Morpholexicologie Fiche N°4 PDF
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Sorbonne Université
H. Biu
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This document is a handout on morpholexicology, focusing on affixal derivation and related concepts like radical, base, and suffixes. It offers definitions, examples, and analyses of different types of affixes and their use in construction of words. The document seems to be part of a university course in French linguistics.
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Année universitaire 2024-2025/ L1LFB011, Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Morpholexicologie n°4 / La dérivation affixale MORPHOLEXICOLOGIE – FICHE N°4 MORPHOLEXICOLOGIE – FICHE N°4...
Année universitaire 2024-2025/ L1LFB011, Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Morpholexicologie n°4 / La dérivation affixale MORPHOLEXICOLOGIE – FICHE N°4 MORPHOLEXICOLOGIE – FICHE N°4 LLAADÉRIVATION AFFIXALE DÉRIVATION AFFIXALE J’ai intitulé cette fiche « La dérivation affixale » car il existe d’autres types de dérivation (dérivation zéro et dérivation régressive). En fait, tout dépend de la terminologie que l’on adopte, car certains linguistes réservent le terme de dérivation à la dérivation affixale et nomment autrement les dérivations zéro et regressive (voir à ce sujet la fiche de morpholexicologie n°3). Cette fiche s’appuie très (très, très !) largement sur Alise Lehmann et Françoise Martin-Berthet, Lexicologie. Sémantique, morphologie, lexicographie, Paris, 2018, Armand Colin (« Cursus »), chap. 8. 1 – BASE ET RADICAL 1.1. – Définitions § Radical Le radical d’un mot dérivé est l’élément qui reste lorsque l’on a ôté tous les affixes. Par exemple : – dans froideur, le radical est froid- (= segment restant lorsqu’on ôte le suffixe -eur) – dans déboutonnage, le radical est -boutonn- (= segment restant lorsqu’on ête le préfixe dé- et le suffixe -age) – dans impersonnalité, le radical est -personn- (= segment restant une fois enlevés le préfixe im- et les suffixes -al- et -ité-) § Base La base d’un mot dérivé est le segment auquel s’adjoint un affixe. La base peut donc se confondre avec le radical, ou bien comporter elle-même un ou plusieurs affixes. Le mot base peut aussi renvoyer au mot source du dérivé. Si je reprends les exemples précédents : – dans froideur, la base froid- se confond avec le radical et renvoie à l’adjectif froid qui est le mot source du dérivé), parce qu’il y a un seul affixe ; – dans déboutonnage, la base est déboutonn-, puisque c’est à cette base de nature verbale (déboutonner) qu’a été adjoint le suffixe -age ; dans impersonnalité, la base est impersonnal- qui représente l’adjectif impersonnel auquel a été adjoint le suffixe -ité (le fait que -el devienne -al dans le substantif est un cas d’allomorphie, voir plus loin); – reste que déboutonner et impersonnel doivent également être analysés : à la base nominale bouton a été adjoint le suffixe -er > boutonner ; à cette base verbale a été ensuite adjoint le préfixe dé- > déboutonner ; de même personne >+ -el = personnel > + im- = impersonnel > + -ité = impersonnalité. 1 Année universitaire 2024-2025/ L1LFB011, Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Morpholexicologie n°4 / La dérivation affixale § Conséquence Deux dérivés peuvent donc avoir le même radical sur le plan formel sans pour autant avoir la même base. Pour le dire autrement, la nature de la base, le mot source de chacun des deux dérivés ne sera pas nécessairement le même. Exemple du verbe décoiffer qui a pour radical -coiff- (ce qui reste une fois que j’ai enlevé dé- et -er) : – à l’origine, décoiffer signifie « enlever la coiffe » (= ce qui couvre la tête). Ici, donc le radical -coiff- représente le mot coiffe = base de nature nominale ; – mais au sens moderne, décoiffer signifie « mettre du désordre dans les cheveux » = antonyme de coiffer. Ici, le radical -coiff- représente donc coiffer = base de nature verbale. § Point méthode Que la distinction radical/base ne vous tourmente pas ! Vous l’avez constaté pendant les cours ou dans les corrigés d’exercices, nous travaillons toujours autour du concept de base. 1.2. – La forme du radical Nous l’avons vu plus haut, le radical d’un dérivé peut avoir exactement la même forme que le mot base (froid-eur, fleur-iste) ou avoir une forme différente du mot libre correspondant. Dans ce dernier cas, l’on distingue les radicaux allomorphes et les radicaux supplétifs. 1.2.1. – Radicaux allomorphes On appelle allomorphe la forme différente que prend obligatoirement un élément lexical en fonction de son entourage immédiat. C’est une variante contrainte, conditionnée par la collocation (= environnement) de cet élément. Par exemple, dans : – santé, le radical san- est un allomorphe de sain devant le suffixe -té ; – embarcation, le radical barc- est un allomorphe de barque devant le suffixe -(a)tion ; – conception, le radical concep- est un allomorphe de concev- devant le suffixe -tion Noter que très souvent, ces allomorphes sont issus des formes savantes (le plus souvent latines) du mot correspondant. 1.2.2 – Radicaux supplétifs Dans ce cas, l’étymon du radical n’est pas le même que celui du mot avec lequel le dérivé entretient une relation sémantique. Par exemple dans carcéral (= qui concerne la prison), le radical carcér- ne renvoie pas à un mot libre existant en français, c’est un mot emprunté au latin (carcer, carceris, « prison »), quand prison est la forme populaire héritée du latin prehensione. [j’indique ce point pour information] 2 Année universitaire 2024-2025/ L1LFB011, Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Morpholexicologie n°4 / La dérivation affixale 2 – LES AFFIXES DÉRIVATIONNELS Les affixes dérivationnels permettent de former un mot à partir d’un autre. Ce sont des morphèmes liés, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas s’utiliser seuls mais doivent nécessairement être rattachés à une base lexicale. On distingue les suffixes et les préfixes. Vous remarquerez que je ne mentionne pas les infixes (affixes insérés dans le radical). L’on pourrait considérer comme infixes -ass- dans rêv-ass- er, -ill- dans boit-ill-er, -ot- dans tap-ot-er ou -on- dans chant-onn-er. Toutefois, certains linguistes pensent plus juste d’y voir des suffixes : rêv-asser, boit-iller, tap-oter, chant-onner parce qu’ils peuvent se trouver en position finale (et donc fonctionner comme suffixes) dans d’autres dérivés qui ne sont pas des verbes (jaun-asse, flot-ille, pâl-ot, chaîn-on). C’est l’analyse que je retiens ici > or donc je ne parle pas des infixes, puisque je les considère comme des … suffixes. 2.1 – Les suffixes § Généralités Suffixes transcatégoriels / suffixes intracatégoriels Þ Certains suffixes permettent de construire un mot dont la catégorie grammaticale est différente de celle de la base lexicale ; l’on parle alors de suffixes transcatégoriels. Par exemple : – -(a)tion, -aison, -(e)ment permettent d’engendrer des noms à partir de verbes (fabriquer > fabrication ; évoluer > évolution ; crever > crevaison ; éternuer > éternuement) ; – -ie, -té, -esse permettent de former des noms à partir d’adjectifs (courtois > courtoisie ; propre > propreté, bon > bonté ; robuste > robustesse, faible > faiblesse, sage > sagesse) ; – -esque, -al, -(i/u)eux permettent de former des adjectifs à partir de noms (carnaval > carnavalesque ; musique > musical ; monstre > monstrueux, pore > poreux). Þ D’autres en revanche construisent un dérivé qui appartient à la même classe syntaxique que la base lexicale à laquelle ils s’adjoignent ; l’on parle alors de suffixe intracatégoriel. Par exemple : – -on forme des noms à partir de noms : cabane > cabanon ; ours > ourson – -issime forment des adjectifs à partir d’adjectifs : grand > grandissime Trois contraintes pèsent sur l’emploi de tel ou tel suffixe – la nature de la base à laquelle il s’adjoint : -(a)tion, -aison ne s’adjoignent qu’à une base verbale ; -té, issime s’adjoignent à des adjectifs ; – la catégorie grammaticale d’arrivée à l’issus du processus de dérivation : si je veux former un adjectif, je ne peux utiliser *-(a)tion, -aison ; – son sens : tous les suffixes n’ont pas le même sens. 3 Année universitaire 2024-2025/ L1LFB011, Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Morpholexicologie n°4 / La dérivation affixale 2.1.1 – Le sens des suffixes § Les suffixes concurrents Certains suffixes s’adjoignent à un même type de base (adjectif, verbe, etc.) et ont des effets de sens proches, sans pour autant être interchangeables. Par exemple, même si -age, -(a)tion et -(e)ment permettent de former des noms d’action à partir d’une base verbale, ils ne sont pas substituables les uns aux autres car ils n’ont pas exactement le même sens. On dira réparation mais pas *réparage, lavage mais pas *lavation, et lavage n’est pas non plus synonyme de lavement, pas plus que réglage/équipage n’ont le même sens que règlement/équipement, et cela s’explique. Alors que -ment indique le résultat acquis, le suffixe -age implique plutôt l’action exprimée par le radical verbal. D’une façon générale, les dérivés construits sur un même mot avec des affixes concurrents ne sont donc pas synonymes et se spécialisent dans des emplois différents, qui tiennent aussi au sens de la base. Par exemple : – l’on parlera de blanchissement (des cheveux), de blanchiment (d’argent sale) et de blanchissage (du linge) ; – l’on parlera de tendresse pour désigner le sentiment ou les gestes qui le manifestent quand tendreté s’appliquera à une viande tendre. Ici, la ligne de partage entre l’emploi des deux suffixes semble correspondre à une répartition abstrait (-esse)/ concret (-té). Évidemment, j’ai cherché s’il existe un substantif tendreur… et il existe, mais est signalé comme rare ; dans les deux exemples donnés par le Trésor de la Langue française, il s’applique à une matière (grès, bois). § Les suffixes homonymes Les suffixes de même forme qui produisent des dérivés de sens différents sont homonymes. Trois exemples : Þ -eur dans grandeur, douceur, froideur ¹ -eur dans coureur, chanteur, resquilleur Dans le premier cas, -eur produit des noms féminins de qualité à partir d’un adjectif qualificatif (grandeur, douceur, froideur) ; le suffixe a ici le sens de « qui a le caractère de A », A étant la base adjectivale. Dans le second, -eur produit des noms masculins d’agent à partir d’un verbe (coureur, chanteur, resquilleur), et il a le sens de « quelqu’un qui V » où V est la base verbale. Þ -age dans ombrage, feuillage ¹ -age dans lavage, dérapage, barbouillage, cafouillage Dans le premier cas, -age produit des noms masculins de sens collectif à partir d’un nom (feuillage) et a le sens de « ensemble de N », où N est la base nominale. Dans le second, -age produit des noms masculins d’action à partir d’un verbe (lavage) et a le sens de « action de V » où V est la base verbale. Þ -(e)ment dans lancement, éternuement ¹ -ment dans aigrement Dans le premier cas, -ment produit des noms masculins d’action à partir de verbes (lancer, éternuer). Dans le second, -ment produit des adverbes de manière à partir d’un adjectif 4 Année universitaire 2024-2025/ L1LFB011, Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Morpholexicologie n°4 / La dérivation affixale généralement féminin. En effet, dans les adverbes, -ment remonte au nom latin féminin mens, mentis (« esprit, intention, disposition d’esprit »), utilisé en latin précédé d’un adjectif lui aussi féminin avec lequel il a fini par se souder. Il y a également des suffixes polysémiques (dont ferait partie -ier), mais je passe ici, pour ne pas compliquer davantage l’exposé. 2.2.2 – Forme des suffixes § Problème de délimitation entre radical et suffixe L’on hésite parfois sur la frontière entre le radical et le suffixe : par exemple dans monstrueux, le u qui précède -eux fait-il partie de la base ou du suffixe ? dans admirateur, que faire du -a- devant -teur ? Ce -a- et ce -u- sont des éléments intermédiaires que le test de la commutation permet de rattacher au suffixe. Par exemple : o je peux rapprocher monstrueux (dérivé à base nominale) de mystérieux, construit de la même façon, mais avec un -i- à la place du -u- > monstr(e) + ueux / mystèr(e) + ieux ; o je peux rapprocher admirateur de profess(er) + eur, ce qui permet d’analyser admirateur en admir(er) + ateur. De même, dans édition, expédition, distribution, admiration, finition, répétition, il suffit de s’appuyer sur le radical de l’infinitif qui sert de base au dérivé pour découper comme suit : – édit(er) + ion – expédi(er) + tion – distribu(er) + tion – admir(er) + ation – fin(ir) + ition – répét(er) + ition § Allomorphie L’allomorphie ne concerne pas seulement les radicaux, elle concerne aussi les affixes, et donc les suffixes. Rappel : on appelle allomorphe la forme différente que prend obligatoirement un élément lexical en fonction de son environnement immédiat ; c’est une variante contrainte. Par exemple : – dans le substantif féminin porosité, on reconnaît por-eux, mais -eux devient -os- devant - ité ; – dans le substantif féminin constitutionnalité, on reconnaît constitutionn-el, mais -el devient - al- devant -ité : – de même dans le substantif masculin parlementarisme, on reconnaît parlement-aire, mais - aire- devient -ar- devant -isme. 5 Année universitaire 2024-2025/ L1LFB011, Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Morpholexicologie n°4 / La dérivation affixale 2.2 – Les préfixes § Généralités Alors que certains suffixes peuvent entraîner le changement de catégorie grammaticale, les préfixes ne le peuvent jamais. En revanche, comme pour les suffixes, on ne peut pas les ajouter à n’importe quelle classe grammaticale. Par exemple, le préfixe re- (refaire, rhabiller) s’ajoute à une base verbale, tandis que a- opère à partir de bases adjectivales (amoral, anormal) quand in- s’ajoute à une base adjectifvale (inacessible, immature, illégal, inactif) ou nominale (inconfort, inquiétude, insuccès). On doit également les employer en fonction de leur sens (voir ci-dessous). 2.2.1 – Sens des préfixes Comme pour les suffixes, il existe des préfixes qui, opérant sur le même type de classe grammaticale, sont homonymes (ils ont la même forme, mais n’ont pas le même sens). Il existe, par exemple, deux préfixes dé- homonymes : l’un a un sens négatif o s’il opère à partir d’une base verbale (V), le dérivé a le sens de « ne pas V », comme dans déconseiller, défavoriser ou celui de « défaire l’action exprimée par V », comme dans découvrir, défroisser, démonter, détromper, détricoter ; o s’il opère sur une base nominale (N), comme dans débroussailler, décourager, déchaîner, déparasiter, dératiser, le dérivé a un sens proche de « Enlever N » o s’il opère sur une base adjectivale (A), le dérivé a le sens de « rendre non A », comme dans déniaiser, ou « qui n’est pas A » comme dans désagréable, déraisonnable Remarques o pourquoi ai-je dit que dans débroussailler, décourager, dératiser, la base lexicale est de nature nominale ? Parce que les verbes *broussailler, *courager, *ratiser n’existent pas ! Ici, ce sont des cas de dérivation parasynthétique, c’est-à-dire que le préfixe et le suffixe ont été adjoint simultanément à la base ; o de même, dans déniaiser, la base est adjectivale parce que le verbe *niaiser n’existe pas = dérivation parasynthétique l’autre n’a pas un sens négatif o par exemple, lorsque la base à laquelle il s’adjoint est de nature verbale, le verbe dérivé a un sens plus intensif que le verbe simple : débattre, délaver, démontrer, délimiter, découper, détenir détremper ; cela s’explique par la valeur du préfixe dé- qui est ici issu de la particule latine de- qui en composition marquait l’intensité o lorsque la base est de nature nominale, il peut traduire l’éloignement ou la séparation au sens concret ou au sens figuré, comme dans débourser (« tirer de sa bourse » d’où « payer » ; noter qu’ici encore, c’est un exemple de dérivation parasynthétique puisque le verbe *bourser n’existe pas) 6 Année universitaire 2024-2025/ L1LFB011, Grammaire et histoire de la langue H. Biu (Sorbonne Université) – Morpholexicologie n°4 / La dérivation affixale 2.2.2 – Forme des préfixes Comme les suffixes, certains préfixes sont sujets à l’allomorphie. Ainsi de dé- (dans défigurer) qui devient dés- devant voyelle (désactiver, déshabiller) ou de in- (inactif, invivable, incroyable) qui devient il- devant [l] dans illégal, im- devant [m] ou [p] dans immature, impossible ou ir- devant [ʁ] comme dans irrémédiable, irrecevable). 7