Cours L1-IJA Institutions Administratives PDF
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Ce document présente les institutions administratives françaises pour les étudiants de première année. Il couvre les notions d'administration, les formes d'organisation et les principes fondamentaux gouvernant l'administration.
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INSTITUTIONS ADMINISTRATIVES L1 EAD Jean-Pierre Ferrand 2 PLAN PLAN...
INSTITUTIONS ADMINISTRATIVES L1 EAD Jean-Pierre Ferrand 2 PLAN PLAN 2 INTRODUCTION 5 SECTION 1. LA NOTION D’INSTITUTION ADMINISTRATIVE 5 § 1. Le concept d’administration 5 A. La définition organique 5 B. La définition fonctionnelle 6 C. La définition par le droit applicable 6 § 2. La structure administrative 7 A. Une structure en apparence cohérente 7 B. Une complexité qui n’a cessé de croître 7 SECTION 2. LES FORMES D’ORGANISATION ADMINISTRATIVE 8 § 1. La délocalisation administrative 8 § 2. La déconcentration administrative 8 § 3. La décentralisation 9 CHAPITRE 1. LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE 10 SECTION 1. LE CADRE CONSTITUTIONNEL 10 § 1. Les principes applicables à l’ensemble de l’administration 10 A. La subordination de l’administration au pouvoir politique 10 1. La signification du principe 10 2. Les limites du principe 11 a) Le rôle des administrations dans la fabrication des normes juridiques 11 b) La question de la politisation de la haute fonction publique 11 i. La séparation de principe 11 c) La réalité de la confusion 11 B. L’exigence d’un contrôle de l’administration 12 1. Les contrôles administratifs 12 a) Le contrôle du supérieur hiérarchique 12 b) La tutelle administrative 12 d) Les contrôles par les corps et services d’inspection 13 e) Le contrôle financier 13 2. Les contrôles par des autorités externes 13 a) Les contrôles parlementaires 13 b) Les contrôles par des institutions juridictionnelles 13 ii. Le contrôle de la légalité administrative 13 iii. Les contrôles financiers 14 c) Les contrôles par des autorités indépendantes 14 § 2. Les principes spécifiques à l’organisation territoriale décentralisée 14 A. La libre administration des collectivités locales 14 1. La portée du principe de libre administration dans les relations entre l’État et les collectivités territoriales 15 a) La compétence de principe du législateur pour déterminer les règles applicables aux collectivités territoriales 15 b) L’existence d’un contrôle spécifique sur les collectivités locales 15 2. La portée du principe de libre administration dans l’organisation et le fonctionnement des collectivités territoriales 15 a) L’exigence d’un conseil élu 15 b) L’exigence de compétences effectives 16 c) L’exigence d’une autonomie financière et fiscale 16 3. La portée du principe de libre administration dans les relations entre collectivités territoriales 16 a) L’interdiction de toute tutelle entre collectivités territoriales 17 b) La possibilité de reconnaître un « chef de file » 17 B. La République indivisible 17 1. La signification de l’indivisibilité 17 a) L’unité du pouvoir normatif 17 b) L’unicité du peuple français 17 c) Le monopole étatique pour l’exercice de certaines compétences 18 2. La prise en compte de la diversité 18 a) La diversité outre-mer. 18 i. Les collectivités relevant de l’article 73 19 3 ii. Les collectivités soumises à l’article 74 19 iii. La Nouvelle-Calédonie 19 b) La diversité au sein des collectivités métropolitaines 19 i. Les collectivités à statut particulier de l’article 72 19 ii. Les statuts particuliers hors de l’article 72 20 iii. Le droit à l’expérimentation et à la différenciation 20 SECTION 2. LES FONDEMENTS EXTERNES OU INTERNATIONAUX 20 § 1. L’Union européenne et l’organisation administrative nationale 20 A. La restructuration de l’organisation administrative française face au développement de l’Union européenne 21 B. La restructuration de l’organisation administrative sous l’influence du droit de l’Union européenne 21 § 2. La participation de la France au Conseil de l’Europe 21 § 3. L’outre-mer français sous observation du droit international et de l’Organisation des Nations Unies (ONU) 22 CHAPITRE 2. LES INSTITUTIONS DE L’ADMINISTRATION FRANÇAISE 23 SECTION 1. L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE DE L’ÉTAT 23 § 1. Les institutions de l’administration centrale 23 A. Les organes de direction 24 1. Le Président de la République 24 a) Les pouvoirs administratifs du Président de la République 24 i. Le pouvoir de nomination 24 ii. Le pouvoir d’impulsion 25 b) Les services du Président de la République 26 i. Les services civils du Président de la République 26 ii. L’État-major militaire du Président de la République 26 2. Le Premier ministre 27 a) Les pouvoirs administratifs du Premier ministre 27 i. La fonction d’exécution des lois 27 ii. La fonction de direction de l’action du Gouvernement 27 iii. La fonction de coordination du travail gouvernemental 27 b) Les services du Premier ministre 27 i. Le cabinet du Premier ministre 27 ii. Le Secrétariat général du Gouvernement 28 iii. Les autres services rattachés au Premier ministre 28 3. Les membres du gouvernement 28 a) La structure gouvernementale 28 b) La répartition des champs de compétences entre les ministres 29 c) Les pouvoirs administratifs des ministres 29 d) Le cabinet ministériel 29 B. Les services centraux des ministères 29 4. L’organisation ministérielle 29 5. La fonction des services centraux des ministères 30 § 2. Les institutions de l’État déconcentré 30 A. La fonction des institutions administratives déconcentrées de l’État 30 B. Les acteurs de l’organisation territoriale de l’État 31 1. Les préfets 31 a) Le statut des préfets 31 b) Les fonctions des préfets 32 2. Les services déconcentrés spécialisés 32 e) Les services déconcentrés sous l’autorité des préfets 32 a) Les services spécifiques de l’administration déconcentrée 32 C. Les échelons de l’organisation territoriale de l’État 33 1. L’administration de l’État au niveau régional 33 a) Le développement de la circonscription régionale comme circonscription de l’administration de l’État 33 b) L’État au niveau supra-régional 33 2. L’administration de l’État dans le département 33 a) Les services départementaux de l’État 34 b) L’État dans les arrondissements 34 c) L’administration de l’État au niveau communal 34 § 3. Les démembrements de l’État. 35 A. Les agences 35 B. Les services à compétence nationale. 36 C. Les autorités administratives indépendantes (AAI) et les autorités publiques indépendantes (API) 36 D. Les établissements publics. 36 4 E. Les groupements d’intérêt public 37 SECTION 2. L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE DÉCENTRALISÉE 37 § 1. Les collectivités territoriales de droit commun 38 A. l’organisation du niveau communal 39 1. La commune 39 a) Le conseil municipal 39 b) L’exécutif communal 40 2. Les regroupements communaux 40 a) La fusion de communes et la création de communes nouvelles 40 b) La coopération intercommunale 40 B. Le département 42 1. L’origine de la collectivité départementale 42 2. L’organisation décentralisée du département 42 a) Le conseil départemental 42 b) L’exécutif départemental 42 C. La région 43 1. Le développement de la collectivité régionale 43 a) La naissance de la collectivité régionale 43 b) Le découpage et le nom des régions 43 2. L’organisation administrative de la collectivité régionale 44 a) Le conseil régional 44 b) L’exécutif régional 44 § 2. Les collectivités à régime spécifique 44 A. Les collectivités territoriales d’outre-mer 44 a) Les départements-régions d’outre-mer (DROM) 45 Les collectivités territoriales uniques 45 b) Les COM 45 B. La Nouvelle-Calédonie 46 C. Les collectivités métropolitaines à statut particulier 46 5 INTRODUCTION L’une des premières difficultés auxquelles on est confronté lorsqu’on cherche à étudier les institutions administratives, c’est un problème de définition : Qu’est-ce qu’une institution administrative ? Qu’est-ce qu’une « administration » ? La seconde difficulté à laquelle on est confronté résulte de l’apparente inintelligibilité des formes d’organisation administrative que l’on peut retrouver en France, comme à l’étranger. Que doit-on entendre par « déconcentration », « décentralisation » ou « délocalisation » ? Section 1. LA NOTION D’INSTITUTION ADMINISTRATIVE § 1. LE CONCEPT D’ADMINISTRATION Alors même que le terme « administration » est utilisé quotidiennement par chacun d’entre nous, sa signification est loin d’être particulièrement claire. Soit la définition est peu opératoire, soit elle ne permet pas de couvrir l’ensemble des institutions que l’on appelle administration. Le plus souvent d’ailleurs, le législateur utilise le terme « administration » ou ses dérivés sans même les définir. 3 méthodes peuvent être employées pour cerner ce concept juridique : - La première serait de considérer que le terme « administration » renvoie exclusivement à des institutions particulières, limitativement entendues. - La deuxième s’intéresserait à la fonction administrative afin d’isoler les institutions qui la remplissent. - La troisième utiliserait le droit applicable afin de distinguer les institutions qui sont soumises au droit administratif, et qui seraient donc des institutions administratives, de celles soumises au droit privé qui ne le seraient pas. A. LA DÉFINITION ORGANIQUE Dans le cadre de cette définition organique, constitue l’Administration, l’ensemble des institutions ou structures qui concourent au fonctionnement général de l’État. À ce titre, on trouve ainsi des administrations centrales, locales, décentralisées ou indépendantes. 6 Il s’agit, on le voit, pour l’essentiel de personnes publiques, mais aussi de quelques personnes privées. Et d’un point de vue organique, l’administration se présente comme un ensemble d’institutions aux statuts ou aux règles de fonctionnement très variés. Pour autant, cette définition organique de l’Administration laisse dans l’ombre des institutions que, naturellement, chacun d’entre nous pourrait considérer comme des administrations. C’est le cas par exemple de certains établissements publics ou de personnes privées gérant des services publics industriels et commerciaux (SPIC). Par exemple, le législateur a choisi d’écarter de sa définition organique les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) par exemple la SNCF, la RATP ou la RTM, le CNES, la Comédie-Française ou l’Opéra de Paris. Pour autant, ces institutions apparaissent bien aux yeux de beaucoup comme des administrations. B. LA DÉFINITION FONCTIONNELLE Cette définition se fonde sur ce que l’activité des administrations, l’idée étant de trouver des missions suffisamment spécifiques, particulières pour pouvoir dire que les organes qui ont ces missions sont des administrations. Qu’est-ce que la « fonction administrative » de l’administration ? Et que sont ces « affaires publiques » dont il est question ici ? On considère généralement qu’elle s’inscrit dans la distinction classique entre les fonctions exécutive, législative et judiciaire. L’administration en « administrant » participe donc à la fonction exécutive de l’État. Certains auteurs précisent ainsi que cette fonction exécutive doit être comprise comme une fonction d’exécution des lois (au sens large, lois, mais aussi Constitution, traités internationaux…). D’autres préfèrent expliquer que l’administration appartient au « pouvoir » exécutif, ce qui permet de lever cette première ambiguïté. Toutefois, on voit très vite qu’au sein de l’exécutif, il existe des institutions, des organes dont la mission n’est pas strictement administrative. On pense notamment au Président de la République, le Premier ministre ou le Gouvernement. Dès lors certains auteurs ont cherché à définir cette fonction en elle-même et non en l’opposant à la fonction gouvernementale. Ainsi certains, prenant acte de l’opposition entre « administratif » et « politique » considèrent que l’administration a pour fonction « la réalisation des objectifs définis par le pouvoir politique ». Cependant, tous les objectifs du pouvoir politique ne sont pas nécessairement administratifs, ce qui conduit immanquable distinguer les objectifs politiques du pouvoir politique de ceux qui sont administratifs. D’autres ont cherché à rattacher cette fonction à l’intérêt général en considérant que les administrations pourvoient à la satisfaction de l’intérêt général. Mais comme le montrent l’ensemble des études sur cette notion, il est impossible de la définir suffisamment précisément pour la rendre véritablement opératoire. C. LA DÉFINITION PAR LE DROIT APPLICABLE Ce troisième critère apparaît de prime abord extrêmement simple à utiliser. En effet, les institutions administratives et les organes administratifs appliqueraient le droit administratif alors que les autres appliqueraient le droit privé. Il suffirait donc de connaître le régime juridique applicable pour distinguer une autorité administrative. Malheureusement, ce critère ne permet pas de donner une définition opératoire pour définir le concept d’administration. En effet, il est certes indiscutable que les administrations sont soumises à des règles particulières que l’on peut appeler « droit administratif ». Mais deux motifs conduisent à rejeter cette définition par le droit applicable : D’une part, les administrations ne sont pas soumises qu’au droit administratif. Dans nombre d’hypothèses, l’administration est soumise au même droit que les particuliers, ce qui interdit de partir de son régime juridique pour la qualifier. D’autre part, en pratique, pour appliquer le droit administratif, il faut d’abord se fonder sur la nature juridique de l’organe et donc savoir s’il s’agit d’une autorité administrative. C’est le paradoxe de l’œuf et de la poule. Pour 7 pouvoir appliquer le droit administratif, il faut savoir si c’est une administration, ce qui interdit de partir du régime juridique pour qualifier l’institution. En conclusion, on ne sait pas précisément ce qu’est une administration. § 2. LA STRUCTURE ADMINISTRATIVE Même si on échoue à définir précisément le concept d’administration, chacun est d’accord pour accepter l’idée qu’il s’agit d’un ensemble relativement structuré. Toutefois, très rapidement, apparaît l’idée que cette structure non seulement est complexe, mais que cette complexité s’intensifie. En premier lieu, ces institutions sont celles de l’État. Ce sont ensuite les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Enfin, les établissements publics spécialisés constituent d’autres formes organiques de l’administration française. Cette catégorie se décompose en plusieurs types d’établissements publics adaptés aux différentes missions de service public, comme les établissements publics administratifs ou les établissements industriels et commerciaux. Il existe donc une multiplicité d’institutions, souvent dotées de la personnalité morale. Ces institutions administratives peuvent être liées entre elles de manière hiérarchique, comme la plupart des administrations de l’État. Au contraire, elles peuvent bénéficier d’une autonomie de fonctionnement, comme pour les collectivités territoriales. L’administration peut être ainsi appréhendée également comme un ensemble d’institutions spécialisées. Il s’agit, on le voit, d’un très vaste réseau d’institutions assez dissemblables à la nature juridique assez hétérogène. A. UNE STRUCTURE EN APPARENCE COHÉRENTE L’organisation administrative française donne au premier regard, l’impression d’une réelle cohérence. Cette apparente cohérence résulte du constat que l’organisation administrative est fondée sur des champs de compétence géographiques qui vont du plus limité au plus large. Ce constat est amplifié par le fait qu’en France, il est traditionnel de considérer que l’autorité ayant un champ géographique de compétence plus limitée est soumise à l’autorité dont le champ de compétence géographique est plus large. Cette apparente cohérence résulte ainsi de l’existence d’institutions administratives de l’État et des collectivités locales aux champs de compétences géographiques bien définis et aux larges compétences matérielles comme les institutions administratives de l’État (administrations centrales et territoriales) ou les collectivités locales. B. UNE COMPLEXITÉ QUI N’A CESSÉ DE CROÎTRE Si la cohérence initiale n’a pas complètement disparu, il est évident que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale cette organisation administrative n’a cessé de se complexifier au gré de la création de nombreuses autorités nouvelles, de la disparition ou de la fusion d’autres ou de la modification du régime juridique de la plupart d’entre elles. Deux phénomènes expliquent cette complexification du système administratif français. D’une part, la volonté politique affirmée de privilégier une gestion administrative de proximité, ce qui a conduit à accroître le rôle à la fois des collectivités locales, mais aussi des services de l’État installés sur le territoire. D’autre part, l’accélération de délégation de la gestion de certains services publics à des opérateurs privés ou publics spécialisés. Au sein des services de l’État : évolution limitée au niveau central de la structure administrative, mais profonde réorganisation des services déconcentrés de l’État. Au niveau local, malgré plusieurs tentatives pour supprimer un niveau de collectivités locales, il reste toujours 3 niveaux principaux de collectivités locales (communes, département et régions) auxquels il convient d’ajouter les collectivités ultramarines. Toutefois deux évolutions ont considérablement obscurci le paysage administratif local. D’une part, l’organisation des collectivités outre-mer a été profondément remaniée par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République qui a introduit une nouvelle classification juridique des collectivités d’outre-mer et un cadre constitutionnel permettant l’élaboration de statuts sur mesure. 8 D’autre part, surtout, le niveau intercommunal s’est considérablement renforcé à la fois par une multiplication des possibilités de collaboration et par un renforcement important de la structure administrative de ces intercommunalités pour faire face aux nouvelles compétences qu’elles ont reçues. Par ailleurs, d’autres types d’institutions administratives se sont multipliés, ce qui obscurcit encore le paysage administratif français. D’une part, cette cohérence est largement remise en cause par l’existence d’institutions administratives qui ne différencient pas par un champ de compétences géographiques propres, mais par des compétences spécifiques et limitées comme les établissements publics, les autorités administratives indépendantes (AAI) et les autorités publiques indépendantes (API), les groupements d’intérêt public (GIP) et, plus récemment, les agences ou les services à compétence nationale. D’autre part, en cherchant à externaliser certaines missions qui relevaient de personnes publiques, l’État a introduit dans le paysage administratif français toutes les catégories de personnes privées (personnes, entreprises) qui constituent de ce fait également des autorités administratives. Au point d’ailleurs que l’on utilise parfois l’expression « démembrement administratif » pour qualifier ce phénomène. Section 2. LES FORMES D’ORGANISATION ADMINISTRATIVE L’organisation administrative répond à des principes de structuration qui sont multiples : délocalisation, centralisation et décentralisation ou concentration et déconcentration. Même s’il ne s’agit à ce stade que d’une question de vocabulaire ou de terminologie, celle-ci est fondamentale. Dans les États unitaires (que l’on oppose classiquement aux États fédéraux), la forme la plus primitive d’organisation administrative est la centralisation accompagnée d’une concentration du pouvoir administratif. Cela voudrait dire en France que TOUTE l’administration serait entre les mains de l’État et de lui seul et serait au sein de ministères exclusivement installés dans la capitale administrative, c’est-à-dire pour nous français à Paris. Toute décision administrative serait donc prise au nom de l’État au sein de ces institutions. Il n’y a pas de réalité administrative en dehors de ces organes centraux. Ces institutions centrales peuvent certes adapter leurs décisions aux différentes parties du territoire. Mais, en pratique, elles en sont incapables dès lors qu’elles sont éloignées des préoccupations locales. Il est évident qu’une telle organisation est complètement inimaginable dans un État comme la France. Il ne peut être envisagé que dans des États d’une taille réduite. § 1. LA DÉLOCALISATION ADMINISTRATIVE En matière d’organisation administrative, la délocalisation est un procédé administratif qui consiste exclusivement dans le transfert géographique d’un service central de l’État. Dans la délocalisation, il y a simple transfert physique d’un service administratif de la capitale vers un lieu à l’extérieur. Il n’y a aucun transfert de compétences juridiques et le service en cause relève toujours de l’État. § 2. LA DÉCONCENTRATION ADMINISTRATIVE Si la délocalisation est une modalité assez récente d’organisation de l’administration, il n’en va pas de même pour la déconcentration. Sur le plan du droit, la déconcentration consiste à transférer des compétences appartenant préalablement à des organes centraux à des organes non centraux, c’est-à-dire le plus souvent, à des organes administratifs dits déconcentrés disposés sur le territoire. La déconcentration présente ainsi trois caractéristiques importantes : 9 Il y a nécessairement un véritable transfert de compétences, de pouvoir des organes centraux vers les organes déconcentrés. C’est l’une des grandes différences entre la déconcentration et la délocalisation pour laquelle il n’y a pas de transfert de compétences juridiques. Il n’y a pas de création d’institutions dotées de la personnalité juridique. Cela signifie, ici, que les services déconcentrés comme les services centraux restent des services de l’État qui est le seul doté de la personnalité juridique. Il y a nécessairement un contrôle étroit des organes déconcentrés par les organes centraux, c’est ce qu’on appelle le pouvoir hiérarchique. § 3. LA DÉCENTRALISATION La décentralisation est une forme plus aboutie de transfert de compétences administratives. En effet on peut dire que « la décentralisation consiste dans le transfert d’attributions de l’État à des collectivités ou institutions différentes de lui et bénéficiant, sous sa surveillance, d’une certaine autonomie de gestion ». La décentralisation présente de ce fait quatre caractéristiques fondamentales : En premier lieu, comme pour la déconcentration, il y a un transfert de compétences de la part de l’État. Il s’agit, là aussi, exclusivement de compétences administratives. En second lieu, l’exercice de ces compétences doit permettre à l’organe décentralisé de disposer d’un véritable pouvoir de décision qui s’exprime notamment sous la forme d’actes administratifs unilatéraux ou contractuels. En troisième lieu, et c’est une différence importante par rapport à la déconcentration, ce transfert se fait au profit d’institutions juridiques différentes de l’État, qui constituent donc une réalité juridique autonome de l’État. Enfin, en quatrième lieu, ces institutions sont soumises à un contrôle qui à la différence de la déconcentration n’est pas un contrôle hiérarchique. Cette décentralisation présente deux formes en pratique très différentes, même si elles correspondent toutes deux aux trois caractéristiques que l’on vient d’évoquer : − D’une part, la décentralisation territoriale qui se traduit par le transfert de compétences de l’État au profit de collectivités territoriales (ou locales) qui ont donc une personnalité juridique propre, donc différente de celle de l’État. Parce qu’elle est territoriale, cette décentralisation fait l’objet de principes particuliers, d’une protection constitutionnelle particulière dont ne bénéficie pas la seconde forme de décentralisation. Pour autant, ce particularisme ne signifie en rien une quelconque indépendance des collectivités territoriales par rapport à l’État. L’autonomie reconnue en droit français aux collectivités territoriales s’inscrit toujours dans le cadre d’un État unitaire. - D’autre part, à côté de cette décentralisation territoriale, existe une autre forme de décentralisation bien moins connue que l’on appelle « décentralisation fonctionnelle ». Dans le cadre de celle-ci, il y a bien un transfert de compétences de la part de l’État, mais ce transfert ne bénéficie pas à des collectivités locales, mais à des établissements publics chargés de gérer un service public particulier. Ces établissements publics, ce sont notamment les hôpitaux, les musées nationaux, ou les universités. 10 Chapitre 1. LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE Section 1. LE CADRE CONSTITUTIONNEL Il n’est pas dans la fonction première de la Constitution d’encadrer le l’organisation de l’administration, ni d’ailleurs son fonctionnement. Toutefois, on doit constater de multiples références à l’administration dans les textes constitutionnels. Ceci est notamment dû à l’évolution de la fonction et du contenu de la Constitution. En outre, sous l’effet d’une double évolution, le contenu de ces principes constitutionnels s’est enrichi. D’une part, plusieurs réformes constitutionnelles ont eu pour objet de reconnaître aux collectivités territoriales une organisation, des compétences ou une protection dans le texte même de la Constitution. D’autre part, les décisions du Conseil constitutionnel — sa jurisprudence — ont non seulement apporté des précisions importantes, mais, en élargissant le « bloc de constitutionnalité », ont soumis directement ou indirectement les administrations à un cadre constitutionnel plus contraignant. § 1. LES PRINCIPES APPLICABLES À L’ENSEMBLE DE L’ADMINISTRATION La constitutionnalisation de l’organisation administrative, c’est d’abord celle de son existence. Le premier apport du bloc de constitutionnalité, c’est donc en se référant à plusieurs reprises à l’« administration » d’en protéger l’existence. Seule une réforme constitutionnelle de grande ampleur permettrait de la faire disparaître. A. LA SUBORDINATION DE L’ADMINISTRATION AU POUVOIR POLITIQUE Le principe de subordination de l’administration au pouvoir politique, c’est d’abord une subordination au Gouvernement telle qu’elle est rappelée par l’article 20 de la Constitution. Cette disposition dont la rédaction est particulièrement forte (il « dispose ») est la traduction de la volonté du constituant de rappeler avec force que le pouvoir de décision appartient d’abord et avant tout aux représentants élus ou choisis par la représentation nationale. Dans l’article 20, la référence est faite au Gouvernement, mais cette soumission n’est pas spécifique aux administrations placées sous l’autorité du Gouvernement. C’est tout aussi vrai des administrations placées sous l’autorité des représentants élus dans les collectivités territoriales ou des administrations placées sous l’autorité des conseils d’administration des établissements publics. 1. La signification du principe La signification première de ce principe est qu’il n’existe pas de pouvoir administratif autonome ou indépendant du pouvoir politique. À ce titre, l’exécutif (de l’État, comme des collectivités territoriales ou des établissements publics) a un pouvoir de nomination aux emplois administratifs. En outre, comme on l’a déjà observé et comme on le verra de nouveau bientôt, le Gouvernement est le chef suprême de l’administration. 11 2. Les limites du principe Ce principe de subordination est loin toutefois d’être absolu. D’une part, car un certain nombre de règles du droit de la fonction publique protègent les fonctionnaires contre une trop forte politisation. D’autre part, car l’administration n’a pas hésité à dépasser le cadre logique de ses fonctions pour s’ingérer dans la fonction politique. On constate ainsi un double phénomène. D’une part, l’administration a obtenu un rôle majeur dans le processus de fabrication des normes et non exclusivement dans leur mise en œuvre. D’autre part, de nombreux hauts fonctionnaires ont choisi d’exercer directement une fonction politique. a) Le rôle des administrations dans la fabrication des normes juridiques La logique fonctionnelle et institutionnelle voudrait que le pouvoir politique adopte la loi et que l’administration la mette en œuvre. En ce sens, le principe devrait être que l’administration a un rôle certes important, mais subalterne dans la seule phase d’application de la loi. Toutefois il serait vain de croire qu’il en va ainsi dans le processus quotidien de production des normes juridiques. Si l’administration a conservé un rôle majeur dans la mise en œuvre des règles adoptées par le pouvoir politique (au point parfois d’en empêcher la mise en œuvre), elle a acquis également un rôle tout aussi important dans la genèse des normes juridiques. Au demeurant, même si l’administration a l’obligation de mettre en œuvre les lois votées, notamment par l’adoption des textes d’application, cette obligation lui laisse une assez grande latitude. D’une part, l’administration est aujourd’hui un acteur essentiel de la préparation des projets de loi présentés par le Gouvernement. En raison de la technicité des réformes législatives, de la complexité des différentes sources du droit, de la nécessité d’une coordination interministérielle, l’administration est au souvent au cœur de la préparation de ces textes. D’autre part, en vertu de l’article 38 de la Constitution, le Parlement peut autoriser (habiliter) le Gouvernement à prendre certaines mesures qui relèvent normalement du seul Parlement. Celui-ci fixe certes avec précision le champ et les limites de cette autorisation (habilitation). Mais les mesures ainsi adoptées sous la forme d’ordonnances ont un contenu très largement déterminé par l’administration qui les a rédigées. b) La question de la politisation de la haute fonction publique i. La séparation de principe Dans la logique européenne, notamment française, des relations entre le pouvoir politique et la haute fonction publique, le principe est celui de la non-politisation de l’administration et notamment des hauts fonctionnaires. Cette conception du fonctionnement de l’administration prône un devoir de loyauté et de neutralité des fonctionnaires, quel que soit le pouvoir politique en place. L’administration française a ainsi été longtemps assez proche du système anglais où il n’est pas exigé des hauts fonctionnaires qu’ils partagent le même idéal politique que la majorité en place. La séparation n’a toutefois jamais été totale. Un certain nombre de postes ont toujours été selon l’expression consacrée « à la discrétion du gouvernement », ce qui signifie que le gouvernement peut en choisir assez librement le titulaire (préfets, Recteurs, Ambassadeurs…). Toutefois cette « exception » s’est très largement accentuée à l’occasion du développement des cabinets ministériels qui entourent l’ensemble des ministres et qui sont largement composés de hauts fonctionnaires. c) La réalité de la confusion Cette relative confusion apparaît sous deux angles différents. D’une part, selon les pays, cette subordination s’est toujours manifestée de manière assez différente. Aux États- Unis, par exemple, cette subordination se traduit par la volonté de nommer des agents de confiance aux postes les plus élevés de l’administration. C’est ainsi que s’applique en cas de changement de majorité dans l’exécutif ce qu’on 12 dénomme le « spoil system » ou système des dépouilles. En vertu de ce principe, afin de pouvoir compter sur la loyauté de son administration, de nombreux hauts fonctionnaires quittent leur poste en cas de changement politique et sont remplacés par des partisans du nouvel exécutif. Depuis cependant, aussi bien sur le plan national que local, à gauche comme à droite ou au centre, on note de plus en plus une volonté d’importer le système américain. Au niveau local, il est désormais courant que les plus hauts postes de direction des administrations territoriales soient attribués sur le fondement d’affinités politiques. D’autre part, alors qu’il a longtemps exceptionnel en France qu’un haut fonctionnaire se lance dans une carrière politique, c’est désormais devenu commun. B. L’EXIGENCE D’UN CONTRÔLE DE L’ADMINISTRATION Le contrôle de l’administration ne repose pas seulement sur les principes d’une bonne gouvernance administrative. Il résulte directement d’une disposition de rang constitutionnel, l’article 15 de la déclaration des droits et du citoyen du 26 août 1789 (DDHC de 1789). Ces contrôles qui sont de deux ordres différents — des contrôles internes et des contrôles externes — se retrouvent pour l’ensemble des administrations avec, toutefois, certaines spécificités pour les collectivités locales et, dans une moindre mesure, pour les établissements publics. 1. Les contrôles administratifs a) Le contrôle du supérieur hiérarchique S’il n’existe pas de pouvoir hiérarchique entre l’État et les institutions décentralisées, en revanche, à l’intérieur des administrations de l’État comme de celles des institutions décentralisées, ce principe retrouve toute sa force et constitue l’une des principales formes de contrôle des agents administratifs. On rappelle que ce principe met à la disposition du supérieur hiérarchique non seulement le pouvoir de donner des instructions à son subordonné, mais également le pouvoir d’annuler ou de réformer les décisions qu’il a prises aussi bien pour des motifs de légalité que des motifs de pure opportunité. De manière générale, on le voit, ce pouvoir permet au supérieur de faire prévaloir sa volonté. b) La tutelle administrative Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, les autorités décentralisées ne sauraient être soumises à un contrôle hiérarchique. Pour autant, elles sont soumises à un contrôle administratif que l’on appelle parfois contrôle de tutelle. Ce contrôle de tutelle s’applique assurément aux formes diverses de décentralisation fonctionnelle, notamment aux établissements publics. Ce contrôle de tutelle se présente donc selon des modalités différentes qui ne sont pas nécessairement appliquées à toutes les autorités qui y sont soumises. Parmi ces modalités, on peut citer : Les régimes d’autorisation préalable, en vertu desquels l’entrée en vigueur d’une décision d’une autorité décentralisée sera conditionnée par son approbation par une autorité de l’État central. Le pouvoir de substitution, qui permet à une autorité de l’État central de prendre des décisions à la place des autorités décentralisées. Les possibilités pour une autorité de l’État central de suspendre ou d’annuler pour illégalité les décisions prises par une autorité décentralisée. 13 d) Les contrôles par les corps et services d’inspection Dans la plupart des cas, ces missions de contrôle, d’inspection ou d’audit (la terminologie peut changer, mais la finalité guère) peuvent être réparties en deux groupes. D’une part, des missions organisées dans le cadre d’un planning de travail déterminé le plus souvent annuellement. D’autre part, des missions plus ponctuelles confiées par l’autorité de rattachement. Ce sont notamment les missions d’inspection demandées à la suite d’un événement médiatique ou particulier. Ces corps ou services d’inspection existent aussi bien dans l’administration d’État que dans celle de certains établissements publics ou collectivités territoriales. Ils sont relativement nombreux puisqu’on en trouve environ une trentaine pour la seule administration d’État. e) Le contrôle financier Le contrôle financier constitue un élément fondamental du contrôle de l’administration, ainsi qu’il en résulte du deuxième alinéa de l’article 47-2 de la Constitution. Pour ce faire, dans l’administration existe une règle fondamentale en matière financière qui est celle de la séparation entre les ordonnateurs et les comptables. Cela signifie que celui qui a autorité pour ordonner une dépense (le ministre, le maire…) n’est pas celui qui va effectivement procéder aux paiements (le comptable). Ces comptables ont le pouvoir, avant de procéder au paiement, de vérifier la régularité de la dépense qui est engagée. Et comme ils engagent leur propre responsabilité personnelle, ils constituent un rouage très important du contrôle interne de l’administration. Ainsi le contrôle financier porte sur toutes les opérations susceptibles d’avoir directement ou indirectement une répercussion financière. 2. Les contrôles par des autorités externes a) Les contrôles parlementaires Cette compétence de contrôle constitue l’une des missions les plus importantes du Parlement. Cette mission de contrôle du Parlement présente toutefois plusieurs modalités qu’il est parfois malaisé de distinguer. Ainsi, en premier lieu, le contrôle parlementaire est un contrôle politique qui porte sur l’action gouvernementale. C’est une logique différente qui a été adoptée avec l’article 24 de la Constitution, dont la rédaction actuelle est issue de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui prévoit d’une manière autonome par rapport aux articles 20, 49 et 50 que le Parlement évalue les politiques publiques. C’est donc bien, en premier lieu, à travers cette évaluation des politiques publiques que le Parlement peut directement contrôler l’administration. Mais ce contrôle parlementaire de l’administration trouve également un autre fondement dans l’article 14 de la DDHC de 1789 qui prévoit que « [t] ous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi (…) » b) Les contrôles par des institutions juridictionnelles Ce contrôle juridictionnel de l’administration est assuré essentiellement par les juridictions administratives. Il est de deux ordres : un contrôle de légalité et un contrôle financier. ii. Le contrôle de la légalité administrative Ce contrôle de la légalité est à la fois l’un des plus anciens et assurément l’un des plus efficaces des contrôles pesant sur l’administration. Cette modalité du contrôle de l’administration est principalement menée par le juge administratif dont une grande partie de l’histoire et de la compétence ont été construites autour du contrôle de la légalité administrative. Pour autant, le juge judiciaire n’est pas complètement incompétent en la matière. D’une manière générale, le juge judiciaire redevient, en tout ou partie, compétent lorsque l’administration se comporte comme une personne privée (par exemple dans la gestion des services publics industriels et commerciaux). En outre, le juge pénal est 14 toujours compétent pour apprécier la légalité d’un acte administratif qui conditionne la solution du procès devant lui (par exemple lorsque devant le juge pénal un automobiliste invoque l’illégalité d’un arrêté de police pour échapper à une condamnation). iii. Les contrôles financiers De la même manière qu’en interne, le contrôle financier de l’administration par des autorités juridictionnelles n’a cessé de prendre de l’importance. Il est aujourd’hui mené par plusieurs juridictions financières : la Cour des comptes, les chambres régionales et territoriales des comptes (CRCT) et la Cour de discipline budgétaire. sanctionner les atteintes aux règles régissant les finances publiques commises par les gestionnaires publics. c) Les contrôles par des autorités indépendantes En dehors des contrôles internes ou parlementaires et juridictionnels s’est développé un contrôle différent mené par des autorités dont la nature juridique n’est pas très aisée à déterminer. Il s’agit notamment des contrôles placés entre les mains d’Autorités administratives indépendantes ou bien du Défenseur des droits. o Le contrôle par des AAI La création, en France, d’autorités à la fois dans et en dehors de l’administration date du début des années 1970. Ces autorités administratives sont la transposition en France du modèle anglo-saxon des Agences. o Le Défenseur des droits Le défenseur des droits est une institution indépendante dont l’existence et les compétences ont été consacrées à l’article 71-1 de la constitution par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. En vertu du 1er alinéa de cet article « [l] e Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public. » § 2. LES PRINCIPES SPÉCIFIQUES À L’ORGANISATION TERRITORIALE DÉCENTRALISÉE Les collectivités locales, en France, ont longtemps semblé échapper à tout cadre constitutionnel précis. Aussi bien dans la constitution de 1946 que dans le texte initial de 1958, les dispositions relatives aux collectivités territoriales étaient relativement peu nombreuses et, surtout, peu détaillées. C’est par exemple que la grande réforme de décentralisation de 1982 a été engagée par la seule voie législative, sans réforme constitutionnelle. Deux éléments vont participer à une remise en cause de cette situation initiale. Tout d’abord, le Conseil constitutionnel, par sa jurisprudence, a considérablement enrichi l’interprétation qui était faite des dispositions constitutionnelles. En outre, les réformes constitutionnelles de 2003 et 2008 ont apporté des éléments supplémentaires à ce cadre constitutionnel de la décentralisation. Les principes constitutionnels relatifs à l’organisation territoriale décentralisée peuvent être regroupés sous deux ensembles cohérents : - La libre administration des collectivités locales ; - L’indivisibilité de la République. A. LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITÉS LOCALES Le principe de libre administration, comme mentionné aux articles 34 et 72 de la Constitution, constitue aujourd’hui le fondement constitutionnel principal de l’autonomie locale. Le Conseil constitutionnel en a reconnu la pleine valeur constitutionnelle dès 1979. 15 À ce principe cardinal de l’autonomie locale, il convient aussi d’ajouter plusieurs autres principes issus de la réforme constitutionnelle de 2003 et que l’on retrouve aux articles 72, 72-1 et 72-2, et qui concourent à assurer une protection constitutionnelle de l’autonomie locale. 1. La portée du principe de libre administration dans les relations entre l’État et les collectivités territoriales Le principe de libre administration, ainsi que les autres principes constitutionnels qu’on peut lui rattacher, fixe plusieurs règles essentielles dans le cadre des relations entre l’État et les collectivités territoriales. a) La compétence de principe du législateur pour déterminer les règles applicables aux collectivités territoriales La Constitution, en précisant que les collectivités s’administrent dans les conditions prévues par la loi, ne se contente pas de rappeler que les collectivités territoriales n’ont pas de pouvoir d’auto-organisation, c’est-à-dire du pouvoir de décider elles-mêmes de leur statut et de leurs compétences. Elle impose surtout que l’essentiel des règles applicables soit déterminé par la loi et donc par la voie parlementaire et non par le pouvoir exécutif comme c’est le cas pour une grande part des autres administrations. Il appartient ainsi au seul législateur de déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. b) L’existence d’un contrôle spécifique sur les collectivités locales Ainsi l’État ne dispose pas du pouvoir hiérarchique à l’égard des collectivités territoriales. Toutefois, comme le rappelle le dernier alinéa de l’article 72 de la Constitution, il existe un contrôle spécifique qui pourra être déclenché par le représentant de l’État. Le représentant de l’État, c’est-à-dire dans la très grande majorité des cas le préfet, a ainsi la charge de ce contrôle. Le Conseil constitutionnel assure d’ailleurs une protection sourcilleuse de cette compétence préfectorale. Le préfet détient ainsi des moyens importants pour assurer le contrôle administratif des collectivités territoriales. 2. La portée du principe de libre administration dans l’organisation et le fonctionnement des collectivités territoriales 3 exigences principales résultent ou accompagnent le principe de libre administration des collectivités territoriales. a) L’exigence d’un conseil élu En vertu de l’alinéa 3 de l’article 72, les collectivités territoriales s’administrent librement en effet par des conseils élus. Si la Constitution ne donne aucune précision sur la nature du suffrage applicable aux élections locales, la loi du 2 mars 1982 a prévu que ces conseils étaient élus au suffrage universel direct. Néanmoins, si ce principe est au cœur de la dimension politique de la décentralisation, il connaît néanmoins des exceptions. Tout d’abord, cela ne concerne que les conseils qui sont les organes délibérants des collectivités territoriales. En revanche, les exécutifs locaux (Maires, adjoints, Présidents et vice-présidents) ne sont pas élus directement par les citoyens, mais par les conseils. En outre, comme au niveau national, la Constitution reconnaît à l’alinéa 2 de l’article 72-1 la possibilité de recourir au référendum pour faire adopter une délibération. Enfin, l’article 72-1 issu de la révision constitutionnelle de 2003 a étendu à toutes les collectivités territoriales le droit de pétition. 16 b) L’exigence de compétences effectives L’existence de conseils élus constitue certes un élément important de la libre administration, mais il n’aurait guère de sens si les collectivités territoriales ne disposaient pas de compétences effectives qu’elles peuvent exercer. C’est très précisément ce qu’a entendu le Conseil constitutionnel quand en 1985, il a utilisé la formule « conseils élus dotés d’attributions effectives ». Il en fait d’ailleurs l’une des exigences principales du principe de libre administration. Néanmoins, l’exigence posée, il convient de la définir. Comme pour le principe de libre administration, le juge constitutionnel n’a pas donné de définition de ce qu’il fallait entendre pas cette formulation. On peut toutefois, en premier lieu, s’appuyer sur les dispositions constitutionnelles qui ont été ajoutées par la réforme constitutionnelle de 2003. C’est l’application ici du principe de subsidiarité dont la consécration a constitué un apport important de la réforme de 2003. c) L’exigence d’une autonomie financière et fiscale La double question de la nature et du caractère suffisant des ressources financières des collectivités territoriales constitue un point d’achoppement traditionnel entre ces dernières et les collectivités locales. Il est en effet de vieille tradition française que l’État transfère aux collectivités territoriales des compétences ou des équipements sans les doter des moyens financiers leur permettant de les exercer ou de les entretenir dans de bonnes conditions. Une double situation a longtemps aidé à laisser dans l’ombre cette opposition entre l’État et les collectivités territoriales. D’une part, les collectivités territoriales avaient obtenu en 1982 une relative autonomie dans le choix des dépenses qu’elles souhaitaient privilégier. C’est ainsi que le nombre de dépenses dites « obligatoires » avait été réduit et ces collectivités ont pu en outre mettre en place de nombreuses dépenses dites « facultatives » (c’est-à- dire qu’elles pouvaient choisir de faire ou de ne pas faire). D’autre part, surtout, les transferts de compétence intervenus à partir de 1982 ont pu être très largement financés par les collectivités qui en ont bénéficié. En effet les collectivités territoriales ont longtemps disposé de ressources fiscales (impôts directs et indirects) « dynamiques », c’est-à-dire progressant bien plus rapidement que le coût de la vie. À l’aube d’un nouveau transfert important de compétences et au moment où s’élevaient de plus en plus régulièrement des protestations face à l’augmentation de ces impôts locaux, les collectivités territoriales ont souhaité obtenir de l’État un certain nombre de protections de nature constitutionnelle relatives à leur autonomie financière. Elles leur semblaient d’autant plus importantes pour les collectivités territoriales que la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’avait jamais été particulièrement protectrice en ce domaine. C’est ainsi que la réforme constitutionnelle de 2003 a ajouté à la Constitution un article exclusivement réservé à cette dimension financière du cadre constitutionnel de la décentralisation. La réforme a innové modérément tout en conservant un certain nombre d’acquis. Ainsi le législateur peut toujours accorder aux collectivités décentralisées un certain pouvoir fiscal leur permettant notamment de voter les taux des impôts locaux (2e alinéa). Elles disposent de même du pouvoir de déterminer l’utilisation de leurs ressources.... dans les conditions fixées par la loi (1er alinéa). Le constituant a en outre innové en prévoyant d’une part que les recettes fiscales doivent représenter « une part déterminante » de leurs ressources (3e alinéa) et d’autre part en intégrant l’obligation pour l’État de compenser financièrement tout nouveau transfert de compétences (4e alinéa). 3. La portée du principe de libre administration dans les relations entre collectivités territoriales Pendant longtemps la question de la portée du principe de libre administration s’est inscrite exclusivement dans le cadre des relations entre l’État et les collectivités territoriales. Il s’agissait pour les collectivités territoriales d’un marqueur de leur autonomie par rapport à l’État. Cependant le développement du rôle des collectivités locales et les évolutions de la société française ont exacerbé les inégalités entre collectivités ou entre catégories de collectivités. Dès lors se sont ajoutées aux craintes 17 de recentralisation étatiques des craintes tout aussi importantes d’une tutelle entre collectivités territoriales voisines ou d’un niveau supérieur. C’est pourquoi a été ajouté par la réforme constitutionnelle de 2003 un alinéa 5 à l’article 72 permettant de protéger de ce risque tout en permettant une certaine rationalité de l’action administrative. a) L’interdiction de toute tutelle entre collectivités territoriales Ce cadre constitutionnel se traduit tout d’abord par l’interdiction de toute tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre. b) La possibilité de reconnaître un « chef de file » Cette possibilité résulte de l’autorisation donnée au législateur, « lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales », d’« autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ». Il faut bien en comprendre l’origine. Dès lors que l’État et les collectivités territoriales ne sont pas parvenus à trouver un mode de répartition des compétences qui permette à chaque catégorie de collectivités de détenir un monopole dans l’exercice de leurs compétences, plusieurs catégories de collectivités ont régulièrement un titre de compétences pour intervenir sur un objet identique. Le statut de « chef de file » est donc une tentative pour diminuer les effets négatifs d’une telle situation de concurrence des compétences. B. LA RÉPUBLIQUE INDIVISIBLE Si l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 proclame depuis loi constitutionnelle du 28 mars 2003 que l’organisation de la République est décentralisée, il prévoit également que cette même République est indivisible. L’affirmation de ce principe est ancienne puisqu’on en trouve une première trace au moment de la Révolution française. En effet, dès le 25 septembre 1792, la Convention nationale proclame l’unité et l’indivisibilité de la République, appliquant à la République le principe déjà affirmé sous la monarchie. 1. La signification de l’indivisibilité L’indivisibilité de la République traduit le rejet de tout fédéralisme en affirmant clairement l’unicité du souverain qui est nécessairement le peuple français dans sa globalité. Sous l’angle de l’indivisibilité, la République française est nécessairement un état unitaire. Les conséquences de ce caractère unitaire sont de plusieurs ordres : L’unité du pouvoir normatif L’unicité du peuple français Le monopole étatique pour l’exercice de certaines compétences a) L’unité du pouvoir normatif La première conséquence de ce principe est donc l’unité du pouvoir normatif, ce qui se traduit en pratique par l’existence d’une seule catégorie de lois, celles adoptées soit directement par le peuple souverain, soit par ses représentants au Parlement national. Il faut toutefois bien comprendre ce qu’engendre cette règle. L’unité ne concerne que la source de ce pouvoir, elle n’interdit pas que certaines lois soient spécifiques à telle ou telle partie du territoire. b) L’unicité du peuple français Cette unicité du peuple français résulte très directement de la jurisprudence constitutionnelle. La signification qu’il est possible d’en donner résulte de la combinaison de l’article 1er de la Constitution qui affirme l’indivisibilité et de l’alinéa 1er de l’article 3 qui prévoit que la souveraineté appartient au peuple. 18 Toutefois, comme pour l’unité du pouvoir normatif, ce principe de l’unicité du peuple français peut être écarté par une autre disposition constitutionnelle. C’est le cas par exemple de l’alinéa 16 du Préambule de la constitution de 1946 qui reconnaît l’existence des peuples des territoires d’outre-mer ou de l’article 72-3 issu de la réforme de 2003 qui dispose que « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». c) Le monopole étatique pour l’exercice de certaines compétences Ainsi, l’État est le seul à pouvoir détenir certaines compétences, comme la Justice ou l’armée qui ne pourraient être transférées à des collectivités territoriales. Ce monopole étatique s’étend aussi aux compétences diplomatiques. L’État détient le monopole pour assurer la représentation de la République vis-à-vis de l’extérieur et pour déterminer les orientations de la politique du pays. De même, le principe d’indivisibilité a été utilisé par le conseil constitutionnel, corrélativement à d’autres principes constitutionnels comme le principe d’égalité pour limiter les compétences des collectivités territoriales dans la mise en œuvre des droits et libertés fondamentaux. Le Conseil constitutionnel considère en effet que c’est au Parlement qu’il revient d’édicter les mesures nécessaires pour que les libertés publiques s’exercent de la même manière sur l’ensemble du territoire. La loi ne peut donc laisser les collectivités territoriales déterminer les conditions d’exercice des droits fondamentaux. 2. La prise en compte de la diversité Si le principe d’indivisibilité constitue toujours l’un des socles essentiels du caractère unitaire de l’État, il doit cependant être concilié avec d’autres dispositions constitutionnelles qui autorisent la prise en compte d’une certaine diversité entre collectivités territoriales. Cette diversité, d’abord admise pour les collectivités territoriales situées outre-mer s’est ensuite élargie à l’ensemble des collectivités. a) La diversité outre-mer. C’est bien évidemment à propos des collectivités d’outre-mer que s’est posée, dès l’origine, la question des limites de l’unité et de la reconnaissance d’une certaine diversité de la République. Dès la IVe République, le processus de décolonisation a conduit les autorités françaises à faire une place dans les institutions au principe d’une évolution statutaire au profit des territoires d’outre-mer. Pour celles qui restent dans la République, la constitution de 1958 a aménagé plusieurs régimes dérogatoires prévus aux articles 73 et 74 ainsi qu’au Titre XIII pour la Nouvelle-Calédonie. Ces 3 régimes résultent notamment de la réforme constitutionnelle de 2003 qui a inséré trois nouveaux articles relatifs à l’outre-mer (articles 72-3, 72- 4 et 74-1) et en a réécrit deux autres articles (73 et 74). La Constitution énumère donc 13 territoires ultramarins (terme générique pour éviter les confusions). Toutefois, elle ne répartit pas elle-même ces territoires entre les différents régimes juridiques (sauf pour la Nouvelle-Calédonie) et les textes qui régissent ces territoires sont selon les cas antérieurs à 2003, antérieurs à 2008, mais postérieurs à 2003 et enfin postérieurs à 2008. De tout cela il résulte une certaine confusion que l’on peut essayer de restreindre en indiquant que les territoires ultramarins sont ainsi : - Les DOM-ROM (ou DROM) de l’article 73 : Guadeloupe et Réunion (qui ont un statut proche, mais pas identique). - Les CU, collectivités uniques de l’article 73 (dernier alinéa) : Mayotte, Guyane et Martinique. - Les COM de l’article 74 : Saint-Barthélemy, Saint-Martin, La Polynésie française, Wallis et Futuna et Saint- Pierre-et-Miquelon (qui a un statut particulier au sein des COM). - Les TAAF, dont le régime juridique les rapproche des COM (spécialité législative) … tout en reprenant des éléments issus de l’article 73 (identité législative). - Clipperton, dont le régime est complètement original. 19 - La Nouvelle-Calédonie. i. Les collectivités relevant de l’article 73 Dans cette catégorie qui contient les DROM, les CU et en partie les TAAF, le principe est celui de l’identité législative prévue à l’alinéa 1er de l’article 73 de la Constitution. Cela signifie que les lois et règlements de la République y sont en principe applicables, mais qu’ils peuvent faire l’objet d’une adaptation. Outre la possibilité d’adaptation, l’article 73 reconnait dans son alinéa 3 aux collectivités concernées (à l’exception une nouvelle fois de La Réunion) une possibilité d’extension limitée de leurs compétences normatives. ii. Les collectivités soumises à l’article 74 Il s’agit ici principalement des COM et, en partie, des TAAF. Ces collectivités d’outre-mer bénéficient d’un régime plus largement dérogatoire. D’une part, conformément à l’alinéa 1 de l’article 74, elles disposent d’un statut particulier. D’autre part s’y applique le principe de spécialité législative qui autorise des dérogations plus importantes. La règle est donc l’inverse de celle prévue à l’article 73 de la Constitution pour les DOM-ROM. Le droit de la République ne s’y applique pas sauf si l’État a décidé de l’y étendre avec, éventuellement, les adaptations nécessaires. iii. La Nouvelle-Calédonie Enfin, la Nouvelle-Calédonie est une collectivité territoriale de la République à statut particulier au titre des articles 76 et 77 de la Constitution. Son régime juridique échappe au droit commun des collectivités territoriales prévu au Titre XII de la Constitution. Les règles applicables à cette collectivité sont prévues aux articles 76 et 77 du titre XIII de la Constitution intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ». Par ailleurs, ces accords avaient prévu l’organisation d’au maximum 3 référendums d’autodétermination qui ont tous les trois donné un résultat favorable au maintien de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République française. En outre, pendant cette période intermédiaire et jusqu’à l’intervention d’un nouveau statut constitutionnel, s’est appliqué le principe de spécialité législative comme pour les collectivités soumises à l’article 74. Mais de nombreuses règles y sont complètement dérogatoires au droit commun : reconnaissance de l’identité kanake, Sénat coutumier, citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, signes identitaires particuliers (drapeau, hymne, graphisme des billets de banque). En outre, certaines dispositions adoptées par l’organe délibérant, le Congrès, ont valeur législative et portent le nom de « lois du pays ». À la lecture du texte constitutionnel et de telles dérogations, on peut se demander quelle est la nature juridique de la Nouvelle-Calédonie : collectivité sui generis (seule de son genre) de la République ou bien État en devenir ? b) La diversité au sein des collectivités métropolitaines Comme cela a pu être dit, l’outre-mer a « servi de laboratoire d’idées pour l’évolution constitutionnelle des rapports entre l’État et les collectivités territoriales, y compris de métropole ». Alors même que depuis la Révolution le cadre constitutionnel des collectivités territoriales était marqué en métropole par l’identité et l’unité de statut entre les différentes catégories de collectivités, les pressions locales ajoutées à la prise de conscience de l’impossibilité de maintenir un tel statu quo ont conduit à admettre une certaine diversité pour les collectivités métropolitaines. i. Les collectivités à statut particulier de l’article 72 L’article 72 de la Constitution reconnaît l’existence de collectivités à statut particulier qu’il ne faut pas confondre avec les collectivités d’outre-mer et avec la Nouvelle-Calédonie qui, elles aussi, disposent d’un statut particulier. Dans cette catégorie, on trouve actuellement la « collectivité de Corse », la métropole de Lyon depuis sa création en 2014 et enfin la « Ville de Paris » depuis 2017. 20 Même si les objectifs poursuivis en Corse et à Lyon ou Marseille obéissent à des considérations très différentes, il s’agit dans tous ces cas de faire disparaître sur une portion du territoire l’organisation classique en 3 niveaux : communes, départements et régions. ii. Les statuts particuliers hors de l’article 72 Bien que n’étant pas qualifiées de collectivités à statut particulier au sens de l’article 72, plusieurs autres collectivités ont depuis plusieurs dizaines d’années un statut particulier. Historiquement, c’est le cas en premier lieu de l’Alsace et en Moselle. C’est le cas également de Marseille, qui dans le cadre du statut dit « PLM » posé par la loi du 2 mars 1982, dispose comme Paris et Lyon d’arrondissements. C’est le cas, enfin, de la Région Île-de-France. iii. Le droit à l’expérimentation et à la différenciation De façon plus générale, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, complétée par celle du 23 juillet 2008, a reconnu à l’alinéa 4 de l’article 72 la possibilité pour toute collectivité ainsi qu’à leurs groupements, de déroger aux lois et règlements nationaux par le biais d’une expérimentation législative. Les collectivités territoriales peuvent ainsi adopter des mesures qui dérogent à la loi et se substituent à elle. La reconnaissance de ce droit à l’expérimentation s’est assez naturellement accompagnée d’une demande de différenciation territoriale. C’est-à-dire d’un droit à pouvoir faire évoluer la répartition des compétences (aussi bien entre l’État et les collectivités qu’entre collectivités) et d’un droit à l’adaptation des normes législatives et réglementaires selon les territoires. C’est ainsi que, sous certaines conditions, des collectivités territoriales appartenant à une même catégorie sont amenées à exercer des compétences qui ne sont plus strictement les mêmes pour toutes (c’est notamment le cas des communes, dans le cadre de la coopération intercommunale). Section 2. LES FONDEMENTS EXTERNES OU INTERNATIONAUX Le lien entre la structure administrative et les divers traités conclus par la France n’apparaît pas immédiatement. Ceci pour deux raisons D’une part, parce que, dans sa conception initiale, le droit international n’a pas pour objet de s’intéresser à l’organisation institutionnelle interne des États. D’autre part, parce que cette structuration, souvent spécifique à chaque État, est encore un marquage important de la souveraineté des États. Seules les structures de l’État central représentent en effet celui-ci à l’extérieur. Cependant, il serait erroné de croire que notre organisation administrative est complètement vierge de toute influence internationale. Là aussi, pour deux raisons : D’une part, de manière générale, certaines conventions internationales ont pour finalité d’assurer une protection renforcée à certains droits fondamentaux qui concernent directement ou indirectement les collectivités locales (démocratie, droits de l’homme, État de droit…). D’autre part, plus spécifiquement en Europe, la participation de la France à l’Union européenne et au Conseil de l’Europe (à ne pas confondre) ne pouvait pas ne pas avoir d’influences majeures, y compris sur notre administration interne. § 1. L’UNION EUROPÉENNE ET L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE NATIONALE Même si l’Union européenne a aujourd’hui des attributions particulièrement larges, elle ne dispose pas en principe de compétence pour unifier l’organisation administrative des États. 21 Pour autant la construction européenne est loin d’avoir été sans influence sur les administrations françaises. L’impact est même général, tant sont nombreuses les transformations administratives induites par ce processus européen. Il concerne notamment les politiques publiques, les missions des administrations ou le droit applicable à ces administrations. De même, les principes qui gouvernent l’administration européenne, comme le principe de « bonne administration » issu de l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, ont trouvé à s’appliquer également au sein des administrations nationales. A. LA RESTRUCTURATION DE L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE FRANÇAISE FACE AU DÉVELOPPEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE Le premier effet du développement de la construction européenne sur l’organisation administrative aura été d’adapter ces structures pour améliorer à la fois la prise en compte du droit et des politiques de l’Union, mais aussi pour améliorer la position de la France au niveau européen. 4 types d’institutions administratives, d’importance inégale, montrent cette volonté d’adaptation : le ministère chargé des Affaires européennes, le secrétariat général des affaires européennes (SGAE), La Représentation permanente (RPUE) à Bruxelles, organe de négociation et de contact avec les institutions européennes et les directions Europe dans la plupart des ministères. B. LA RESTRUCTURATION DE L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE SOUS L’INFLUENCE DU DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE Par ses politiques ou par le droit nouveau dont elle est à l’origine, l’UE constitue un moteur d’évolutions forcées de l’administration française. La première évolution forcée, qui touche indirectement les structures de l’administration, concerne les conséquences des règles élaborées au niveau de l’UE. Plusieurs exemples peuvent en être donnés. Tout d’abord, le statut juridique d’un certain nombre d’administrations de l’État a été mis en cause sur le fondement juridique du droit de la concurrence et de l’interdiction des aides d’État. De même l’Union européenne a été directement ou indirectement imposé aux États membres la création d’un certain nombre de structures administratives indépendantes chargées de la régulation de certains marchés libéralisés. Mais cette influence « subie » n’a pas concerné que l’État et ces institutions. C’est sans doute sur les collectivités territoriales que ces effets indirects sont les plus intéressants, dès lors que l’on se souvient que l’organisation interne des États reste de la seule compétence nationale. Tout d’abord, il apparaît que les traités organisant l’UE ne sont pas indifférents à la situation des collectivités territoriales. En outre, une des institutions de l’UE, le Comité européen des régions (CdR), permet à des représentants élus au niveau local de donner un avis sur les la législation européenne qui intéresse directement les collectivités territoriales. § 2. LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AU CONSEIL DE L’EUROPE Même si leur appellation et leur origine peuvent sembler les rapprocher, Union européenne et Conseil de l’Europe constituent des entités fort différentes. Si la CEDH ne vise ni directement ni indirectement à encadrer la structure administrative interne, il en va autrement du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux (CPLRE) et de la Charte européenne de l’autonomie locale signée en 1985 dans le cadre du Conseil de l’Europe. Le CPLRE est chargé de renforcer la démocratie locale et régionale dans les États membres. Ainsi que l’indique le Conseil de l’Europe, « le Congrès est composé de deux chambres : la Chambre des pouvoirs locaux et la Chambre des régions. Il comprend 324 représentants et 324 suppléants, tous élus désignés pour 4 ans, représentant plus de 200 000 collectivités locales et régionales des 47 22 États membres du Conseil de l’Europe ». Il s’agit donc clairement d’une assemblée de nature politique qui encourage les processus de décentralisation ainsi que la coopération transfrontière entre les villes et les régions. Pour ce faire, il peut s’appuyer notamment sur la Charte européenne de l’autonomie locale ouverte à la signature le 15 octobre 1985. La Charte, qui est un document relativement court, d’une part, définit ce qu’il faut entendre par « autonomie locale et, d’autre part, pose un certain nombre de règles fondamentales qui garantissent l’autonomie politique, administrative et financière des collectivités locales. À cette fin, elle prévoit un pouvoir de gestion des affaires locales, le principe de responsabilité politique de l’exécutif local, le principe de subsidiarité et un renforcement de la démocratie locale. Alors même que la France a été directement à l’origine de ce texte, elle ne l’a ratifiée que le 17 janvier 2007 à la suite de la réforme constitutionnelle de 2003. Ce retard (plus de 20 ans) était justifié par le fait qu’un certain nombre des principes contenus dans cette Charte étaient en contradiction avec le caractère unitaire de l’État. Notamment il était reproché à la Charte de promouvoir l’autonomie locale, et non seulement la décentralisation territoriale. Sans doute, plus que tout, il était reproché à la Charte de faire de l’autonomie locale un élément fondamental d’une démocratie véritable. Même à l’occasion de sa ratification en 2007, la France a déposé 3 déclarations interprétatives qui montrent bien les difficultés à mettre l’ensemble des principes inscrits dans cette Charte. Ces réserves françaises concernent notamment la question de la responsabilité politique des exécutifs locaux devant l’assemblée qui les a élus, la question de l’application des principes de la Charte aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou l’indemnisation des frais liés à l’exercice des mandats locaux. § 3. L’OUTRE-MER FRANÇAIS SOUS OBSERVATION DU DROIT INTERNATIONAL ET DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES (ONU) Si l’organisation interne des États relève traditionnellement de la souveraineté des États, le droit international contient toutefois un certain nombre de règles qui intéressent directement l’outre-mer français. La France a ainsi ratifié plusieurs textes internationaux qui reconnaissent l’existence de « peuples autochtones » ou de « communautés autochtones » pour lesquels le droit international reconnait un droit à la non-discrimination. C’est évidemment à travers l’autodétermination des peuples que le droit international peut influencer l’organisation institutionnelle de l’outre-mer. Ainsi, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes constitue certainement l’un des principes fondamentaux du droit international et spécifiquement de la Charte des Nations- Unies. La mise en œuvre de ce droit constitue même l’un des buts de l’ONU. Parmi les territoires de l’outre-mer français, 3 font l’objet d’observations régulières de l’ONU à ce titre : La Nouvelle-Calédonie, La Polynésie française et Mayotte. 23 Chapitre 2. LES INSTITUTIONS DE L’ADMINISTRATION FRANÇAISE Section 1. L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE DE L’ÉTAT L’État, il ne faut pas oublier, est un concept qui couvre une double réalité institutionnelle et sur le plan juridique. C’est en effet le tout, mais aussi une partie de ce tout. Le tout, car c’est l’ensemble de toutes les institutions politiques et administratives. Mais, dans le cadre de ce cours, c’est une partie de ce tout, car les institutions administratives de l’État ce sont celles qui ne relèvent pas d’une autre personne publique ou privée exerçant une action administrative (collectivités territoriales, établissements publics, personnes privées gérant un service public…). C’est donc exclusivement par un critère organique que l’on peut qualifier les administrations de l’État. Ce sont donc celles qui sont rattachées à l’État et qui n’ont pas de personnalité juridique propre. Tous leurs actes, tous les actes de leurs agents, tous les dommages qu’ils (les agents) ou elles (les institutions) peuvent causer relèvent de l’État, ils lui sont directement rattachables. C’est indirectement une telle définition que reprend la charte de la déconcentration de 2015 qui dispose dans son article 2 que : « Placées sous l’autorité du Premier ministre et de chacun des ministres, les administrations civiles de l’État se composent, d’une part, d’administrations centrales et de services à compétence nationale, d’autre part, de services déconcentrés ». Dès lors, il convient de faire une distinction entre : L’organisation administrative centrale et les services à compétence nationale L’organisation administrative déconcentrée que l’on appelle également désormais organisation territoriale de l’État § 1. LES INSTITUTIONS DE L’ADMINISTRATION CENTRALE Le champ de la notion d’administration centrale peut varier selon les auteurs et les documents. Dans certains cas, l’administration centrale n’est constituée que de « l’ensemble des services d’un ministère disposant de compétences nationales ». Dans cette section, c’est à une définition plus large que l’on va recourir. L’administration centrale est alors composée de 3 blocs d’institutions dont l’importance et la nature varient sensiblement : 24 Les organes de direction avec notamment des institutions dont la fonction est à la fois politique et administrative, comme le Président de la République, le Premier ministre ou les ministres Les services centraux des ministères qui, pour la plupart, sont installés à Paris. Ils constituent les organes directs de préparation et de mise en œuvre des politiques gouvernementales. Les institutions de conseil et de contrôle qui aident l’État à mener sa mission. A. LES ORGANES DE DIRECTION L’expression « organe de direction » est vague, et minore l’importance de ces organes. Pour autant, il est très difficile de les qualifier plus précisément si ce n’est en indiquant qu’il s’agit d’organes à double visage, c.-à-d. qu’ils jouent un rôle politique et administratif. Ces autorités cumulent à la fois un rôle éminent sur le plan politique - ils constituent des pouvoirs publics au sens de la Constitution - et ils vont avoir une fonction administrative qui se traduit notamment par la prise de décision de nature administrative. Ces organes de direction sont au nombre de 3 : le Président de la République, le Premier ministre et les membres du Gouvernement. Ces autorités ont une double fonction dans notre système constitutionnel. Elles ont à la fois des fonctions politiques et des fonctions administratives. 1. Le Président de la République Dans le cadre de la V° République, conformément à la volonté du Général de Gaulle, le Président de la République joue un rôle politique prééminent. Il assure des fonctions politiques fondamentales, au point d’avoir été qualifié de « clé de voûte des institutions ». Si cette prééminence politique était voulue dès l’origine, il en va sans doute tout autrement pour son pouvoir administratif. Dans le cadre bicéphale de la V° République, on pouvait pu penser qu’à la prééminence politique du Président répondrait la prééminence administrative du Premier ministre. En fait, il n’en a rien été. En premier lieu, les présidents ont utilisé leurs compétences administratives initiales pour asseoir leur domination politique. En effet, une large part de l’action politique du Président se traduit par l’édiction d’un ou plusieurs actes administratifs. Et à l’inverse, chaque compétence administrative du Président renforce son pouvoir politique. En second lieu, le pouvoir tiré de ces compétences administratives n’a cessé de croître au cours de la V° République. Le Président de la République est ainsi passé d’un rôle de direction très éloigné des contingences quotidiennes à un rôle largement plus actif qu’a considérablement accentué le passage du septennat au quinquennat. a) Les pouvoirs administratifs du Président de la République La plupart des compétences politiques du Président nécessitent qu’il prenne des actes administratifs pour leur donner force exécutoire. En outre, la Constitution lui reconnaît des compétences administratives plus classiques, très comparables à celles exercées par un responsable administratif. Le pouvoir administratif que ces compétences permettent au Président d’exercer est à la fois vaste, vague et variable. Il est variable parce qu’il peut dépendre des hommes ou de la situation politique, mais les présidents successifs de la V° République ont pu tirer parti du caractère parfois très vague de ces compétences pour jouer un rôle administratif bien plus vaste que leurs prédécesseurs de la IV° République. Pour l’essentiel, le Président a, en matière administrative, deux types de compétences administratives : Un pouvoir de nomination Un pouvoir d’impulsion i. Le pouvoir de nomination Cette compétence en matière de nomination est l’une des plus importantes détenues par le Président de la République. Ces nominations peuvent éventuellement avoir un caractère politique, mais elles sont formalisées par un acte administratif. C’est en effet « l’acte administratif par lequel l’autorité compétente désigne l’agent appelé à occuper un emploi déterminé ». Cet acte, c’est un décret qui peut être pris « en conseil des ministres » (c’est-à-dire après délibération du conseil des ministres), ou un décret simple du Président. 25 Ce pouvoir de nomination est triple : il concerne à la fois des organes politiques, des agents publics et des magistrats. En premier lieu, il nomme le Premier ministre et les ministres conformément à l’article 8 de la Constitution. En second lieu, le Président dispose d’un important pouvoir de nomination en conseil des ministres qui résulte de l’article 13 de la Constitution. Ces emplois dont la nomination impose l’intervention du Président de la République relèvent de plusieurs situations différentes, mais ils ont en commun de concerner des autorités administratives de l’État à haute responsabilité. En dernier lieu, ce pouvoir de nomination concerne aussi des magistrats. De manière générale, la quasi-totalité des magistrats est nommée par décret du Président de la République. Et ce dernier exemple permet de montrer que si le pouvoir de nomination du Président est vaste, sa marge de manœuvre dans le choix de la personne nommée peut varier considérablement : Dans certains cas, sa marge de manœuvre est faible, voire nulle, il se contente alors d’entériner une nomination qui résulte d’une décision d’une autre autorité. Il s’agit tout d’abord de tous les cas dans lesquels le Président nomme des fonctionnaires qui ont été reçus à un concours administratif. Dans d’autres cas, en revanche, le Président de la République peut disposer d’une très large latitude. C’est le cas tout d’abord de la nomination du Premier ministre ou des ministres. C’est le cas également des membres du Conseil constitutionnel qu’il nomme. C’est le cas également des emplois dits « à la discrétion » ou « à la décision » du Gouvernement. Ce sont des emplois qui relèvent de l’encadrement supérieur de l’administration. Pour ces emplois (qui sont environ 500), le Président n