élite et à travers différents canaux de communication. Mais pour qu’il y ait circulation, il est nécessaire que les codes des professions journalistiques soient en adéquation à ceux des émetteurs politiques. 2/ Le deuxième type de relation est celui de la NEGOCIATION. Le code des émetteurs fait alors l’objet de réserve, voire d’adaptation marginale de la part des récepteurs. Le code prend son sens en fonction des situations individuelles. Par exemple, le public peut admettre l’interprétation générale d’un événement ou d’une information, mais à certaines conditions. 3/ Le troisième type de relation est celui de l’OPPOSITION. Dans ces cas-là, le récepteur dépouille le code de son interprétation initiale. Il s’agit alors d’un code oppositionnel, qui est à l’œuvre dans les périodes de tensions ou de conflits. Pour Hall, il existe néanmoins des situations de glissement entre les différentes relations. Un code hégémonique peut s’affaiblir, ou être mis en question. 17 La sémiotique est l’analyse des modalités par lesquelles, à des signifiants (des mots, des images, des représentations, des discours) sont attribués des signifiés (un code plus ou moins élaboré à déchiffrer). 21/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin DEUXIEME PARTIE. Genèse et transformations de la communication politique Chapitre IV. La genèse de la communication politique Les premières formes de communication politique ont pris le nom de PROPAGANDE, cette catégorie recouvrant diverses significations et pratiques jusqu’au milieu du XXe siècle. Le mot même de propagande fait son apparition au XVIe siècle en langue latine, dans le cadre des activités de l’Eglise catholique contre les défenseurs du culte réformé (Congregatio de Propaganda Fide18). En langue française, à partir de la Révolution, le terme de propagande désigne simplement le fait de propager des opinions et des doctrines. Le mot a ensuite pris une tournure négative en France, notamment après Vichy et son « ministère de la Propagande ». Cette idée de propagande comme « manipulation et déformation des faits » est d’abord un phénomène propre aux Etats-Unis. A la fin du XIXe siècle, le mot va prendre une tournure péjorative, tout comme l’expression « spin » qui signifie « présenter la vérité sous un angle précis, pour la tourner à son avantage ». Cette acception et cette pratique de la propagande apparaît au début du XXe siècle, avant de circuler dans l’ensemble des pays, soit qu’ils valorisent les principes d’une démocratie constitutionnelle et d’une économie marchande, soit qu’ils suivent la trajectoire de régimes autoritaires ou totalitaires. I. La naissance du spin et des relations publiques L’industrie de la propagande et des relations publiques, ce qu’aux Etats-Unis on qualifie de SPIN, peut être présenté comme un ensemble de pratiques destinées à la manipulation des nouvelles, des médias, de l’ « opinion ». On attribue généralement la naissance de cette industrie des relations publiques (public relations) à l’expansion d’entreprises en relations publiques à partir du XXe siècle et aux innovations propagandistes nées de la guerre de 1914-18. There Will Be Blood parle de cette critique de la corruption aux Etats-Unis. A. L’influence d’Ivy Lee sur les relations publiques Un indicateur historique sur la naissance des relations publiques : la création d’un cabinet de conseil en image à New York en 1906 par IVY LEDBETTER LEE (1877-1934)19. C’est notamment cet entrepreneur de morale qui va s‘employer avec succès à transformer l’image publique de John D. Rockefeller. Début XXe, la réputation de Rockefeller est passablement écornée (1er milliardaire des Etats-Unis), du fait des muckrakers, journalistes indépendants qui révèlent des affaires bresom de corruption et de détournements au grand public. Il avait par exemple fait tirer, en 1914, sur les mineurs grévistes de Ludlow et sur leur famille. Lee va conseiller à Rockefeller de produire des discours de « vérité » afin de faire crari le mec honnête. Il va alors construire une image négative du mouvement social, en instillant l’idée que les grévistes sont à l’origine d’actes terroristes (incendies) et que la meneuse est une prostituée/proxénète. Pour ce faire, Lee va rédiger des circulaires à 18 Un organisme de l’Eglise catholique chargé de répandre la foi, afin d’endiguer les représentations de la Réforme. 19 Formation économique, journaliste économique qui se lance, en 1900, dans une carrière de relations publiques. En 1904, fonde la société Parker & Lee, puis un cabinet à NY. 22/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin l’intention de « leaders d’opinion », en intervenant personnellement de manière officielle (commission d’enquête du Sénat) ou officieuse, en participation à la promotion d’activités philanthropiques, en incitant ses clients à réaliser des tournées et des visites sur les lieux de travail de ses employés, en créant des départements de relations industrielles chargés d’analyser la vie et l’organisation des salariés et d’anticiper les mouvements sociaux. Lee va être le premier à relayer l’idée qu’il n’y a pas de fait, mais seulement des interprétations des faits. Ça va contribuer à faire péricliter la grève, qui s’arrête fin 1914. B. Un travail de définition de la propagande moderne Lee est un lecteur du médecin et psychologue français GUSTAVE LE BON (1841-1931). Il invente le communiqué de presse. Il montre également qu’en situation de crise, les responsables présumés doivent témoigner publiquement de leur empathie et défendre un principe de transparence (ce qui ne veut pas dire être transparent non plus). C’est le concept de full disclosure20. Cette propagande d’entreprise (corporate propaganda) s’étend au lobbying auprès des pouvoirs publics. Il va s’appuyer sur des leaders d’opinion, dotés d’un capital populaire, pour faire infuser ses idées. Exemple de Lindberg, payé pour faire des discours et vanter les mérites de l’avion sur le train par les lobbies de l’aéronautique civile. Cf Goliath et le scientifique médiatisé payé pour parler du Tétrazine en bien. D’autres fondateurs et théoriciens ont accompagné ce travail de définition de la propagande et des relations publiques. On doit retenir, parmi eux, EDWARD BERNAYS (1891-1995). Bernays a introduit l’expertise dans la réclame et notamment l’expertise médicale, la sollicitation du public dans la promotion des produits « événement » dont le but est d’engendrer des retombées médiatiques et de renforcer l’attractivité d’un produit. En politique, notamment lors de la campagne présidentielle de 1924 auprès de Calvin Coolidge (républicain qui remporte l’élection). Il utilise systématiquement les arts du spectacle, mobilise les slogans appliqués à la politique. Il invente le placement de produit, demande à des médecins de faire des pubs qui disent que le bacon le matin est essentiel pour un petit-déjeuner équilibré. Il va beaucoup s’intéresser à la psychologie aussi : pourquoi les femmes fument-elles moins que les hommes ? Il va monter un événement de toutes pièces pour inciter les femmes à fumer des Lucky Strikes. Il va appeler ça les torches of freedom, et va présenter le fait de fumer comme un moyen d’émancipation des femmes, qui va être relayé par les féministes malgré elles. Son ouvrage le plus connu, Propaganda (Comment manipuler l’opinion en démocratie) paraît aux Etats-Unis en 1928. Pour Bernays, la démocratie se caractérise par un vaste ensemble inarticulé d’opinions de consommateurs ou de citoyens. C’est à un « gouvernement invisible », une élite dirigeante, que revient la mission de tracter une voie commune à l’appui de techniques permettant d’enrôler ou d’enrégimenter le public. 1/ L’émergence du conseiller en relation publique coïncide avec des transformations politiques majeures comme la constitution de la Committee on Public Information (CPI) mise en place par Wilson pendant la 1GM. Du fait de la crise monétaire internationale, il a recours aux spécialistes des relations publiques pour promouvoir un impôt qui n’est pas populaire auprès de la population. Au début des années 1930, les petites entreprises aussi sollicitent ces spécialistes, qui naviguent entre les univers économiques et politiques. C’est donc un phénomène à différentes échelles et qui se développe dans l’entre-deux guerres. 2/ Après la 2GM, le phénomène s’internationalise avec le Plan Marshall : le financement par les EU de la reconstruction européenne d’après-guerre. Des techniques et des discours propres aux relations publiques sont importées en Europe dans les institutions gouvernementales (Commissariat au Plan en France, Union de l’Europe Occidentale, ministère des relations publiques à la fin des années 1960) et dans l’univers économique (les compagnies pétrolières par ex). 20 Divulgation complète 23/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin 3/ Des agences de conseil en relations publiques sont finalement fondées fin 50 début 60, pour recruter et former des professionnels de la communication. Le SYNAP, Syndicat National des Attachés de Presse, en est un exemple21. Certaines organisations professionnelles vont se doter de telles agences, comme les syndicats patronaux ou les marques (politiques ou économiques). C’est l’émergence du marketing à la fin des années 1960. II. Les premières analyses de la propagande politique Les premières analyses de la propagande politique et de ses effets ont été engagées par HAROLD DWIGHT LASSWELL (1902-1978) et SERGE TCHAKHOTINE (1883-1973) aux Etats-Unis. Même si leurs analyses sont rudimentaires du point de vue de la représentation du public, ça jette néanmoins les bases de l’analyse des relations publiques. A. Harold Dwight Lasswell, Politics : who gets what, when, how ? (1936) C’est le premier à avoir traité de la communication politique d’un point de vue analytique, à partir de matériaux empiriques. Il s’est attaché à l’étude de la propagande et aux premiers développements de l’analyse des contenus (qu’est-ce qui compose cette propagande ?). C’est le premier à avoir mis en place une analyse de corpus politiques, et des méthodes d’analyse que l’on pourrait résumer par la formule suivante : « Qui dit quoi à qui, par quel canal et avec quel effet ? » Il met ainsi en place des méthodes dans son ouvrage Politics : who gets what, when, how ? de 1936, sans échapper pour autant à une vision normative de la propagande, et à une représentation des récepteurs comme public passif. 1. Politics Dans son ouvrage, il cherche à traduire l’intention des émetteurs (acteurs/organisations) à partir de leur message et du contexte de production de ces messages. Pour cela, il s’intéresse aux caractéristiques socio-démographiques et psychologiques du public et aux moyens de diffusion du message ainsi qu’à leur évolution. Pour lui, la propagande est un ensemble de stimuli qui incitent les acteurs à agir/réagir. On voit bien en quoi c’est réducteur dans la compréhension des acteurs, puisque Lasswell considère le public comme passif. Il met en œuvre les premières techniques d’échantillonnage. Dans les années 1920, Lasswell va distinguer la propagande dans les régimes démocratiques de celle dans les régimes totalitaires, ce que va reprendre Chomsky par la suite (texte TD). Pour lui, la propagande c’est la seule manière de susciter l’assentiment des masses. C’est plus économique que l’utilisation de la violence physique ou de la corruption. De plus, ce n’est pas un outil moral : ça peut être utilisé à de bonnes ou de mauvaises fins. 2. La propagande démocratique et totalitaire 1/ Dans les régimes démocratiques, il y a une pluralité des propagandes. Les démocraties se caractérisent par l’absence de monopole des moyens de propagande, et par la liberté, au moins formellement garantie, d’activités de propagande concurrentes. Par ailleurs, les activités propagandistes en démocratie sont toujours partielles. Lasswell s’est d’ailleurs mobilisé à l’époque pour défendre l’idée d’un besoin de propagande d’Etat dans les démocraties. Il a défendu l’idée selon laquelle lorsqu’il y a absence d’interférence, la propagande peut être en « total conductance » et que finalement, la propagande, sous cette condition, peut avoir l’effet d’une seringue hypodermique : les médias parviendraient selon lui à injecter des messages dans le corps social comme une seringue le ferait dans le corps humain. Il faudra attendre les études de Lazarsfeld pour prouver que non, ce n’est pas aussi simple qu’un vaccin dans le corps, certains en ont rien à battre et la quantité investie dans la propagande changera pas cette attitude. 21 Attaché de Presse et spécialiste des relations publiques sont des synonymes 24/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin 2/ Dans les régimes totalitaires, il y a une univocité de la propagande. C’est ce qu’étudie Serge Tchakhotine dans ses ouvrages. B. Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande politique (1939) Psychologue russe qui a quitté l’URSS. C’est un des premiers qui utilise et rationnalise systématiquement l’utilisation des moyens de diffusion au sein du régime hitlérien. Il montre à quel point les réussites d’un travail de propagande d’Etat dans un régime totalitaire suppose de satisfaire des prédispositions psychiques plurielles des sujets. Ce dispositif renvoie à ce que Tchakhotine appelle un « plan de campagne » rationnel. Il y a une différenciation de la propagande en fonction des régions du territoire allemand, qui intègre différentes priorités en fonction des régions auxquelles on s’adresse.22 L’action propagandiste du régime hitlérien va prendre différentes formes en fonction des zones de diffusion : ▪ Dans la ZONE NORD-EST, c’est un discours tourné vers des actions combattives et intimidantes qui va être utilisé. Premières occurrences des volontés de combattre les populations juives apparaissent ici. ▪ Dans la ZONE SUD-EST, c’est une rhétorique socio-économique centrée sur les besoins des ouvriers qui est mise en œuvre. ▪ Dans la ZONE OUEST, c’est orienté sur les avantages existants, la sécurité, la volonté de prévoyance qui sont accentués, sans accentuer la différence politique du nouveau régime. C’est donc une propagande destinée à répondre aux différentes attentes des citoyens allemands, d’où le fait qu’il parle de propagande affective complète, puisqu’elle prend en compte tous les besoins/aspects de la vie publique et privée. C’est également une propagande contraignante, car elle sanctionne les refus de la norme imposée. Sanctions du refus de faire le salut hitlérien par ex, manipulation des chiffres des participants aux réunions publiques, exagération des effets supposés positifs de la propagande du régime, dramatisation des enjeux politiques liés à la communauté nationale (politique raciale et engagement dans conflits militaires)23. Il va encore falloir attendre un peu avant de voir émerger des études d’analyse satisfaisantes : ça va arriver avec Columbia, Birmingham et Francfort. III. Les analyses contemporaines de la propagande politique Quelles sont les modalités de production de la propagande politique en démocratie ? C’est ce qui a intéressé les chercheurs contemporains tels que NOAM CHOMSKY et IAN KERSHAW, qui ont révélé une certaine homogénéité du discours politique par la façon dont il circule, ainsi que les conditions de possibilité de cette homogénéité relative de la communication politique dans les régimes démocratiques contemporains. A. Noam Chomsky et l’homogénéité de la CP : Manufacturing Content (1988) L’analyse de l’homogénéité/hétérogénéité s’est développée grâce aux travaux notamment de Noam Chomsky, linguiste étatsunien engagé. Dans son livre Manufacturing Content : The Political Economy of the Mass Media (1988), publié avec Edward Hermann, il s’intéresse à l’homogénéisation des contenus informationnels, à partir d’un certain nombre de possibilités. Il propose cinq conditions de filtrage : ▪ Les MODES DE FINANCEMENT des organisations qui financent la production de l’information, et qui en supportent les coûts. Ce sont des organisations de grande taille, cotées en bourse et dont les activités sont 22 Zone ouest marquée par convictions républicaines, zone nord-est marquée par idéologie militaire et religieuse des Prussiens, zone sud-est avec des tendances politiques progressistes et révolutionnaires (socialistes et communistes). 23 Cela laisse supposer qu’il n’y a pas d’indépendance des appareils statistiques. 25/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin lucratives. Par exemple, le groupe TF1 avec Bouygues qui construit des réseaux d’informations. « Les groupes multimédias dominants sont de très grosses entreprises, contrôlées par des gens très riches et orientées vers le profit. » ▪ L’importance de la PUBLICITE. C’est devenu le moyen essentiel de rémunération des journalistes, qui a tendance à marginaliser les autres modes de financements. L’auto-financement, sur la base des abonnements et des ventes, est par exemple devenu relativement marginal. Or, la publicité suppose de produire une information qui ne soit pas complètement contraire aux intérêts des annonceurs. ▪ Les SOURCES qui participent à la sélection et à la standardisation de l’information. Dont une tendance à une diminution du journalisme d’enquête (views > news). Les modalités de financement peuvent par exemple conduire les journalistes à moins recourir à l’enquête, et plus à des sources de seconde main. L’AFP est une agence de presse à laquelle s’abonnent les journalistes, pour ne pas avoir à faire eux-mêmes le travail d’enquête. Or conséquence → moins de contrôle sur la production de l’information par les journalistes, vu qu’elle est sous-traitée. ▪ L’importance des GATE KEEPERS, les « gardiens de frontière ». C’est des gens comme Pascal Praud : tout le monde n’a pas un accès égal à son plateau. ▪ Les visions du monde dominantes au sein d’une société. La mise en récit des partis politiques fait partie de cette vision du monde ; ça a aussi un impact sur la production et la réception des informations. Par exemple, les représentations que l’on se fait des réfugiés ukrainiens/afghans dans les médias, qui sont largement différentes. Attention à la dérive complotiste : ça ne veut pas dire qu’il y a une coordination systématique de ces conditions de filtrage, juste qu’elles vont toutes dans le même sens mais des fois de façon inconsciente. B. Ian Kershaw et le problème de la réception : L’Opinion Allemande sous le Nazisme (1983) Beaucoup d’études ont prouvé que le public n’était pas seulement passif vis-à-vis de la réception de la CP. L’historien britannique Ian Kershaw notamment, a beaucoup contribué à affiner ces analyses. Dans L’Opinion Allemande sous le Nazisme, il montre que la population allemande n’était pas totalement soumise à la propagande de Goebbels. Pour lui, elle n’était « ni soumise, ni résistante », oscillant dans un entre-deux entre la dissidence discrète et le consentement en fonction des dispositions des différentes parties de la population. Ces dispositions sont la vision du monde préalablement incorporée, qui est intégrée en fonction de la socialisation primaire. Par exemple, les catholiques ne verront pas la propagande de la même façon que les communistes révolutionnaires de la république de Weimar. On voit bien à quel point c’est éloigné des analyses de Lasswell et Tchakhotine ! Kershaw va montrer que les ouvriers, par exemple, vont parfois faire grève quand l’oppression des patrons va faire écho à des politiques du régime, et pourtant ils iront aussi à un concert organisé par le régime le soir même. Donc ça oscille en continu. Chapitre V. Le renforcement des interdépendances professionnelles A partir de la 2e moitié du XXe siècle, on observe un renforcement des interdépendance entre l’univers journalistique et politique : l’usage de l’entertainment (divertissement) prend de plus en plus d’importance dans la diffusion des 26/38 Cours CM Communication Politique – X. Landrin informations politiques. Les acteurs politiques vont donc devoir s’ajuste à ces transformations, en ayant recours à des professionnels de la CP. La parole va s’ajuster aux prérequis de l’univers journalistique. I. La consolidation du conseil politique A partir des années 30, les labels vont se différencier : on va parler de moins en moins de spécialiste des relations publiques, mais plutôt de conseillers politiques ou de consultants. Ça va coïncider avec une période où ils vont être de plus en plus sollicités par la sphère gouvernementale. On a parlé de Wilson, mais ça va surtout être Roosevelt avec ses politiques fiscales pendant le New Deal, qui va galérer à faire passer ses réformes des marchés financiers et de la politique fiscale. En 1936, administration fédérale étatsunienne engage 150 spécialistes des relations publiques/du conseil, pour participer à la mise en forme et à la diffusion des actualités diffusées par la Maison Blanche. C’est la période où le consultant en stratégie dans les campagnes électorales s’impose aussi. Puis dans 1940s, cursus universitaires centrés sur la communication prennent à l’économie, la science politique et l’histoire. Ça se professionnalise vraiment à partir des 1970s. La figure du consultant se précise progressivement à partir des années 1960, où il devient un expert spécialisé dans la préparation et la mise en œuvre des campagnes électorales ou dans le conseil politique en cours de mandat. Sur le continent européen, c’est le PARTI CONSERVATEUR ANGLAIS (de Margaret Thatcher) qui utilise de ++ massivement des conseillers et consultants politiques à partir des années 1970. Le LABOUR PARTY se convertit à la fin des années 1980 aux mêmes techniques de communication que son adversaire. C’est Tony Blair, à la tête désormais du NEW LABOR qui systématise le recours à ces techniques avec la mise en place d’une « WAR ROOM », qui définit le programme du parti, et les éléments de langage de la campagne. PHILIP GOULD et PETER MANDELSON sont des journalistes politiques qui vont se reconvertir dans le conseil (porte-parole du parti travailliste). La war room va aussi commander des sondages, parce qu’elle se détache progressivement de sa base militante. Ce processus contribue à la marginalisation du parti « on the ground ». Parallèlement, les acteurs extérieurs, publicitaires, experts, conseillers ou consultants en communication politique s'imposent temporairement ou de manière permanente au sein des appareils de décision des partis politiques et gouvernementaux. le sociologue AERON DAVIS a ainsi montré dans une enquête publiée en 2013 intitulée Promotional Cultures, the Rise and Spread of Advertising, Public Relations, Marketing and Branding, aux presses de Cambridge, que les cabinets ministériels après la victoire des partis aux élections nationales avaient une nette tendance à recruter des membres permanents affectés à la communication politique. une contractualisation peut être mise en place avec des agences. de mème, le ministère de l'information au Royaume-Uni dispose d'un budget qui passe de 27 à 150 millions de livres entre 1979 et 1988, et les dépenses gouvernementales en annonces passent dans la même période de 44 à 85 millions de livres. il s'agit-là d'une tendance qui s'est accentuée depuis dans la plupart des d?