Propriété - Droit Immobilier PDF

Summary

Ce document est un répertoire de droit immobilier par Alain SÉRIAUX, axé sur la propriété. Il explore les généralités, l'extension, et la compréhension du droit de propriété, avec des références bibliographiques et un index. Le document analyse la propriété en tant que droit fondamental et droit réel principal, divisé en sections et articles détaillant les aspects juridiques.

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Répertoire de droit immobilier Commentaire utilisateur : Propriété  Table des matières  Bibliographie  Généralités (1 - 43) o A - La propriété, droit fondamental (4 - 32) o B - La propriété, droit réel principal (33 - 43)  Section 1 - Extension de la propr...

Répertoire de droit immobilier Commentaire utilisateur : Propriété  Table des matières  Bibliographie  Généralités (1 - 43) o A - La propriété, droit fondamental (4 - 32) o B - La propriété, droit réel principal (33 - 43)  Section 1 - Extension de la propriété (44 - 56) o Art. 1 - En long et en large (45 - 49) o Art. 2 - En haut et en bas (50 - 56)  Section 2 - Compréhension de la propriété (57 - 123) o Art. 1 - Droit de jouir (59 - 81)  § 1 - Libre utilisation (60 - 63)  § 2 - Libre exploitation (64 - 81)  A - Limites publiques (66 - 68)  B - Limites privées (69 - 81) o Art. 2 - Droit de disposer (82 - 123)  § 1 - Dimension négative (91 - 114)  § 2 - Dimension positive (115 - 123)  Index alphabétique  Actualisation Propriété Alain SÉRIAUX Agrégé des Facultés de Droit juillet 2022 Table des matières Généralités 1 - 43 Sect. 1 - Extension de la propriété 44 - 56 Art. 1 - En long et en large 45 - 49 Art. 2 - En haut et en bas 50 - 56 Sect. 2 - Compréhension de la propriété 57 - 123 Art. 1 - Droit de jouir 59 - 81 § 1 - Libre utilisation 60 - 63 § 2 - Libre exploitation 64 - 81 Art. 2 - Droit de disposer 82 - 123 § 1 - Dimension négative 91 - 114 § 2 - Dimension positive 115 - 123 Bibliographie ATIAS, Droit civil. Les biens, 12e éd., 2014, Litec. – AUBRY et RAU, Droit civil français, t. 2, 7e éd., par ESMEIN, Litec. – BERGEL, CIMAMONTI, ROUX et TRANCHANT, Les biens, 3e éd., 2019, LGDJ. – CARBONNIER, Droit civil, t. 2, Les biens. Les obligations, 2004, PUF Quadrige. – CORNU, Droit civil : Introduction. Les personnes. Les biens, 13 e éd., 2007, Montchrestien. – DROSS, Droit des biens, 5e éd., 2021, LGDJ. – C. GRIMALDI, Droit des biens, 2e éd., 2019, LGDJ. – JOURDAIN, Les biens, 3e éd., 2021, Dalloz. – LARROUMET, Traité de droit civil, t. 2, Les biens, droits réels principaux, 6e éd., 2019, Economica. – MALAURIE, AYNÈS et JULIENNE, Les biens, 9e éd., 2021, LGDJ. – MATHIEU-IZORCHE, Droit civil, Les biens, 3e éd., 2013, Sirey. – H., L. et J. MAZEAUD et CHABAS, Leçons de droit civil, t. 2, 2e vol., Biens, 8e éd., 1994, par CHABAS, Montchrestien. – MEMETEAU, Droit des biens, 12e éd., 2019, Bruylant. – PATAULT, Introduction historique au droit des biens, 1989, PUF. – PLANIOL et RIPERT, Traité pratique de droit civil français, t. 3, 2e éd., 1955, par PICARD, LGDJ. – RIPERT et BOULANGER, Traité de droit civil, t. 2, 1957, LGDJ. – REBOUL-MAUPIN, Droit des biens, 8e éd., 2020, Dalloz. – STRICKLER, Droit des biens, 2017, LGDJ. – TERRÉ et SIMLER, Les biens, 10e éd., 2018, Dalloz. – ZÉNATI-CASTAING et REVET, Les biens, 3e éd., 2008, PUF. ALBIGES, L'obligation d'exploiter un bien, RTD civ. 2014. 795. – ATIAS, Des vocations à la propriété, études P. Catala, 2001, Litec, p. 597 ; Les biens en propre et au figuré : destitution du propriétaire et disqualification de la propriété, D. 2004. Chron. 1459 ; Une propriété sans objet (propriété, vocation et contrat), D. 2007. 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Réponse de la jurisprudence récente éclairée par l'histoire, RTD civ. 2013. 741. – LEGEAIS, Le Conseil constitutionnel, protecteur du droit de propriété, Mélanges Flattet, 1985, Lausanne, p. 61 s. – MALLET-BRICOUT, Fiducie et propriété, Liber amic. Ch. Larroumet, 2010, Economica, p. 297. – MARTIN, La propriété, de haut en bas, D. 2007. Chron. 1977. – MAZEAUD-LEVENEUR, Droit de propriété et liberté du propriétaire d'exploiter ses terres agricoles, écrits J. Foyer, 2008, Économica, p. 719. – MÉLÉDO-BRIAND, Les multiples utilités économiques des biens : approche de la propriété simultanée, Mélanges C. Champaud, p. 467 s. – MESTRE, Le Conseil constitutionnel, la liberté d'entreprendre et la propriété, D. 1984. Chron. 1. – MOUSSERON, RAYNARD et REVET, De la propriété comme modèle, Mélanges Colomer, 1993, p. 281 s. – NAUDET et SERMET, Le droit de propriété garanti par la Convention européenne des droits de l'homme face à l'analyse économique, RRJ 1990. 17. – PÉRINET-MARQUET, La propriété à l'épreuve de la décentralisation, D. 1986. Chron. 127. – RAVANAS, L'image d'un bien saisie par le droit, D. 2000. Chron. 19. – R. SAVATIER, La propriété de l'espace, D. 1965. Chron. 213. – SÉRIAUX, La notion de choses communes. Nouvelles considérations juridiques sur le verbe avoir, Droit et environnement. Propos pluridisciplinaires sur un droit en construction, 1995, PUAM, p. 23 s. ; « Nulle chose sans maître ». Enquête sur un principe cardinal de l'ordre juridique, Mélanges en l'honneur du Professeur Gilles Goubeaux, 2009, LGDJ, p. 483 ; Nul n'est tenu de s'enrichir. Une analyse économique du droit de propriété, Mélanges Bergel, 2013, Bruylant, p. 703. – SERMET, La Convention européenne des droits de l'homme et le droit de propriété, Conseil de l'Europe, Dossier sur les droits de l'homme no 11, 1991. – SUDRE, La protection du droit de propriété par la Cour européenne des droits de l'homme, D. 1988. Chron. 71. – TRÉBULLE, La propriété à l'épreuve du patrimoine commun : le renouveau du domaine universel, Mélanges Malinvaud, 2007, Litec, p. 659. – ZÉNATI, Sur la constitution de la propriété, D. 1985. Chron. 171 ; Pour une rénovation de la théorie de la propriété, RTD civ. 1993. 305 ; La propriété, mécanisme fondamental du droit, RTD civ. 2006. 445. – Droits, RF théorie jurid. : Destin du droit de propriété, 1985, no 1 ; Souveraineté et propriété, 1995, no 22. – Justice et Cassation, 2015, Dossier « La propriété ». – CHAIGNEAU [dir.], Droit comparé et européen, vol. 27, Fonctions de la propriété et commun. Regards comparatistes, 2017, Soc. Lég. 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Élaboration d'un système rationnel des droits patrimoniaux, 1960, LGDJ. – PAPANDRÉOU-DETERVILLE, Le droit anglais des biens, avant-propos C. WITZ, préf. G. SAMUEL, 2004, coll. Bibl. dr. privé, t. 418, LGDJ. – POURQUIER, Propriété et perpétuité. Essai sur la durée du droit de propriété, préf. Ch. ATIAS, 2000, PUAM. – RAVENNE, Les propriétés imparfaites. Contribution à l'étude de la structure du droit de propriété, thèse, Paris-Dauphine, 2007. – RECHT, Le droit d'auteur, une nouvelle forme de propriété, 1969, LGDJ. – RENOUX-ZAGAMÉ, Les origines théologiques du concept moderne de propriété, 1987, Droz. – XIFARAS, La propriété. Étude de philosophie du droit, 2004, PUF. – VULCAIN, Essai sur le concept de propriété, thèse, Paris I, 1980. – ZATTARA, La dimension constitutionnelle et européenne du droit de propriété, préf. R. CABRILLAC, 2001, coll. Bibl. dr. privé, t. 351, LGDJ. – ZÉNATI, Essai sur la nature juridique de la propriété, thèse, Lyon III, 1981. Généralités 1. La propriété comme droit. - Dans toutes les sociétés humaines, les rapports de l'homme aux choses qui l'entourent sont conçus sur le mode de l'appropriation. Posséder est naturel à l'homme, qui peut ainsi projeter ses facultés spirituelles sur l'univers matériel. Les posséder en propre, à titre exclusif, constitue au surplus à la fois une garantie de paix sociale et la sécurité d'une gestion optimale des biens en cause. Mais ces justifications traditionnelles de la propriété privée, auxquelles d'autres, plus modernes, économiques (V. LEPAGE, L'analyse économique et la théorie du droit de propriété, Droits 1985, no 1, p. 9. – NAUDET et SERMET, Le droit de propriété garanti par la Convention européenne des droits de l'homme face à l'analyse économique, RRJ 1990. 17), écologiques (V. GRIMONPREZ, La fonction environnementale de la propriété, RTD civ. 2015. 539 ), sociales (V. FABRE-MAGNAN, Propriété, patrimoine et lien social, RTD civ. 1997. 583 ), anthropologiques (V. ROULAND, Pour une lecture anthropologique et interculturelle des systèmes fonciers, Droits 1985, n o 1, p. 73), sociologiques (V. TERRÉ, Esquisse d'une sociologie du droit de propriété, Ann. Fac. Lille 1966. 417) ou philosophiques (V. DAGOGNET, Philosophie de la propriété. L'avoir, 1992, PUF. – XIFARAS, La propriété. Étude de philosophie du droit, 2004, PUF), pourraient venir s'ajouter, demeureraient assez vaines si cette appropriation ne s'effectuait selon un certain ordre. De justes principes de répartition des choses s'imposent ; ils sont au cœur de tout ordre juridique bien compris. Sans eux, une société ne pourrait jamais devenir ce qu'elle prétend être : une totalité ordonnée. Leur correcte application permet de conférer à chacun le droit de posséder en propre tel ou tel bien, et non tel autre. La propriété apparaît alors comme ce (juste) titre en vertu duquel telle personne est fondée à revendiquer erga omnes un bien ou un ensemble de biens pour sien. 2. Ce titre de propriété ne se confond pas avec le fait de posséder. La possession repose sur des actes matériels d'emprise qu'une personne est amenée à réaliser, par elle-même ou par l'intermédiaire d'une autre. La propriété, en revanche, est une prérogative abstraite (ou idéelle). Nul ne l'a jamais vue ni entendue, car elle n'est pas perceptible par les sens ; seuls nos mots sont aptes à désigner quelqu'un comme propriétaire. Comme toute réalité spécifiquement juridique, la propriété revient à qui est institué comme propriétaire en vertu d'un acte de langage valide, que seule l'intelligence peut concevoir et comprendre. Cette institution prend le plus souvent la forme d'un acte juridique (vente, donation, acceptation d'une succession…) ; elle peut être aussi le fruit d'une emprise physique répétée (usucapion) ou même instantanée (occupation) dont le droit accepte de tirer les conséquences. Mais il s'agit dans tous les cas d'énoncés performatifs qui, moyennant le respect de certaines conditions, réalisent ce qu'ils disent. 3. Comme droit, la propriété a cependant des caractéristiques qui le distinguent d'autres titres juridiques : le droit français contemporain y voit un droit fondamental (V. infra, nos 4 s.) ; plus fondamentalement encore, il s'agit d'un droit réel principal (V. infra, nos 33 s.). A - La propriété, droit fondamental 4. Déclaration des droits de l'homme et code civil. - En droit français, la question de la propriété est, de nos jours encore, dominée par une série de dispositions pratiquement contemporaines les unes des autres qui marquent avec netteté l'accès à la modernité juridique. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, tout d'abord, voit dans la propriété l'un de ces « droits naturels et imprescriptibles de l'homme » dont la conservation est le but de toute association politique (art. 2), un « droit inviolable et sacré » dont « nul ne peut être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » (art. 17). Le code civil de 1804, pour sa part, déclare en son célèbre article 544 que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Immédiatement après, l'article 545 fait écho à l'article 17 de la Déclaration de 1789 en disposant que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ». Le droit de propriété se trouve ainsi magnifié. 5. En 1789, il se voit reconnaître le rôle de pierre d'angle de la constitution de la cité, qui ne saurait se prétendre telle tant que ne s'y trouve point garanti le respect des biens de chacun contre l'arbitraire des détenteurs de la puissance publique. Cinq ans plus tard, lors de déterminer le contenu du droit de propriété, le code civil réunit sur la tête d'une seule personne, le propriétaire, le domaine éminent et le domaine utile, que le système de répartition des pouvoirs sur les choses, hérité de la féodalité, scindait au contraire nettement. Si l'article 544 paraît ainsi renouer avec les conceptions admises en droit romain, c'est néanmoins avec une philosophie bien à lui. Au pater familias, certes seul titulaire mais qui gérait les biens reçus de ses ancêtres pour les transmettre à sa propre descendance après lui, se substitue désormais l'individu-roi, souverain maître de son patrimoine, dont il ne répond plus devant quiconque, sauf peut-être Dieu ou, ce qui revient ici au même, sa conscience. Cette totale liberté n'est encadrée que de l'extérieur par ces abstractions égalitaires que sont les « lois » et les « règlements » (sur ces questions, V. RIALS, La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 1988, Hachette. – ARNAUD, Les origines doctrinales du code civil français, 1969, LGDJ. – VILLEY, Critique de la pensée juridique moderne, 1976, Dalloz, p. 187 s. – MESTRE, La Déclaration des droits de 1789 et la propriété immobilière, RFDC 1996. 227. – RENOUX-ZAGAMÉ, Les origines théologiques du concept moderne de propriété, 1987, Droz ; Du droit de Dieu au droit de l'homme : sur les origines théologiques du concept moderne de propriété, Droits, RF théorie jurid. 1985, n o 1, p. 17 s.). Elle n'a cessé d'être contestée par les tenants d'un modèle plus social de la répartition des biens entre les personnes (V. en dernier lieu : COURET, L'entreprise est-elle réfractaire au droit de propriété ?, D. 2019. 249. – CHAZAL, La propriété privée : une arme qui doit être contrôlée, D. 2019. 2177. – FELDMAN, La propriété privée : une garantie de la liberté qui doit être strictement défendue, D. 2020. 157. – CHAZAL, Propriété et liberté, D. 2021. 1329 ). 6. À l'abri de ces dispositions inaugurales, la conception française de la propriété a sans doute passablement évolué depuis (V. TERRÉ, L'évolution du droit de propriété depuis le code civil, Droits 1985, no 1, p. 33. – CARBONNIER, Le droit de propriété depuis 1914, in Flexible droit, 10e éd., 2001, LGDJ, p. 239. – BERGEL, L'évolution contemporaine du droit de propriété en France, Mél. Béguet, 1985, Univ. de Toulon et du Var, p. 13), donnant parfois lieu à des propositions de rénovation (V. ZÉNATI, Essai sur la nature juridique de la propriété, thèse, Lyon III, 1981 ; pour une rénovation de la théorie de la propriété, chron. RTD civ. 1993. 305. – FRISON-ROCHE et TERRÉ- FORNACCIARI, Quelques remarques sur le droit de propriété, Arch. philo. droit 1990, t. 35, p. 233. – DROSS, Une approche structurale de la propriété, RTD civ. 2012. 419 ). Mais elle demeure malgré tout ce « pilier du droit » (CARBONNIER, Flexible droit, op. cit., 10e éd., 1995, LGDJ, IIIe partie) qu'envisageait déjà CICERON à l'aube de notre ère. « Ceci est en effet le propre d'une cité et d'une ville que librement et sans inquiétude chacun y garde son bien », écrivait le célèbre orateur (Des devoirs, II, 22). 7. Déclaration universelle des droits de l'homme et Convention européenne. - Sans partager le même enthousiasme, nombre de dispositions internationales de l'après-Seconde Guerre mondiale qui se sont données pour tâche de proclamer et de défendre urbi et orbi les droits de l'homme ont reconnu parmi ceux-ci le droit de propriété. En 1948 et en 1950, la Déclaration universelle des droits de l'homme puis la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont certes demeurées silencieuses à ce sujet. À l'époque, la proclamation d'autres droits, plus fondamentaux encore, de l'être humain pouvait bien paraître plus urgente ; il n'était par ailleurs guère opportun de militer en faveur de conceptions de la propriété de nature à rebuter les États d'obédience communiste dont on espérait encore l'adhésion à ces instruments internationaux. Mais cette lacune fut rapidement comblée. Dès 1952, le premier Protocole additionnel complétant la Convention européenne comporte un article 1er dont l'alinéa 1er dispose que « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ». Afin, toutefois, de tenir compte de la réelle diversité d'approches de la propriété au sein de chacun des États signataires, un alinéa 2 édicte une règle modératrice selon laquelle « les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ». L'essentiel était ainsi dit et n'a pas été remis en cause depuis. 8. Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. - L'Union européenne s'est laissée gagner aux idées de la Convention. Elle voit dans le droit de propriété l'un des droits fondamentaux dont la Cour de justice des Communautés assure le respect (CJCE 13 déc. 1979, aff. C-44/79, Hauer c/ Reinhard-Pfalz, Rec. 3727), ou encore le « complément nécessaire » de la liberté d'établissement (V. CJCE 30 mai 1989, Commission c/ Grèce, aff. C-305/47, Rec. 1461. – CJCE 1er juin 1999, Konle c/ Autriche, aff. C-302/97 , Rec. 3099). Surtout, elle a inséré ce droit au sein de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne officiellement proclamée les 7- 9 décembre 2000 (Charte no 2000/C 634/01 du 18 déc. 2000, D. 2001. 1483 ). L'alinéa 1er de l'article 17 de la Charte prévoit en effet que « toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu'elle a acquis légalement, de les utiliser, d'en disposer et de les léguer ». Il est en outre précisé que « nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L'usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l'intérêt général ». 9. L'idée que la propriété est un droit fondamental a ainsi pris corps en droit positif. Mais ces diverses proclamations seraient demeurées lettre-morte si n'avaient été mis en place peu à peu des moyens juridictionnels de les rendre effectives. Les uns sont d'origine nationale (V. infra, nos 10 s.), les autres d'origine internationale (V. infra, nos 22 s.). 1° - Dispositif de protection d'origine nationale 10. Protection contre le pouvoir exécutif : domaine de la loi. - En France, par tradition, la propriété est surtout protégée contre les atteintes du pouvoir exécutif. C'est dans ce but que la Constitution du 4 octobre 1958 réserve au domaine de la loi la détermination des « principes fondamentaux du régime de la propriété » (art. 34, al. 3). Chargé de veiller au respect de la Constitution par le législateur, le Conseil constitutionnel pose le principe selon lequel les atteintes à la propriété ne peuvent être justifiées que si elles résultent d'une loi, non d'un simple décret, en raison de la compétence que l'article 34 de la Constitution réserve ici au législateur (Cons. const. 13 août 2015, no 2015-718 DC , JO 18 août ; AJDA 2015. 1567 ; Constitutions 2015. 607, chron. Lormeteau ; JCP 2015. 1221, no 1, obs. Périnet-Marquet). 11. Compétence des tribunaux judiciaires. - Selon une jurisprudence bien assise, c'est en principe à l'autorité judiciaire que revient compétence exclusive pour veiller à la protection de la propriété privée (V. Req. 17 déc. 1895, S. 1897. 1. 492. – Civ. 11 janv. 1898, DP 1904. 1. 265. – Civ. 4 août 1915, DP 1921. 1. 15. – Civ. 18 avr. 1931, DH 1931. 349 : « Les actions dérivant du droit de propriété sont, par leur nature même, de la compétence des tribunaux judiciaires ». – V. aussi, pour le droit de propriété d'un brevet d'invention, CE 19 mai et 15 nov. 1922, 26 janv. 1923, DP 1923. 3. 5), immobilière en particulier (Civ. 1re, 19 juin 1963, Bull. civ. I, no 335. – Civ. 1re, 9 avr. 1970, Bull. civ. I, no 110). Ici, toutefois, sauf en ce qui concerne la propriété immobilière (V. Cons. const. 25 juill. 1989, no 89-256 DC , JO 28 juill.), le Conseil constitutionnel refuse de voir dans cette compétence un principe de valeur constitutionnelle (Cons. const. 23 janv. 1987, no 86-224 DC , Conseil de la concurrence, JO 25 janv. ; AJDA 1987. 315, note Chevallier ; RD publ. 1987. 1341, note Gaudemet ; D. 1988. 117, note Luchaire. – Cons. const. 16 janv. 1982, JO 17 janv., D. 1983. 169, note Hamon ; JCP 1982. II. 19788, note Nguyen Quoc Vinh et Franck ; Gaz. Pal. 1982. 1. 67, note Piedelièvre et Dupichot. – GAÏA, GHEVONTIAN, MELIN-SOUCRAMANIEN, OLIVA et ROUX, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 17 e éd., 2013, Dalloz, no 6). De plus, s'agissant d'atteintes émanant de l'Administration, le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires a conduit le Tribunal des conflits à n'accorder compétence exclusive aux juridictions de l'ordre judiciaire qu'en cas de voie de fait (T. confl. 12 nov. 1881, DP 1883. 3. 22. – Req. 17 déc. 1895, préc. supra, no 11. – Civ. 5 août 1901, DP 1901. 1. 105. – T. confl. 16 nov. 1901, DP 1903. 3. 21. – CE 31 juill. 1903, DP 1905. 3. 4. – T. confl. 16 mai 1904, DP 1906. 3. 103. – CE 22 juill. 1910, DP 1912. 3. 101. – T. confl. 24 juill. 1947, D. 1947. 414, note Fréjaville). La simple emprise irrégulière, en revanche, demeure de la compétence du juge administratif. La jurisprudence de la Cour de cassation va dans le même sens (Civ. 1re, 9 avr. 1970, préc. supra, no 11. – Civ. 1re, 9 févr. 1971, Bull. civ. I, no 46. – Civ. 1re, 11 déc. 1979, JCP 1981. II. 19501, note Auby. – Civ. 1re, 1er oct. 1985, Bull. civ. I, no 243. – Civ. 1re, 17 janv. 1995, no 93-12.625 , Bull. civ. I, no 40 ; D. 1997. 19, obs. Robert ; RDI 1995. 283, obs. Bergel. – Civ. 1re, 9 janv. 2007, no 05-15.439 , Bull. civ. I, no 11 ; AJDA 2007. 932 ; AJDI 2007. 225 ; RDI 2007. 346, obs. Gavin-Millan- Oosterlynck. – Civ. 1re, 15 juin 2016, no 15-21.628 , Bull. civ. I, no 134 ; AJDA 2016. 1267 ; RTD civ. 2016. 889, obs. Dross ; JCP 2016. 2054. Doctr. 1191, no 1, obs. Perinet-Marquet). 12. Notion de voie de fait. - Seule susceptible d'autoriser les juges judiciaires à contrôler l'activité administrative, la voie de fait a toujours été considérée comme exceptionnelle. Le Tribunal des conflits a longtemps estimé que la voie de fait administrative supposait un acte « manifestement insusceptible » de se rattacher à l'exercice d'un pouvoir appartenant à l'Administration (T. confl. 15 avr. 1991, no 2654, Lebon ; AJDA 1991. 736, obs. Hécquard-Théron ; D. 1991. 169 ). Il ne suffisait pas, notamment, que la mesure prise fût illégale (T. confl. 20 juin 1994, no 2932 , Lebon ; AJDA 1994. 556 ; AJDA 1994. 496, chron. Maugüé et Touvet ; D. 1995. 193, note Didier ; D. 1994. 212 ; Gaz. Pal. 1994. 2. 571, concl. Abraham, note Petit. – T. confl. 12 mai 1997, no 03056 , Lebon ; AJDA 1997. 635 ; AJDA 1997. 575, chron. Chauvaux et Girardot ; D. 1997. 567, note Legrand ; RFDA 1997. 514, concl. Arrighi de Casanova ; RTD civ. 1998. 181, obs. Normand ; Gaz. Pal. 1997. 1. 386, concl. Arrighi de Casanova). La Cour de cassation lui faisait écho : elle affirmait que « la voie de fait suppose que l'action de l'Administration ait porté une atteinte grave à la propriété privée » (Civ. 1re, 1er déc. 1999, no 97-20.817 , JCP 2000. II. 10422, note du Rusquec) et que cette action soit « insusceptible de se rattacher à un pouvoir conféré par la loi » (Civ. 1re, 16 mars 1999, no 97-16.244 , Bull. civ. I, no 104 ; D. 1999. 116 ; JCP 1999. I. 175, no 4, obs. Périnet-Marquet. – Civ. 3e, 21 févr. 2007, no 06-10.071 , Bull. civ. III, no 31 ; AJDA 2007. 991 ; AJDI 2007. 501 ; RDI 2007. 344, obs. Gavin- Millan-Oosterlynck ). 13. Toutefois, depuis une loi no 2000-597 du 30 juin 2000 (D. 2000. 304), la procédure de référé est aussi organisée devant les juridictions administratives, qui se montrent sur ce terrain aussi bonnes gardiennes des libertés individuelles que leurs homologues judiciaires (CE 29 mars 2002, SCI Stephaur, req. no 243338 , Lebon ; AJDA 2003. 345, note Grosieux ; D. 2003. 1115, note Martin ; RFDA 2003. 370, étude Pez ; RFDA 2003. 386, note Lequette ; JCP 2002. II. 10179, note Zarka. – V. aussi : CE 2 juill. 2003, Sté Outremer Finance limited, req no 254536 , Lebon ; AJDA 2003. 1780, concl. Bachelier ; RTD civ. 2004. 324, obs. Crocq ; JCP 2003. II. 10180, note J. Martin et Nandeau ; JCP 2004. I. 125, no 1, obs. Périnet-Marquet : à propos de l'immobilisation au sol, par un créancier, d'avions qui n'appartiennent pas à son débiteur). Aussi le Conseil d'État, dans un arrêt du 23 janvier 2013 (CE 23 janv. 2013, Cne de Chirongui, req. no 365262 , Lebon ; AJDA 2013. 199 ; AJDA 2013. 788, chron. Domino et Bretonneau ; D. 2013. 368, obs. de Montecler ; RFDA 2013. 299, note Delvolvé ; JCP A 2013. 2047, note Pauliat ; JCP A 2013. 2048, note Le Bot ), n'a pas hésité à considérer que « sous réserve que la condition d'urgence soit remplie, il appartient au juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'administration de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d'une liberté fondamentale, quand bien même cette atteinte aurait le caractère d'une voie de fait ». 14. Le Tribunal des conflits (T. confl. 17 juin 2013, C3911, Bull. civ., no 11 ; D. 2014. 1844, obs. Mallet-Bricout et Reboul-Maupin ; JCP 2013. 1057, note Biagini-Girard ; JCP 2013. 1060, no 2, obs. Périnet-Marquet), bientôt suivi par la Cour de cassation (Civ. 1re, 13 mai 2014, no 12-28.248 , Bull. civ. I, no 87 ; AJDA 2014. 1006 ; D. 2014. 1155 ; AJCT 2014. 506, obs. Juilles. – Civ. 1re, 15 oct. 2014, no 13-27.484 , Bull. civ. I, no 168 ; D. 2015. 1863, obs. Neyret et Reboul-Maupin. – Civ. 3e, 11 mars 2015, no 13-24.133 , Bull. civ. III, no 32 ; AJDA 2015. 1301 ; D. 2015. 685 ; D. 2015. 1863, obs. Neyret et Reboul-Maupin ; AJDI 2015. 704, obs. Le Rudulier ; AJDI. 2017. 415, étude Borel. – Rappr. : Cass., ass. plén., 19 juin 2015, no 13- 19.582 , D. 2015. 1368 ; RDI 2015. 406, obs. Hostiou ; JCP 2015. 909, note Libchaber) en ont tiré les conséquences en adoptant une formulation encore plus stricte de la voie de fait. Il n'y a, précise le Tribunal des conflits, voie de fait de la part de l'Administration « que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, […] aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets […] d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ». Ainsi, seule l'extinction d'un droit de propriété par l'effet, tantôt d'une mesure irrégulière d'exécution forcée, tantôt d'une décision manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir propre à l'Administration, est désormais susceptible de constituer une atteinte à la propriété relevant de la voie de fait. Tel n'est pas le cas, selon les arrêts précités, d'une simple implantation, même sans titre, d'un ouvrage public sur un domaine privé, de la suppression de signes distinctifs de la limite entre une rue et une terrasse privée ou de l'implantation de deux pylônes d'une ligne électrique aérienne devant survoler des parcelles non bâties, aucune de ces mesures n'ayant pour effet de supprimer un droit de propriété (V. encore : Civ. 3e, 18 janv. 2018, no 16-21.993 , Bull. civ. III, no 6 ; D. 2018. 172 ; AJDA 2018. 136 ; AJDI 2018. 545, obs. Le Rudulier : travaux d'aménagements d'une parcelle en parking, piste cyclable et espace vert. – Civ. 3e, 24 oct. 2019, no 17-13.550 , D. 2019. 2096 ; D. 2020. 1761, obs. Y. S. ; AJDA 2019. 2153 ; AJDI 2020. 227, obs. Cohet ; RDI 2020. 80, obs. Ripoche ; JCP 2020. Doctr. 648, no 4, obs. Perinet-Marquet ; Procédures 2020. Comm. 7, obs. Strickler : abattage d'une haie. – Comp. : Civ. 1re, 5 févr. 2020, no 10-11.864, RDI 2020. 379, obs. Ripoche ; JCP 2020. Doctr. 648, no 4, obs. Perinet-Marquet : arrachage d'arbres). 15. Prérogatives judiciaires en cas de voies de fait. - Les prérogatives reconnues par la jurisprudence aux juges judiciaires pour faire cesser le trouble occasionné par l'Administration restent aujourd'hui les mêmes que par la passé. Il est d'abord admis que la seule allégation d'une voie de fait suffit à justifier la compétence exceptionnelle des tribunaux judiciaires pour apprécier, le cas échéant, la validité des dispositions sur le fondement desquelles sont intervenus les actes critiqués (Civ. 1re, 15 janv. 1975, D. 1975. 671, note Drago). Cette allégation fonde de même l'intervention du juge des référés, apte à faire cesser d'urgence un risque imminent de dommage ou un trouble manifestement illicite. En outre, la preuve de la voie de fait ou de l'emprise irrégulière autorise les juridictions de l'ordre judiciaire à condamner l'Administration à réparer l'ensemble des préjudices découlant de l'atteinte à la propriété (Civ. 1re, 12 juin 1990, no 89-11.632 , Bull. civ. I, no 163 ; D. 1991. 308, obs. A. Robert. – Civ. 1re, 9 janv. 2007, préc. supra, no 11). La Cour de cassation a précisé que cette condamnation était susceptible d'intervenir sur « la seule constatation » de la voie de fait (Civ. 3e, 9 sept. 2009, no 08-11.154 , D. 2009. 2220, obs. Forest ; D. 2010. 49, obs. Brun et Gout ; AJDI 2010. 329, obs. Hostiou ; AJDI 2010. 113, chron. Gilbert ; AJDI 2011. 111, chron. Gilbert ; AJDA 2009. 1639 ; RDI 2009. 583, obs. Morel ; Dr. et patr. 1/2010. 71, obs. Seube et Revet ; RLDC 2010. 456, obs. Bloch. – Civ. 1re, 15 juin 2016, no 15-21.628 , Bull. civ. I, no 134 ; AJDA 2016. 1267 ; RTD civ. 2016. 889, obs. Dross ; JCP 2016. 2054, no 1, obs. Perinet-Marquet), quitte à évaluer ensuite le préjudice effectivement subi. Sous l'impulsion du Tribunal des conflits (T. confl. 6 mai 2002, no 02-03.287 , Bull. T. confl., no 10), la Cour de cassation admet encore qu'en cas de voie de fait, les juridictions civiles sont compétentes pour ordonner la destruction de l'ouvrage public faisant grief, dès lors « qu'aucune procédure de régularisation appropriée n'a été engagée » (Civ. 3e, 30 avr. 2003, no 01-14.148 ; D. 2003. 1932, note Petit ; AJDI 2003. 613, obs. Abram ; RDI 2003. 571, obs. Bruschi ; RFDA 2003. 484, note Lavialle. – Civ. 1re, 28 juin 2005, nos 03-14.165 et 03-19.308 , Bull. civ. I, n 287 ; D. 2005. 1962 ; AJDI 2005. 761 ; AJDI 2005. 288. – Civ. 3e, os 12 juill. 2006, no 05-16.107 , Bull. civ. III, no 173 ; D. 2006. 2127 ; AJDI 2007. 412, obs. de La Vaissière ). Le Conseil d'État a une position plus en retrait, qui estime qu'on ne peut démolir que si une régularisation appropriée est impossible et si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général (CE 29 janv. 2003, Synd. départ. de l'électricité et du gaz des Alpes-Maritimes c/ Cne de Clans, req. no 245239 , Lebon ; AJDA 2003. 784, note Sablière ; RFDA 2003. 477, concl. Maugüé ; RFDA 2003. 484, note Lavialle ; JCP 2003. I. 172, no 1, obs. Périnet- Marquet). L'ancien principe selon lequel « il n'appartient en aucun cas à l'autorité judiciaire de prescrire aucune mesure de nature à porter atteinte, sous quelque forme que ce soit, à l'intégrité ou au fonctionnement d'un ouvrage public » (T. confl. 6 févr. 1956, Cts Sauvy, Lebon 586) est donc aujourd'hui abandonné. 16. Protection contre le pouvoir législatif. - Le principe d'une protection du droit de propriété contre les atteintes émanant du pouvoir législatif a été plus récemment dégagé. Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, appelé à statuer sur la conformité des lois au « bloc de constitutionnalité », soit avant leur promulgation, soit après leur entrée en vigueur par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité. En 1982, à l'occasion de l'examen des lois sur les nationalisations, le Conseil constitutionnel a confirmé que le droit de propriété avait en France un caractère constitutionnel. « Les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme ont pleine valeur constitutionnelle, tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l'un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression, qu'en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit », a- t-il décidé (Cons. const. 16 janv. 1982, no 81-132 DC , préc. [supra, no 11], consid. no 30). Par la même décision, le Conseil reconnaissait le caractère constitutionnel de la liberté d'entreprendre, qu'il considère au fond comme la dimension dynamique du droit de propriété (V. encore : Cons. const. 7 déc. 2000, Arthuis, no 2000-436-DC , JO 14 déc. ; AJDA 2001. 18, note Schoettl ; D. 2001. 1840, obs. Favoreu ; D. 2001. 1841, obs. Fatin-Rouge ). L'éventualité d'une déclaration d'inconstitutionnalité d'une loi portant atteinte au droit de propriété ou à la liberté d'entreprendre est donc ainsi nettement posée (V. BON, Le statut constitutionnel du droit de propriété, RFDA 1989, no 6. – BOUYSSOU, Les garanties supra-législatives du droit de propriété, D. 1984. Chron. 231. – CHÉROT, La protection de la propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Mél. Mouly, 1998, Litec, t. 1, p. 405. – COLLY, Le Conseil constitutionnel et le droit de propriété, RD publ. 1988. 135. – FAVOREU, Le droit de propriété dans la déclaration de 1789, in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, 1989, PUF, p. 123. – LEGEAIS, Le Conseil constitutionnel, protecteur du droit de propriété, Mél. Flattet, 1985, Lausanne, p. 61. – MESTRE, Le Conseil constitutionnel, la liberté d'entreprendre et la propriété, D. 1984. Chron. 1. – MOLFESSIS, Le Conseil constitutionnel et le droit privé, préf. GOBERT, 1997, coll. Bibl. dr. privé, t. 287, LGDJ, nos 59 s. – SAVY, La constitution des juges, D. 1983. Chron. 105. – ZÉNATI, Sur la constitution de la propriété, D. 1985. Chron. 171). 17. La protection de la propriété se trouve encore renforcée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme qui, selon l'interprétation qu'en fait le Conseil constitutionnel, garantit « le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que le principe du contradictoire » (Cons. const. 23 juill. 1999, no 99-416 DC , JO 28 juill. ; AJDA 1999. 738 ; AJDA 1999. 700, note Schoettl ; D. 2000. 422, obs. Gay ; D. 2000. 265, obs. Marino ; D. 2000. 423, obs. Fatin-Rouge ; RTD civ. 1999. 724, obs. Molfessis ). Il en résulte que le propriétaire dont le droit est mis en cause par une disposition législative doit se voir reconnaître en même temps le moyen de se défendre, faute de quoi l'atteinte à son droit sera ipso facto déclarée inconstitutionnelle. La solution a été en particulier admise en cas de confiscation (V. Cons. const. 13 janv. 2012, no 2011-208 QPC , JO 14 janv. ; D. 2012. 449, point de vue Berr ; AJ pénal 2012. 232, obs. Roussel , à propos du droit douanier de confiscation de marchandises. – Cons. const. 23 avr. 2021, no 2021-899 QPC ; D. 2021. 801 ; D. 2021. 1509, obs. Strickler et Reboul-Maupin ; D. 2021. 2109, obs. Roujou de Boubée, Garé, Ginestet, Gozzi, Mirabail et Tricoire. – Cons. const. 24, nov. 2021, no 2021-949 QPC, D. 2021. 2136 : confiscation d'un bien commun à deux époux dont un seul est l'auteur de l'infraction). 18. Limites à la protection. - Même si le Conseil constitutionnel a eu l'occasion d'affirmer que l'article 544 du code civil « ne méconnaît par lui-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit » (Cons. const. 30 sept. 2011, no 2011-169 QPC , JO 1er oct. ; D. 2012. 2128, obs. Mallet-Bricout et Reboul-Maupin ; AJDI 2011. 885, obs. Le Rudulier ; AJDI 2012. 487, chron. Zitouni ; AJCT 2012. 51, obs. Aubin ), il ne s'ensuit pas pour autant qu'il confère une valeur absolue au droit de propriété. Il admet au contraire depuis longtemps qu'un tel droit doit être apprécié « dans le cadre des limitations de portée générale qui y ont été introduites par la législation antérieure pour permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique dans les relations contractuelles entre particuliers » (Cons. const. 27 nov. 1959, D. 1960. 533, note Hamon, S. 1960. 102, note Giffard). Le pouvoir de limitation a d'ailleurs lui-même un caractère constitutionnel : dans sa décision de 1982, (préc. supra, nos 11 et 16), le Conseil reconnaît « pleine valeur constitutionnelle » tout à la fois aux « garanties données aux titulaires du droit [de propriété] » et aux « prérogatives de la puissance publique », laquelle détient, par principe, d'après l'article 17 de la Déclaration de 1789, le droit d'exproprier les particuliers pour cause d'utilité publique. 19. De plus, le Conseil constitutionnel n'admet de ne censurer que les atteintes les plus graves au droit de propriété : celles qui se traduisent par une privation de propriété ou, du moins, celles qui ne sont pas justifiées par un motif d'intérêt général ou s'avèrent disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi, apportant ainsi à l'exercice du droit de propriété des limitations si graves qu'elles dénaturent « le sens et la portée de ce droit » (MONTGOLFIER, Le Conseil constitutionnel et la propriété privée des personnes privées, Cah. Cons. const. 2011, no 31). Le Conseil apprécie ces conditions au cas par cas, ce qui le conduit tantôt à admettre (V. par ex. : Cons. const. 21 mars 2014, no 2014-375 QPC , D. 2014. 730 ; D. 2014. 1844, obs. Mallet-Bricout et Reboul- Maupin ; D. 2015. 1457, obs. Gay et Mangiavillano : à propos de la procédure de saisie de matériel de pêche et de navire en cas d'infraction en matière de pêche. – Cons. const. 7 déc. 2000, préc. supra, no 16 : à propos d'autorisations administratives de changement d'activité), tantôt à écarter (V. par ex. : Cons. const. 12 nov. 2010, no 2010-60 QPC , D. 2011. 652, note Cheynet de Beaupré ; D. 2011. 2298, obs. Mallet-Bricout et Reboul-Maupin ; RDI 2011. 99, obs. Tranchant ; RTD civ. 2011. 144, obs. Revet : à propos de la cession forcée de mitoyenneté. – Cons. const. 10 nov. 2011, no 2011-193 QPC , RTD civ. 2012. 342, obs. Revet : à propos de l'extinction des servitudes foncières en Alsace-Moselle. – Cons. const. 20 mars 2014, no 2014-691 DC , AJDA 2014. 655 ; D. 2014. 1844, obs. Mallet-Bricout et Reboul- Maupin ; AJDI 2014. 325 , point de vue de La Vaissière ; Constitutions 2014. 169, chron. Bachschmidt ; Constitutions 2014. 364, chron. De Baecke , à propos de mesures protectrices des locataires. – Cons. Const. 7 mai 2020, no 2020-837 QPC, D. 2020. 981 ; D. 2020. 1541, obs. Dumont ; D. 2020. 1761, obs. Reboul-Maupin et Strickler ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. Morgantini et Rubellin : à propos de la revalorisation des loyers de certains baux commerciaux) le grief d'inconstitutionnalité. De même, certains « objectifs de valeur constitutionnelle » sont susceptibles de contrebalancer le droit constitutionnel de propriété (Cons. const. 29 juill. 1998, no 98-403 DC , JO 31 juill. ; AJDA 1998. 739 ; AJDA 1998. 705, note Schoettl ; D. 1999. 269, note Sabete ; D. 2000. 61, obs. Trémeau ; RDSS 1998. 923, obs. Badel, Daugareilh, Laborde et Lafore ; RTD civ. 1998. 796, obs. Molfessis ; RTD civ. 1999. 132, obs. Zenati ; RTD civ. 1999. 136, obs. Zenati. – Et Cons const. 30 sept. 2011, préc. supra, no 18 : l'une et l'autre à propos du droit à un logement décent). Le caractère trop général des dispositions portant atteinte à la propriété permet en particulier de considérer que ces dispositions sont disproportionnées (Cons. const. 12 mars 2021, no 2020-888 QPC , D. 2021. 526 ; D. 2021. 750, point de vue Reboul-Maupin ; D. 2021. 1257, obs. Lemouland et Noguéro ; D. 2021. 1509, obs. Strickler et Reboul-Maupin ; D. 2021. 2064, obs. Godechot-Patris ; AJ fam. 2021. 230 , pratique Pollet ; AJ fam. 2021. 231 , pratique Casey ; RDSS 2021. 455, note Niemiec ; RTD civ. 2021. 385, obs. Leroyer ; RTD civ. 2021. 464, obs. Grimaldi : à propos de l'interdiction de recevoir des libéralités pour les personnes assistant certaines personnes vulnérables). 20. Notion constitutionnelle de propriété. - Soucieux d'élargir autant que possible le domaine de la protection des droits fondamentaux, le Conseil constitutionnel se fait une conception assez extensive du droit de propriété (V. MOLFESSIS, op. cit., no 103). Il y inclut notamment les droits sur des actions (Cons. const. 16 janv. 1982, préc. supra, nos 11 et 16. – Cons. const. 11 févr. 1982, no 82-139 DC , D. 1983. 169, note Hamon ; JCP 1982. II. 19788, note Nguyen Quoc Vinh et Franck ; Gaz. Pal. 1982. 1. 67, note Piedelièvre et Dupichot. – Cons. const. 19-20 juill. 1983, JO 22 juill. ; Rec. 49. – Cons. const. 3 août 1994, no 94-347 DC , JO 6 août ; D. 1995. 350, obs. Trémeau. – Cons. const. 9 avr. 1996, no 96-373 DC , JO 13 avr. ; AJDA 1996. 371, note Schrameck ; D. 1998. 156, obs. Trémeau ; D. 1998. 145, obs. Car ; D. 1998. 147, obs. Roux ; D. 1998. 153, obs. Renoux ; RFDA 1997. 1, étude Moderne ), des droits de créance (Cons. const. 29 déc. 1999, no 99-425 DC , JO 31 déc. ; AJDA 2000. 43, note Schoettl ; RFDA 2000. 289, note Mathieu : indemnisation des porteurs d'emprunts russes. – Cons. const. 6 févr. 2015, no 2014-449 QPC , JO 8 févr., AJDA 2015. 246 ; D. 2015. 319 ; D. 2015. 1863, obs. Neyret et Reboul- Maupin ; D. 2015. 2145, obs. Martin et Synvet ; JCP 2015. 362, note Roussille : portefeuille de contrats d'assurance) et les droits intellectuels (Cons. const. 8 janv. 1991, no 90-283 DC , JO 10 janv., p. 524, Rec. 11 ; AJDA 1991. 382, note Wachsmann ; Dr. soc. 1991. 332, étude Tabuteau ; RDSS 1991. 204, étude Cayla : marques de fabrique. – Cons. const. 27 juill. 2006, no 2006-540 DC , JO 3 août, D. 2006. 2157, chron. Castets-Renard ; D. 2006. 2878, chron. Magnon ; D. 2007. 1166, obs. Bernaud, Gay et Severino ; RTD civ. 2006. 791, obs. Revet ; RTD civ. 2007. 80, obs. Encinas de Munagorri : droit d'auteur et droits voisins). Il fait valoir à cette fin que « les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi, depuis 1789, une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux ; que, parmi ces derniers figurent les droits de propriété intellectuelle et notamment le droit d'auteur et les droits voisins » (Cons. const. 27 juill. 2006, préc. supra). Mais le Conseil n'est pas allé jusqu'à protéger sous l'égide du droit de propriété des autorisations d'exploiter des services de transports publics de personnes (Cons. const. 30 déc. 1982, JO 31 déc.), ni un privilège professionnel (Cons. const. 10 janv. 2001, no 2000-440 DC , JO 17 janv. ; D. 2002. 1946, obs. Car : courtiers interprètes et conducteurs de navire). Il a de même considéré que « les autorisations de recherche minière accordées dans des périmètres définis et pour une durée limitée par l'autorité administrative ne sauraient être assimilées à des biens objets pour leurs titulaires d'un droit de propriété » (Cons. const. 11 oct. 2013, no 2013-346 QPC , JO 13 oct., AJDA 2013. 2005 ; D. 2013. 2344 ; D. 2013. 2586, point de vue Laffaille ; D. 2014. 104, obs. Trébulle ; D. 2014. 1844, obs. Mallet-Bricout et Reboul-Maupin ; JCP 2014. 467, no 1, obs. Périnet-Marquet). 21. Jurisprudence judiciaire. - Dans son rôle d'unification du droit interne par voie d'interprétation, la Cour de cassation se fait aussi de la propriété une conception élevée. À la fin des années 1960, à propos des nationalisations d'exploitations agricoles réalisées par le nouveau gouvernement d'Algérie après l'accès de ce pays à l'indépendance, elle a estimé « qu'aucun effet de droit ne peut être reconnu en France à une dépossession opérée par un État étranger sans qu'une indemnité équitable soit préalablement fixée » et qu'à défaut de remplir cette condition, une telle mesure est contraire à l'ordre public français (Civ. 1re, 4 mai 1970, Bull. civ. I, no 149). Le même souci de protection efficace du droit de propriété l'a conduite à décider que « l'atteinte au droit de propriété constituait par elle-même une voie de fait et causait un trouble manifestement illicite que le juge des référés avait le devoir de faire cesser », quelles que soient les raisons invoquées par l'auteur de l'atteinte pour se justifier (Civ. 3e, 22 mars 1983, Bull. civ. III, no 83. – Rappr. Civ. 3e, 17 juill. 1973, Bull. civ. III, no 486). Enfin, elle n'hésite pas à indiquer que « le droit de propriété est un droit fondamental de valeur constitutionnelle », pour mieux asseoir des solutions qui pourraient tout aussi bien se passer d'une telle affirmation. Ainsi l'a-t-elle fait pour casser un arrêt qui avait obligé une femme mariée à donner à bail rural à son mari une parcelle qu'elle possédait en propre (Civ. 1re, 4 janv. 1995, no 92-20.013 , Bull. civ. I, no 4 ; D. 1995. Somm. 328, obs. Grimaldi ; RTD civ. 1996. 932, obs. Zénati ; RTD civ. 1996. 969, obs. Vareille ; RTD civ. 1996. 971, obs. Vareille ; RTD civ. 1996. 972, obs. Vareille ; JCP 1996. I. 3921, no 1, obs. Périnet-Marquet) et pour approuver une cour d'appel d'avoir enjoint une commune de faire cesser une voie de fait (Civ. 1re, 28 nov. 2006, no 04-19.134 , Bull. civ. I, no 529 ; AJDA 2006. 2421 ; AJDI 2007. 224 ; JCP 2007. I. 117, no 7, obs. Périnet-Marquet). Avec l'introduction, par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique du 10 décembre 2009, de la question prioritaire de constitutionnalité, la Cour de cassation, à l'instar du Conseil d'État, est d'ailleurs appelée à jouer un rôle de filtre qui ne fera qu'accroître sa possibilité de reconnaître et de préciser le caractère constitutionnel du droit de propriété tel que défini par l'article 544 du code civil. 2° - Dispositif de protection d'origine internationale 22. Contrôle de conventionnalité du droit français. - La Cour européenne des droits de l'homme veille à ce que le droit « européen » de propriété soit respecté tant par nos lois que par nos règlements. C'est aussi le cas des deux ordres français de juridictions qui, en s'appuyant sur l'article 55 de notre Constitution, admettent depuis de nombreuses années l'application directe, dans notre pays, des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des divers Protocoles qui lui ont été adjoints. Sur ce terrain, l'emploi de l'article 1er du Protocole no 1 et du droit pour chacun au respect de ses biens que cette disposition proclame est devenu de plus en plus fréquent à partir des années 1990, contribuant ainsi à renouveler en profondeur la portée du droit fondamental de propriété. Ce renouvellement est d'autant plus notable que la Cour de cassation et le Conseil d'État se trouvent dans la nécessité, sinon juridique du moins politique, de suivre l'interprétation « autorisée » que la Cour européenne des droits de l'homme donne de cet article 1er. Or, sur cette base, la Cour a développé une jurisprudence à la fois audacieuse et nuancée (V. SERMET, La Convention européenne des droits de l'homme et le droit de propriété, Conseil de l'Europe, Dossier sur les droits de l'homme, no 11, 1991. – SUDRE, La protection du droit de propriété par la Convention européenne des droits de l'homme, D. 1988. Chron. 71). 23. Notion de « biens » au sens de l'article 1er du Protocole no 1 : jurisprudence européenne. - La Cour européenne des droits de l'homme se fait d'abord une conception extensive de l'objet de l'atteinte éventuellement condamnable. Il s'agit non seulement du droit de propriété sur des biens meubles ou immeubles, mais encore de tout droit sur une chose, comme le droit de chasser (CEDH 29 avr. 1999, req. no 25088/94 , req. nos 28331/95 et 28443/95, AJDA 1999. 922, note Priet ; AJDA 2000. 526, chron. Flauss ; D. 1999. 163 ; D. 1999. 389, chron. Charollois ; D. 2000. 141, chron. Alfandari ; RFDA 1999. 451 et les obs. ; RTD civ. 1999. 913, obs. Marguénaud ; RTD civ. 2000. 360, obs. Revet ; RFDA 1999. 451 , RFDA 1999. 811, note Andriantsimbazovina ; JCP 1999. II. 10172, note Malafosse) ou celui de construire (CEDH 18 nov. 2010, req. nos 18990/07 et 23905/07, AJDA 2011. 1265, note Caumes ; AJDA 2010. 2236 ; D. 2011. 2298, obs. Mallet-Bricout et Reboul- Maupin ; D. 2011. 2694, obs. Trébulle ; RFDA 2011. 987, chron. Labayle et Sudre ; RTD civ. 2011. 150, obs. Revet ; JCP 2011. 94, no 23, obs. Sudre) et, au- delà, de tout droit sur des « biens industriels » : clientèle, puisqu'elle est le fruit du travail (CEDH 26 juin 1986, Cah. dr. eur. 1988. 446, obs. Cohen-Jonathan ; AFDI 1987. 239, obs. Coussirat-Coustère ; JDI 1987. 785, obs. Rolland et Tavernier) ; propriété intellectuelle « en tant que telle » (CEDH 11 oct. 2005, req. no 73049/01, RTD eur. 2008. 405, chron. Schmidt-Szalewski ; JCP 2006. I. 109, no 15, obs. Sudre. – CEDH 16 avr. 2019, req. no 19965/06, JCP 2019, no 412, obs. Surrel). La Cour européenne des droits de l'homme inclut encore dans la notion de « biens » au sens du Protocole no 1 tout droit, même personnel, à caractère patrimonial : actions ou parts d'une société (CEDH 25 juill. 2002, req. no 48553/99 , D. 2003. 2275, obs. Bîrsan ; JCP 2003. I. 109, no 24, obs. Sudre) ; créances d'indemnisation (CEDH 20 nov. 1995, req. no 17849/91 , RTDH 1996. 577. – CEDH 6 oct. 2005, req. no 1513/03 , AJDA 2005. 1924, obs. De Montecler ; D. 2005. 2546, obs. De Montecler ; D. 2006. 1200, obs. Galloux et Gaumont-Prat ; RDSS 2006. 149, obs. Hennion-Jacquet ; RTD civ. 2005. 743, obs. Marguénaud ; RTD civ. 2005. 798, obs. Revet ; JCP 2006. II. 10061, note Zollinger. – CEDH 26 sept. 2006, req. no 57516/00 , AJDA 2006. 1752 ; D. 2007. 545, note Hugon ), surtout si celle-ci résulte d'une atteinte à la propriété comme une réquisition (CEDH 18 mars 2021, req. no 49001/14, JCP 2021, no 386, obs. Surrel) ou une expropriation (CEDH 11 oct. 2018, req. no 71306/11, JCP 2018, no 1122, obs. Surrel) ; créances de restitution (CEDH 23 oct. 1997, req. nos 21319/93 , 21449/93, no 21675/93, JCP 1998. I. 107, no 39, obs. Sudre. – CEDH 3 juill. 2003, req. no 38746/97 , JCP 2004. I. 107, no 21, obs. Sudre) ; crédit d'impôts (CEDH 28 sept. 2004, req. no 44912/98 , JCP 2005. I. 103, no 18, obs. Sudre), allocations de chômage (CEDH 16 sept. 1996, req. no 17371/90 , AJDA 1998. 37, chron. Flauss ; D. 1998. 438, note Marguénaud et Mouly ; Dr. soc. 1999. 215, note Favard ; Dr. soc. 1999. 215, obs. Bernard ; RFDA 1997. 965, étude Sudre ) ; allocations adulte handicapé (CEDH 30 sept. 2003, req. no 40892/98 , AJDA 2004. 534, chron. Flauss ; D. 2004. Somm. 375, obs. Guiomard ) ; plus généralement toutes prestations sociales, contributives ou non (CEDH 6 juill. 2005, req. no 36042/97, JCP 2006. I. 109, no 14, obs. Sudre). La Cour a même admis qu'une longue tolérance des autorités publiques permet de considérer que « lesdites autorités ont de facto reconnu que l'intéressé et ses proches avaient un intérêt patrimonial tenant à leur habitation et à leurs biens meubles » susceptible d'être protégé sous l'égide du droit au respect de ses biens (CEDH 30 nov. 2004, req. no 48939/99 , AJDA 2005. 1133, note Rabiller ; AJDA 2004. 2301 ; AJDA 2005. 541, chron. Flauss ; AJDA 1081, édito. Jégouzo ; RDI 2005. 98, obs. Trébulle ; RTD civ. 2005. 422, obs. Revet ) ou encore que « le temps écoulé a fait naître l'existence d'un intérêt patrimonial du requérant à jouir [d'une] maison » quand bien même son droit de propriété sur cette maison serait exclu par le droit en vigueur (CEDH 29 mars 2010, req. no 34044/02 , D. 2010. 2024, chron. Quézel-Ambrunaz ; D. 2010. 2183, obs. Mallet-Bricout et Reboul-Maupin ; D. 2010. 2468, obs. Trébulle ; AJDA 2010. 647, 1311, note Canedo-Paris ; AJDA 2010. 1515, étude F. Alhama ; RDI 2010. 389, obs. Foulquier ; JCP A 2010. 2140, note Yolka). La protection de biens sur lesquels on ne peut se prévaloir d'aucun titre régulier est ainsi assurée (V. encore : CEDH 29 juin 2004, req. nos 8803-8811/02, 8813/02, 8815-8819/02, JCP 2004. I. 161, no 16, obs. Sudre : ensemble de biens servant d'assiette aux « activités économiques » des habitants d'un village). 24. La Cour exige toutefois que de tels droits reposent sur une « espérance légitime », ce qui conduit à écarter tant les droits controversés en raison de divergences d'interprétation du droit national en cause, que les droits non immédiatement exigibles parce qu'ils ne peuvent pas encore « se baser sur une disposition légale ou un acte juridique, telle une décision judiciaire devenue définitive » (CEDH 23 sept. 2003, req. no 63156/00 , D. 2004. Somm. 991, obs. Bîrsan : simple espoir entretenu par les autorités publiques. – V. aussi : CEDH 28 sept. 2004 et 11 oct. 2005, préc. supra, no 23). À cette condition, la Cour européenne des droits de l'homme n'hésite pas à condamner des lois nationales immédiatement applicables aux litiges en cours et qui mettent ainsi rétroactivement en cause les espérances nées de l'application du droit antérieur. Tel a été notamment le cas pour la France, à propos de la loi dite « anti- Perruche » (CEDH 6 oct. 2005, préc. supra, no 23) et de la loi no 96-314 du 12 avril 1996 sur les tableaux d'amortissements des prêts à intérêt consentis aux consommateurs (CEDH 14 févr. 2006, req. no 67847/01 , D. 2006. 717, obs. Rondey ; RDI 2006. 458, obs. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2006. 261, obs. Marguénaud ; RTD com. 2006. 462, obs. Legeais ; JCP 2006. II. 10171, note Thioye). Dans l'un et l'autre cas, la Cour a considéré que les espoirs fondés sur une jurisprudence bien assise suffisaient à constituer un intérêt patrimonial digne d'être protégé au titre de l'article 1er du Protocole no 1. 25. Notion de « biens » au sens de l'article 1er du Protocole no 1 : jurisprudence française. - Lorsqu'elles appliquent directement le droit européen des droits de l'homme, les juridictions nationales retiennent également cette conception large du droit au respect de ses biens. À l'instar de la Cour européenne, elles considèrent notamment que la notion de « biens » englobe non seulement les meubles ou immeubles corporels dont on est propriétaire, mais encore les droits afférents à la « propriété commerciale » (Civ. 3e, 18 mai 2005, no 04-11.349 , Bull. civ. III, no 109 ; D. 2005. 1477, obs. Rouquet ; D. 2006. 925, obs. Rozès ; AJDI 2005. 733, obs. Blatter ; RTD civ. 2005. 619, obs. Revet. – Civ. 3e, 11 mars 2021, no 20-13.639 , D. 2021. 573 ; D. 2021. 1509, obs. Strickler et Reboul-Maupin ; RTD com. 2021. 297, obs. Kendérian ; RTD civ. 2021. 435, obs. Gautier , qui cantonne cette propriété au seul droit au renouvellement d'un bail commercial), ainsi que diverses créances comme des rémunérations pour permanences nocturnes (Soc. 5 juin 2008, nos 06-46.295 et 06- 46.297, Bull. civ. V, no 124, sol. impl.), des primes dues à des militaires (CE 11 juill. 2001, Min. Défense c/ Préaud, req. no 219312 , AJDA 2001. 846 ; AJDA 2001. 841, chron. Guyomar et Collin ; D. 2001. 2721 ; AJFP 2002. 35 ; RFDA 2001. 1047, concl. C. Bergeal ), des prestations sociales (Soc. 25 mars 2003, no 01-20.786 , Bull. civ. V, no 112), que leur octroi dépende ou non du versement préalable de cotisations (Civ. 2e, 21 déc. 2006, no 04-30.586 , Bull. civ. II, no 364 ; D. 2007. 447 ; Dr. soc. 2007. 319, note Lhernould et Martin ), et des indemnités (Civ. 1re, 24 janv. 2006, no 02-13.775 , D. 2006. 325, obs. Gallmeister ; D. 2007. 1102, obs. Galloux et Gaumont-Prat ; RTD civ. 2006. 263, obs. Marguénaud ; JCP 2006. II. 10062, note Gouttenoire et Porchy-Simon. – Comp., pour un remboursement par l'État de cotisations sociales ultérieurement déclarées indues : CE 5 déc. 1997, Min. Éducation nationale, Lebon req. no 188530 , AJDA 1998. 167 ; AJDA 1998. 97, chron. Girardot et Raynaud ; D. 1998. 50 ; RFDA 1998. 160, concl. Touvet ). La Cour de cassation est même allée jusqu'à considérer, au moins à titre implicite, que l'absence d'obligation de garantie d'un assureur constitue pour celui-ci un bien au sens du Protocole n o 1 (Civ. 1re, 17 févr. 2016, no 15-12.805 , Bull. civ. I, no 38 ; D. 2016. 479 ; D. 2016. 1779, obs. Neyret et Reboul-Maupin ; D. 2016. 2187, obs. Bacache, Guégan-Lécuyer et Porchy-Simon ; JCP 2016. 396, obs. Knetsch ; JCP 2016. 446, obs. Perinet- Marquet). Aux yeux de la Cour de cassation comme du Conseil d'État, il paraît cependant nécessaire que les « biens » en cause soient de nature directement patrimoniale : « Le droit d'exercer la profession d'avocat ne constitue pas, par lui-même, un bien protégé par l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme en dehors de toute atteinte à la valeur patrimoniale qui pourrait s'y trouver attachée », a-t-il été décidé à propos d'une peine disciplinaire d'interdiction temporaire d'activité (Civ. 1re, 22 nov. 2007, no 06-17.048 , Bull. civ. I, no 365 ; D. 2008. 27 ; D. 2008. 944, obs. Blanchard. – V. aussi, à propos d'une destitution d'un huissier de justice à titre disciplinaire : Civ. 1re, 13 mars 2007, no 04- 18.813 , Bull. civ. I, no 114. – À propos d'une procédure de retrait d'une société civile professionnelle titulaire d'un office notarial : CE 24 nov. 2003, req. no 235238 , LPA 2004, no 149, p. 18, concl. Guyomar). La formule est peut-être un peu trop catégorique : priver une personne de la possibilité d'exercer son métier, n'est-ce pas attenter à ses biens au sens où l'entend la Cour européenne des droits de l'homme ? Autre chose est de savoir si cette privation est ou non justifiée et l'on peut admettre à cet égard que le prononcé d'une sanction de cet ordre ne contrevient pas au droit au respect des biens, dans la mesure où il s'agit de sauvegarder l'intérêt général et le bon fonctionnement de professions liées au crédit public. 26. Notion d'atteinte aux biens au sens de l'article 1 er du Protocole no 1. - La Cour européenne adopte aussi une conception souple de la forme de l'atteinte. Toute ingérence des pouvoirs publics peut faire l'affaire : expropriation formelle ou même de fait (CEDH 23 sept. 1982, grands arrêts [préc.], no 67 ; AFDI 1985. 415, obs. Coussirat- Coustère ; JDI 1985. 205, obs. Rolland et Tavernier. – CEDH 19 déc. 1989, AFDI 1991. 610, obs. Coussirat-Coustère, JDI 1990. 742, obs. Rolland et Tavernier. – V. aussi : FLAUSS, Liberté contractuelle et contrôle des loyers à l'aune de la Convention européenne des droits de l'homme, RTDH 1990. 387. – SERMET, La Cour européenne des droits de l'homme et le droit de propriété : l'arrêt Mellacher du 19 déc. 1989 ; Gaz. Pal. 1991. 1. Doctr. 142), préemption (CEDH 5 janv. 2000, req. no 33202/96 , D. 2000. 187, obs. Fricero ; RFDA 2001. 1250, chron. Labayle et Sudre ), manœuvres d'obstruction (CEDH 22 juin 2004, req. no 31443/96 , AJDA 2004. 1809, chron. Flauss ; D. 2004. 2542, obs. Bîrsan ), mais aussi réglementation de l'usage d'un bien (CEDH 28 juill. 1999, req. no 22774/93 , D. 2000. 186, obs. Fricero ). Il en va encore ainsi en cas d'ingérence due à une disposition légale ou réglementaire à caractère rétroactif (CEDH 16 avr. 2019, préc. supra, no 23. – CEDH 13 déc. 2016, req. no 58080/13, JCP 2016, no 1424, obs. Surrel). La Cour a même admis que l'atteinte puisse résulter de la seule passivité des pouvoirs publics à prendre des mesures destinées à garantir la protection des biens contre des catastrophes industrielles (CEDH 30 nov. 2004, préc. supra, no 23) ou naturelles (CEDH 20 mars 2008, req. nos 15339/02, 21166/02, 20058/02, 11673/02 et 15343/02, JCP 2008. I. 167, no 12, obs. Sudre). 27. En combinant les formules peu contraignantes de l'article 1er du premier Protocole additionnel avec l'interdiction des traitements discriminatoires fulminée par l'article 14 de la Convention, la Cour se laisse aussi la possibilité de découvrir des violations du droit au respect de ses biens dans les conditions par trop restrictives que la réglementation d'un État impose pour l'octroi de tel ou tel avantage patrimonial (V. CEDH 30 sept. 2003, préc. supra, no 23 : refus d'accorder une allocation adulte handicapé basé sur des critères fondés sur la nationalité). La Cour de cassation paraît disposée à la suivre sur ce terrain (V. Civ. 1re, 25 juin 1991, no 90-13.849 , Bull. civ. I, no 207 ; D. 1992. 163, obs. Audit ; Rev. crit. DIP 1991. 667, note Khairallah ; RTD civ. 1992. 396, obs. Mestre. – Com. 8 juill. 2003, no 00-21.591 , Bull. civ. IV, no 121 ; D. 2004. 692 , et les obs., note Khairallah ; RTD civ. 2005. 78, obs. Deumier : à propos de discriminations légales à l'égard des sociétés de capitaux étrangères. – Civ. 2e, 21 déc. 2006, préc. supra, no 25 : à propos d'une discrimination légale entre homme et femme. – Civ. 2e, 3 mai 2007, no 05-19.439 , Bull. civ. II, no 121 ; D. 2007. 2336, chron. Vigneau ; D. 2008. 1167, obs. Leborgne ; RTD civ. 2007. 643, obs. Perrot : à propos d'une discrimination légale entre créanciers). 28. Exigence d'une « protection effective ». - La Cour européenne des droits de l'homme s'est longtemps contentée de protéger les biens des personnes contre les atteintes qui leur étaient portées par les pouvoirs publics. Mais ultérieurement elle est allée plus loin et a estimé qu'une « protection effective » doit être accordée au droit de propriété, ce qui conduit à requérir des États signataires de la Convention l'adoption de mesures positives de protection. Une telle obligation positive « s'impose notamment là où il existe un lien direct entre les mesures qu'un requérant pouvait légitimement attendre des autorités et la jouissance effective par ce dernier de ses biens » (CEDH 18 juin 2002, req. no 48939/99 ). Elle peut notamment se traduire par l'obligation, pour l'État, « de fournir une procédure judiciaire qui soit dotée des garanties de procédure nécessaires et qui permette donc aux tribunaux de trancher efficacement et équitablement tout éventuel litige entre des personnes privées », afin d'assurer la « jouissance effective » de leurs droits de propriété (CEDH 25 juill. 2002, req. no 48553/99 , D. 2003. 2275, obs. Bîrsan ; JCP 2003. I. 109, no 24, obs. Sudre. – V. aussi : CEDH 31 mars 2005, req. no 62740/00 , AJDA 2005. 1886, chron. Flauss ; AJDI 2005. 928, obs. Raynaud ; JCP 2005. I. 159, no 19, obs. Sudre. – CEDH 30 août 2007, req. no 44302/02 , AJDA 2007. 1918, chron. Flauss ; AJDA 2008. 978, chron. Flauss ; D. 2008. 2458, obs. Mallet-Bricout et Reboul-Maupin ; RTD civ. 2007. 727, obs. Marguénaud ; RTD civ. 2008. 507, obs. Revet ; JCP 2008. I. 110, no 15, obs. Sudre). 29. Gravité de l'atteinte aux biens : jurisprudence européenne. - Il ne s'ensuit pas pour autant que toute atteinte à un « bien », sous quelque forme que ce soit, implique la condamnation de l'État qui l'a organisée ou n'a rien fait pour y remédier. Si le champ d'application de l'article 1er du Protocole no 1 est large, la Cour s'efforce, en lien avec ce que prévoit l'alinéa 2, de ne retenir la responsabilité des États qu'en cas d'atteintes suffisamment graves. Pour ne pas encourir le blâme de la Cour européenne des droits de l'homme, les restrictions au droit au respect de ses biens doivent d'abord provenir d'une loi ou d'un règlement. Une ingérence qui ne peut se recommander d'aucune disposition de cette sorte est ipso facto déclarée abusive (V. CEDH 11 déc. 2003, req. no 35227/97 , D. 2004. Somm. 993, obs. Haumont : à propos d'un refus d'exécuter une décision judiciaire. – V. égal. CEDH 24 mars 2005, no 58254/00 , JCP 2005. IV. 2088, à propos d'une confiscation sans allégation d'aucune base légale). Une réglementation par trop imprécise est d'ailleurs considérée comme « insusceptible de fournir une protection adéquate contre les ingérences arbitraires » (CEDH 24 mai 2005, req. no 54040/00 , JCP 2005. IV. 2574). 30. Légales ou réglementaires, ces restrictions doivent en outre pouvoir se recommander d'un objectif d'utilité publique, conçu cependant sans trop de rigueur (V. CEDH 21 févr. 1986, Grands arrêts préc. infra, nos 68 et 26). Parmi ces objectifs, la Cour range notamment la sauvegarde de l'environnement, à propos duquel elle a récemment admis que « des impératifs économiques et même certains droits fondamentaux, comme le droit de propriété, ne devraient pas se voir accorder la primauté face à des considérations relatives à la protection de l'environnement, en particulier lorsque l'État a légiféré en la matière » (CEDH 27 nov. 2007, req. no 21861/03 , D. 2008. 884, note Marguénaud ; D. 2008. 2390, obs. Trébulle ; D. 2008. 2458, obs. Mallet-Bricout et Reboul-Maupin ; AJDI 2008. 316. – V. aussi CEDH 13 oct. 2009, req. no 1411/03 , D. 2010. 2468, obs. Trébulle ; JCP 2009. I. 104, no 19, obs. Sudre). Sous ces réserves, la Cour estime « normal que le législateur dispose d'une grande latitude pour mener une politique économique et sociale », et déclare respecter la manière dont chaque État conçoit les impératifs d'utilité publique, « sauf, précise-t-elle, si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable » (CEDH 20 nov. 1995, préc. supra, no 23). De jurisprudence constante, il faut en effet éviter que les citoyens se trouvent placés « dans une situation qui rompt le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général », afin que la charge qui leur est imposée ne soit pas « démesurée » (CEDH 29 avr. 1999, préc. supra, no 23). La Cour vérifie avec soin l'existence de cette proportionnalité (V. par ex. : CEDH 26 févr. 2009, req. no 28336/02 , D. 2009. 2825, obs. Roujou de Boubée, Garé et Mirabail ; RSC 2009. 597, obs. Matsopoulou ; JCP 2009. II. 10075, note Pannier). Elle admet cependant que des « circonstances exceptionnelles » puissent justifier des mesures plus fortement attentatoires au droit au respect de ses biens (CEDH 20 févr. 2003, req. no 47316/99 , D. 2003.2276, obs. Bîrsan : à propos de la restitution, consécutivement à la réunification de l'Allemagne, de biens passés entre les mains d'un État totalitaire). La Cour a cependant longtemps admis que lorsque l'intérêt que les États entendaient promouvoir était celui d'une catégorie de particuliers, « seuls des impératifs indiscutables sont susceptibles de justifier une ingérence dans la jouissance d'un droit garanti » (CEDH 29 avr. 1999, préc. supra, no 23. – V. aussi : CEDH 14 févr. 2006, req. no 67847/01 , D. 2006. 717, obs. Rondey ; RDI 2006. 458, obs. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2006. 261, obs. Marguénaud ; RTD com. 2006. 462, obs. Legeais ). Mais par la suite, elle paraît avoir abandonné cette exigence (CEDH 19 juin 2008, req. no 7801/03, JCP 2008. I. 167, no 22, obs. Sudre). 31. Gravité de l'atteinte aux biens : jurisprudence nationale. - Pour l'application de l'alinéa 2 de l'article 1er du Protocole no 1, les juridictions françaises retiennent des critères tout à fait comparables à ceux de la Cour. Il est le plus souvent question de « restriction justifiée » (Soc. 25 mars 2003, préc. supra, no 25), de « justification objective et raisonnable », de « rapport de proportionnalité » (Civ. 1re, 25 mai 2004, no 02-12.799 , Bull. civ. I, no 144 ; D. 2005. 1754 ; D. 2005. 1748, obs. Granet- Lambrechts ; AJ fam. 2004. 288 ; AJ fam. 2004. 410, obs. Bicheron ; RTD civ. 2004. 494, obs. Hauser ), de « juste équilibre » (Com. 25 janv. 2005, no 03-10.068 , Bull. civ. IV, no 16 ; D. 2005. 796 ; D. 2005. 1659, chron. Albert ; AJDI 2005. 851 ; AJDI 2005. 823, étude Maublanc. – Civ. 3e, 18 mai 2005, préc. supra, nos 25 et 41) ou de « rapport raisonnable » (Civ. 1re, 24 janv. 2006, préc. supra, no 25). De même, lorsque les mesures prises sont a priori plus discutables, nos juridictions recherchent si elles n'obéissent pas à « d'impérieux motifs d'intérêt général » (V. Soc. 28 mars 2006, no 04-16.558 , Bull. civ. V, no 128 ; D. 2006. 1128 : l'un et l'autre à propos de dispositions rétroactives). De plus, la Cour de cassation a récemment introduit dans ses arrêts un contrôle de proportionnalité qui s'inspire nettement de celui pratiqué par la Cour européenne des droits de l'homme (V. FULCHIRON, Le juge judiciaire et le contrôle de proportionnalité [art. 8 Conv. EDH], D. 2015. 2365. – CHÉNEDÉ, Contre- révolution tranquille à la Cour de cassation ?, D. 2016. 796. – PUIG, L'excès de proportionnalité, RTD civ. 2016. 70 ). Spécialement, elle a de plus en plus souvent recours au droit au respect de la vie familiale et du domicile protégé par l'article 8 de la Convention européenne pour imposer un emploi proportionné d'un droit de propriété (V. infra, nos 62 et 101) ou, inversement, pour exiger que l'atteinte aux droits du propriétaire ait un caractère proportionnel (V. infra, no 66). 32. Jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. - Lorsqu'elle statue sur l'éventuelle violation du droit fondamental de propriété par des dispositions communautaires ou des dispositions nationales elles-mêmes prises en application de normes communautaires, la Cour de justice de l'Union européenne adopte une jurisprudence directement inspirée de celle de la Cour européenne des droits de l'homme. Elle tient en particulier que les atteintes au droit de propriété doivent répondre à un objectif d'intérêt général, qu'elles doivent être nécessaires et proportionnées et ne pas avoir de caractère discriminatoire (V. par ex. : CJCE 29 avr. 1999, The Queen c/ Secretary of State for the Environment ex parte H. Standley, aff. C-293/97 , Rec. 2603 ; RTD com. 1999. 1019, obs. Luby. – CJUE 20 sept. 2016, Ledra Advertising c/ Commission et BCE, aff. C-8/15, D. 2016. 2305, obs. Martin et Synvet ; JCP 2016, no 1015, obs. Berlin). B - La propriété, droit réel principal 33. Propriété individuelle et propriété collective. - Tel qu'affirmé par notre code civil et nos dispositions constitutionnelles, le droit de propriété se présente avant tout comme un droit des particuliers sur les choses mobilières ou immobilières. Mais il ne s'agit pas seulement de cela. À plusieurs reprises, le code évoque expressément les biens qui appartiennent à l'État et qui font partie du domaine public (V. C. civ., art. 538 à art. 541). Ce domaine public est d'ailleurs considéré comme irréductible à toute appropriation privative, y compris sous la forme d'une prescrition acquisitive par un possesseur de bonne foi (Cons. const. 26 oct. 2018, no 2018-743-QPC , AJDA 2018. 2103 ; AJDA 2019. 1982, étude Foulquier ; D. 2018. 2094 ; Constitutions 2018. 533, chron. Bettio ; RTD civ. 2019. 145, obs. Dross ; JCP 2019, no 212, obs. De Gaudemar ; Dr. adm. 2019. Comm. 3, obs. Grabias ; Rev. CMP 2019. Comm. 21, obs. Soler-Couteaux ; JCP A 2018. Actu. 829, obs. Touzeil-Divina), ce qui conduit à admettre que l'exercice de l'action en revendication d'un bien compris dans le domaine public ne peut jamais constituer par elle-même une atteinte disproportionnée au droit de propriété du particulier défendeur à l'action (Civ. 1re, 13 févr. 2019, no 18-13.748 , AJDA 2019. 366 ; D. 2019. 1801, obs. Reboul-Maupin et Strickler ; AJCT 2019. 304, obs. Laugier ; RTD civ. 2019. 366, obs. Dross ; JCP 2019, nos 336, note Noual et 438, no 1, obs. Perinet-Marquet). Il est aussi question de biens communaux, qui sont « ceux à la propriété ou au produit desquels les habitants d'une ou plusieurs communes ont un droit acquis » (C. civ., art. 542 ). Les lois révolutionnaires avaient cherché « à rétablir ces communautés d'habitants dans la propriété des biens communaux dont elles avaient été dépouillées par l'effet de la “puissance féodale” » (Civ. 3e, 13 mars 1984, Bull. civ. III, no 68) ; le code civil a cru bon, à son tour, d'y faire référence. Ces divers modes de propriété collective relèvent bien davantage du droit administratif (V., pour la compétence des juges administratifs en matière de biens communaux : Civ. 1re, 24 nov. 1993, no 92-11.594 , Bull. civ. I, no 345). Il ne s'ensuit pas pour autant qu'ils soient nécessairement indifférents au droit de la propriété privée. À côté du domaine public, où triomphent les prérogatives de puissance publique, l'État connaît aussi un domaine privé très largement soumis au régime du droit commun de la propriété (V., par ex., pour les biens vacants : Civ. 3e, 29 févr. 1968, Bull. civ. III, no 82) ; de même, la Cour de cassation a admis que « les règles régissant les biens communaux ne modifient pas leur nature juridique de biens relevant du domaine privé de la commune et, comme tels, pouvant être acquis par prescription » (Civ. 3e, 15 juin 1988, Bull. civ. III, no 110). On n'oubliera pas, enfin, que le Conseil constitutionnel est allé jusqu'à estimer, dans sa décision sur les privatisations, que la protection reconnue au droit de propriété par la Déclaration des droits de l'homme « ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi, à un titre égal, la propriété de l'État et des autres personnes publiques », ce qui requiert le versement à leur profit d'un juste prix de rachat (Cons. const. 25-26 juin 1986, RD publ. 1989. 497, obs. Favoreu ; AJDA 1986. 575, note Rivero ; Rev. sociétés 1986. 606, note Guyon). 34. Propriété et choses communes. - Le code civil français se caractérise avant tout comme un droit de la propriété. Il ne conçoit les biens et les choses qu'appropriées ou, en tout cas, appropriables. « Nulle chose sans maître », telle paraît être sa devise (V. SÉRIAUX, « Nulle chose sans maître ». Enquête sur un principe cardinal de l'ordre juridique, Mél. Goubeaux, 2009, LGDJ). À défaut de propriété privée, c'est la propriété de l'État ou celle des communes qui prend le relai, comme il est de règle en cas de vacance ou de déshérence (C. civ., art. 539 et art. 713 ). Lorsque la propriété change de mains, ce passage s'opère sans solution de continuité, par concentration dans l'instant (C. civ., art. 938 , art. 1196 et 1583), garantie au besoin par l'emploi de la technique de la rétroactivité (C. civ., art. 776 ). Certes, notre code admet, au titre des choses communes, que certaines choses soient par nature soustraites à toute appropriation, publique comme privée (C. civ., art. 714 ). Mais cette notion héritée du droit romain résiste bien mal aujourd'hui à l'emprise d'autres notions qui, telles celles de patrimoine national ou de patrimoine commun de l'humanité, reposent au contraire sur une vision axée sur la propriété (V. SÉRIAUX, La notion de choses communes. Nouvelles considérations juridiques sur le verbe avoir, in Droit et environnement. Propos pluridisciplinaires sur un droit en construction, 1995, PUAM, p. 23 ; « Nulle chose sans maître », article préc. 2. – TRÉBULLE, La propriété à l'épreuve du patrimoine commun : le renouveau du domaine universel, Mél. Malinvaud, 2007, Litec, p. 659. – Comp. CHARDEAUX, Les choses communes, préf. LOISEAU, 2006, coll. Bibl. dr. privé, t. 464, LGDJ). C'est qu'en fin de compte, la propriété se recommande de la responsabilité à l'égard des choses dont on est propriétaire, comme en témoignent clairement la règle posée par l'article 1244 du code civil ou la jurisprudence qui, à propos de la responsabilité du fait des choses dont on a la garde, considère avec constance que le gardien n'est autre, a priori, que le propriétaire (Civ. 2e, 16 mai 1984, Bull. civ. II, no 86. – Civ. 2e, 6 janv. 1993, no 91-13.434 , Bull. civ. II, no 5. – Civ. 2e, 14 juin 1995, no 93-19.188 , Bull. civ. II, no 185). Toutefois, le débat sur l'existence de choses communes est régulièrement relancé en présence de biens nouveaux qui se prêtent assez mal à une appropriation, même publique (CLEMENT-FONTAINE, Les communs numériques, Mél. A. Lucas, 2014, LexisNexis, p. 163 ; Repenser les biens communs, PARANCE et de SAINT VICTOR [dir.], 2014, CNRS). 35. Droit réel et droit personnel. - Quelles que soient les nuances, souvent importantes, qui les séparent, propriété publique et propriété privée se caractérisent par la reconnaissance d'une certaine souveraineté sur les choses. La propriété est partout et toujours un droit réel : un droit qui porte non sur des personnes, mais sur des choses. S'il portait sur des êtres humains, ceux-ci ne seraient d'ailleurs plus juridiquement considérés comme des personnes, mais plutôt comme des choses. Le statut de l'animal, qu'une loi du 16 février 2015 a voulu soustraire partiellement au régime des biens en les qualifiant d'« êtres vivants doués de sensibilité » (C. civ., art. 515-14 , issu de la L. no 2015-177 du 16 févr. 2015, JO 17 févr.), montre combien, en cette matière, une troisième voie est difficile à trouver (V. MALINVAUD, L'animal va-t-il s'égarer dans le code civil ?, D. 2015. 87. – MARGUÉNAUD, Une révolution théorique : l'extraction masquée des animaux de la catégorie des biens, JCP 2015. 305. – REBOUL-MAUPIN, Nos amis les animaux… sont désormais doués de sensibilité : un tournant et des tourments, D. 2015. 573 ). Par son caractère réel, la propriété s'oppose à la créance ou droit personnel, qui emporte seulement le droit, pour son titulaire, d'exiger quelque chose d'une autre personne et le devoir corrélatif, pour cette dernière, d'honorer son obligation. Certes, toute propriété entraîne de soi le droit d'exiger de quiconque qu'il s'abstienne de toute immixtion, mais cette « obligation passive universelle », sur laquelle on fonde souvent le rapprochement et parfois la confusion entre droits réels et droits personnels (V. GINOSSAR, Droit réel, propriété et créance. Élaboration d'un système rationnel des droits patrimoniaux, 1960, LGDJ ; Pour une meilleure définition du droit réel et du droit personnel, RTD civ. 1962. 573. – V. aussi la critique de DABIN, Une nouvelle définition du droit réel, RTD civ. 1962. 20), n'est au mieux qu'une conséquence du droit d'emprise directe sur les choses elles- mêmes que confère le titre de propriétaire. Réels ou personnels, tous les droits sont par définition opposables à tous ceux qui n'en sont pas titulaires. Seules diffèrent les prérogatives qu'ils confèrent à leur titulaire. Or, de ce point de vue, les droits sur les choses n'ont rien de commun avec les droits contre des personnes. Comme tous les droits réels, la propriété est un mode de répartition des choses entre les personnes ; les droits personnels, au contraire, s'inscrivent dans la dynamique des échanges, volontaires ou involontaires, de biens ou de choses entre les personnes. Les premiers relèvent de la justice distributive, tandis que les seconds appartiennent à la justice commutative. 36. Question de la propriété des créances. - Les choses objet de propriété sont normalement des choses corporelles, mobilières ou immobilières, et c'est sur le modèle d'un droit réel de cette sorte que se sont manifestement appuyés les rédacteurs du code civil lors d'esquisser les traits caractéristiques du droit de propriété. Il ne s'ensuit pas pour autant qu'ils n'aient eu en vue que cette forme de relation de l'homme aux choses. Le code civil admet nettement, comme le faisait d'ailleurs déjà le droit romain, la propriété de biens incorporels tels qu'« obligations et actions » (C. civ., art. 529 ), « rentes viagères » (C. civ., art. 529 ) et même toutes créances (C. civ., art. 533 : « dettes actives »). Lorsqu'il aborde le « transport des créances et autres droits incorporels », c'est au titre « De la vente » (C. civ., art. 1689 s.), principalement consacré à la cession des meubles et immeubles corporels. Faut-il en conclure, comme on tend de plus en plus à le faire aujourd'hui, que les créances elles-mêmes sont des biens ? (V. par ex. : MESTRE, L'évolution contemporaine du droit des contrats, Journées R. Savatier, 1986, PUF, p. 56). Ce serait excessif. Une chose est le titre qui constate l'existence d'une créance, dont on peut bien être « propriétaire » puisqu'on en est « titulaire » ; autre chose est la valeur indiquée sur ce titre, dont le créancier n'a manifestement pas encore la propriété. Une créance n'est au fond qu'un état de tension entre deux patrimoines, celui du créancier et celui du débiteur. Au mieux, la cession de créance s'analyse en la transmission d'une position relative entre personnes, celle qu'occupe le créancier par rapport à son débiteur (et vice versa) ; il ne s'agit jamais de céder un droit direct sur une chose. Ce n'est pas la valeur, assurément patrimoniale, qui est cédée, mais plus exactement le droit d'exiger en temps voulu (avec les aléas que cela comporte) le paiement de cette valeur. Il n'en va autrement que si le titre qui la constate est considéré comme représentant la valeur indiquée, comme il advient pour certains titres au porteur, pour les effets de commerce et même pour la monnaie métalliques et les billets de banque, où l'incorporation de la valeur justifie amplement de les traiter comme des biens. Présentée comme consacrant la propriété des droits personnels, la Proposition de réforme du Livre II du code civil relatif aux biens émanant de l'Association Henri Capitant ne parvient pas, semble-t-il, à évacuer de telles ambiguïtés (V. DROSS et MALLET-BRICOUT, L'avant-projet de réforme du droit des biens : premier regard critique, D. 2009. Chron. 508, II ). Contrairement à ce que l'on a pu soutenir (MESTRE, L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit français des obligations, RED privé 1994. 31, no 25), le fait que la Cour européenne des droits de l'homme reconnaisse que le droit au paiement mérite protection au nom du droit fondamental au respect de ses biens (V. supra, nos 23 s.) n'établit aucune consécration d'une « propriété des créances ». La jurisprudence de la Cour vise, en réalité, simplement à protéger tous les droits privés à caractère patrimonial contre les atteintes en provenance des pouvoirs publics. Peu importe, à cet égard, qu'il s'agisse de droits réels ou de droits personnels. 37. Fondement du droit réel de propriété. - Constitutif d'un droit réel, le rapport direct entre l'homme et la chose montre d'emblée que le phénomène juridique ne se réduit pas, comme on le dit souvent, aux seules relations interpersonnelles. L'ordre juridique est un ordre cosmique, où l'homme est aux prises non seulement avec ses semblables, mais encore avec la totalité de l'univers qui l'entoure, matériel comme spirituel. Le rapport aux choses de ce monde s'opère ici sur le mode de la possession. L'homme fait siennes ces choses qu'il n'a pas créées, qu'il peut tout au plus transformer pour ses besoins propres. La propriété, c'est d'abord ce mouvement d'accaparement. Les justifications de cette appropriation, originaire (l'occupation, l'invention, la transformation…) ou dérivée (l'héritage, le commerce, le don…) ont pu varier, mais toutes supposent admise la supériorité ontologique de l'homme sur les choses. Si l'homme peut se les approprier, n'est-ce point parce que, en quelque manière, les choses sont déjà siennes ? Être domestiquées par l'homme, voilà la vocation des choses d'ici-bas. Le propos pourrait aussi bien être renversé. Dans la mesure où il est appelé à le cultiver, le propriétaire appartient à son champ, plus encore que le champ n'est fait pour lui (V. SÉRIAUX, Le droit : une introduction, 1997, Ellipses, no 74). 38. Ces considérations sont aux antipodes de certaines utilisations contemporaines du droit de propriété, où celui-ci n'est reconnu que temporairement à telle ou telle personne en vue de lui de faciliter la gestion de biens qui sont appelés à devenir la propriété d'autres personnes. Ainsi en va-t-il avec la fiducie, où la propriétaire des biens du constituant n'est accordée au fiduciaire qu'afin de lui permettre de gérer ces biens avec plus de souplesse et de liberté que si le gérant agissait comme simple mandataire (rappr. MALLET-BRICOUT, Fiducie et propriété, Liber amicorum, Mél. Chr. Larroumet, 2010, Economica, p. 297). Ainsi encore du bail à construction : si le « droit réel immobilier » sur le sol et les constructions réalisées pendant la durée du bail que la loi (CCH, art. L. 251-3 ) y accorde au preneur est généralement analysé comme un droit de propriété, c'est en raison des capacités de crédit qu'un tel droit est susceptible d'ouvrir au preneur (V. Bail à construction [Civ.]). Il en va de même pour le récent bail réel immobilier, institué par l'ordonnance no 2014-159 du 20 février 2014 relative au logement intermédiaire, qui confère la propriété des constructions au preneur (CCH, art. L. 254-1 , al. 6). Limitées dans le temps, faisant tôt ou tard retour au propriétaire originel des biens ou à une tierce personne qu'il désigne, ces propriétés temporaires ne sont en réalité que des propriétés fonctionnelles très éloignées de l'idée que notre ordre juridique civil se fait (encore) de la propriété des biens. 39. Rayonnement du concept de propriété. - L'on conçoit que, dans ces conditions, le terme de « propriété » serve fréquemment de référence pour la détermination du régime applicable à d'autres biens. Tel a surtout été le cas lorsqu'il s'est agi d'élaborer un régime de protection de divers « attributs » des personnes ou « droits de la personnalité » (V. Droits de la personnalité [Civ.]). La référence à la propriété s'est ainsi imposée d'abord en matière de droits des auteurs d'œuvres littéraires ou artistiques et, plus généralement, de créations de l'esprit (JOSSERAND, Configuration du droit de propriété dans l'ordre juridique nouveau, Mél. Sugiyama, 1940, p. 95. – ROUAST, Évolution du droit de propriété, Travaux Ass. H. Capitant, t. 2, 1946, p. 110). Elle a été si prégnante que, la jurisprudence d'abord (V. Req. 14 déc. 1857, S. 1858. 1. 145) puis le législateur, s'en sont très officiellement servis pour fixer les règles sur la « propriété littéraire et artistique » et, en 1992, promulguer un code de la « propriété intellectuelle ». La loi évoque à ce sujet un « droit de propriété incorporelle » (CPI, art. L. 111-1 ), la jurisprudence un « droit de propriété intellectuelle » (V., par ex., Civ. 1re, 17 janv. 1995, no 91-21.123 , Bull. civ. I, no 39), et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, sous le visa « droit de propriété » (art. 17), déclare que « la propriété intellectuelle est protégée » (art. 17.2). C'est encore à la propriété que la jurisprudence a songé souvent pour statuer en matière de nom des personnes physiques ou morales (V. par ex. : Civ. 1re, 25 janv. 2000, no 95-16.267 , Bull. civ. I, no 22 ; D. 2000. 299, concl. Sainte-Rose ), de pseudonyme (V. par ex. Paris, 15 sept. 1999, RG no [XP1509992X], D. 2000. 801, note Bonfils ), d'image des personnes (KAYSER, Le droit dit à l'image, in Mél. Roubier, 1961, LGDJ, t. 2, p. 73), voire de corps humain (EDELMAN, L'homme aux cellules d'or, D. 1989. Chron. 225). 40. L'attrait, en de tels cas, de la notion de propriété ne paraît pas seulement tenir au monopole d'exploitation que la loi ou la jurisprudence réservent aux titulaires de ces droits subjectifs (comp. REVET, obs. RTD civ. 2006. 791 ). La Cour de cassation estima d'ailleurs en son temps que « c'est à tort que les droits d'auteur et le monopole qu'ils confèrent sont désignés sous le nom de propriété ; loin de constituer une propriété comme celle que le code civil a définie et organisée pour les biens meubles et immeubles, ils donnent seulement à ceux qui en sont investis le privilège exclusif d'une exploitation temporaire » (Civ. 25 juill. 1887, DP 1888. 1. 5, note Sarrut). Le rapprochement avec la propriété se justifie bien davantage par la référence à quelque chose de propre, presque d'intime, qu'inclut le mot « propriété ». Les biens du cœur et de l'esprit, les biens « industriels » (BECQUET, Le bien industriel, préf. REVET, 2005, coll. Bibl. dr. privé, t. 448, LGDJ) entretiennent avec leur titulaire le même rapport direct que les biens matériels. Ces derniers deviennent siens, alors que les premiers sont siens d'emblée. Les uns, il les rapproche de lui ; les autres, il les éloigne de sa personne en les incorporant dans une matière ; mais à la fin, le point atteint, soit par attraction, soit par répulsion, est à peu près le même. Mutatis mutandis, la propriété « classique » peut bien alors servir de modèle (MOUSSERON, RAYNARD et REVET, De la propriété comme modèle, in Mél. Colomer, 1993, p. 281. – CARON, Du droit des biens en tant que droit commun de la propriété intellectuelle, JCP 2004. I. 162) et même, de par les privilèges que lui confère son ancienneté, de signe de ralliement. Il n'en demeure pas moins que, par son régime, cette « propriété intellectuelle » diffère passablement de la propriété des choses corporelles que contemple le code civil (sur le concept de propriété intellectuelle, V., CORNU, Du monument à l'œuvre d'art : le concept de propriété artistique. À partir d'une lecture de Saleilles, in Mél. A. Lucas, 2014, LexisNexis, p. 185. – CORTESI, La propriété intellectuelle. De l'immatériel à l'invisible, ibid., p. 197. – KAMINA, Brève réflexion sur la catégorie juridique des propriétés intellectuelles, ibid., p. 441). 41. « Propriété commerciale » et « propriété culturale ». - Il n'en va pas de même pour diverses autres situations où le concept de propriété a pourtant également été invoqué en doctrine. À propos des baux ruraux et des baux commerciaux, il est ainsi question de « propriété culturale » ou de « propriété commerciale » pour traduire par là le caractère quasi réel des droits concédés par nos lois aux preneurs de fonds ruraux ou commerciaux : la valeur économique d'un bien se trouve entièrement canalisée vers eux ; ils bénéficient par ailleurs d'un droit de longue durée, qui plus est renouvelable, s'apparentant ainsi à une servitude grevant la propriété de l'immeuble dont ils sont locataires. Cette analyse en termes de propriété mise par trop sur l'idée que la propriété, c'est l'utilité, et que toute l'utilité d'une chose se concentre dans son aptitude à l'exploitation économique. Plus qu'avec la propriété, c'est le rapprochement avec l'usufruit qui s'impose davantage et qui a pu conduire certains auteurs à relativiser sur ce terrain la distinction des droits réels et des droits personnels (V. DERRUPPÉ, La nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits réels et des droits de créance, préf. J. MAURY, 1952, LGDJ ; Souvenirs et retour sur le droit réel du locataire, in Mél. Boyer, 1996, Dalloz, p. 169). Mais le bail répond à une philosophie juridique différente de celle de l'usufruit. La formule mise au point il y a longtemps par la Cour de cassation pour distinguer l'un de l'autre reste encore vraie aujourd'hui, même lorsqu'il s'agit de baux renforcés : « Le bail n'opère aucun démembrement de la propriété, qui reste entière entre les mains du bailleur, pour qui il n'est qu'un moyen de la rendre productive et d'en recueillir les fruits » (Req. 6 mars 1861, DP 1861. 1. 147). Le bail, est-il permis d'ajouter, se construit sur la base d'une interaction constante entre le bailleur propriétaire et le preneur, tandis que l'usufruit institue un cloisonnement entre le nu-propriétaire et l'usufruitier. L'usufruitier fait les fruits siens par son seul titre ; le locataire ne jouit légitimement de la chose louée que dans la mesure où il acquitte ses obligations envers le bailleur. Le fait que la Cour de cassation ait récemment cru bon d'envisager de protéger la « propriété commerciale » contre les atteintes au droit au respect de ses biens prévu par l'article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention européenne des droits de l'homme (V. Civ. 3e, 18 mai 2005, préc. supra, nos 25 et 31) n'apporte rien de véritablement neuf. La conception large des « biens » retenue pour l'application de cette disposition interdit ici encore d'en conclure quoi que ce soit. 42. Propriété et droits réels démembrés. - En droit français, la propriété privée – seul objet de ces lignes – partage avec l'usufruit, l'usage et l'habitation, la superficie, la servitude, l'emphytéose et certains droits plus récents, comme par exemple le bail à construction ou le bail réel immobilier prévu par les articles L. 254-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation (Ord. n o 2014-159 du 20 févr. 2014, JO 21 févr., préc. supra, no 38), la qualité de droit réel principal. On entend par là des droits qui sont établis pour eux-mêmes, contrairement à d'autres droits réels, qualifiés d'accessoires et qui, tels le gage, l'hypothèque ou autres sûretés réelles, ne sont constitués qu'en vue de garantir l'exécution d'un droit personnel. Même quand elle est réservée par le vendeur d'un bien jusqu'à ce qu'il obtienne complet paiement du prix qui lui est dû par l'acheteur, la propriété ne devient pas pour autant un droit réel accessoire : la réserve de propriété empêche simplement la vente de produire son effet principal jusqu'à ce que la condition suspensive de paiement du prix soit remplie. 43. La propriété est le plus principal des droits réels principaux. Elle cumule toutes les prérogatives attachées à la notion de droit réel, dont les autres ne constituent de ce point de vue que des démembrements. C'est cette plénitude que traduit l'article 544 du code civil quand il définit la propriété comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue ». Cette règle permet à elle seule de comprendre ce qu'est la propriété privée au sein de notre ordre juridique. Mais elle doit être complétée par d'autres règles, qui tendent à déterminer son étendue objective. L'article 546 du même code les résume lorsqu'il précise que « la propriété d'une chose, soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu'elle produit, et sur ce qui s'y unit accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement. Ce droit s'appelle droit d'accession » (V. Accession [Civ.]). On tient là les deux bouts par lesquels appréhender la propriété : son extension (V. infra, nos 44 s.) et sa compréhension (V. infra, nos 57 s.). Section 1re - Extension de la propriété 44. L'extension de la propriété dépend de son objet : la chose dont on est propriétaire, qui, quand elle est corporelle, s'étend de long en large (V. infra, nos 45 s.) et de haut en bas (V. infra, nos 50 s.). Art. 1er - En long et en large 45. Circonscription spatio-temporelle des choses. - Le droit de propriété porte sur un objet qui prend aussi le n