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Ce document est un résumé d'un syllabus de philosophie. Il explore la philosophie comme prolongement du sens commun et la question de la sagesse en l'analysant de trois points de vue différents. Le syllabus est orienté vers les études universitaires.
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Première partie : La philosophie entre sens commun, science et critique Introduction : à quoi bon la philosophie ? L’objection souvent faite à la philosophie d’être « abstraite » et « inutile » ne voit pas que la philosophie est justement la discipline qui met en question la fausse concrétude...
Première partie : La philosophie entre sens commun, science et critique Introduction : à quoi bon la philosophie ? L’objection souvent faite à la philosophie d’être « abstraite » et « inutile » ne voit pas que la philosophie est justement la discipline qui met en question la fausse concrétude de nos préjugés (qui sont des représentations abstraites) et qui pose la question du sens et des critères de « l’utilité ». Il est impossible d’esquiver les questions philosophiques qui naissent 1° dans la vie quotidienne et ses exigences de justice, 2° dans la relation aux religions, 3° dans la question de la nature et de l’étendue de l’autorité de la science. La philosophie pose la question des fondements de l’autorité — autorité des croyances socialement partagées, autorité des pouvoirs politiques et des hiérarchies sociales, autorité des Églises et des communautés prétendant détenir l’accès au salut, autorité de la science et de la raison. La philosophie a par là une signification politique, même lorsqu’elle se présente comme une simple « épistémologie », i.e. comme une théorie de la rationalité logique et scientifique. I. Philosophie, sens commun et sagesse 1. La philosophie comme prolongement du sens commun et du bon sens, entre religion et science D’une part, « tout le monde est philosophe », i.e. a des opinions philosophiques. D’autre part, il est nécessaire de ne pas laisser cette « philosophie spontanée » à l’état sauvage, c’est-à-dire à l’état d’une pensée irréfléchie et confuse. La philosophie « travaille » l’un par l’autre le « sens commun » (façon de sentir et de penser commune à une société) et le « bon sens » (forme spontanée de la raison). Elle élève le sens commun au sens de l’universel, et le bon sens à la rationalité critique. Il faut donc quitter la sphère des « opinions » pour s’élever à celle de la philosophie proprement dite : philosopher n’est pas seulement avoir des opinions philosophiques, c’est les soumettre à la critique en vue d’accéder à la vérité. Or, la vérité a d’autres prétendantes que la philosophie : elle est revendiquée par la religion et par la science. Il faut donc examiner la question de savoir si la science et la religion peuvent chacune prétendre détenir une vérité absolue. Or, si la valeur et l’irréversibilité des progrès de la connaissance scientifiques sont indéniables, elles ne donnent pour autant à la science le statut d’un savoir total et ultime. Quant à la religion, qui prétend révéler des vérités ultimes, elle ne peut proposer ces vérités que comme des objets de foi, et non comme des connaissances contraignantes pour la raison. La tâche de la philosophie est ainsi, non de dévaluer la science ou la religion (même si certains philosophes le font), mais de délimiter les prétentions légitimes de l’une et de l’autre. Cette délimitation a une signification politique. 2. Trois conceptions de la sagesse. En tant qu’elle critique les opinions et élucide les opinions, la philosophie consiste à se comprendre soi-même. Mais il semble alors que cette « compréhension de soi-même » aille très au-delà d’une simple élaboration rationnelle du « sens commun » : elle doit indiquer aux êtres humains leur place dans le monde, les conditions d’une vie sensée et réussie, voire le sens de leur existence. Autrement dit, la philosophie, conformément au sens étymologique du mot —« amour de la sagesse » — vise, par la raison, à atteindre la sagesse. Cette conception de la philosophie est celle qui domine depuis les débuts de la philosophie en Grèce antique jusqu’aux grands systèmes métaphysiques des temps modernes (Descartes, Spinoza, Leibniz, Hegel). Durant toute cette période, la sagesse philosophique entretient des relations compliquées, tantôt conflictuelles et tantôt complices, avec les différentes religions qui proposent pour leur part un salut fondé dans l’obéissance et dans la foi. Sagesse rationnelle et foi qui sauve apparaissent tantôt comme complémentaires, voire identiques dans leur substance, et tantôt comme opposées, fondées sur des états d’esprit (critique pour l’une, dogmatique pour l’autre) incompatibles. La sagesse philosophique a été comprise, jusqu’au XIXe siècle, selon trois directions : A. La sagesse comme conscience de son ignorance et effort d’amélioration morale par la pratique de l’argumentation rationnelle (Socrate). B. La sagesse comme maîtrise de soi et mode de vie consistant à suivre la nature pour atteindre au bonheur (« changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde »). C. La sagesse comme savoir du Tout : compréhension de la place de l’homme dans le monde (Platon, Aristote), « connaissance de la vérité par ses premières causes » (Descartes), théorie des fondements de la science ou du système des sciences (Hegel). Ces trois définitions ont inspiré des philosophies grandioses mais ont fini par buter sur l’impossibilité d’unifier le savoir scientifique et la philosophie en un même système. La science moderne, inaugurée par Galilée, découvre une nature dépourvue de sens et de valeur, étrangère à la philosophie morale ; le « Tout » semble échapper à la connaissance certaine. En conséquence, la notion de « sagesse » devient douteuse : la notion d’une « place de l’être humain dans le monde » (ou d’une « finalité naturelle de l’humanité ») perd sa base ; la connaissance rationnelle que construit la philosophie peut donner la liberté, mais pas le bonheur ni la sérénité. 3. La philosophie comme auto-réflexion de la raison : Kant. Kant prend acte de cette situation nouvelle. Il rompt avec l’espoir d’une philosophie qui apporterait le bonheur tout en donnant la connaissance des « principes » du réel et du savoir scientifique. L’idéal de la sagesse tend à être remplacé par celui de l’autonomie et de l’émancipation.Kant définit la philosophie comme la « critique de la raison », c’est-à-dire l’activité qui détermine les conditions de validité de nos prétentions à la vérité théorique et pratique, qui soumet au « tribunal de la raison » les activités et les connaissances humaines, et qui réalise une évaluation par la raison même des limites de la raison. Elle obéit à trois maximes : « penser par soi-même », maxime de la « pensée sans préjugés » ; « penser en se mettant à la place de tout autre », maxime de la « pensée élargie » ; « toujours penser en accord avec soi-même », maxime de la « pensée conséquente ». Dans ces maximes, « soi-même » ne désigne pas la singularité individuelle, mais la capacité d’autonomie rationnelle : il faut distinguer l’individu, la personne et le sujet. Selon Kant, « le domaine de la philosophie se ramène aux questions suivantes : 1) Que puis-je savoir ? 2) Que dois-je faire ? 3) Que puis-je espérer ? » À la première question, la « critique de la raison théorique » répond que je peux connaître les phénomènes mais non les choses en soi : la connaissance objective n’a pas besoin d’être une connaissance absolue. À la deuxième question, la « critique de la raison pratique » répond que je dois « agir selon la maxime qui peut en même temps s’ériger elle-même en loi universelle ». À la troisième question, la « critique de la faculté de juger » répond que je peux espérer le progrès indéfinis de l’humanité vers un « royaume des fins ». Les thèses de Kant présentent dans leur détail de sérieuses difficultés et ont fait l’objet de nombreuses critiques, mais la plupart de ces critiques ne proposent pas de revenir en-deçà de Kant : elles entérinent la rupture introduite par Kant avec les conceptions classiques de la sagesse. C’est ainsi que même des auteurs qui semblent en rupture avec Kant (Michel Foucault, Pierre Bourdieu) ont pu revendiquer malgré tout une certaine continuité, pour ainsi dire « hétérodoxe », avec la pensée de Kant. Et de grands philosophes politiques récents (John Rawls, Jürgen Habermas, Paul Ricœur, Jean-Marc Ferry) ont pu mettre ces critiques elles-mêmes au service, non d’un abandon du kantisme, mais d’une reformulation affinée des intuitions kantiennes. II. La philosophie, un domaine sans unité ? L’histoire de la philosophie, surtout depuis qu’après Kant elle s’est ramifiée en écoles et en pratiques radicalement diverses, peut donner l’impression que la philosophie n’a pas d’unité interne. 1. La philosophie comme « champ de bataille ». En effet, les philosophes sont en désaccord : — sur les thèses qu’ils défendent, — sur les méthodes qu’ils utilisent, — sur les objets qu’ils se donnent. 2. Métaphysique et positivisme. Un des principaux clivages qui traverse la philosophie depuis Kant est celui de la pensée métaphysique (continuée entre autres dans la pensée « existentialiste ») et du positivisme, c’est-à-dire entre une conception de la philosophie comme une connaissance ayant ses objets propres et une conception de la philosophie comme étant une réflexion seconde sur les sciences. 3. Apprendre la philosophie ? Ces clivages qui traversent la philosophie ne lui retirent pas toute unité et n’en font pas le règne de l’arbitraire. La philosophie a précisément l’unité d’un champ de bataille, dont la configuration obéit à la logique des problématiques qui le constituent. III. Quels rapports entre philosophie et sciences politiques et sociales ? 1. Un différend entre philosophie et sociologie ? Historiquement, la sociologie sort de la philosophie, ce qui veut dire à fois qu’elle en hérite et qu’elle la quitte. La philosophie peut prendre la sociologie pour objet, mais la sociologie peut aussi prendre la philosophie pour objet : faut-il voir là une hostilité réciproque ou une complémentarité ? La sociologie peut-elle remplacer la philosophie et confiner celle-ci aux questions logiques et épistémologiques ? 2. Un embarras de la sociologie : faits et valeurs. Cette question se prolonge dans la question de la « neutralité axiologique » des sciences sociales et politiques. La sociologie doit-elle se garder de tout jugement de valeur, comme le pense Max Weber ? La connaissance du social contient-elle un principe immanent (strictement sociologique) d’évaluation, comme le pense Durkheim ? La sociologie a-t-elle en tant que connaissance une fonction critique, comme le pense Bourdieu ? 3. Éthique de la science et pensée politique. L’analyse par Max Weber des vocations professionnelles du savant et du politique donne à ces questions toute leur acuité et toute leur difficulté. Weber nie que la science puisse fonder une éthique et une politique, mais il insiste sur l’existence d’une éthique de la science. La tension qui traverse une telle position réactive la question de la philosophie politique et lui fait une place à côté des sciences sociales et politique : d’une part, la philosophie occupe la position d’une « théorie critique », seule capable d’élucider les notions de domination et d’émancipation, d’autre part elle a en charge la question de savoir comment la science politique peut s’articuler avec l’action politique, ou comment articuler le rationnel et le raisonnable. Deuxième partie : La question de la pratique La différence du rationnel et du raisonnable est un enjeu pour la philosophie pratique et politique. La politique est-elle la sagesse des limites ou l’action émancipatrice ? I. Pratique et technique 1. Certains philosophes s’effraient de l’absence de sens de la technique, qui se déploie comme un processus incontrôlé, qui n’a aucun but en dehors de lui-même, et détruit l’humanité de l’homme en même temps que la nature ; à en croire Heidegger, la dévastation de la planète serait le résultat de la « révolution métaphysique » d’où est sortie la science moderne, et la seule issue serait dans une nouvelle révolution philosophique qui nous enseignerait la préséance du monde sur l’homme, la renonciation à la maîtrise et l’humilité devant le mystère de l’Être. 2. Face à un tel discours, un anthropologue comme Leroi-Gourhan, très inquiet devant l’impasse écologique où semble conduite le développement industriel qui épuise les ressources terrestres, objecte que les dangers de ce développement ne sont pas un « destin métaphysique » ou une conséquence de la rationalité scientifique, mais un effet du décalage, voire des contradictions, entre les progrès techniques et les hiérarchies sociales que ces progrès ne suppriment pas. 3. Un problème philosophique surgit ici : la technique est-elle un développement « fatal », ou une réalité « neutre », ou une fonction du tout social ? — La thèse de Marx est célèbre (et indépendante de ses propres convictions politiques révolutionnaires) : « Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. » La politique, le droit et l’idéologie ne seraient qu’une superstructure dépendante de l’infrastructure technique et économique. — À cette thèse, Castoriadis oppose qu’« aucun fait technique n’a un sens assignable s’il est isolé de la société où il se produit » ni ne détermine nécessairement les structures sociales.L’état des techniques et de l’économie impose ses contraintes à l’action humaine, mais il n’en fixe pas les buts : il ne dit pas ce que nous devons vouloir et dans quelle direction nous devons porter nos efforts de transformation. La question de la pratique à suivre n’est pas intégralement déterminée par le savoir scientifique. II. Praxis et poièsis Que signifie « pratique » ? Aristote distingue la poiesis, action qui a son but en dehors d'elle-même, production d’un objet ou d’un état qui subsiste indépendamment d’elle, et la praxis, activité qui a son but en elle-même et ne vise pas un état extérieur à elle-même. À la praxis correspond la phronesis, la prudence au sens large : le discernement, la capacité à comprendre une situation, à en estimer les chances et les risques, et à agir convenablement en fonction du possible et de l’impossible, ou encore l’intelligence pratique (la sagesse pratique). La phronésis se confond pour Aristote avec la politique. III. Praxis et « theoria » L’idée aristotélicienne de la praxis a ceci d’étrange qu’elle fait de la pensée contemplative (la « théorie ») la plus haute praxis. Y a-t-il là, comme le pensait Marx, une illusion philosophique ? 1. Supériorité de la « sagesse théorique » sur l’habileté politique ? Platon et Aristote affirment que l’excellence humaine consiste dans la pensée de l’éternel, et non dans l’action temporelle. 2. Primat de la praxis comme transformation ? Production et autonomie. Kant affirme le primat de la raison pratique sur la raison théorique : la raison est l’effort de l’autonomie morale avant d’être la connaissance de ce qui est. Marx radicalise et historicise cette perspective en affirmant le primat de la transformation productive du monde. Mais peut on penser l’autonomie à la lumière de la seule production ? L’autonomie n’est-elle pas d’abord l’épanouissement d’une liberté ? 3. Une tension entre science sociale, philosophie et politique ? Toute la difficulté est de penser l’autonomie et la liberté politiques : car la politique est le domaine de la pluralité, c’est-à-dire des désaccords et des compromis. Hannah Arendt propose, comme Aristote, de distinguer l’action de la production, mais, contrairement à Aristote, elle met cette distinction au service d’une idée radicale de la démocratie comme liberté collective. La démocratie serait le lieu d’une liberté collective qui n’est pas « production », mais expérience de la pluralité humaine.Mais quel est le lien de cette liberté collective à la « phronésis » politique, qui est une forme de « sagesse » ? Et comment penser l’autonomie dans les conditions de la division et de la pluralité sociales ? N’y a-t-il pas une tension entre la « prudence » et l’émancipation ?