Morpholexicologie - Formation des Mots en Diachronie (PDF)

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Sorbonne Université

H. Biu

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morpholexicologie histoire de la langue formation des mots langue française

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Ce document présente un cours sur la morpholexicologie , une branche de la linguistique qui étudie la formation des mots en diachronie. Le cours couvre les mots hérités, les mots empruntés et les mots déposés, ainsi que leurs évolutions phonétiques.

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Année universitaire 2024-2025 – Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Fiche de Morpholexicologie n°1 MORPHOLEXICOLOGIE – FICHE N°1 LA FORMATION DES MOTS EN DIACHRONIE §REMARQUES LIMINAIRES Þ...

Année universitaire 2024-2025 – Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Fiche de Morpholexicologie n°1 MORPHOLEXICOLOGIE – FICHE N°1 LA FORMATION DES MOTS EN DIACHRONIE §REMARQUES LIMINAIRES Þ La morpholexicologie ou morphologie lexicale s'occupe de l'étude de la formation des mots, selon deux approches : en diachronie (= étude de la langue dans son évolution) en synchronie (= étude qui ne prend en compte qu'un seul et unique état de la langue considérée) Þ La morphologie lexicale a d'abord été historique (ou diachronique), en ce qu'elle a cherché à expliquer la forme des mots par leur origine et à les dater, si possible. De ce point de vue, l’on distingue deux types de mots français en fonction de leur origine : les mots transposés, c'est-à-dire les mots venus d'une autre langue, par héritage ou par emprunt ; les mots de formation française, c'est-à-dire des mots qui ont été formés par le français, selon deux procédés principaux, la dérivation et la composition. §PLAN DE CETTE FICHE DE COURS Dans la mesure où cette fiche est consacrée exclusivement à l’approche diachronique évoquée ci-dessus (l’ouverture sur l’approche synchronique n’est faite que dans la conclusion), voici le plan qui sera développé dans les pages qui suivent : 1 – LES MOTS TRANSPOSÉS 1.1 – Les mots hérités 1.1.1. Les langues pourvoyeuses de mots hérités : latin, gaulois, germanique 1.1.2. Remarque générale sur les mots hérités 1.2 – Les mots empruntés 1.2.1. Évolution phonétique et adaptation au système français des mots empruntés 1.2.2. Les mots empruntés au latin : la notion de doublet 1.3 – Aux marges des mots empruntés : les mots déposés 2 – LES MOTS DE FORMATION FRANÇAISE 2.1 – Les mots de formation française sont des mots construits 2.2 – Motivation, démotivation, remotivation 2.2.1. Motivation relative 2.2.2. Démotivation 2.2.3. Remotivation CONCLUSION § QUE DEVEZ-VOUS RETENIR DE CE COURS ? Comme vous êtes en L1LFB011, dont l’intitulé est « Grammaire et Histoire de la langue », il vous faut comprendre la trame générale et la chronologie. C’est plus dans la perspective de questions portant sur le CM à l’examen que dans la perspective du TD (nous étudierons la morphologie lexicale en synchronie 1 Année universitaire 2024-2025 – Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Fiche de Morpholexicologie n°1 et non en diachronie) que vous devez faire cet effort. En gros, il faut que vous sachiez qu’il y a des mots hérités, des mots empruntés [je précise tout de suite que la nuance entre mots empruntés et mots déposés n’est pas essentielle ; disons que si vous la maîtrisez, c’est très bien, mais que si ce n’est pas le cas, tout le monde s’en remettra !] et des mots de formation française. Concernant les mots hérités et mots empruntés, reportez-vous au CM de Gilles Siouffi pour donner des exemples concrets si vous êtes confronté/confrontée à une question telle que « D’où vient le lexique français ? ». Il faut également que vous maîtrisiez la notion de doublet, et pour nourrir à l’aide d’exemples une réflexion qui porterait sur l’enrichissement du lexique français (question de CM), et pour répondre à une question spécifique portant sur le sujet dans la partie exercices (par exemple : « À partir de la liste de mots français ci-dessous, reconstituez les doublets issus des étymons latins X, Y, Z, en précisant pour chaque doublet reconstitué, la forme populaire et la forme savante »). 1 – LES MOTS TRANSPOSÉS Les mots transposés se divisent en deux grandes classes : ® les mots hérités ou mots héréditaires (1.1) que le français a hérités d'une langue ancienne, à savoir le gaulois, le latin et le francique. L'ensemble des mots hérités constitue le fond primitif du français ; ® les mots empruntés, c'est-à-dire les mots que le français a empruntés aux langues anciennes ou modernes après le IXe siècle (1.2). Aux marges des mots empruntés, on prendra en compte également les mots dits déposés (1.3) 1.1 – Les mots hérités 1.1.1– Les langues pourvoyeuses de mots hérités : latin, gaulois et francique § Mots hérités du latin Mais de quel latin parle-t-on ? Le latin qui va devenir peu à peu un gallo-roman primitif (ce qu’on appelle le protoroman) parlé sur le territoire de la Gaule est essentiellement un latin parlé populaire1, bien différent du latin classique (latin du 1er s. av. J.-C. qui se confond souvent avec le latin écrit). Difficile cependant de dire à partir de quand ce latin parlé est devenu suffisamment distinct des autres formes de latin pour être considéré comme une autre langue, comme un roman parlé archaïque (= protoroman). Les premières attestations écrites du protoroman datent du IXe siècle ; cela ne veut pas dire que ce protoroman n’existait pas avant. En fait, les diachroniciens du français considèrent que c’est sans doute entre le VIe et le VIIIe siècle que le latin parlé sur le territoire de la Gaule est devenu un protoroman qui n’a ensuite cessé d’évoluer jusqu’à devenir ce que l’on appelle le français. Le lexique français a donc pour origine première un fonds lexical issu du latin populaire qui était parlé sur le territoire de la Gaule. Ces mots du latin populaire évoluent, sont riches d’innovations, d’expressivité et acquièrent une autonomie propre. Bien souvent, les mots du latin parlé qui ont supplanté les formes du latin classiques résultent de figures de style : – terme dépréciatif ou ironique : equus a laissé la place à caballus (‘vieille rosse’ )> cheval ; de même, exemple, à l'origine, parabolare, qui a donné notre parler, signifiait ‘raconter des histoires’ et se distinguait donc du latin classique loqui (‘parler’.) 1 Attention, il ne faut pas voir dans le latin « parlé », « populaire », « vulgaire », un latin dégénéré ! 2 Année universitaire 2024-2025 – Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Fiche de Morpholexicologie n°1 – métonymie (processus de changement de sens fondé sur une association d’idée qui ne doit rien à la perception d’une ressemblance ): focus (lat class. « foyer où brûle un feu ; famille, foyer, réchaud ») employé à l’époque impériale comme synonyme de ignis qu’il finit par supplanter pour désigner le feu ; – métaphore (processus de changement fondé sur la perception d’une ressemblance) : caput >capum a donné « chief » (sens conservé aujourd'hui dans couvre-chef), mais parallèlement, le latin a développé un autre mort, par métaphore, testa, « vase en terre cuite », d'où teste > tête qui finira par supplanter chef en moyen français. Cela étant, beaucoup de mots du latin écrit standard sont passés en français, et ont subi au cours des siècles les lois de l’évolution : FRATREM > frère – IMPERATOREM > empereur – RATIONEM > raison – SOROR > sœur Remarque importante : le latin a un statut particulier, parce ce n’est pas seulement la « langue mère », c’est aussi une langue à laquelle le français ne va cesser d’emprunter des mots tout au long de son histoire. On parlera alors de mot savants (voir infra 1.2 – Mots empruntés). § Mots hérités du gaulois Comment sont-ils parvenus jusqu’à nous ? Conquis par les Romains, les Gaulois ont progressivement appris la langue de l’envahisseur. Ce sont sans doute les nobles (ou du moins une partie de l’aristocratie gauloise) et les marchands qui ont été les premiers à le faire, car le latin était la langue de l’administration et du commerce). Il s’ensuit qu’entre le 1er s. av. J.-C. et le Ve siècle après J.-C., le latin parlé a peu à peu supplanté le gaulois (même s’il a pu être parlé jusqu’au VIe ou VIIe siècle dans des zones reculées). Au cours de cette période, les Gaulois ont dû connaître une situation de diglossie, c’est-à-dire une situation de bilinguisme (en l’occurrence gaulois/latin) dans laquelle l’une de deux langues a un statut socioculturel inférieur (ici, le gaulois). Mais si les Gaulois ont progressivement cessé de parler leur langue, celle-ci n'en a pas moins, avant de disparaître, enrichi le latin parlé en Gaule, en lui transmettant certains mots. Ces mots gaulois ont été latinisés, et c’est par le biais du latin parlé qui les a accueillis et qui n’a cessé d’évoluer phonétiquement que ces mots sont parvenus jusqu’à nous. Les mots hérités du gaulois sont peu nombreux (0,08% des mots français !). On relève : une centaine de noms communs, parmi lesquels des mots concernant o la flore et la botanique (bruyère, bouleau, chêne, if, sapin, coudrier, ruche (« écorce »), o la faune (alouette, blaireau, bouc, bec, mouton, chat-huant ; lotte, tanche, truie, truite), o le monde rural (ardoise, boue, bourbe, arpent, borne, bief, dune, lande, talus, lieue, sillon, charrue, chemin, soc, marne), des mesures (arpent, lieue) ; o l’alimentation (cervoise, jarret, crème, lie >« boire le vin jusqu’à la lie ») o ainsi que des mots comme étain, braies, vassal, trogne, truand, petit, balai, gobelet, gosier, etc. ; l’adjectif dru (d’un mot du latin populaire de Gaule remontant au Gaulois *drûto ‘fort, vigoureux’ des suffixes dans les toponymes : -dunum « colline » > Loudun, Autun ; -magus « marché », comme dans Rotomagus > Rouen ; -lan « plaine », comme dans Meillan, Meulan, Meylan) ; -nemeto « lieu sacré », comme dans Nemetodurum > Nemours. § Mots hérités du francique Les Francs ont introduit une centaine de mots (soit 1.35% du lexique français) qui ont été latinisés entre les VIe et XIe siècles. Pour la plupart, ils concernent : 3 Année universitaire 2024-2025 – Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Fiche de Morpholexicologie n°1 – les institutions (chambellan, sénéchal, maréchal, marquis, baron (< BARO, « homme libre ») , félon, fief, franc, ban, bannir « condamner »< * bannjan « proclamer, convoquer des troupes), honnir < *HAUNJAN) garant, gage – la guerre (guerre < *WERRA « désordre, trouble), guerir (*WARJAN « protéger, défendre »), garnir, garnison, garder < *WARDON, guetter (*WHATÔN « surveiller »), gars, garçon < *WRAKKJO « vagabond », au 12e, « valet de rang social inférieur », puis dans tous les domaines, parfois employé comme terme d’injure et qualifie alors une personne de rang social peu élevé ; de ce sens prévis, il nous reste en français garce (alors que gars n’a pas cette acception) éperon, épieu, étrier, flèche, gonfanon, hache, haubert, heaume < *HELM, rang < *HRING « anneau, cercle », troupe < THROP « village, troupeau, tas »). – des sensations (regarder, épier, guetter, effrayer) – des couleurs (blanc, blanc, bleu, gris, brun, blond, fauve), – l'anatomie (hanche, flanc, échine, téton), – la vie rurale (bois < bosk « buisson », blé, buisson, cresson, gerbe, haie, houx, roseau, saule, framboise < *brambasia « mûre » devenu frambeise sous l’influence de l’itiale de fraise) – la faune (écrevisse, épervier, mésange, hareng < haring), etc. C'est aussi du germanique que viennent : – le suffixe -ard comme dans débrouillard, montagnard, gueulard, flemmard, campagnard, etc. Et que l’on retrouve (-ard/-erd) dans plusieurs prénoms : Richard, Bernard, Gérard, Herbert, Albert, Robert, Hildebert, Dagobert. Renard (*reginhart) qui finit par remplacer goupil (= phénomène d’antonomase) ; – le h dit aspiré, qui empêche l’élision et la liaison (le heaume/les heaumes ; la hache /les haches…) – le [g] de guerre, guise, garnir, guérir, qui vient du [w] germanique (voir plus haut les étymons que j’ai cités) – les tononymes adjectif+nom : Neuville, Neuvelle, Neuveville, Francheville, Neufchâteau (alors que les Villeneuve /Villefranche /Châteauneuf (nom + adjectif) sont plutôt méridionaux) 1.1.2 – Remarque générale sur les mots hérités Les mots hérités ont suivi les lois de l’évolution phonétique sur plusieurs siècles. De ce fait, leur forme est souvent très éloignée de celle de leur étymon. Quelques exemples : AUGUSTUM > août HABERE > avoir CADERE > choir HOSPITALEM > hôtel CIVITATEM > cité OCULOS > yeux GAUDIAM > joie POTIONEM > poison 1.2 – Les mots empruntés Ce sont tous les mots qui ont été empruntés après le IXe siècle à diverses langues (norrois, arabe, espagnol, italien, anglais, allemand, chinois, etc.). Pour des exemples, une périodisation et une explication des facteurs ayant présidé aux emprunts (aléas de l’histoire et des modes, essor des sciences, etc.), je vous renvoie au cours de Gilles Siouffi. Je n’aborderai ici que quelques points particuliers. 4 Année universitaire 2024-2025 – Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Fiche de Morpholexicologie n°1 1.2.1 – Évolution phonétique et adaptation au système français des mots empruntés Contrairement aux mots dits hérités ou héréditaires, les mots empruntés, introduits à date variable dans le français, n’ont que partiellement subi l’évolution phonétique : formellement, ils sont donc restés plus proches de leur étymon. § Lorsque des mots ont été empruntés à date ancienne, leur adaptation au français (= francisation) s’est faite il y a des siècles, si bien qu’on ne les perçoit plus du tout aujourd’hui comme des emprunts : alarme, calèche, guitare, fourchette, citadelle, sentinelle, pépite, etc. § Mais les mots empruntés aux langues modernes sont plus ou moins bien « francisés ». Plusieurs critères permettent d’évaluer le degré de francisation d’un mot emprunté à une langue moderne : – la marque d’accord en nombre : dans les rectifications orthographiques de 1990, il a été proposé de traiter les mots empruntés comme des mots français et donc, de ne plus utiliser la marque du pluriel propre à leur langue d’origine. Ainsi, l’on écrira des hobbys, des scénarios, des graffitis, des minimums, etc. De même, les mots empruntés qui se terminent par -s, -z, -x sont invariables (conformément à la règle qui touche les mots français terminés par -s, -z, -x), d’où des jukebox, des nævus, des kibboutz. Cela étant, pour le pluriel du mot concerto, emprunté à l’italien, l’on hésite encore entre une marque de pluriel « à l’italienne », c’est-à-dire concerti, ou une marque de pluriel française, concertos ; – la possibilité de créer un dérivé : basket > basketteur (base empruntée à l’anglais); self > self-contrôle (ici, c’est le préfixe qui est emprunté à l’anglais) ; – la possibilité d’une troncation : tramway > tram. 1.2.2 – Les emprunts au latin : la notion de doublet Le français a hérité quantité de mots du latin (voir supra mots hérités), mais il lui en a emprunté beaucoup tout au long de son histoire. Il arrive ainsi qu’un même étymon latin ait donné naissance à deux mots français, de forme et de signification différentes : – un mot hérité du latin à date ancienne, qui s’est modifié suivant les lois de l’évolution phonétique, ce qui explique que sa forme soit souvent très éloignée de celle de l’étymon latin ; en morphologie historique, on parle de forme populaire ; – un mot emprunté, qui n’a subi que des modifications mineures permettant de l’adapter à la langue française, ce qui fait qu’il entretient une parenté formelle étroite avec l’étymon latin (il est ainsi d’une longueur égale ou supérieure à celle de la forme héritée) ; on parle alors de forme savante. Quelques exemples, que je classe par ordre alphabétique et non en fonction de la date de l’emprunt au latin : Étymon latin Forme populaire Forme savante ACER aigre âcre AUSCULTARE écouter ausculter CAPTIVUM chétif captif CREDENTIAM croyance créance 5 Année universitaire 2024-2025 – Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Fiche de Morpholexicologie n°1 ERADICARE arracher éradiquer FRAGILEM frêle fragile GRACILEM grêle gracile MASTICARE mâcher mastiquer MINISTERIUM métier ministère POTIONEM poison potion Si certaines formes savantes ont été empruntées à date ancienne (parfois dès le XIIe siècle), c’est la période allant du XIVe au XVIe siècle qui a été particulièrement productive. Remarques importantes – attention, les adjectifs populaire vs savant n’ont pas la valeur qu’ils ont en synchronie (c’est-à-dire aujourd’hui) où ils désignent un registre (populaire) ou l’appartenance à une terminologie scientifique (savant) ! Ces deux adjectifs sont utilisés par la morphologie historique pour définir l’origine de chacune des deux formes : historiquement, en effet, les formes dites populaires étaient celles du peuple, quand les formes dites savantes ont été empruntées au latin par des gens savants, des lettrés qui connaissaient le latin et le grec. D’ailleurs, si vous comparez l’emploi que l’on fait aujourd’hui de frêle (forme populaire) et fragile (forme savante) dans leurs emplois respectifs, vous remarquez que la forme savante appartient au vocabulaire commun ; de même, si vous comparez écouter/ausculter, vous vous rendez compte que la forme populaire (écouter) ne relève pas d’un registre populaire ou familier ; de même, chétif n’est pas plus familier que captif ; – sur le plan sémantique, les deux formes, savante et populaire, ne sont pas interchangeables ; – les doublets peuvent concerner des unités inférieures au mot, comme les affixes. Par exemple, on opposera : o -ALIS > -el (forme populaire) VS -al (forme savante), d’où originel/original ; o -ATIONEM > -aison (forme populaire) VS -ation (forme savante), d’où inclinaison/inclination 1.3 – Aux marges des mots empruntés : les mots dit déposés La langue commune a pu accueillir des mots issus des langues dites régionales, mais aussi des argots professionnels ou du parler populaire de Paris. Lorsque la langue intègre ces formes, on parle de mots déposés et non de mots empruntés afin de distinguer l’origine de l’apport. Quelques exemples de mots déposés : – issus de langues dites régionales : daurade (occitan) ; goujat (« jeune homme célibataire » en occitan ; noter que le sens n’est pas du tout le même en français !), bijou (breton) ; – issu du parler parisien : boniment (de l’argot bonnir = « en dire de bonnes », 1828) ; – issus d’argots professionnels : bûcher, pion. 6 Année universitaire 2024-2025 – Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Fiche de Morpholexicologie n°1 2 – LES MOTS DE FORMATION FRANÇAISE 2.1 – Les mots de formation française sont des mots construits Ce sont en effet des mots qui ont été « fabriqués » en français même, c’est-à-dire que le français les a créés à partir du fond primitif et des emprunts en usant de certains procédés de formation. Parmi ces procédés, deux ont été particulièrement productifs : la composition et la dérivation. La composition permet de former un nouvel item lexical en assemblant deux mots (ou plus) hérités ou empruntés : gendarme, portefeuille, cordon-bleu, chou-fleur. Noter que sur le sens du mot créé par composition n’est pas …compositionnel, c’est-à-dire que son sens ne se réduit pas à la somme de ses deux constituants : un portefeuille ne sert pas à porter des feuilles, et ma mère, qui est un cordon bleu, ne ressemble pas à un cordon qui serait bleu ! La dérivation permet de produire un mot nouveau à partir d’un mot préexistant. Il existe divers types de dérivation, mais je ne citerai ici que : o la dérivation zéro : elle modifie la classe syntaxique sans qu’il y ait de changement de forme. Par exemple, petit (adjectif) > un petit (nom) ; mendiant (participe présent) > un mendiant (nom) ; vivre (verbe) > les vivres (nom). Remarque sur la terminologie : lorsqu’un mot change de catégorie grammaticale sans que sa forme soit modifiée, on parle de dérivation zéro ou de dérivation impropre ou de conversion ou de translation. o la dérivation affixale : elle consiste à ajouter des affixes dérivationnel (préfixe, suffixe, infixe) à un mot préexistant. Par exemple, masse + -if > massif ; in- + apte > inapte ; in- +supporter +able > insupportable. 2.2 – Motivation, démotivation, remotivation 2.2.1 – Motivation relative Ferdinand Saussure a introduit le terme de signe linguistique pour désigner l’unité (généralement appelée mot) qui se combine à d’autres et forment ensemble la langue. Saussure a défini le signe linguistique comme une entité psychique ayant deux faces indissociables : une face sensible, qui est son signifiant (= image acoustique) ; une face abstraite, qui est son signifié (= concept représenté par le signe). Un locuteur francophone associera au signifiant [lyn] le signifié « astre lumineux qui éclaire la terre pendant la nuit ». Mais, précise Saussure, le signe linguistique est arbitraire parce que la relation entre le signifiant et le signifié est arbitraire ou immotivée : par exemple, il n’y a pas de relation réelle entre le concept de « lune » et les phonèmes qui forment son signifiant. D’ailleurs, le même concept est représenté dans d’autres langues par des signifiants différents (moon en anglais, ilargia en basque, etc.). Mais pour les mots construits, cet arbitraire est relatif. En effet, les mots construits sont relativement motivés par la relation de forme et de sens qu’ils entretiennent avec d’autres mots de la langue, soit qu’ils soient composés de plusieurs d’entre eux (mots construits par composition), soit qu’ils en dérivent (mots construit par dérivation). Par exemple, frêne, chêne, hêtre, sapin sont complètement immotivés, mais cerisier est relativement motivé car il peut être mis en relation avec cerise ; de même concierge est complètement immotivé, mais portier est relativement motivé, car je peux le mettre en relation avec porte. 7 Année universitaire 2024-2025 – Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Fiche de Morpholexicologie n°1 2.2.2 – Démotivation Toutefois, certains mots historiquement construits ne sont plus perçus, aujourd’hui, comme tels, c’est-à-dire que leur structure interne n’est plus reconnue ou comprise par la majorité des locuteurs. On dit alors que ces mots construits sont démotivés. Quelques exemples : – embonpoint : mot construit par composition, issu de en bon point, qui signifiait au moyen âge « en bonne santé » ; – débonnaire : mot construit par composition, issu de de bone aire, le mot aire désignant à l’origine la souche, d’où en AF les sens (très laudatifs) de « de naissance noble », « ayant de hautes qualités morales, ayant une noblesse d’âme » (par opposition à de pute aire >deputaire, qui lui, est sorti de l’usage) – abîmer : verbe construit par dérivation à partir de abîme, et dont le sens originel était « précipiter dans l’abîme » – saupoudrer : à l’origine, signifie « poudrer de sel » (sau- étant un allomorphe de sal/sel), mais aujourd’hui, on peut saupoudrer du sucre ou de la farine. 2.2.3 – Remotivation Il arrive également que l’on rattache un mot construit à un autre mot à cause d’une ressemblance formelle tout à fait fortuite entre eux, sans qu’ils aient le moindre lien sur le plan historique (l’un ne dérive pas de l’autre). La ressemble formelle entre ces deux mots conduit donc à interpréter ou à réinterpréter le sens du mot construit et à lui trouver une motivation qui n’est pas vraie. Il y a plusieurs façons de nommer ce phénomène : – remotivation ; – fausse motivation ; – étymologie populaire : parce que tout se passe comme si les locuteurs essayaient d’établir une relation entre deux mots qui ne coïncide pas avec l’étymologie scientifique ; – mais comme on sait que les locuteurs ne font pas consciemment de l’étymologie, certains linguistes utilisent plutôt le terme d’attraction paronymique. C’est-à-dire que le mot inconnu (ou mal connu) subit l’attraction d’un paronyme (un mot dont la forme est semblable, sans toutefois être identique), qui l’influence sémantiquement et/ou formellement. Quelques exemples : miniature : à partir du substantif MINIUM, qui désignait en latin l’oxyde de plomb, une poudre rouge orangé aux propriétés antioxydantes utilisée pour peindre, le latin médiéval a créé le verbe MINIARE qui signifiait « peindre avec du minium ». Les premières peintures qui se sont faites ainsi ont été appelées miniatures, mot suffixal dérivé du verbe correspondant. Peu à peu, les locuteurs se sont mis à établir une relation entre ce mot et le mot minime, et se sont imaginé que le mot miniature avait quelque chose à voir avec la petite taille de ces peintures. La locution adverbiale en miniature a fini par vouloir dire « de petite taille » et non plus « réalisé avec de l’oxyde de plomb, du minium » ; jours ouvrables : la locution substantive jours ouvrables désignait au départ les jours pendant lesquels on travaillait, car le radical ouvr- de ce mot était apparenté à celui de ouvrier, ouvrage, ainsi qu’au verbe œuvrer (qui se disait ouvrer en ancien français). Mais aujourd’hui, à vrai dire, dans la cons- cience linguistique de bien des francophones, ce mot est perçu comme un dérivé de ouvrir, dans le contexte « ouvrir les magasins » ; un « jour ouvrable » n’est donc plus perçu comme un jour où l’on travaille, mais bien un jour où l’on ouvre (sous-entendu, les magasins) ; 8 Année universitaire 2024-2025 – Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Fiche de Morpholexicologie n°1 Le mot faubourg est souvent perçu de nos jours comme issu de faux + bourg. Or, en fait, ce mot vient de l’ancien français fors bourg, c’est-à-dire, littéralement, « hors du bourg » ; Souffreteux : en AF sofretieus, sofraitos est un dérivé de suffraite, sofraite (‘privation, manque, misère, disette’), lui-même mot hérité du latin SUFFRACTA (‘choses retranchées’, du latin SUFFRANGERE, SUFFRINGERE ‘rompre en bas, briser par le bas’). Le mot est d’abord appliqué à une personne dans le besoin : estre souffreux de qqch, estre souffreuteux de + infinitif = ‘être incapable de faire qqch’. Puis le mot a été senti comme un dérivé de souffrir et qualifie au 19e siècle une personne qui éprouve momentanément une douleur avant de désigner une personne de santé débile, souvent malade (1832). Se dit par analogie d’une plante malingre et rabougrie. CONCLUSION Les développements ci-dessus en sont l’illustration, l’approche diachronique nécessite un savoir plus qu’un savoir-faire, c’est-à-dire qu’en l’absence de dictionnaire, de solides connaissances en latin, en phonétique historique du français, etc., on n’est pas toujours en mesure : – de distinguer un mot emprunté d’un mot de formation française : par exemple, comment savoir que aimable est emprunté au latin, mais que supportable est un mot de formation française ? – de distinguer, dans le lexique transposé, les mots hérités, les mots empruntés ou les mots déposés. Par exemple, comment savoir que bijou est un dépôt issu du breton, que raison est un mot hérité du latin et que monde est un mot emprunté au latin ? L’approche synchronique permet de neutraliser ces distinctions. En effet, celle-ci oppose, d’un point de vue formel, les mots simples (du moins perçus comme tels aujourd’hui) et les mots construits (du moins perçus comme tels aujourd’hui). Par exemple, elle permet de ranger bijou, raison et monde, indépendamment de leur origine, qui n’est pas la même sur le plan historique, au nombre des mots simples, et de considérer aimable et supportable comme des mots construits, indépendamment de l’époque à laquelle cette construction s’est faite 9

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