Summary

Ce document est un cours sur l'histoire du droit pénal, couvrant la période allant de la Rome antique au XIXe siècle. Il analyse les différentes infractions, les peines et les procédures criminelles à travers les époques. Les chapitres abordent le droit pénal romain, l'Ancien Régime et le droit intermédiaire et le XIXe siècle. Une bibliographie est annexée au document.

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Histoire du Droit Pénal DU Sciences criminelles Joël Hautebert 21.10.2019 Table des matières Introduction 4 Titre 1 : Le droit pénal romain...

Histoire du Droit Pénal DU Sciences criminelles Joël Hautebert 21.10.2019 Table des matières Introduction 4 Titre 1 : Le droit pénal romain 5 Chapitre 1 : L'existence d'un droit pénal 5 Section 1 : Évolution de la nomenclature des délits 5 Section 2 : Des procédures spécifiques 7 Chapitre 2 : La responsabilité pénale 9 L'irresponsabilité pénale 9 L'élément psychologique 10 Chapitre 3 : Les peines 10 La finalité de la peine 10 Les différentes peines 11 Titre 2 : Le droit pénal de l'Ancien Régime 12 Chapitre 1 : Époque franque et féodalité 12 Section 1 : Le droit pénal franc 12 Section 2 : La justice des seigneuries féodales 13 Chapitre 2 : XIII-XVIIIème siècle 14 Section 1 : Retour de l'élément psychologique (responsabilité pénale) 14 Section 2 : La procédure romano-canonique 16 Section 3 : Les crimes et les peines 20 Titre 3 : Droit intermédiaire et XIXème siècle 25 Chapitre préliminaire : La critique des Lumières 25 Section 1 : Des pratiques décriées 25 Chapitre 1 : Le droit révolutionnaire 27 Section 1 : Les nouveaux principes 27 Section 2 : Les premiers codes et la procédure 29 Chapitre 2 : Le droit impérial 30 Section 1 : Le code d'instruction criminelle 30 Section 2 : Le code pénal 31 Chapitre 3 : Les controverses du XIXème siècle 32 Section 1 : Les mutations législatives 32 Section 2 : La responsabilité pénale 34 2 Conclusion 37 Références 38 Bibliographie 45 Contenus annexes 46 3 Introduction Depuis l'aube des temps, l'histoire des sociétés est jalonnée par des crimes, quand ils ne sont fondateurs des cités, comme à Rome ! La réponse donnée à la criminalité par la cité est naturellement un objet d'étude, aussi bien pour les philosophes, les sociologues, les théologiens, les historiens et bien sûr les juristes. L'histoire juridique de notre civilisation est considérable, témoignant de l'existence de permanences tout autant, sinon plus, que de rupture. Au sein de nos universités, les enseignements juridiques comprennent une variété de branches particulières, aux origines plus ou moins lointaines. Par exemple, le droit administratif est relativement récent, postérieur à la révolution. Il n'en va pas de même pour le droit privé ou le droit public, puisque les juristes romains avaient déjà discernés il y a des siècles la summa divisio du notre droit. Le droit pénal quant à lui est également fort ancien, même si la terminologie a quelque peu évolué, puisque pendant longtemps il a davantage été question de « droit criminel ». Les premiers traités de droit pénal remontent au XIIème siècle. Mais il faut remonter encore plus loin, puisque le droit romain avait déjà permis l'éclosion de cette branche spécifique du droit, objet de ce cours dans sa dimension historique. L'étude du droit pénal se décompose toujours en trois champs connexes, qui sont l'étude de l'infraction (crime ou délit) de la peine et de la responsabilité. A cela s'ajoute également l'examen de la procédure criminelle, dans la mesure où le mode opératoire pour déterminer la responsabilité et la sanction (ou la relaxe) influe sur la décision, comme nous le verrons à plusieurs reprises. Ajoutons à cela que la détermination d'une branche particulière du droit, le droit pénal, suppose également l'existence d'une procédure idoine, distincte de la procédure usuelle pour le règlement de l'ensemble des affaires civiles. La relation est donc bel et bien étroite entre le droit pénal et la procédure criminelle, c'est-à-dire l'ensemble des règles qui gouvernent la recherche, la poursuite et le jugement des délinquants. Dans ce cursus historique, nous suivrons un plan chronologique, qui nous conduira de Rome au XIXème siècle. Dans le cadre de chaque partie, nous étudierons à chaque fois les différents éléments constitutifs du droit pénal et de la procédure criminelle, afin de cerner les évolutions, non-linéaires, et les permanences. Une bibliographie sommaire donne une liste de manuels et d'ouvrages auxquels les étudiants pourront se reporter pour approfondir les sujets évoqués dans le cours. 4 Titre 1 : Le droit pénal romain I I- Chapitre 1 : L'existence d'un droit pénal 5 Chapitre 2 : La responsabilité pénale 9 Chapitre 3 : Les peines 10 Chapitre 1 : L'existence d'un droit pénal L'histoire romaine étant fort longue, puisqu'elle s'étend sur plus d'un millénaire, il importe de préciser le cadre chronologique. On distingue dans l'histoire du droit romain trois périodes qui ne correspondent pas aux grandes lignes de l'évolution politique*: Le droit romain archaïque (ou ancien droit romain) des origines au IIè siècle (146 av. JC), le droit classique (146 AVJC - Fin IIIè s/284) et le droit du Bas-Empire (284 à la fin). Dès les temps archaïques, marqué sur le plan juridique par la loi des XII tables* (451-449 AVJC), la République romaine a créé des délits spécifiques, révélateurs d'un état naissant, cherchant à réprimer des délits considérés comme particulièrement graves pour la société. Ainsi, fut créé une distinction entre les délits publics et les délits privés. Section 1 : Évolution de la nomenclature des délits Les juristes romains n'ont pas élaboré une classification des délits (ou des crimes) comparable à nos codes modernes. Ils ont toutefois, très tôt, clairement distingué deux catégories de délits, faisant l'objet de procédures distinctes. A l'origine, en droit archaïque, les délits publics étaient peu nombreux. Leur nombre s'est progressivement accru, certains délits privés, ne concernant que les seuls intérêts particuliers devenant eux-mêmes des délits publics à la fin de la République et au début de l'Empire. Au Bas-empire, la plupart de ces délits privés appartenaient à la catégorie des délits publics. Les délits publics On peut distinguer trois catégories de crimes poursuivis par la Cité : Le droit pénal a tout d'abord un aspect sacré. Ainsi, tous les actes sacrilèges, les atteintes aux temples des Dieux et les profanations sont sévèrement punis, car ils sont considérés comme des crimes qui peuvent entraîner l'abandon de la bienveillance des dieux protecteurs de la cité. Dans l'antiquité, chaque peuple avait ses propres dieux protecteurs. Ils étaient consultés avant chaque opération militaire ou lorsqu'un choix capital concernant la vie de la cité devait être fait. Dans le même esprit, les atteintes à la cité elle-même sont des crimes publics. Ils sont réunis sous le terme de perduellio, qui désigne en droit archaïque les actes commis contre le peuple romain, comme la désertion ou la trahison. Enfin, citons le parricidium qui, à l'origine, ne désigne pas un parricide au sens précis du terme, mais le meurtre d'une personne libre. C'est seulement à la fin de la République que le terme homicidium a permis de distinguer le meurtre du parricide stricto sensu. Nous allons dire quelques mots sur les crimes de parricidium, la perduellio, l'adultère, la violence et le faux relèvent de la catégorie des délits publics. Le parricidium La distinction entre le parricide proprement dit et l'homicide fit son apparition à la fin de la République romaine. Précédemment, comme on l'a vu, le terme parricidium désignait le meurtre du père et tous les homicides. Toutefois, l'auteur d'un parricide au sens strict subissait un traitement particulier. Il était en effet condamné à la peine du sac (culleus). Le condamné était enfermé dans un sac en cuir, avec un chien, un coq, une vipère et un singe avant d'être jeté à l'eau. Juriste, homme politique et moraliste stoïcien du Ier siècle avant notre ère, Cicéron (106-43) mentionne cette sanction dans un de ses écrits, sanction qu'il juge terrible mais mérité vu la gravité du crime. « La nature elle-même*, écrit-il , se révulse contre le soupçon d'un tel acte ; c'est l'absolu du prodige monstrueux que quelqu'un qui a l'apparence et la figure d'un être 5 Titre 1 : Le droit pénal romain humain surpasse la férocité des bêtes sauvages au point de priver de la lumière, par un acte tout à fait inqualifiable, précisément ceux grâce auxquels il jouit de cette si douce lumière ». Dans ce sac hermétique, le condamné perdait tout contact avec les éléments naturels, qui ne doivent être contaminés par le criminel. « Ne voit-on pas, dit encore Cicéron, qu'ils [les juges] ont ainsi soustrait et arraché à la nature en le privant tout d'un coup du ciel, du soleil, de l'eau, de la terre, l'homme qui aurait tué celui à qui il devait la vie (...)*? » Cette peine terrible fut supprimée par Pompée à la fin de la République. Le perduellio Cette catégorie comprend l'ensemble des crimes contre la res publica, c'est-à-dire la chose publique, dont le sens est plus large que celui du simple régime politique républicain. Le terme désigne l’État, mais également le bien commun. En droit archaïque, donc lors des premiers siècles de la République, il s'agissait de tous les crimes contre le peuple romain, en particulier la désertion et la trahison. On perçoit aisément la gravité de tels actes pour le bien de la cité. Après la création de l'Empire, sous le principat, la notion de majestas s'est appliquée à l'empereur. D'autres crimes ont été rattachés à la perduellio, comme le péculat et le sacrilège ou la brigue électorale. L'attention du pouvoir politique romain à l'égard de ce dernier crime témoigne de l'existence de nombreuses pratiques de corruption à l'occasion des diverses élections. La brigue électorale consiste en manœuvres dolosives lors des élections, ou alors destinées à obtenir des dignités et des honneurs. Le péculat correspond au vol d'une chose publique. Enfin, le sacrilège se définit par le vol d'une chose sacré appartenant à un temple. L'adultère La présence de l'adultère parmi les crimes publics surprend. Elle est justifiée, à l'époque, par l'introduction d'un sang étranger dans la famille, « pépinière de la République » comme le dit Cicéron. Pour cette raison, le délit est exclusivement féminin. Ce délit fut cependant assez peu condamné sous la République, davantage à partir d'Auguste. La mise en œuvre de l'action était organisée selon les règles suivantes : Pendant deux mois, l'accusation est réservée au mari, puis elle devient publique pendant 4 mois avant d'être purement et simplement prescrite. La sanction a évolué dans le temps, dans le sens de davantage de sévérité sous Constantin. En revanche, elle fut adoucie sous Justinien, dans l'empire d'Orient. La violence et le faux Le faux (falsum) équivaut à la tromperie, toute tromperie ne relevant pas de la catégorie du délit public. Dès la loi des XII tables, le faux témoignage était jugé très sévèrement, puisque la loi prévoyait même la peine de mort pour son auteur. Parmi les autres faux appartenant à cette catégorie, il faut retenir la fausse monnaie, la falsification de testament, les faux poids et mesures, l'usurpation d'état civil. La notion de violence (vis) est assez vague. Les violences en bande entrent dans la catégorie des délits publics. Les délits privés A l'origine, ces délits étaient considérés comme de simples atteintes à un intérêt privé. Toutefois, progressivement, ils ont été rattachés, pour certains d'entre eux tout du moins, à la catégorie des délits publics. Toutefois, les délits privés de l'époque républicaine furent tous rattachés au domaine criminel, c'est- à-dire conçus comme des délits publics au Bas-Empire. Parmi ces délits privés, les romains classaient par exemple l'injure ou encore le vol (le furtum). Au sujet de ce dernier délit, diverses formes de vol qualifié justifiaient déjà une sanction publique à la fin de la République, comme le vol à main armée, le vol de choses sacrées, vol sur les chemins publics... Nous allons insister davantage sur le délit d'injuria. Le mot injuria revêt deux sens chez les jurisconsultes de l'époque classique. Au sens large, l'injuria équivaut à tout acte injuste (in-jus = contraire au droit), alors qu'au sens étroit, injuria est synonyme de contumelia (outrage) ; on englobait sous cette dénomination divers délits contre la personne. Au 1er siècle avant notre ère, Sénèque* distinguait cependant les deux termes (injuria et contumelia) : « Distinguons si tu le veux bien, Sérénus, l'injure de l'offense. La première est, par nature, plus grave ; la seconde, plus légère, n'est grave qu'aux âmes sensibles.« Elle ne lèse pas, elle froisse*». Un peu plus loin, il explique que « l'injure implique l'intention de faire du mal*». A propos 6 Titre 1 : Le droit pénal romain de la simple offense, il affirme que « les lois n'estiment pas non plus qu'elle mérite un châtiment*». L'injuria s'entend aussi en matière criminelle de certains délits à l'égard de la personne. Le mot injure ne signifie pas simplement injure verbale. C'est le second sens du mot (sens étroit) qui est donc retenu ici. La loi des XII tables édictait des peines contre trois délits de ce genre : les coups et blessures entraînant perte d'un membre, la mutilation ou d'autres atteintes corporelles causant un dommage durable, pour lequel la loi conservait la sanction primitive du talion ; par exemple, la fracture d'un os était sanctionnée par une peine fixe de 300 as*s'il s'agissait d'un homme libre, de 150 as au profit du maître pour le préjudice causé à son esclave. Enfin les violences légères (par exemple, un soufflet) qualifiées simplement d'injuria, étaient sanctionnées par une peine de 25 as. Ce régime archaïque ne put être maintenu lorsque d'une part le talion fut abandonné et que d'autre part, les dépréciations successives de l'as eurent rendu dérisoires les peines fixées. Cette législation antique tomba ainsi en désuétude dans le courant de l'époque républicaine, laissant la place au droit prétorien*. Le préteur a élargi le domaine de la protection de la personne et laissa au juge le soin d'apprécier dans chaque cas la peine qu'il estimerait convenable (action estimatoire d'injures). C'est ainsi que l'édit prétorien dans son dernier état (en 131 ap. J-C*.) contient une disposition générale réprimant les voies de fait et des dispositions particulières sur certaines formes d'atteintes à la personne (paroles injurieuses, écrit diffamatoire, outrage à la pudeur, etc.). Mais l'action n'est possible qu'en cas de délit intentionnel. Elle ne peut donc jamais être intentée à la suite d'actes commis par un fou ou par un enfant. Les jurisprudents*donnèrent ensuite aux dispositions de l'édit la plus large extension. D'une façon générale, on considère qu'il y a injuria lorsqu'on empêche un homme libre de jouir des droits et des avantages que la société reconnaît à chacun : droit de circuler, droit d'user des choses communes et des choses publiques. Ainsi la séquestration arbitraire est une injuria. De même il y a injuria si l'on empêche une personne de prendre un bain dans la mer, ou d'entrer au théâtre. Certaines formes d'injures firent l'objet d'une répression sévère. Par exemple, devant la fréquence des actes de violences qui marquèrent le dernier siècle de la République, la législation les érigea en délit public (crimen publicum) : la loi Cornelia de injuriis rendue en 81 avant J.C. pendant la dictature de Sylla soumet à un jury criminel les coups et blessures et les violations de domicile. Sous l'Empire, les poursuites criminelles furent admises dans des cas toujours plus nombreux (en particulier en cas d'injuria atrox). La victime avait alors le choix entre l'action prétorienne estimatoire pour obtenir une peine pécuniaire et la poursuite criminelle devant les juridictions répressives aboutissant à un châtiment corporel. Pour en terminer avec l'injure, quelques mots s'imposent au sujet de la loi Aquilia. Depuis la loi des XII Tables, quelques actes causant un dommage à autrui étaient réprimés. Mais ce droit archaïque, très concret, ne permettait pas de dégager un principe général. Il fallait nécessairement que le cas d'espèce corresponde exactement au cadre particulier, très restreint, prévu par la loi. Beaucoup d'agissements dommageables restèrent impunis. Au IVè ou au IIIè siècle (la date est incertaine), fut la loi Aquilia fut votée. C'est à partir de celle-ci que les jurisprudents romains ont progressivement dégagé des principes qui constituent l'origine lointaine de notre droit de la responsabilité civile. Section 2 : Des procédures spécifiques Les juristes romains ne se sont pas contentés de créer des délits publics. Ils ont également attribués à ces délits des procédures spécifiques, distinguant ainsi les procédures suivant les types de procès, civil ou pénal. Nous allons évoquer ces procédures criminelles dans leur ordre chronologique, depuis l'époque archaïque jusqu'au Bas-Empire. Cognitio et Provocatio ad populum La procédure que nous allons décrire est au cours des premiers siècles de la République le mode ordinaire de la procédure pénale. Etant donné que les délits publics n'étaient pas nombreux, ces procès étaient rares. Dans le droit archaïque, la procédure était inquisitoire, menée par un magistrat, tout d'abord un consul, puis ensuite après sa création en 367 AVJC, le préteur. Cette procédure s'appelait cognitio ou questio. Ces magistrats, titulaires de l'imperium*, pouvaient condamner à la peine de mort. Il convient de bien prendre en compte la qualité de l'accusé. S'il est citoyen romain, l'assemblée du peuple romain exerce un contrôle sur la procédure. Deux hypothèses sont possibles car la question reste discutée entre romanistes. Dans la première 7 Titre 1 : Le droit pénal romain hypothèse, le magistrat rendait sa décision seul, puis ensuite le citoyen pouvait faire appel au peuple romain. Cet appel justifie le nom donné à la procédure : provocatio ad populum. Il y aurait alors un second jugement rendu par cette assemblée (les comices). Dans la seconde hypothèse, il n'y avait en réalité qu'un seul jugement rendu par les comices, dans le cadre d'une poursuite menée par un magistrat. Une chose est toutefois certaine : Au début de la République le procès comitial n'est pas obligatoire. Le choix appartient à l'accusé. Une loi Valeria a rendu cet appel obligatoire en 300 AVJC. Il était alors considéré comme un moyen de garantir la liberté des citoyens romains contre les magistrats. Les jurys criminels : questiones perpetuae L'évolution des procédures accentue l'autonomie du droit pénal. En effet, alors que le nombre de délits publics augmente, surtout dans les dernières décennies de la République, de nouveaux tribunaux apparaissent aux alentours de 150 AVJC. Ces derniers ont causé la disparition progressive de la procédure de la provocatio ad populum, Les nouveaux tribunaux portent le nom de jurys criminels, appelés aussi questiones perpetuae, tribunaux composés de citoyens romains, ce qui explique l'abandon de la provocatio, étant donné que dorénavant toute la procédure se déroule devant des citoyens romains. Dès lors, l'appel au peuple n'a plus de sens. Au sein de ces nouvelles juridictions, la procédure est accusatoire. Le tribunal était présidé par un préteur. Il était chargé d'instruire l'affaire et de rendre le verdict, mais ne pouvait participer au jugement, réservé aux jurés. Ces derniers étaient au moins 50 (75 au maximum), tirés au sort à partir d'une liste de chevaliers et de sénateurs, suivant l'habitude romaine. Le préteur ne tenait pas non plus le rôle de l'accusateur. Ce dernier pouvait être la victime, ses ayant-droits, ou n'importe quel citoyen, qui pouvait agir au nom de la justice. C'est pourquoi, dans certains cas, l'accusateur reçoit en récompense une partie des biens de l'accusé-condamné, ce qui suscite bien des appétits. En fait, on constate que l'accusation est un moyen commode de se faire connaître. Un jeune homme ambitieux, désireux de faire carrière, atteint, par une accusation bien conduite, une notoriété rapide. Cicéron agira ainsi, avec un grand succès, contre Verres, l'ancien préteur de Sicile. La procédure était orale, publique et contradictoire. Le rôle du jury se borne à écouter les plaidoiries, puis à voter, en obéissant à son intime conviction. La sentence est irrévocable, puisque la quaestio est une émanation de l'assemblée populaire. L'originalité de ces nouveaux tribunaux réside dans le fait que chaque tribunal bénéficie d'une compétence pour un seul crime, la compétence étant fixée par la loi qui crée le tribunal. La première loi créant un tribunal criminel spécialisé réprimait la corruption ou l'abus de fonction. Cette loi fut préparée par un tribun de la plèbe*en 149 AVJC. Par la suite, d'autres lois ont créé des tribunaux similaires pour d'autres crimes, suivant exactement le même modèle de fonctionnement. On estime qu'au début de l'Empire il existait sans doute 11 jurys, qui jugeaient les crimes de concussion, péculat, assassinat, empoisonnements, corruption électorale, lèse-majesté, faux, etc.) Le système se maintient, tout en perdant de son importance, pendant qu'un autre prend petit à petit sa place. Les jurys criminels ont disparu au IIème siècle de notre ère, sans qu'ils soient supprimés, selon l'habitude romaine de ne pas abroger des institutions ou des lois anciennes qui tombent d'elles-mêmes en désuétude. La justice pénale sous l'Empire Progressivement, sous l'empire, se met en place un appareil judiciaire hiérarchisé et fonctionnarisé, facilitant la mise en place d'un appel devant le conseil impérial. Les quaestiones (jurys criminels) perdent progressivement leur compétence au profit des juridictions impériales, au sein desquelles la procédure inquisitoire fait son retour. La poursuite publique résulte de la volonté politique d'une justice plus efficace. Dans les provinces, les juridictions locales des peuples soumis restent en place, mais les représentants du pouvoir impérial sont compétents lorsque l'intérêt de l'Empire est en jeu. Le procès de Jésus en témoigne puisque ses accusateurs qui souhaitaient le faire condamner à mort doivent le faire passer pour un rebelle à l'autorité de l'Empereur. De même, les citoyens romains bénéficient de privilèges. Une loi de l'Empire interdit aux gouverneurs de mettre à mort, de torturer ou de fouetter les citoyens romains. L'Empire romain a également laissé à la postérité en matière procédurale la distinction entre la procédure 8 Titre 1 : Le droit pénal romain ordinaire et la procédure extraordinaire, que l'on retrouvera dans l'ancien droit français. Par ailleurs, dans le domaine des preuves, les jurisconsultes romains ont précisé les conditions dans lesquelles il est possible de recourir à la torture pour obtenir l'aveu de l'accusé. Cette doctrine a ensuite été reprise par les pénalistes européens et la doctrine savante médiévale. Parmi ces conditions, la qualité des accusés entre en ligne de compte puisqu'en principe seuls les esclaves peuvent y être soumis, à l'exception des déments et des femmes enceintes tant qu'elles n'ont pas accouché. Les hommes libres peuvent y être soumis en cas de lèse-majesté uniquement. Par ailleurs, le juge doit posséder des indices sérieux, comme le rapporte Ulpien : « Tels sont les termes du rescrit (du divin Hadrien) : il ne faut en arriver à la torture des esclaves que lorsque l'accusé est suspect et que par les autres preuves on approche tellement de la démonstration qu'il ne manque plus que la confession des esclaves » (D. 48, 18, 1, 1 )*. Il importe également que le crime objet du procès soit grave. Selon Paul : « L'Edit que le divin Auguste a publié (...) est ainsi conçu : « la question, je pense, ne doit pas être toujours ordonnée dans toutes les causes et à l'égard de toute personne ; mais lorsque des délits capitaux et atroces ne peuvent être recherchés et poursuivis que par les questions imposées aux esclaves, j'estime qu'elles sont très efficaces pour rechercher la vérité et qu'il faut les appliquer » (D., 48, 18, 8). Certains jurisconsultes romains font preuve de réserve à l'égard des aveux obtenus sous la torture. C'est en tout cas la position d'Ulpien : « Les constitutions déclarent qu'il ne faut pas toujours ajouter foi à la question, ni lui refuser toute confiance. Car c'est une entreprise fragile, dangereuse et fallacieuse. En effet, nombreux sont ceux qui par leur patience ou leur endurance face aux tourments, méprisent tellement la torture que l'on ne peut d'aucune façon leur extirper la vérité. D'autres ont tellement peu d'endurance, qu'ils aiment mieux faire tous les mensonges du monde que de souffrir la torture ; ainsi il arrive qu'ils varient même dans leurs aveux et qu'ils chargent non seulement eux-mêmes mais également d'autres » (D. 48, 18, 1, 23). Ainsi, les aveux sous la torture ne suffisent pas à justifier une condamnation. Toujours selon Ulpien, « Le divin Sévère a dit dans un rescrit que les confessions des accusés ne doivent pas être considérées comme des délits avérés, si aucune preuve n'éclaire la conviction du juge » (D. 48, 18, 1, 17. Chapitre 2 : La responsabilité pénale Pour condamner pénalement, encore faut-il déterminer le degré de responsabilité de l'auteur de l'infraction. On oppose habituellement la conception purement objective et la conception subjective de la responsabilité. Selon la conception objective, l'auteur est responsable à partir du moment où le lien de causalité est prouvé, indépendamment de l'intention et des circonstances. A l'inverse, la conception subjective prend ces éléments en considération. A l'époque archaïque, dans ses débuts, la conception objective dominait. Cependant, la loi des XII tables a admis des tempéraments tenant compte de l'intention. Par la suite, la doctrine pénale a pleinement profité de la grande richesse de la réflexion des jurisconsultes romains de l'époque classique. A quelles conditions un individu est-il coupable ? Les jurisprudents ont insisté sur la volonté coupable et l'intentionnalité en matière pénale, au même titre qu'ils élaboraient une « théorie » de la faute en matière de responsabilité civile. Le droit romain est parvenu à une conception très affinée de la responsabilité. L'irresponsabilité pénale Quoi qu'il en soit, le résultat de ces réflexions est sans équivoque : l'auteur d'un acte délictueux n'est pas systématiquement responsable pénalement et ne peut donc subir une sanction. Plusieurs causes de non- imputabilité ont ainsi été pleinement reconnus par les juristes romains. Certaines catégories de personnes ne sont jamais responsables pénalement. Il existe pour elles une irresponsabilité de principe. Il en va ainsi des impubères et des fous. Ulpien affirme qu'ils ne peuvent être tenus de « fraude capitale ». Dans son manuel, Jean-Marie Carbasse précise encore qu' « Ulpien compare le dommage causé par un fou aux dégâts provoqués par un quadrupède ou par une tuile tombée d'un toit. Marc-Aurèle dit qu'un fou meurtrier de sa mère est suffisamment puni par sa maladie même. L'impubère jouit plutôt d'une sorte de présomption d'innocence, du moins en droit classique. Il s'agit d'une 9 Titre 1 : Le droit pénal romain présomption simple susceptible d'être renversée [*] ». De même, la légitime défense exonère l'auteur de l'homicide. Ce principe était déjà reconnu dans la loi des XII tables pour le vol nocturne et le vol armé. Il a été logiquement repris et précisé par la doctrine juridique romaine. Ainsi, Cicéron, repris lui-même par Gaius, pouvait dire que : « nul ne commet un dol lorsqu'il est dans son droit ». L'élément psychologique La prise en compte de l'intention est clairement exprimée dans des domaines connexes à la responsabilité pénale. Ainsi, les rhéteurs romains, qui sont aussi des moralistes, comme Cicéron ou Sénèque insistent sur l'existence d'une responsabilité morale même si l'acte n'a pas été accompli. Les romains ont ainsi pris en compte la responsabilité de l'auteur d'une tentative, même s'ils n'ont pas élaboré de théorie en la matière. Les juristes apprécient la responsabilité en fonction du commencement d'exécution. Selon Ulpien, « personne ne peut être puni pour une simple pensée ». Paul précise de son côté qu'en cas de commencement d'exécution, « celui qui a eu la volonté de tuer, s'il n'a pas pu perpétrer son crime, doit être puni comme homicide ». Au sujet de l'injuria, Sénèque écrit dans le De constantia sapientis, (VII, 4) que l' « on peut devenir criminel sans causer de tort à autrui. Qu'un mari couche avec sa femme en pensant que c'est celle d'un autre, il sera coupable d'adultère sans qu'elle-même en soit souillée. Tel m'a fait prendre du poison, mais les aliments auxquels il l'a mélangé ont détruit sa virulence : le seul fait de m'avoir donné du poison le rend criminel, encore qu'il ne m'ait causé aucun mal. L'assassin dont mon vêtement a empêché le coup de porter n'en est pas moins assassin. Tout crime, avant même d'être consommé, est accompli dans la mesure où il engage la responsabilité de son auteur [*] ». Cicéron avait déjà développé une analyse similaire. Le juriste Paul résume parfaitement le principe : « le dol est tenu pour le fait ». Il faut rapprocher ces éléments doctrinaux des notions de dol et de fraude développées par les jurisconsultes romains en matière de droit des contrats. Les jurisconsultes tardifs ont précisé la notion de faute parvenant à de subtiles distinctions entre les culpa lata, magna, culpa levis in concreto, culpa in abstracto, distinctions qui ne furent pas sans incidences sur la responsabilité pénale. Marcien distingue le fait arrivé proposito (de propos délibéré) du casu (pur cas fortuit) ou impetu (sans réflexion, ivresse, colère). La nécessité de l'élément psychologique a été affirmée avec force à l'époque d'Hadrien (IIè siècle de notre ère), l'empereur précisant dans quelques rescrits que l'infraction criminelle se définit prioritairement par l'intention de l'auteur. Chapitre 3 : Les peines Nous allons examiner la finalité de la peine avant de présenter les principales sanctions auxquelles recourraient les romains. La finalité de la peine La peine est normalement appliquée à l'auteur de l'infraction. Il importe toutefois de mentionner quelques pratiques particulières, lorsque des esclaves commettent des délits. Dans ce cas, la victime exerce l'action prévue par le délit (ex : action furti en cas de vol) contre le père ou le maître, mais sous une forme spéciale : l'action est intentée « noxaliter », noxalement. Intentée de cette façon, l'action présente la particularité que la condamnation laisse un choix au défendeur : il peut, à sa guise, soit payer la poena en argent due en raison du délit, soit faire abandon à la victime, de l'esclave ou du fils coupable du délit ; c'est ce qu'on appelle « faire abandon noxal ». Cette précision étant faite, revenons à la finalité de la peine. A l'origine, la fonction satisfactoire, c'est-à-dire la dimension privée, l'emportait certainement. Puis, à l'époque classique le souci plus marqué d'assurer l'ordre en châtiant plus durement a pris le dessus. Le mot poena ne désigne plus seulement la réparation, mais le châtiment corporel. Les jurisconsultes romains ont réfléchi sur la finalité de la peine, au même titre que les rhéteurs et les philosophes. Au Ier siècle de notre ère, Sénèque écrit que la loi poursuit « trois fins que le prince doit également poursuivre : ou corriger celui qu'elle punit, ou par sa punition rendre tous les autres meilleurs, ou par la suppression des méchants, donner à la vie de tous les autres plus de sécurité. Les délinquants eux- 10 Titre 1 : Le droit pénal romain mêmes, il te sera plus facile de les corriger avec une punition moins dure, car il donne meilleur soin à la conduite de sa vie celui qui a encore quelque chose à perdre » (De clementia, Livre I, XXII, 1). Au total, nous avons finalement quatre finalités possibles, voire conjointes dans certains cas : la rétribution, l'exemplarité, la protection de la société et enfin l'amendement du coupable. Dans ce dernier sens, Aulu- Gelle écrivait de son côté que « la peine est infligée pour châtier et corriger afin qu'un délinquant occasionnel devienne plus attentif et soit amendé » (Les nuits attiques, VII, 14, 2). Sénèque insiste beaucoup sur la différence opposant sévérité et cruauté. Il n'empêche qu'à partir du moment où la peine cherche avant tout à assurer l'ordre public, elle devient plus lourde. L'exemplarité justifie le spectacle pénal. Ainsi, Callistrate écrit qu' « il a été décidé par plusieurs que les assassins de grand chemin subiraient le supplice de la croix là où ils ont perpétré leurs crimes afin que, par ce spectacle terrible, les autres soient détournés de (commettre) de semblables forfaits, (mais aussi) afin que cette peine, infligée sur le lieu même où ils ont commis leur assassinat, console les parents et les proches de leurs victimes ». Au Bas-Empire, la sévérité des condamnations reposait prioritairement sur cette volonté de montrer l'exemple. Les différentes peines Au cours de son histoire, le monde romain a connu toute l'étendue des peines possibles, de la simple amende aux peines capitales les plus cruelles. On peut cependant préciser l'usage de la rigueur des peines en fonction des périodes. Ainsi, sous la république la condamnation à l'exil était plus courante que la peine de mort. L'exil est très symbolique puisqu'il s'agit du rejet par la société de l'un de ses membres. Plus terrible encore, on a vu avec la peine du culleus, du sac, que le condamné était totalement séparé des éléments naturels ! Nous nous contentons de citer les peines les plus connues et les plus courantes. La peine de mort était exécutée de différente manière. Par le glaive, procédé le plus courant et le plus noble, le supplice de la croix (patibulum), interdit au IVè siècle car il s'agissait du suplice du Christ, la condamnation aux bêtes dans le cirque, qui disparue également sous Constantin. A ces peines, s'ajoutent de multiples exécutions par le feu, pour les esclaves, les faux-monnayeurs etc. En-dessous de la peine de mort, les romains condamnaient les criminels aux travaux forcés, dans les mines par exemple, pour les humiliores, c'est-à-dire les citoyens de basse condition, tandis que les honestiores subissaient la déportation, généralement temporaire. L'infamie accompagnait certaines sanctions. Elle entraînait la perte de certains droits civiques. Les peines pécuniaires consistaient en amende au profit du fisc, ou encore en la confiscation totale des biens, peine complémentaire à une peine capitale ou à la condamnation aux travaux forcés. Le droit de grâce existait déjà à Rome. Sous la république ce droit appartenait aux assemblées du peuple romain, les comices. Il fut transféré ensuite à l'empereur. Dans le De clementia, Sénèque évoque ce droit de grâce, résultant de la clémence, vertu que le prince doit pratiquer. « La clémence, quelle que soit la demeure dans laquelle elle pénètrera, la rendra prospère et tranquille, mais dans un palais royal, elle suscite d'autant plus d'admiration qu'elle est plus rare. Est-il, en effet, plus beau titre de gloire : quand rien ne fait obstacle à sa colère, qu'applaudissent à sa trop sévère sentence ceux-là même qu'elle fait périr, quand personne ne viendra l'interrompre, mieux, ne lui adressera même pas de supplication s'il s'est enflammé avec trop de violence, il se rend maître de lui et use de son pouvoir à des fins meilleures et plus paisibles, tout à cette pensée : « Tuer contre la loi, tout le monde le peut, sauver, personne sauf moi » (Livre I, V, 4). Comme nous l'avons vu au cours de ce premier chapitre, le droit romain a tout connu en matière procédurale (procédure accusatoire ou inquisitoire, les moyens de défense, la torture, l'appel...) et surtout, il a défini les délits publics. Ce legs romain a globalement disparu à l'époque franque, avant de réapparaitre progressivement à partir du XIIème siècle. 11 Titre 2 : Le droit pénal de l'Ancien II II- Régime Chapitre 1 : Époque franque et féodalité 12 Chapitre 2 : XIII-XVIIIème siècle 14 Chapitre 1 : Époque franque et féodalité S'il est aisé de déterminer le terminus ad quem de l'ancien régime avec la révolution de 1789, il est toujours plus difficile d'en fixer le terminus ad quo. Il n'est pas infondé de le faire commencer avec la monarchie mérovingienne, puisqu'une réelle continuité politique constitue la toile de fond de l'évolution depuis la fin du Vème siècle. C'est pourquoi, nous commençons par un bref développement sur les siècles qui s'écoulent de la chute de l'Empire au XIIè siècle. Nous insisterons bien davantage sur la période qui part des XIIè/XIIIème siècles, puisque le ius commune européen a nourri la doctrine pénale et la jurisprudence puis en fin de compte la législation jusqu'à la révolution. Cette période s'étend de l'effondrement de l'empire romain d'Occident à la redécouverte du droit romain au XIIème siècle, suivie de son enseignement par Irnérius puis les quatre docteurs de Bologne, avant que les universités médiévales nouvelles créées ne fassent du droit l'un des enseignements majeurs. Section 1 : Le droit pénal franc L'époque franque correspond aux dynasties mérovingienne et carolingienne dont l'histoire s'étend de la fin du Vè siècle (chute de l'empire romain d'occident en 476) à la fin du Xème siècle (avènement d'Hugues Capet en 987). Sur le plan juridique, cette période se caractérise, dans le domaine du droit pénal, par la nette prédominance des procédés germaniques de règlement de conflit, aux dépens du droit romain, en grande partie oublié. Quatre caractéristiques ressortent du droit de l'époque franque : La disparition de la distinction entre le droit pénal et le droit civil, le retour à une responsabilité purement objective, l'usage de modes de preuves « irrationnels » et le système fixe de compensation pécuniaire. Procédure simplifiée et responsabilité objective La distinction que connaissaient les romains entre la procédure civile et la procédure pénale disparaît au sein des juridictions de l'époque que sont le mallus (dans les comtés) et le tribunal du palais. Ensuite, la prise en compte de l'élément psychologique, c'est-à-dire subjectif, du crime disparaît. Les distinctions apportées par le droit romain, prenant en considération l'intention coupable, les causes de non- imputabilité, les circonstances, n'ont plus cours à l'époque franque. Par exemple, la légitime défense n'est plus un facteur de non-imputabilité. Tout auteur d'un « délit » doit être condamné, à partir du moment où le lien de causalité est établi entre l'action de l'accusé et le dommage subi. Dans le domaine procédural, l'époque franque abandonne la procédure inquisitoire. Toutefois, l'accusateur, au même titre que les témoins, se retrouve quasiment sur un pied d'égalité avec l'accusé puisqu'il peut être amené à subir les épreuves destinées à prouver la bonne foi de ces allégations sur les faits qui font l'objet du procès. En effet, les modes de preuve traditionnels (l'aveu, le témoignage) occupent une place secondaire par rapport aux ordalies, appelées également « jugements de Dieu ». L'ordalie suivait les serments que les parties opposées prêtaient successivement. L'accusé prêtait serment le plus souvent accompagné d'un certain nombre de cojureurs. Ces derniers juraient que l'accusé était de bonne foi. Les cojureurs ne sont pas des témoins, mais des amis ou des parents. Ce mode de preuve illustre l'importance des solidarités familiales, dans un cadre social profondément communautaire. Le nombre des cojureurs est fixé par la loi et dépend de l'infraction. Par exemple, la loi salique* impose la présence de 12 cojureurs dans les affaires ordinaires et de 25 dans les cas graves. Dans la loi des Francs Ripuaires, leur nombre varie de 6 à 72. Lorsque les deux parties ont prêté serment, elles se retrouvent sur un pied d'égalité. L'ordalie intervient alors afin de déterminer laquelle 12 Titre 2 : Le droit pénal de l'Ancien Régime des deux parties est impure du fait du faux jugement. Il s'agit d'une épreuve physique subie par la partie ou son champion. Il existe deux types d'ordalie. Il y a d'abord l'ordalie unilatérale que subit l'accusé seul, et ensuite l'ordalie bilatérale qui met aux prises les deux parties, c'est-à-dire le duel, pourtant inconnu de la loi salique et qui s'est répandu rapidement lors des siècles suivants. A titre d'exemple d'ordalie unilatérale, voici comment se déroulait l'ordalie de l'eau bouillante. L'individu devait plonger sa main dans un chaudron rempli d'eau en ébullition pour en retirer un anneau ou une pierre. La main était ensuite placée dans un sac de cuir scellé par les juges. Au bout de trois jours on ouvrait le sac et si la brûlure avait un mauvais aspect, le patient était réputé impur et donc menteur. D'origine païennes, ces ordalies ont été tolérées par l’Église, à l'exception du duel, dont le vainqueur était assimilé à un homicide et le vaincu à un suicidé. Le système de composition pécuniaire La dernière caractéristique fondamentale consiste dans la compensation pécuniaire, applicable quelle que soit la gravité du crime. On la retrouve dans toutes les lois barbares écrites entre le Vè et le VIIème siècle en Europe. Il ne s'agit nullement d'une particularité franque. La loi salique est pour l'essentiel une sorte de code pénal, fondé sur le principe des compositions pécuniaires : en cas d'infraction, le coupable doit « composer » avec sa victime, c'est-à-dire la dédommager par une somme d'argent (ou un bien de valeur équivalente). La loi se présente donc comme un long « tarif » de réparations fixes. En une série de titres qui se sont allongés avec le temps, la loi salique décrit donc toute sorte d'infractions (atteintes aux biens et aux personnes) et fixe l'indemnisation correspondante. La composition centrale est celle qui concerne l'homicide : c'est le wergeld, ou « prix de l'homme ». Par extension, le mot wergeld est parfois utilisé pour désigner l'ensemble du tarif. Le prix du Franc ordinaire est ainsi fixé à deux cents sous d'or, celui d'un Romain à cent sous ; mais un Franc placé sous la protection du roi « vaut » six cents sous, et le Romain « convive du roi » en vaut trois cents. Le wergeld des blessures varie de la même façon, en fonction de leur gravité apparente. Vu d'aujourd'hui, il s'agit donc bien d'un mode de règlement des conflits très primitif. Et pourtant, la loi salique constitue un très grand progrès par rapport au droit germanique antérieur. Ce progrès résulte d'une double influence : celle des conceptions chrétiennes et celle du droit romain. En effet, l'objectif poursuivi vise à limiter le recours à la vengeance privée et le cercle infernal de la violence. C'est pourquoi, les peines corporelles, exercées dans de rares cas, laissent la place à la réparation financière. Il convient également d'avoir à l'esprit que le recours au procès demeure encore à l'époque un procédé subsidiaire de règlement des conflits. Dans le meilleur des cas, en dehors du procès, les parties peuvent appliquer le tarif prévu par la loi sans passer par le mallus. Nous sommes ici dans la logique d'un droit pénal « privatiste », où l'indemnisation de la victime l'emporte sur la peine publique, sanction du trouble à l'ordre public. Celle-ci, sauf exception, consiste en une simple amende qui équivaut au tiers de la composition ; cette proportion montre bien quelle est la hiérarchie des préoccupations : indemniser d'abord, punir ensuite. Toutefois, cette part laissée au trésor public démontre tout de même l'existence d'un intérêt public. Section 2 : La justice des seigneuries féodales La dernière promulgation de la loi salique (avec des aménagements) date du règne de Charlemagne. Il en résulte qu'à côté d'une tentative de restauration d'un droit public impérial et l'édiction de sanctions pénales, le système mérovingien s'est globalement maintenu. Cependant, après le feu de paille de la renaissance carolingienne (fin VIIIè-début IXè siècle), l'autorité publique fut démembrée au profit des comtes, puis des seigneurs. La féodalité pris naissance dans ce contexte. La plupart des seigneurs s'adjugèrent le pouvoir de rendre la justice. Dans le même temps, les anciennes lois barbares, applicables en principe aux seuls membres d'une ethnie (lois personnelles), laissèrent la place au foisonnement droit coutumier médiéval. Ce droit territorial, pour des ressorts plus ou moins vastes, comportait des dispositions pénales, en général des sanctions pécuniaires. La justice des seigneurs est souvent présentée comme arbitraire, au sens péjoratif. Cette justice exercée sur les paysans était incontestablement une source de revenus pour un seigneur peu soucieux d'équité. C'est pourquoi, les coutumes sont venues encadrer l'activité juridictionnelle des seigneurs en fixant à nouveau des tarifs fixes. Au sein des cours féodales, les vassaux étaient jugés par leurs pairs devant la cour du seigneur supérieur. 13 Titre 2 : Le droit pénal de l'Ancien Régime Cette forme de justice s'apparente à la justice rendue par les citoyens dans l'antiquité. Elle servie aussi de référence aux promoteurs du jury à partir du XVIIIème siècle. Qu'il s'agisse des cours féodales ou de la justice des seigneurs, nous avons là l'origine des justices seigneuriales qui se sont maintenues jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Chapitre 2 : XIII-XVIIIème siècle La redécouverte du droit romain et son enseignement dans les universités médiévales a donné un nouvel essor au droit pénal. Une remarquable continuité peut être observée, dans le domaine de la responsabilité pénale ou de la procédure, tout en sachant que la doctrine médiévale a apporté sa propre empreinte à l'édification du droit (incriminations et peines) et de la procédure criminelle. Nous allons traiter dans ce chapitre les trois aspects qui nous semblent fondamentaux : tout d'abord le retour à la conception subjective de la responsabilité, ensuite la procédure romano-canonique et enfin la conception et l'arsenal des peines. Une réelle continuité existe en ces matières du XIIIè au XVIIIè siècle. Section 1 : Retour de l'élément psychologique (responsabilité pénale) La redécouverte du droit romain, jointe à la doctrine catholique du péché ont permis un retour en force de la conception subjective de la responsabilité. Cette œuvre de la doctrine savante*, progressivement suivie par le droit coutumier a marqué le droit pénal jusqu'à la révolution. Les causes de non-imputabilité, ainsi que la prise en compte des circonstances du crime en découlent logiquement. La doctrine savante suivie par le droit coutumier Il n'y eut jamais dans l'ancien droit de théorie générale de la responsabilité pénale. Mais l'absence d'une telle systématisation n'implique aucunement l'absence de réflexion sur ce sujet, bien au contraire. L'ancien droit, appuyé sur la doctrine médiévale et le droit romain, se veut avant tout circonstanciel. Les grands traités de droit pénal des XVIIè et XVIIIè siècles comprennent de très long développement sur les circonstances du crime que les juges doivent prendre en compte. On peut citer à titre d'exemples, les traités de Denisard, Muyart de Vouglans, Jousse,... Le droit romain et le droit canonique ont conjointement permis l'élaboration de cette responsabilité pénale subjective, fondée sur l'élément intentionnel. L'intentionnalité sur laquelle insistait le droit romain classique est de nouveau défendue par la doctrine dès le moyen âge. L'adage romain, In maleficiis voluntas spectatur, non eventus : « En matière de crimes, il faut considérer non les résultats matériels de l'acte, mais l'intention de son auteur » (D., 48, 8, 1, 3), est régulièrement cité par les juristes médiévaux. L'intention est « la mesure des méfaits ». Mais le droit canonique, appuyé sur la théologie morale, a lui aussi apporté sa pierre à l'édifice. En effet, le péché est toujours le résultat d'une volonté libre. Selon Saint Augustin, « il ne peut exister de péché, sinon volontaire ». Un chrétien ne peut donc être considéré comme un pécheur s'il a commis un acte, objectivement peccamineux, sans en avoir la connaissance, ni l'intention. Notons au passage que la prise en compte de l'intention exerce également une grande influence dans le droit des contrats, puisque les canonistes se révèlent favorable au consensualisme, tempéré cependant par la notion de cause. En matière d'homicide, la doctrine médiévale opère des distinctions majeures. L'intentionnalité conduit les juristes à distinguer le cas fortuit, la simple négligence, ou au contraire l'intention maligne (le dol), qui elle- même se subdivise en deux catégories, l'intention de tuer, ou celle de blesser débouchant sur un homicide non souhaité. « Même si le statut*qui punit l'homicide de mort, écrit Bartole, ne fait pas mention du dol, néanmoins il est du devoir du juge de tempérer la peine dans les cas où il n'y a pas eu dol » (glose sur ci, 9, 1, 11). Il ajoute : « Car par la raison naturelle on ne peut pas condamner à mort celui qui n'a pas voulu mal faire » (glose sur ci, 6, 1, 4). Ce texte de Bartole illustre l'imprégnation progressive du droit coutumier, qui ne suit pas immédiatement les évolutions doctrinales. On constate que dès le XIIIè siècle, certaines coutumes (dans le midi principalement) évoquent l'idée que l'infraction doit avoir été commise de propos délibéré. A cette date, une telle considération ne domine pas l'ensemble du droit coutumier. Le droit coutumier ne suit pas une parfaite logique en proposant des solutions différentes suivant les infractions. Ainsi, Jean-Marie Carbasse souligne que « le droit coutumier médiéval ne distingue pas entre les homicides 14 Titre 2 : Le droit pénal de l'Ancien Régime volontaires et involontaires : tout homicide, sans distinction, est « digne de mort » ; celui qui a tué, fût-ce sans dessein, doit mourir. Ainsi, en cas de blessures graves, le coupable est gardé à vue pendant quarante jours : si le blessé meurt dans ce délai, il est présumé avoir succombé à ses blessures, et le coupable, dès lors réputé homicide, est condamné à mort ; si le blessé guérit, l'agresseur n'est tenu que des blessures, sans que l'on cherche à savoir si son acte était un meurtre manqué [*] ». En ce domaine, la solution est venue du législateur, autorisant l'octroi de lettres de rémission, donnant naissance à l'adage suivant : « Tout homme qui tue est digne de mort, s'il n'a lettres du prince ». Dans la pratique, les juges attendaient l'obtention (ou non) de ces lettres pour poursuivre le procès. Lorsque les lettres étaient obtenues, auprès de la chancellerie royale ou de celle d'un parlement*, l'accusé était relaxé. L'obtention de Lettres de rémission était nécessaire y compris en cas de légitime défense. Fort logiquement, la légitime défense, connue des Romains, est acceptée par le droit médiéval comme un fait justificatif* , excluant toute condamnation. La doctrine civiliste* , le droit canonique et le droit coutumier soutiennent tous cette position. La défense doit être raisonnable et proportionnée à l'agression. Il faut toutefois bien distinguer entre la légitime défense de la personne, qui ne pose pas de difficultés particulières, à la condition que la défense soit raisonnable et proportionnée à l'agression, et la légitime défense des biens, beaucoup plus controversée. S'agissant de la défense des biens, le droit coutumier envisage surtout le cas particulier de la violation nocturne du domicile. La riposte excusable doit être graduée et elle dépend beaucoup de circonstances. Le droit canonique demeure réticent en la matière. Selon saint Augustin, « comment seraient- ils exempts de péché devant la divine Providence ceux qui se souillent d'un meurtre pour conserver des biens que nous devons mépriser... ? ». Dans un autre passage, repris dans les Décrétales de Grégoire IX* , saint Augustin n'admet la légitime défense que dans le cas de vol nocturne. La doctrine laïque reconnaît pleinement ce principe. Ainsi, selon Muyart de Vouglans, si l'homicide du voleur nocturne est admissible, c'est uniquement parce qu'on présume que ledit voleur avait l'intention formelle de tuer ceux qui voudraient lui opposer de la résistance ». Il rattache ainsi la légitime défense des biens, en l'espèce, à la légitime défense de la personne. De manière plus générale, la doctrine laïque des derniers siècles de l'ancien régime a eu tendance à admettre plus largement la légitime défense des biens comme fait justificatif. Non-imputabilité et circonstances du délit Depuis les temps médiévaux, les causes de non-imputabilité connues des Romains sont également prises en compte. Ainsi, la démence et ses états voisins rendent l'accusé irresponsable pénalement. Le décret de Gratien*démontre que, là encore, les liens avec la théologie morale sont ténus. Selon le célèbre canoniste du XIIè siècle, un dément ne peut pas commettre de crimes. Ce principe est définitivement acquis dans l'ancien droit. « Les insensés et les furieux sont déclarés exempts de peine, écrit Muyart de Vouglans au XVIIIème siècle, ils sont déjà assez punis par le malheur de leur état ». Le crime de lèse-majesté est le seul pour lequel la folie ne peut pas, en principe, servir d'excuse. Qu'en est-il pour des états considérés comme proches ; somnambulisme, colère, amour, ivresse... ? Toutes ces situations font l'objet d'études par la doctrine, avec des avis partagés. Au sujet de l'ivresse, Tiraqueau, juriste français du XVIème siècle, cite plusieurs opinions divergentes, la tendance générale étant de considérer que l'homme ivre n'a pas agi volontairement. Toutefois, les circonstances de l'ivresse elle-même interfèrent dans cette appréciation. Par exemple, Tiraqueau évoque le cas de celui qui s'enivre « de propos délibéré et par dol, en vue de perpétrer un crime dans cet état d'ivresse, avec le dessein d'en obtenir par la suite ou l'impunité ou une atténuation de peine : il ne faudrait en aucun cas monter de clémence à son égard, car il ne serait pas coupable de faute involontaire ou d'imprudence, mais de dol [*] ». On le voit, la doctrine invitait les juges à apprécier dans chaque cas le degré de responsabilité du coupable. L'âge de l'accusé est également une cause classique d'irresponsabilité pénale. Si le principe ne pose guère de difficulté, son application varie entre la doctrine, la jurisprudence et le droit canonique. L'irresponsabilité de l'infans (moins de 7 ans) est admise par tous. Au-dessus, l'irresponsabilité est maintenant le plus souvent jusqu'à la puberté, les impubères étant assimilés à un état proche de l'enfance. Plus on se rapproche de la majorité (25 ans), plus la responsabilité est possible, quoique de manière atténuée. En général, les adolescents et les jeunes gens jusqu'à 25 ans bénéficient donc de ce que nous appellerions des circonstances atténuantes. Cependant, à l'image de Muyart de Vouglans, la doctrine et la jurisprudence estiment qu'il y « des crimes tellement atroces de leur nature qu'aucune circonstance ne peut les excuser, comme dans ceux de lèse-majesté, d'assassinat et autres qui supposent nécessairement du dol 15 Titre 2 : Le droit pénal de l'Ancien Régime et de la réflexion dans celui qui les commet ». Au sujet de la vieillesse, la majorité de la doctrine estime qu'elle peut être une cause d'atténuation de la responsabilité. Les juges examinent le degré de sénilité. Là encore, les circonstances produisent des solutions variées. Après avoir énuméré de nombreuses opinions, Tiraqueau estime qu' « en conclusion, de même que les mineurs doivent être punis de manière atténuée, pour cette raison essentielle que leur discernement n'est pas encore parfaitement développé, non plus que leur jugement, de la même manière, les vieillards qui, sur ce point ne valent pas mieux puisqu'ils ont perdu une bonne part de leur discernement et de leur esprit, doivent également être punis avec quelque clémence [*] ». La jurisprudence des cours n'a pas admis d'atténuation de responsabilité en faveur des femmes, même si une partie de la doctrine avait tendance à considérer que ces dernières étaient plus fragiles (imbecilitas sexus) et que cette faiblesse supposée pouvait servir d'excuse. Parmi tous les jurisconsultes de son temps, Tiraqueau est le plus sévère à l'égard de la capacité des femmes d'agir raisonnablement. S'il existe de multiples circonstances atténuantes, il y a aussi des circonstances aggravantes au crime. Il s'agit de la récidive, de la noblesse de l'accusé (à l'époque médiévale uniquement) et de l'atrocité du crime. La jurisprudence tenait aussi compte, à l'occasion, de la fréquence de l'infraction. Par fréquence de l'infraction, il faut entendre l'existence d'une criminalité endémique dans le royaume, une province, une ville, justifiant une répression plus sévère afin de démontrer la volonté politique et judiciaire de faire cesser le désordre. A propos de la noblesse de l'accusé, cette qualité était jugée aggravante à l'époque médiévale, les nobles devant montrer l'exemple. Elle a toutefois disparu par la suite. Quant à la récidive spéciale, elle intervient surtout pour le vol ou encore le blasphème. Pour ce dernier crime, une ordonnance promulguée en 1330 par Philippe VI contre les blasphémateurs prévoit une peine aggravée à chaque récidive. Une autre ordonnance promulguée en 1510 par Louis XII envisage jusqu'à distinguer huit étapes, soit sept degrés de récidive. A partir du XVIème siècle, la doctrine envisage aussi la récidive générale, qui annonce notre conception moderne du criminel d'habitude. La juridiction du prévôt des maréchaux, créée au XVIè siècle et ancêtre de notre gendarmerie avait compétence en dernier ressort pour juger les criminels récidivistes *. En l'absence de casier judiciaire, on reconnaissait les criminels déjà condamnés aux marques au fer rouge qu'ils portaient sur le bras ou la poitrine. Le ministère public d'une juridiction pouvait aussi chercher des renseignements auprès des juridictions de la ville ou du village dont l'accusé était originaire. Des portraits étaient réalisés et envoyés aux juridictions susceptibles d'avoir déjà jugé la personne en question. La prise en compte des circonstances, atténuantes souvent, aggravantes parfois, suppose que les juges bénéficient d'un réel pouvoir d'appréciation. C'est ce que l'on appelle l'arbitraire des juges qui, à l'époque, n'a rien de péjoratif. Les pouvoirs des juges en matière criminelle étaient considérables puisqu'ils pouvaient apprécier les circonstances au cas par cas. Ces juges n'étaient pas des « automates », appliquant strictement un syllogisme judiciaire. Les nombreuses études menées par les historiens du droit au cours des dernières décennies sur la jurisprudence des diverses juridictions du royaume (parlements, présidiaux, sénéchaussées, prévôts des maréchaux...) démontrent qu'il existait une réelle homogénéité des peines. Section 2 : La procédure romano-canonique La procédure mise en place à l'époque médiévale, maintenue jusqu'à la fin de l'ancien régime, est qualifiée de de romano-canonique car elle s'inspire de la procédure romaine du Bas-Empire qui fut largement reprise par les juridictions d'Eglise dans un premier temps (mais pas uniquement, nous le verrons). Nous allons examiner son élaboration et son fondement au cours des siècles, son déroulement, puis, pour finir, la détermination des preuves. Une procédure inquisitoire : de la doctrine à la législation S'inspirant du droit romain, et plus particulièrement du droit du Bas-Empire, les juristes médiévaux ont puisé dans le corpus iuris civilis les règles de la procédure qui se met progressivement en place. Ce travail de la doctrine est mené conjointement avec les juges qui élaborent de petits traités (appelés des « styles ») sur la procédure de leur juridiction, en tout cas dans les grandes juridictions comme le parlement de Paris. Ainsi, la procédure médiévale fut l'œuvre conjointe de la doctrine et de la jurisprudence*. Certes, il y eut bien quelques lois royales, principalement à partir du XIIIè siècle, mais elles ne concernaient que des points particuliers de la procédure (comme l'appel) et non son architecture globale. Cette œuvre jurisprudentielle et doctrinale s'est appuyée sur les évolutions observées au sein de l'Eglise. 16 Titre 2 : Le droit pénal de l'Ancien Régime La procédure accusatoire dominait encore dans les cours d'Eglise au XIIème siècle. Cependant, l'absence d'accusateur a eu pour conséquence l'impunité de certains clercs criminels. Pour faire cesser ce scandale, le pape Innocent III, à la fin du XIIè siècle, a introduit la procédure inquisitoire, qui permet de se saisir d'office des criminels. La procédure inquisitoire consiste en une enquête faite par le juge, contradictoirement avec le prévenu, enquête à la suite de laquelle le juge rend sa sentence. La nouvelle procédure, fixée dans des décrétales de 1198, 1199, 1212 et 1213, fut consacrée par le canon 8 du 4è concile de Latran de 1215. Le juge peut agir dès qu'il y a rumeur publique ou simple dénonciation. Il agit donc d'office. Lors de l'instruction du procès, pendant lequel temps l'accusé est enfermé et averti des chefs d'accusation, le juge écoute les témoins à charge et à décharge et peut aussi susciter des témoignages, si les témoignages volontaires sont insuffisants. Cette procédure inquisitoire a donné son nom aux tribunaux d'inquisition, tribunaux d'exceptions, créées en 1231 pour combattre les hérétiques. Ces tribunaux reprennent la procédure inquisitoire, avec quelques aménagements dans le sens d'une plus grande sévérité. On attribue souvent à l'Eglise l'introduction de la procédure inquisitoire d'inspiration romaine. Les juridictions laïques l'auraient ensuite reprise, bien après les décrétales d'Innocent III. Cependant, cette opinion largement dominante pendant longtemps a récemment été remise en cause des travaux récents d'historiens du droit italiens ont démontré que cette procédure fut également introduite dans des juridictions d'Italie du Nord, et sans doute dans le sud de la France, à la fin du XIIè siècle, avant qu'elle ne soit reprise par l'Eglise, ou alors au même moment. L'apparition concomitante en plusieurs lieux d'une procédure similaire témoigne de la dette à l'égard de la procédure romaine. Quelle que soit son origine exacte, il est avéré que la procédure inquisitoire s'est étendue rapidement dans l'ensemble des juridictions du royaume au XIIIè siècle. La poursuite publique sera ensuite menée par un magistrat inconnu des romains, le procureur du roi, c'est-à-dire le ministère public, créé entre la fin du XIIIè siècle et le début du XIVé siècle. L'apparition de ce personnage clef du procès criminel, authentique création médiévale, n'aurait eu aucun intérêt en dehors de la procédure inquisitoire. Jusqu'au XVIè siècle, la procédure est restée une construction doctrinale du ius commune et jurisprudentielle, en France comme dans la plupart des pays d'Europe. L'appropriation par l'Etat est une caractéristique des temps modernes. Qui maîtrise la procédure, maîtrise le droit. Le XVIè siècle marque le début d'un vaste mouvement européen de prise en charge des procédures, aussi bien civiles que pénales, par l'Etat. Le premier mouvement fut avant tout celui d'une compilation, d'un ordonnancement du droit en vigueur. L'ordonnance de Blois en 1498 sous Louis XII , puis celle de Villers-Cotterêts 1 en 1539 relèvent de cette logique. Cette dernière ordonnance, qui visait la réformation de la justice comprend 33 articles relatifs à la procédure criminelle (art. 139 à 172). Elle clarifie le déroulement du procès pénal en distinguant nettement deux phases : celle de l'instruction et celle du jugement. Le relatif flou qui pouvait exister ici ou là dans le royaume de France tend à disparaître au profit d'une procédure plus uniforme. Cette ordonnance est connue aussi par son souci de favoriser la sévérité de la justice. Vint ensuite celui de l'élaboration de textes beaucoup mieux agencés, construits, dont la forme annonce les codes ultérieurs. Il faut y voir aussi un moyen pour le pouvoir de mieux contrôler l'activité des magistrats. L'intervention législative en matière de procédure démontre également la volonté de s'émanciper du modèle du ius commune au profit de voies plus « nationales ». Toutefois, ce mouvement demeure limité dans la mesure où la grande ordonnance criminelle de 16702 promulguée par Louis XIV ne modifie pas fondamentalement la procédure pénale antérieure. Il n'en demeure pas moins que le souci royal de mieux contrôler la justice relève de l'évidence. Cette dernière ordonnance a été préparée après la promulgation de l'ordonnance sur la procédure civile en 1667. Le travail a été mené par une commission composée de membres du conseil du roi et dominée par la personnalité de Pussort, oncle de Colbert. Il y eut ensuite des échanges avec des représentants du parlement de Paris. Elle est restée en vigueur jusqu'à la fin de l'ancien régime, ne subissant que de modestes retouches. Le déroulement de la procédure La procédure se déroule en cinq phases* : la mise en mouvement de l'action publique, l'instruction préparatoire, l'instruction définitive, les jugements et les recours. Le juge criminel*, véritable juge d'instruction avant la lettre, tient un rôle central dans le procès pénal. 1 - http://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/Edit_Villers-Cotterets-complt.htm 2 - https://ledroitcriminel.fr/la_legislation_criminelle/anciens_textes/ordonnance_criminelle_de_1670.htm 17 Titre 2 : Le droit pénal de l'Ancien Régime Comme nous venons de le voir, la procédure inquisitoire permet l'action d'office du juge et l'action du ministère public*. S'il y a bien souvent une action publique dans les affaires graves, il n'en demeure pas moins que la procédure peut toujours être engagée par la victime (ou ses ayant-droits) qui a la possibilité de se porter partie civile. Une fois l'action ouverte, l'instruction préparatoire commence. Elle consiste en une descente sur les lieux (si nécessaire), destinée à recueillir les premiers témoignages, rechercher des indices, dresser des procès- verbaux (par les médecins d'un cadavre, d'un blessé...) voire arrêter un suspect. Les témoignages sont inscrits sur un cahier appelé cahier d'information. Si les premières investigations permettent de découvrir un suspect, il est interrogé par le juge. Pour ce faire, le juge peut décider d'arrêter ce dernier, en rendant un décret appelé décret de prise de corps. A ce moment-là de la procédure, le ministère public (ou/et la partie civile s'il y a) rend des conclusions en vue de poursuivre, ou non, le procès à l'extraordinaire. A la suite des conclusions, les juges de la juridiction rendent un jugement décidant de régler le procès à l'ordinaire ou à l'extraordinaire. L'emploi de ce vocabulaire, devenu officiel depuis l'ordonnance de Blois de 1498, est cependant attesté dans le midi de la France dès le XIIIè siècle. Il s'agit de la reprise de l'ancienne distinction romaine entre procédure ordinaire et procédure extraordinaire. Elle est mentionnée dans les statuts de Marseille, rédigés à partir de 1253. La voie ordinaire s'applique pour le petit criminel. Dans cette procédure, les débats sont oraux et contradictoires. L'accusateur souhaite généralement une simple réparation pécuniaire, qui n'exclut pas l'amende bien évidemment. En revanche, dès qu'une affaire concerne un crime susceptible de justifier une peine afflictive* ou infamante* et qui porte atteinte à l'ordre public, le procès est réglé à l'extraordinaire. Il s'agit de la procédure criminelle au sens strict. En conséquence du règlement à l'extraordinaire, l'instruction définitive commence. Elle vise l'examen complet des charges qui pèsent sur l'accusé. Les témoins sont récolés, c'est-à-dire à nouveau interrogés. Le greffier leur lit (individuellement) leur première déposition et leur demande s'ils la confirment. Ensuite, les témoins sont confrontés à l'accusé (lui-même est de nouveau interrogé). Le juge demande aux accusés s'ils ont des reproches à faire contre le témoin, avant de procéder à la lecture de la déposition en présence de l'accusé. En cas de pluralité d'accusés, le juge procède à une confrontation des accusés entre eux. Les textes parlent d'affrontation, pour distinguer ce moment de la confrontation avec les témoins. Cette procédure à l'extraordinaire est secrète. Dans les premiers temps de la procédure, l'accusé n'est pas averti de charges qui pèsent contre lui. Il ne s'en rend compte officiellement qu'au moment de la confrontation avec les témoins. Lors de cette phase, les juges ont légalement la possibilité de recourir à la question, c'est-à-dire la torture, en vue d'obtenir l'aveu de l'accusé. Nous y reviendrons dans le paragraphe suivant relatif aux preuves. A la suite de l'instruction définitive, les juges procèdent au jugement définitif, après avoir entendu à nouveau l'accusé sur la sellette. Lors de la « visite du procès », les juges lisent les conclusions du ministère public et écoutent le rapport du procès présenté le plus souvent par le juge criminel qui a effectué l'instruction. En fonction de l'existence ou non d'un appel possible, le nombre de juges varie de trois à sept au minimum, trois pour un jugement à la charge de l'appel, sept pour un jugement en dernier ressort. Si l'accusé est condamné, l'exécution se déroule peu de temps après, lorsque toutes les voies d'appel ont été vidées. Depuis le XVIème siècle, l'appel en matière pénale est systématique, quelle que soit l'intention du condamné, en dehors bien sûr des cas où la juridiction de première instance est habilitée à juger en dernier ressort. Les parlements, vraies cours d'appel, exercent par conséquent un contrôle réel sur la jurisprudence criminelle de leur ressort. En cours de procédure, l'accusé a également le droit de faire appel contre les jugements interlocutoires rendus par les juges (jugement de torture, etc.). Enfin, le condamné peut toujours recourir à la grâce du roi, par le moyen de Lettres de rémission, de pardon, ou de commutation de peines par exemple. La théorie des preuves légales Avec l'apparition de la procédure inquisitoire, le système probatoire évolue. Les ordalies disparaissent de notre droit au XIIIè siècle*. Dès le IXème siècle, l'Église avait condamné de plus en plus fermement le jugement de Dieu. En 1215, le IVe concile de Latran interdit formellement aux clercs de participer à des ordalies et les Décrétales de Grégoire IX prohibent de la façon la plus générale tout recours à la purgatio vulgaris*et au duel « car ils font bien souvent condamner l'innocent, et c'est tenter Dieu » c'est à dire un sacrilège (X, V, 35). Rapidement, les juridictions laïques abandonnent également ces anciens modes de 18 Titre 2 : Le droit pénal de l'Ancien Régime preuve. On assiste alors à un retour en force des preuves classiques, dans le cadre d'un système probatoire rigoureux. A. Nécessité de preuves pleines et entières La doctrine médiévale met en place un système probatoire inspiré du droit romain, système que l'on a appelé « théorie des preuves légales », car tirée des lois romaines. Comprenons bien qu'il s'agit d'une construction de la doctrine médiévale à partir du droit romain, et non d'un texte précis tiré du corpus iuris civilis. Ce système de preuve est favorable aux accusés. Tout d'abord parce que la preuve incombe désormais à l'accusation. L'accusé ne peut plus être soumis à une épreuve (ordalie) sur un pied d'égalité avec l'accusateur. En second lieu, les preuves doivent être certaines, « plus claires que le jour à midi », selon l'expression consacrée de l'époque médiévale. Une formule du Digeste est citée par les docteurs : « Il vaut mieux laisser un coupable impuni plutôt que de condamner un innocent » (D., 48, 19, 5). Seule une preuve complète (probatio plena) peut fonder une condamnation. Si la preuve n'est pas complète, le juge n'a pas d'autre possibilité que d'absoudre le suspect. Par exemple, l'aveu ou alors deux témoignages de visu concomitants constituent une preuve pleine et entière. La déposition d'un seul témoin, considérée comme une demi-preuve, est insuffisante pour justifier une condamnation. Dans le même temps, la doctrine définit les critères d'un témoignage irréprochable. Par exemple, les témoignages d'un enfant, d'un repris de justice, d'un parent de la victime (hors cas particuliers) ne constituent pas un témoignage suffisamment solide pour condamner. L'aveu lui-même ne suffit pas s'il n'est pas étayé par des indices objectifs. Dans ce système probatoire, toute subjectivité du juge est exclue. Les magistrats ne sont pas autorisés à se fier à leur intime conviction. C'est pourquoi, s'ils ne disposent que d'indices sérieux, des demi-preuves incontestées, les juges sont tenus de libérer l'accusé, en le renvoyant « quant à présent », ou « quousque ». Cela signifie que le procès peut éventuellement reprendre en cas de nouvelle preuve, ce qui ne se produit quasiment jamais. Les effets de ce jugement, présenté comme non définitif, sont donc identiques à une relaxe. Ces principes énoncés par la doctrine rencontrent immédiatement des échos dans la pratique et dans le droit coutumier. Au XIVè siècle, ils sont suivis dans tout le royaume. Ainsi, la coutume de Bretagne précise que « doit être toute justice plus esmue d'absoudre que de condamner », et en conclut que la preuve « doit estre [en cas criminels] plus claire que nulle autre, et plus claire qu'estoile qui est au ciel ». Ce progrès en matière probatoire a cependant eu un effet négatif. En effet, l'aveu étant la reine des preuves, et en conformité avec le droit romain, la doctrine et les juges médiévaux ont admis le recours à la question pour forcer l'aveu du coupable. Puisqu'ils ne peuvent suivre leur intime conviction, les juges usent de ce procédé lorsqu'un accusé est « véhémentement suspect » d'un crime. B. Le recours à la torture L'usage de la torture*est avéré en certains lieux avant le XIIè siècle. Nicolas Ier, pape de 858 à 867, avait condamné la torture parce qu'il estimait qu'une confession extorquée par la violence était invalide : « De tels procédés sont contraires à la loi divine et à la loi naturelle, car l'aveu doit être spontané et non forcé ; il doit être fait volontairement et non arraché par la violence. L'accusé peut endurer tous les tourments que vous lui infligez sans rien avouer, et alors quelle honte pour le juge et quelle preuve de son inhumanité. Si, au contraire, vaincu par la douleur, l'inculpé s'avoue coupable d'un crime qu'il n'a pas commis, sur qui retombe l'énormité de cette impiété, si ce n'est sur celui qui a contraint le malheureux à mentir » Il semble se répandre ensuite. Des textes coutumiers, des chartes municipales du XIIIè siècle mentionnent cette pratique. Par une ordonnance royale de 1254 le roi Louis IX interdit de mettre à la question les personnes honnêtes et « bien famées », même pauvres, sur les dires d'un seul témoin. La version en langue d'oïl de cette ordonnance destinée au nord du royaume ne reprend pas cet article, ce qui suppose que la pratique de la torture n'y existait pas, preuve supplémentaire que la question s'est d'abord répandue dans les régions davantage soumises à l'influence du droit romain. Cependant, à l'aube du XIVè siècle, le parlement de Paris a réglementé l'usage de la torture pour son ressort. Il est donc probable qu'à ce moment, le recours à la torture était devenu régulier dans les pays « de coutumes ». Suivant les règles romaines connues grâce au Digeste et aux autres recueils de Justinien, l'usage de la torture est soumis à des conditions strictes. La torture n'était possible que s'il existait à l'encontre du suspect 19 Titre 2 : Le droit pénal de l'Ancien Régime des présomptions « violentes » (ou « véhémentes ») de culpabilité. C'était par exemple un seul témoin oculaire, qui ne comptait que pour une demi-preuve, conforté par des indices matériels (armes ou vêtements tachés de sang retrouvés chez le suspect) ou moraux (inimitié notoire entre le suspect et la victime, dettes, querelle précédente, etc.). L'autre limite à l'application de la question était la nature du crime : seuls en effet les crimes capitaux (passibles d'une peine corporelle) pouvaient justifier le choix de la procédure extraordinaire. Ajoutons à cela que les modalités pratiques de la torture étaient encadrées par les parlements et par les ordonnances royales*. Les « tourments » devaient être modérés et ne pas occasionner de lésion définitive. Enfin, l'aveu extorqué n'avait aucune valeur juridique s'il n'était pas renouvelé par l'accusé lors d'un nouvel interrogatoire qui suivait la torture, une fois qu'il avait recouvré tous ses esprits. Dans la pratique, les nombreuses études menées sur la jurisprudence des tribunaux démontrent que le recours à la question était déjà très rare au XVIIème siècle voire quasi inexistant. La question a finalement été abrogée par Louis XVI par un édit de 1780. Il faut cependant préciser qu'il existait deux types de question : la question préparatoire et la question préalable. La question préparatoire correspond à l'aveu de la culpabilité que le juge souhaite obtenir lors de la procédure. C'est celle qui fait l'objet des développements précédents. L'autre type de question, la question préalable, s'appliquait à l'égard des condamnés à mort, en vue d'obtenir le plus souvent la révélation des noms des complices. Il s'agit dès lors avant tout d'une sanction contre un condamné. C'est pourquoi elle est qualifiée de question préalable car elle précède l'exécution. L'usage de la question préalable était beaucoup plus répandu. Elle disparût elle aussi sous l'ancien régime, en vertu d'une déclaration royale promulguée en 1788 par Louis XVI. Cette déclaration annonçait une révision de la l'ordonnance criminelle de 1670. Section 3 : Les crimes et les peines Les traités de droit pénal du XVIIIème siècle, en particulier ceux de Jousse et de Muyart de Vouglans, nous donnent une idée précise de la hiérarchie des crimes sous l'ancien régime et des peines afférentes en usage. Avant la révolution, il n'y avait pas de distinction terminologique entre les délits et les crimes. Nous évoquerons la notion d'arbitraire des juges avant d'étudier les peines appliquées. La hiérarchie des crimes Nous commençons ce développement par la présentation des sources des crimes selon la doctrine pénaliste, avant de passer en revue les principaux crimes condamnés dans l'ancien droit. A. Le fondement des crimes La distinction que nous connaissons entre crimes, délits et contraventions n'existait pas sous l'ancien régime. Le terme le plus souvent employé était celui de crime. Y avait-il une classification des crimes, à l'image de ce que peut proposer notre code pénal ? A l'évidence, la classification des crimes est révélatrice de l'esprit de son auteur et de son environnement culturel et intellectuel. En 1816, Le Graverend notait que « la classification des crimes a toujours beaucoup occupé les jurisconsultes et les publicistes ; et cette classification, comme le remarque fort bien un auteur distingué, ne peut paraître indifférente qu'à des esprits légers et superficiels puisqu'elle est le fondement de la gravité du délit, et par conséquent de la peine [*] ». De manière générale, les criminalistes de l'ancien régime faisaient reposer les crimes sur les désordres moraux, sur les passions déréglées. Lebrun de la Rochette au début du XVIIè siècle voyait dans l'oisiveté la cause de tous les crimes. Au XVIIIè siècle, Jousse écrivait que « tous les crimes qui règnent dans la société, tirent leur source de la légèreté et de l'inconstance de l'esprit humain, du défaut d'éducation, et de la corruption du cœur, et même du mépris de la religion et des lois ; d'où naissent l'avarice, l'oisiveté, la débauche, la vengeance, l'ambition, et tous les autres désordres de la vie [*] ». A partir du moment où les crimes sont définis prioritairement par l'absence de contrôle des passions, les effets des infractions sur les individus et la société passent au second plan dans la présentation des crimes, ce qui rend compréhensible l'absence de classification unique reconnue par tous. Jousse envisageait une bonne dizaine de manières de dresser une classification des crimes et des délits et, au bout du compte, il les a classé lui-même de la façon la plus simple dans l'un de ses ouvrages, par ordre alphabétique ! Il en découle également que la loi n'a pas pour objet de définir un crime, mais celui de déterminer la peine que l'on va appliquer à un comportement moralement répréhensible ayant des conséquences sur la société. La logique est bien différente dans le code pénal napoléonien, dans lequel on peut retrouver bien des 20 Titre 2 : Le droit pénal de l'Ancien Régime infractions semblables, mais dont le fondement a évolué. Prenons l'exemple des infractions classées dans la rubrique des « attentats aux mœurs » dans le code de 1810. Dans le langage courant de la France d'ancien régime, les mœurs n'étaient pas l'étalon du jugement moral. Il s'agissait de comportements, d'habitudes répréhensibles ou positifs. Les pénalistes de l'ancien régime n'employaient pas fréquemment ce terme et un tour d'horizon de la plupart des classifications proposées à l'époque ne révèle aucune trace d'une catégorie intitulée « attentats aux mœurs ». Pourtant, toutes les infractions énumérées dans la rubrique ainsi dénommée du code pénal de 1810 (dont nous reparlerons) existaient bel et bien dans l'ancien droit. Malgré l'absence de code pénal et bien que les classifications variassent d'un auteur à l'autre, les crimes et les délits en question étaient intégrés dans une nomenclature différente, démontrant une autre conception de la criminalité. Selon Muyart de Vouglans, « nous comprenons sous le nom de luxure en général toute entreprise tendant à satisfaire les sens au mépris des lois de la religion, et contre les règles de la pudeur et de l'honnêteté publique [*] ». On retrouve la même classification chez Du Rousseaud de La Combe, pour qui « la luxure renferme plusieurs espèces de crimes contre la chasteté ». Il précisait d'emblée que « l'on commence par ces sortes de crimes, pour être plus tôt sorti de ce bourbier [*] ». Conformément à une tradition juridique bien présente au moyen âge, les « bonnes mœurs naturelles » priment sur les « bonnes mœurs civiles » (c'est-à-dire le respect de la loi) chez les criminalistes les plus traditionnels du XVIIè et du XVIIIè siècle. A l'inverse, le code de 1810 et surtout la jurisprudence ultérieure entendront par « mœurs » des manquements au seul ordre public. B. Les crimes S'il n'y a pas de classification officielle, en l'absence d'une législation exhaustive en la matière sous la forme d'un code, il n'empêche que les mêmes crimes sont cités par les criminalistes, parfois sous des formes différentes. En voici les principaux : Les crimes les plus graves sont les crimes de lèse-majesté divine ou royale. A l'époque médiévale, les premiers cités étaient plus graves, tandis que les seconds ont pris le dessus à partir du XVIè siècle. Pour en revenir aux crimes contre la religion, ils ont progressivement été intégrés dans le champ de compétence des juridictions royales, ce qui illustre également la montée en puissance de l'Etat. Parmi les crimes contre la religion, les affaires de sorcellerie ont particulièrement retenues l'attention des historiens. Pourtant, elles ne furent jamais courantes, les « pics » se situant au XVIè et dans la première moitié du XVIIè siècle. A la fin de ce siècle, la création du crime d'empoisonnement a vidé de son contenu le crime de sorcellerie. On trouve aussi les crimes d'hérésie (surtout au moment de la révocation de l'édit de Nantes en 1685), de sacrilèges ou de blasphème. Le sacrilège était souvent une circonstance aggravante d'un autre crime comme le vol (vol dans une église, vol d'un objet servant au culte). Quant au blasphème, il est régulièrement mis en avant dans les plaintes ouvrant un procès. Cette infraction s'ajoute souvent à d'autres, à titre accessoire, tandis qu'elle n'est que rarement invoquée seule à partir du XVIIème siècle. Les crimes de lèse-majesté royale se divisent en deux catégories ; la lèse-majesté au premier chef, c'est-à- dire les atteintes à la personne même du roi, et les crimes de lèse-majesté au second chef, qui correspondent aux atteintes à l'autorité et à l'ordre public. Dans cette catégorie entrent la fausse monnaie, la sédition, le duel, les malversations d'officiers, et bien d'autres crimes touchant par exemple au domaine public. Les crimes de lèse-majesté au second chef sont bien sûr beaucoup plus nombreux que ceux qui touchent directement à la personne du roi, rarissimes. Viennent ensuite les crimes contre la morale, c'est-à-dire les délits sexuels (maquerellage, prostitution, adultère, viols,...) accompagnés par les rapts de séduction et de subornation. En dehors du flagrant délit, la preuve de l'adultère et du viol n'est jamais aisée. Pour ce dernier crime, la victime est systématiquement « visitée » (c'est le terme technique usuel de l'époque) par une matrone qui dresse un procès-verbal des éventuelles violences subies. Le rapt de séduction nous donne un excellent exemple de liberté prise par certaines cours à l'égard de la législation royale. D'après l'ordonnance de Blois de 1579 (article 42), ce rapt est destiné à passer outre l'accord des parents lorsque l'un des époux est mineur. L'objectif de cette incrimination est d'imposer l'accord des parents dans les conditions de validité du mariage forgées par le droit canonique. Dans la province de Bretagne le rapt de séduction, appelé aussi subornation, vise autre chose [*]. Il consiste à obtenir les faveurs physiques d'une femme, sous prétexte de mariage. La jurisprudence des tribunaux peut s'avérer très sévère contre les auteurs de cette infraction. Certains tribunaux ont une curieuse pratique, laissant le choix à l'accusé dont la culpabilité est prouvée entre la peine de mort et le mariage ! Tout dépend du statut social des deux personnes en causes. Ainsi, la jurisprudence bretonne du rapt de séduction conduit 21 Titre 2 : Le droit pénal de l'Ancien Régime au mariage forcé, là où la définition officielle cherche à protéger la volonté des parents au détriment de celle des jeunes gens. Nous avons là deux conceptions totalement différentes d'une même infraction ! Le rapt de violence consiste lui en un enlèvement en vue d'obtenir le mariage. Il n'est pas forcément accompagné d'acte sexuel. Ces affaires ont un vif intérêt social, dans la mesure où le rapt de violence, qui s'exerce parfois contre la volonté des parents de la jeune fille, révèle la protection législative et judiciaire de l'autorité paternelle, au détriment du consentement des époux qui, pour l'Eglise, constitue seul, le signe sacramentel du mariage. Les crimes contre les personnes, de loin les plus fréquents, concernent soit les atteintes physiques, soit les atteintes à la réputation. Au sommet de cette catégorie, nous trouvons naturellement les divers homicides, de l'assassinat (qui suppose la préméditation) à l'homicide simple, mais également l'avortement, l'infanticide, le suicide et l'empoisonnement. Le suicide était considéré comme un homicide contre soi-même. Le procès était fait au cadavre, le défunt étant représenté par un curateur. C'est l'un des rares cas de procès au cadavre, avec les affaires d'apostasie, surtout dans le contexte de la révocation de l'édit de Nantes. Pour éviter les avortements, les femmes célibataires enceintes devaient déclarer leur grossesse et être ensuite suivies par des matrones ou des sages-femmes afin que la justice s'assure qu'il n'y ait aucune atteinte à la vie de l'enfant. Au sujet de l'empoisonnement, un édit de 1682 a créé un crime spécifique. Le moyen employé pour réaliser un assassinat devient une infraction à part entière. Cet édit fait suite à la célèbre affaire des poisons, déférée à une institution judiciaire créée pour l'occasion en 1679, appelée la Chambre de l'Arsenal. La Chambre de l'Arsenal a prononcé 36 condamnations à mort (dont celle de la Voisin, brûlée le 22 février 1680), 23 bannissements et 5 condamnations aux galères. Quant aux violences, leur traitement par les juges dépendait de la gravité des blessures et de l'intention de leurs auteurs. Les simples voies de fait relevaient du petit criminel. La justice pénale de l'ancien régime condamnait aussi les injures verbales ou réelles, toutes les formes d'atteinte à la réputation. Dans tous ces cas, la réparation du préjudice était prédominante, même s'il s'y ajoutait une sanction publique le plus souvent sous forme d'amende. L'arbitraire des peines A l'époque franque, comme durant les premiers siècles de l'époque médiévale, les peines étaient fixes, déterminées par les lois des rois barbares puis par les coutumes. Nous avons vu que les tarifs fixés par les coutumes étaient justement destinés à éviter les amendes excessives que les seigneurs pouvaient prononcer, après l'effondrement de l'autorité des empereurs carolingiens. Au XVIè siècle, on assiste, selon l'expression devenue fameuse de l'historien du droit Bernard Schnapper à un naufrage du droit pénal coutumier. Il est concurrencé par une législation en plein développement en matière pénale, mais surtout, les peines fixées par les coutumes, y compris les peines non pécuniaires, ne sont plus suivies au pied de la lettre par les juges. Ces derniers ont acquis le pouvoir de déterminer concrètement la sanction adaptée, d'arbitrer les peines. Voilà l'origine du mot « arbitraire » des juges, qui à l'époque n'avait rien de péjoratif. Au début du XVIIe siècle, Jean Imbert écrivait dans sa Pratique judiciaire : « Aujourd'hui les peines sont arbitraires en ce royaume ». Dans le langage usuel des juristes de l'ancien droit, arbitraire ne signifie pas caprice ou injustice, bien au contraire. L'arbitraire était au contraire l'un des principes de base de la justice pénale, unanimement accepté. Ce pouvoir des juges d'arbitrer les peines découlait des progrès de la responsabilité pénale, qui prenait en considération de multiples circonstances aggravantes et surtout atténuantes, donnant ainsi naissance à une vraie casuistique pénale. Tiraqueau, que nous avons déjà cité justement au sujet de la responsabilité criminelle, énumère ainsi, parmi les « causes » favorables à l'accusé, « le scandale que soulèverait sa condamnation » (c. 46*), sa nombreuse famille (c. 26), sa « honte » devant son crime ,(c. 57), ses bons antécédents (c. 51), les services qu'il a rendus à l'Etat (c. 49), ses « talents » (c. 50), sa faiblesse physique (c. 45), etc. ; et en sens inverse, contre l'accusé, sa noblesse (c. 31), sa qualité de récidiviste (c. 10, 31, 33, 42), et bien sûr l' « atrocité » de son crime (c. 49 et 50). D'autres grands juristes européens du XVIème siècle, comme Farinacius et Julius Cl

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