Synthèse Finale et Détaillée Dossier 1 Croissance Économique 2025 PDF
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Ce document est une synthèse d'un dossier sur les sources et les défis de la croissance économique. Il aborde des concepts tels que le PIB, le progrès technique, le rôle des institutions et les limites écologiques de la croissance. L'analyse du progrès technique et de son impact sur la croissance et sur les inégalités de revenus.
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SES- CLASSE DE TERMINALE DOSSIER 1 QUELLES SONT LES SOURCES ET LES DEFIS DE LA CROISSANCE ECONOMIQUE ? « Pour croire qu’une croissance matérielle infinie est possible s...
SES- CLASSE DE TERMINALE DOSSIER 1 QUELLES SONT LES SOURCES ET LES DEFIS DE LA CROISSANCE ECONOMIQUE ? « Pour croire qu’une croissance matérielle infinie est possible sur une planète finie, il faut être fou ou économiste. » Kenneth Boulding (1910-1993), économiste américain Contenu Qu’est-ce que la croissance économique et comment la mesure-t-on ?......................................................................... 2 Quelles sont les sources de la croissance économique ?................................................................................................. 3 Quel est le lien entre le progrès technique et l’accroissement de la productivité globale des facteurs ?....................... 4 Existe-t-il une relation entre innovations et progrès technique ?.................................................................................... 5 De quelle manière le progrès technique favorise-t-il la croissance économique ?.......................................................... 6 Pourquoi le progrès technique est-il considéré comme endogène ?............................................................................... 7 Quel est le rôle des institutions dans la croissance économique ?.................................................................................. 9 L’innovation technologique s’accompagne d’un processus de destruction créatrice.................................................... 11 Le progrès technique peut-il engendrer des inégalités de revenus ?............................................................................. 12 Quelles sont les limites écologiques de la croissance economique ?............................................................................. 13 L’innovation peut-elle aider à reculer les limites écologiques de la croissance économique ?..................................... 14 1 QU’EST-CE QUE LA CROISSANCE ECONOMIQUE ET COMMENT LA MESURE-T-ON ? La croissance économique est un processus (enchaînement de mécanismes) qui se manifeste par l'augmentation sur une longue période de la production de biens et de services d'une économie. Le PIB est un indicateur économique qui mesure la valeur totale de tous les biens et services produits dans un pays sur une période donnée, généralement une année. Il sert à évaluer la richesse créée sur un territoire national. Rappel : pour calculer le PIB, on additionne les valeurs ajoutées de tous les producteurs sur le territoire, principalement les entreprises et les administrations publiques. La valeur ajoutée d'une entreprise représente la différence entre le chiffre d'affaires et les consommations intermédiaires, ce qui permet de mesurer uniquement la valeur de la production de l'entreprise et non celle des biens qu'elle a achetés pour produire. Par exemple, une entreprise qui transforme des tomates en sauce tomate verra sa valeur ajoutée calculée en soustrayant de son chiffre d'affaires (vente de sauce tomate) le coût de production de ces tomates en énergie, en matières premières (engrais) ou en produits semi-finis(emballages) : ces dépenses sont appelées consommations intermédiaires. La croissance économique se calcule à l'aide du taux de variation du PIB réel, ce qui signifie que l'on déduit de la variation observée du PIB (PIB nominal) la hausse des prix observée sur la même période (inflation). On calcule le pourcentage d'augmentation du PIB réel d'une période à l'autre, généralement d'une année sur l'autre. Par exemple, si le PIB réel d'un pays était de 100 milliards d'euros en 2023 et de 103 milliards d'euros en 2024, le taux de croissance économique pour 2022 serait de 3%. [(103-100)/100]*100 = 3%] Le PIB, bien qu'indicateur important, présente des limites. Il ne prend pas en compte la production domestique non rémunérée, ni l'utilité sociale des activités économiques, et ne reflète pas l'impact environnemental de la production. Par exemple, la production de cigarettes augmente le PIB même si elle est nocive pour la santé. De même, la production de pétrole ou de voitures contribue au PIB tout en étant source de pollution. Le coût de cette pollution en terme de santé publique n’est pas comptablisée : on parle alors d’externalité négative1. Enfin, le PIB, ne reflète pas la répartition des revenus. Une augmentation du PIB ne signifie pas nécessairement une amélioration du niveau de vie de tous les citoyens. La croissance économique se différencie de l’expansion sur au moins deux points : D’abord, la durée : la croissance correspond à une augmentation de la production sur une longue période alors que l'expansion est une augmentation de la production à court terme, temporaire et réversible. L'expansion est une phase du cycle économique (fluctuation récurrente de l'activité économique). L’expansion est généralement de courte durée et peut être suivie d'une phase de ralentissement ou de récession. Ensuite, la croissance économique s’accompagne de changements structurels de l’économie (industrialisation et exode rural, puis tertiarisation, changements technologiques, urbanisation, transition démographique, etc.) alors que l’expansion est plutôt de nature conjoncturelle, c’est-à-dire liée aux circonstances du moment (hausse de la consommation, des exportations, etc.) 1 Situation où l'activité d'un agent économique a un effet négatif sur le bien-être d'un autre agent, sans que ce coût ne soit pris en charge par l’agent responsable de cette activité. 2 QUELLES SONT LES SOURCES DE LA CROISSANCE ECONOMIQUE ? La croissance économique est le résultat de différents facteurs interdépendants. Les sources principales sont : L'accumulation des facteurs de production: La croissance économique est en partie engendrée par une augmentation des facteurs de production tels que le travail (main-d’œuvre) et le capital (machines). Par exemple, une augmentation de la population active ou l’acquisition de nouvelles machines par les entreprises peut mener à une croissance économique. Cette augmentation de la production due à une augmentation des facteurs de production est appelée croissance extensive. L'accumulation du facteur travail peut provenir, par exemple, d'une forte natalité, du recours à l'immigration, de l’augmentation du taux d’activité des femmes, d'une augmentation du temps de travail ou d'un départ à la retraite plus tardif. Mais ces deux derniers moyens font l’objet de débats sociétaux et politiques légitimes. Le bien être d’une population n’est en effet pas uniquement déterminé par l’accumulation de biens de consommation, il est aussi fonction du temps dont dispose les individus en dehors du travail productif pour leurs loisirs, s’éduquer ou consacrer du temps à leur famille (temps libre). L'augmentation du taux d'emploi (proportion d’une population en emploi) peut être obtenue en favorisant l'accès à l'emploi de personnes qui en était initialement exclue, par exemple en investissant dans l’éducation et la formation afin que celles-ci disposent des compétences (capital humain) nécessaires pour être productifs. L'accumulation du facteur capital se fait par l'investissement, qui permet aux organisations d'acquérir de nouveaux moyens de production, tels que des machines, des outils et des bâtiments. Il existe trois types d'investissement : l'investissement de capacité, qui vise à accroître la capacité de production, l’investissement de remplacement, qui a pour objet de rempalcer les équipements usés ou devenus obsolètes, et l'investissement de productivité, qui vise à rendre les travailleurs plus efficaces. L'augmentation de la productivité globale des facteurs (PGF): La PGF représente l'efficacité avec laquelle les facteurs de production sont combinés pour générer de la production. Une augmentation de la PGF signifie que l’on produit plus avec la même quantité de facteurs de production (travail et capital). La part de la croissance qui n'est pas expliquée par l'accumulation des facteurs de production- on parle alors de résidu - est imputée à l’augmentation de la productivité globale des facteurs (PGF).La PGF est souvent utilisée comme mesure du progrès technique, qui découle en général d’innovations technologiques. Produire plus avec les mêmes ressources correspond à une croissance intensive. Critiques du programme Le programme de SES limite les sources de la croissance économique aux seuls facteurs ayant trait à l’offre, c’est-à-dire les ressources en hommes et en capitaux dont dispose une économie pour produire. Il s’agit donc d’évaluer la croissance potentielle, c’est-à-dire la croissance que cette économie peut connaître au vu de l’augmentation de ces ressources. Mais il ne sert à rien de disposer d’une abondance d’équipements si ces équipements sont sous utilisés, où d’une main d’oeuvre nombreuse si une partie d’entre elle est au chômage ou sous employée. Tout cela faute d’une demande suffisante pour L’accumulation des facteurs comme source atteindre un niveau de production qui permettrait d’assurer le de croissance économique plein emploi des hommes et des machines. On doit à John Maynard Keynes (1883-1946) d’avoir mis en évidence le rôle de la demande dans la décision des entrepreneurs d’embaucher du Ainsi, une augmentation de la consommation, personnel et d’investir. La croissance réalisée, c’est-à-dire des investissements ou des exportations observée, est donc indiscutablement influencée aussi par des contribue tout autant à la croissance facteurs déterminant la demande. économique, dès lors que l’appareil productif est dans la capacité d’y répondre. 3 QUEL EST LE LIEN ENTRE LE PROGRES TECHNIQUE ET L’ACCROISSEMENT DE LA PRODUCTIVITE GLOBALE DES FACTEURS ? Dans un sens très extensif, le progrès technique (PT) est mesuré par l’augmentation de la productivité globale des facteurs. Nous avons vu que la hausse de la PGF mesurait l'augmentation de la production qui n’est pas expliquée par l'augmentation de l’usage des facteurs de production, le capital et le travail. Robert Solow attribue cette augmentation de la PGF au progrès technique. Cette dernière serait donc une mesure de l’importance du progrès technique en tant que source de croissance économique. RESIDU DE LA CROISSANCE NON EXPLIQUE PAR LA CROISSANCE = HAUSSE DE LA PGF = INFLUENCE DU PT Toutefois, la hausse de la PGF ne se réduit pas à une simple mesure du progrès technique. Cette hausse peut également être influencée par d'autres facteurs, tels que les changements dans la qualité du capital (rajeunissement des équipements) et du travail (niveau de formation). J.-J. Carré, P. Dubois et E. Malinvaud2 ont mis en avant que l’augmentation de la PGF pouvait aussi s’expliquer par des éléments tels que les améliorations organisationnelles ou encore l'éducation et la compétence accrue de la main-d'œuvre. Elle peut aussi résulter du rôle des institutions, des externalités positives (la diffusion dans la société de nouvelles connaissances découvertes dans un secteur particulier peut profiter à l’ensemble de l’économie) ou du phénomène d’économies d'échelle (la hausse de la production permet de produire des produits à moindre coût, donc plus accessibles aux consommateurs). La PGF est donc souvent décrite comme une mesure de "notre ignorance" des véritables sources de la croissance. En effet, elle englobe tous les éléments qui augmentent la productivité et qui ne sont pas explicitement mesurés. Le progrès technique est donc un moteur de l'accroissement de la productivité globale des facteurs, mais il n’en est pas le seul. La PGF, en tant que mesure de l'efficacité globale de la production, reflète donc aproximativement l'impact du progrès technique sur la croissance économique. EXEMPLES D'IMPACT DU PROGRES TECHNIQUE SUR LA PGF Le développement de l'électricité comme source d’énergie a eu un impact majeur sur la croissance économique et la PGF. Il a permis la diffusion auprès des ménages et des entreprises de nouveaux équipements, rendant le travail humain plus rapide. Cette diffusion a en effet conduit à l'adoption généralisée de machines fonctionnant à l'électricité, plus efficaces que les machines à vapeur qu'elles ont remplacées. Aux États-Unis, le développement de l'électricité a expliqué une part importante de la hausse de la PGF entre 1913 et 1975. Les Technologies de l'information et des communications (TIC) : Le matériel informatique, les logiciels et les matériels de communication plus performants augmentent l'efficacité du processus de production dans de nombreux secteurs d'activité. Les TIC ont également contribué à la croissance de la PGF aux États-Unis, en particulier à partir des années 1950. L’exploitation du charbon comme source d’énergie a été une innovation majeure du XIX° siècle et qui a conduit à la révolution industrielle. Elle a permis de remplacer l’énergie humaine ou animale par l’énergie fossile, bien plus efficace, conduit au développement de l’usage des machines (à vapeur) dans l’industrie, les transports (le chemin de fer) puis l’agriculture, ce qui a entraîné une augmentation considérable de la production et de la productivité. L’automatisation et la robotisation dans la seconde moitié au XX° siècle ont permis de confier aux machines de nombreuses tâches auparavant réalisées par des humains, ce qui a entraîné une augmentation de la productivité et une baisse des coûts de production. Le numérique et Internet ont révolutionné la façon dont nous communiquons, travaillons et consommons. Il a créé de nouvelles activités (les plates formes numériques de streaming, de location, de vente, etc.) et de nouveaux emplois. Elle a contribué à la croissance économique mondiale. 2 Abrégé de la croissance française, Editions du Seuil, 1973 4 EXISTE-T-IL UNE RELATION ENTRE INNOVATIONS ET PROGRES TECHNIQUE ? Au sens strict, le progrès technique regroupe les innovations de nature technique apportant des perfectionnements aux produits ou aux procédés de production. Selon certains manuels scolaires, progrès technique et innovations techniques sont donc synonymes. Le Centre d’étude de l’emploi et de la technologie du Québec définit ainsi le progrès technique comme l’ensemble des « nouvelles connaissances ou procédés appliqués à la production et/ou à l’organisation afin : (1) d’améliorer les méthodes de production et/ou (2) l’organisation du travail ; (3) d'inventer et de mettre sur le marché de nouveaux biens et services ou (4) de modifier/améliorer les biens et services existants ». Mais d’autres manuels affirment que si le progrès technique résulte des innovations techniques, il résulterait aussi d’un environnement institutionnel (les droits protégeant la propriété intellectuelle), culturel (l’existence d’une aspiration au progrès) ou social (niveau d’éducation de la population) particulier. Ce constat nous inciterait donc à ne pas réduire le progrès technique aux seules innovations techniques. Les innovations techniques peuvent être classées de différentes manières : 1. Selon leur nature : Innovations de procédé : nouvelles techniques de production ou amélioration de techniques existantes. Ces innovations visent à accroître l'efficacité du processus de production (la productivité) et à réduire les coûts de production. Exemples : les machines automatiques, l’utilisation de l’IA, la robotisation, l'impression 3D. Innovations de produits : Elles correspondent à la création de nouveaux biens et services ou à l'amélioration de biens et services existants. Exemples : le smartphone, les vélos électriques, le streaming (téléchargement de films ou de musiques à partir de plateformes dédiées). Innovations organisationnelles : Ces innovations concernent l'organisation du travail et de l'entreprise. Elles visent à améliorer l'efficacité et la coordination au sein de l'entreprise et sur le marché. Exemples : le taylorisme (fin XIX°), le fordisme (milieu XX°), l'externalisation (confier à des entreprises spécialisées des activités jugées subalternes), le télétravail. 2. Selon leur impact: Innovations majeures : Ces innovations ont un impact profond sur l'économie et la société. Elles transforment en profondeur les modes de production et de consommation et engendrent des "grappes d'innovation" dans des secteurs connexes. Exemples : la machine à vapeur, l'électricité, l'ordinateur, Internet, le numérique, l’intelligence artificielle (IA) Innovations mineures (ou incrémentales) : Ces innovations sont plus progressives et s'appuient sur des technologies existantes. Elles permettent d'améliorer les produits et les processus existants de manière continue. Exemples : la souris d’ordinateur, les écrans plats, l’électronique embarquée dans les automobiles. 3. Selon leur champ d'application: Innovations de marché : Elles consistent à conquérir de nouveaux marchés, par exemple en s'adressant à de nouveaux clients ou en proposant de nouveaux usages pour des produits existants. Exemple : les plateformes internet forment des marchés immatériels qui permettent de mettre en contact offreurs et demandeurs de biens ou de services : le Boncoin pour les biens d’occasion, Booking.com pour la réservation de chambres d’hôtel, Uber pour la livraison de repas ou le transport des personnes, Blablacar pour le covoiturage, Airbnb pour la location de logement, etc. Innovations par la conquête de nouvelles matières premières : Ces innovations consistent à trouver et à exploiter de nouvelles ressources naturelles pour répondre à la demande croissante. Exemple : le gaz ou le pétrole de schiste, les terres rares pour les smartphones ou plus généralement, pour les biens utilisant l’électronique. Cependant, les innovations ne se limitent pas au seul domaine de la technique. Il existe en effet des innovations sociales (l’union libre dans les années 70, l’homoparentalité actuellement), culturelles (l’utilisation des réseaux sociaux numériques) ou artistiques (le surréalisme ou le cubisme au début du XX° siècle). 5 DE QUELLE MANIERE LE PROGRES TECHNIQUE (PT) FAVORISE-T-IL LA CROISSANCE ECONOMIQUE ? Le progrès technique est source de croissance économique par divers mécanismes. - Des activités plus efficaces : le PT génère des gains de productivité, ce qui permet de baisser les coûts de production. Par exemple, l'utilisation d'une moissonneuse-batteuse par rapport à une faux rend le travail beaucoup plus productif. De même, les ordinateurs ont considérablement amélioré la productivité par rapport aux machines à écrire. Cette baisse des coûts de production rend les producteurs plus rentables et leur permet de réinvestir et/ou de baisser leurs prix de vente et/ou d'augmenter les salaires ou les revenus des propriétaires. L’augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs (baisse des prix) ou des producteurs (hausse des salaires ou hausse des revenus du capital) stimule la demande et les débouchés, favorisant ainsi la croissance économique. - Le développement de nouvelles productions. Le PT se traduit souvent par des innovations de produits et de procédés. Les innovations de produits (automobiles au début du XX° siècle, l’ordinateur personnel dans les années 1980, les smartphones dans les années 2000) créent de nouveaux marchés et stimulent la demande, tandis que les innovations de procédés améliorent l’efficacité de la production (voir le paragraphe précédent) - La réalisation d’ externalités positives : Une externalité positive est un effet bénéfique généré par l'activité d'un agent économique, sans que les bénéficiaires de cet effet rémunérent cet agent pour cela. Par exemple, l’invention de l’imprimerie a permis la diffusion, l’accumulation et la transmission de savoirs dans le monde et à travers le temps sans que les bénéficiaires de cette invention aient à en payer le prix. Lorsqu'une entreprise innove, elle crée souvent des connaissances et des technologies qui peuvent être adoptées par d'autres entreprises, conduisant à des gains de productivité dans l'ensemble de l'économie. A partir du XIX° siècle ; les innovations en matière d’énergie (la diffusion des énergies fossiles, le charbon puis le pétrole, enfin de l’électricité) en sont une illustration fondamentale, dans la mesure où elles ont permis à l’être humain de surpasser les limitations imposées à sa capacité productive par le stock limité d’energie humaine, animale, hydraulique ou élolienne dont il disposait jusque là. L’exemple le plus parlant dans la période contemporaine est celui de l’invention d’internet, qui a profondément modifié non seulement nos modes de production, mais aussi nos modes de consommation. Ce phénomène est aussi illustré par le concept d' « économies d'agglomération », quand les entreprises d’un même secteur d’activité bénéficient beaucoup plus facilement de transferts mutuels de connaissances et de technologies quand elles se 6 regroupent dans un même lieu : par exemple, la Silicon Valley en Californie, lieu de naissance des principaux GAFAM : Microsoft, Google, Facebook (aujourd’hui Méta) et Apple. De plus, les innovations dans des secteurs spécifiques peuvent entraîner des "grappes d'innovation" (Joseph Aloïs Schumpeter) dans les secteurs connexes, amplifiant ainsi l'impact positif sur la croissance économique. L’invention du numérique a transformé profondément la diffusion dans le public de la presse écrite, radiophonique (les podcasts) ou audiovisuelle (les plateformes de rediffusion), suscité la création de plateformes de ditribution de films ou de musiques en ligne (streaming), ainsi que le développement de réseaux sociaux numériques (X- ex Twitter, Instagram, Linkendin, Youtube, Whatts App, Tiktok,etc.). DEUX EXEMPLES DE GRAPPE D’INNOVATION En gras la révolution de la machine à vapeur, en italique la révolution informatique POURQUOI LE PROGRES TECHNIQUE EST-IL CONSIDERE COMME ENDOGENE ? (page 8) 7 POURQUOI LE PROGRES TECHNIQUE EST-IL CONSIDERE COMME ENDOGENE ? Le progrès technique est aujourd’hui considéré comme endogène en économie parce qu'il est vu comme résultant de décisions économiques (en matière d’investissement en particulier) internes au système, plutôt que d'influences extérieures (l’action de géniaux inventeurs !). Cette idée est principalement développée dans les théories de la croissance endogène, qui suggèrent que les gains de productivité ne proviennent pas de facteurs extérieurs ou "exogènes" (à l’économie), mais plutôt de l'accumulation de différents types de capitaux au sein de l'économie, tels que le capital technologique, le capital humain et le capital public. L'investissement (ou accumulation de capital) joue donc un rôle essentiel dans le caractère endogène du progrès technique TYPE DE CAPITAL ACCUMULE NATURE DE CE CAPITAL NATURE DES INVESTISSEMENTS REALISES CAPITAL PHYSIQUE Equipements productifs Investissements productifs Aptitudes, qualifications, Investissements dans l’éducation, la CAPITAL HUMAIN expériences formation et la santé Connaissances scientifiques Investissements dans la recherche (DIRD : CAPITAL TECHNOLOGIQUE incorporées dans les machines ou dépenses intérieures de recherche et de les produits développement) Investissements dans les réseaux de CAPITAL PUBLIC Infrastructures publiques transport,les écoles, les centres de recherche publics, les hôpitaux, etc. Les théories de la croissance endogène, initiées par des économistes comme Paul Romer (1955- ), Robert Barro (1944- ) ou Robert Lucas (1937-2023), expliquent que la croissance économique peut être auto-entretenue et cumulative. Auto-entretenue : Les revenus générés par la croissance économique peuvent être réinvestis dans la recherche et le développement, l'éducation et les infrastructures, augmentant ainsi la productivité et favorisant l’apparition d’innovations, source d’une nouvelle croissance. Cet aspect peut être une explication de la reproduction, voire de l’aggravation des écarts de développement entre pays riches et certains pays pauvres. En effet, plus un pays est riche, plus il peut financer des dépenses de recherche, de formation, etc, et réaliser ainsi des innovations qui vont stimuler sa croissance économique. On peut tenir le raisonnement inverse pour les pays pauvres. Toutefois, les transferts de technologie des premiers vers les seconds peuvent contribuer à éviter cette fatalité du gap (écart) technologique croissant entre pays pauvres et pays riches. Par ailleurs, ce financement dépend beaucoup des politiques publiques menées en matière d’éducation et de recherche. L’Etat joue donc un rôle clé dans ce processus d’auto-entretien de la croissance. Cumulative : Une innovation dans un domaine peut en entraîner d'autres dans des secteurs connexes, créant ainsi un effet d'entraînement et une dynamique d'innovation permanente. Par exemple, l'invention de l'électricité a rendu possible le développement de nombreux autres produits et services, tels que l'éclairage électrique, le téléphone ou encore l'électroménager. L’électrification des économies (à partir du début XX° siècle) a ainsi contribué à la diffusion de nombreux équipements fonctionnant à partir de cette nouvelle énergie et de ce fait, entraîné des gains de productivité importants dans l’industrie manufacturière. Elle a aussi considérablement diminué le temps consacré aux tâches ménagères (machine à laver le linge), ce qui a favorisé l’essor de l’entrée des femmes sur le marché du travail. L’invention du numérique est un autre exemple, plus récent. Il a non seulement révolutionné le secteur des télécommunications, mais a aussi transformé les industries culturelles (apparition de plateformes de cinéma, essor du streaming au détriment des CD pour la musique), des médias (lecture en ligne des journaux) et de la photographie (disparition des pellicules argentiques). Enfin, il ne faut pas oublier que les innovations d’aujourd’hui n’auraient jamais pu exister sans certaines innovations du passé et sans le savoir accumulé et transmis à travers les siècles. « Nous sommes des nains sur des épaules de géants ». Cette métaphore attribuée à Bernard de Chartres ( XII°siècle) souligne l'importance du savoir accumulé dans le passé pour progresser et innover. 8 QUEL EST LE ROLE DES INSTITUTIONS DANS LA CROISSANCE ECONOMIQUE ? Les institutions jouent un rôle crucial dans la promotion du progrès technique et, par conséquent, de la croissance économique. Les institutions sont des règles formelles (lois, réglementations, brevets, droits de propriété) ou informelles (normes sociales) qui encadrent les comportements des agents économiques. Ainsi, un Etat de droit, une justice indépendante et des tribunaux impartiaux sont des institutions publiques indispensables pour éviter l’arbitraire des gouvernants, la corruption et procurent, de fait, une sécurité propice à l’activité économique. Parce qu’un grand nombre d’activités marchandes nécessite un encadrement juridique ou reglementaire (l’autorité de la concurrence, autorité des marchés financiers, tribunaux administratifs, …) pour éviter des actions préjudiciables pour les consommateurs (prix élevés) ou les entreprises concurrentes (abus de position dominante), la reglementation des marchés représente un exemple d’institution économique favorable à l’activité marchande. Les droits de propriété sont des droits dont dispose le propriétaire d’un bien pour l’utiliser comme il le veut (usus), en tirer du bénéfice (fructus) et s’en séparer (abusus). Les droits de propriété garantissent une sécurité pour le producteur ou l’acquéreur d’un bien contre le vol ou l’expropriation. Dans le cas contraire, les échanges s’en trouveraient limités. Critiques adressées aux droits de propriété Mais le droit de propriété protège des intérêts individuels qui peuvent s’opposer à d’autres droits jugés fondamentaux, ce qui nécessite sa limitation : l’abolition de l’esclavage interdit à toute personne d’être le propriétaire d’êtres humains ; dans une société salariale, le travail ne peut être considéré uniqement comme une simple marchandise dont les employeurs, parce que propriétaires des moyens de production, pourraient en disposer à leur guise : un droit du travail s’est progressivement construit pour améliorer et encadrer les conditions de travail des salariés ; enfin, la propriété d’un bien (terre, bien immobilier, usine) ne contraint pas le propriétaire à respecter l’environnement (droit environnemental). 3 Par ailleurs, la propriété privée peut être source d'inégalités et d'injustices sociales. L'histoire des enclosures en Angleterre, où les terres communales ont été privatisées au profit d'une élite foncière, illustre la violence de la propriété privée envers les populations les plus pauvres. Ce processus d'appropriation des terres et des ressources par une minorité, au détriment des communautés locales, s'est reproduit à l'échelle mondiale avec la colonisation et la constitution, au XIX° siècle, d’empires coloniaux. Enfin, la propriété privée est une institution incapable à répondre aux défis écologiques. La propriété privée, motivée par la 4 recherche du profit ou de la jouissance individuelle, est présentée comme la cause principale de la tragédie des communs , c'est- à-dire la surexploitation et la destruction des ressources naturelles. Le modèle juridique de la propriété privée est critiqué pour son individualisme et sa négligence des conséquences écologiques des pouvoirs octroyés à leurs bénéficiaires. Les droits de propriété intellectuelle, tels que les brevets, protègent les innovateurs de l’imitation de leur invention en leur garantissant un monopole juridique temporaire sur leur invention : ils sont de la sorte assurées de pouvoir tirer profit de celle-ci, profit d’autant plus important qu’ils sont en situation de monopole. Cette situation les encourageraient donc à investir dans la recherche et l’innovation. Sans cette protection, les entreprises seraient moins enclines à innover, craignant que leurs inventions ne soient copiées par des concurrents qui bénéficieraient ainsi de l’innovation sans avoir eu le moindre effort de recherche à financer. Toutefois, une fois que cette durée de protection (en général, 20 ans) est dépassée, leur invention rentre dans le domaine public, et la gratuité de l’accès à celle-ci permet sa diffusion au plus grand nombre. L’innovation devient un bien commun. Cette diffusion des connaissances technologiques facilite l’émergence de nouvelles innovations et peut stimuler ainsi la croissance économique. 3 Le mouvement des enclosures est un processus historique qui a eu lieu principalement en Angleterre entre le XVIe et le XIXe siècle. Il s'agissait de la transformation de terres agricoles communales en propriétés privées. Avant ce mouvement, de nombreuses terres étaient utilisées collectivement par les villageois pour le pâturage, la culture et d'autres activités agricoles. Avec les enclosures, ces terres ont été clôturées et privatisées, souvent au profit des grands propriétaires terriens, ce qui a mis fin à leur usage commun. 4 Situation où des individus agissent indépendamment et rationnellement selon leur propre intérêt, mais finissent par épuiser une ressource partagée, au détriment de l'intérêt collectif. 9 Toutefois, les droits de propriété intellectuelle rencontrent certaines limites. D’une part, on limite forcément le nombre de bénéficiaires (bénéfice social < bénéfices privés), ce qui peut poser des problèmes éthiques. Notamment, en matière de santé publique, au niveau mondial, lorsque des médicaments protégés par un brevet sont si onéreux qu’ils sont inaccessibles aux populations les plus pauvres. Cette question fut soulevée en 2009 lors de la commercialisation des médicaments antirétroviraux permettant de soigner les personnes atteintes du VIH (Sida). En 2021, un débat confrontait opposants et défenseurs de la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid-19. Les premiers (principalement l’industrie pharmaceutique) affirmaient que cela pourrait nuire à l'innovation et à la recherche médicale. Les seconds (les médecins et les associations humanitaires) soulignaient la nécessité d'augmenter la production de vaccins pour atteindre une immunité collective mondiale, surtout dans les pays en développement. Par ailleurs, les brevets peuvent paradoxalement freiner la diffusion des savoirs lorsqu’ils constituent un frein à la mutualisation des savoirs et à la coopération. Ces dernières peuvent s’avérer plus efficaces pour innover et moins coûteuses pour le consommateur que la constitution de monopoles technologiques via les brevets: certains concepteurs de logiciels (Linux, Mozilla Firefox, etc.) proposent ainsi au public des logiciels libres de tout brevet. Ariane Espace et Airbus industrie sont deux illustrations de réussite européenne en matière de coopération industrielle et technologique. Au niveau international, les découvertes sur le séquençage du génome humain sont une autre illustration de réussite de ces coopérations et mutualisations. D'autres institutions, telles que les systèmes éducatifs, contribuent à développer le capital humain5 et favorisent ainsi l'innovation et la croissance économique. Il ne faut pas pour autant restreindre le rôle de l’éducation à cette visée purement utilitariste, les sytèmes éducatifs ont surtout comme mission essentielle l’instruction et l’émancipation des individus. Les institutions qui offrent une protection sociale favorisent la croissance économique. Par exemple, les systèmes d'assurance chômage, contribuent à la croissance économique en offrant un filet de sécurité aux travailleurs qui perdent leur emploi, ce qui soutient la consommation en cas d’aggravation du chômage et évite une exclusion préjudiciable à l’obtention d’un nouvel emploi. La protection sociale peut être assimilée, comme le fait Robert Castel (sociologue français, 1933-2013), à une propriété publique car, comme le fait la propriété privée au niveau individuel, elle assure à un niveau collectif une sécurité économique aux salariés et, outre l’amélioration de leur bien être, les encourage à consommer ou à investir (dans l’immobilier en particulier), ce qui est bénéfique à la croissance économique. 5 Connaissances, compétences et expériences ayant une utilité pour l’économie d’un pays. 10 L’INNOVATION TECHNOLOGIQUE S’ACCOMPAGNE D’UN PROCESSUS DE DESTRUCTION CREATRICE Le processus de destruction créatrice est un concept clé en économie qui fut introduit par Joseph Aloïs Schumpeter (1883-1950). Cet économiste décrit la croissance économique propre au capitalisme comme un processus dynamique qui implique la destruction constante des activités anciennes et leur remplacement par des activités nouvelles et jugées plus performantes.. Les innovations sont une source de destruction car elles engendrent la disparition de produits, de techniques ou d’activités devenus à cause d’elles obsolètes. Les entreprises qui ne s'adaptent pas à ces changements disparaissent, tandis que de nouvelles entreprises émergent, créant de nouveaux emplois, marchés et opportunités. On devrait donc plutôt dire « création destructrice », car c’est la diffusion avec succès (innovation) d’une invention dans la société qui entraîne la disparition de ce qui est de facto devenu obsolète. Une « destruction créatrice (...) révolutionne incessamment de l'intérieur la structure économique en détruisant ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs ». (Capitalisme, socialisme et démocratie ; Joseph Aloïs Schumpeter ; 1942) EXEMPLES DE DESTRUCTION CREATRICE Innovation Disparition ou quasi disparition Numérique Disques vinyle/cassette VHS/cassettes audio/ pellicule argentique Train Diligence Téléphone Télégraphe Smartphone Téléphone filaire Ordinateur Machines à écrire Streaming CD-Rom/DVD Ce processus serait un processus continu, permanent mais la diffusion irégulière dans le temps de ces innovations expliquerait les cycles longs (50-60 ans environ) de l’économie capitaliste, fluctuations mises en évidence par Nikolaï Kondratiev (économiste russe, 1892-1938). Ces innovations apparaissent en effet en grappe6. Ces innovations sont inégalement réparties dans le temps. Chaque vague d’innovations correspondrait à une révolution révolution technique. EXEMPLES DE REVOLUTIONS TECHNIQUES ILLUSTRANT LE PROCESSUS DE DESTRUCTION CREATRICE La révolution Industrielle (entre 1760 et 1850 environ) : L'utilisation du charbon comme source d’énergie et des machines à vapeur ont donné naissance au machinisme, à l’usine, au transport ferroviaire, à la grande entreprise tout en rendant obsolètes certaines formes d’activités artisanales ou en contribuant à la diminution de l’emploi dans certains secteurs (le secteur agricole en particulier) L'électricité : (1° moitié du XX° siècle) L'introduction de l'électricité a révolutionné non seulement les industries manufacturières en permettant la production de masse, mais a également changé la vie quotidienne avec l'éclairage électrique et l’apparition des appareils électroménagers. La révolution numérique : Les Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) ont aujourd’hui transformé non seulement les modes de production (robotisation, Machines Outil à Commande Numérique, télétravail), mais aussi nos modes de vie (omniprésence du smartphone dans nos communications) et de consommation (des produits culturels en particulier : musiques, films, médias, etc.) 6 Une grappe d’innovation est un ensemble d’innovations liées entre elles par le fait que certaines d’entre elles - les innovations majeures en particulier- en suscitent d’autres. 11 LE PROGRES TECHNIQUE PEUT-IL ENGENDRER DES INEGALITES DE REVENUS ? Le progrès technique peut engendrer des inégalités de revenus pour différentes raisons : Les innovations technologiques qui constituent le processus de destruction créatrice décrit précedemment peuvent rendre obsolètes certaines industries et professions, entraînant des pertes d'emplois et une baisse des revenus pour les travailleurs concernés. Parallèlement, de nouvelles opportunités se créent dans des secteurs plus avancés, bénéficiant principalement aux travailleurs qualifiés et aux détenteurs de capitaux investis dans ces secteurs. De plus, les brevets qui protègent de l’imitation les innovateurs et leur accordent ainsi un monopole temporaire peuvent également engendrer des inégalités. Ces monopoles permettent de générer des profits considérables qui permettent à ces entreprises innovantes de verser plus de dividendes à leurs actionnaires et/ou des salaires plus élevés à leurs salariés. Certes, ces brevets ont une durée limitée, et à leur terme, la diffusion de nouvelles connaissances peut bénéficier à l'ensemble de l'économie. Toutefois, dans le domaine du numérique, où les plateformes et les géants technologiques concentrent une grande partie des bénéfices, le progrès technique peut conduire à une économie de "superstars", dans laquelle un petit nombre d'individus ou d'entreprises dominent un secteur et captent une part disproportionnée des revenus. Enfin, le progrès technique peut être biaisé, c’est-à-dire plus favorable pour certaines catégories de MO. Exemple de la diffusion du numérique dans l’économie. Le PT serait favorable au travail très qualifié. Les technologies numériques, par exemple, sont souvent complémentaires aux emplois très qualifiés (ingénieurs, techniciens), qui nécessitent des compétences complexes (conception, création, coordination ou organisation). La diffusion de ces technologies conduit à une demande accrue de ces emplois hautement qualifiés et à une augmentation des salaires offerts. Le PT serait défavorable au travail moins qualifié et routinier (remplaçable par des machines automatiques) : le robot remplace l’ouvrier, la dématérialisation des tâches administratives conduit à la réduction des effectifs d’employés de bureau, les caisses automatiques remplacent les employés de commerce. Le numérique contribuerait au déclin des emplois intermédiaires (artisanat ou comptabilité). Le nombre de ces emplois et le niveau de leur rémunérations peuvent alors décliner. Mais le progrès technique serait neutre vis-à-vis des tâches non routinières, non qualifiées, qui ne peuvent être automatisées : les technologies numériques n’impacteraient pas les emplois peu qualifiés correspondants (les services à la personne, nettoyage) Au total, la diffusion du numérique se traduirait par une polarisation de l’emploi, c’est-à-dire une diminution de l’emploi intermédiaire au profit des emplois très qualifiés (et fortement rémunérés) et peu qualifiés (et peu rémunérés), et donc par une augmentation des inégalités. EVOLUTION DE LA STRUCTURE DES EMPLOIS EN FRANCE Mais le progrès technique n'est pas le seul facteur contribuant à aggraver les inégalités économiques. La mondialisation (impact de la concurrence de la main d’œuvre bon marché des pays émergeants sur le chômage et le niveau de salaire de la main d’œuvre exposée à cette concurrence), les politiques publiques libérales (montée des emplois précaires liée à un allègement du droit du travail) et l’affaiblissement syndical (moindre pouvoir de négociation dans les rapports entre salariés et patronat) jouent également un rôle important. Cependant, en modifiant la nature du travail et la répartition des revenus, le progrès technique constitue un facteur important dans l'évolution des inégalités économiques. 12 QUELLES SONT LES LIMITES ECOLOGIQUES DE LA CROISSANCE ECONOMIQUE ? "Certes, le capitalisme est le système qui a su produire, de façon extraordinaire et remarquable, le plus de biens et de richesses. Mais il faut aussi regarder la somme des pertes pour l’environnement, pour les sociétés qu’il a engendrées." Immanuel Wallerstein (1930-2019) Une croissance économique est considérée comme soutenable dès lors qu’elle répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Dans le dernier programme de SES (réforme Blanquer, 2019), cette notion a remplacé celle, beaucoup plus ambitieuse, de développement durable. Le développement durable est un concept qui a été formalisé dans le Rapport Brundtland de 19877. Il est défini comme un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Les deux termes de croissance soutenable et de développement durable semblent donc synonymes. Toutefois, contrairement à la notion de croissance soutenable, qui ne considère que la dimension économique, le développement durable prend en compte trois dimensions du bien-être de l’humanité : l'économique, le social et l'environnemental. Le concept de croissance soutenable ne prend pas en considération la dimension sociale du développement durable, à savoir la réduction des inégalités et une meilleure satisfaction, pour l’ensemble de l’humanité, des besoins tels que l'accès à l'eau potable, à la nourriture, à l'éducation et à la santé. Quoiqu’il en soit, la croissance économique actuelle est confrontée à des limites écologiques qui remettent en question sa pérennité : L'épuisement des ressources naturelles non renouvelables : La croissance économique repose sur l'utilisation de ressources naturelles, dont certaines sont non renouvelables : c’est le cas des énergies fossiles, mais la pérennité de leur usage n’est pas souhaitable, du fait de sa responsabilité dans le réchauffement climatique. C’est le cas aussi de ressources minérales, comme le cuivre, l’or ou le zinc, ou de minerais rares appelés terres rares et dont la raréfaction risque de poser des problèmes pour la production de biens électriques ou électroniques. La surexploitation des ressources renouvelables : Même les ressources renouvelables, comme les ressources halieutiques (poissons), peuvent être menacées par une exploitation excessive. Le rythme d'exploitation peut facilement dépasser leur capacité de renouvellement, entraînant leur déclin et menaçant les écosystèmes. La pollution de notre environnement : La croissance économique s’accompagne d’une pollution des eaux (océans de plastique), de l’air et de la terre, préjudiciable à notre écosystème et au bien être des générations futures. Si notre mode de production est désigné comme le principal responsable (rejets de composés polluants, combustion des énergies fossiles, extension des échanges liés à la mondialisation), notre mode de consommation (mode de transport, consommation de produits non recyclables : augmentation des déchets, en particulier les plastiques) a aussi sa part de responsabilité. Le dérèglement (ou réchauffement) climatique : De plus, la croissance économique passée et présente est basée sur l'utilisation d'énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz). La combustion de ces énergies engendre une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, augmentation responsable du réchauffement climatique. Ce dernier a des conséquences écologiques qui peuvent s’avérer très inquiétantes pour le devenir de l’humanité : 1) l’élévation du niveau des océans et leur acidification ; 2) la désertification de certaines terres ; 3) la multiplication des catastrophes naturelles : ouragans, incendies (Australie, Californie, Portugal), inondations,... ; 4) la fonte des calottes glaciaires, des glaciers et la disparition de réserves d’eau douce ; 5) la perturbation des écosystèmes; 6) l’essor de nouvelles sources de migrations, les migrations climatiques, liées aux inondations des terres côtières ou à la désertification ; 7) l’apparition de nouveaux conflits : émeutes de la faim en 2007 et 2008 à Dakar, au Caire, à Mexico ; conflits sur le partage des ressources hydrauliques,... L’érosion de la biodiversité : végétale et animale : (surpêche, utilisation des pesticides, extension de l’agriculture intensive ou de l’élevage au détriment des forêts primaires : culture de soja, élevage au brésil, arbres à Palmes en 7 Le Rapport Brundtland est une publication de l’ONU, intitulée « Notre avenir à tous » (Our Common Future), publiée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l'Organisation des Nations unies, présidée par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland 13 Indonésie, extension de l’habitat urbain...). La disparition en cours de certaines espèces animales et végétales entraînerait, selon certains experts, une sixième extinction des espèces. Conséquence : la pression environnementale qu’exerce la poursuite de la croissance économique s’avère préjudiciable pour la planète et les générations futures. Non pas seulement pour des raisons démographiques : à peu près 10 milliards d’individus sur notre planète en 2050, 4 fois plus qu’en 1950 ; mais aussi et surtout en raison d’un mode de production et d’un mode de vie, certes très inégalement partagés sur la planète, mais qui ne peuvent être poursuivis et étendus sans menacer les écosystèmes et dégrader les conditions de vie des générations futures. La question est donc de savoir si l’on peut concevoir une croissance économique soutenable, c’est-à-dire respectueuse des enjeux écologiques. La technologie peut-elle nous permettre de reculer ces limites, ou devons nous au contraire promouvoir une « décroissance » et une forme de sobriété sans dégrader pour autant les conditions de vie des populations ? 14 L’INNOVATION PEUT-ELLE AIDER A RECULER LES LIMITES ECOLOGIQUES DE LA CROISSANCE ECONOMIQUE ? 8 9 Certains courants de pensée (en particulier le cornucopianisme ou le technosolutionnisme ) considèrent que l’'innovation technologique peut jouer un rôle crucial dans la limitation de impacts négatifs de la croissance sur l’environnement et ainsi favoriser une croissance économique soutenable. Les innovations pourraient limiter les dégâts environnementaux de la croissance de diverses manières : L’utilisation de biens ou de services de substitution : L'innovation permet de trouver des alternatives aux ressources rares ou polluantes. Par exemple, le remplacement des sacs plastiques par des sacs en fibres naturels biodégradables ou, dans le domaine du transport, le développement des modes de transport moins polluants que l’automobile (tramways, vélos électriques). Le développement des énergies renouvelables ou « la transition énergétique »: Les innovations dans le domaine des énergies renouvelables (l'énergie solaire avec les panneaux photovoltaïques et les centrales solaires, l'éolien terrestre et maritime, la géothermie et la biomasse, la production d'hydrogène vert par électrolyse de l'eau) offrent des alternatives à la dépendance aux énergies fossiles, principales responsables du réchauffement climatique. L'innovation dans le domaine du stockage de l'énergie, notamment les batteries et l'hydrogène, est également utile pour pallier l'intermittence des énergies renouvelables. L’amélioration de l'efficacité énergétique: L'innovation peut conduire à la création de produits et de procédés de fabrication moins gourmands en ressources naturelles et en énergie. Par exemple, l'amélioration des moteurs d'avion a permis de diviser par deux leur consommation de carburant depuis les débuts de l'aviation commerciale. L'innovation permet également une meilleure isolation des bâtiments. Ces innovations contribuent à réduire l'empreinte écologique de la production et de la consommation. Recyclage et valorisation des déchets ou « l’économie circulaire » : L'économie circulaire vise à minimiser le gaspillage et à maximiser la réutilisation des ressources. L'innovation permet de créer des technologies et des procédés de recyclage des déchets, économisant ainsi les ressources et l'énergie. Le recyclage du verre usagé ou du papier en sont deux illustrations. Il s’agit d’allonger la durée de vie des produits, de favoriser la réparation et le recyclage pour limiter l'épuisement des ressources. Pour cela, il faut repenser la conception des produits et développer des matériaux plus durables et plus facilement recyclables. Cependant, l'innovation, bien qu’utile pour réduire notre empreinte environnementale, n'est pas une solution suffisante face aux enjeux écologiques. Les gains attendus par l’amélioration de l’efficacité énergétique sont annulés par l’effet rebond. Il s’agit d’une situation dans laquelle les gains d'efficacité obtenus dans l'utilisation de l'énergie ou des ressources, conduisent paradoxalement à une augmentation de la consommation totale de ces mêmes ressources. Quand une technologie ou une pratique devient plus efficace, les économies réalisées sur le coût ou l'utilisation peuvent encourager une utilisation accrue, annulant ainsi une partie des bénéfices initiaux. Par exemple, l’achat d’une voiture qui consomme moins de carburant peut inciter son utilisateur à conduire davantage parce que chaque kilomètre coûte désormais moins cher en carburant. Sa consommation totale de carburant risque donc de ne pas diminuer, pire, d’augmenter. C’est le cas du transport aérien. L’amélioration des moteurs d'avion a permis de réduire de moitié la consommation de carburant depuis les débuts de l'aviation commerciale, ce qui a contribué à la démocratisation du transport aérien grâce à la forte diminution de son coût. Le transport aérien a fortement augmenté ces dernières décennies (à l’exception des années Covid), ainsi que la consommation d’énergie fossile que celui-ci utilise. Les énergies de substitution (nucléaire, éolien, solaire), loin de substituer aux énergies fossiles, s’y sont ajoutées. Le nucléaire, que les économistes des années 1970 imaginaient pouvoir se substituer aux fossiles dans la première moitié du 21ème siècle, ne représente que 4 % de l’énergie primaire consommée dans le monde, et sa part baisse depuis une trentaine d’années. La transition énergétique exigée pour lutter contre la progression des gaz à effet de serre (GES), est donc loin d’être amorcée ! 8 Tirant son étymologie du mythe de la corne d’abondance (cornucopia en latin), le cornucopianisme se construit autour de cette idée centrale que toutes les limites naturelles peuvent être repoussées en mobilisant une ressource ultime et inépuisable : le génie humain. 9 Le journaliste Stéphane Foucart considère que le technosolutionnisme consiste à envisager le problème climatique et les problèmes environnementaux « comme des problèmes que la technique va de toute façon réussir à résoudre ». 15 Cependant, de nombreux acteurs de la société civile (associations écologistes, chercheurs, partis politiques…) jugent nécessaire d'aller au-delà de simples solutions technologiques pour répondre aux limites écologiques de la croissance. D’abord, si l'innovation technologique est utile, elle ne peut à elle seule garantir la durabilité de nos modes de vie. Ces acteurs alertent sur une confiance aveugle ou intéressée (greenwashing10) dans le progrès technologique pour résoudre les problèmes environnementaux et climatiques. Pour cette raison, certains d’entre eux font la promotion de la décroissance pour limiter l’impact de notre mode de vie sur l’environnement et le dérèglement climatique. La décroissance consisterait à réduire la production et la consommation dans les sociétés, en particulier les plus riches, afin de minimiser leur impact environnemental et favoriser une répartition plus équitable des ressources. Les promoteurs de la décroissance aspirent donc à une plus grande sobriété dans notre mode de vie. Les politiques publiques devraient encourager des modes de production et de consommation plus sobres. La décroissance remet en question l'idée que la croissance économique est toujours synonyme de progrès et de bien-être. Elle soulève la réflexion sur la manière dont les ressources sont utilisées et ouvrent le débat sur la mise en place de nouveaux indicateurs de la qualité de vie et du bien-être dans une société. La « décroissance » invite à remettre en question la primauté accordée aux biens matériels dans la définition du bien être. L'accent est mis sur la recherche d'une meilleure qualité de vie, fondée sur des valeurs non marchandes comme la solidarité, le partage et le lien social. Il s'agirait de s'ouvrir à d'autres conceptions du bien-être et du progrès, qui ne se limitent pas à l'accumulation de biens matériels. Toutefois, la décroissance ne fait guère l’objet d’un consensus, dès lors que les ressources sont inégalement réparties dans notre société et sur la planète. La décroissance n’est pas recevable pour des pays pauvres qui n’aspirent qu’à atteindre le niveau de vie des pays riches, et au sein de notre société, pour ceux qui sont confrontés à la précarité ou à la pauvreté. Ce « concept obus » (Paul Ariès) de décroissance suppose par conséquent une répartition équitable des efforts à accomplir. L’objectif poursuivi semble donc très difficile à atteindre. Conclusion : Le mode de croissance économique actuel n’est pas soutenable à long terme. Le progrès technique peut jouer un rôle important pour atténuer ses limites écologiques, mais des changements profonds dans les modes de production et de consommation sont nécessaires pour assurer une croissance véritablement durable. Le débat sur la soutenabilité de la croissance et les moyens d’y parvenir reste ouvert. 10 Le greenwashing est une technique marketing visant à faire croire aux consommateurs qu’une entreprise agit pour l’environnement, alors que ses actions réelles ne sont manifestement pas à la hauteur des engagements affichés. 16